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[2001] 3 C.F. 430

T-398-00

2001 CFPI 309

Barry McCabe (demandeur)

c.

Procureur général du Canada (défendeur)

Répertorié : McCabe c. Canada (Procureur général) (1re inst.)

Section de première instance, juge Tremblay-Lamer— Vancouver, 27 mars; Ottawa, 9 avril 2001.

Compétence de la Cour fédérale — Section de première instance — Demandeur purgeant une peine d’emprisonnement à perpétuité pour homicide involontaire coupable — Contrôle judiciaire de la recommandation de la Commission nationale des libérations conditionnelles selon laquelle la demande de permission de sortir avec escorte (PSE) doit être rejetée — En vertu de l’art. 17 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (LSCMLC), de telles demandes doivent être adressées au directeur du pénitencier — Ce dernier a consulté la Commission sur l’opportunité de la demande — Après avoir souligné la recommandation défavorable de la Commission, le directeur du pénitencier a refusé la demande — La Cour a compétence pour contrôler la recommandation de la Commission — La définition d’« office fédéral » figurant à l’art. 2 de la Loi sur la Cour fédérale (LCF) s’applique dans la mesure où l’acte administratif en question est accompli par une personne ou un organisme ayant des pouvoirs conférés par la loi — La partie II de la LSCMLC confère clairement un pouvoir à la Commission — L’expression « l’objet de la demande » figurant à l’art. 18.1 de la LCF ne vise pas seulement les décisions ou ordonnances — La compétence de la Cour ne se limite pas au contrôle des « décisions » — Elle s’étend au contrôle des actes administratifs susceptibles d’être visés par les réparations prévues à l’art. 18 — Les décisions provisoires sont susceptibles de contrôle si elles touchent les intérêts de la personne visée — La recommandation de la Commission a joué un rôle important dans la décision défavorable du directeur du pénitencier — La recommandation était suffisamment préjudiciable aux intérêts du demandeur pour justifier l’examen judiciaire.

Droit administratif — Contrôle judiciaire — Jugements déclaratoires — Détenu purgeant une peine d’emprisonnement à perpétuité sollicitant la permission de sortir avec escorte (PSE) — Le directeur a le pouvoir légal de statuer sur de telles demandes — Le directeur a consulté la Commission nationale des libérations conditionnelles (CNLC) sur l’opportunité de la demande — Celle-ci a recommandé le rejet de la demande — Le directeur a suivi l’avis — La Cour fédérale a compétence pour contrôler la recommandation de la Commission — Dès qu’un organisme a des pouvoirs conférés par une loi fédérale, toutes ses actions qui touchent les droits d’une personne sont susceptibles de contrôle judiciaire — Un principe de droit administratif énonce que les décisions provisoires sont susceptibles de contrôle si elles touchent les intérêts de la personne visée — Selon un principe fondamental de droit public, tous les actes gouvernementaux doivent se fonder sur un pouvoir conféré par la loi — La CNLC n’a pas le pouvoir de tenir des audiences ni d’émettre des recommandations relativement aux demandes de PSE — Une déclaration selon laquelle la CNLC a agi sans compétence est accordée — Une déclaration selon laquelle la CNLC a agi sans compétence en communiquant sa recommandation aux médias est accordée.

Libération conditionnelle — Contrôle judiciaire de la recommandation de la CNLC de refuser une demande de permission de sortir avec escorte (PSE) — Demandeur purgeant une peine d’emprisonnement à perpétuité pour homicide involontaire coupable — En vertu de l’art. 17 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (LSCMLC), de telles demandes doivent être adressées au directeur du pénitencier — Ce dernier a consulté la Commission sur l’opportunité de la demande — La Commission a recommandé le rejet de la demande et a communiqué sa recommandation aux médias — Le directeur du pénitencier a refusé la demande — Selon un principe fondamental de droit public, tous les actes gouvernementaux doivent se fonder sur un pouvoir conféré par la loi — La LSCMLC ne confère pas à la Commission le pouvoir de tenir des audiences, d’examiner la preuve, de tirer des conclusions de fait ou d’émettre des recommandations relativement aux demandes de PSE — L’art. 17(1) donne au directeur du pénitencier le pouvoir de prendre des décisions, sous réserve de l’art. 746.1 du Code criminel (non applicable en l’espèce) — La loi n’exige pas que le directeur du pénitencier obtienne l’approbation de la Commission relativement à une demande de PSE — La Commission a outrepassé sa compétence — L’art. 144(2) de la LSCMLC permet à la Commission de communiquer ses décisions au public, mais puisque la recommandation de la Commission n’était pas une décision, elle n’aurait pas dû être communiquée aux médias.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire d’une recommandation faite par la Commission nationale des libérations conditionnelles relativement à la demande de permission de sortir avec escorte (PSE) présentée par le demandeur. Le demandeur est incarcéré depuis 1993 et purge une peine d’emprisonnement à perpétuité pour homicide involontaire coupable. En 1999, il a fait une demande de PSE en vue de participer au Long-Term Inmates Now in the Community Program. Le directeur du pénitencier (le directeur) a consulté la Commission sur l’opportunité de la demande. La Commission a tenu une audience relative à la demande, au cours de laquelle l’un de ses membres a mentionné un rapport destiné à l’avocat de la Couronne dans lequel un policier a posé l’hypothèse que l’homicide commis par le demandeur contre sa mère comportait une agression sexuelle. Le demandeur a été interrogé sur cette allégation, mais une copie du rapport ne lui avait pas été fournie avant l’audience. La Commission a recommandé le rejet de la demande présentée par le demandeur en faisant référence à des éléments de preuve matérielle d’agression sexuelle, ce que le demandeur a fermement nié tout en refusant de fournir un échantillon de substances corporelles aux fins d’un test d’ADN qui aurait pu le disculper. La Commission a communiqué sa recommandation à deux organes de presse. Après avoir souligné la recommandation défavorable de la Commission et le fait que celle-ci estimait que le demandeur avait besoin de poursuivre sa thérapie, le directeur du pénitencier a refusé la demande présentée par le demandeur.

Le paragraphe 17(1) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (LSCMLC) permet au directeur d’un pénitencier d’autoriser des sorties de l’établissement, sous réserve de l’article 746.1 du Code criminel. Le paragraphe 746.1(2) du Code prévoit qu’en cas de condamnation à l’emprisonnement à perpétuité assortie d’un délai préalable à la libération conditionnelle, il ne peut être accordé, sauf au cours des trois années précédant l’expiration de ce délai, de permission de sortir avec escorte, sauf pour des raisons médicales ou pour comparution dans le cadre de procédures judiciaires ou d’enquêtes du coroner, sans l’agrément de la Commission nationale des libérations conditionnelles.

Les questions en litige étaient de savoir : 1) si la Cour fédérale avait compétence pour contrôler la recommandation de la Commission; 2) dans l’affirmative, si la Commission avait compétence pour émettre une recommandation dans les circonstances de l’espèce; 3) dans l’affirmative, si la Commission a privé le demandeur de l’équité procédurale ou fondé sa recommandation sur une conclusion de fait erronée; 4) si la Commission a outrepassé sa compétence en communiquant sa recommandation aux médias.

Jugement : la demande est accueillie.

1) La question fondamentale était de savoir si la Commission agissait en tant qu’« office fédéral » au sens des articles 2, 18 et 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale. La Cour s’est penchée directement sur cette question dans l’affaire Steele c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), où elle a jugé qu’étant donné que l’article 746.1 ne s’appliquait pas, la loi n’exigeait pas que le directeur du pénitencier obtienne l’approbation de la Commission. Puisque la Commission n’exerçait pas un pouvoir conféré par la loi, sa recommandation ne constituait pas une décision susceptible de contrôle. Une interprétation aussi restrictive de l’expression « office fédéral » empêcherait le contrôle des actes administratifs ultra vires, qui constituent l’objet même des recours prévus par l’article 18. La définition d’« office fédéral » figurant au paragraphe 2(1) vise à différencier les genres d’organismes, et non les genres d’actions. La Loi sur la Cour fédérale s’applique aux organismes qui tirent leurs pouvoirs des lois fédérales. Dès qu’il est conclu qu’un organisme a des pouvoirs conférés par une loi fédérale, toutes les actions de cet organisme qui touchent les droits d’une personne sont susceptibles de contrôle judiciaire. La définition d’« office fédéral » s’applique dans la mesure où l’acte administratif en question est accompli par une personne ou un organisme ayant des pouvoirs conférés par la loi. La partie II de la LSCMLC confère clairement un pouvoir à la Commission nationale des libérations conditionnelles. Par conséquent, celle-ci est un « office fédéral » au sens de l’article 2 de la Loi sur la Cour fédérale lorsqu’elle exerce ce pouvoir.

« L’objet de la demande » ne se limite pas aux « décisions ou ordonnances », mais englobe toute question à l’égard de laquelle il est possible d’obtenir réparation en application de l’article 18. La compétence de la Cour ne se limite pas au contrôle des « décisions », mais s’étend au contrôle des actes administratifs susceptibles d’être visés par les réparations prévues à l’article 18. La Cour a compétence pour déterminer si la Commission a outrepassé sa compétence ou abusé de son pouvoir en émettant une recommandation défavorable au demandeur.

Il n’y avait aucun fondement à l’argument selon lequel la recommandation de la Commission n’était pas susceptible de contrôle parce qu’elle ne constituait pas une « décision définitive qui tranche une question fondamentale ». Les décisions provisoires sont susceptibles de contrôle si elles touchent les intérêts de la personne visée. La recommandation de la Commission a joué un rôle important, voire déterminant, dans la décision défavorable du directeur du pénitencier. Qui plus est, l’avis de la Commission était manifestement important pour le directeur puisque celui-ci l’a demandé sans y être obligé par la loi. La recommandation était suffisamment préjudiciable aux intérêts du demandeur pour justifier l’examen judiciaire.

2) Selon un principe fondamental de droit public, tous les actes gouvernementaux doivent se fonder sur un pouvoir conféré par la loi. Il n’y a dans la LSCMLC aucune disposition conférant à la Commission le pouvoir de tenir des audiences, d’examiner la preuve, de tirer des conclusions de fait ou d’émettre des recommandations relativement aux demandes de PSE. Le paragraphe 17(1) donne clairement au directeur du pénitencier le pouvoir de prendre des décisions, sous réserve de la restriction prévue par l’article 746.1 du Code criminel. Cette disposition ne s’appliquait pas en l’espèce parce que la PSE demandée ne serait pas accordée plus de trois ans avant l’expiration du délai préalable à la libération conditionnelle. Dans de tels cas, la loi n’exige pas que le directeur du pénitencier obtienne l’approbation de la Commission relativement à une demande de PSE.

3) Étant donné que la Commission avait outrepassé sa compétence, il n’y avait pas lieu de déterminer quelles exigences de procédure ou de fond s’appliquaient.

4) En vertu du paragraphe 144(2) de la LSCMLC, la Commission peut communiquer ses décisions au public à certaines conditions. Étant donné que la recommandation de la Commission n’était pas une « décision », elle n’aurait pas dû être communiquée aux médias.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 746.1 (édicté par L.C. 1995, ch. 22, art. 6; ch. 42, art. 87b)).

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 2 « office fédéral » (mod. par L.C. 1990, ch. 18, art. 1), 18 (mod. idem, art. 4), 18.1 (édicté idem, art. 5).

Loi sur la pension de la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-36.

Loi sur la pension de retraite des Forces canadiennes, L.R.C. (1985), ch. C-17.

Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20, art. 2, 17 (mod. par L.C. 1995, ch. 42, art. 7; 1998, ch. 35, art. 108).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Markevich c. Canada, [1999] 3 C.F. 28 (1999), 172 D.L.R. (4th) 164; 99 DTC 5136; 163 F.T.R. 209 (1re inst.); Krause c. Canada, [1999] 2 C.F. 476 (1999), 19 C.C.P.B. 179; 236 N.R. 317 (C.A.); Alberta Wilderness Assn. c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), [1999] 1 C.F. 483 (1998), 29 C.E.L.R. (N.S.) 21; 238 N.R. 88 (C.A.); Abel et al. and Advisory Review Board et al., (Re) (1980), 31 O.R. (2d) 520; 119 D.L.R. (3d) 101; 56 C.C.C. (2d) 153 (C.A.); Kampman c. Canada (Conseil du Trésor), [1996] 2 C.F. 798 (1996), 134 D.L.R. (4th) 672; 19 C.C.E.L. (2d) 256; 195 N.R. 321 (C.A.); Steele c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1998] A.C.F. 1428 (1re inst.) (QL) (sur l’absence de compétence de la Commission).

DÉCISION NON SUIVIE :

Steele c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1998] A.C.F. 1428 (1re inst.) (QL) (sur la question de savoir si la Commission agissait à titre d’« office fédéral »).

DOCTRINE

Brown, D. J. M. and Evans, J. M. Judicial Review of Administrative Action in Canada, éd. en feuilles mobiles Toronto : Canvasback Publishing, 1998.

DEMANDE de contrôle judiciaire d’une recommandation de la Commission nationale des libérations conditionnelles selon laquelle un détenu purgeant une peine d’emprisonnement à perpétuité doit se voir refuser la permission de sortir avec escorte. Demande accueillie.

ONT COMPARU :

Garth Barriere pour le demandeur.

Raymond Leong pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Garth Barriere, Vancouver, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance et l’ordonnance rendus par

[1]        Le juge Tremblay-Lamer : Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7 [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5] (la Loi), contre une recommandation faite par la Commission nationale des libérations conditionnelles (la Commission) relativement à la demande de permission de sortir avec escorte (PSE) présentée par le demandeur.

[2]        Le demandeur purge une peine d’emprisonnement à perpétuité à l’établissement Mission pour l’homicide involontaire coupable de sa mère. Il est incarcéré depuis le 8 janvier 1993.

[3]        Le 27 juin 1999, le demandeur a fait une demande de PSE en vue de participer au Long-Term Inmates Now in the Community Program (LINC). De telles demandes sont adressées au directeur du pénitencier (le directeur) aux termes du paragraphe 17(1) [mod. par L.C. 1995, ch. 42, art. 7; 1998, ch. 35, art. 108] de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 (la LSCMLC).

[4]        Le directeur du pénitencier a consulté la Commission sur l’opportunité de la demande. Le 15 octobre 1999, la Commission a tenu une audience relative à la demande, à laquelle a participé le demandeur.

[5]        Au cours de l’audience, l’un des membres de la Commission a mentionné un rapport destiné à l’avocat de la Couronne qui avait probablement été préparé dans le cadre de l’enquête policière relative à l’homicide de la mère du demandeur. Dans le rapport, un policier a posé l’hypothèse que l’infraction commise par le demandeur comportait une agression sexuelle. Le demandeur a été interrogé sur cette allégation par la Commission, mais une copie du rapport ne lui avait pas été fournie avant l’audience.

[6]        Le jour même, la Commission a fait au directeur du pénitencier la « recommandation » que la demande présentée par le demandeur soit rejetée. L’extrait suivant des conclusions de la Commission est particulièrement pertinent :

[traduction] Vous [le demandeur] purgez une peine à perpétuité (maximale) pour homicide involontaire coupable. Vous avez étranglé et poignardé votre mère jusqu’à ce que mort s’ensuive. Il y avait des éléments de preuve matérielle indiquant qu’elle avait été agressée sexuellement. Au moment de votre arrestation et pendant de nombreuses années, vous n’avez fait preuve d’aucun remords pour ce crime. Vous niez fermement l’avoir agressé sexuellement, mais vous avez refusé de fournir un échantillon de substances corporelles aux fins d’un test d’ADN qui aurait pu vous disculper de cette partie du crime […] [Dossier du demandeur, vol. I, onglet 3, aux p. 114 et 115.]

[7]        Le 19 octobre 1999, la Commission a communiqué sa recommandation à deux organes de presse différents.

[8]        Le 9 novembre 1999, le directeur du pénitencier a refusé ainsi la demande présentée par le demandeur :

[traduction] La Commission nationale des libérations conditionnelles a été consultée au sujet des permissions de sortir avec escorte pour M. McCabe. La Commission a fait une recommandation défavorable. Ses réserves provenaient du fait que M. McCabe commençait tout juste à reconnaître ses problèmes et à suivre une thérapie pour les régler. La Commission a estimé que M. McCabe avait besoin de poursuivre sa thérapie et ses traitements.

Il a été révélé à la réunion du 9-11-99 du Comité d’unité que M. McCabe avait récemment cessé d’assister aux séances individuelles avec le psychologue. Il est clair que certains problèmes doivent être réglés avant le sujet puisse être considéré prêt à la libération sous condition.

La permission de sortir avec escorte est refusée. [Ibid., à la p. 120.]

[9]        Le 28 février 2000, le demandeur a déposé une demande de contrôle judiciaire auprès de la Cour.

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

PERTINENTES

[10]      Loi sur la Cour fédérale [articles 2 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 1), 18 (mod., idem, art. 4), 18.1 (édicté, idem, art. 5)] :

2. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

[…]

« office fédéral » Conseil, bureau, commission ou autre organisme, ou personne ou groupe de personnes, ayant, exerçant ou censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d’une prérogative royale, à l’exclusion d’un organisme constitué sous le régime d’une loi provinciale ou d’une personne ou d’un groupe de personnes nommées aux termes d’une loi provinciale ou de l’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867.

[…]

18. (1) Sous réserve de l’article 28, la Section de première instance a compétence exclusive, en première instance, pour :

a) décerner une injonction, un bref de certiorari, de mandamus, de prohibition ou de quo warranto, ou pour rendre un jugement déclaratoire contre tout office fédéral;

b) connaître de toute demande de réparation de la nature visée par l’alinéa a), et notamment de toute procédure engagée contre le procureur général du Canada afin d’obtenir réparation de la part d’un office fédéral.

[…]

18.1 (1) Une demande de contrôle judiciaire peut être présentée par le procureur général du Canada ou par quiconque est directement touché par l’objet de la demande.

(2) Les demandes de contrôle judiciaire sont à présenter dans les trente jours qui suivent la première communication, par l’office fédéral, de sa décision ou de son ordonnance au bureau du sous-procureur général du Canada ou à la partie concernée, ou dans le délai supplémentaire qu’un juge de la Section de première instance peut, avant ou après l’expiration de ces trente jours, fixer ou accorder.

(3) Sur présentation d’une demande de contrôle judiciaire, la Section de première instance peut :

a) ordonner à l’office fédéral en cause d’accomplir tout acte qu’il a illégalement omis ou refusé d’accomplir ou dont il a retardé l’exécution de manière déraisonnable;

b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu’elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l’office fédéral.

(4) Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises par la Section de première instance si elle est convaincue que l’office fédéral, selon le cas :

a) a agi sans compétence, outrepassé celle-ci ou refusé de l’exercer;

b) n’a pas observé un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale ou toute autre procédure qu’il était légalement tenu de respecter;

c) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d’une erreur de droit, que celle-ci soit manifeste ou non au vu du dossier;

d) a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose;

e) a agi ou omis d’agir en raison d’une fraude ou de faux témoignages;

f) a agi de toute autre façon contraire à la loi.

[11]      Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition :

2. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente partie.

[…]

« institutional head », in relation to a penitentiary, means the person who is normally in charge of the penitentiary; [Version anglaise seulement]

[…]

17. (1) Sous réserve de l’article 746.1 du Code criminel et du paragraphe 140.3(2) de la Loi sur la défense nationale, le directeur du pénitencier peut autoriser un délinquant à sortir si celui-ci est escorté d’une personne—agent ou autre—habilitée à cet effet par lui lorsque, à son avis :

a) une récidive du délinquant pendant la sortie ne présentera pas un risque inacceptable pour la société;

b) il l’estime souhaitable pour des raisons médicales, administratives, de compassion ou en vue d’un service à la collectivité, ou du perfectionnement personnel lié à la réadaptation du délinquant, ou pour lui permettre d’établir ou d’entretenir des rapports familiaux notamment en ce qui touche ses responsabilités parentales;

c) la conduite du détenu pendant la détention ne justifie pas un refus;

d) un projet structuré de sortie a été établi.

La permission est accordée soit pour une période maximale de cinq jours ou, avec l’autorisation du commissaire, de quinze jours, soit pour une période indéterminée s’il s’agit de raisons médicales.

[12]      Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46 [article 746.1 (édicté par L.C. 1995, ch. 22, art. 6; ch. 42, art. 87b))] :

746.1 (1) […]

(2) Sous réserve du paragraphe (3), en cas de condamnation à l’emprisonnement à perpétuité assortie, conformément à la présente loi, d’un délai préalable à la libération conditionnelle, il ne peut être accordé, sauf au cours des trois années précédant l’expiration de ce délai :

[…]

c) de permission de sortir avec escorte, sous le régime d’une de ces lois, sauf pour des raisons médicales ou pour comparution dans le cadre de procédures judiciaires ou d’enquêtes du coroner, sans l’agrément de la Commission nationale des libérations conditionnelles.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[13]      Les questions à trancher dans la présente demande sont les suivantes :

A) La Cour fédérale a-t-elle compétence pour contrôler la recommandation de la Commission?

B) Dans l’affirmative, la Commission avait-elle compétence pour émettre une recommandation dans les circonstances de la présente affaire?

C) Dans l’affirmative, la Commission a-t-elle privé le demandeur de l’équité procédurale ou fondé sa recommandation sur une conclusion de fait erronée?

D) La Commission a-t-elle outrepassé sa compétence en communiquant sa recommandation aux médias?

ANALYSE

A)        La Cour fédérale a-t-elle compétence pour contrôler la recommandation de la Commission?

[14]      La principale question en litige consiste à savoir si la Cour a compétence pour contrôler la recommandation de la Commission. Une fois cette question résolue, les autres questions peuvent être réglées rapidement.

[15]      La question est de savoir si, dans le contexte de la présente affaire, la Commission agissait en tant qu’« office fédéral » au sens du paragraphe 2(1) et des articles 18 et 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale. La Cour s’est penchée directement sur cette question dans l’affaire Steele c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1998] A.C.F. 1428 (1re inst.) (QL). Dans cette affaire, le détenu sollicitait également le contrôle judiciaire de la recommandation défavorable de la Commission relativement à sa demande de PSE. La Cour (aux paragraphes 7 et 8) a jugé qu’étant donné que la Commission n’exerçait pas un pouvoir conféré par la loi, sa recommandation ne constituait pas une décision susceptible de contrôle :

Manifestement, l’article 746.1 [du Code criminel] ne s’applique pas au présent demandeur, qui est incarcéré depuis le 18 janvier 1985 et fait l’objet d’une condamnation assortie d’un délai préalable de dix ans à la libération conditionnelle. Ce n’était donc pas à la Commission mais au directeur du pénitencier qu’il appartenait de décider s’il y avait lieu d’accorder au demandeur des permissions de sortir avec escorte. Par conséquent, comme le soutient le défendeur, la Commission n’exerçait pas un pouvoir conféré par une loi fédérale et « n’agissait donc pas en tant qu’office fédéral » au sens des articles 2, 18 et 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale. L’article 2 de la Loi sur la Cour fédérale définit un « office fédéral » de la façon suivante : « conseil, bureau, commission ou autre organisme, ou personne ou groupe de personnes, ayant, exerçant ou censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d’une prérogative royale ».

Il s’ensuit que la « décision » de la Commission n’est pas une décision susceptible de contrôle par la Cour et qu’il n’est donc pas nécessaire de poursuivre l’étude des autres questions.

[16]      De façon générale, l’argumentation du défendeur suit ce raisonnement. Le demandeur est incarcéré depuis le 8 janvier 1993 et purge une peine d’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération sous condition. Le paragraphe 746.1(2) du Code criminel ne s’applique donc pas puisque la PSE demandée ne serait pas accordée plus de trois ans avant l’expiration du délai préalable à la libération conditionnelle. Dans un tel cas, la loi n’exige pas que le directeur du pénitencier obtienne l’approbation de la Commission relativement à une demande de PSE. En vertu du paragraphe 17(1) de la LSCMLC, c’est le directeur du pénitencier qui a le pouvoir définitif de prendre la décision. La Commission n’agissait pas en vertu d’un pouvoir conféré par la loi, mais simplement en vertu d’une politique établie par le commissaire du Service correctionnel. Elle n’agissait donc pas en tant qu’ « office fédéral » au sens de la Loi sur la Cour fédérale.

[17]      Avec égards, je n’accepte pas une interprétation aussi restrictive de l’expression « office fédéral ». À mon avis, l’interprétation stricte de la compétence de la Cour qui a été proposée par le défendeur limiterait le contrôle judiciaire aux décisions administratives prises en vertu d’un pouvoir conféré par la loi. Dans les faits, cela empêcherait le contrôle des actes administratifs ultra vires, qui constituent l’objet même des recours prévus par l’article 18.

[18]      Je suis entièrement d’accord avec le demandeur que la définition d’« office fédéral » figurant au paragraphe 2(1) de la Loi sur la Cour fédérale vise à différencier les genres d’organismes, et non les genres d’actions. La Loi sur la Cour fédérale s’applique aux organismes qui tirent leurs pouvoirs des lois fédérales. Dès qu’il est conclu qu’un organisme a des pouvoirs conférés par une loi fédérale, toutes les actions de cet organisme qui touchent les droits d’une personne sont susceptibles de contrôle judiciaire.

[19]      Cette question a été abordée par le juge Evans dans la décision Markevich c. Canada, [1999] 3 C.F. 28 (1re inst.), où il a examiné la question de savoir si une réclamation relative à des impôts impayés présentée par Revenu Canada était susceptible de contrôle judiciaire aux termes de l’article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale. Il a conclu que la définition d’« office fédéral » figurant au paragraphe 2(1) de la Loi sur la Cour fédérale s’appliquait dans la mesure où l’acte administratif en question était accompli par une personne ou un organisme ayant des pouvoirs conférés par la loi : Markevich, précitée, aux paragraphes 11 à 13.

[20]      En l’espèce, la partie II de la LSCMLC confère clairement un pouvoir à la Commission nationale des libérations conditionnelles. Par conséquent, lorsque celle-ci exerce ou prétend exercer ce pouvoir, elle est un « office fédéral » au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur la Cour fédérale.

[21]      Le défendeur soutient aussi que la recommandation faite par la Commission nationale des libérations conditionnelles n’est même pas « une décision » au sens de l’article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale. Encore une fois, je ne suis pas d’accord.

[22]      À mon avis, ce raisonnement est mis en doute par l’arrêt récemment rendu par la Cour d’appel fédérale dans Krause c. Canada, [1999] 2 C.F. 476 (C.A.). Dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire sous-jacente, les appelants dans cette affaire sollicitaient une ordonnance de mandamus, une ordonnance de prohibition ainsi qu’un jugement déclaratoire relativement à des procédures comptables qui, selon eux, contrevenaient aux exigences de la Loi sur la pension de la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-36, et de la Loi sur la pension de retraite des Forces canadiennes, L.R.C. (1985), ch. C-17. Pour les fins de l’appel, la Cour devait déterminer si la demande sollicitant de telles réparations était assujettie au délai de 30 jours prescrit par le paragraphe 18.1(2). Pour répondre à cette question, la Cour a examiné la portée du paragraphe 18.1(1), qui permet à « quiconque est directement touché par l’objet de la demande » de présenter une demande de contrôle judiciaire. Elle a estimé que « l’objet de la demande » ne se limitait pas aux « décisions ou ordonnances », mais qu’il englobait toute question à l’égard de laquelle il est possible d’obtenir réparation en application de l’article 18. Le juge Stone, J.C.A. a conclu que (au paragraphe 24) :

L’exercice de la compétence prévue à l’article 18 n’est pas subordonné à l’existence d’une « décision ou ordonnance ». Dans Alberta Wilderness Assn. c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), [(1997), 26 C.E.L.R. (N.S.) 238 (C.F. 1re inst.), aux p. 241 et 242], le juge Hugessen a fait observer que le recours prévu par cette disposition « ne dépend pas de l’existence préalable d’une décision ni d’une ordonnance ». En l’espèce, l’existence d’une décision générale d’adopter les recommandations de l’Institut canadien des comptables agréés ne fait pas courir le délai de prescription du paragraphe 18.1(2) de façon à rendre les appelants irrecevables à agir en mandamus, prohibition ou jugement déclaratoire. Autrement, quelqu’un qui serait dans le même cas n’aurait jamais la possibilité de demander justice sous le régime de l’article 18 du seul fait que le supposé acte invalide ou illégal découle d’une décision antérieurement prise en la matière. Cette dernière décision n’est pas elle-même un manquement à quelque obligation légale que ce soit. S’il y a eu manquement, celui-ci tient aux actes accomplis par le ministre responsable en violation du texte de loi applicable.

[23]      La Cour a reconnu que sa compétence ne se limitait pas au contrôle des « décisions », mais qu’elle s’étendait au contrôle des actes administratifs susceptibles d’être visés par les réparations prévues à l’article 18.

[24]      Me fondant sur l’arrêt Krause et sur l’arrêt Alberta Wilderness Assn. c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), [1999] 1 C.F. 483 (C.A.), au paragraphe 6, je conclus que la Cour a compétence pour déterminer si la Commission a outrepassé sa compétence ou abusé de son pouvoir en émettant une recommandation défavorable au demandeur.

[25]      En dernier lieu, le défendeur prétend que la recommandation de la Commission n’est pas susceptible de contrôle parce qu’elle ne constitue pas une « décision définitive qui tranche une question fondamentale ». J’estime que cet argument est sans fondement. Il est établi en droit administratif que les décisions provisoires sont susceptibles de contrôle si elles touchent les intérêts de la personne visée. Comme il a été souligné dans D. J. M. Brown et J. M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada, édition en feuilles mobiles (Toronto : Canvasback Publishing, 1998), à la page 2-65, la portée du contrôle judiciaire [traduction] « s’était étendue à la décision statuant effectivement sur les droits substantiels de la partie visée, même s’il ne s’agit pas nécessairement de la décision finale du tribunal ».

[26]      La Cour d’appel de l’Ontario s’est penchée sur la question de savoir si les exigences de l’équité procédurale s’appliquent aux décisions provisoires, dans l’arrêt Abel et al. and Advisory Review Board et al., (Re) (1980), 31 O.R. (2d) 520. Le Conseil consultatif de révision était chargé de réviser annuellement le cas des patients détenus dans des institutions psychiatriques en vertu d’un mandat délivré par le lieutenant-gouverneur. Il fournissait ensuite des recommandations écrites au lieutenant-gouverneur en conseil. Aux pages 532 et 533, la Cour a dit :

[traduction] Dans l’arrêt Martineau (no 2), précité, le juge Dickson a dit aux pages 622 et 623, R.C.S., à la p. 373 C.C.C., à la p. 405 D.L.R. :

À mon avis, on peut recourir au certiorari chaque fois qu’un organisme public a le pouvoir de trancher une question touchant aux droits, intérêts, biens, privilèges ou libertés d’une personne.

Je suis d’avis que le conseil [consultatif de révision] a le pouvoir de trancher une telle question. Le juge Grange a fait remarquer (24 O.R. (2d) 279, à la page 292, 46 C.C.C. (2d) 342, à la page 356, 97 D.L.R. (3d) 304, à la page 318) :

[traduction] Le lieutenant-gouverneur n’est évidemment pas tenu d’agir conformément aux recommandations du rapport, mais je ne crois pas aller trop loin—d’ailleurs, j’estime que je ne fais qu’énoncer l’évidence—lorsque je dis que le seul espoir de libération d’un patient repose sur une recommandation favorable du conseil.

Tout comme le lieutenant-gouverneur n’est pas tenu d’agir conformément au rapport du conseil, le conseil n’est pas tenu d’agir conformément aux renseignements et aux rapports fournis par l’agent responsable, mais il ne peut y avoir de doute que ces derniers influencent le conseil et peuvent être déterminants dans de nombreux cas. Si l’avocat du patient cherche, comme il le doit, à bien représenter son client, son désir, voire son besoin impératif, d’examiner ces rapports est fort compréhensible.

Je suis entièrement d’accord avec ces commentaires, mais j’irais encore plus loin. L’objectif visé par la mise sur pied d’un conseil consultatif de révision était de créer un organisme indépendant, possédant une expertise vaste et diversifiée et susceptible d’acquérir rapidement une expertise encore plus grande à l’égard du type de problèmes qui lui serait soumis, dans l’espoir que personne ne serait gardé indéfiniment dans un établissement psychiatrique, à demi oublié et sans que son cas ne soit réexaminé, si ce n’est par le personnel de l’établissement. Il est inhérent à la conception et au fonctionnement d’un tel conseil que ses recommandations soient pratiquement toujours acceptées.

[27]      Citant Abel, la Cour d’appel fédérale a tiré la même conclusion dans l’arrêt Kampman c. Canada (Conseil du Trésor), [1996] 2 C.F. 798 (C.A.) (aux paragraphes 58 et 59) :

Avant d’aborder les autres voies de recours appropriées, il y a lieu d’examiner deux questions subsidiaires. La première consiste à savoir si le cas sous étude peut se différencier de celui de Knight par le fait que la décision de l’administrateur général recommandant le congédiement de l’intimée de la fonction publique n’était pas « finale ». À mon avis, la réponse est non. Une abondante jurisprudence veut qu’une décision ne soit pas obligatoirement finale pour qu’une obligation d’équité s’y rattache. Comme le dit H. W. R. Wade dans Administrative Law, 6e éd. (Oxford : Clarendon Press, 1988) aux pages 570 et 571, le pouvoir de recommander peut aussi comporter l’obligation d’agir équitablement :

[traduction] La justice naturelle se rapporte à l’exercice du pouvoir, c’est-à-dire aux actes et ordres qui ont des effets juridiques et qui, d’une certaine façon, modifient la situation juridique d’une personne en la désavantageant. Cependant, les étapes préliminaires qui, par elles-mêmes, n’ont pas de conséquences juridiques immédiates, peuvent conduire à des actes ou des ordres qui en entraînent. Dans ce cas, la protection qu’offre une procédure équitable se révélerait nécessaire tout au long et les étapes successives doivent être considérées non seulement séparément, mais dans leur ensemble. La question qui doit se poser est celle de savoir si chaque étape, vue dans le cadre d’ensemble de la procédure légale, est équitable envers les personnes touchées.

[…]

En général, cependant, les tribunaux favorisent le respect de la justice naturelle dans les enquêtes préliminaires et les rapports qui peuvent avoir de graves effets juridiques sur une personne. [Non souligné dans le texte; les renvois sont omis.]

En somme, lorsque le pouvoir de recommander ou d’aviser peut éventuellement avoir de graves conséquences défavorables pour la personne concernée, comme c’est le cas en l’espèce, il est clair qu’une obligation d’agir équitablement peut en résulter : voir Munro (Re) (1993), 105 D.L.R. (4th) 342 (C.A. Sask.); Abel et al. and Advisory Review Board et al., (Re) (1979), 24 O.R. (2d) 279 (C. div.), confirmé par (1980), 31 O.R. (2d) 520 (C.A.); et J. M. Evans, éditeur, de Smith’s Judicial Review of Administrative Action, 4e éd. (Londres : Stevens and Sons, 1980) aux pages 233 à 237.

[28]      En l’espèce, la recommandation de la Commission a joué un rôle important, voire déterminant, dans la décision défavorable du directeur du pénitencier, précitée :

[traduction] La Commission nationale des libérations conditionnelles a été consultée au sujet des permissions de sortir avec escorte pour M. McCabe. La Commission a fait une recommandation défavorable. Ses réserves provenaient du fait que M. McCabe commençait tout juste à reconnaître ses problèmes et à suivre une thérapie pour les régler. La Commission a estimé que M. McCabe avait besoin de poursuivre sa thérapie et ses traitements.

Il a été révélé à la réunion du 9-11-99 du Comité d’unité que M. McCabe avait récemment cessé d’assister aux séances individuelles avec le psychologue. Il est clair que certains problèmes doivent être réglés avant le sujet puisse être considéré prêt à la libération sous condition.

La permission de sortir avec escorte est refusée.

[29]      Qui plus est, l’avis de la Commission était manifestement important pour le directeur puisque celui-ci l’a demandé sans y être obligé par la loi. J’estime que la recommandation était suffisamment préjudiciable aux intérêts du demandeur pour justifier l’examen judiciaire. Il est difficile d’imaginer que le directeur aurait accordé la demande du demandeur malgré une recommandation défavorable de la Commission.

B)        La Commission avait-elle compétence pour émettre une recommandation dans les circonstances de la présente affaire?

[30]      Le demandeur soutient que la Commission a agi sans compétence en émettant une recommandation au directeur du pénitencier. Il souligne que dans Steele, précité, au paragraphe 7, le juge Dubé a conclu que la Commission avait en fait agi sans compétence :

[…] la Commission n’exerçait pas un pouvoir conféré par une loi fédérale et « n’agissait donc pas en tant qu’office fédéral » au sens des articles 2, 18 et 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale.

[31]      Selon un principe fondamental de droit public, tous les actes gouvernementaux doivent se fonder sur un pouvoir conféré par la loi : D. J. Brown et J. M. Evans, op. cit., à la page 13-1. Je ne trouve dans la LSCMLC aucune disposition conférant à la Commission le pouvoir de tenir des audiences, d’examiner la preuve, de tirer des conclusions de fait ou d’émettre des recommandations relativement aux demandes de PSE. Le paragraphe 17(1) donne clairement au directeur du pénitencier le pouvoir de prendre des décisions, sous réserve de la restriction prévue par l’article 746.1 du Code criminel. Comme l’a fait remarquer le défendeur, cette disposition ne s’applique pas en l’espèce parce que la PSE demandée ne serait pas accordée plus de trois ans avant l’expiration du délai préalable à la libération conditionnelle. Dans de tels cas, la loi n’exige pas que le directeur du pénitencier obtienne l’approbation de la Commission relativement à une demande de PSE. En ce qui concerne l’absence de compétence de la Commission, je souscris donc à la conclusion tirée par le juge Dubé dans Steele, précité.

C)        L’équité procédurale et la conclusion de fait erronée

[32]      Étant donné la conclusion que la Commission avait outrepassé sa compétence en émettant la recommandation, il n’y a pas lieu de déterminer quelles exigences de procédure ou de fond s’appliquent en l’espèce.

D)        La Commission a-t-elle outrepassé sa compétence en communiquant sa recommandation aux médias?

[33]      En vertu du paragraphe 144(2) de la LSCMLC, la Commission peut communiquer ses décisions au public à certaines conditions. Le défendeur admet que si la recommandation de la Commission n’est pas une « décision », elle n’aurait pas dû être communiquée, et il convient avec le demandeur que la réparation appropriée consiste en une ordonnance interdisant à la Commission de communiquer ses recommandations dans des cas semblables.

[34]      Compte tenu de ma conclusion selon laquelle la recommandation ne constitue pas l’exercice valide d’un pouvoir conféré par la loi, l’ordonnance sollicitée par le demandeur est accordée.

DISPOSITIF

[35]      Le contrôle judiciaire est accordé.

[36]      La Cour déclare que la Commission nationale des libérations conditionnelles a agi sans compétence lorsqu’elle a émis la recommandation.

[37]      La recommandation étant invalide, la Cour ordonne à la Commission nationale des libérations conditionnelles de retirer toutes les copies de la recommandation figurant aux dossiers qu’elle détient sur le demandeur.

[38]      La Cour déclare que la Commission nationale des libérations conditionnelles a outrepassé sa compétence lorsqu’elle a communiqué sa recommandation aux médias.

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