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IMM-9674-11

2012 CF 1343

Ali Vahit Esensoy (demandeur)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)

Répertorié : Esensoy c. Canada (Citoyenneté et Immigration)

Cour fédérale, juge Zinn—Toronto, 12 juillet; Ottawa, 21 novembre 2012.

Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Résidents permanents — Demandes de parrainage parental — Contrôle judiciaire visant la décision de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) de retourner au demandeur sa demande de parrainage de sa mère veuve parce qu’à compter du 5 novembre 2011, CIC avait temporairement cessé d’accepter les nouvelles demandes de parrainage de parents et de grands-parents — Le 4 novembre 2011, le demandeur a appris l’existence d’une instruction ministérielle imposant un moratoire sur les demandes de parrainage — Le demandeur a transmis par télécopieur à CIC sa demande de parrainage le 4 novembre 2011, mais la copie papier de la demande a été reçue par CIC après le 5 novembre — Le demandeur a fait valoir que CIC avait reçu la demande lorsque celle-ci a été transmise par télécopieur le 4 novembre 2011 — Le demandeur a prétendu que le défendeur a outrepassé la compétence que lui confère la loi en suspendant le parrainage de parents, en violation de l’art. 87.3(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et a ainsi empêché l’exercice des droits dont le demandeur disposait en vertu de l’art. 13 de la Loi — Il s’agissait de savoir si le défendeur a outrepassé la compétence que lui confère la loi en suspendant le parrainage de parents par la mise en œuvre de l’instruction ministérielle et si la demande du demandeur a été dûment reçue avant le 5 novembre 2011 — La demande du demandeur n’a pas été reçue avant le délai établi par le défendeur — Bien que la version anglaise de l’art. 87.3(1) de la Loi soit susceptible de deux sens, l’emploi du mot « aux » dans la version française indique clairement que l’art. 87.3(1) de la Loi s’applique à l’art. 13 en ce qui a trait aux demandes de parrainage — Par conséquent, la version anglaise doit être interprétée d’une manière qui concorde avec la version française; le défendeur a le droit de donner des instructions sur le traitement des demandes — L’art. 87.3(3)c) investit véritablement le défendeur d’un fort pouvoir, soit celui de préciser le nombre de demandes à traiter par an — Les actions du défendeur dans la présente cause semblent avoir été prises de bonne foi et avoir eu pour objet de régler la question de l’arriéré — Par conséquent, le défendeur était investi par la loi du pouvoir d’appliquer un moratoire temporaire au dépôt des demandes de parrainage — Demande rejetée.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) de retourner au demandeur sa demande de parrainage de sa mère parce qu’à compter du 5 novembre 2011, CIC avait temporairement cessé d’accepter les nouvelles demandes de parrainage de parents et de grands-parents. Le demandeur a soutenu qu’il a transmis sa demande par télécopieur à CIC le 4 novembre 2011 et qu’elle a été communiquée pendant la période où des demandes étaient encore acceptées. Il a prétendu que le défendeur a outrepassé la compétence que la loi lui conférait en suspendant le parrainage de parents, en violation du paragraphe 87.3(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et a ainsi empêché l’exercice des droits dont il disposait en vertu de l’article 13 de la Loi.

Le demandeur, d’origine turque, est un résident permanent du Canada. Il souhaitait parrainer la venue au Canada de sa mère, veuve. Le vendredi 4 novembre 2011, il a appris l’existence d’une instruction ministérielle imposant un moratoire sur les demandes de parrainage. Le même jour, il a effectué le paiement en ligne, il a transmis sa demande par télécopieur durant la soirée et il a acquitté les frais pour la livraison le lendemain de la copie papier de la demande, laquelle a été reçue après le 5 novembre. Le demandeur a soutenu que sa demande a été reçue au moment où il l’a transmise par télécopieur et que le défendeur a outrepassé la compétence que lui confère la loi. Le défendeur a soutenu que CIC avait clairement fait savoir que les demandes au titre de la catégorie du regroupement familial devaient être transmises par courrier et qu’une copie papier devait en être reçue avant le 5 novembre 2011.

Il s’agissait de savoir si l’instruction ministérielle était valide et si la demande de parrainage du demandeur a été reçue en bonne et due forme avant le 5 novembre 2011.

Jugement : la demande doit être rejetée.

La demande de parrainage du demandeur devait avoir été postée et reçue par CIC avant le 5 novembre 2011. La demande du demandeur n’a pas été reçue avant l’échéance fixée par le défendeur.

Le demandeur a fait valoir que le défendeur a outrepassé la compétence que lui confère la loi, et que les dispositions du paragraphe 87.3(1) de la Loi interdisaient clairement au défendeur de donner les instructions relatives au 5 novembre 2011, en prévoyant expressément dans sa version anglaise que l’article 87 et le pouvoir conféré au défendeur en vertu de cet article s’appliquent aux demandes « other than » (autres que) les demandes de parrainage visées au paragraphe 13(1) de la Loi. Cet argument a cependant été rejeté. La version anglaise du paragraphe 87.3(1) de la Loi est susceptible de deux sens. Toutefois, par l’emploi du mot « aux », la version française indique clairement que le paragraphe 87.3(1) s’applique à l’article 13 de la Loi. Par conséquent, la version anglaise doit être interprétée d’une manière qui concorde avec la version française et le défendeur a le droit de donner des instructions sur le traitement des demandes.

Le demandeur a également prétendu que l’article 13 de la Loi confère le droit de parrainer un membre de la famille. Bien que le paragraphe 14(2) de la Loi permette que des règlements portent sur le parrainage, aucun règlement n’a été pris à cet égard; c’est plutôt une instruction ministérielle qui a été donnée à cet effet. En l’absence de règlement, le défendeur a le pouvoir de donner des instructions en la matière. L’alinéa 87.3(3)c) de la Loi indique que le défendeur peut préciser le nombre de demandes à traiter par an. Il n’y a rien qui empêche de réduire ce nombre à zéro, dans la mesure où cela est le plus susceptible d’aider l’atteinte des objectifs fixés pour l’immigration par le gouvernement fédéral.

Bien que le demandeur ait soutenu qu’en fixant le nombre de demandes autorisées à zéro, le défendeur supprimait en fait le droit de parrainer, l’alinéa 87.3(3)c) investit véritablement le défendeur d’un fort pouvoir et telle était manifestement l’intention du législateur d’accorder un tel pouvoir discrétionnaire au défendeur. Par conséquent, le demandeur proposait une interprétation hautement technique de l’alinéa 87.3(3)c) qui rendrait son application incohérente et artificielle, et qui devait par conséquent être rejetée.

Le dossier faisait état d’un important arriéré de demandes au moment de l’annonce de l’instruction ministérielle. Ce problème requérait une intervention administrative, et les actions du défendeur semblaient avoir été prises de bonne foi et avoir pour objet de régler la question de l’arriéré. Par conséquent, le défendeur était investi par la loi du pouvoir d’appliquer un moratoire temporaire au dépôt des demandes de parrainage.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 13, 14(2), 87.3.

JURISPRUDENCE CITÉE

décisions appliquées :

El Yahyaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 283; de Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 436, [2006] 3 R.C.F. 655; Vaziri c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1159.

décision différenciée :

Ghaloghlyan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1252.

décision citée :

Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27.

DOCTRINE CITÉE

Citoyenneté et Immigration Canada. Bulletin opérationnel 350, « Quatrième série d’instructions ministérielles : moratoire temporaire sur les demandes de parrainage de parents et de grands-parents au titre de la catégorie du regroupement familial », 4 novembre 2011, en ligne : <http://www.cic.gc.ca/francais/ressources/guides/bulletins/2011/bo350.asp>.

DEMANDE de contrôle judiciaire visant la décision de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) de retourner au demandeur sa demande de parrainage de sa mère parce qu’à compter du 5 novembre 2011, CIC avait temporairement cessé d’accepter les nouvelles demandes de parrainage de parents et de grands-parents. Demande rejetée.

ONT COMPARU

Aadil Mangalji pour le demandeur.

Sharon Stewart Guthrie pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Long Mangalji, LLP, Toronto, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

[1]        Le juge Zinn : La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision de Citoyenneté et Immigration Canada de retourner au demandeur sa demande de parrainage de sa mère parce que, [traduction] « à compter du 5 novembre 2011, Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) a temporairement cessé d’accepter les nouvelles demandes de parrainage de parents et de grands‑parents ».

[2]        M. Esensoy soutient que sa demande, transmise par télécopieur à CIC le 4 novembre 2011, a été communiquée pendant la période où des demandes étaient encore acceptées. Il ajoute que le ministre a outrepassé la compétence que la loi lui conférait en suspendant le parrainage de parents, en violation du paragraphe 87.3(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, (la Loi), et a ainsi [traduction] « empêché l’exercice des droits dont il disposait » en vertu de l’article 13 de la Loi. Les articles 13 et 87.3, dans leur version du 4 novembre 2011, sont reproduits à l’annexe A jointe aux présents motifs.

[3]        M. Esensoy est un résident permanent du Canada et un citoyen de la Turquie. Après le décès de son père, il a discuté avec des membres de sa famille de la possibilité de parrainer la venue au Canada de sa mère âgée de 63 ans. Le vendredi 4 novembre 2011, le demandeur a appris l’existence d’une instruction ministérielle imposant un moratoire sur les demandes de parrainage, qui indiquait qu’« [à] compter du 5 novembre 2011, aucune nouvelle demande de parrainage de parents [R117(1)c)] ou de grands‑parents [R117(1)d)] au titre de la catégorie du regroupement familial ne sera acceptée aux fins de traitement ». Le texte intégral de l’instruction ministérielle est reproduit à l’annexe B jointe aux présents motifs.

[4]        Le 4 novembre 2011, le demandeur a effectué le paiement en ligne requis à 15 h 55; à 21 h 04, il a transmis sa demande par télécopieur et, à 21 h 38, il a acquitté les frais pour la livraison le lendemain de la copie papier de la demande. La copie papier a été reçue après le 5 novembre 2011.

[5]        Citant la décision Ghaloghlyan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1252 (Ghaloghlyan), au paragraphe 10, le demandeur soutient que sa demande a été reçue au moment où il l’a transmise par télécopieur. J’estime toutefois comme le défendeur que la décision Ghaloghlyan ne tranche pas la question de savoir si l’on peut transmettre une demande de parrainage par télécopieur. Dans la décision Ghaloghlyan, la question était : « que faut-il pour prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’un document a été envoyé ? » (voir le paragraphe 9). La Cour a ainsi répondu à cette question : « On peut prouver qu’une télécopie a été acheminée en produisant un relevé des messages envoyés par télécopie confirmant l’envoi » (au paragraphe 10). La question en l’espèce n’est toutefois pas de savoir si la demande a été envoyée, mais plutôt si elle pouvait l’être par la méthode utilisée et, le cas échéant, si elle a été reçue en bonne et due forme avant le 5 novembre 2011.

[6]        Pour ce qui est de savoir si CIC devait accepter la transmission par télécopieur, le ministre cite le passage suivant de la décision El Yahyaoui c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 283, (El Yahyaoui), au paragraphe 16 :

[…] il appartient à CIC, dans le respect des dispositions législatives et règlementaires, de décider des modalités administratives relatives au dépôt de documents, et il n’était pas déraisonnable de décider que des demandes de rétablissement de statut ne pouvaient pas être envoyées par télécopieur. Au surplus, le dépôt d’une demande de rétablissement par télécopieur n’aurait pas respecté les exigences de l’article 13 du Règlement puisqu’un document envoyé par télécopieur n’est pas un document original.

[7]        Le ministre soutient, et je suis du même avis, que CIC avait clairement fait savoir que les demandes au titre de la catégorie du regroupement familial devaient être transmises par courrier et qu’une copie papier devait en être reçue avant le 5 novembre 2011 :

Demandes reçues le 5 novembre 2011 ou à une date ultérieure

Les nouvelles demandes de parrainage CF4 de parents ou de grands‑parents reçues au Centre de traitement des demandes ‑ Mississauga (CTD‑M) le 5 novembre 2011 ou à une date ultérieure, seront retournées aux répondants avec une lettre (voir Appendice A) les informant du moratoire temporaire. Les demandes dont le cachet de la poste indique une date antérieure au 5 novembre 2011, mais qui sont reçues au CTD‑M le 5 novembre ou à une date ultérieure seront également retournées aux répondants. [traduction] Dans les deux cas, les frais de traitement acquittés seront remis. [Non souligné dans l’original.]

[8]        Je conclus que la demande de parrainage du demandeur devait avoir été postée et reçue par CIC avant le 5 novembre 2011. La demande du demandeur n’a pas été reçue avant l’échéance fixée par le ministre.

[9]        L’instruction ministérielle est‑elle valide?

[10]      Le demandeur soutient que le ministre a outrepassé la compétence que lui confère la loi, et que les dispositions du paragraphe 87.3(1) de la Loi interdisaient clairement au ministre de donner les instructions relatives au 5 novembre 2011, en prévoyant expressément dans sa version anglaise que l’article 87 et le pouvoir conféré au ministre en vertu de cet article s’appliquent aux demandes « other than » (autres que) les demandes de parrainage visées au paragraphe 13(1) de la Loi. Le demandeur affirme que le législateur a rédigé à dessein l’article 87.3 de manière à éviter toute atteinte au droit conféré par l’article 13 de la Loi.

[11]      Le ministre soutient pour sa part que, s’il est possible d’interpréter la version anglaise de l’article 87.3 de la manière proposée par le demandeur, il n’en est pas ainsi pour la version française de l’article.

[12]      La version anglaise du paragraphe 87.3(1) de la Loi est susceptible de deux sens. Toutefois, par l’emploi du mot « aux », la version française indique clairement que le paragraphe 87.3(1) de la Loi s’applique à l’article 13. Comme la version anglaise doit être interprétée d’une manière qui concorde avec la version française, le ministre a le droit de « donner des instructions sur le traitement des demandes, notamment des instructions […] précisant le nombre de demandes à traiter par an, notamment par groupe » [alinéa 87.3(3)c)].

[13]      Le demandeur affirme que, si le ministre a le pouvoir de limiter le nombre de demandes traitées, il n’a toutefois pas celui d’arrêter complètement la réception de demandes parce que l’article 13 de la Loi confère le droit de parrainer un membre de la famille. Le droit de parrainer accordé par le législateur est réduit à néant si on fixe à zéro, même temporairement, le nombre des demandes pouvant être faites.

[14]      Dans l’arrêt de Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 436, [2006] 3 R.C.F. 655, la Cour [fédérale] d’appel a déjà rejeté comme suit cet argument (aux paragraphes 42 et 43), soulevé au regard du pouvoir de prendre des règlements sous le régime de la Loi :

L’avocat a fait valoir que le paragraphe 13(1) de la LIPR accorde aux citoyens canadiens comme Mme de Guzman le droit « substantiel » de parrainer leurs enfants comme membres de la catégorie du regroupement familial, un droit que l’alinéa 117(9)d) leur retire. Selon cet argument, en l’absence d’un texte explicite en ce sens, l’article 14 ne devrait pas être interprété comme une disposition autorisant le gouverneur en conseil à prendre un règlement qui retire un droit accordé par la LIPR.

Je ne suis pas d’accord. D’abord, compte tenu du pouvoir législatif étendu délégué par l’article 14 et du fait que la LIPR est une loi cadre, on ne peut soutenir que les règlements ne peuvent concerner que des questions « non substantielles ». Par conséquent, je ne vois pas pourquoi il ne serait pas possible de prendre des règlements afin de créer des exceptions aux politiques de la Loi. En deuxième lieu, le droit de parrainer des membres de la catégorie du regroupement familial en vertu du paragraphe 13(1) est expressément accordé « sous réserve des règlements ». En troisième lieu, l’idée selon laquelle l’alinéa 117(9)d) prive Mme de Guzman d’un droit créé par la loi est affaiblie davantage par le fait que l’expression « catégorie du regroupement familial » n’est pas définie dans la LIPR et que le paragraphe 14(2) autorise le gouverneur en conseil à prendre des règlements qui « établissent et régissent » la catégorie du regroupement familial et le parrainage.

[15]      En l’espèce, le nombre de demandes de parrainage à traiter n’est restreint par aucun règlement; il l’est toutefois par une instruction ministérielle. Le paragraphe 14(2) de la Loi permet que des règlements portent sur le parrainage, mais aucun règlement n’a été pris à cet égard. J’estime tout comme le défendeur qu’en l’absence de règlement, le ministre a le pouvoir de donner des instructions en la matière. La Cour a statué en ce sens dans la décision Vaziri c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1159 (Vaziri), aux paragraphes 35 et 37 :

Le ministre est chargé de l’application de la LIPR. Si aucun règlement n’a été pris, il a le pouvoir de définir les orientations du gouvernement en ce qui concerne la gestion de l’afflux des immigrants au Canada, à condition que ses orientations et ses décisions soient prises de bonne foi et qu’elles soient compatibles avec l’objet et l’esprit de la LIPR. Le gouverneur en conseil conserve le pouvoir de définir par règlement la façon dont le ministre doit appliquer la LIPR et il peut supplanter les pouvoirs du ministre. Cependant, lorsque aucun pouvoir législatif ou réglementaire n’a été exercé de façon expresse, le ministre doit pouvoir disposer de toute la latitude nécessaire pour administrer le système.

[…]

En résumé, je suis convaincue qu’à défaut de règlement pris en application du paragraphe 14(2) de la LIPR, le ministre a agi légalement en établissant un pourcentage de 60 pour 40, en fixant le nombre maximal de visas qui peuvent être accordés par catégorie et en établissant la procédure à suivre pour accorder la priorité à certaines demandes parrainées présentées par des membres de la catégorie du regroupement familial.

[16]      L’alinéa 87.3(3)c) de la Loi prévoit que le ministre peut « précis[er] le nombre de demandes à traiter par an ». Je ne vois rien qui empêche de réduire ce nombre à zéro, dans la mesure où, « selon le ministre, [cela est le] plus susceptible d’aider l’atteinte des objectifs fixés pour l’immigration par le gouvernement fédéral ». Comme la Cour l’a déclaré dans la décision Vaziri, « lorsque aucun pouvoir législatif ou réglementaire n’a été exercé de façon expresse, le ministre doit disposer de toute la latitude nécessaire pour administrer le système ».

[17]      Le demandeur soutient qu’en fixant le nombre de demandes autorisées à zéro, le ministre supprime en fait le droit de parrainer, ce qui n’est pas la même chose au plan qualitatif que de préciser le nombre de demandes à traiter. Cet argument peut sembler attrayant à première vue, mais il importe de ne pas perdre de vue la perspective d’ensemble : l’alinéa 87.3(3)c) investit véritablement le ministre d’un fort pouvoir. Telle était manifestement l’intention du législateur parce que, si le ministre peut, comme le demandeur le concède, réduire à un seul le nombre possible des demandeurs, le droit de parrainer serait dans un tel cas supprimé (du moins temporairement) dans les faits — si ce n’est pour un seul heureux demandeur. Je ne suis tout simplement pas convaincu que le législateur ait voulu que la décision du ministre de réduire de un à zéro le nombre possible des demandeurs ait une telle conséquence. Il y a plutôt tout lieu de penser que le législateur comptait bien accorder un tel pouvoir discrétionnaire au ministre. Selon une règle d’interprétation fondamentale, il convient d’interpréter une disposition d’une manière qui s’harmonise avec l’esprit de la Loi (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, au paragraphe 21). Il s’ensuit qu’aux fins de son application, l’harmonie interne d’une disposition est également requise. Selon moi, le demandeur propose une interprétation hautement technique de l’alinéa 87.3(3)c) qui rendrait son application incohérente et artificielle, et qui doit par conséquent être rejetée.

[18]      Le dossier fait état d’un arriéré de 165 000 demandes au moment de l’annonce de l’instruction ministérielle. En janvier 2012, le délai de traitement prévu des demandes de résidence permanente liées à la Turquie pouvait être de 81 mois. On est en droit de penser que ce problème requérait une intervention administrative, et les actions du ministre semblent avoir été prises de bonne foi et avoir pour objet de régler la question de l’arriéré.

[19]      Par conséquent, le ministre était investi par la loi du pouvoir d’appliquer un moratoire temporaire au dépôt des demandes de parrainage.

[20]      Après l’instruction de la présente demande, on a porté à mon attention le fait que l’article 87.3 de la Loi avait été modifié avant l’instruction notamment par l’adjonction des dispositions suivantes qui précisent clairement que le ministre peut réduire à zéro le nombre des demandes à traiter :

L’article 87.3 de la [Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27] est modifié par adjonction, après le paragraphe (3), de ce qui suit :

(3.1) Les instructions peuvent, lorsqu’elles le prévoient, s’appliquer à l’égard des demandes pendantes faites avant la date où elles prennent effet.

(3.2) Il est entendu que les instructions données en vertu de l’alinéa (3)c) peuvent préciser que le nombre de demandes à traiter par an, notamment par groupe, est de zéro.

[21]      Les deux parties ont convenu que cette modification n’avait aucune incidence sur la présente demande de contrôle judiciaire, et la Cour ne l’a donc pas prise en compte pour parvenir à sa décision.

[22]      Les parties n’ont proposé la certification d’aucune question et la Cour conclut qu’aucune question n’a à être certifiée.

JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

ANNEXE A

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27

13. (1) Tout citoyen canadien et tout résident permanent peuvent, sous réserve des règlements, parrainer l’étranger de la catégorie « regroupement familial ».

Droit au parrainage : individus

(2) Tout groupe de citoyens canadiens ou de résidents permanents ou toute personne morale ou association de régime fédéral ou provincial — ou tout groupe de telles de ces personnes — , peut, sous réserve des règlements, parrainer un étranger qui a la qualité, au titre de la présente loi, de réfugié ou de personne en situation semblable.

Droit au parrainage : groupes

(3) L’engagement de parrainage lie le répondant.

Obligation

(4) L’agent est tenu de se conformer aux instructions du ministre sur la mise en œuvre des règlements visés à l’alinéa 14(2)e).

[…]

Instructions

87.3 (1) Le présent article s’applique aux demandes de visa et autres documents visées au paragraphe 11(1) — sauf à celle faite par la personne visée au paragraphe 99(2) —, aux demandes de parrainage faites par une personne visée au paragraphe 13(1), aux demandes de statut de résident permanent visées au paragraphe 21(1) ou de résident temporaire visées au paragraphe 22(1) faites par un étranger se trouvant au Canada, aux demandes de permis de travail ou d’études ainsi qu’aux demandes prévues au paragraphe 25(1) faites par un étranger se trouvant hors du Canada.

Application

(2) Le traitement des demandes se fait de la manière qui, selon le ministre, est la plus susceptible d’aider l’atteinte des objectifs fixés pour l’immigration par le gouvernement fédéral.

Atteinte des objectifs d’immigration

(3) Pour l’application du paragraphe (2), le ministre peut donner des instructions sur le traitement des demandes, notamment des instructions :

a) prévoyant les groupes de demandes à l’égard desquels s’appliquent les instructions;

b) prévoyant l’ordre de traitement des demandes, notamment par groupe;

c) précisant le nombre de demandes à traiter par an, notamment par groupe;

d) régissant la disposition des demandes dont celles faites de nouveau.

[…]

Instructions

(4) L’agent — ou la personne habilitée à exercer les pouvoirs du ministre prévus à l’article 25 — est tenu de se conformer aux instructions avant et pendant le traitement de la demande; s’il ne procède pas au traitement de la demande, il peut, conformément aux instructions du ministre, la retenir, la retourner ou en disposer.

Respect des instructions

(5) Le fait de retenir ou de retourner une demande ou d’en disposer ne constitue pas un refus de délivrer les visa ou autres documents, d’octroyer le statut ou de lever tout ou partie des critères et obligations applicables.

Précision

(6) Les instructions sont publiées dans la Gazette du Canada.

Publication

(7) Le présent article n’a pas pour effet de porter atteinte au pouvoir du ministre de déterminer de toute autre façon la manière la plus efficace d’assurer l’application de la loi.

Précision

ANNEXE B

INSTRUCTIONS MINISTÉRIELLES

Ce qui suit est une reproduction des instructions ministérielles en cause (http://www.cic.gc.ca/francais/ressources/guides/bulletins/2011/ob350.asp) :

Bulletin opérationnel 350 – le 4 novembre 2011

Quatrième série d’instructions ministérielles : moratoire temporaire sur les demandes de parrainage de parents et de grands‑parents au titre de la catégorie du regroupement familial

Sommaire

À compter du 5 novembre 2011, on imposera un moratoire temporaire visant les nouvelles demandes de parrainage de parents et de grands‑parents au titre de la catégorie du regroupement familial (CF4). La présente fournit des instructions concernant la procédure à suivre pour les demandes de parrainage CF4 reçues avant et après cette date.

Objet

Ce Bulletin opérationnel (BO) fournit des directives sur les demandes de parrainage CF4 et la quatrième série d’instructions ministérielles (IM‑4), qui entrera en vigueur le 5 novembre 2011.

Contexte

Le 18 juin 2008, des modifications ont été apportées à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés en vue d’accorder au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration le pouvoir de produire des instructions qui garantiraient le traitement des demandes de façon qui, de l’avis du ministre, favorisera le mieux l’atteinte des objectifs en matière d’immigration fixés par le gouvernement du Canada.

L’IM‑4 entrera en vigueur le 5 novembre 2011 et comprend des modifications aux programmes suivants :

* Demandes de parrainage au titre de la catégorie du regroupement familial : moratoire temporaire visant les nouvelles demandes de parrainage de parents et de grands‑parents;

* Programme des travailleurs qualifiés du volet federal : mise en œuvre d’un nouveau volet des travailleurs titulaires d’un doctorat.

(Pour obtenir de plus amples renseignements, veuillez consulter le BO 351)

Vous trouverez les instructions intégrales à la page suivante :

www.gazette.gc.ca/rp‑pr/p1/2011/2011‑11‑05/html/notice‑avis‑fra.html#d108

Instructions de traitement

À compter du 5 novembre 2011, aucune nouvelle demande de parrainage de parents [R117(1)c)] ou de grands‑parents [R117(1)d)] au titre de la catégorie du regroupement familial ne sera acceptée aux fins de traitement. La mise en œuvre de ce moratoire temporaire vise à permettre la réduction de l’arriéré de demandes au titre de la catégorie CF4 à compter de 2012, ce qui garantira une plus grande équité pour les demandeurs en attente d’une décision à l’égard de leur demande et favorisera l’atteinte des objectifs en matière d’immigration fixés par le gouvernement du Canada.

Le moratoire temporaire sera en place pour une période de 24 mois au maximum, période pendant laquelle on fera l’examen des options visant l’adoption d’une approche mieux adaptée et durable pour le programme.

Il ne touche pas les demandes de parrainage d’époux, de partenaires conjugaux, de conjoints de fait, de personnes à charge, d’enfants adoptés ou d’autres membres de la parenté admissibles.

Demandes reçues le 5 novembre 2011 ou à une date ultérieure

Les nouvelles demandes de parrainage CF4 de parents ou de grands‑parents reçues au Centre de traitement des demandes – Mississauga (CTD‑M) le 5 novembre 2011 ou à une date ultérieure, seront retournées aux répondants avec une lettre (voir Appendice A) les informant du moratoire temporaire. Les demandes dont le cachet de la poste indique une date antérieure au 5 novembre 2011, mais qui sont reçues au CTD‑M le 5 novembre ou à une date ultérieure seront également retournées aux répondants.

Demandes reçues avant le 5 novembre 2011

Les demandes de parrainage CF4 reçues au CTD‑M le 4 novembre 2011 avant l’heure de fermeture des bureaux (17 h HNE) doivent être traitées comme à l’habitude. Le moratoire temporaire ne touchera pas les demandes de parrainage CF4 présentées au CTD‑M dont la demande de résidence permanente n’a pas encore été soumise au bureau des visas.

Paiement des frais de traitement avant le 5 novembre 2011

Dans les cas où le demandeur acquitte les frais de traitement de sa demande, mais où le CTD‑M ne reçoit pas la demande de parrainage CF4 le 4 novembre 2011 avant l’heure de fermeture des bureaux (17 h HNE), le demandeur sera remboursé.

Demandes pour circonstances d’ordre humanitaire

Les demandes pour circonstances d’ordre humanitaire qui accompagnent les demandes de résidence permanente non désignées aux fins de traitement aux termes des instructions ministérielles ne seront pas traitées.

Les mises à jour au guide IP 2 sont à venir.

Pour obtenir de plus amples renseignements au sujet de ce BO, veuillez communiquer avec votre superviseur ou votre conseiller de programme régional (CPR). Les CPR peuvent ensuite communiquer par courriel avec la Direction générale de la gestion opérationnelle et de la coordination, à l’adresse suivante : OMC‑GOC‑Immigration@cic.gc.ca.

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