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A-86-13

2013 CAF 225

Doris Tremblay (appelant)

c.

Orio Canada Inc. (intimée)

Répertorié : Tremblay c. Orio Canada Inc.

Cour d’appel fédérale, juges Noël, Trudel et Mainville, J.C.A.—Montréal, 9 septembre; Ottawa, 25 septembre 2013.

Droit d’auteur — Violation — Appel d’un jugement de la Cour fédérale portant que l’appelant était titulaire du droit d’auteur à l’égard du logiciel SAM modifié, mais qu’il avait accordé à l’intimé une licence implicite d’utilisation lui permettant non seulement de commercialiser le logiciel, mais aussi de le copier et de le modifier — L’intimée a retenu les services de l’entreprise de l’appelant afin d’améliorer son logiciel SAM — Il en a résulté le logiciel SAM modifié — Une fois leur relation d’affaires terminée, l’intimée a poursuivi le développement du logiciel SAM modifié avec une autre société et elle lui a remis une copie du code source afin de créer un logiciel retravaillé (le SAM modifié retravaillé) — Il était question de savoir si la Cour fédérale a erré en concluant que la licence implicite accordée à l’intimée permettait à cette dernière d’utiliser le logiciel SAM modifié aux fins d’en copier le code source et de le faire retravailler par une autre entreprise de programmation — Les parties avaient à l’esprit que le SAM modifié pourrait non seulement être commercialisé, mais que ce programme pourrait aussi faire l’objet d’améliorations futures à la demande de l’intimée, et que ces améliorations pourraient être effectuées soit par l’appelant, soit par un tiers désigné par l’intimée — L’appelant a renoncé à une exclusivité sur le développement de toutes les améliorations futures audit programme — La Cour fédérale n’a commis aucune erreur — Appel rejeté.

Il s’agissait d’un appel d’un jugement de la Cour fédérale portant que l’appelant était titulaire du droit d’auteur à l’égard d’un logiciel connu sous le nom de SAM modifié et ne l’avait pas cédé à l’intimée. Cependant, la Cour fédérale a conclu que l’appelant avait accordé à l’intimé une licence implicite d’utilisation lui permettant non seulement de commercialiser le logiciel, mais aussi de le copier et de le modifier.

L’intimée commercialise un logiciel de gestion de rendez-vous depuis plusieurs années dans le domaine de la mécanique automobile. Ce logiciel est connu sous l’acronyme SAM. L’intimée a retenu les services de l’entreprise de l’appelant afin d’améliorer son logiciel SAM. L’appelant a travaillé sur le logiciel pendant trois ans et une nouvelle version (le SAM modifié), deux fois plus volumineuse que la version initiale, en est résultée. La relation d’affaires entre les parties a ensuite pris fin. L’intimée a poursuivi le développement du logiciel SAM modifié avec une autre société et elle lui a remis une copie du code source afin de créer un logiciel retravaillé (le SAM modifié retravaillé).

La Cour fédérale a conclu que l’appelant était le titulaire du droit d’auteur des améliorations faites au programme SAM. Se penchant sur la cession du droit d’auteur, la Cour fédérale a conclu que le libellé de la clause inséré par l’appelant dans ses soumissions équivalait à une cession au profit de l’intimée du droit d’auteur dans le logiciel SAM modifié. Cependant, vu que ces soumissions n’avaient pas été formellement signées par l’appelant, la Cour fédérale a conclu que cette cession lui était inopposable eu égard aux exigences du paragraphe 13(4) de la Loi sur le droit d’auteur. Par contre, s’appuyant sur le libellé de cette clause, la Cour fédérale a néanmoins conclu que l’appelant avait octroyé à l’intimée une licence d’utilisation implicite dans le logiciel SAM modifié, et que cette licence permettait à l’intimée d’utiliser le logiciel SAM modifié aux fins d’en copier le code source et de le faire retravailler par une autre entreprise de programmation.

En appel, l’appelant a soutenu que quoique la Cour fédérale ait correctement conclu que l’intimée bénéficiait d’une licence implicite d’utilisation du logiciel SAM modifié, elle a erré en étendant la portée de cette licence au-delà de la commercialisation du logiciel afin d’y inclure un droit de copier le code source et de le retravailler pour créer le SAM modifié retravaillé. L’intimée, s’appuyant sur la clause de cession contenue aux soumissions de l’appelant, a soutenu que la licence implicite comprenait le droit de copier le code source du logiciel SAM modifié afin de développer et commercialiser le logiciel SAM modifié retravaillé.

Il était donc question de savoir si la Cour fédérale a erré en concluant que la licence implicite accordée à l’intimée permettait à cette dernière d’utiliser le logiciel SAM modifié aux fins d’en copier le code source et de le faire retravailler par une autre entreprise de programmation.

Arrêt : l’appel doit être rejeté.

Les parties avaient à l’esprit que le SAM modifié pourrait non seulement être commercialisé, mais que ce programme pourrait aussi faire l’objet d’améliorations futures à la demande de l’intimée, et que ces améliorations pourraient être effectuées soit par l’appelant, soit par un tiers désigné par l’intimée. En reconnaissant explicitement que « [t]out développement fait pour Orio Canada inc. [l’intimée] deviendra la propriété exclusive » de celle-ci, l’appelant a de fait renoncé à une exclusivité sur le développement de toutes les améliorations futures audit programme. La licence implicite résultant de l’ensemble des rapports entre les parties permettait donc à l’intimée de copier le code source du SAM modifié afin de le faire retravailler par des tiers. La Cour fédérale n’a donc commis aucune erreur en décidant ainsi.

Concernant la cession du droit d’auteur, la jurisprudence prévoit de façon unanime qu’on ne peut opposer à un titulaire d’un droit d’auteur une cession ou une licence exclusive qui n’est pas constaté par un écrit signé par le titulaire du droit en cause. Cependant, ces décisions ne traitent pas d’un cas comme en l’espèce où le titulaire du droit d’auteur reconnaît devant le tribunal avoir consenti au transfert de propriété du droit en cause. Il serait d’un formalisme exagéré que de rendre inopposable à un cédant une clause de cession de droit d’auteur que celui-ci a lui-même rédigée et qu’il reconnaît devant le tribunal comme régissant ses rapports avec le cessionnaire, et ce pour la simple raison que celle-ci n’est pas signée. Cependant, puisque l’intimée n’avait pas formulé d’appel incident à l’égard de la décision du juge voulant que la cession du droit d’auteur soit inopposable à l’appelant, cet aspect de la décision du juge ne pouvait être réformé.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64, art. 7.

Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42, art. 13(4),(7).

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Netupsky et al. c. Dominion Bridge Co. Ltd., [1972] R.C.S. 368; Beck v. Montana Construction Pty. Ltd. (1963), 5 F.L.R. 298 (N.S.W. S.C.).

DÉCISION EXAMINÉE :

Euro-Excellence Inc. c. Kraft Canada Inc., 2007 CSC 37, [2007] 3 R.C.S. 20.

DÉCISIONS CITÉES :

CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada, 2004 CSC 13, [2004] 1 R.C.S. 339; Robertson c. Thomson Corp., 2006 CSC 43, [2006] 2 R.C.S. 363; Ritchie v. Sawmill Creek Golf & Country Club Ltd., 2004 CanLII 21366, 35 C.P.R. (4th) 163 (C.S.J. Ont.); Motel 6, Inc. c. No. 6 Motel Ltd., [1982] 1 C.F. 638 (1re inst.); Guillemette c. Centre coopératif de Loisirs et de Sports du Mont Orignal, [1986] A.C.F. no 814 (1re inst.) (QL); J.L. de Ball Canada Inc. c. 421254 Ontario Ltd., 1999 CanLII 9222 (C.F. 1re inst.).

APPEL d’un jugement de la Cour fédérale (2013 CF 109, [2014] 3 R.C.F. 404) portant que l’appelant était titulaire du droit d’auteur à l’égard d’un logiciel, mais qu’il avait accordé à l’intimé une licence implicite d’utilisation lui permettant non seulement de commercialiser le logiciel, mais aussi de le copier et de le modifier. Appel rejeté.

ONT COMPARU

Pascal Lauzon pour l’appelant.

André J. Bélanger pour l’intimée.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

BCF LLP, Montréal, pour l’appelant.

André J. Bélanger, Laval, Québec, pour l’intimée.

Voici les motifs du jugement rendus en français par

[1]        Le juge Mainville, J.C.A. : Notre Cour est saisie d’un appel d’un jugement du juge Boivin de la Cour fédérale (le juge) rendu en date du 31 janvier 2013 pour les motifs portant le numéro de référence 2013 CF 109, [2014] 3 R.C.F. 404 et portant sur le droit d’auteur à l’égard d’un logiciel connu sous le nom de SAM modifié. Le juge a reconnu que l’appelant était titulaire du droit d’auteur, ne l’avait pas cédé à l’intimée (Orio), mais avait néanmoins accordé à cette dernière une licence implicite d’utilisation lui permettant non seulement de commercialiser le logiciel, mais aussi de le copier et de le modifier.

Le contexte

[2]        Le contexte du litige est simple et les faits sont admis par les parties. Orio commercialise un logiciel de gestion de rendez-vous depuis plusieurs années dans le domaine de la mécanique automobile. Ce logiciel est connu sous l’acronyme SAM (Service Appointment Monitor). Orio a retenu les services de l’entreprise de l’appelant (qui fait affaire sous la raison sociale Service Informatique Professionnel) afin d’améliorer son logiciel SAM. L’appelant et ses employés ont donc travaillé sur ce logiciel d’avril 2006 à juin 2009, et l’appelant a été rémunéré par Orio à cette fin. La nouvelle version du logiciel résultant de ce travail (désigné le « SAM modifié ») est presque deux fois plus volumineuse que la version initiale de SAM, et plusieurs modules complémentaires y ont été ajoutés.

[3]        La relation d’affaires entre les parties a pris fin en juin 2009. À compter de juillet 2009, Orio a poursuivi le développement du logiciel SAM modifié avec une autre société, le Groupe Énode, et elle lui a remis une copie du code source afin de créer un logiciel retravaillé qui est désigné le « SAM modifié retravaillé ». Depuis août 2009, Orio vend et installe des copies du logiciel SAM modifié retravaillé chez ses clients. Ce logiciel contient une partie substantielle du code source développé par l’entreprise de l’appelant.

[4]        L’appelant soutient être le propriétaire du droit d’auteur dans le logiciel SAM modifié. Il reconnaît avoir concédé une licence d’utilisation de ce logiciel à Orio, mais il soutient que cette licence ne permet pas à Orio de copier le code source afin de le faire retravailler par le Groupe Énode. L’appelant cherche donc la destruction du logiciel SAM modifié retravaillé et une injonction ordonnant à Orio de cesser d’offrir en vente et d’installer ce logiciel.

[5]        Orio soutenait devant le juge qu’elle était la seule détentrice de tous les droits liés au logiciel SAM modifié, puisque le droit d’auteur dans ce logiciel lui aurait été cédé par l’appelant au moyen de ses soumissions écrites, lesquelles comportent une clause qui se lit comme suit :

Tout développement fait pour Orio Canada inc. deviendra la propriété exclusive de celui-ci (sic) et ne pourra donc être commercialisé ou réutilisé par Service Informatique Professionnel ou tout autre intervenant.

[6]        L’appelant soutient pour sa part que cette cession ne peut lui être opposée compte tenu du fait qu’il n’a pas formellement signé ses documents de soumissions. Il reconnaît que cette clause régissait ses rapports avec Orio, mais il s’appuie sur les exigences du paragraphe 13(4) de la Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), ch. C-32 [la Loi], lequel prévoit qu’une telle cession « n’est valable que si elle est rédigée par écrit et signée par le titulaire du droit qui en fait l’objet, ou par son agent dûment autorisé ».

Les motifs du juge de première instance

[7]        Le juge a conclu que l’appelant était le titulaire du droit d’auteur des améliorations faites au programme SAM. Il s’est d’ailleurs exprimé comme suit au paragraphe 34 de ses motifs : « compte tenu de la jurisprudence suivant laquelle l’auteur est celui qui a donné corps à une œuvre et non celui qui en a eu l’idée sans la concrétiser, force est de conclure que c’est [l’appelant], par le biais de ses employés, qui soit l’auteur dans la présente affaire. »

[8]        Se penchant sur la cession du droit d’auteur, le juge a conclu, au paragraphe 44 de ses motifs, que le libellé de la clause inséré par l’appelant dans ses soumissions équivalait à une cession au profit d’Orio du droit d’auteur dans le logiciel SAM modifié. Cependant, vu que ces soumissions n’avaient pas été formellement signées par l’appelant, le juge a conclu que cette cession lui était inopposable eu égard aux exigences du paragraphe 13(4) de la Loi sur le droit d’auteur. Le juge a donc refusé d’accepter le témoignage de l’appelant selon lequel cette clause régissait l’ensemble de ses mandats avec Orio comme suffisant pour pallier à l’absence d’une signature formelle sur les documents de soumission. Il s’est d’ailleurs exprimé comme suit à cet égard au paragraphe 49 de ses motifs :

En arriver à la conclusion contraire uniquement sur la base du témoignage du demandeur [de l’appelant], comme l’a plaidé la défenderesse [l’intimée], aurait pour conséquence de faire fi de l’exigence imposée par le législateur. La conclusion peut paraître rigide, mais elle est conforme aux exigences formalistes de la Loi.

[9]        Par contre, s’appuyant sur le libellé de cette clause, le juge a néanmoins conclu que l’appelant avait octroyé à Orio une licence d’utilisation implicite dans le logiciel SAM modifié. En rejetant la demande de l’appelant, le juge a reconnu que cette licence permettait à Orio d’utiliser le logiciel SAM modifié aux fins d’en copier le code source et de le faire retravailler par une autre entreprise de programmation.

Les positions des parties en appel

[10]      L’appelant soutient que quoique le juge ait correctement conclu qu’Orio bénéficiait d’une licence implicite d’utilisation du logiciel SAM modifié, il a erré en étendant la portée de cette licence au-delà de la commercialisation du logiciel afin d’y inclure un droit de copier le code source et de le retravailler pour créer le SAM modifié retravaillé. Pour l’appelant, il « serait en effet contraire au texte et à l’esprit de la Loi sur le droit d’auteur si la portée d’une licence d’utilisation pour commercialisation avait pour effet, dans les faits, de conférer au détenteur de la licence d’utilisation le droit d’agir à toutes fins pratiques comme s’il était le détenteur des droits d’auteurs, et de nier ainsi au titulaire d’un droit d’auteur tout exercice de ses droits sur les autres aspects de ses droits d’auteur » : mémoire de l’appelant, au paragraphe 41.

[11]      Pour l’appelant, seulement une cession du droit d’auteur ou une licence exclusive pourraient conférer de tels droits à Orio. Dans l’un ou l’autre de ces cas, selon les paragraphes 13(4) et (7) de la Loi sur le droit d’auteur, la cession ou la licence exclusive doit être constatée par écrit et signée par le titulaire du droit d’auteur. Or le juge a conclu que la signature de l’appelant n’avait pas été apposée aux documents comportant la clause de cession.

[12]      Curieusement, Orio ne conteste plus en appel la propriété du droit d’auteur de l’appelant dans le logiciel SAM modifié. Orio se contente de la licence implicite, laquelle selon elle comprendrait le droit de copier le code source du logiciel SAM modifié afin de développer et commercialiser le logiciel SAM modifié retravaillé : mémoire d’Orio, au paragraphe 10.

[13]      Par contre, Orio s’appuie toujours sur la clause de cession contenue aux soumissions de l’appelant. Elle soutient qu’à la lumière de cette clause, la démarche de l’appelant est « immorale et malhonnête [et] motivée par la seule rancune » : mémoire d’Orio, au paragraphe 24.

[14]      Lors de sa plaidoirie devant la Cour, le procureur d’Orio ajoute qu’il y a bel et bien eu une cession du droit d’auteur en faveur d’Orio, et n’eut été le fait que l’appelant ait trompé sa cliente quant à ses intentions en ne signant pas formellement les soumissions, cette cession aurait été opposable à l’appelant. Pour Orio, dans la mesure où la cession convenue entre les parties ne peut être opposable à l’appelant vu les exigences de forme établies à la Loi sur le droit d’auteur, la Cour doit prendre en compte le texte de cette cession écrite afin de donner une large portée à la licence implicite d’utilisation reconnue par le juge.

Analyse

[15]      Il ne fait aucun doute que l’intention des parties était que tout développement fait par l’appelant sur le logiciel SAM deviendrait la propriété exclusive d’Orio. La clause reproduite ci-haut et incluse aux documents de soumission ne peut s’interpréter autrement que comme prévoyant la cession en faveur d’Orio du droit d’auteur dans le logiciel SAM modifié. Lorsque la « propriété exclusive » sur le développement d’un logiciel est cédée, cela comporte de soi la propriété du droit d’auteur dans ce développement.

[16]      À cet égard, le témoignage de l’appelant lors de son interrogatoire est à l’effet suivant :

Q. Vous y êtes, propriété :

« Tout développement fait [pour] ORIO Canada inc. deviendra la propriété exclusive de celui-ci et ne pourra donc pas être commercialisé ou réutilisé par services Informatiques Professionnels ou tout autre intervenant ».

C’est vous qui avez pris l’initiative de mettre cette clause-là?

R. Oui.

Q. Pourquoi?

R. Parce que c’est une annotation utilisée pour différents mandats déjà, pour l’exclusivité, pour protéger contre la compétition.

Q. Est-ce que ça s’appliquait à l’ensemble des mandats que vous avez eus de ORIO Canada?
R. Oui, les soumissions qui sont établies là, oui, sûrement.

(Dossier d’appel, à la page 340, lignes 7 à 25.)

Q. O.K. Et j’ai bien compris de votre réponse que l’ensemble des relations avec monsieur, avec ORIO Canada, c’est l’esprit de cette clause-là qui s’appliquait, l’esprit et la lettre de cette clause-là?

R. Oui.

(Dossier d’appel, à la page 342 lignes, 13 à 18.)

[17]      C’est donc à juste titre que le juge a conclu que les parties ont convenu de céder le droit d’auteur dans le SAM modifié au profit d’Orio. Par contre, le juge était d’avis que cette cession n’était pas opposable à l’appelant compte tenu des exigences du paragraphe 13(4) de la Loi sur le droit d’auteur, lequel se lit comme suit :

13. […]

(4) Le titulaire du droit d’auteur sur une œuvre peut céder ce droit, en totalité ou en partie, d’une façon générale ou avec des restrictions relatives au territoire, au support matériel, au secteur du marché ou à la portée de la cession, pour la durée complète ou partielle de la protection; il peut également concéder, par une licence, un intérêt quelconque dans ce droit; mais la cession ou la concession n’est valable que si elle est rédigée par écrit et signée par le titulaire du droit qui en fait l’objet, ou par son agent dûment autorisé. [Je souligne.]

Cession et licences

[18]      L’objet de la Loi sur le droit d’auteur est d’établir un juste équilibre entre la promotion, dans l’intérêt public, de la création et de la diffusion des œuvres artistiques et intellectuelles, d’une part, et l’obtention d’une juste récompense pour le créateur, d’autre part : CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada, 2004 CSC 13, [2004] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 23. C’est avec cet objectif à l’esprit que le législateur exige que la propriété du droit d’auteur ne puisse être cédée que par un écrit signé par le titulaire du droit d’auteur. Ce principe s’applique tant à la cession pure et simple du droit d’auteur (paragraphe 13(4) de la Loi) qu’à une licence exclusive à l’égard de ce droit (paragraphe 13(7) de la Loi).

[19]      En effet, ce qui caractérise une cession ou une licence exclusive par rapport à une licence non exclusive est le transfert d’un droit de propriété dans le droit d’auteur. Comme le signale le juge Rothstein dans l’arrêt Euro-Excellence Inc. c. Kraft Canada Inc., 2007 CSC 37, [2007] 3 R.C.S. 20, au paragraphe 28 : « Le cessionnaire a les pleins droits de propriété sur le droit d’auteur en ce qui concerne les droits cédés. Le licencié non exclusif n’a aucun droit de propriété sur le droit d’auteur, et jouit seulement de droits contractuels à l’égard du titulaire-concédant […] Le licencié exclusif a, par contre, un intérêt de propriété limité dans le droit d’auteur. »

[20]      C’est la concession d’un intérêt de propriété dont il est question aux paragraphes 13(4) et 13(7) de la Loi sur le droit d’auteur : Robertson c. Thomson Corp., 2006 CSC 43, [2006] 2 R.C.S. 363, au paragraphe 56, citant à cet effet l’arrêt Ritchie v. Sawmill Creek Golf & Country Club Ltd., 2004 CanLII 21366, 35 C.P.R. (4th) 163 (C.S.J. Ont.), au paragraphe 20. Afin de protéger les titulaires du droit d’auteur, la loi exige donc que ces derniers doivent consentir de façon claire à la cession de la propriété de leur droit. C’est pourquoi la Loi sur le droit d’auteur exige que le titulaire du droit doive signifier son consentement éclairé au transfert de propriété au moyen d’un écrit portant sa signature.

[21]      Ainsi, la jurisprudence prévoit de façon unanime qu’on ne peut opposer à un titulaire d’un droit d’auteur une cession ou une licence exclusive qui n’est pas constaté par un écrit signé par le titulaire du droit en cause : voir entre autres les décisions Motel 6, Inc. c. No. 6 Motel Ltd., [1982] 1 C.F. 638 (1re inst.); Guillemette c. Centre coopératif de Loisirs & de Sports du Mont Orignal, [1986] A.C.F. no 814 (1re inst.) (QL); J.L. de Ball Canada Inc. c. 421254 Ontario Ltd., 1999 CanLII 9222 (C.F. 1re inst.).

[22]      Cependant, ces décisions ne traitent pas d’un cas où le titulaire du droit d’auteur reconnaît devant le tribunal avoir consenti au transfert de propriété du droit en cause. Il m’apparaît d’un formalisme exagéré que de rendre inopposable à un cédant une clause de cession de droit d’auteur que celui-ci a lui-même rédigée et qu’il reconnaît devant le tribunal comme régissant ses rapports avec le cessionnaire, et ce pour la simple raison que celle-ci n’est pas signée. Comme je l’ai signalé plus haut, le but des paragraphes 13(4) et (7) de la Loi sur le droit d’auteur est de protéger le titulaire du droit d’auteur contre une cession de droit qui n’est pas consentie de façon claire. Lorsque le cessionnaire reconnaît lui-même devant le tribunal la clause de cession qui régit ses rapports, le but recherché par la Loi est quant à moi rempli.

[23]      Dans les circonstances particulières du présent litige, où le titulaire du droit reconnaît devant le tribunal chargé de trancher la question que la clause de cession de droit régit ses rapports avec le cessionnaire, la forme ne devrait pas l’emporter sur le fond. Je note d’ailleurs que ce litige a pris naissance au Québec et que l’article 7 du Code Civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64, prévoit qu’ « [a]ucun droit ne peut être exercé en vue de nuire à autrui ou d’une manière excessive et déraisonnable, allant ainsi à l’encontre des exigences de la bonne foi. »

[24]      Orio n’a cependant pas formulé d’appel incident à l’égard de la décision du juge voulant que la cession du droit d’auteur soit inopposable à l’appelant. Dans ces circonstances, il n’appartient pas à notre Cour de réformer cet aspect de la décision du juge.

[25]      Quant à la licence implicite d’utilisation, je ne vois aucune erreur dans la décision du juge voulant que, vu les circonstances, l’appelant ait consenti non seulement à une licence implicite de commercialisation du SAM modifié, mais aussi à ce que ce logiciel puisse être modifié par Orio afin d’en améliorer la commercialisation. À cet égard, la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Netupsky et al. c. Dominion Bridge Co. Ltd., [1972] R.C.S. 368 m’apparaît analogue à la présente affaire. Dans cette décision, on a reconnu une licence implicite pour procéder à la modification de plans pour un ouvrage de génie civil. Aux pages 377 et 378 de cet arrêt, le juge Judson a fait sien les propos tenus par la Cour suprême de New South Wales dans l’arrêt Beck v. Montana Construction Pty. Ltd. (1963), 5 F.L.R. 298, aux pages 304 et 305 :

[traduction] […] que l’engagement que prend une personne de produire moyennant rémunération une chose susceptible de faire l’objet d’un droit d’auteur implique l’utilisation de la chose avec la permission ou le consentement ou la licence de celui qui a pris cet engagement, en la manière et pour les fins qu’au moment de l’engagement les parties avaient à l’esprit au sujet de son utilisation.

[26]      Il ne fait quant à moi aucun doute que les parties avaient à l’esprit que le SAM modifié pourrait non seulement être commercialisé, mais que ce programme pourrait aussi faire l’objet d’améliorations futures à la demande d’Orio, et que ces améliorations pourraient être effectuées soit par l’appelant, soit par un tiers désigné par Orio. En reconnaissant explicitement que « [t]out développement fait pour Orio Canada Inc. deviendra la propriété exclusive » de celle-ci, l’appelant a de fait renoncé à une exclusivité sur le développement de toutes les améliorations futures audit programme. La licence implicite résultant de l’ensemble des rapports entre les parties permet donc à Orio de copier le code source du SAM modifié afin de le faire retravailler par des tiers. Le juge de première instance n’a donc commis aucune erreur en décidant ainsi.

[27]      Pour ces motifs, je rejetterais l’appel, avec dépens en faveur d’Orio.

Le juge Noël, J.C.A. : Je suis d’accord.

La juge Trudel, J.C.A. : Je suis d’accord.

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