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[2001] 3 C.F. 449

A-174-99

2001 CAF 144

Joe Markevich (appelant)

c.

Sa Majesté La Reine du Chef du Canada (intimée)

Répertorié : Markevich c. Canada (C.A.)

Cour d’appel, juges Décary, Rothstein et Malone, J.C.A.—Vancouver, 26 février; Ottawa, 7 mai 2001.

Impôt sur le revenu — Pratique — Délais de prescription — La Loi de l’impôt sur le revenu n’est pas un code complet en matière de prescription applicable aux dettes fiscales — L’art. 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif est applicable à la perception de l’impôt sur le revenu impayé que le contribuable est censé devoir.

Pratique — Prescription — Perception de l’impôt sur le revenu impayé — La Loi de l’impôt sur le revenu n’est pas un code complet en matière de prescription applicable aux dettes fiscales — L’art. 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif est applicable à la perception de l’impôt sur le revenu impayé que le contribuable est censé devoir — En l’espèce, la disposition pertinente en matière de prescription est l’art. 3(5) de la Limitation Act de la C.-B., qui couvre l’exercice de toute voie de droit extrajudiciaire et qui s’applique à la fois aux poursuites judiciaires et aux mesures de recouvrement prévues dans la LIR.

Couronne — Pratique — Perception de l’impôt sur le revenu impayé — La Loi de l’impôt sur le revenu n’est pas un code complet en matière de prescription applicable aux dettes fiscales — L’art. 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif est applicable à la perception de l’impôt sur le revenu impayé que le contribuable est censé devoir.

Au mois de juin 1986, l’appelant, un résident de la Colombie-Britannique, avait une obligation totale concernant l’impôt sur le revenu, l’intérêt et les pénalités, aux paliers fédéral et provincial, qui s’élevait à 234 136 04 $. Rien n’a été payé de cet impôt en souffrance après 1986. En 1987, la dette a été radiée par Revenu Canada au moyen d’une « opération comptable interne ». Cela n’annulait cependant pas la dette fiscale et ne libérait pas l’appelant. Néanmoins, de 1987 à 1998, Revenu Canada n’a pas essayé de percevoir la dette radiée. Ce n’est qu’en janvier 1998 que l’appelant a été informé que le ministre avait l’intention de prendre des mesures de recouvrement pour le plein montant de sa dette.

L’appelant est d’avis qu’il y a prescription pour ce qui est du recouvrement de l’impôt qu’il était censé devoir en juin 1986, par l’application combinée de l’article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif et du paragraphe 3(5) de la Limitation Act de la Colombie-Britannique. L’appelant a déposé une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale afin de faire déclarer qu’il n’avait pas d’obligation envers le ministre concernant son année d’imposition 1990 et les années antérieures, et d’empêcher le ministre de prendre d’autres mesures pour recouvrer les dettes fiscales de 1990 et des années antérieures.

Le juge des requêtes a statué qu’aucun délai de prescription ne s’appliquait au recouvrement de l’impôt payable en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu. Il s’agit d’un appel de cette décision.

Arrêt : l’appel est accueilli.

La Loi de l’impôt sur le revenu n’est pas un code complet relativement aux dispositions en matière de prescription applicables aux dettes fiscales, et les mesures légales de recouvrement prévues dans la Loi de l’impôt sur le revenu sont des « poursuites » au sens de l’article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif (LRCECA). Il s’ensuit que les dispositions en matière de prescription prévues à l’article 32 sont applicables aux poursuites judiciaires et aux méthodes légales de recouvrement. En l’espèce, la disposition pertinente en matière de prescription est le paragraphe 3(5) de la Limitation Act de la Colombie-Britannique. Comme celle-ci couvre l’exercice de toute voie de droit extrajudiciaire, elle s’applique à la fois aux poursuites judiciaires et aux mesures de recouvrement prévues dans la Loi de l’impôt sur le revenu. Par conséquent, le ministre ne pouvait plus exiger le remboursement de la dette fiscale de l’appelant remontant à 1986, parce que celle-ci était prescrite.

Dans une loi où des délais de prescription sont expressément établis dans certaines situations et non dans d’autres, la conclusion exacte qu’il faut en tirer, c’est que le législateur a voulu que la question des délais de prescription soit régie par les lois d’application générale, comme l’article 32 de la LRCECA.

L’historique législatif de l’article 32 de la LRCECA et la jurisprudence pertinente donnent à penser que le terme « poursuites » utilisé à l’article 32 s’applique aux méthodes de recouvrement extrajudiciaires ou légales prévues dans la Loi de l’impôt sur le revenu. En outre, cette interprétation est conforme au libellé, ainsi qu’à l’objet et au but de l’article 32.

En ce qui concerne l’obligation de l’appelant concernant l’impôt provincial sur le revenu découlant de la Income Tax Act de la Colombie-Britannique, elle est assujettie au paragraphe 3(5) de la Limitation Act de la Colombie-Britannique (qui prévoit un délai de prescription de six ans). Malgré qu’il se peut que la dette provinciale soit acquise par la Couronne fédérale et que le ministre fédéral puisse prendre des mesures pour recouvrer cette dette fiscale en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu fédérale, en prenant ces mesures de recouvrement, le ministre fédéral est assujetti à tous les moyens de défense que l’appelant peut faire valoir en vertu de la Income Tax Act et de la Limitation Act de la Colombie-Britannique.

L’appel est donc accueilli et une déclaration portant que le ministre du Revenu national ne peut intenter une action en justice ou prendre des mesures légales de recouvrement pour percevoir la dette fiscale de l’appelant qui est prescrite, compte tenu des présents motifs.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Income Tax Act, R.S.B.C. 1996, ch. 215.

Interpretation Act, R.S.B.C. 1996, ch. 238, art. 14.

Limitation Act, R.S.B.C. 1996, ch. 266, art. 1 « action », 3(5), 9(1).

Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, art. 152(4) (mod. par L.C. 1998, ch. 19, art. 181), 159(3) (mod., idem, art. 185), 222, 223(7)b) (mod., idem, art. 224), 224 (mod. par L.C. 1994, ch. 21, art. 101), 225(1),(5), 225.1 (mod. par L.C. 1994, ch. 7, ann. VIII, art. 131; 1998, ch. 19, art. 225), 227(10) (mod. par L.C. 1998, ch. 19, art. 226).

Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 17.

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.1 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5), 39 (mod., idem, art. 10), 50(1)b).

Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), ch. 10, art. 38.

Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. (1985), ch. C-50 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 21), art. 32 (mod., idem, art. 31).

Loi sur la taxe d’accise, S.R.C. 1970, ch. E-13.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

M. (K.) c. M. (H.), [1992] 3 R.C.S. 6; (1992), 96 D.L.R. (4th) 289; 14 C.C.L.T. (2d) 1; 142 N.R. 321; 57 O.A.C. 321; Slattery (Syndic de) c. Slattery, [1993] 3 R.C.S. 430; (1993), 139 N.B.R. (2d) 246; 106 D.L.R. (4th) 212; 21 C.B.R. (3d) 161; [1993] 2 C.T.C. 243; 93 DTC 5443; 158 N.R. 341; Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29; (1983), 144 D.L.R. (3d) 193; [1983] 2 C.N.L.R. 89; [1983] CTC 20; 83 DTC 5041; 46 N.R. 41; E.H. Price Limited c. La Reine, [1983] 2 C.F. 841 (1983), 147 D.L.R. (3d) 657; [1983] 6 W.W.R. 167; [1983] C.T.C. 289; 83 DTC 5288; 47 N.R. 312 (C.A.); Berardinelli c. Ontario Housing Corpn. et autre, [1979] 1 R.C.S. 275; (1978), 90 D.L.R. (3d) 481; 8 C.P.C. 100; 23 N.R. 298; Twinriver Timber Ltd. v. R. in Right of British Columbia (1980), 15 B.C.L.R. 38 (C.S.).

DISTINCTION FAITE D’AVEC :

Mark c. Canada (Ministre des Pêches et Océans) (1991), 50 F.T.R. 157 (C.F. 1re inst.).

DÉCISIONS CITÉES :

Backman c. Canada, [2001] 1 R.C.S. 367; (2001), 196 D.L.R. (4th) 193; 2001 DTC 5149; Continental Bank Leasing Corp. c. Canada, [1998] 2 R.C.S. 298; (1998), 163 D.L.R. (4th) 385; [1998] 4 C.T.C. 119; 98 DTC 6505; 229 N.R. 58; Domco Industries Ltd. c. Mannington Mills Inc. (1990), 29 C.P.R. (3d) 481; 107 N.R. 198 (C.A.F.); Willion v. Berkley (1561), 1 Plowd. 223; 75 E.R. 339.

DOCTRINE

Mew, Graeme. The Law of Limitations, Toronto : Butterworths, 1991.

Sgayias, David et al. The Annotated 1995 Crown Liability and Proceedings Act, Scarborough, Ont. : Carswell, 1994.

Shorter Oxford English Dictionary, Vol. II, 3rd ed. Oxford : Clarendon Press, 1990 « proceeding ».

Sullivan, Ruth. Driedger on the Construction of Statutes, 3rd ed. Toronto : Butterworths, 1994.

Williams, Jeremy S. Limitation of Actions in Canada, 2nd ed. Toronto : Butterworths, 1980.

APPEL d’une décision de la Section de première instance (Markevich c. Canada, [1999] 3 C.F. 28; (1999), 172 D.L.R. (4th) 164; 163 F.T.R. 209; 99 DTC 5136) qui a rejeté la demande de contrôle judiciaire de l’appelant. Appel accueilli.

ONT COMPARU :

Ian Worland pour l’appelant.

Judith A. Bowers, c.r., et Carl C. Januszczak pour l’intimée.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Douglas Symes & Brissenden, Vancouver, pour l’appelant.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Rothstein, J.C.A. :

INTRODUCTION

[1]        Il s’agit d’un appel d’une décision rendue le 18 février 1999 par la Section de première instance (Markevich c. Canada, [1999] 3 C.F. 28 par laquelle la demande de contrôle judiciaire de l’appelant a été refusée. La question consiste à savoir si les lois provinciales relatives à la prescription peuvent empêcher la Couronne de recouvrer une dette fiscale visée par la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1.

[2]        Le juge des requêtes a statué qu’aucun délai de prescription ne s’appliquait à la perception d’un impôt payable en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu.

LES FAITS

[3]        Pendant toute la période pertinente quant au présent appel, l’appelant était un résident de la Colombie-Britannique. Au 17 juin 1986, l’obligation totale de l’appelant concernant l’impôt sur le revenu, l’intérêt et les pénalités, aux paliers fédéral et provincial, s’élevait à 234 136 04 $, par suite des cotisations établies pour les années d’imposition 1980 à 1985. (La somme de 234 136 04 $ figure dans un avis de cotisation en date du 17 juin 1986, et les deux parties se sont référées à cette somme. Le juge des requêtes a établi la dette fiscale de l’appelant à 267 437 61 $. Ce chiffre semble être l’impôt dû au 9 juin 1997, exclusion faite des intérêts courus.) Rien n’a été payé de cet impôt en souffrance après 1986. En 1987, la dette a été radiée par Revenu Canada au moyen d’une « opération comptable interne ». Cette radiation interne n’annulait pas la dette fiscale et ne libérait pas l’appelant. Néanmoins, de 1987 à 1998, Revenu Canada n’a pas essayé de percevoir la dette radiée. Dans les années postérieures à 1986, les relevés de compte envoyés par Revenu Canada à l’appelant n’indiquaient aucune dette représentant le solde de 1986.

[4]        En août 1996, un agent de recouvrement de Revenu Canada à qui le compte d’impôt de l’appelant avait été confié a rétabli la dette fiscale qui avait été radiée. Le 9 janvier 1998, l’appelant a été informé que le ministre avait l’intention de prendre des mesures de recouvrement pour le plein montant de sa dette.

[5]        Le 15 janvier 1998, Revenu Canada a envoyé à l’appelant une lettre à laquelle était joint un relevé de compte indiquant un solde, au 13 janvier 1998, de 770 583 42 $, représentant le montant dû au 17 juin 1986, les cotisations et nouvelles cotisations établies pour les années subséquentes, ainsi que les intérêts courus, moins les versements effectués par l’appelant. Il n’est pas contesté que les versements faits ne se rapportaient ni au montant dû au 17 juin 1986 ni aux intérêts courus sur cette somme.

[6]        L’appelant est d’avis qu’il y a prescription pour ce qui est du recouvrement de l’impôt qu’il était censé devoir au 17 juin 1986 (et en fait jusqu’en 1990). Le 17 février 1998, il a déposé une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale concernant la lettre du 15 janvier 1998 (les parties conviennent que cette lettre constitue une décision pour les fins de l’article 18.1 [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5] de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7), afin de faire déclarer qu’il n’avait pas d’obligation envers le ministre concernant son année d’imposition 1990 et les années antérieures, et d’empêcher le ministre de prendre d’autres mesures pour recouvrer les dettes fiscales de 1990 et des années antérieures. C’est ce recours en contrôle judiciaire qui a été rejeté par le juge de la Section de première instance. La présente Cour est maintenant saisie d’un appel de ce rejet du recours en contrôle judiciaire.

JUSTIFICATIONS DES LOIS SUR LA PRESCRIPTION

[7]        Des lois sur la prescription ont été adoptées par le parlement fédéral et toutes les législatures provinciales. Elles sont omniprésentes et de très large portée dans tous les pays de common law. Dans l’arrêt ;M. (K.) c. M. (H.), [1992] 3 R.C.S. 6, à la page 29, le juge La Forest examine les justifications sous-jacentes de ces lois sur la prescription. Ce sont : la certitude, la preuve et la diligence. Pour ce qui est de la certitude, après un certain temps, la nouvelle situation est reconnue comme étant le statu quo. Selon J. S. Williams, Limitation of Actions in Canada, 2e éd. (Toronto : Butterworths, 1980), à la page 4, après une certaine période, autoriser le dépôt d’une réclamation créerait un nouveau préjudice plutôt que de réparer l’ancien. La deuxième justification concerne le problème de la preuve périmée. Les témoins peuvent oublier ou même mourir. Des documents peuvent être perdus ou détruits. Finalement, les lois sur la prescription incitent les demandeurs à agir avec diligence et ne pas tarder à faire valoir leurs droits.

[8]        Il pourrait être utile de mentionner ici quelques autres aspects du droit de la prescription. Tout d’abord, la prescription est une création de la loi. À moins d’être expressément prévue dans une loi, elle ne s’applique pas. (Toutefois, un retard indu (laches), c’est-à-dire un retard déraisonnable et préjudiciable à la partie défenderesse peut empêcher une partie demanderesse d’avoir gain de cause dans une réclamation en equity.) Deuxièmement, certaines lois sur la prescription renferment une disposition qui impose par défaut un délai de prescription pour les cas qui ne sont pas autrement prévus. Troisièmement, bien qu’historiquement la Couronne ne soit pas liée par les lois sur la prescription, les législatures modernes ont adopté des lois qui lient la Couronne. Quatrièmement, sous réserve des dispositions précises des lois pertinentes en matière de prescription, la reconnaissance d’une dette ou le paiement partiel ramène la computation du délai à zéro. Par conséquent, ce ne sont que les réclamations véritablement inactives qui sont susceptibles de tomber sous le coup des lois sur la prescription. Cinquièmement, les lois en matière de prescription s’appliquent aux jugements. Si le délai de prescription applicable au jugement expire, il est impossible de prendre des mesures de recouvrement pour exécuter un jugement. Les mêmes raisons invoquées pour établir un délai de prescription touchant le dépôt des actions s’appliquent aux mesures de recouvrement en exécution des jugements, c’est-à-dire la certitude, soit l’impossibilité de rétablir d’anciens jugements après qu’un nouveau statu quo a été reconnu, des éléments de preuve périmés, par exemple, une ancienne preuve de montants payés ou non et de solde dû, et enfin la diligence, c’est-à-dire l’obligation de prendre des mesures de recouvrement en exécution du jugement le plus rapidement possible.

[9]        Dans mon analyse des questions soulevées dans le présent appel, je garderai ces considérations à l’esprit.

RÉSUMÉ DE LA THÈSE DE L’APPELANT

[10]      L’appelant s’appuie sur l’article 222 de la Loi de l’impôt sur le revenu et sur l’article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. (1985), ch. C-50 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 21, 31] et la Limitation Act, R.S.B.C. 1996, ch. 266. Les dispositions pertinentes sont rédigées dans les termes suivants :

[11]      L’article 222 de la Loi de l’impôt sur le revenu prévoit ce qui suit :

222. Tous les impôts, intérêts, pénalités, frais et autres montants payables en vertu de la présente loi sont des dettes envers Sa Majesté et recouvrables comme telles devant la Cour fédérale ou devant tout autre tribunal compétent, ou de toute autre manière prévue par la présente loi. [Soulignement ajouté.]

Le paragraphe 225.1(1) [mod. par L.C. 1998, ch. 19, art. 225] dispose en partie ce qui suit :

225.1 (1) Dans le cas où un contribuable est redevable du montant d’une cotisation établie en vertu de la présente loi, exception faite […], le ministre, pour recouvrer le montant impayé, ne peut, avant le lendemain du 90e jour suivant la date de mise à la poste de l’avis de cotisation.

L’article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif est rédigé dans les termes suivants :

32. Sauf disposition contraire de la présente loi ou de toute autre loi fédérale, les règles de droit en matière de prescription qui, dans une province, régissent les rapports entre particuliers s’appliquent lors des poursuites auxquelles l’État est partie pour tout fait générateur survenu dans la province. Lorsque ce dernier survient ailleurs que dans une province, la procédure se prescrit par six ans. [Soulignement ajouté.]

L’article premier de la Limitation Act de la Colombie-Britannique définit action dans les termes suivants :

[traduction]

1 […]

« action » s’entend également de toute procédure judiciaire et de l’exercice de toute voie de droit extrajudiciaire;

Le paragraphe 3(5) de la Limitation Act prévoit ce qui suit :

[traduction]

3 (1) […]

(5) Toute autre action qui n’est pas expressément prévue dans la présente loi ou une autre loi, se prescrit par six ans à compter de la date où prend naissance le droit d’agir en justice.

[12]      Aux termes de l’article 222, les comptes payables en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu sont des dettes envers Sa Majesté. L’appelant prétend qu’en vertu du paragraphe 225.1(1), le droit du ministre de percevoir les cotisations établies en date du 17 juin 1986 a pris naissance le 16 septembre 1986, soit le lendemain du 90e jour suivant la mise à la poste de l’avis de cotisation en date du 17 juin 1986. Par l’application combinée de l’article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif et du paragraphe 3(5) de la Limitation Act de la Colombie-Britannique, l’appelant soutient qu’après le 16 septembre 1992, le ministre ne pouvait plus prendre de mesures pour recouvrer sa dette fiscale, parce que celle-ci était prescrite.

DÉCISION DU JUGE DES REQUÊTES

[13]      Le juge des requêtes a statué que l’article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif ne s’appliquait pas aux mesures de recouvrement prévues dans la Loi de l’impôt sur le revenu, c’est-à-dire aux procédures extrajudiciaires, par exemple une sommation de payer ou une saisie et une vente de biens meubles : tout d’abord, parce que les poursuites visées à l’article 32 n’incluent pas les méthodes légales de recouvrement; deuxièmement, même si les poursuites visées à l’article 32 incluaient ces méthodes légales de recouvrement, la Loi de l’impôt sur le revenu est un code complet qui ne prévoit aucun délai de prescription relativement aux mesures de recouvrement.

LA CONCLUSION DE LA PRÉSENTE COUR

[14]      En toute déférence, je ne partage pas l’avis du juge des requêtes sur ces deux points. À mon avis, la Loi de l’impôt sur le revenu n’est pas un code complet relativement aux dispositions en matière de prescription applicables aux dettes fiscales, et les mesures légales de recouvrement prévues dans la Loi de l’impôt sur le revenu sont des « poursuites » au sens de l’article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif. Il s’ensuit que les dispositions en matière de prescription prévues à l’article 32 sont applicables aux poursuites judiciaires et aux méthodes légales de recouvrement. En l’espèce, la disposition pertinente en matière de prescription est le paragraphe 3(5) de la Limitation Act de la Colombie-Britannique. Comme celle-ci couvre l’exercice de toute voie de droit extrajudiciaire, elle s’applique à la fois aux poursuites judiciaires et aux mesures de recouvrement prévues dans la Loi de l’impôt sur le revenu. Par conséquent, en 1998, le ministre ne pouvait plus exiger le remboursement de la dette fiscale de l’appelant remontant à 1986, parce que celle-ci était prescrite.

LE MOYEN FONDÉ SUR L’EXISTENCE D’UN CODE COMPLET

La méthode de l’interprétation littérale

[15]      Les dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu relatives au recouvrement n’excluent pas expressément les délais de prescription. Le juge des requêtes a conclu par inférence à l’existence d’un code complet. Au paragraphe 42, il déclare ceci :

Étant donné la nature complexe et singulière du régime légal d’établissement et de perception de l’impôt sur le revenu, on peut conclure sans peine des dispositions susmentionnées que le législateur a pris des « dispositions contraires » de prescription légale, et que l’article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif ne s’applique pas au recouvrement de la dette fiscale visé à l’article 222 de la Loi de l’impôt sur le revenu.

Je suis incapable de tirer la même inférence que le juge des requêtes.

[16]      Le législateur a traité des délais de prescription dans la Loi de l’impôt sur le revenu de trois façons. Premièrement, il a explicitement prévu des délais de prescription. Deuxièmement, il a exclu l’application des délais de prescription en utilisant des expressions comme « en tout temps »*. Troisièmement, il est resté silencieux sur la question, comme c’est le cas des dispositions de la Loi relatives au recouvrement. Dans une loi où des délais de prescription sont expressément établis dans certaines situations et non dans d’autres, je crois qu’il s’agit d’une erreur de principe que d’inférer du silence du législateur qu’il n’avait pas l’intention d’établir de délai de prescription. La conclusion exacte qu’il faut en tirer, c’est que le législateur a voulu que la question des délais de prescription soit régie par les lois d’application générale.

[17]      L’article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif est une règle de droit d’application générale. Elle s’applique sauf dans les cas où elle entre en conflit avec une autre loi fédérale. L’adoption de l’article 32 indique que le législateur savait que bon nombre de ses lois ne prévoyaient pas en elles-mêmes de délai de prescription. Il semble donc que le législateur ait eu l’intention que l’article 32 s’appliquât par défaut quand les lois fédérales étaient silencieuses sur la question de la prescription.

[18]      Aucune raison évidente ne peut justifier que l’article 32 ne s’applique pas à la Loi de l’impôt sur le revenu dans les situations où cette Loi ne prévoit pas de délai de prescription. Je conclus donc que la Loi de l’impôt sur le revenu n’est pas un code complet pour ce qui concerne les délais de prescription et que l’article 32 s’applique lorsque la Loi de l’impôt sur le revenu ne traite pas de la question.

[19]      L’article 32 s’applique dans la mesure où les méthodes de recouvrement prévues par la Loi de l’impôt sur le revenu sont « des poursuites auxquelles l’État est partie pour tout fait générateur » selon le sens donné à ces mots à l’article 32. Je reviendrai plus tard sur cette question.

Les difficultés posées par la règle d’interprétation par inférence

[20]      On a laissé entendre que l’on pouvait inférer de l’article 225.1 que le législateur n’avait pas eu l’intention qu’un délai de prescription s’applique à la perception de l’impôt. Je ne partage pas cet avis. L’article 225.1 crée un sursis légal en attendant le règlement de l’opposition ou de l’appel pendant lequel le ministre ne peut prendre aucune mesure de recouvrement. Comme dans le cas d’autres lois qui prévoient un sursis à l’exécution d’un jugement en attendant le règlement de l’appel, le législateur avait l’intention de protéger le particulier des effets défavorables du jugement jusqu’à ce qu’il soit décidé définitivement que la position du gouvernement est bien fondée.

[21]      Par ailleurs, les délais de prescription sont justifiés par les critères de la certitude, de la non-péremption de la preuve et de la diligence. À mon avis, ces deux questions sont indépendantes. L’adoption d’un sursis légal qui précise à quel moment les mesures de recouvrement peuvent être prises ne peut logiquement appuyer l’inférence que le législateur avait l’intention de n’appliquer aucun délai de prescription à ces mesures de recouvrement.

[22]      Au contraire, quand le législateur a eu l’intention de ne fixer aucun délai de prescription pour une mesure prévue par la Loi de l’impôt sur le revenu, il a expressément utilisé l’expression « en tout temps ». Par exemple, dans les situations prévues aux paragraphes 152(4) [mod. par L.C. 1998, ch. 19, art. 181], 159(3) [mod., idem, art. 185] et 227(10) [mod., idem, art. 226], le ministre a le pouvoir d’établir une cotisation « en tout temps ». Par contraste, les dispositions relatives au recouvrement n’incluent pas l’expression « en tout temps » non plus qu’une autre formule au même effet. Le législateur a réfléchi à la question de la prescription relativement à la Loi de l’impôt sur le revenu et quand il souhaite qu’aucun délai de prescription ne s’applique, il le dit clairement. Compte tenu de l’article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, la non-utilisation par le législateur d’une expression comme « en tout temps » pour ce qui concerne les dispositions de recouvrement dans la Loi de l’impôt sur le revenu indique qu’il n’avait pas l’intention que des mesures de recouvrement puissent être prises indéfiniment, mais plutôt qu’elles soient assujetties à l’article 32.

[23]      Pour ce qui a trait au dépôt d’une action en justice, à tout le moins, en l’absence de mots à l’effet contraire, il y a présomption que les lois en matière de prescription des actions s’appliqueront.

[24]      Le juge des requêtes a conclu que la Loi de l’impôt sur le revenu est un code complet non assujetti aux principes, règles ou moyens de recours d’application générale.

[25]      Je conviens avec le juge des requêtes qu’une loi fiscale peut exclure l’application de principes, de règles et de moyens de recours d’application générale. Toutefois, pour que tel soit le cas, je pense qu’il doit y avoir des dispositions expresses à cet effet ou que cette conclusion s’impose. Par exemple, la Loi de l’impôt sur le revenu prévoit expressément la façon dont un contribuable doit contester une cotisation et précise les formalités et les délais qui s’appliquent à ce genre de contestation.

[26]      Par ailleurs, les cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu entraînent souvent l’application de dispositions d’autres lois ou de principes de common law. Par exemple, la Cour suprême du Canada s’est exprimée longuement sur les principes du droit relatif aux sociétés en nom collectif et leur application aux cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu (Voir Backman c. Canada, [2001] 1 R.C.S. 367 et Continental Bank Leasing Corp. c. Canada, [1998] 2 R.C.S. 298.) Et si le ministre intente une action en justice pour recouvrer une dette fiscale, il est certainement assujetti aux règles applicables de la Cour. En vertu de l’alinéa 223(7)b) [mod. par L.C. 1998, ch. 19, art. 224] la Loi de l’impôt sur le revenu prévoit la procédure à suivre pour conserver l’effet de la production, de l’enregistrement ou autre inscription de l’extrait relatif à une dette fiscale dans un bureau d’enregistrement provincial, incorporant ainsi par renvoi les lois provinciales traitant des délais applicables à ces productions, enregistrements ou inscriptions. Je ne peux donc partager l’avis du juge des requêtes selon lequel, en l’absence d’une disposition expresse ou d’une conclusion qui s’impose, les principes, les règles et les moyens de recours d’application générale, et en particulier l’article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, ne s’appliquent pas aux méthodes de recouvrement prévues dans la Loi de l’impôt sur le revenu.

[27]      Le juge des requêtes a fait observer que l’appelant avait eu certaines difficultés à prouver qu’il subirait un préjudice grave si aucun délai de prescription ne s’appliquait. Je ne crois pas que la preuve du préjudice subi par le contribuable soit une considération pertinente pour déterminer si un délai de prescription s’applique. Les dispositions en matière de prescription s’appliquent aux faits ou elles ne s’y appliquent pas. Un préjudice n’est pas une considération pertinente à moins que la loi sur la prescription le prévoit.

[28]      Finalement, le juge des requêtes a également signalé que l’adoption des délais de prescription d’application générale causerait des difficultés quant au recouvrement équitable et efficace des arriérés d’impôt. Le dossier ne renferme aucune preuve à cet égard. Les difficultés ayant trait à l’équité et à l’efficacité du recouvrement des arriérés d’impôt découlant de l’intégration des dispositions en matière de prescription aux dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu relatives au recouvrement ne sont pas pertinentes. La question est de savoir si la Couronne peut prendre indéfiniment des mesures pour percevoir une dette fiscale. Il s’agit là d’une question d’interprétation des lois. Il est et il a toujours été loisible au législateur de prévoir expressément qu’aucun délai de prescription ne s’applique aux dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu relatives au recouvrement, ou alors de fixer un délai de prescription précis à cet effet, s’il estime que l’équité et l’efficacité l’exigent.

[29]      Le ministre a fait valoir que si la perception des dettes fiscales était assujettie à des délais de prescription, différents délais pourraient s’appliquer selon la province ainsi qu’à différents éléments de la cotisation selon que ceux-ci feraient l’objet d’un appel. Je prends acte des préoccupations du ministre. Il se peut même que, dans certaines provinces où la loi sur la prescription ne prévoit pas de délai de prescription pour les dettes fiscales, soit expressément, soit par une disposition d’application par défaut comme le paragraphe 3(5) de la Limitation Act de la Colombie-Britannique, aucun délai de prescription ne soit applicable. Quoi qu’il en soit, si cette situation engendre des difficultés administratives, je ne peux que réitérer qu’il est loisible au législateur de modifier la Loi de l’impôt sur le revenu pour parvenir au résultat qu’il juge approprié.

[30]      Pour ces motifs, je conclus que la Loi de l’impôt sur le revenu ne constitue pas un code en soi relativement aux délais de prescription. Par conséquent, l’article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif s’applique si les méthodes utilisées pour percevoir des dettes fiscales sont des « poursuites auxquelles l’État est partie pour tout fait générateur ».

LES MÉTHODES LÉGALES DE RECOUVREMENT SONT-ELLES DES « POURSUITES AUXQUELLES L’ÉTAT EST PARTIE POUR TOUT FAIT GÉNÉRATEUR »?

[31]      Une fois exclue la théorie du code complet, les parties et le juge des requêtes ont tous convenu qu’une action en justice intentée par le ministre pour recouvrer une dette fiscale est assujettie au délai de prescription prévu par l’article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif. La seule question qu’il reste à régler est donc de savoir si le terme « poursuites » utilisé à l’article 32 s’applique aux méthodes de recouvrement extrajudiciaires ou légales prévues dans la Loi de l’impôt sur le revenu. Si tel est le cas, elles seront assujetties aux mêmes dispositions en matière de prescription que l’action en recouvrement.

[32]      J’analyserai cette question en examinant les sept points suivants :

1. le libellé de l’article 32;

2. l’interprétation qui a été donnée dans le passé au terme « proceedings »;

3. l’historique législatif de l’article 32;

4. l’incongruité de ne pas appliquer l’article 32 aux méthodes légales de perception;

5. le contexte de la partie II de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif;

6. la version française de l’article 32;

7. l’utilisation d’un délai de prescription comme moyen de défense dans un litige.

Le libellé de l’article 32

[33]      L’expression en cause à l’article 32 est la suivante : « proceedings by or against the Crown in respect of any cause of action ». Je n’ai aucune difficulté à rejeter l’argument invoqué en premier lieu par l’appelant selon lequel le terme « proceedings » (« poursuites ») doit être interprété sans égard aux mots « in respect of any cause of action ». Le terme « proceedings » doit être lu de concert avec les mots qui le qualifient.

[34]      Néanmoins, je ne suis pas convaincu que l’expression « proceedings … in respect of any cause of action » ne fasse nécessairement référence qu’à une action en justice.

[35]      Le terme « proceedings » a une très large portée. Bien que, dans un contexte juridique, ce terme fasse habituellement référence à une action en justice ou à des mesures prises par suite d’une ordonnance judiciaire, il peut également inclure [traduction] « toute action ou procédure légale » (Shorter Oxford Dictionary, vol. II, 3e éd. Oxford : Clarendon Press, 1990). Une sommation de payer en vertu de l’article 224 [mod. par L.C. 1994, ch. 21, art. 101] est analogue à une ordonnance de saisie-arrêt rendue par une cour. L’omission de se conformer à une sommation de payer peut entraîner l’établissement d’une cotisation en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu. La saisie et la vente de biens meubles prévue au paragraphe 225(1) est une disposition similaire à un bref d’exécution délivré par un tribunal. Le législateur a donné au ministre le pouvoir de prendre des mesures de recouvrement exécutoires sans qu’il lui soit nécessaire d’obtenir d’abord un jugement de la Cour. Ces procédures sont des voies de droit.

[36]      Les mots « in respect of » sont de la plus large portée pour relier deux sujets connexes. Dans l’arrêt Slattery (Syndic de) c. Slattery, [1993] 3 R.C.S. 430, le juge Iacobucci, s’exprimant au nom des juges majoritaires, fait référence aux mots « in respect of » (« quant à ») examinés par la Cour suprême dans l’arrêt Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29. Il déclare ceci à la page 445 :

Les mots « quant à » (« in respect of ») ont été examinés par notre Cour dans l’arrêt Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29, à la p. 39 :

 À mon avis, les mots « quant à » [« in respect of »] ont la portée la plus large possible. Ils signifient entre autres, « concernant » [« in relation to »], « relativement à » ou « par rapport à ». Parmi toutes les expressions qui servent à exprimer un lien quelconque entre deux sujets connexes, c’est probablement l’expression « quant à » qui est la plus large. [Souligné dans l’original.]

Ainsi, les mots « proceedings … in respect of any cause of action » signifient simplement que les procédures envisagées ont un lien quelconque avec une cause d’action.

[37]      Une cause d’action, c’est un état de fait qui justifie le dépôt d’une action en justice. Voir Domco Industries Ltd. c. Mannington Mills Inc. (1990), 29 C.P.R. (3d) 481 (C.A.F.), à la page 496. En l’espèce, ces faits sont l’existence d’une dette fiscale et l’expiration du délai donnant au ministre le droit de prendre des mesures de recouvrement.

[38]      En résumé :

1. « Proceedings » inclut une voie de droit qui n’est pas nécessairement une action en justice.

2. Une cause d’action est l’existence d’un état de fait qui justifie le dépôt d’une action en justice en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu. L’existence d’une dette fiscale et l’expiration du délai sont des faits qui constituent la cause d’action.

3. Le terme « proceedings » utilisé à l’article 32 doit avoir un lien quelconque avec une cause d’action. Qu’il s’agisse d’une action en justice ou de mesures légales de recouvrement, ces procédures ont un lien avec une cause d’action. L’existence d’une dette fiscale et l’expiration du délai justifieraient soit l’action en justice, soit la prise de mesures légales de recouvrement.

Par conséquent, bien que « proceedings » à l’article 32 réfère le plus souvent à une action en justice, le terme n’exclut pas les méthodes légales de recouvrement en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu.

L’interprétation qui a été donnée par le passé par les tribunaux

[39]      Dans l’arrêt E.H. Price Limited c. La Reine, [1983] 2 C.F. 841 (C.A.), il a été statué que le sens du terme « proceedings » utilisé à l’époque au paragraphe 38(2) de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), ch. 10, n’était pas restreint à une procédure devant la Cour. Dans cette affaire, la Cour devait examiner si un certificat enregistré à la Cour fédérale en vertu de la Loi sur la taxe d’accise [S.R.C. 1970, ch. E-13] pour la perception des taxes et des amendes dues en vertu de cette Loi était assujetti aux dispositions en matière de prescription prévues à l’article 38. L’enregistrement du certificat n’a pas été considéré comme une procédure devant la Cour. Au moment où le jugement a été rendu dans l’affaire E.H. Price, l’article 38 était rédigé dans les termes suivants :

38. (1) Sauf disposition contraire de toute autre loi, les règles de droit relatives à la prescription des actions en vigueur entre sujets dans une province s’appliquent à toute procédure devant la Cour relativement à une cause d’action qui prend naissance dans cette province […]

(2) Sauf disposition contraire de toute autre loi, les règles de droit relatives à la prescription des actions désignées au paragraphe (1) s’appliquent à toutes procédures engagées par ou contre la Couronne.

[40]      Le juge suppléant Clement a conclu que l’enregistrement du certificat auprès de la Cour fédérale, même s’il ne constituait pas une procédure devant la Cour en vertu du paragraphe 38(1), était néanmoins une procédure engagée par la Couronne pour les fins du paragraphe 38(2). Pour en arriver à cette conclusion, il a déclaré ceci aux pages 847 et 848 :

J’ai souligné précédemment qu’une procédure visée par le paragraphe (1) de l’article 38 de la Loi sur la Cour fédérale est également visée par le paragraphe (2) : il s’ensuit donc qu’une procédure intentée en vertu du paragraphe 52(4) de la Loi est visée par l’expression « toute procédure » utilisée dans les deux paragraphes. Toutefois, le paragraphe (1) limite l’application des règles de droit dont il y est question à « toute procédure devant la Cour » alors qu’aucune restriction de ce genre n’est exprimée au paragraphe (2), ce qui, à mon avis, révèle clairement l’intention qu’avait le Parlement en édictant sa Loi. Le paragraphe (2) ne pose pas de limite quant à la nature des procédures pour lesquelles on peut avoir recours à ces règles de droit et, de façon plus précise, il les rend applicables à toute procédure intentée par ou contre la Couronne. Sous réserve d’autres facteurs, un contribuable peut, à mon avis, se prévaloir de ces règles de droit tant à l’égard d’un montant certifié par le sous-ministre en vertu du paragraphe 52(4) de la Loi qu’à l’égard d’une procédure devant la Cour […]

L’absence des mots « devant la Cour » était donc essentielle à la conclusion du juge suppléant Clement selon laquelle la disposition sur la prescription énoncée au paragraphe 38(2) s’appliquait aux voies de droit extrajudiciaires engagées par la Couronne.

[41]      La Couronne s’appuie sur l’arrêt E.H. Price pour étayer sa prétention selon laquelle les mesures légales de recouvrement en l’espèce ne sont pas des « proceedings … with respect to a cause of action » au sens de l’article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif. Toutefois, la conclusion du juge suppléant Clement dans l’arrêt E.H. Price donne à penser le contraire. Il a clairement conclu que le terme « proceedings » (« procédure ») était limité aux actions en justice uniquement au regard du paragraphe 38(1), dans lequel la disposition référait expressément à une « procédure devant la Cour », et qu’au regard du paragraphe 38(2), où le terme « procédure » n’était pas qualifié de la même façon, ce terme pouvait inclure des voies de droit extrajudiciaires.

[42]      Le juge des requêtes a conclu au paragraphe 30 que l’arrêt E.H. Price n’était pas « aussi dommageable aux arguments de [l’appelant] que le prétend [l’intimée]». Je dirais que l’arrêt E.H. Price appuie la thèse de l’appelant.

[43]      Le ministre cite la décision Mark c. Canada (Ministre des Pêches et Océans) (1991), 50 F.T.R. 157 (C.F. 1re inst.), dans laquelle le juge Cullen a conclu que l’expression «procédure dans toute affaire » utilisée à l’alinéa 50(1)b) de la Loi sur la Cour fédérale n’incluait pas une décision du ministre des Pêches et des Océans de suspendre un permis de pêche puisque le terme utilisé à l’alinéa 50(1)b) ne pouvait faire référence qu’à une procédure devant la Cour. L’interprétation du terme « proceedings » doit se fonder sur le contexte dans lequel le terme est utilisé. Personne ne laisse entendre qu’il y a un lien contextuel quelconque entre l’alinéa 50(1)b) de la Loi sur la Cour fédérale et l’article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif. En outre, avec égards, je pense que le juge Cullen n’avait pas raison de s’appuyer, dans la décision Mark précitée, sur l’arrêt E.H. Price. Par conséquent, je ne pense pas que la décision Mark puisse nous aider à interpréter l’article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif.

[44]      Je conclurais mon raisonnement en disant que l’interprétation qui a été donnée par le passé par les tribunaux au terme « proceedings » dans une disposition semblable à l’article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif donne à penser que l’utilisation de ce terme à l’article 32 n’est pas limitée aux actions en justice.

L’historique législatif de l’article 32

[45]      Depuis le XVe siècle, la common law présume que la loi n’a pas pour but d’être appliquée d’une façon qui soit préjudiciable à la Couronne, à moins qu’on ne fasse mention expresse de la Couronne. (Voir R. Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes, 3e éd. (Toronto : Butterworths, 1994), à la page 343, qui cite Willion v. Berkley (1561), 1 Plowd. 223; 75 E.R. 339.) La présomption de common law a maintenant été remplacée, en droit fédéral, par l’article 17 de la Loi sur l’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21 :

17. Sauf indication contraire y figurant, nul texte ne lie Sa Majesté ni n’a d’effet sur ses droits et prérogatives.

[46]      Aucun délai de prescription ne s’appliquait aux mesures de recouvrement prévues dans la Loi de l’impôt sur le revenu. Historiquement, aucune autre loi sur la prescription n’indiquait expressément ou implicitement que la Couronne était liée par ses dispositions relativement aux mesures de perception prévues dans la Loi de l’impôt sur le revenu. Par conséquent, il semblerait qu’à une certaine époque, aucune loi en matière de prescription ne s’appliquait aux mesures de perception prévues dans la Loi de l’impôt sur le revenu.

[47]      Toutefois, avec l’adoption de l’article 38 de la Loi sur la Cour fédérale en 1970, il a été statué que les lois provinciales sur la prescription, ou, dans les cas où elles ne s’appliquaient pas, un délai de prescription de six ans, s’appliquaient aux procédures engagées par la Couronne fédérale. Voir D. Sgayias et al., The Annotated 1995 Crown Liability and Proceedings Act (Scarborough : Carswell, 1994), à la page 136. L’article 38 était donc une disposition légale qui liait la Couronne. C’est cette disposition qui est à l’origine de la controverse dans l’arrêt E.H. Price.

[48]      L’article 38 a été abrogé par L.R.C. (1985), ch. F-7, et remplacé par l’article 39 de la Loi sur la Cour fédérale qui dispose au même effet. Le paragraphe 39(3) est essentiellement identique à l’ancien paragraphe 38(2).

39. (1) Sauf disposition contraire d’une autre loi, les règles de droit en matière de prescription qui, dans une province, régissent les rapports entre particuliers s’appliquent à toute instance devant la Cour dont le fait générateur est survenu dans cette province.

(2) Le délai de prescription est de six ans à compter du fait générateur lorsque celui-ci n’est pas survenu dans une province.

(3) Sauf disposition contraire d’une autre loi, les règles de droit en matière de prescription visées aux paragraphes (1) et (2) s’appliquent à toutes les procédures engagées par ou contre la Couronne.

[49]      Initialement, l’article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif ne s’appliquait qu’aux actions intentées contre la Couronne. Le paragraphe 39(3) de la Loi sur la Cour fédérale a été abrogé par l’article 10 [et 31], L.C. 1990, ch. 8 et l’article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif a été modifié de manière à ce qu’il inclue tant les poursuites (« proceedings ») engagées par la Couronne que les procédures engagées contre elle. Il est évident que le paragraphe 38(2) et le paragraphe 39(3) ont été les précurseurs de l’article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif pour ce qui concerne l’application des délais de prescription aux poursuites engagées par la Couronne.

[50]      Les paragraphes 38(2) et 39(3) de la Loi sur la Cour fédérale et l’article 32 modifié de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif traitent tous des procédures (« proceedings ») engagées par et contre la Couronne. Dans l’arrêt E.H. Price, précité, la Cour a interprété le terme « procédure » (« proceedings ») engagée par la Couronne, utilisé au paragraphe 38(2), comme n’étant pas limité aux procédures devant la Cour. L’arrêt E.H. Price traitait directement d’une mesure de recouvrement prévue dans la Loi sur la taxe d’accise qui était semblable à celles prévues dans la Loi de l’impôt sur le revenu. Quand il a modifié l’article 32, le législateur aurait pu, s’il avait voulu, inclure les mots « devant la Cour » ou quelqu’autre formule, pour s’assurer que le paragraphe 32 ne prévoie de délais de prescription que pour les procédures devant une cour. Je pense que l’on peut équitablement conclure que le législateur, puisqu’il n’a pas agi ainsi, avait l’intention d’adopter l’interprétation de l’arrêt E.H. Price, de sorte que les « poursuites » (« proceedings ») prévues à l’article 32 incluent toutes les voies de droit relatives à une cause d’action, qu’elles soient engagées devant une cour ou autrement, et en particulier, toutes les mesures de recouvrement prévues dans la Loi sur la taxe d’accise et la Loi de l’impôt sur le revenu, à moins que ces lois n’en disposent autrement.

L’incongruité de ne pas appliquer l’article 32 aux méthodes légales de perception

[51]      Les méthodes légales de perception sont l’équivalent des procédures devant une cour pour lesquelles un jugement a été obtenu. En adoptant les mesures légales de recouvrement prévues dans la Loi de l’impôt sur le revenu, le législateur a donné au ministre un accès direct à des méthodes de perception exécutoires qui ne seraient autrement accessibles qu’après le dépôt d’une action en justice et l’obtention d’un jugement. La délivrance d’une sommation de payer par le ministre a essentiellement le même effet qu’une ordonnance de saisie-arrêt rendue par la Cour. Elle oblige le tiers débiteur à verser à la Couronne les sommes que ce tiers doit au débiteur fiscal. L’ordre de saisir et de vendre des biens meubles est analogue à un bref d’exécution délivré par une cour. En fait, le paragraphe 225(5) stipule que les biens meubles qui seraient insaisissables malgré un bref d’exécution décerné par une cour supérieure de la province dans laquelle la saisie est opérée ne peuvent être saisis par le ministre. Interpréter le terme « poursuites » (« proceedings ») utilisé à l’article 32 comme incluant ces mesures de recouvrement reconnaît, il me semble, la similitude fondamentale entre ces mesures légales de recouvrement et les procédures devant une cour.

[52]      Par ailleurs, interpréter l’article 32 comme ne s’appliquant qu’aux procédures devant une cour mène à la conclusion gênante selon laquelle bien que les actions en justice soient assujetties aux lois provinciales sur la prescription, les mesures légales de recouvrement ne le sont pas et que, tant et aussi longtemps que le ministre a recours à ces mesures, il peut les prendre en tout temps. La Loi de l’impôt sur le revenu peut renfermer des dispositions incongrues ou des dispositions qui semblent manquer de cohérence. Toutefois, lorsqu’il est possible d’interpréter la loi de façon à éviter toute incongruité ou incohérence tout en respectant son libellé, c’est cette interprétation qu’il faut préférer. Voir l’arrêt Berardinelli c. Ontario Housing Corpn. et autre, [1979] 1 R.C.S. 275, à la page 284.

[53]      Appliquer l’article 32 aux mesures légales de recouvrement prévues par la Loi de l’impôt sur le revenu a pour résultat que les lois provinciales sur la prescription s’appliquent quelles que soient les voies de droit choisies par le ministre pour percevoir les dettes fiscales. Cette interprétation est conforme au libellé, ainsi qu’à l’objet et au but de l’article 32.

Le contexte de la partie II de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif

[54]      L’argument le plus convaincant présenté par le ministre fait valoir que même si le terme « proceedings » (« poursuites ») utilisé à l’article 32 peut être d’une très large portée, quand il est interprété dans le contexte de la partie II de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, il ne fait référence qu’à des « procédures devant une cour ».

[55]      La partie II traite des règles de procédure et de fond qui s’appliquent aux litiges mettant en cause la Couronne. Le contexte global de la partie II a trait aux litiges. Lorsque le terme « proceedings » apparaît dans les dispositions de la partie II, c’est la plupart du temps expressément en rapport avec des procédures devant une cour. Le mot « tribunal » apparaît dans bon nombre de ces mêmes dispositions. Dans ces dispositions, il ne fait aucun doute que ce ne sont que les procédures devant une cour qui sont visées.

[56]      Toutefois, les mots « court » ou « in the court » ne figurent pas à l’article 32 pour qualifier le membre de phrase « proceedings by or against the Crown in respect of any cause of action ». Le contexte fourni par les autres articles de la partie II implique-t-il nécessairement que les poursuites (proceedings) visées à l’article 32 ne peuvent être que des procédures devant une cour? Je ne le pense pas.

[57]      Tout d’abord, l’article 32 est un article indépendant. Il ne dépend d’aucun autre article de la partie II. Il traite d’une question indépendante, savoir les délais de prescription. Bien que les délais de prescription s’appliquent aux instances judiciaires dont il est question à la partie II, rien ne laisse entendre qu’ils ne peuvent pas aussi s’appliquer à d’autres procédures engagées par la Couronne.

[58]      Deuxièmement, l’article 32 est lié à toutes les autres lois fédérales qui ne prévoient pas leurs propres délais de prescription. Par conséquent, l’article 32 est conçu pour s’appliquer à des procédures autorisées dans d’autres lois fédérales, de même qu’à des procédures visées à la partie II de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif.

[59]      Troisièmement, l’expiration d’un délai de prescription entraîne la perte d’un recours permettant de faire valoir un droit légal. L’article 32 a pour but de priver, après l’expiration du délai de prescription applicable, la Couronne ou la partie opposée à la Couronne d’un recours par lequel la Couronne ou cette partie pouvait exercer un droit légal. Les droits et recours légaux sont le plus souvent l’objet de procédures devant une cour. Toutefois, ce n’est pas invariablement le cas. Les méthodes légales de perception prévues dans la Loi de l’impôt sur le revenu sont une exception.

[60]      Pour ce qui a trait aux dettes fiscales, un droit légal est créé en faveur du ministre dès que celui-ci établit une cotisation et que le délai pertinent prévu à l’article 225.1 est expiré. À partir de ce moment, le ministre a une cause d’action se rapportant à la dette fiscale du contribuable. Il peut alors entamer une poursuite devant un tribunal ou avoir recours aux méthodes légales de recouvrement pour exercer son droit légal.

[61]      Pour ce qui concerne le but des délais de prescription et, par conséquent, le but de l’article 32, c’est-à-dire de priver la Couronne, ou la partie opposée à la Couronne, d’un moyen de faire valoir un droit légal, il me semble qu’il serait incompatible avec cet objet que d’interpréter le terme « proceedings » (« poursuites ») comme s’appliquant uniquement aux procédures devant un tribunal et excluant les méthodes légales de perception prévues par la Loi de l’impôt sur le revenu. Comme je l’ai déjà noté, le législateur pouvait inclure des mots qui auraient eu pour effet de restreindre l’article 32 aux procédures devant une cour. Le fait qu’il ait choisi de ne pas le faire, particulièrement au vu de la décision de la Cour dans E.H. Price, indique que le législateur n’avait pas l’intention de restreindre l’application de l’article 32.

[62]      Pour ces motifs, je conclus que le contexte de la partie II ne limite pas le terme « proceedings » (« poursuites ») de l’article 32 aux procédures devant une cour, mais qu’il inclut également les méthodes légales de recouvrement.

La version française de l’article 32

[63]      Le ministre fait valoir que l’expression « poursuites auxquelles l’État est partie » utilisée dans la version française de l’article 32 ne fait référence qu’aux poursuites devant un tribunal. L’article 32 s’applique normalement aux poursuites devant un tribunal et le texte français reflète cette probabilité. Toutefois, compte tenu de l’objet de l’article 32 et de l’historique législatif et judiciaire concernant le terme « proceedings », je ne suis pas disposé à conclure que l’expression « poursuites auxquelles l’État est partie » restreint la portée de l’article 32 au point que des procédures qui ressemblent d’aussi près à des poursuites devant un tribunal que les méthodes légales de recouvrement prévues dans la Loi de l’impôt sur le revenu sont exclues de l’application de l’article 32.

L’utilisation d’un délai de prescription comme moyen de défense dans un litige

[64]      Finalement, j’aborde l’argument selon lequel une partie ne peut invoquer la prescription que si la cause d’action est alléguée dans une procédure devant une cour. Autrement dit, il semblerait que, du moins dans certains ressorts, une partie qui cherche à faire valoir un moyen fondé sur la prescription doive plaider ce moyen dans sa défense (voir G. Mew, The Law of Limitations (Toronto : Butterworths, 1991), à la page 53). Bien entendu, dans le cas des méthodes légales de recouvrement, il n’y a pas de défense et donc aucune possibilité pour le débiteur fiscal d’invoquer de cette façon le moyen fondé sur la prescription. Tout ce qu’il peut faire, c’est rechercher un jugement déclaratoire et un bref de prohibition comme il l’a fait dans la présente instance. Le juge suppléant Clement traitait de cette question dans l’arrêt E.H. Price, à la page 848 :

[…] à la différence toutefois, que le paragraphe 52(4) [de la Loi sur la taxe d’accise] ne fournit pas au contribuable les moyens de faire valoir ces règles de droit [la prescription] à l’encontre de la Couronne : ce dernier doit donc se présenter devant la Cour pour demander redressement comme c’est le cas en l’espèce. Dans des circonstances analogues, le juge Taylor a, dans l’arrêt Twinriver Timber Ltd. v. R. in Right of British Columbia (1980), 15 B.C.L.R. 38 (C.S.), a approuvé une telle façon de faire et son opinion a été confirmée par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique à (1981), 25 B.C.L.R. 175, à la page 180.

Sur ce point, je suis d’accord avec la conclusion du juge Clement et la conclusion semblable dans Twinriver Timber Ltd. v. R. in Right of British Columbia (1980), 15 B.C.L.R. 38 (C.S.).

Conclusion quant à la portée de l’article 32 et à l’application du délai de prescription

[65]      Je conclus donc que les poursuites « auxquelles l’État est partie pour tout fait générateur » visées à l’article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif incluent à la fois les procédures devant une cour et les méthodes légales de recouvrement prévues dans la Loi de l’impôt sur le revenu. La disposition en matière de prescription applicable est le paragraphe 3(5) de la Limitation Act de la Colombie-Britannique. En vertu du paragraphe 3(5), une action ne peut être intentée après l’expiration d’un délai de six ans suivant la date à laquelle le droit d’agir en justice a pris naissance. Une action est définie comme incluant les voies de droit extrajudiciaires. Cet article est manifestement conçu pour avoir une large portée et ne pas être limité à une action en justice.

[66]      Les méthodes légales de perception prévues dans la Loi de l’impôt sur le revenu peuvent être prises par le ministre, de plein droit, et il peut les exercer seul, sans qu’il soit nécessaire d’intenter une action en justice. Je n’ai aucune difficulté à conclure que les méthodes légales de recouvrement de la Loi de l’impôt sur le revenu sont des voies de droit extrajudiciaires pour les fins du paragraphe 3(5) de la Limitation Act de la Colombie-Britannique. Quoi qu’il en soit, le paragraphe 9(1) de cette même Loi prévoit qu’après l’expiration du délai de prescription pertinent la cause d’action est éteinte. Le paragraphe 9(1) est rédigé dans les termes suivants :

[traduction]

9 (1) À l’expiration du délai de prescription prévu à la présente loi pour l’action en recouvrement de dette, de dommages-intérêts ou autre somme due, ou en reddition de compte, s’éteignent, à l’égard de la personne contre laquelle le droit d’action aurait été exercé et de ses successeurs, le droit et le titre de celui qui avait ce droit d’action comme de quiconque le revendique par l’intermédiaire de ce dernier.

Par conséquent, après le 16 septembre 1992, la prescription empêchait le ministre de percevoir la dette fiscale de l’appelant remontant au 17 juin 1986, que ce soit par une action en justice ou par des mesures légales de recouvrement.

APPLICATION DES DÉLAIS DE PRESCRIPTION AUX DÉBITEURS FISCAUX REDEVABLES EN VERTU DE LA <I>INCOME TAX ACT</I> [R.S.B.C. 1996, ch. 215] DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE

[67]      L’appelant fait valoir que sa dette concernant l’impôt provincial est éteinte en vertu de la Limitation Act de la Colombie-Britannique. Je pense que pour ce qui concerne le droit du ministre du Revenu national de recouvrer la dette fiscale de l’appelant, cette question est réglée en faveur de l’appelant. Toutefois, par souci d’exhaustivité, je répondrai à la question telle qu’elle a été soulevée par l’appelant.

[68]      Dès le départ, je note que la Cour a été informée que la Couronne provinciale avait été avisée de la présente instance, mais qu’elle avait choisi de ne pas demander l’autorisation d’intervenir ou de participer de quelque façon. L’intimée affirme qu’elle n’agit pas en l’instance à titre de mandataire de la Couronne provinciale. J’aborde la question en prenant acte que la Couronne du chef de la Colombie-Britannique n’est pas une partie dans la présente instance et que la Cour n’a aucune compétence relativement à la Couronne du chef de la Colombie-Britannique.

[69]      Néanmoins, pour ce qui concerne l’impôt provincial, l’appelant ne demande que d’interdire au ministre fédéral du Revenu national de prendre des mesures de recouvrement ayant trait à sa dette fiscale provinciale remontant au 17 juin 1986. Si l’application de la Limitation Act de la Colombie-Britannique à une dette fiscale établie en vertu de la Income Tax Act de cette province doit être abordée, c’est dans le contexte du droit du ministre fédéral de percevoir l’impôt provincial sur le revenu.

[70]      On peut résumer brièvement l’argument formulé par l’appelant. En vertu de la Income Tax Act de la Colombie-Britannique, l’impôt provincial est dû à Sa Majesté du chef de la Colombie-Britannique. La Income Tax Act de la Colombie-Britannique ne renferme aucun délai de prescription exprès pour la perception des dettes fiscales. Toutefois, en vertu de l’article 14 de la Interpretation Act [R.S.B.C. 1996, ch. 238] de la Colombie Britannique, la Limitation Act de cette province lie la Couronne provinciale. Le paragraphe 3(5) de la Limitation Act de la Colombie-Britannique impose un délai de prescription de six ans dans le cas où la Limitation Act ou toute autre loi de la province ne prévoit pas expressément de délai. C’est le cas pour les dettes fiscales envers la Couronne provinciale. Par conséquent, un délai de prescription de six ans s’applique à la perception des impôts provinciaux quand ceux-ci deviennent perceptibles, c’est-à-dire que pour les cotisations d’impôt établies le 17 juin 1986, ce délai porte au 16 septembre 1992. Lorsque le délai de prescription est expiré, aucune action (y compris une voie de droit extrajudiciaire) ne peut être prise en recouvrement, et en vertu du paragraphe 9(1), la dette fiscale provinciale est éteinte. Comme le ministre fédéral agit en tant qu’agent percepteur pour la province de la Colombie-Britannique, il ne peut avoir plus de pouvoir que son mandant. Comme la dette fiscale provinciale est éteinte et qu’elle ne peut être recouvrée par Sa Majesté du chef de la Colombie-Britannique, le ministre fédéral ne peut pas non plus la percevoir.

[71]      Le ministre prétend qu’en raison du fait qu’un certain nombre de dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu fédérale se rapportant à la perception ont été incorporées par renvoi dans la Income Tax Act de la Colombie-Britannique, les mesures de recouvrement qu’il a prises ne découlent pas du fait qu’il serait mandataire de la Colombie-Britannique mais constituent plutôt des mesures indépendantes prises en vertu du droit de recouvrement légal qui lui est expressément conféré par la Income Tax Act de la province. Comme la Limitation Act de la Colombie-Britannique n’est pas applicable au ministre fédéral, il n’y a pas de délai de prescription limitant la période pendant laquelle le ministre fédéral peut prendre des mesures de recouvrement.

[72]      Au cours de l’argument présenté par l’avocat du ministre, on a laissé entendre qu’une fois que des mesures de recouvrement doivent être prises, la dette pourrait ne pas demeurer une dette provinciale mais plutôt devenir une dette due à Sa Majesté du chef du Canada. L’avocat du ministre semble soutenir qu’en vertu de l’accord de perception fiscale conclu entre le Canada et la Colombie-Britannique en date du 28 janvier 1962 et ses modifications, le Canada perçoit l’impôt provincial et le remet à la province au moyen de 48 versements égaux sur une période de douze mois. Le rôle de mandataire du Canada relativement à la perception et à la remise cesse à la fin de cette période de douze mois, après laquelle le Canada, de son propre chef, prend des mesures pour percevoir les dettes fiscales provinciales en vertu du même pouvoir légal qui lui est conféré dans la Loi de l’impôt sur le revenu fédérale pour la perception des dettes fiscales fédérales.

[73]      Les arguments du ministre et l’accord de perception fiscale sont loin d’être clairs.

[74]      Selon moi, l’obligation de l’appelant concernant l’impôt provincial découlant de la Income Tax Act de la Colombie-Britannique est une dette due à la Couronne du chef de la Colombie-Britannique. En tant que telle, cette dette est assujettie à la Limitation Act de la Colombie-Britannique. Aucun délai de prescription n’est expressément prévu concernant les mesures prises pour recouvrer les dettes fiscales. Par conséquent, le paragraphe 3(5) de la Limitation Act s’applique. Celui-ci prévoit que des mesures ne peuvent être prises après l’expiration d’une période six ans suivant la date à laquelle le droit a pris naissance.

[75]      Quel que soit l’effet de l’incorporation des dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu fédérale dans la Income Tax Act de la Colombie-Britannique ou de l’accord de perception fiscale entre le Canada et la Colombie-Britannique, ces dispositions ne peuvent avoir pour effet qu’une dette due par l’appelant à la Couronne du chef de la Colombie-Britannique devienne une obligation pour ce dernier envers un tiers et limite ses droits relativement à sa dette fiscale envers la Colombie-Britannique.

[76]      Il se peut que la dette provinciale soit acquise par la Couronne fédérale et que le ministre fédéral puisse prendre des mesures pour recouvrer cette dette fiscale en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu fédérale. Quoi qu’il en soit, en prenant ces mesures de recouvrement, le ministre fédéral est assujetti à tous les moyens de défense que l’appelant peut faire valoir en vertu de la Income Tax Act et de la Limitation Act de la Colombie-Britannique. Par conséquent, après l’expiration du délai de prescription de six ans, le ministre fédéral ne peut plus non seulement intenter une action contre l’appelant pour la dette fiscale due à la Colombie-Britannique, mais, en vertu du paragraphe 9(1) de la Limitation Act, la cause d’action relative à la dette fiscale est éteinte. Cette disposition qui, si je comprends bien, est, par son caractère général, unique à la Colombie-Britannique, indique clairement que, dans cette province, après l’expiration du délai de prescription de six ans, il n’y a plus de cause d’action. Par conséquent, en raison de la prescription, le ministre fédéral ne peut plus prendre de mesures de recouvrement, que ce soit devant un tribunal ou en vertu de la loi, pour percevoir la dette fiscale incluse dans sa cotisation du 17 juin 1986, somme qui pouvait être due par l’appelant en vertu de l’Income Tax Act de la Colombie-Britannique.

CONCLUSION

[77]      J’accueillerais l’appel avec dépens dans toutes les cours, j’infirmerais l’ordonnance de la Section de première instance, j’accueillerais la demande de contrôle judiciaire et je déclarerais que le ministre du Revenu national ne peut intenter une action en justice ou prendre des mesures légales de recouvrement pour percevoir la dette fiscale de l’appelant qui est prescrite, compte tenu des présents motifs.

Le juge Décary, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.

Le juge Malone, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.



* N.D.T. « En tout temps » est la version française de « at any time » à l’art. 227(10) [mod. par L.C. 1998, ch. 19, art. 226]. La version française de cette expression dans la Loi de l’impôt sur le revenu a pris diverses formes au cours des ans.

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