[2014] 1 R.C.F. 379
A-188-11
2012 CAF 207
Sa Majesté la Reine (appelante)
c.
Peter Sommerer (intimé)
Répertorié : Sommerer c. Canada
Cour d’appel fédérale, juge en chef Blais, juges Létourneau et Sharlow, J.C.A.—Ottawa, 9 mai et 13 juillet 2012.
Impôt sur le revenu — Calcul du revenu — Gains et pertes en capital — Fiducies — Appel d’une décision de la Cour canadienne de l’impôt d’accueillir l’appel interjeté par l’intimé à l’égard des nouvelles cotisations dans lesquelles avait été incluse la partie imposable des gains en capital réalisés par une fondation privée à la suite de la vente d’actions que cette fondation avait achetées à l’intimé — L’intimé est bénéficiaire de la fondation créée sous le régime d’une loi de l’Autriche — L’appelante a fait valoir que l’art. 75(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu s’appliquait parce qu’il était possible que les actions, ou les biens qui leur étaient substitués, puissent un jour être distribués à l’intimé en tant que bénéficiaire — Le législateur ne pouvait vouloir que le même gain en capital soit imputé simultanément à plus d’une personne — Rien à l’art. 75(2) ne prévoit une telle situation — On ne peut éviter cette double application de l’art. 75(2) en procédant à une application discrétionnaire de l’art. 75(2) — L’art. 75(2) ne s’applique pas au bénéficiaire d’une fiducie qui transfère des biens à la fiducie au moyen d’une véritable vente — Appel rejeté.
Impôt sur le revenu — Non-résidents — Fondations privées — La Cour canadienne de l’impôt a accueilli un appel interjeté à l’égard de nouvelles cotisations, dans lesquelles avait été incluse la partie imposable des gains en capital réalisés par une fondation privée — Le par. 5 de l’art. XIII de la Convention entre le Canada et la République d’Autriche, tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune (la Convention) empêchait le Canada d’imposer entre les mains de l’intimé tout gain réalisé par la fondation — La Convention ne doit pas être interprétée sur le fondement d’un principe qui écarte l’idée que la Convention vise à éviter la double imposition économique.
Il s’agissait d’un appel d’une décision de la Cour canadienne de l’impôt (C.C.I.) d’accueillir l’appel interjeté par l’intimé à l’égard des nouvelles cotisations, établies en vertu du paragraphe 75(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu, dans lesquelles avait été incluse la partie imposable des gains en capital réalisés par une fondation privée à la suite de la vente d’actions que cette fondation avait achetées à l’intimé.
La C.C.I. a conclu que le paragraphe 75(2) ne s’appliquait pas aux faits de l’affaire et que, même s’il s’appliquait, le paragraphe 5 de l’article XIII de la Convention entre le Canada et la République d’Autriche, tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune (Convention Canada-Autriche en matière d’impôt sur le revenu) empêchait le Canada d’imposer entre les mains de l’intimé tout gain réalisé par la fondation privée autrichienne.
La fondation a été créée par le père de l’intimé sous le régime d’une loi de la République d’Autriche dans le but de promouvoir les intérêts des personnes désignées dans la déclaration supplémentaire à l’aide du revenu généré par les fonds de la fondation. Aux termes de cette déclaration supplémentaire, l’intimé a été désigné comme l’un des bénéficiaires ultimes de la fondation. Les personnes désignées dans la déclaration supplémentaire en tant que bénéficiaires ou bénéficiaires ultimes ont le droit de recevoir des biens distribués par la fondation s’ils résident dans tout pays, autre que le Canada. Comme l’intimé résidait encore au Canada, il n’avait pas le droit de recevoir quelque distribution que ce soit. À deux reprises, l’intimé a vendu des actions d’entreprises à la fondation, qui a ensuite vendu ces actions pour en tirer un gain en capital.
L’appelante a fait valoir que le paragraphe 75(2), qui a pour effet, entre autres, d’imputer tout gain ou perte en capital réalisé lors de la disposition des biens détenus en fiducie à la personne de laquelle les biens ont été reçus en fiducie, s’appliquait parce que lorsque l’intimé a vendu ses actions à la fondation, il était possible, aux termes des actes de la fondation, que les actions, ou les biens qui leur étaient substitués, puissent un jour lui être distribués en tant que bénéficiaire ou bénéficiaire ultime.
Il s’agissait de déterminer si le paragraphe 75(2) s’appliquait en l’espèce.
Arrêt : l’appel doit être rejeté.
Le fait d’interpréter le paragraphe 75(2) de manière à ce qu’il s’applique à un bénéficiaire relativement aux biens que la fiducie a acquis de ce bénéficiaire lors d’une opération d’achat authentique conduit à des résultats absurdes qui ne pouvaient être voulus par le législateur. Suivant l’interprétation que l’appelante a faite du paragraphe 75(2), le même gain en capital est imputé simultanément à plus d’une personne. Rien au paragraphe 75(2) ne prévoit une telle situation. On ne peut éviter cette double application du paragraphe 75(2) en procédant à une application discrétionnaire du paragraphe, parce que cette disposition n’est pas discrétionnaire. Elle s’applique automatiquement à chaque situation qu’elle vise. Pour la même raison, il ne suffit pas d’affirmer que, dans le cas qui nous occupe, le paragraphe 75(2) ne pourrait jamais s’appliquer au père de l’intimé, le « disposant » de la fiducie, parce qu’il ne réside pas au Canada. Étant donné que le paragraphe 75(2) s’applique automatiquement à chaque situation qu’il vise, il n’est pas acceptable d’adopter une interprétation dans le cas des transactions ne visant que des personnes qui résident au Canada et de retenir une interprétation différente dans le cas des transactions mettant en présence des personnes qui résident ailleurs. L’interprétation proposée par l’appelante était erronée parce qu’elle reposait sur la fausse prémisse suivant laquelle le paragraphe 75(2) peut s’appliquer au bénéficiaire d’une fiducie qui transfère des biens à la fiducie au moyen d’une véritable vente. La fondation a acquis des actions de l’intimé en utilisant l’argent provenant de la dotation initiale du père de celui-ci. L’intimé n’avait fait dotation d’aucune autre somme d’argent ou d’aucun autre bien à la fondation. Par conséquent, le paragraphe 75(2) ne peut s’appliquer de manière à imputer les revenus ou les gains de la fondation à l’intimé.
Enfin, le paragraphe 5 de l’article XIII de la Convention Canada-Autriche en matière d’impôt sur le revenu s’applique de manière à empêcher le Canada de prélever entre les mains de l’intimé un impôt sur les gains en capital réalisés par la fondation. Les objectifs de la Convention sont d’éviter la double imposition et d’empêcher l’évasion fiscale. Le paragraphe 5 de l’article XIII ne traite que de l’évitement de la double imposition. Une convention fiscale bien précise ne doit pas être interprétée sur le fondement d’un principe qui écarte, d’entrée de jeu, l’idée que la convention vise à éviter la double imposition économique.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, art. 75(2) (mod. par L.C. 2001, ch. 17, art. 55), 91 (mod. par L.C. 1994, ch. 7, ann. II, art. 68; 2001, ch. 17, art. 68), 248(5)a).
Private Foundation Act, Federal Law Gazette 1993/694 (Autriche).
Traités et autres instruments cités
Convention entre le Canada et la République d’Autriche, tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune, S.C. 1980-81-82-83, ch. 44, ann. II, art. XIII(5), XXVIII(2).
DOCTRINE CITÉE
Vogel, Klaus. Klaus Vogel on Double Taxation Conventions: A Commentary to the OECD, UN, and US Model Conventions for the Avoidance of Double Taxation of Income and Capital, With Particular Reference to German Treaty Practice, 3e éd. La Haye : Kluwer Law International, 1997.
APPEL d’une décision de la Cour canadienne de l’impôt (2011 CCI 212) d’accueillir l’appel interjeté par l’intimé à l’égard des nouvelles cotisations, établies en vertu du paragraphe 75(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu, dans lesquelles avait été incluse la partie imposable des gains en capital réalisés par une fondation privée à la suite de la vente d’actions que cette fondation avait achetées à l’intimé. Appel rejeté.
ONT COMPARU
Luther P. Chambers et Martin Beaudry pour l’appelante.
Roger Taylor et Daniel Sandler pour l’intimé.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Le sous-procureur général du Canada pour l’appelante.
Couzin Taylor, s.r.l., Ottawa, pour l’intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
[1] La juge Sharlow, J.C.A. : L’intimé Peter Sommerer a fait l’objet, pour les années 1996 à 2000, de cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, dans lesquelles le ministre a inclus dans son revenu, en vertu du paragraphe 75(2) [mod. par L.C. 2001, ch. 17, art. 55] de la Loi de l’impôt sur le revenu, la partie imposable des gains en capital réalisés par une fondation privée autrichienne à la suite de la vente d’actions que cette fondation avait achetées à M. Sommerer. M. Sommerer a obtenu gain de cause lors de l’appel qu’il avait interjeté devant la Cour canadienne de l’impôt (2011 CCI 212). Le juge Campbell Miller a conclu que le paragraphe 75(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu ne s’appliquait pas aux faits de l’affaire et que, même s’il s’appliquait, le paragraphe 5 de l’article XIII de la Convention Canada-Autriche en matière d’impôt sur le revenu [Convention entre le Canada et la République d’Autriche, tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune], S.C. 1980‑81‑82‑83, ch. 44, annexe II, empêchait le Canada d’imposer entre les mains de M. Sommerer tout gain réalisé par la fondation privée autrichienne. La Couronne interjette appel de ce jugement. Pour les motifs qui suivent, je rejetterais l’appel.
[2] Le présent appel découle de certaines transactions conclues en 1996, 1997 et 1998 entre Peter Sommerer et la Sommerer Privatstiftung (la « Fondation privée Sommerer »), une fondation privée créée par le père de Peter, Herbert Sommerer, le 3 octobre 1996, sous le régime d’une loi de la République d’Autriche intitulée « Privatstiftungsgesetz » (Loi sur les fondations privées [Private Foundation Act, Federal Law Gazette 1993/694]).
[3] Dans les motifs fouillés et solides qu’il a rédigés, le juge Miller a tranché plusieurs questions de fait et de droit qui ne sont plus en litige entre les parties. Les faits qui se rapportent aux questions en litige dans le présent appel sont peu nombreux et sont énoncés plus loin sous la rubrique « Les faits ». Pour mieux comprendre les faits, il convient d’examiner les dispositions légales autrichiennes applicables, qui sont résumées dans la section suivante.
Les fondations privées autrichiennes
[4] On trouve au dossier une copie de la Loi sur les fondations privées autrichienne dans sa version originale allemande et une traduction anglaise. Une traduction française a été jointe aux motifs du juge Miller. Deux témoins, MM. Hellwig Torggler et Willibald Plesser, ont été entendus au sujet des règles de droit autrichiennes relatives à la Loi sur les fondations privées. Ils s’entendent sur les principes du droit autrichien que j’estime applicables dans le présent appel.
[5] Une fondation privée est créée aux termes de la Loi sur les fondations privées de l’Autriche par un « Stifter » (un « fondateur »). Il peut y avoir plusieurs fondateurs. Une personne ne peut toutefois devenir le fondateur d’une fondation privée déjà existante en lui affectant des actifs.
[6] Il y a constitution d’une fondation privée lorsque la déclaration constitutive est inscrite au registre des sociétés autrichien. La déclaration constitutive doit être signée par le ou les fondateurs, elle doit être passée devant notaire et elle doit renfermer les renseignements exigés par la Loi sur les fondations privées. L’un des renseignements exigés est la preuve que le ou les fondateurs ont fait à la fondation privée une dotation correspondant au montant minimal exigé par la Loi sur les fondations privées. En 1996, ce montant était d’un million de schillings autrichiens, ce qui équivalait à l’époque à environ 126 000 $. Les renseignements exigés comprennent également le nom et l’adresse du fondateur ou des fondateurs, le nom de la fondation privée, son objet, sa durée prévue et son siège social, lequel doit se trouver en Autriche.
[7] Une fondation privée autrichienne est une personne juridique qui, en droit autrichien, fait partie de la même catégorie que les sociétés. Elle est dotée de sa propre personnalité juridique et elle peut posséder des biens, qu’elle détient et gère conformément aux objets énoncés dans ses actes.
[8] Une fondation privée peut être créée pour tout objet licite, y compris un objet caritatif ou tout autre objet au profit du grand public, ou elle peut être créée au profit de personnes désignées, comme les membres d’une famille. En général, une fondation privée peut se livrer à des activités de placement compatibles avec ses objets, mais il lui est interdit d’exercer des activités commerciales autres que de simples activités secondaires, d’assumer la gestion d’une société commerciale ou d’être inscrite à titre d’actionnaire assumant une responsabilité personnelle à l’égard d’une société de personnes ou d’une société commerciale constituée en personne morale.
[9] Une fondation privée doit avoir un « Stiftungsvorstand » (un « conseil exécutif » ou un « conseil d’administration »; dans les présents motifs, j’emploie le terme « conseil d’administration »). Le conseil d’administration est chargé de gérer la fondation privée. Les membres du conseil d’administration exercent leurs fonctions à moindres frais et avec autant de prudence que celle dont ferait preuve un gestionnaire consciencieux.
[10] Le conseil d’administration d’une fondation privée est composé d’au moins trois membres. Les membres du conseil d’administration initial sont nommés par le fondateur ou les fondateurs. Leurs successeurs sont désignés selon ce qui est précisé dans la déclaration constitutive ou une déclaration supplémentaire. Les bénéficiaires, leur époux ou épouse et les personnes liées à un bénéficiaire jusqu’à un degré de parenté déterminé ne peuvent être membres du conseil d’administration et les personnes morales ne peuvent pas en être membres. Deux des membres du conseil d’administration doivent avoir leur résidence permanente en Autriche.
[11] À l’exception de celles qui sont constituées au profit du grand public, les fondations privées doivent avoir au moins un « Begünstigter », c’est‑à‑dire une personne à qui les biens de la fondation privée peuvent être distribués à la discrétion du conseil d’administration, sous réserve de la déclaration constitutive de la fondation privée ou de toute déclaration supplémentaire. La déclaration constitutive doit désigner cette personne (ou ces personnes) ou préciser comment et par qui ces personnes seront désignées. Le terme « Begünstigter » se rend par « bénéficiaire », mais comme le droit autrichien ne reconnaît pas les fiducies de common law, on ne doit pas en conclure que le « Begünstigter » possède nécessairement tous les droits reconnus par la loi au bénéficiaire d’une fiducie de common law.
[12] La déclaration constitutive peut permettre la désignation d’un bénéficiaire ou de plusieurs bénéficiaires dans une déclaration supplémentaire signée par le fondateur ou les fondateurs ou encore permettre la désignation du bénéficiaire ou des bénéficiaires par un « Stelle » (un organe de la fondation privée créé par le fondateur ou les fondateurs à cette fin), à défaut de quoi le conseil d’administration peut désigner le ou les bénéficiaires. La déclaration supplémentaire est un document notarié distinct, qu’il n’est pas nécessaire de déposer au registre des sociétés autrichien. S’il n’est pas nécessaire de déposer la déclaration supplémentaire, le grand public n’a pas accès à son contenu.
[13] La déclaration constitutive ou la déclaration supplémentaire peut également désigner un « Letzbegünstigter » (un « bénéficiaire ultime »). Le bénéficiaire ultime est la personne qui a le droit de recevoir les biens de la fondation privée lors de sa révocation ou de sa dissolution, une fois que les créanciers de la fondation privée ont été désintéressés. Il peut y avoir plusieurs bénéficiaires ultimes. Si la fondation privée est dissoute et qu’aucun bénéficiaire ultime n’a été désigné, les biens de la fondation privée sont dévolus à la République d’Autriche.
[14] Toute fondation privée doit avoir un « Stiftungsprüfer » (un « vérificateur »). Elle peut également avoir un « Aufsichtsrat » (un « conseil de supervision »); dans certaines circonstances, elle doit avoir un conseil de supervision. Elle peut également avoir d’autres organes établis à des fins précises, y compris un « Beirat » (un « conseil consultatif ») chargé de conseiller le conseil d’administration. Le conseil consultatif ne peut toutefois remplacer le conseil d’administration ni exercer ses fonctions. L’existence d’un conseil consultatif ne libère pas le conseil d’administration de son obligation légale de gérer la fondation privée conformément à son objet et elle n’a aucune incidence sur la norme de prudence que la loi impose aux membres du conseil d’administration.
[15] La dissolution d’une fondation privée autrichienne peut se produire de diverses façons, notamment sur résolution du conseil d’administration, mais non sur résolution de tout autre organe ou des bénéficiaires. Dans certaines circonstances, le conseil d’administration doit adopter une résolution de dissolution. Si le ou les fondateurs se sont réservé le droit de révocation, le conseil d’administration doit adopter une résolution de dissolution à la réception d’une révocation. Le conseil d’administration doit adopter une résolution de dissolution lorsque l’objet de la fondation privée a été atteint ou ne peut plus être atteint, lorsque se produit une situation qui, selon la déclaration constitutive, entraîne la dissolution de la fondation privée, ou, dans le cas où la fondation privée a été créée pour une durée déterminée, à l’expiration de ce délai. Dans le cas d’une fondation privée à but non caritatif dont le principal objet est établi au profit de particuliers, une résolution de dissolution doit être adoptée lorsque cette fondation dure depuis plus de 100 ans, à moins que les bénéficiaires ultimes ne résolvent à l’unanimité que la fondation doit être prorogée pour une période additionnelle d’au plus 100 ans.
[16] Le fondateur ou les fondateurs peuvent modifier la déclaration constitutive de la fondation uniquement s’ils l’avaient établie sous réserve de modifications. S’il faut modifier la déclaration constitutive, mais qu’il est impossible de le faire parce que la déclaration n’a pas été établie sous réserve de modifications, ou parce que les fondateurs ne sont pas en mesure d’agir, le conseil d’administration peut, aux fins de la réalisation de l’objet de la fondation, modifier la déclaration; le tribunal doit approuver la modification. Toute modification de la déclaration constitutive se fait au moyen d’une déclaration supplémentaire, et la modification ne prend effet que lorsque le registre des sociétés autrichien accepte le dépôt de la déclaration supplémentaire.
[17] Le bénéficiaire ou le bénéficiaire ultime n’a, à ce titre, aucun droit d’exercer les pouvoirs du conseil d’administration, ou de gérer la fondation privée ou de participer à sa gestion, notamment lors de la distribution discrétionnaire des actifs aux bénéficiaires. Les droits que la loi reconnaît au bénéficiaire ou au bénéficiaire ultime se limitent au droit d’obtenir des renseignements au sujet des activités de la fondation privée et de demander au tribunal de prendre des mesures pour assurer le respect des modalités de la déclaration constitutive et de toute déclaration supplémentaire. De plus, chaque bénéficiaire ou bénéficiaire ultime a, en vertu de la loi, le droit de s’adresser au tribunal pour obtenir la dissolution de la fondation privée s’il survient un événement qui rend la dissolution obligatoire et que le conseil d’administration n’a pas adopté de résolution de dissolution, ou s’il a adopté une résolution de dissolution alors qu’aucune situation emportant dissolution ne s’est produite.
[18] Dans le présent appel, le traitement fiscal des fondations privées en droit autrichien n’est pas pertinent, mais, puisque le juge Miller l’a mentionné dans ses motifs, je résumerai les éléments de preuve présentés sur cette question. En règle générale, les fondations privées autrichiennes sont assujetties aux mêmes lois fiscales que les autres personnes morales autrichiennes, mais peuvent être exonérées de l’impôt sur le revenu autrichien si elles produisent auprès des autorités fiscales certains renseignements, dont une déclaration supplémentaire désignant les bénéficiaires. Les fondations privées ne sont toutefois pas exonérées de l’impôt sur le revenu autrichien en ce qui concerne les « Spekulationsgeschäfte » (les « opérations spéculatives »), notamment sur les gains réalisés lors de la vente de valeurs mobilières de sociétés dans l’année de leur acquisition ou sur le gain réalisé lors de la vente d’un immeuble dans les 10 années de son acquisition. Ainsi, une fondation privée peut et est censée accorder un abri partiel de l’impôt sur le revenu autrichien en ce qui concerne les revenus tirés de l’utilisation ou de l’aliénation de ses biens. En règle générale, la distribution des biens d’une fondation privée est assujettie à l’impôt sur le revenu autrichien entre les mains du bénéficiaire qui les reçoit, à moins que ce bénéficiaire n’ait droit à une exemption (p. ex., en vertu d’une convention fiscale internationale). La fondation privée peut être obligée de retenir l’impôt lors de la distribution et de remettre le montant au fisc, qui l’appliquera à la dette fiscale du bénéficiaire.
[19] À toute l’époque en cause dans le présent appel, Peter Sommerer résidait au Canada. Il n’est pas allégué qu’il résidait en Autriche ou dans un autre pays au cours de la période en cause.
[20] Herbert Sommerer, le père de Peter Sommerer, a signé la déclaration constitutive de la Fondation privée Sommerer le 3 octobre 1996. Le même jour, il a fait à la fondation privée une dotation qui s’élevait à un million de schillings autrichiens. La déclaration constitutive a été inscrite au registre des sociétés autrichien. Elle désigne trois particuliers qui n’ont aucun lien de parenté avec la famille Sommerer comme membres initiaux du conseil d’administration.
[21] L’objet de la Fondation privée Sommerer est énoncé dans sa déclaration constitutive (traduit de l’allemand) :
[traduction] L’objet de la Fondation est de promouvoir les intérêts des personnes désignées dans la déclaration supplémentaire à l’aide du revenu généré par les fonds de la Fondation.
La participation à des activités de placement, en particulier l’achat d’actions à crédit, est également conforme à cet objet.
Les bénéficiaires et les personnes qui pourront le devenir compte tenu de l’objet de la Fondation n’ont aucun droit à des subventions de la Fondation.
[22] Le 4 octobre 1996, Herbert Sommerer a signé la déclaration supplémentaire mentionnée au premier paragraphe qui précède. Les bénéficiaires sont désignés à l’article 2 de cette déclaration. En voici le texte (traduit de l’allemand) :
[traduction] Les bénéficiaires sont M. Peter Sommerer, son épouse, Mme Dawn Elizabeth Sommerer, ainsi que les enfants issus de leur mariage, jusqu’à leur dix‑huitième anniversaire de naissance, et, en cas de décès, les descendants de ces derniers, à condition qu’ils résident en Autriche.
[23] Suivant M. Torggler, cette disposition signifie que les personnes qui sont désignées ne sont que des bénéficiaires éventuels aussi longtemps qu’ils ne résident pas en Autriche. M. Plesser est du même avis. Le juge Miller a abondé dans leur sens et sa conclusion sur cette question n’est pas contestée dans le présent appel. Ainsi, le fait que Peter Sommerer résidait au Canada en octobre 1996 signifie qu’il n’était pas admissible à l’époque à recevoir une part des biens en tant que bénéficiaire, mais qu’il pouvait le devenir s’il devenait résident autrichien.
[24] Aux termes de la déclaration supplémentaire du 4 octobre 1996, Peter Sommerer et son épouse sont également désignés comme bénéficiaires ultimes de la Fondation privée Sommerer. La disposition les désignant comme bénéficiaires ultimes n’est assortie d’aucune condition en ce qui concerne leur lieu de résidence.
[25] Dans la déclaration constitutive, Herbert Sommerer se réserve le droit de révoquer la fondation privée. Il se réserve également le droit de modifier la déclaration constitutive avec le consentement du conseil consultatif. La déclaration supplémentaire du 4 octobre 1996 crée un conseil consultatif composé du fondateur (Herbert Sommerer) et des deux bénéficiaires les plus âgés. Il semble que l’intention de ce document eût été que Peter Sommerer et son épouse fassent partie du conseil consultatif bien que, strictement, cela était impossible tant qu’ils ne résidaient pas en Autriche.
[26] Suivant la traduction française de la déclaration supplémentaire du 4 octobre 1996, le comité consultatif [traduction] « conseille le conseil exécutif [le conseil d’administration] lorsqu’il s’agit de décider des subventions à accorder aux bénéficiaires; il est autorisé à superviser les activités du conseil exécutif ». La déclaration supplémentaire prévoit également que celle‑ci peut être [traduction] « révoqué[e] par le conseil exécutif sur approbation unanime du conseil consultatif; des modifications ou des ajouts peuvent être apportés aux dispositions de cet acte ».
[27] MM. Torggler et Plesser ne s’entendent pas sur la question de savoir si, en droit autrichien, le conseil consultatif a été valablement créé le 4 octobre 1996 en tant qu’organe de la Fondation privée Sommerer. Il me semble toutefois que la réponse à aucune des questions en litige dans le présent appel ne dépende de cette question.
[28] Une déclaration supplémentaire signée en janvier 1999 a eu pour effet de modifier la condition de résidence des bénéficiaires et des bénéficiaires ultimes. En raison de cette modification, les personnes désignées dans la déclaration supplémentaire du 4 octobre 1996 en tant que bénéficiaires ou bénéficiaires ultimes ont le droit de recevoir des biens distribués par la fondation privée ou les biens distribués lors de la dissolution, selon le cas, s’ils résident dans tout pays, autre que le Canada, désigné par le conseil consultatif. Comme Peter Sommerer résidait encore au Canada à l’époque, il n’avait pas le droit de recevoir quelque distribution que ce soit; sa situation devait toutefois changer s’il cessait de résider au Canada et commençait à résider dans un autre pays désigné par le conseil consultatif. Une autre déclaration supplémentaire signée en 1999 a supprimé le rôle de supervision du conseil consultatif.
[29] Malgré l’exigence relative à la résidence des bénéficiaires qui était en vigueur d’octobre 1996 à janvier 1999 et qui aurait pu empêcher Peter Sommerer de faire partie du conseil consultatif pendant cette période, on trouve au dossier une quantité considérable d’éléments de preuve indiquant que Peter Sommerer était présent à la plupart des assemblées du conseil d’administration de la Fondation privée Sommerer, sinon à la totalité, et qu’il a donné son avis au sujet des opérations à l’origine du présent appel. À mon avis, le fait que Peter Sommerer ait donné son avis lors des réunions du conseil d’administration est sans rapport avec les questions en litige dans le présent appel, et ce, qu’il l’ait fait ou non à titre de membre du conseil consultatif.
[30] Le 4 octobre 1996, Peter Sommerer a vendu à la Fondation privée Sommerer 1 770 000 actions de la Vienna Systems Corporation (les « actions de Vienna ») à leur juste valeur marchande de 1 177 050 $ (0,665 $ l’action). La Fondation privée Sommerer a payé 117 705 $ du prix d’achat le jour de l’entente et était juridiquement obligée de payer le solde à une date ultérieure, avec intérêts. La vente était inconditionnelle. La partie du prix d’achat versée en espèces a été payée grâce à une partie de la dotation initiale faite par Herbert Sommerer (paragraphes 67 et 88 des motifs du juge Miller).
[31] En décembre 1997, la Fondation privée Sommerer a vendu 216 666 actions de Vienna au prix de 4,50 $ l’action à trois personnes qui n’avaient aucun lien avec la famille Sommerer. La Fondation privée Sommerer a réalisé un gain en capital. En décembre 1998, la Fondation privée Sommerer a vendu les actions de Vienna restantes à la société Nokia à 9 $ l’action et a réalisé un autre gain en capital.
[32] En avril 1998, Peter Sommerer a vendu à la Fondation privée Sommerer, sans condition, 57 143 actions de la Cambrian Systems Corporation (les « actions de Cambrian ») au prix de 100 000 $ (environ 1,75 $ l’action). En décembre 1998, la Fondation privée Sommerer a vendu les actions de Cambrian à la Northern Telecom Limited pour 14,97 dollars américains l’action. Un montant additionnel de 4,12 dollars américains l’action devait être versé si certaines conditions étaient satisfaites en 1999. Cette vente a donné lieu à un autre gain en capital pour la Fondation privée Sommerer.
[33] Le ministre a conclu que les gains en capital réalisés par la Fondation privée Sommerer lors de la vente des actions de Vienna et des actions de Cambrian étaient imputables à Peter Sommerer en vertu du paragraphe 75(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Pour des raisons qui n’ont rien à voir avec les questions en litige dans le présent appel, il a fallu, pour donner effet à cette conclusion, établir de nouvelles cotisations d’impôt sur le revenu pour les années 1996 à 2000. Comme nous l’avons déjà mentionné, ces nouvelles cotisations ont été portées en appel avec succès à la Cour canadienne de l’impôt, et la Couronne interjette maintenant appel de cette décision devant notre Cour.
(A) Présentation du paragraphe 75(2)
[34] De façon générale, le paragraphe 75(2) vise à assurer que le contribuable ne puisse se soustraire aux conséquences fiscales de l’utilisation ou de l’aliénation de biens en les transférant en fiducie à une autre personne tout en conservant un droit réversif sur les biens ou sur ceux qui leur sont substitués ou en conservant le droit de décider de la disposition des biens ou de ceux qui leur sont substitués. Le paragraphe 75(2) a pour effet d’imputer les revenus ou les pertes découlant de l’utilisation des biens détenus en fiducie, ainsi que tout gain ou perte en capital réalisé lors de la disposition des biens détenus en fiducie, à la personne de laquelle les biens, ou les biens qui leur sont substitués, ont été reçus en fiducie.
[35] Le paragraphe 75(2) dispose :
75. (2) Lorsque, en vertu d’une fiducie créée de quelque façon que ce soit depuis 1934, des biens sont détenus à condition : a) soit que ces derniers ou des biens qui leur sont substitués puissent : (i) ou bien revenir à la personne dont les biens ou les biens qui leur sont substitués ont été reçus directement ou indirectement (appelée « la personne » au présent paragraphe), (ii) ou bien être transportés à des personnes devant être désignées par la personne après la création de la fiducie; b) soit que, pendant l’existence de la personne, il ne soit disposé des biens qu’avec son consentement ou suivant ses instructions, tout revenu ou toute perte résultant des biens ou de biens y substitués, ou tout gain en capital imposable ou toute perte en capital déductible provenant de la disposition des biens ou de biens y substitués, est réputé, durant l’existence de la personne et pendant qu’elle réside au Canada, être un revenu ou une perte, selon le cas, ou un gain en capital imposable ou une perte en capital déductible, selon le cas, de la personne. |
Fiducies |
(B) La version française du paragraphe 75(2)
[36] La question de savoir si la version française et la version anglaise du paragraphe 75(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu disent la même chose a fait l’objet d’un certain débat en l’espèce. On s’est demandé si la version française contenait une erreur de rédaction (comme le confirment certaines conséquences manifestement imprévues) et si les différences qui semblent exister entre la version française et la version anglaise ont une incidence sur les questions en litige en l’espèce. Le juge Miller a examiné ces questions aux paragraphes 95 à 102 de ses motifs. Il a conclu que les différences constatées entre la version française et la version anglaise étaient sans conséquence pour ce qui était des questions en litige, et je suis du même avis. Je ne mentionne cette question que pour inviter la Couronne à examiner si la version française du paragraphe 75(2) comporte une erreur de rédaction et, dans l’affirmative, à prendre les mesures correctives qui s’imposent. Si cette disposition renferme une erreur, il est possible que la même erreur ou une erreur semblable se retrouve dans plusieurs autres dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu qui ont été citées dans les observations formulées dans le cas qui nous occupe.
[37] La Couronne a fait valoir devant la Cour de l’impôt que la Fondation privée Sommerer était une fiducie. Peter Sommerer soutenait pour sa part qu’il s’agissait d’une société. Le juge Miller a conclu qu’il s’agissait d’une société qui détenait des biens en fiducie pour Peter Sommerer et pour les autres bénéficiaires nommément désignés. Il a poursuivi en concluant que le paragraphe 75(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu ne s’appliquait pas de manière à imputer à Peter Sommerer les gains en capital réalisés par la Fondation privée Sommerer lors de la vente des actions de Vienna et de Cambrian. Il a jugé à titre subsidiaire que le paragraphe 5 de l’article XIII de la Convention Canada-Autriche en matière d’impôt sur le revenu empêchait le Canada d’exiger de Peter Sommerer de l’impôt sur les gains en capital réalisés par la Fondation privée Sommerer.
[38] Dans son appel, la Couronne part du principe que le juge Miller a eu raison de conclure que la Fondation privée Sommerer détenait ses biens en fiducie. La Couronne ne conteste que les conclusions tirées par le juge Miller au sujet de l’application du paragraphe 75(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu et du paragraphe 5 de l’article XIII de la Convention Canada-Autriche en matière d’impôt sur le revenu. Peter Sommerer n’est pas d’accord pour dire que la Fondation privée Sommerer détient ses biens en fiducie, mais, en tant qu’intimé dans le présent appel, il a choisi de ne pas plaider cette question. Il a plutôt défendu les conclusions tirées par le juge Miller au sujet de l’application du paragraphe 75(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu et du paragraphe 5 de l’article XIII de la Convention Canada-Autriche en matière d’impôt sur le revenu. En raison de la façon dont le présent appel a été débattu, l’affirmation voulant que la Fondation privée Sommerer détienne ses biens en fiducie n’a pas fait l’objet d’observations et je n’exprimerai donc aucun avis final sur le bien‑fondé de cette conclusion. Je tiens toutefois à dire que cette proposition m’apparaît douteuse.
[39] Suivant le témoignage non contredit de M. Torggler, le droit autrichien ne reconnaît pas la fiducie telle qu’on la conçoit en droit canadien. Il est toutefois évident qu’en pratique, et en faisant abstraction pour le moment de toute considération d’ordre fiscal, Herbert Sommerer peut fort bien avoir atteint bon nombre des objectifs qu’on aurait pu atteindre dans un régime de common law en constituant une fiducie au profit de Peter Sommerer, de son épouse et de leurs enfants. Il l’a fait en créant la Fondation privée Sommerer et en lui faisant dotation d’une somme d’argent sous le régime de la Loi sur les fondations privées de l’Autriche et en désignant Peter Sommerer, son épouse et leurs enfants à titre de bénéficiaires et de bénéficiaires ultimes. Mais il ne s’ensuit pas pour autant, en droit, que la création de la Fondation privée Sommerer et le fait de lui faire une dotation emportaient constitution d’une fiducie, ou encore qu’il existait une fiducie ou qu’une fiducie est née lorsque la Fondation privée Sommerer a acheté les actions de Vienna ou les actions de Cambrian à Peter Sommerer.
[40] Comme nous l’avons déjà mentionné, une fondation privée autrichienne est une personne juridique ayant la capacité légale de détenir des biens et d’en disposer pour son propre compte. Le droit que la loi reconnaît aux fondations privées autrichiennes de disposer de leurs propres biens est identique à la faculté reconnue en droit canadien à une société d’avoir ses propres biens. Il en est ainsi malgré le fait que le conseil d’administration d’une fondation privée autrichienne doit la gérer conformément aux objets précisés dans ses actes. Le conseil d’administration d’une société a les mêmes contraintes, en ce sens qu’il doit gérer la société au mieux des intérêts de celle‑ci, sous réserve de toute condition stipulée dans ses actes constitutifs.
[41] Une société ne détient pas ses biens en fiducie pour ses actionnaires ou ses membres, sauf si un acte de fiducie ou un instrument juridique analogue impose à la société, à l’égard de biens précis, des obligations semblables à celles qu’a un fiduciaire en vertu de la common law et de l’equity. En supposant qu’il soit théoriquement possible pour une fondation privée autrichienne de détenir ses biens en fiducie (c.‑à‑d. sous réserve de conditions analogues aux obligations qu’a un fiduciaire en vertu de la common law et de l’equity dans les régimes de common law), cette possibilité ne peut se réaliser que si les conditions en question sont en fait satisfaites. Rien dans les actes de la Fondation privée Sommerer ou dans les lois de l’Autriche, suivant le dossier en l’espèce, n’appuie la conclusion que le droit de la Fondation privée Sommerer d’avoir des biens est limité par des obligations de common law ou d’equity analogues à celles auxquelles sont assujettis les fiduciaires en common law.
[42] Si l’on envisage la situation d’un autre point de vue, l’actionnaire ou le membre d’une société n’est pas en tant que tel propriétaire bénéficiaire des biens de cette société et n’a pas de droit, en common law ou en equity, aux biens de la société (sauf si ce droit fait suite à une déclaration de dividende faite par le conseil d’administration ou lorsque la dissolution de la société est imminente). À moins qu’un tel fait ne survienne, l’actionnaire ou le membre n’a qu’un droit incomplet de recevoir une partie des biens de la société lorsque le conseil d’administration le décide, et de recevoir une partie des biens de la société lors de sa dissolution. On peut dire la même chose du droit du bénéficiaire ou du bénéficiaire ultime en ce qui concerne les biens d’une fondation privée autrichienne. Rien dans la Loi sur les fondations privées de l’Autriche ou dans les actes de la Fondation privée Sommerer ne confère à Peter Sommerer, en common law ou en equity, des droits sur les biens de la société différents de ceux qu’ont les actionnaires ou les membres d’une société sur les biens de celle‑ci.
[43] Pour ces motifs, je doute que la Fondation privée Sommerer détienne une partie de ses biens en fiducie pour Peter Sommerer. Toutefois, dans le reste des présents motifs, je fais abstraction de mes doutes quant à la question de savoir si la Fondation privée Sommerer détient ses biens en fiducie et je pars de l’hypothèse, sans pour autant trancher la question, qu’en octobre 1996, lorsque Herbert Sommerer a créé la Fondation privée Sommerer et lui a fait une dotation d’un montant correspondant à 126 000 $, il a créé une fiducie au profit de Peter Sommerer, de son épouse et de leurs enfants et qu’il a désigné la Fondation privée Sommerer comme fiduciaire.
(D) Le paragraphe 75(2) s’applique-t-il?
[44] La Fondation privée Sommerer a utilisé une partie de l’argent qu’elle avait reçu de Herbert Sommerer à titre de dotation pour payer à Peter Sommerer une partie du prix d’achat des actions de Vienna. La Fondation privée Sommerer a par la suite vendu les actions en question et réalisé un gain en capital. La thèse de la Couronne est que le paragraphe 75(2) s’applique de telle sorte que le gain en capital doit être imputé à Peter Sommerer.
[45] Je reproduis ici les passages du paragraphe 75(2) sur lesquels la Couronne se fonde :
75. (2) Lorsque, en vertu d’une fiducie créée de quelque façon que ce soit depuis 1934, des biens sont détenus à condition : a) soit que ces derniers ou des biens qui leur sont substitués puissent : (i) ou bien revenir à la personne dont les biens ou les biens qui leur sont substitués ont été reçus […] (appelée « la personne » au présent paragraphe), […] […] tout gain en capital imposable […] provenant de la disposition des biens […] est réputé, durant l’existence de la personne et pendant qu’elle réside au Canada, être […] un gain en capital imposable […] de la personne. |
Fiducies |
[46] Il convient de rapprocher cette disposition de l’alinéa 248(5)a) de la Loi de l’impôt sur le revenu qui prévoit, de façon générale, que, pour l’application de la plupart des dispositions de la Loi, la substitution de biens comprend aussi plusieurs substitutions. Voici les passages pertinents en question :
248. […] |
|
(5) Pour l’application de la présente loi […] : a) lorsqu’une personne dispose d’un bien donné ou l’échange et acquiert un autre bien en remplacement et que par la suite, par une ou plusieurs autres opérations, elle effectue une ou plusieurs autres substitutions, le bien acquis par cette opération est réputé substitué au bien donné |
Bien substitué |
[47] La Couronne soutient que le paragraphe 75(2) s’applique dans le cas qui nous occupe parce que, lorsque Peter Sommerer a vendu les actions de Vienna à la Fondation privée Sommerer en octobre 1996, il était possible, aux termes des actes de la Fondation privée Sommerer, que les actions, ou les biens qui leur étaient substitués (y compris le produit de leur vente, tout bien qui peut être acquis à même le produit de leur vente, et ainsi de suite), puissent un jour être distribués à Peter Sommerer en tant que bénéficiaire ou bénéficiaire ultime. Je suis d’accord pour dire que Peter Sommerer peut un jour avoir droit à des biens qui seraient distribués par la Fondation privée Sommerer et qui, par application de l’alinéa 248(5)a), constitueraient des biens se substituant aux actions de Vienna. Toutefois, le juge Miller a conclu que cela ne suffisait pas pour justifier l’application du paragraphe 75(2). Je suis du même avis.
[48] Il faut interpréter et appliquer le paragraphe 75(2) de manière à donner effet à son libellé, en tenant compte de son contexte et en cherchant à donner effet à l’objectif visé. Comme nous l’avons déjà mentionné, le paragraphe 75(2) vise de façon générale à assurer qu’un contribuable ne se soustrait pas aux conséquences fiscales de l’utilisation ou de la disposition de biens en les transférant à une autre personne en fiducie tout en conservant un droit réversif ou un droit de disposition sur les biens en question ou sur ceux qui leur sont substitués. Un exemple courant de l’application du paragraphe 75(2) est la fiducie aux termes de laquelle le disposant est également bénéficiaire et possède un droit immédiat ou éventuel de recevoir une part des biens de la fiducie. En pareil cas, ainsi que dans de nombreuses autres situations visées par les alinéas 75(2)a) et 75(2)b), le paragraphe 75(2) atteint l’objectif visé.
[49] Dans le cas qui nous occupe, la Couronne affirme que le paragraphe 75(2) s’applique également aux biens qui ont été achetés par un fiduciaire à un bénéficiaire à leur juste valeur marchande et qui sont détenus sous réserve des conditions de la fiducie. À mon avis, interpréter le paragraphe 75(2) de manière à ce qu’il s’applique au bénéficiaire relativement aux biens que la fiducie a acquis de ce bénéficiaire lors d’une opération d’achat authentique conduit à des résultats absurdes qui ne pouvaient être voulus par le législateur.
[50] Une série d’exemples me permettront d’illustrer ce que je veux dire. (Par souci de simplicité, supposons que si, dans les exemples en question, la fiducie tire des revenus de l’utilisation de ses biens, les revenus sont régulièrement distribués aux bénéficiaires, de sorte qu’aucun des biens de la fiducie ne soit des revenus non distribués ou des biens qui remplacent des revenus non distribués.)
[51] Une personne physique, Marie, constitue une fiducie de 10 000 $ au profit de ses enfants. Elle les désigne tous comme bénéficiaires en parts égales de tous les biens distribués par la fiducie et elle se désigne comme bénéficiaire unique si tous ses enfants meurent avant elle. Dans ce cas, le paragraphe 75(2) s’appliquerait et donnerait ainsi lieu à l’imputation à Marie de tous les revenus et de toutes les pertes de la fiducie résultant des biens de la fiducie ainsi que de la totalité des gains en capital et des pertes en capital de la fiducie provenant de la disposition des biens en question (du vivant de Marie et tant qu’elle réside au Canada).
[52] Mais compliquons un peu la situation. L’un des enfants de Marie, Jacques, fait don d’un tableau à la fiducie en précisant qu’il doit être détenu sous réserve des conditions existantes de la fiducie, mais que, cependant, s’il est toujours détenu par la fiducie dans 10 ans, le tableau doit être remis à Jacques. Cinq ans plus tard, la fiducie vend le tableau et réalise un gain en capital lors de la vente. Le gain en capital est imputé à Jacques suivant le paragraphe 75(2) parce qu’il provient de la disposition du bien que la fiducie a obtenu de Jacques sous réserve des conditions existantes de la fiducie et de la condition que le bien pourrait lui être remis. Il importe de signaler que, comme Jacques a fait don du tableau à la fiducie et qu’il n’a rien reçu de celle‑ci en contrepartie, on ne peut dire que le tableau constitue un bien qui se substitue à tout autre bien que la fiducie a reçu de Marie, de sorte que le gain réalisé lors de la vente du tableau ne pourrait être imputé à Marie, pas plus que tout revenu ou gain résultant de biens se substituant au tableau.
[53] Supposons maintenant que Jacques, au lieu de faire don du tableau à la fiducie, le vende à la fiducie à sa juste valeur marchande, sans condition. La fiducie vend le tableau à un moment où Jacques est le seul enfant toujours vivant de Marie. La fiducie réalise un gain en capital lors de la vente. À ce moment‑là, aussi bien Marie que Jacques pourrait avoir le droit de recevoir la totalité des biens de la fiducie, selon que l’un meurt avant l’autre.
[54] Suivant l’interprétation la plus courante du paragraphe 75(2), le tableau serait considéré comme un bien se substituant à l’argent que la fiducie a reçu de Marie. Cette situation tient au fait que tous les biens de la fiducie peuvent être considérés, par application de la règle des biens de remplacement, comme étant des biens substitués aux biens que Marie a donnés à la fiducie au moment de sa constitution. Comme le tableau et tout bien se substituant au tableau sont susceptibles d’être remis à Marie, le paragraphe 75(2) s’appliquerait de manière à imputer à Marie le gain en capital provenant de la vente du tableau. Toutefois, si l’interprétation proposée par la Couronne est juste, on pourrait tout aussi valablement affirmer que, comme la fiducie a reçu le tableau de Jacques alors que les conditions de la fiducie stipulaient que le tableau pouvait lui être remis, le paragraphe 75(2) impute alors à Jacques le gain en capital provenant de la vente du tableau.
[55] Ainsi, suivant l’interprétation que la Couronne fait du paragraphe 75(2), le même gain en capital est imputé simultanément à Marie et à Jacques. Or, cela est impossible. Rien au paragraphe 75(2) ne prévoit une situation permettant d’imputer le même gain à plusieurs personnes. On ne peut éviter une pareille double application du paragraphe 75(2) en procédant à une application discrétionnaire du paragraphe, parce que cette disposition n’est pas discrétionnaire : elle s’applique automatiquement à chaque situation qu’elle vise.
[56] Pour la même raison, il ne suffit pas d’affirmer que, dans le cas qui nous occupe, le paragraphe 75(2) ne pourrait jamais s’appliquer à Herbert Sommerer, le « disposant » de la fiducie, parce qu’il ne réside pas au Canada. Là encore, étant donné que le paragraphe 75(2) s’applique automatiquement à chaque situation qu’il vise, il n’est pas acceptable d’adopter une interprétation dans le cas des transactions ne visant que des personnes qui résident au Canada et de retenir une interprétation différente dans le cas des transactions mettant en présence des personnes qui résident ailleurs.
[57] Je conclus que l’interprétation proposée par la Couronne est erronée parce qu’elle repose sur la fausse prémisse suivant laquelle le paragraphe 75(2) peut s’appliquer au bénéficiaire d’une fiducie qui transfère des biens à la fiducie au moyen d’une véritable vente. Le juge Miller en est arrivé à la même conclusion grâce à une application détaillée des principes d’interprétation légale au libellé du paragraphe 75(2). Sa principale conclusion est énoncée de façon succincte au paragraphe 91 de ses motifs :
Une fois que le sens de ces termes est démêlé d’une façon appropriée et considéré sur le plan grammatical et logique, la seule interprétation possible est que seul le constituant, ou un disposant subséquent qui pourrait être considéré comme un constituant, peut être la « personne » en question pour l’application du paragraphe 75(2) de la Loi.
[58] Il ne nous reste qu’à appliquer cette conclusion au cas qui nous occupe. La Fondation privée Sommerer a acquis les actions de Vienna de Peter Sommerer en utilisant l’argent provenant de la dotation initiale de Herbert Sommerer. Peter Sommerer n’a fait dotation d’aucune autre somme d’argent ou d’aucun autre bien à la Fondation privée Sommerer. Par conséquent, le paragraphe 75(2) ne peut s’appliquer de manière à imputer les revenus ou les gains de la Fondation privée Sommerer à Peter Sommerer.
[59] Cela suffit pour motiver le rejet du présent appel. Toutefois, comme le juge Miller a abordé le paragraphe 5 de l’article XIII de la Convention Canada-Autriche en matière d’impôt sur le revenu, je commenterai également cette question.
(E) La Convention Canada-Autriche en matière d’impôt sur le revenu s’applique-t-elle?
[60] Le juge Miller a conclu que, si le paragraphe 75(2) devait s’appliquer de manière à imputer à Peter Sommerer le gain en capital réalisé par la Fondation privée Sommerer lors de la vente des actions achetées par la fondation à Peter Sommerer, le paragraphe 5 de l’article XIII de la Convention Canada-Autriche en matière d’impôt sur le revenu empêcherait néanmoins le Canada d’imposer le gain entre les mains de Peter Sommerer.
[61] Le paragraphe 5 de l’article XIII de la Convention Canada-Autriche en matière d’impôt sur le revenu est ainsi libellé :
Article XIII
[…]
5. Les gains provenant de l’aliénation de tous biens autres que ceux qui sont mentionnés aux paragraphes 1, 2, 3 et 4 ne sont imposables que dans l’État contractant dont le cédant est un résident.
[62] Le juge Miller a conclu que le gain en litige était nettement visé par le libellé du paragraphe 5 de l’article XIII. Après avoir examiné les principes d’interprétation applicables en matière de conventions fiscales ainsi que les commentaires de l’Organisation de coopération et de développement économiques (l’ OCDE), il a conclu que rien dans le contexte de la Convention Canada-Autriche en matière d’impôt sur le revenu ne permettait de penser que le paragraphe 5 de l’article XIII ne devait pas s’appliquer de façon littérale.
[63] La Couronne affirme que, même si les gains imputés à Peter Sommerer par application du paragraphe 75(2) sont des gains provenant de l’aliénation de biens par une personne qui réside en Autriche et qu’ils sont donc visés par le paragraphe 5 de l’article XIII, la seule conséquence est que le Canada ne peut exiger de l’impôt du cédant — la Fondation privée Sommerer — sur ce gain. Suivant la Couronne, Peter Sommerer ne peut être exonéré de l’impôt canadien en vertu du paragraphe 5 de l’article XIII parce qu’il ne réside pas en Autriche, et également parce que l’impôt n’est pas prélevé en raison du fait que Peter Sommerer est le cédant des actions, mais bien par application de la règle d’imputation prévue au paragraphe 75(2).
[64] Le juge Miller a rejeté cet argument au motif qu’il estimait qu’il contredisait le libellé du le paragraphe 5 de l’article XIII et la prémisse sur laquelle une autre disposition de la Convention Canada-Autriche en matière d’impôt sur le revenu, le paragraphe 2 de l’article XXVIII, semblait reposer. Aux termes de cette disposition, le Canada se réserve le droit d’exiger des personnes qui résident au Canada qu’elles paient de l’impôt sur les revenus et les gains qui leur sont imputés par application de l’article 91 [mod. par L.C. 1994, ch. 7, ann. II, art. 68; 2001, ch. 17, art. 68] de la Loi de l’impôt sur le revenu (les règles régissant le revenu étranger accumulé, tiré de biens). L’existence de cette réserve permet de penser qu’un principe fondamental de la Convention Canada‑Autriche en matière d’impôt sur le revenu veut que l’impôt sur le revenu imputé relève en principe de son champ d’application. On ne trouve aucune réserve semblable en ce qui concerne l’imputation des revenus et des gains en vertu du paragraphe 75(2), ce qui signifie que le Canada ne s’est pas réservé le droit d’exiger des personnes qui résident au Canada qu’elles paient de l’impôt sur les revenus et les gains qui leur sont imputés par application du paragraphe 75(2).
[65] La Couronne fait valoir que la réserve prévue en ce qui concerne l’imputation des revenus et des gains suivant le régime du revenu étranger accumulé, tiré de biens, n’était pas nécessaire, mais qu’elle a été formulée par souci de précision, ajoutant que, suivant la jurisprudence étrangère, les règles d’imputation internes n’entrent pas en conflit avec les conventions fiscales internationales s’inspirant du modèle de l’OCDE. Toutefois, après avoir examiné l’ensemble de la jurisprudence et de la doctrine auxquelles les parties se sont référées, il m’est impossible d’accepter la thèse de la Couronne.
[66] Les conventions inspirées du modèle de l’OCDE, dont la Convention Canada-Autriche en matière d’impôt sur le revenu, visent en général deux objectifs : éviter la double imposition et empêcher l’évasion fiscale. Le paragraphe 5 de l’article XIII de la Convention Canada-Autriche en matière d’impôt sur le revenu ne traite que de l’évitement de la double imposition. Par « double imposition », on entend soit la double imposition juridique (p. ex., prélever un impôt canadien et un impôt étranger sur le même revenu de la même personne), soit la double imposition économique (p. ex., imposer un impôt canadien à un contribuable canadien relativement au revenu imputé d’un contribuable étranger alors que le fardeau économique de l’impôt étranger frappant ce revenu est également supporté indirectement par le contribuable canadien). Par définition, une règle d’imputation ne devrait donner lieu qu’à une double imposition économique.
[67] L’argument de la Couronne nous oblige à interpréter une convention fiscale bien précise en partant d’un principe qui écarte, d’entrée de jeu, l’idée que la convention ne vise pas à éviter la double imposition économique. Cette approche a été, à bon droit selon moi, écartée par le juge Miller. Je trouve parfaitement justifiée l’opinion de Klaus Vogel, qui affirme que le sens de l’expression « double imposition » dans une convention fiscale déterminée est une question à trancher en fonction de l’interprétation de cette convention (Klaus Vogel on Double Taxation Conventions: A Commentary to the OECD, UN, and US Model Conventions for the Avoidance of Double Taxation of Income and Capital, With Particular Reference to German Treaty Practice, 3e éd. (La Haye : Kluwer Law International, 1997)).
[68] Je ne décèle aucune erreur de droit ou de principe dans la conclusion du juge Miller suivant laquelle le paragraphe 5 de l’article XIII s’applique de manière à empêcher le Canada de prélever entre les mains de Peter Sommerer un impôt sur les gains en capital réalisés par la Fondation privée Sommerer.
[69] Pour ces motifs, je rejetterais l’appel avec dépens.
Le juge en chef Blais : Je suis d’accord.
Le juge Létourneau, J.C.A. : Je suis d’accord.