[2014] 4 R.C.F. 494
T-1567-12
2013 CF 451
L’honorable Lori Douglas (demanderesse)
c.
Procureur général du Canada (défendeur)
Répertorié : Douglas c. Canada (Procureur général)
Cour fédérale, protonotaire Tabib—Toronto, 30 novembre 2012; Ottawa, 30 avril 2013.
Juges et Tribunaux — Requête du défendeur en application de la règle 303(3) des Règles des Cours fédérales qui voulait être remplacé comme défendeur désigné dans la demande de contrôle judiciaire portant sur une décision du Conseil canadien de la magistrature (CCM) — Le plaignant a déposé une plainte de harcèlement sexuel et de discrimination auprès du CCM à l’encontre de la demanderesse (juge en chef adjointe de la Cour du Banc de la Reine) et de l’époux de cette dernière — Le CCM a entamé les procédures relatives aux plaintes — Un comité d’enquête a été formé conformément à la Loi sur les juges et chargé de tenir une enquête publique en vertu de l’art. 63(3) — Le comité d’enquête a demandé à l’avocat qu’il a nommé de contre-interroger certains témoins au nom du comité d’enquête — L’avocate de la demanderesse a par la suite demandé aux membres du comité d’enquête de se récuser pour crainte raisonnable de partialité, mais les membres du comité d’enquête ont refusé de se récuser — La décision du comité d’enquête a fait l’objet du contrôle judiciaire en l’espèce — Il s’agissait de savoir si la requête du défendeur devrait être accordée — La règle 303(3) des Règles confère à la Cour le pouvoir discrétionnaire, sur requête, de désigner par ordonnance un défendeur pour remplacer le procureur général si la Cour est convaincue que celui-ci est incapable d’agir à titre de défendeur — Comme aucune personne n’était directement touchée par l’ordonnance recherchée ou ne devait être désignée à titre de défendeur en application de la règle 303(1), le procureur général a été désigné défendeur à bon droit, en application de la règle 303(2) des Règles — Le défendeur constitue le défendeur par défaut à la demande de contrôle judiciaire, car il est le protecteur de l’intérêt public — Ni le cadre établi par la Loi pour le processus disciplinaire du CCM ni les principes constitutionnels applicables ne permettent de conclure que le législateur voulait que la non-participation du procureur général atteigne un degré aussi extraordinaire, ou que cela soit nécessaire pour respecter la séparation des pouvoirs ou le principe de l’indépendance judiciaire — Malgré la thèse du défendeur, le législateur ne voulait pas que le ministre de la Justice, soit le défendeur, reste à l’écart du processus disciplinaire et n’y participe pas puisque le législateur a conféré au ministre des pouvoirs considérables d’intervention quant au déclenchement d’enquêtes — Pour trancher la demande, la Cour devait se pencher sur des questions de droit qui avaient trait à la structure et au fonctionnement du comité d’enquête — Par conséquent, le défendeur n’a pas établi qu’il était incapable d’agir à ce titre en l’espèce — Requête rejetée.
Pratique — Parties — Requête intentée par le plaignant en vertu de la règle 303(1) des Règles des Cours fédérales qui veut être désigné comme défendeur nécessaire pour la demande de contrôle judiciaire portant sur une décision du Conseil canadien de la magistrature (CCM) — Durant les audiences, le comité d’enquête a demandé à son avocat de contre-interroger certains témoins, mais la demanderesse a demandé aux membres du comité d’enquête de se récuser pour crainte de partialité — Les membres du comité d’enquête ont refusé de se récuser — La décision du comité d’enquête a fait l’objet du contrôle judiciaire en l’espèce — Il s’agissait de savoir si la requête du défendeur devrait être accordée — Le plaignant n’est pas une « partie » à l’audience devant le comité d’enquête comme il a été soutenu — On lui a accordé un statut limité de participant à l’enquête — Quoi qu’il en soit, la personne à qui un organisme d’enquête a reconnu la qualité pour agir doit quand même démontrer qu’elle est directement touchée par l’ordonnance recherchée, comme le prévoit la règle 303(1) des Règles — De plus, dans les faits, le comité d’enquête n’a pas accordé au plaignant le statut de partie dans son instance — La Cour n’a tiré aucune conclusion au sujet de la crédibilité ou de la moralité du plaignant, ou qui pourrait entacher sa réputation — Le processus d’enquête prévu à l'art. 63(3) de la Loi sur les juges vise un objectif large : le maintien de la confiance du public dans l’administration de la justice; la loi ne donne pas au plaignant le droit, en sa qualité personnelle, de voir sa plainte tranchée ou d’obtenir un résultat donné — La demande de contrôle judiciaire ne recherchait pas une ordonnance touchant les droits procéduraux dont le plaignant jouissait devant le comité d’enquête — Par conséquent, le plaignant n’était pas une personne directement touchée par les ordonnances recherchées dans la demande — Requête rejetée.
Il s’agissait de deux requêtes : la première, par un plaignant qui voulait être désigné comme défendeur nécessaire pour la demande de contrôle judiciaire portant sur une décision du Conseil canadien de la magistrature (le CCM) et la deuxième, par le défendeur, l’unique défendeur désigné, qui voulait être remplacé en tant que défendeur désigné à la présente demande. La requête du plaignant a été déposée conformément au paragraphe 303(1) des Règles des Cours fédérales tandis que la requête du défendeur a été déposée en application du paragraphe 303(3) des Règles.
Le plaignant a déposé une plainte auprès du CCM, alléguant avoir été victime de harcèlement sexuel et de discrimination de la part de la demanderesse, juge en chef adjointe de la Cour du Banc de la Reine, et de l’époux de cette dernière. Conformément à ses procédures relatives aux plaintes, le CCM a chargé un comité d’examen, composé de cinq juges, d’examiner la plainte et de faire enquête. Le comité d’examen a apparemment conclu qu’il n’était pas justifié de faire enquête relativement à la plainte du plaignant, mais que d’autres questions devaient faire l’objet d’une enquête. Un comité d’enquête a été formé en vertu de la Loi sur les juges et chargé de tenir une enquête publique. Le CCM a nommé un avocat indépendant, dont le rôle était de présenter l’affaire au comité d’enquête, et celui-ci s’est adjoint un conseiller juridique (l’avocat du comité) pour l’aider à remplir son mandat. Sur requête du plaignant, le comité d’enquête lui a accordé un statut limité de participant à l’enquête. Au cours des audiences, des questions ont été soulevées quant au fait que le comité d’enquête avait demandé à son avocat de contre-interroger certains témoins en son nom. L’avocate de la demanderesse a demandé aux membres du comité d’enquête de se récuser au motif que l’interrogatoire des témoins par l’avocat du comité soulevait une crainte raisonnable de partialité mais les membres du comité d’enquête ont refusé de se récuser. C’est cette décision qui a fait l’objet du contrôle judiciaire en l’espèce.
Il s’agissait de savoir si les requêtes du plaignant et du défendeur devaient être accordées.
Jugement : les requêtes doivent être rejetées.
Le plaignant a fait valoir à l’appui de sa requête qu’il était une « partie » à l’audience du comité d’enquête, lequel lui avait accordé la qualité pour agir, et qu’à ce titre, il était une partie dont la présence était nécessaire au règlement de la demande de contrôle judiciaire, mais cet argument a été rejeté. La personne à qui un organisme d’enquête a reconnu la qualité pour agir — voire le statut de participant à part entière — ne doit pas être considérée automatiquement comme un défendeur nécessaire pour la demande de contrôle judiciaire qui découle de l’instance. Cette personne doit quand même démontrer qu’elle est « directement touchée par l’ordonnance recherchée », comme l’exige le paragraphe 303(1) des Règles. De plus, dans les faits, le comité d’enquête n’a pas accordé au plaignant le statut de partie dans son instance, malgré une demande à cet effet de la part du plaignant. Le comité d’enquête a conclu que, bien que le plaignant n’ait eu aucun droit légal qui eut été touché par l’instance, il avait un intérêt direct et important en ce qui a trait aux conclusions éventuelles qui pouvaient être tirées dans la présente instance quant à sa moralité et qui pouvaient nuire à sa réputation. L’ordonnance rendue par le comité d’enquête à cet égard a bien illustré cet intérêt très restreint. Il y a une grande différence entre le fait d’avoir, dans une instance, un intérêt qui justifie un droit de participation limité — comparable au statut d’intervenant — et le fait d’être touché directement par l’ordonnance recherchée dans l’instance. Que ce soit pour entendre la demande ou pour rendre les ordonnances recherchées, la Cour ne tirerait aucune conclusion au sujet de la crédibilité ou de la moralité du plaignant, ou qui pourrait entacher sa réputation. L’intérêt du plaignant à veiller à ce que sa version des faits soit présentée n’entrait pas en jeu dans la demande sous-jacente.
Comme l’a conclu le comité d’enquête, le processus d’enquête prévu au paragraphe 63(3) de la Loi vise un objectif large : le maintien de la confiance du public dans l’administration de la justice. Il ne porte donc pas uniquement sur les seuls intérêts du plaignant. Une fois le processus en marche, les seuls intérêts en jeux sont l’intérêt public — représenté par l’avocat indépendant — et les droits du juge dont la conduite est visée par l’enquête — à qui l’article 64 de la Loi accorde expressément le statut de partie. La loi ne donne pas au plaignant le droit, en sa qualité personnelle, de voir sa plainte tranchée ou d’obtenir un résultat donné. De plus, la demande de contrôle judiciaire ne recherchait pas une ordonnance touchant les droits procéduraux dont le plaignant jouissait devant le comité d’enquête. Par conséquent, le plaignant n’était pas une personne directement touchée par les ordonnances recherchées dans la demande.
La requête du défendeur demandant d’être remplacé comme défendeur était principalement fondée sur le paragraphe 303(3) des Règles. Le paragraphe 303(3) prévoit que, lorsque le procureur général est désigné comme défendeur parce qu’aucune personne n’est directement touchée par l’ordonnance recherchée ou ne doit être désignée comme défendeur, le procureur général peut présenter une requête pour qu’une autre personne le remplace comme défendeur. Le défendeur a soutenu dans cette requête qu’il était incapable d’agir comme défendeur relativement à la demande sous-jacente, c’est-à-dire, qu’il était incapable, en droit, de participer à titre de défendeur. L’argument préliminaire du défendeur était que le rôle de la Cour n’est pas de décider s’il est bel et bien incapable d’agir comme défendeur pour la demande sous-jacente et que le paragraphe 303(3) des Règles exige seulement qu’il soulève un motif raisonnable pour justifier sa conclusion selon laquelle il était incapable d’agir comme défendeur mais ceci n’a pas été retenu. Cette interprétation du paragraphe 303(3) n’était aucunement étayée par le libellé de la disposition ou par la loi en général. Le paragraphe 303(3) confère à la Cour le pouvoir discrétionnaire, sur requête du défendeur, de désigner par ordonnance un défendeur pour remplacer le procureur général lorsque la Cour est convaincue que celui-ci est incapable d’agir à titre de défendeur. Comme aucune personne n’était directement touchée par l’ordonnance recherchée ou ne devait être désignée à titre de défendeur en application du paragraphe 303(1), le défendeur a été désigné défendeur à bon droit, en application du paragraphe 303(2). Non seulement le défendeur est désigné comme défendeur par défaut à la demande de contrôle judiciaire conformément au paragraphe 303(2), mais il est aussi le protecteur de l’intérêt public et il a le devoir de défendre la suprématie du droit.
Le défendeur a fait valoir qu’il était incapable d’agir à ce titre dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire sous-jacente. Il a soutenu que lorsque le législateur a établi le cadre régissant le processus d’enquête disciplinaire prévu par la Loi pour que le ministre de la Justice et le défendeur restent à l’écart du processus d’enquête, sauf pour les exceptions prévues expressément dans cette loi, il voulait ainsi confier au CCM l’entière responsabilité du déroulement et de l’équité du processus et cette séparation est essentielle pour protéger l’indépendance du pouvoir judiciaire. Cependant, ni le cadre établi par la Loi pour le processus disciplinaire du CCM ni les principes constitutionnels applicables n’ont permis de conclure que le législateur voulait que la non-participation du procureur général atteigne un degré aussi extraordinaire, ou que cela soit nécessaire pour respecter la séparation des pouvoirs ou le principe de l’indépendance judiciaire. L’article 63 de la Loi montre très clairement que le législateur n’avait pas l’intention de déléguer au CCM toutes les questions liées au processus disciplinaire s’appliquant à la magistrature ou de faire du CCM l’unique protecteur de l’intérêt public à cet égard. Le CCM a le pouvoir discrétionnaire de faire enquête sur les allégations et les plaintes du public, mais le législateur a donné au ministre de la Justice le pouvoir d’ordonner au CCM de faire enquête sur les cas de révocation au sein de la magistrature. Le fait que le législateur a conféré au ministre des pouvoirs considérables d’intervention quant au déclenchement d’enquêtes mine fondamentalement la thèse du défendeur selon laquelle le législateur voulait que le ministre — et donc le défendeur — reste à l’écart du processus disciplinaire et n’y participe pas.
De plus, l’argument du défendeur voulant que le processus disciplinaire prévu par la Loi constitue un transfert, par le Parlement au CCM, du droit exclusif de mener des enquêtes et d’assurer l’équité de ces processus n’a pas résisté à l’examen. Le législateur a bel et bien donné au CCM le pouvoir d’enquêter sur les plaintes et les allégations faites à l’égard des juges, mais comme le montre clairement l’article 71 de la Loi, pour ce qui est de la révocation des juges, ni la création du processus d’enquête du CCM ni l’exercice par ce dernier de son pouvoir ne diminuent, n’annulent ou ne limitent les attributions constitutionnelles du ministre de la Justice ou des deux Chambres du Parlement.
Lorsqu’il a établi le processus d’enquête prévu à la Loi, le législateur n’a pas créé d’organisme ou de processus spéciaux qui seraient à l’abri du contrôle judiciaire. Lorsque la question de savoir si un comité d’enquête a exercé correctement les fonctions que lui a confiées le législateur est soulevée dans une instance de contrôle judiciaire, la suprématie du droit est en jeu et l’intérêt public est mis en cause. À titre de protecteur de la suprématie du droit, le défendeur a le rôle de veiller à ce que les organismes publics — par exemple, le comité d’enquête — exercent leurs fonctions conformément à la loi et que, lorsque tel est le cas, leurs décisions soient respectées. Ainsi, l’intérêt public exige que le défendeur se demande et décide s’il doit intervenir et, le cas échéant, dans quelle mesure son intervention dans la procédure de contrôle judiciaire est nécessaire et appropriée pour aider la Cour à rendre une décision conforme au droit. Le fait que les résultats des travaux du comité d’enquête soient destinés à être présentés au ministre et à être examinés par ce dernier n’est pas incompatible avec ce rôle et ne le restreint pas. Lorsque l’intégrité et l’équité des processus du comité d’enquête sont mises en cause, l’intérêt public exige que le défendeur puisse défendre la légalité des processus et des décisions du comité d’enquête et qu’il puisse présenter toute observation qui pourrait aider la Cour à trancher les questions en litige conformément au droit. En principe, il n’y a eu ni conflit ni incompatibilité entre l’exercice par le ministre de son rôle constitutionnel et la participation du défendeur à la procédure de contrôle judiciaire.
Enfin, pour trancher la demande sous-jacente, la Cour devait se pencher sur des questions de droit qui avaient trait à la structure et au fonctionnement du comité d’enquête. Il n’y avait aucune raison pour laquelle le défendeur aurait été incapable de se prononcer sur ces questions à titre de défendeur, si telle était sa volonté, ou encore de choisir quand et de quelle manière y répondre. Par conséquent, le défendeur n’a pas établi qu’il était incapable d’agir comme défendeur dans la demande sous-jacente.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 8.
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], art. 99.
Loi sur le ministère de la Justice, L.R.C. (1985), ch. J-2, art. 5.
Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.1.
Loi sur les enquêtes, L.R.C. (1985), ch. I-11.
Loi sur les juges, L.R.C. (1985), ch. J-1, art. 63, 64, 65(2)d), 71.
Règlement administratif du Conseil canadien de la magistrature sur les enquêtes, DORS/2002-371.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règles 1602(3) (édicté par DORS/92-43, art. 19), 1611.
Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106.
Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règles 104, 109, 300, 303, tarif B, colonne III.
JURISPRUDENCE CITÉE
décision appliquée :
Reddy Cheminor Inc. c. Canada (Procureur général), 2001 CFPI 1065.
décisions examinées :
Canada (Procureur général) c. Canada (Commissaire de l’enquête sur l’approvisionnement en sang au Canada – Commission Krever), [1996] A.C.F. no 290 (1re inst.) (QL); Merck Frosst Canada Inc. c. Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social, [1997] A.C.F. no 155 (1re inst.) (QL); Canada (Procureur général) c. Canada (Commissaire à l’information), 2002 CFPI 128, [2002] 3 C.F. 630; Cosgrove c. Conseil canadien de la magistrature, 2007 CAF 103, [2007] 4 R.C.F. 714; Northwestern Utilities Ltd. et autre c. Ville d’Edmonton, [1979] 1 R.C.S. 684; Samatar c. Canada (Procureur général), 2012 CF 1263.
décisions citées :
Tetzlaff c. Canada (Ministre de l’ Environnement), [1992] 2 C.F. 215 (C.A.); Sutcliffe v. Ontario (Minister of the Environment), 2004 CanLII 66285, 69 R.J.O. (3e) 257 (C.A.); Hoechst Marion Roussel Canada c. Canada (Procureur général), 2001 CFPI 795, [2002] 1 C.F. 76; Chrétien c. Canada (Procureur général), 2005 CF 591.
DOCTRINE CITÉE
Conseil canadien de la magistrature. Décision du Comité d’enquête au sujet de l’hon. Lori Douglas concernant la demande de Alex Chapman pour statut d’intervenant et paiement d’avocat (11 juillet 2012).
REQUÊTES déposées en application de la règle 303 des Règles des Cours fédérales 1) par le plaignant qui voulait être désigné comme défendeur nécessaire pour la demande de contrôle judiciaire portant sur une décision du Conseil canadien de la magistrature et 2) par le défendeur, l’unique défendeur désigné, qui voulait être remplacé en tant que défendeur désigné à la présente demande. Requêtes rejetées.
ONT COMPARU
Sheila Block et Molly Reynolds pour la demanderesse.
Catherine Lawrence et Zoe Oxaal pour le défendeur.
Rocco Galati pour Alexander Chapman.
Paul Cavalluzzo et Adrienne Telford pour le Conseil canadien de la magistrature.
Suzanne Coté et Alexandre Fallon pour la nouvelle avocate indépendante pour l’enquête.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Torys, s.e.n.c.r.l., s.r.l., Toronto, pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.
Rocco Galati Law Firm, Toronto, pour Alexander Chapman.
Cavalluzzo, Hayes, Shilton, McIntyre & Cornish LLP, Toronto, pour le Conseil canadien de la magistrature.
Osler, Hoskin & Harcourt, s.e.n.c.r.l., s.r.l., Montréal, pour la nouvelle avocate indépendante pour l’enquête.
Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance et de l’ordonnance rendus par
La protonotaire Tabib :
Le contexte
[1] En juillet 2010, Alexander Chapman a déposé une plainte auprès du Conseil canadien de la magistrature (le CCM), alléguant avoir été victime de harcèlement sexuel et de discrimination de la part de l’honorable Lori Douglas, juge en chef adjointe de la Cour du Banc de la Reine du Manitoba (la juge Douglas) et de l’époux de cette dernière, Jack King.
[2] Conformément à ses procédures relatives aux plaintes, le CCM a chargé un comité d’examen, composé de cinq juges, d’examiner la plainte de M. Chapman et de faire enquête. Selon les observations présentées au nom de la juge Douglas, le comité d’examen a conclu qu’il n’était pas justifié de faire enquête relativement à la plainte de M. Chapman, mais que deux autres questions connexes, décrites ci-dessous, devaient faire l’objet d’une enquête : est-ce que la nature et la disponibilité de certaines photographies transmises par M. King entraînent l’application de l’alinéa 65(2)d) de la Loi sur les juges, L.R.C. (1985), ch. J‑1? Est-ce que la juge Douglas avait fait une divulgation suffisante des faits visés par la plainte lors du processus qui a mené à sa nomination au poste de juge?
[3] En réponse à la décision du comité d’examen, un comité d’enquête a été formé en vertu de la Loi sur les juges et chargé de tenir une enquête publique. Le CCM a nommé un avocat indépendant, dont le rôle est de présenter l’affaire au comité d’enquête. Comme le permet le règlement administratif du CCM sur les enquêtes [Règlement administratif du Conseil canadien de la magistrature sur les enquêtes, DORS/2002-371], le comité d’enquête s’est adjoint un conseiller juridique (l’avocat du comité) pour l’aider à remplir son mandat.
[4] Conformément à la Loi sur les juges et au règlement administratif pris en vertu de cette loi, le rôle du comité d’enquête est de faire enquête sur les plaintes ou les allégations et de présenter ses conclusions au CCM. À la réception du rapport et du dossier d’enquête, le CCM doit faire rapport au ministre de la Justice (le ministre) et il peut recommander la révocation du juge.
[5] En mai 2012, l’avocat indépendant a présenté un [traduction] « avis d’allégations » au comité d’enquête. L’avis d’allégations vise à informer le juge dont la conduite fait l’objet de l’enquête des plaintes et des allégations auxquelles il pourrait devoir répondre au cours de l’enquête. En l’espèce, l’avis d’allégations n’incluait pas la plainte de M. Chapman. Le comité d’enquête a demandé à l’avocat indépendant d’inclure la plainte de M. Chapman dans l’avis d’allégations.
[6] Le comité d’enquête a donc continué ses travaux en tenant pour acquis que la plainte de M. Chapman serait prise en compte.
[7] Sur requête de M. Chapman, le comité d’enquête lui a accordé un statut limité de participant à l’enquête ainsi qu’un financement connexe pour les services d’un avocat.
[8] Au cours de l’audience tenue en juillet 2012, des questions ont été soulevées quant au fait que le comité d’enquête avait demandé à son avocat de contre-interroger certains témoins en son nom. Par la suite, l’avocate de la juge Douglas a demandé aux membres du comité d’enquête de se récuser au motif que l’interrogatoire des témoins par l’avocat du comité soulevait une crainte raisonnable de partialité. Les membres du comité d’enquête ont refusé de se récuser. C’est cette décision qui fait l’objet du contrôle judiciaire en l’espèce [Décision du Comité d’enquête au sujet de l’hon. Lori Douglas concernant la demande de Alex Chapman pour statut d’intervenant et paiement d’avocat].
[9] Il convient aussi de souligner que l’avocat indépendant a présenté sa propre demande de contrôle judiciaire à l’égard de la décision dans laquelle le comité d’enquête avait conclu qu’il pouvait donner à l’avocat du comité l’instruction de contre-interroger des témoins au nom du comité (dossier T-1562-12). Dans la semaine qui a suivi le dépôt de sa demande de contrôle judiciaire, l’avocat indépendant a remis sa démission au CCM, qui l’a acceptée. M. Chapman a ensuite déposé une demande de contrôle judiciaire au sujet de la légalité de la démission de l’avocat indépendant et de la décision du CCM de l’accepter (dossier T-1789-12).
La demande de contrôle judiciaire sous-jacente
[10] En l’espèce, la juge Douglas demande le contrôle judiciaire de la décision par laquelle les membres du comité d’enquête ont refusé de se récuser. Dans son avis de demande, elle demande à la Cour de déclarer que la conduite du comité d’enquête soulève une crainte raisonnable de partialité et d’ordonner au comité d’enquête de mettre fin à ses travaux et de renvoyer au CCM la plainte déposée à l’égard de la juge Douglas.
[11] Les moyens invoqués à l’appui de la demande de contrôle judiciaire ont trait à la manière dont le comité d’enquête a mené l’audience en juillet 2012, notamment : le fait d’avoir demandé et permis à l’avocat du comité de contre-interroger deux témoins en son nom et la manière dont ces contre-interrogatoires ont été faits; le rejet de la demande de l’avocat indépendant, qui voulait que le contre-interrogatoire prétendument inapproprié cesse; la demande faite à l’avocat du comité de transmettre des instructions à l’avocat indépendant quant au contre-interrogatoire de M. Chapman; et le fait d’avoir empêché l’avocate de la juge Douglas de poser certaines questions au sujet du témoignage de M. Chapman.
[12] En septembre 2012, la juge Douglas a aussi signifié au procureur général, à titre de défendeur à sa demande de contrôle judiciaire, son intention de modifier son avis de demande. Ces modifications visent à ajouter aux éléments soulevant une crainte raisonnable de partialité à l’encontre de la juge Douglas le fait que le CCM a invoqué le privilège du secret professionnel de l’avocat relativement aux communications entre le vice-président du CCM et l’avocat indépendant. Toute décision quant aux modifications que la juge Douglas veut apporter à son avis de demande est suspendue jusqu’à ce que les requêtes en cause soient tranchées, mais, dans la présente décision, la Cour a tenu compte des incidences que ces nouvelles questions pourraient avoir sur le litige.
Les requêtes en cause
[13] La Cour est saisie d’une requête de M. Chapman, qui veut être désigné comme défendeur nécessaire pour la demande de contrôle judiciaire, et d’une requête du procureur général — l’unique défendeur désigné par la juge Douglas dans sa demande — qui veut être remplacé comme défendeur désigné, en application du paragraphe 303(3) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles).
[14] Le paragraphe 303(3) des Règles prévoit que, lorsque le procureur général est désigné comme défendeur parce qu’aucune personne n’est directement touchée par l’ordonnance recherchée ou ne doit être désignée comme défendeur, le procureur général peut présenter une requête pour qu’une autre personne le remplace comme défendeur.
[15] Si M. Chapman avait raison d’affirmer qu’il devait être désigné comme défendeur dans la demande de la juge Douglas, alors le procureur général n’aurait pas dû être désigné comme défendeur en application du paragraphe 303(2) et le paragraphe 303(3) ne s’appliquerait pas en l’espèce. Le cas échéant, l’issue de la requête du procureur général reposerait sur la question de savoir si, en application de la règle 104 des Règles, il devrait être mis hors de cause parce qu’il est « une personne constituée erronément comme partie ou une partie dont la présence n’est pas nécessaire au règlement des questions en litige ». Par conséquent, je trancherai d’abord la requête de M. Chapman.
La requête de M. Chapman
[16] En règle générale, il est admis que les parties à une instance devant un office fédéral sont, à première vue, des parties désignées à bon droit ou dont la présence est nécessaire au règlement de la demande de contrôle judiciaire qui conteste les procédures ou leurs résultats (voir Tetzlaff c. Canada (Ministre de l’Environnement), [1992] 2 C.F. 215 (C.A.)).
[17] Le premier argument soulevé par M. Chapman à l’appui de sa requête est qu’il était une « partie » à l’audience du comité d’enquête, lequel lui avait accordé la qualité pour agir, et qu’à ce titre, il est une partie dont la présence est nécessaire au règlement de la demande de contrôle judiciaire sous-jacente.
[18] Deux raisons m’empêchent de retenir cet argument. D’abord, la règle générale selon laquelle les parties à l’instance initiale sont automatiquement désignées comme défendeurs pour le contrôle judiciaire s’est développée dans le contexte d’instances contradictoires, qui visent à trancher les droits opposés d’au moins deux parties. Cette règle ne s’applique pas nécessairement lorsque les instances sous-jacentes sont, comme celle qui est en cause ici, de la nature d’une enquête.
[19] D’ailleurs, avant la refonte importante des Règles de la Cour fédérale (1998) [DORS/98-106] en 1998, le paragraphe 1602(3) [édicté par DORS/92-43, art. 19, des Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663] prévoyait que « [t]oute personne intéressée qui avait des intérêts opposés à ceux de la partie requérante lors de l’instance devant l’office fédéral est désignée à titre d’intimée » dans la demande de contrôle judiciaire. La Cour fédérale, dans la décision Canada (Procureur général) c. Canada (Commissaire de l’enquête sur l’approvisionnement en sang au Canada – Commission Krever), [1996] A.C.F. no 290 (1re inst.) (QL), a conclu que cette règle ne s’applique pas aux parties auxquelles une commission d’enquête a reconnu la qualité pour agir. Le raisonnement de la Cour était que, puisque la nature d’une telle commission est inquisitoire et non contradictoire, les personnes à qui la commission a reconnu la qualité pour agir n’avaient pas le droit d’être nommées comme défendeurs, mais elles pouvaient demander la permission d’intervenir, suivant le pouvoir discrétionnaire conféré à la Cour par la règle 1611 des Règles de la Cour fédérale, laquelle ressemble à la règle 109 dans la version actuelle. Bien que les dispositions pertinentes des Règles aient changé et que cette décision ne s’applique donc plus directement, l’analyse de la Cour au sujet des différences entre la procédure contradictoire et la procédure inquisitoire est toujours pertinente. À mon avis, la personne à qui un organisme d’enquête a reconnu la qualité pour agir — voire le statut de participant à part entière — ne doit pas être considérée automatiquement comme un défendeur nécessaire pour la demande de contrôle judiciaire qui découle de l’instance. Cette personne doit quand même démontrer qu’elle est « directement touchée par l’ordonnance recherchée », comme l’exige le paragraphe 303(1) des Règles.
[20] La seconde raison — la plus convaincante à mon avis — pour laquelle l’argument de M. Chapman doit être écarté est que, dans les faits, le comité d’enquête ne lui a pas accordé le statut de partie dans son instance.
[21] Selon le dossier, M. Chapman avait demandé au comité d’enquête de lui accorder [traduction] « le statut de participant à part entière à l’audience et tous les droits dont jouissent les parties, y compris le droit à une divulgation intégrale, celui d’appeler et de contre-interroger des témoins et celui de présenter des observations juridiques[1] » compte tenu de ses prétendus droits et intérêts en tant que plaignant. Le comité d’enquête a examiné cette requête et l’a rejetée explicitement, dans les termes suivants[2] (au paragraphe 15) :
[traduction] Le comité a conclu que le simple fait d’être le plaignant auteur de la plainte qui a mené à une enquête en vertu du paragraphe 63(2) de la Loi sur les juges ne donne droit à aucun statut devant le comité d’enquête formé aux fins de cette enquête. Cela étant dit, certaines circonstances extraordinaires peuvent justifier d’accorder un droit de participation limité à l’enquête menée conformément à la Loi sur les juges, notamment lorsque le plaignant a un intérêt qui dépasse celui qu’ont habituellement les plaignants. Il s’agit là d’une question distincte, qui sera abordée ci-après.
[22] Lorsqu’il s’est penché sur la nature de l’intérêt de M. Chapman, le comité d’enquête est aussi arrivé à la conclusion suivante (au paragraphe 34) :
[traduction] Bien que M. Chapman n’ait aucun droit légal qui sera touché par la présente instance, il a un intérêt direct et important en ce qui a trait aux conclusions éventuelles qui pourraient être tirées dans la présente instance quant à sa moralité et qui pourraient nuire à sa réputation. [Non souligné dans l’original.]
[23] L’intérêt que le comité a reconnu à M. Chapman était lié aux conclusions éventuelles que le comité pourrait tirer quant à la version des faits de la juge Douglas, conclusions qui pourraient directement entacher la réputation ou mettre en doute la moralité de M. Chapman[3].
[24] L’ordonnance rendue par le comité d’enquête à cet égard illustre bien l’intérêt très restreint de M. Chapman, limitant son droit de participation au contre-interrogatoire de quatre témoins par son avocat et à la présentation de conclusions finales, mais seulement au sujet de la plainte de M. Chapman.
[25] Les conclusions du comité d’enquête au sujet du statut qu’il a accordé à M. Chapman dans son instance n’ont été contestées dans aucune des demandes pendantes devant la Cour. Aux fins des présentes, ces conclusions établissent de manière convaincante que M. Chapman n’a pas obtenu le statut de partie dans l’instance sous-jacente et que le comité ne lui a reconnu aucun intérêt juridique dans l’issue de l’instance qui justifierait, à première vue, qu’il soit désigné comme défendeur nécessaire dans la demande sous-jacente.
[26] Outre la question des droits découlant du « statut » accordé par le comité d’enquête à M. Chapman, il reste la question de savoir si ce dernier doit être désigné comme défendeur à titre de personne constituée à bon droit comme partie ou dont la présence est nécessaire au règlement des questions en litige parce qu’il est « directement touché par l’objet de la demande ». Comme l’a expliqué succinctement la Cour fédérale au paragraphe 30 de la décision Reddy Cheminor Inc. c. Canada (Procureur Général), 2001 CFPI 1065 :
Pour être directement touchée par les ordonnances que sollicite Cheminor dans sa demande de contrôle judiciaire, AstraZeneca doit démontrer qu’elle possède un intérêt suffisant en ce qui concerne les droits qui lui sont conférés par la loi ou qu’elle subira un préjudice ou sera lésée par ces procédures.
[27] En l’espèce, la juge Douglas demande à la Cour de rendre une ordonnance pour :
[traduction]
(1) déclarer que la conduite du comité d’enquête soulève une crainte raisonnable de partialité;
(2) annuler la décision du comité d’enquête datée du 27 juillet 2012 selon laquelle ses membres ont conclu qu’ils n’avaient pas à se récuser;
(3) interdire au comité d’enquête de poursuivre ses travaux et renvoyer les plaintes à l’égard de la juge Douglas au Conseil canadien de la magistrature (le « CCM »);
(4) accorder les dépens à la juge Douglas pour la demande, sur la base d’une indemnisation complète;
(5) accorder toute autre réparation que la Cour estime justifiée.
[28] Que ce soit dans ses observations écrites ou lors des plaidoiries, l’avocat de M. Chapman n’a jamais expliqué dans quelle mesure ces déclarations et injonctions pourraient porter atteinte aux droits de M. Chapman. La position de M. Chapman repose entièrement sur la conclusion du comité d’enquête [au paragraphe 27] selon laquelle M. Chapman avait [traduction] « un intérêt direct et important de nature exceptionnelle dans l’instance du [comité d’enquête] ». Selon M. Chapman, cet [traduction] « intérêt direct et important de nature exceptionnelle » justifie également qu’il obtienne le statut de défendeur pour la demande de contrôle judiciaire sous-jacente.
[29] Il y a une grande différence entre le fait d’avoir, dans une instance, un intérêt qui justifie un droit de participation limité — comparable au statut d’intervenant — et le fait d’être touché directement par l’ordonnance recherchée dans l’instance. Dans la décision Merck Frosst Canada Inc. c. Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social, [1997] A.C.F. no 155 (1re inst.) (QL), la Cour a décrit cette différence de la manière suivante (au paragraphe 12) :
[30] Comme je l’ai mentionné ci-dessus, le comité d’enquête a conclu explicitement que M. Chapman n’avait aucun droit légal qui serait touché par l’instance du comité, mais que, compte tenu des circonstances exceptionnelles, il avait néanmoins un intérêt qui justifiait un droit de participation limité.
[31] Cet intérêt consistait à veiller à ce que les principes d’équité procédurale et d’équité sur le fond soient respectés lors de la présentation et de l’appréciation des éléments de preuve relatifs à la crédibilité des allégations factuelles que M. Chapman avait faites au sujet de circonstances privées.
[32] Pour entendre et trancher la demande de contrôle judiciaire sous-jacente, la Cour n’aura pas à entendre ou à apprécier des éléments de preuve, ni à se prononcer à cet égard, au sujet de la crédibilité ou des conclusions qui doivent être tirées de tels éléments de preuve. Que ce soit pour entendre la demande ou pour rendre les ordonnances recherchées, la Cour ne tirera aucune conclusion au sujet de la crédibilité ou de la moralité de M. Chapman, ou qui pourrait entacher sa réputation. L’intérêt de M. Chapman à veiller à ce que sa version des faits soit présentée n’entre pas en jeu dans la demande sous-jacente.
[33] À l’audience que j’ai présidée, on a soutenu que, puisque le comité d’enquête avait accordé certains droits à M. Chapman pour son instance, le fait de rendre une ordonnance qui interdirait la poursuite de travaux ou y mettrait fin aurait pour effet d’éteindre ces droits, ce qui toucherait directement M. Chapman.
[34] Les droits conférés à M. Chapman par le comité d’enquête portaient uniquement sur les éléments de preuve qui allaient être présentés au comité d’enquête par les personnes ayant le statut de partie à part entière — c’est-à-dire l’avocat indépendant et l’avocate de la juge Douglas — et sur la manière dont ces éléments de preuve allaient être présentés et appréciés. Ainsi, tout droit qui avait été accordé à M. Chapman était conditionnel à ce que l’instance se déroule comme prévu. Jamais le droit substantiel d’exiger qu’une enquête soit tenue ou de choisir ceux qui la mèneraient n’a été accordé, ni implicitement ni explicitement, à M. Chapman.
[35] Comme l’a conclu le comité d’enquête, le processus d’enquête prévu au paragraphe 63(3) de la Loi sur les juges vise un objectif large : le maintien de la confiance du public dans l’administration de la justice. Il ne porte donc pas uniquement sur les seuls intérêts du plaignant. Une fois le processus en marche, les seuls intérêts en jeux sont l’intérêt public — représenté par l’avocat indépendant — et les droits du juge dont la conduite est visée par l’enquête — à qui l’article 64 de la Loi sur les juges accorde expressément le statut de partie. La loi ne donne pas au plaignant le droit, en sa qualité personnelle, de voir sa plainte trancher ou d’obtenir un résultat donné.
[36] À titre de plaignant, M. Chapman n’a aucun droit ou intérêt à l’égard de la question de savoir si les membres du comité d’enquête auraient dû se récuser ou si la poursuite de l’instance devrait être interdite. Le fait que M. Chapman ait joui de droits procéduraux dans l’instance du comité d’enquête ne signifie pas que ces droits procéduraux sont devenus des droits substantiels.
[37] Enfin, M. Chapman soutient que certains éléments de preuve présentés par la juge Douglas pour étayer sa demande de contrôle judiciaire sont utilisés dans le cadre de cette demande en violation de certaines décisions du comité d’enquête, d’une ordonnance de la Cour du Banc de la Reine du Manitoba et des droits que lui confère l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]]. Selon lui, cela signifie qu’il a un intérêt direct dans la demande sous-jacente.
[38] Je ne me prononcerai pas sur le bien-fondé de ces allégations. Toutefois, même si elles étaient bien fondées, elles ne justifieraient pas de désigner M. Chapman comme défendeur pour la demande de contrôle judiciaire sous-jacente.
[39] La Cour fédérale n’a pas compétence sur l’exécution des décisions du comité d’enquête ou des cours supérieures provinciales. Dans la mesure où la divulgation publique de ces éléments de preuve a pu porter atteinte aux droits procéduraux qui avaient été accordés à M. Chapman par le comité d’enquête, il reviendra au comité, si ses travaux reprennent, de décider s’il y a eu préjudice et de la manière d’y remédier. Si M. Chapman a subi un préjudice sur le fond, le recours approprié est de s’adresser à une cour de compétence générale.
[40] Bien que la décision du comité d’enquête selon laquelle certains éléments de preuve étaient irrecevables ait été mentionnée parmi les facteurs qui soulèvent une crainte raisonnable de partialité, la demande de contrôle judiciaire sous-jacente ne vise pas à obtenir une ordonnance qui annulerait cette décision ni une ordonnance déclarant ces éléments de preuve recevables pour l’instance du comité d’enquête. Par conséquent, les droits procéduraux dont M. Chapman jouit devant le comité d’enquête ne pourraient pas être touchés par l’ordonnance recherchée en l’espèce.
[41] Je conclus donc que M. Chapman n’est pas une personne directement touchée par les ordonnances recherchées en l’espèce. La requête de M. Chapman visant à ce qu’il soit désigné défendeur pour la demande de contrôle judiciaire sous-jacente est donc rejetée.
[42] Dans son avis de requête et son dossier de requête, M. Chapman demande aussi à la Cour d’ordonner la suspension ou l’annulation de la demande de contrôle judiciaire sous-jacente, et ce, pour absence de compétence et abus de procédure. Par une directive datée du 31 octobre 2012, j’ai décidé que cette partie de la requête ne serait pas instruite, à moins que M. Chapman soit désigné comme défendeur pour la demande sous-jacente. Compte tenu de ma conclusion au paragraphe précédent, cette partie de la requête de M. Chapman est rejetée pour absence de qualité pour agir.
[43] Les conclusions auxquelles j’en suis venue ne valent que pour l’argument de M. Chapman selon lequel il devrait être désigné comme défendeur en vertu du paragraphe 303(1) des Règles. Elles ne signifient pas que M. Chapman ne pourrait pas, peu importe sur quel fondement, obtenir le statut d’intervenant en vertu de la règle 109 des Règles. Ni le dossier de requête de M. Chapman ni les observations que l’avocat de ce dernier m’a présentées ne sollicitent une telle ordonnance ou ne traitent des questions qui doivent être examinées en application des alinéas 109(2)b) et 109(3)b) des Règles.
La requête du procureur général
[44] Dans sa requête, le procureur général demande d’être remplacé comme défendeur pour la demande de contrôle judiciaire sous-jacente. Cette requête est principalement fondée sur le paragraphe 303(3) des Règles, qui sera abordé de manière plus approfondie ci-dessous. La requête mentionne aussi la règle 104 des Règles, une disposition qui permet à la Cour d’ordonner qu’une personne constituée erronément comme partie ou une partie dont la présence n’est pas nécessaire au règlement des questions en litige soit mise hors de cause. Le procureur général invoque seulement la règle 104 à titre subsidiaire, si la Cour concluait que M. Chapman doit être désigné comme défendeur parce qu’il est une personne directement touchée par l’ordonnance recherchée. Puisque j’ai conclu que M. Chapman ne doit pas être désigné comme défendeur, le paragraphe 303(3) des Règles est le seul fondement sur lequel la requête du procureur général doit être examinée et tranchée.
[45] Il convient de commencer l’analyse du paragraphe 303(3) des Règles en examinant son contexte.
[46] La présente instance porte sur une demande de contrôle judiciaire déposée en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales [L.R.C. (1985), ch. F-7]. La partie des Règles qui débute par la règle 300 encadre la manière dont les demandes sont traitées en général, y compris les demandes de contrôle judiciaire. La règle 303 énumère les personnes qui doivent être désignées comme défendeurs.
[47] Les défendeurs peuvent participer pleinement, à titre de parties, à l’instruction des demandes, mais ils ne sont pas tenus de le faire. Ils peuvent choisir de ne pas participer du tout ou de seulement traiter de certains points en litige dans l’instance. De plus, leur participation ne se limite pas à contester la demande, car ils peuvent aussi appuyer la demande ou y consentir, en tout ou en partie.
[48] Par ailleurs, la participation à une demande n’est pas réservée aux personnes désignées comme défendeurs. Les personnes qui n’ont pas droit au statut de défendeur, mais qui ont un intérêt reconnu dans l’instance ou qui démontrent que leur participation aidera la Cour à trancher la demande peuvent demander et obtenir le statut d’intervenant. De plus, le pouvoir de la Cour d’accorder le statut d’intervenant aux tiers et de leur permettre d’intervenir démontre encore que l’on ne s’attend pas à ce que les parties aient toujours la volonté ou la capacité de s’opposer à tous les volets d’une demande.
[49] Il serait donc erroné d’interpréter ou d’appliquer la règle 303 des Règles de manière à limiter le rôle du défendeur à la seule opposition à la demande. Cette disposition énumère simplement les personnes qui, à titre de défendeurs, ont automatiquement les pleins droits de décider la mesure dans laquelle ils participeront à l’instruction de la demande et la forme que prendra cette participation.
[50] La règle 303 des Règles est libellé de la sorte :
303. (1) Sous réserve du paragraphe (2), le demandeur désigne à titre de défendeur : a) toute personne directement touchée par l’ordonnance recherchée, autre que l’office fédéral visé par la demande; b) toute autre personne qui doit être désignée à titre de partie aux termes de la loi fédérale ou de ses textes d’application qui prévoient ou autorisent la présentation de la demande. |
Défendeurs |
(2) Dans une demande de contrôle judiciaire, si aucun défendeur n’est désigné en application du paragraphe (1), le demandeur désigne le procureur général du Canada à ce titre. |
Défendeurs — demande de contrôle judiciaire |
(3) La Cour peut, sur requête du procureur général du Canada, si elle est convaincue que celui-ci est incapable d’agir à titre de défendeur ou n’est pas disposé à le faire après avoir été ainsi désigné conformément au paragraphe (2), désigner en remplacement une autre personne ou entité, y compris l’office fédéral visé par la demande. |
Remplaçant du procureur général |
[51] Le paragraphe 303(1) exige que le demandeur désigne à titre de défendeur toute personne directement touchée par l’ordonnance recherchée. Lorsque l’instance porte sur une demande de contrôle judiciaire, cette disposition s’applique habituellement lorsque la décision contestée a déterminé ou touché les droits légaux d’une autre personne. Dans un tel cas, les droits du défendeur entreront habituellement en conflit avec ceux du demandeur — le défendeur pourra donc aider la Cour en apportant un point de vue contraire à celui du demandeur. Puisque le contrôle judiciaire fait intervenir le pouvoir de surveillance de la Cour à l’égard des organismes publics, la règle 304 des Règles exige que le demandeur signifie son avis de demande de contrôle judiciaire au procureur général. Cela permet au procureur général de décider s’il est nécessaire ou approprié de demander le statut d’intervenant, malgré que l’on puisse s’attendre à ce que, dans une procédure contradictoire, la partie défenderesse s’oppose à la demande.
[52] Ce ne sont pas toutes les décisions des offices fédéraux qui portent sur les droits opposés d’au moins deux personnes. Souvent, la décision et le contrôle judiciaire subséquent touchent seulement les droits légaux d’une personne. D’ailleurs, à l’exception de M. Chapman — dont la requête a été rejetée — aucune des parties ou des personnes qui ont obtenu le statut d’intervenant pour la requête en cause n’ont laissé entendre qu’en l’espèce, il y a une personne qui est touchée directement par l’ordonnance recherchée ou qui doit être désignée à titre de défendeur en raison du paragraphe 303(1) des Règles.
[53] Le paragraphe 303(2) des Règles, qui s’applique seulement aux demandes de contrôle judiciaire, prévoit que dans un tel cas, le procureur général doit être désigné comme défendeur. Cela permet, sans l’obliger, au procureur général de jouer son rôle de protecteur de l’intérêt public et de la primauté du droit en contestant la demande ou en présentant les observations qu’il juge appropriées, et ce, sans devoir obtenir l’autorisation d’intervenir dans l’instance (voir Sutcliffe v. Ontario (Minister of the Environment), 2004 CanLII 66285, 69 R.J.O. (3e) 257 (C.A.), aux paragraphes 17 et 18).
[54] Comme je l’ai déjà mentionné, le rôle du défendeur n’est pas limité à une simple opposition à la demande. La partie défenderesse a le droit de décider dans quelle mesure et à quelles fins elle participera à l’instance. Dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, on s’attend à ce que le procureur général — à titre de défendeur désigné par défaut en application du paragraphe 303(2) des Règles — exerce ce droit conformément à l’intérêt public.
[55] Lorsqu’il agit à titre de défendeur, le rôle fondamental du procureur général est d’aider la Cour à rendre une décision conforme au droit. Il n’est pas rare que le procureur général s’abstienne de présenter des observations sur certains volets de l’affaire, qu’il appuie la demande de réparation du demandeur — pour les mêmes raisons ou pour des raisons différentes — ou encore qu’il ne prenne position sur aucune des questions soulevées (voir Hoechst Marion Roussel Canada c. Canada (Procureur général), 2001 CFPI 795, [2002] 1 C.F. 76, aux paragraphes 67 et 69). Ainsi, le paragraphe 303(2) des Règles ne prévoit pas comment le procureur général doit agir à titre de défendeur, mais seulement qu’il ait l’occasion d’agir à ce titre.
[56] Le paragraphe 303(3) des Règles prévoit essentiellement que le procureur général peut, sur requête et dans certaines circonstances, demander à la Cour de désigner une autre personne ou entité pour le remplacer comme défendeur. Je ne connais aucune affaire où le procureur général a invoqué le paragraphe 303(3) des Règles et les parties et intervenants n’en ont pas trouvé. Dans sa requête, le procureur général soutient qu’il est incapable d’agir comme défendeur, tel que défini ci-dessus, relativement à la demande de contrôle judiciaire sous-jacente. En termes clairs, le procureur général ne soutient pas qu’il n’est pas disposé à agir comme défendeur, mais qu’à cause de la nature des procédures qui ont mené à la demande sous-jacente, il est incapable, en droit, de participer à titre de défendeur.
[57] Le procureur général a exposé en détail les fondements de sa position dans son dossier de requête, que j’analyserai ci-dessous. Cependant, une question préliminaire a été soulevée à l’audience que j’ai présidée : le procureur général a soutenu que, pour sa requête, le rôle de la Cour n’est pas de décider s’il est bel et bien incapable d’agir comme défendeur pour la demande sous‑jacente. Selon lui, le paragraphe 303(3) des Règles exige seulement qu’il soulève un motif raisonnable pour justifier sa conclusion selon laquelle il est incapable d’agir comme défendeur. Ainsi, la Cour devrait faire preuve d’une grande déférence envers la conclusion du procureur général et passer immédiatement à la question de savoir si une autre personne devrait être désignée comme défendeur en remplacement du procureur général.
[58] Cette interprétation du paragraphe 303(3) n’est aucunement étayée par le libellé de la disposition ou par la loi en général. Le paragraphe 303(3) confère à la Cour le pouvoir discrétionnaire, sur requête du procureur général, de désigner par ordonnance un défendeur pour remplacer le procureur général « si elle est convaincue que celui-ci est incapable » [non souligné dans l’original.] d’agir à titre de défendeur. Selon le sens ordinaire du libellé de cette disposition, c’est la Cour, et non le procureur général, qui doit être convaincue que ce dernier est bel et bien incapable d’agir à titre de défendeur. Si les rédacteurs des Règles avaient voulu que le critère applicable au pouvoir discrétionnaire de la Cour soit la conclusion du procureur général ou l’existence de motifs raisonnables qui portent le procureur général à conclure qu’il est incapable d’agir comme défendeur, ils auraient aisément pu rédiger le paragraphe 303(3) en conséquence. À mon avis, il pourrait y avoir lieu de faire preuve de déférence à l’égard de la conclusion du procureur général lorsque celui-ci fonde sa requête sur le fait qu’il n’est pas disposé à agir à titre de défendeur, mais je n’ai pas à régler cette question pour trancher la requête du procureur général.
[59] Bref, dans le contexte de cette demande de contrôle judiciaire, la règle 303 des Règles s’applique conformément à l’analyse suivante : comme aucune personne n’était directement touchée par l’ordonnance recherchée ou ne devait être désignée à titre de défendeur en application du paragraphe 303(1), le procureur général a été désigné défendeur à bon droit, en application du paragraphe 303(2). Le paragraphe 303(2) exige que le procureur général soit désigné comme défendeur par défaut, afin de lui permettre de jouer son rôle de protecteur de la primauté du droit. Toutefois, ce rôle ne force pas le procureur général à s’opposer à la demande — il peut l’appuyer ou limiter sa participation à la présentation d’observations qui aideront la Cour à rendre une décision conforme au droit. La Cour peut, sur requête du procureur général, se demander si une autre personne devrait être désignée comme défendeur en remplacement de celui-ci, à condition que le procureur général convainque la Cour qu’il est incapable d’agir à ce titre.
[60] Avant d’examiner les raisons pour lesquelles le procureur général estime être incapable d’agir en l’espèce, il faut comprendre le rôle traditionnel et le mandat du procureur général.
[61] Le passage pertinent de l’article 5 de la Loi sur le ministère de la Justice, L.R.C. (1985), ch. J-2, est ainsi rédigé :
5. Les attributions du procureur général du Canada sont les suivantes : a) il est investi des pouvoirs et fonctions afférents de par la loi ou l’usage à la charge de procureur général d’Angleterre, en tant que ces pouvoirs et ces fonctions s’appliquent au Canada, ainsi que de ceux qui, en vertu des lois des diverses provinces, ressortissaient à la charge de procureur général de chaque province jusqu’à l’entrée en vigueur de la Loi constitutionnelle de 1867, dans la mesure où celle-ci prévoit que l’application et la mise en oeuvre de ces lois provinciales relèvent du gouvernement fédéral; […] d) il est chargé des intérêts de la Couronne et des ministères dans tout litige où ils sont parties et portant sur des matières de compétence fédérale; |
Attributions |
[62] Dans la décision Canada (Procureur général) c. Canada (Commissaire à l’information), 2002 CFPI 128, [2002] 3 C.F. 630, la Cour s’est prononcée de la sorte sur le rôle et la qualité pour agir à titre de demandeur du procureur général dans les instances de contrôle judiciaire (aux paragraphes 48 à 50) :
[traduction] Il est presque impossible de définir exactement les limites de l’intérêt public. L’examen d’un grand nombre d’ouvrages et d’arrêts indique la vaste gamme de cas dans lesquels les tribunaux ont reconnu que l’intérêt public était en cause, mais les tribunaux se sont abstenus, probablement délibérément, de préciser quelles étaient les limites. Toutefois, à coup sûr, toute atteinte aux droits du public (par exemple, en ce qui concerne la voie publique), l’omission des organismes publics d’exercer les fonctions qui leur incombent au profit du public ou l’exercice non satisfaisant par les organismes publics de leurs fonctions au profit du public, les abus de pouvoir et les actes illégaux d’une nature publique seront considérés comme soulevant des questions d’intérêt public.
La Cour d’appel anglaise a également fait les remarques suivantes [Attorney General v. Blake, [1997] E.W.J. no 1320 (C.A.) (QL), au paragraphe 46] :
[traduction] En présentant […] une demande de réparation en droit public, le procureur exerce une fonction différente. Il n’est pas simplement un demandeur nominal approprié représentant la Couronne. Il demande réparation dans l’exercice de la fonction de protecteur de l’intérêt public qui lui a toujours été reconnue. Cela lui confère un statut spécial devant les tribunaux. Il a un rôle particulier et une responsabilité particulière. Son rôle s’étend bien au‑delà du domaine du droit criminel et englobe notamment l’outrage au tribunal, les œuvres de bienfaisance et les enquêtes des coroners. Ses pouvoirs sont dans certains cas d’origine législative. Toutefois, en ce qui concerne d’autres fonctions, le rôle qui lui incombe fait partie intrinsèque de son ancienne charge. C’est le pouvoir intrinsèque découlant de sa charge qui permet au procureur d’engager lui-même des poursuites ex officio ou de consentir à ce que son nom soit employé […]
Dans toutes les demandes de contrôle judiciaire où le procureur général agit comme demandeur, les réparations visent à empêcher [voir De Smith, supra, à la page 147] :
[traduction] […] l’exercice non satisfaisant par les organismes publics de leurs fonctions au profit du public, les abus de pouvoir et les actes illégaux d’une nature publique […] [Non souligné dans l’original.]
[63] Dans une instance de contrôle judiciaire, lorsque la Cour exerce son pouvoir de contrôle à l’égard de « l’exercice […] par les organismes publics de leurs fonctions au profit du public », ce rôle justifie la qualité du procureur général pour présenter une demande visant à remédier à ce qu’il estime être des actes illégaux ou l’exercice insatisfaisant de leurs fonctions par des organismes publics. Cela justifie aussi la qualité pour agir et le rôle du procureur général à titre de défendeur ou d’intervenant dans les instances de contrôle judiciaire où d’autres personnes contestent la manière dont des organismes publics ont exercé leurs fonctions.
[64] Le rôle du procureur général dans les instances de contrôle judiciaire est important, mais délicat. Comme l’a souligné la Cour d’appel fédérale au paragraphe 51 de l’arrêt Cosgrove c. Conseil canadien de la magistrature, 2007 CAF 103, [2007] 4 R.C.F. 714, « Les procureurs généraux sont, de par la Constitution, tenus d’exercer leur pouvoir discrétionnaire de bonne foi, objectivement, impartialement, et d’une manière conforme à l’intérêt public. Les procureurs généraux ont droit à l’avantage d’une présomption réfutable selon laquelle ils rempliront cette obligation. »
[65] Il est bien établi en droit que le tribunal dont la décision est contestée par voie de contrôle judiciaire ne doit pas donner l’impression de défendre le bien-fondé de sa décision. Comme l’a expliqué la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Northwestern Utilities Ltd. et autre c. Ville d’Edmonton, [1979] 1 R.C.S. 684, à la page 709 :
Une participation aussi active ne peut que jeter le discrédit sur l’impartialité d’un tribunal administratif lorsque l’affaire lui est renvoyée ou lorsqu’il est saisi d’autres procédures concernant des intérêts et des questions semblables ou impliquant les mêmes parties. La Commission a tout le loisir de s’expliquer dans ses motifs de jugement et elle a enfreint de façon inacceptable la réserve dont elle aurait dû faire preuve lorsqu’elle a participé aux procédures comme partie à part entière, en opposition directe à une partie au litige dont elle avait eu à connaître en première instance.
[66] La participation du procureur général à titre de défendeur par défaut à la demande de contrôle judiciaire, en application du paragraphe 303(2) des Règles, rend possible la présence d’une partie qui présentera un point de vue contraire à celui du demandeur et qui peut défendre la décision de l’office.
[67] Toutefois, puisque le procureur général est aussi le protecteur de l’intérêt public et qu’il a le devoir de défendre la suprématie du droit, il peut y avoir des limites à l’énergie dont il devrait faire preuve lorsqu’il défend le bien‑fondé de la décision de l’organisme.
[68] La décision Samatar c. Canada (Procureur général), 2012 CF 1263, portait sur une décision de la Commission de la fonction publique du Canada. Le procureur général avait été désigné comme seul défendeur, en application du paragraphe 303(2) des Règles. La Cour a exprimé les préoccupations suivantes (aux paragraphes 37, 38, 43 et 44) :
Or, il est généralement acquis qu’il n’appartient pas à un tribunal dont la décision est contestée, qu’il s’agisse d’un appel ou d’un contrôle judiciaire, de venir défendre sa conduite, ainsi que le mérite de sa décision. Comme il est si bien dit dans l’arrêt Northwestern Utilities Ltd c Edmonton (Ville), [1979] 1 RCS 684, au paragraphe 39 : « Accorder au tribunal administratif la possibilité de défendre sa conduite et en fait de se justifier donnerait lieu à un spectacle auquel nos traditions judiciaires ne nous ont pas habitués. »
[…]
À mon avis, lorsque le défendeur accepte d’agir au nom de la Commission, en l’absence d’une autre partie venant soutenir la légalité de la décision contestée, son intervention devrait tendre à celle d’un amicus curiae, même s’il possède plus de latitude qu’un amicus curiae. Après tout, le défendeur représente l’intérêt public. Cela dit, le défendeur devrait d’abord et avant tout éclairer la Cour, d’une façon objective et complète, sur les faits mentionnés dans la décision contestée et sur le raisonnement de la Commission, sans aller chercher des justifications qui ne sont pas fournies par la Commission elle-même dans la décision contestée — ce qui inclut bien entendu les motifs que l’on retrouve dans le rapport d’enquête que la Commission a pu entériner.
Bref, il n’y a aucun problème tant que le défendeur explique la décision contestée et fournit un éclairage objectif sur la compétence de la Commission et les pouvoirs qui lui sont dévolus en vertu de la loi. Je reconnais que cela peut être difficile dans certains dossiers. [Non souligné dans l’original.]
[69] La présomption selon laquelle le procureur général agit de bonne foi lorsqu’il joue son rôle de protecteur de l’intérêt public et exerce sa fonction spéciale par rapport aux tribunaux a permis à ces derniers de s’attendre à ce que le procureur général remplisse honnêtement son mandat, et ce, même dans les cas où il avait comparu devant l’office fédéral en cause (voir Chrétien c. Canada (Procureur général), 2005 CF 591, aux paragraphes 29, 30, 31 et 36).
[70] L’indépendance par rapport au gouvernement que le procureur général tire de son statut spécial — à titre de premier conseiller juridique de la Couronne — est telle que la Cour d’appel de l’Ontario a souligné l’existence d’un courant de pensée selon lequel le procureur général pourrait même intenter une action contre l’un de ses collègues du cabinet s’il était d’avis que la mesure envisagée par ce ministre était contraire à la loi (voir Sutcliffe, précité).
[71] Le rôle spécial et les obligations du procureur général — en sa qualité de défendeur dans une demande de contrôle judiciaire — étant expliqués, je me penche maintenant sur les observations présentées par le procureur général pour expliquer pourquoi, en l’espèce, il est incapable d’agir à ce titre.
[72] Le procureur général note qu’en application de la Loi sur le ministère de la Justice, L.R.C. (1985), ch. J-2 [précitée], les fonctions de ministre de la Justice et de procureur général sont exercées par la même personne. Selon lui, lorsque le législateur a établi le cadre régissant le processus d’enquête disciplinaire prévu par la Loi sur les juges, il voulait que le ministre de la Justice — et donc le procureur général — reste à l’écart du processus d’enquête, sauf pour les exceptions prévues expressément dans cette loi. Le procureur général soutient que cette séparation est essentielle pour protéger l’indépendance du pouvoir judiciaire et pour éviter de donner la moindre impression que le procureur général a préjugé de l’issue du processus lorsqu’il reçoit la recommandation du CCM sur la révocation d’un juge et qu’il agit à l’égard de cette recommandation.
[73] L’inamovibilité — c’est-à-dire la garantie qu’un juge ne sera pas révoqué au gré du gouvernement et que ce dernier n’exercera pas de pressions politiques indues sur la magistrature — est l’une des caractéristiques essentielles de l’indépendance du pouvoir judiciaire.
[74] L’article 99 de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5]] prévoit que les juges restent en fonction « durant bonne conduite » et peuvent seulement être révoqués « par le gouverneur général sur une adresse du Sénat et de la Chambre des Communes ». Toutefois, la Loi constitutionnelle de 1867 ne fournit aucune indication sur le mécanisme permettant de décider si la conduite d’un juge justifie sa révocation. Bien qu’il soit généralement admis que le ministre de la Justice doit présenter la question aux deux Chambres du Parlement et que le processus d’enquête sur le comportement du juge doit être équitable, jusqu’en 1971, les modalités précises de telles enquêtes étaient fixées au cas par cas (Cosgrove, précité, au paragraphe 44).
[75] Après l’affaire impliquant le juge Léo-A. Landreville — survenue à la fin des années 1960 — où le processus de révocation avait été particulièrement problématique, le législateur a modifié la Loi sur les juges afin de créer le CCM, de lui donner le pouvoir d’enquêter sur les plaintes et les allégations de mauvaise conduite visant des juges et de faire part de ses conclusions et de ses recommandations au ministre.
[76] Le procureur général se fonde sur cet historique et sur les commentaires faits à la Chambre des communes par le ministre de la Justice de l’époque — selon lesquels les modifications législatives garantiraient la séparation des pouvoirs et protégeraient les juges des pressions du procureur général — pour conclure que le législateur voulait expressément exclure le procureur général et le ministre de la Justice de tous les aspects du processus d’enquête et ainsi confier au CCM l’entière responsabilité du déroulement et de l’équité du processus. Le procureur général va encore plus loin, laissant entendre que le CCM est dès lors devenu l’unique défenseur de l’intégrité et de l’équité du processus, ce qui n’aurait laissé aucun rôle au procureur général, même lorsque l’intégrité ou l’équité du processus sont contestées par voie de contrôle judiciaire.
[77] Le procureur général soutient aussi que son exclusion du processus est nécessaire pour protéger l’apparence de son impartialité à titre de ministre de la Justice, car il devra éventuellement recevoir le rapport du CCM et décider, sur ce fondement, s’il y a lieu de présenter la question de la révocation du juge en cause aux deux Chambres du Parlement.
[78] Ni le cadre établi par la Loi sur les juges pour le processus disciplinaire du CCM ni les principes constitutionnels applicables ne permettent de conclure que le législateur voulait que la non-participation du procureur général atteigne un degré aussi extraordinaire, ou que cela est nécessaire pour respecter la séparation des pouvoirs ou le principe de l’indépendance judiciaire.
[79] Il est vrai que la Loi sur les juges ne donne aucun rôle au procureur général ou au ministre de la Justice dans le fonctionnement quotidien des travaux du comité d’enquête ou dans les délibérations du CCM après la réception du rapport du comité d’enquête. De plus, la Loi sur les juges permet au CCM de prendre des règlements administratifs sur la procédure relative aux enquêtes.
[80] Toutefois, l’article 63 de la Loi sur les juges montre très clairement que le législateur n’avait pas l’intention de déléguer au CCM toutes les questions liées au processus disciplinaire s’appliquant à la magistrature ou de faire du CCM l’unique protecteur de l’intérêt public à cet égard. Le CCM a le pouvoir discrétionnaire de faire enquête sur les allégations et les plaintes du public, mais le législateur a donné au ministre de la Justice le pouvoir d’ordonner au CCM de faire enquête sur les cas de révocation au sein de la magistrature (paragraphe 63(1)). Le ministre de la Justice peut aussi nommer des avocats au sein du comité d’enquête (paragraphe 63(3)) et ordonner qu’une enquête soit publique (paragraphe 63(6)).
[81] Dans l’arrêt Cosgrove, précité, la Cour d’appel fédérale a reconnu que l’usage abusif de ces droits pourrait bel et bien servir à « nuire au juge » et que cela pourrait susciter une croyance subjective que ces dispositions violent le principe de l’indépendance judiciaire. Toutefois, la Cour d’appel fédérale a conclu que le rôle constitutionnel des procureurs généraux, la présomption que le procureur général respectera ses obligations constitutionnelles et les autres protections et garanties prévues dans le cadre de la procédure doivent éclairer une analyse objective qui mène à conclure à la constitutionnalité de ces dispositions.
[82] Le fait que le législateur a conféré au ministre des pouvoirs considérables d’intervention quant au déclenchement d’enquêtes mine fondamentalement la thèse du procureur général selon laquelle le législateur voulait que le ministre — et donc le procureur général — reste à l’écart du processus disciplinaire et n’y participe pas. En outre, la conclusion de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Cosgrove, précité, c’est-à-dire que le pouvoir du ministre d’ordonner au CCM de faire enquête sur un juge particulier ne viole pas le principe de l’indépendance judiciaire ou la séparation des pouvoirs, réfute la conclusion voulant que, logiquement, ces mêmes principes constitutionnels empêchent toute participation du procureur général aux instances de contrôle judiciaire ayant trait à la légalité du processus d’enquête.
[83] L’argument du procureur général voulant que la séparation des pouvoirs exige qu’il n’intervienne absolument pas dans le déroulement de l’enquête semble aussi reposer sur une interprétation selon laquelle le processus disciplinaire prévu par la Loi sur les juges constitue un transfert, par le Parlement au CCM, du droit exclusif de mener des enquêtes et d’assurer l’équité de ces processus. De ce point de vue, lorsque le ministre présente la question de la révocation d’un juge au Parlement, son rôle constitutionnel serait limité à examiner le rapport et les conclusions du CCM afin de décider s’il y a lieu de renvoyer la question au Parlement. Cela augmenterait donc l’importance de la non-participation du procureur général dans le processus d’enquête, car il devrait éviter de donner l’impression d’avoir préjugé de l’affaire.
[84] Cet argument ne résiste pas à l’examen. Le législateur a bel et bien donné au CCM le pouvoir d’enquêter sur les plaintes et les allégations faites à l’égard des juges, y compris celles qui sont assez graves pour justifier la révocation de ces derniers. Cependant, comme le montre clairement l’article 71 de la Loi sur les juges, pour ce qui est de la révocation des juges, ni la création du processus d’enquête du CCM ni l’exercice par ce dernier de son pouvoir ne diminuent, n’annulent ou ne limitent les attributions constitutionnelles du ministre de la Justice ou des deux Chambres du Parlement. Par conséquent, comme l’enseigne l’arrêt Cosgrove, le ministre de la Justice peut renvoyer la question de la révocation d’un juge au Sénat et à la Chambre des communes, peu importe qu’une enquête ait été menée en vertu de la Loi sur les juges et, le cas échéant, peu importe les recommandations du CCM (au paragraphe 49) :
Je m’arrête un instant ici pour souligner que le pouvoir du gouverneur général de démettre un juge de ses fonctions à la requête conjointe du Sénat et de la Chambre des communes ne dépend nullement de ce qui est fait ou de ce qui n’est pas fait selon la partie II de la Loi sur les juges. L’article 71 de la Loi sur les juges est clair sur ce point. Cela signifie, selon moi, qu’il est théoriquement possible pour un juge d’être destitué même si la procédure d’enquête prévue par la partie II de la Loi sur les juges n’est jamais engagée. En pratique cependant, et compte tenu en particulier des enseignements de l’affaire Landreville, il me semble improbable que le législateur puisse être conduit à recommander la destitution d’un juge sans pouvoir invoquer le solide fondement qui est susceptible d’être obtenu par une enquête menée en vertu de la partie II de la Loi sur les juges, ou son équivalent fonctionnel.
[85] Dans le passage ci-dessus, la Cour d’appel fédérale a reconnu qu’il semble peu probable que le ministre renvoie une telle question au Parlement « sans pouvoir invoquer le solide fondement qui est susceptible d’être obtenu par une enquête menée en vertu de la partie II de la Loi sur les juges », mais elle note aussi que le ministre pourrait juger approprié de se fonder sur l’« équivalent fonctionnel » d’une enquête menée en vertu de la Loi sur les juges, par exemple une enquête menée en vertu de la Loi sur les enquêtes, L.R.C. (1985), ch. I-11.
[86] Lorsqu’il a établi le processus d’enquête prévu à la Loi sur les juges, le législateur n’a pas créé d’organisme ou de processus spéciaux qui seraient à l’abri du contrôle judiciaire. Lorsque la question de savoir si un comité d’enquête a exercé correctement les fonctions que lui a confiées le législateur est soulevée dans une instance de contrôle judiciaire, la suprématie du droit est en jeu et l’intérêt public est mis en cause. À titre de protecteur de la suprématie du droit, le procureur général a le rôle de veiller à ce que les organismes publics — par exemple, le comité d’enquête – exercent leurs fonctions conformément à la loi et que, lorsque tel est le cas, leurs décisions soient respectées. Ainsi, l’intérêt public exige que le procureur général se demande et décide s’il doit intervenir et, le cas échéant, dans quelle mesure son intervention dans la procédure de contrôle judiciaire est nécessaire et appropriée pour aider la Cour à rendre une décision conforme au droit.
[87] Le fait que les résultats des travaux du comité d’enquête soient destinés à être présentés au ministre et à être examinés par ce dernier n’est pas incompatible avec ce rôle et ne le restreint pas. D’ailleurs, pour que le ministre puisse remplir son rôle constitutionnel de décider s’il y a lieu de renvoyer la question de la révocation d’un juge aux deux Chambres du Parlement en se fondant sur « le solide fondement » qui est susceptible d’être obtenu par une enquête menée en vertu de la Loi sur les juges, cette enquête doit être menée conformément à cette loi et aux règles d’équité procédurale. Lorsque l’intégrité et l’équité de ce processus sont mises en cause, l’intérêt public et celui du ministre exigent que le procureur général puisse défendre, s’il le juge opportun, la légalité des processus et des décisions du comité d’enquête et qu’il puisse présenter toute observation qui pourrait aider la Cour à trancher les questions en litige conformément au droit. En principe, il n’y a ni conflit ni incompatibilité entre l’exercice par le ministre de son rôle constitutionnel et la participation du procureur général à la procédure de contrôle judiciaire.
[88] Il est vrai que la demande sous-jacente porte sur la question de savoir si le déroulement de l’enquête soulève effectivement une crainte raisonnable de partialité et que le procureur général peut devoir faire preuve de prudence en participant sur ce point, mais je ne vois pas en quoi le procureur général serait incapable de remplir son rôle de défendeur de façon appropriée en l’espèce.
[89] En outre, il semble que pour trancher la demande sous-jacente, la Cour pourrait devoir se pencher sur les rôles respectifs de l’avocat indépendant et de l’avocat du comité, sur la relation entre l’avocat indépendant et le CCM ainsi que sur la partialité institutionnelle qui découle prétendument de cette relation. Il s’agit là de questions de droit qui ont trait à la structure et au fonctionnement du comité d’enquête. Il n’y a aucune raison pour laquelle le procureur général serait incapable de se prononcer sur ces questions à titre de défendeur, si telle était sa volonté, ou encore de choisir quand et de quelle manière y répondre.
[90] Par conséquent, je ne suis pas convaincue que le procureur général est incapable d’agir comme défendeur dans la demande sous-jacente.
[91] Pour la requête du procureur général, le CCM et l’avocat indépendant avaient le statut d’intervenant afin de pouvoir répondre à l’argument du procureur général voulant que l’un ou l’autre pourrait être désigné comme défendeur si la requête du procureur général visant à être remplacé comme défendeur était accueillie. La juge Douglas et le procureur général ont aussi présenté des observations sur la question de savoir qui, du procureur général, du CCM ou de l’avocat indépendant, serait le défendeur le plus approprié ou le mieux à même d’agir à ce titre. Je remercie tous les avocats pour leurs observations judicieuses et utiles sur ce sujet. Cependant, puisque j’ai conclu que le procureur général n’est pas incapable d’agir comme défendeur pour la demande sous-jacente, il n’y a aucun fondement qui permettrait à la Cour d’exercer son pouvoir discrétionnaire de désigner une autre personne ou entité pour le remplacer à titre de défendeur. Je n’ai donc pas à me pencher ou à me prononcer sur cette question.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE que :
1. La requête d’Alexander Chapman et la requête du procureur général sont rejetées.
2. Puisque ni les parties ni les intervenants n’ont réclamé les dépens à l’égard de la requête du procureur général, aucuns dépens ne sont accordés à cet égard.
3. La juge Douglas et M. Chapman ont 10 jours, à compter de la date de l’ordonnance, pour présenter des observations sur la question de savoir si M. Chapman devrait être condamné aux dépens en faveur de la juge Douglas pour la requête de M. Chapman, conformément au point médian de la colonne III du tarif [B des Règles des Cours fédérales].
[1] Avis de demande de M. Chapman pour statut d’intervenant et paiement d’avocat, déposé devant le comité d’enquête, pièce I de l’affidavit de Diane Zimmerman.
[2] Décision du Comité d’enquête au sujet de l’honorable Lori Douglas concernant la demande d’Alex Chapman pour statut d’intervenant et paiement d’avocat, juillet 2012, pièce D de l’affidavit de Dushahi Sribavan.
[3] La décision d’accorder un droit de participation limité à M. Chapman était aussi fondée sur des questions en suspens quant au privilège du secret professionnel de l’avocat que ce dernier avait invoqué et à la mesure dans laquelle il avait renoncé à ce privilège.