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[2001] 3 C.F. 682

IMM-484-01

2001 CFPI 148

Ruquan Wang (demandeur)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)

Répertorié : Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1re inst.)

Section de première instance, juge Pelletier—Ottawa et Toronto (conférence téléphonique), 6 février; Ottawa, 6 mars 2001.

Citoyenneté et Immigration — Exclusion et renvoi — Processus d’enquête en matière d’immigration — Demande de différer le renvoi jusqu’à ce que la demande invoquant des raisons d’ordre humanitaire, présentée en vertu de l’art. 114(2) de la Loi sur l’immigration, ait été tranchée — Demande additionnelle de contrôle judiciaire du refus de l’agent chargé du renvoi de différer le renvoi jusqu’à ce que la demande invoquant des raisons d’ordre humanitaire ait été tranchée — Sa revendication de statut de réfugié et sa demande d’être considéré comme DNRSRC avaient déjà été rejetées lorsqu’il a épousé sa compagne, qui a par la suite parrainé sa demande de résidence permanente — Le demandeur voulait qu’on traite sa demande alors qu’il était toujours au Canada, en vertu de l’art. 114(2) de la Loi, au motif qu’il serait séparé de sa famille — Une ordonnance de renvoi a été délivrée avant que la demande pour raisons humanitaires ne soit tranchée — L’agent chargé du renvoi a refusé de différer le renvoi — Certaines affaires ont conclu que pour accorder le sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi, il faut que la validité de la mesure de renvoi même soit contestée, mais d’autres ont conclu à la compétence de la Cour de surseoir à l’exécution d’une mesure de renvoi jusqu’à ce qu’on ait traité une autre procédure qui ne mettait pas en question la validité de la mesure de renvoi — Lorsque la requête de sursis est en corrélation avec le refus de différer le renvoi, la décision sur une requête de sursis d’exécution tranche la demande de contrôle judiciaire sous-jacente — Par conséquent, un demandeur pourrait obtenir la réparation sollicitée dans sa demande interlocutoire sur une base moins exigeante, nonobstant le fait que cette réparation est justement celle qui est sollicitée dans le cadre du contrôle judiciaire — Si on sollicite la même réparation, on devrait l’obtenir sur la même base — Comme la décision sur une requête de sursis d’exécution tranche la demande de contrôle judiciaire sous-jacente, il y a lieu d’examiner le fond de la demande — Le volet du critère qui porte sur la « question sérieuse » se transforme en « critère de vraisemblance que la demande sous-jacente soit accueillie » — Le pouvoir discrétionnaire d’un agent chargé du renvoi d’en différer l’exécution est en litige — Comme la Loi ne mentionne pas les agents chargés du renvoi, les fonctionnaires exercent le même pouvoir discrétionnaire que le ministre — Le pouvoir discrétionnaire de l’art. 48 de la Loi porte que la mesure de renvoi est exécutée « dès que les circonstances le permettent » — Une demande de report ne devrait être présentée que dans le contexte d’une procédure connexe qui pourrait avoir un impact sur le caractère exécutoire de la mesure de renvoi, p. ex., toute procédure qui pourrait mener à l’octroi du droit d’établissement — La disponibilité d’une réparation autre, comme le droit de retour, est un argument de poids à l’encontre de l’octroi d’un report — Le pouvoir de différer devrait être réservé aux affaires où le défaut de différer ferait que la vie du demandeur serait menacée, ou qu’il serait exposé à des sanctions excessives ou à un traitement inhumain, alors qu’on ne pourrait annuler les conséquences d’un renvoi en réadmettant la personne au pays par suite d’un gain de cause dans sa demande qui était pendante — Les affaires qui causent des difficultés à la famille peuvent être corrigées par une réadmission — Une évaluation des risques dans le cadre de la révision des revendications refusées a mené à la conclusion qu’il n’y avait pas de risque objectif identifiable pour le demandeur s’il était renvoyé en Chine.

La présente est une demande de sursis à l’exécution de la mesure de renvoi prise contre le demandeur. Sa revendication de statut de réfugié et sa demande d’être considéré comme membre de la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada (DNRSRC) avaient déjà été rejetées lorsqu’il a épousé sa compagne, qui a par la suite parrainé sa demande de résidence permanente. Il demandait qu’on traite cette demande alors qu’il était toujours au Canada, comme le prévoit le paragraphe 114(2) de la Loi sur l’immigration (la demande invoquant des raisons d’ordre humanitaire). Cinq mois plus tard il a été arrêté et informé qu’il serait expulsé. L’agent chargé du renvoi a refusé de différer le renvoi jusqu’à ce que sa demande invoquant des raisons d’ordre humanitaire ait été tranchée. Le demandeur a alors présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision de l’agent chargé du renvoi, ainsi qu’une demande de sursis à l’exécution de la mesure de renvoi prise contre lui.

Jugement : la demande de sursis est rejetée.

Bien que la jurisprudence appuie l’assertion qui veut que pour accorder le sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi il faut que la validité de la mesure de renvoi même soit contestée, il y a plusieurs jugements de notre Cour où les juges se sont déclarés compétents pour surseoir à l’exécution d’une mesure de renvoi jusqu’à ce qu’on ait traité une autre procédure qui ne mettait pas en question la validité de la mesure de renvoi, par ex., pour protéger l’intégrité de ses procédures. La Cour agit de manière à ce que toute personne qui peut démontrer qu’elle a une revendication valable pour raisons d’ordre humanitaire soit en mesure de tirer profit du succès de sa demande. Alors qu’auparavant la requête pour obtenir un sursis découlait de la décision de renvoyer un demandeur, il y a maintenant un grand nombre de demandes où la décision contestée est la décision de ne pas différer l’exécution de la mesure de renvoi. Dans les affaires antérieures, le fait d’accorder le sursis ne se traduisait pas par l’octroi de la réparation demandée dans le contrôle judiciaire, puisque ce dernier portait sur une autre décision. Toutefois, lorsque la requête de sursis est en corrélation avec le refus de différer le renvoi, le fait d’octroyer le sursis accorde à l’intéressé ce que l’agent chargé du renvoi lui avait refusé avant que la demande de contrôle judiciaire ait été tranchée au fond. C’est dans ce sens que la décision sur une requête de sursis d’exécution tranche la demande de contrôle judiciaire sous-jacente.

Lorsque le refus de différer soulève une « question sérieuse à trancher », la Cour accordera le sursis visé par la demande de contrôle judiciaire. Une « question sérieuse à trancher » consiste tout simplement dans la détermination que la question soulevée n’est pas futile. Pour obtenir gain de cause dans le cadre du contrôle judiciaire sous-jacent, le demandeur doit démontrer que la décision de ne pas différer l’exécution doit faire l’objet d’un contrôle par suite d’une erreur de droit, d’une erreur quant à la compétence, d’une conclusion de fait erronée tirée de façon arbitraire ou d’un déni de justice naturelle. Si le sursis est accordé, la réparation aura été obtenue sur une conclusion que la question soulevée n’est pas futile. Si le sursis n’est pas accordé et que la demande de contrôle judiciaire est examinée, le demandeur devra démontrer au fond qu’il y a un motif d’accorder la réparation demandée. Par conséquent, un demandeur pourrait obtenir la réparation sollicitée dans sa demande interlocutoire sur une base moins exigeante, nonobstant le fait que cette réparation est justement celle qui est sollicitée dans le cadre du contrôle judiciaire. Si on sollicite la même réparation, on devrait l’obtenir sur la même base dans les deux cas. Par conséquent, dans les affaires où une requête de sursis est présentée à la suite du refus de l’agent chargé du renvoi d’en différer l’exécution, le juge saisi de l’affaire doit aller plus loin que l’application du critère de la « question sérieuse » et examiner de près le fond de la demande sous-jacente. Le volet du critère qui porte sur la « question sérieuse » se transforme en « critère de vraisemblance que la demande sous-jacente soit accueillie ». Les différences entre une requête de sursis et une demande de contrôle judiciaire portant sur un refus de différer ne justifient pas qu’on traite différemment la question sous-jacente.

La Loi ne contient aucune mention des agents chargés du renvoi ou de l’expulsion. Les fonctionnaires qui exercent un pouvoir discrétionnaire qui ne leur est pas conféré expressément par la Loi exercent le même pouvoir discrétionnaire que le ministre. L’étendue de ce pouvoir discrétionnaire n’est pas liée à leur situation personnelle au sein de la bureaucratie, mais bien au pouvoir discrétionnaire dont le ministre peut se prévaloir. Les mesures de renvoi ont force de loi et le ministre est tenu de les exécuter. Le ministre n’a pas un pouvoir discrétionnaire indéfini de traiter les mesures de renvoi; sa situation par rapport aux mesures de renvoi est exactement la même que celle de tout fonctionnaire public qui doit se décharger d’un devoir prévu par la loi. Le pouvoir discrétionnaire en cause ici se trouve à l’article 48, qui porte que la mesure de renvoi est exécutée « dès que les circonstances le permettent ». Il est significatif que l’octroi de ce pouvoir discrétionnaire se trouve dans le même article qui impose l’obligation d’exécuter les mesures de renvoi.

À part de questions comme les arrangements de voyage et l’état de santé permettant de voyager, l’exécution d’une mesure de renvoi ne peut être mise en cause que par un autre processus prévu par la Loi, étant donné que le ministre n’a pas l’autorité de refuser d’exécuter une telle mesure. Par conséquent, une demande de report ne peut être présentée que dans le contexte d’une procédure connexe qui pourrait avoir un impact sur le caractère exécutoire de la mesure de renvoi. La question que l’on doit se poser est donc la suivante : la procédure en cause peut-elle créer une situation où l’exécution de la mesure de renvoi ne s’imposerait plus? Toute procédure qui pourrait mener à l’octroi du droit d’établissement en est une qui pourrait mener à l’annulation d’une mesure de renvoi ou au fait qu’on ne puisse l’exécuter. Ces procédures sont principalement les demandes invoquant des motifs d’ordre humanitaire et les revendications de DNRSRC, bien qu’il y en a d’autres. Il s’ensuit donc qu’il y a des circonstances où le fait de déférer à une autre procédure peut avoir comme résultat que la mesure de renvoi dont l’exécution est différée devienne de nul effet.

La décision de différer l’exécution doit donc comporter une justification pour ne pas se conformer à une obligation positive imposée par la Loi. Cette justification doit se trouver dans la Loi, ou dans une autre obligation juridique que le ministre doit respecter et qui est suffisamment importante pour l’autoriser à ne pas respecter l’article 48. On doit faire grand état à l’encontre de l’octroi d’un report de la disponibilité d’une réparation autre, comme le droit de retour, puisqu’on trouve là une façon de protéger le demandeur sans avoir recours au non-respect d’une obligation imposée par la Loi. Pour ce motif, en l’absence de considérations particulières, une demande invoquant des motifs d’ordre humanitaire qui n’est pas fondée sur des menaces à la sécurité d’une personne ne peut justifier un report, parce qu’il existe une réparation autre que celle qui consiste à ne pas respecter une obligation imposée par la Loi. Le pouvoir discrétionnaire de différer devrait être réservé aux affaires où le défaut de différer ferait que la vie du demandeur serait menacée, ou qu’il serait exposé à des sanctions excessives ou à un traitement inhumain, alors qu’un report pourrait faire que la mesure devienne de nul effet. Dans de telles circonstances, on ne pourrait annuler les conséquences d’un renvoi en réadmettant la personne au pays par suite d’un gain de cause dans sa demande qui était pendante. Les affaires qui causent des difficultés à la famille sont malheureuses, mais on peut y remédier par une réadmission. En appliquant ce modèle à la présente requête de sursis, le demandeur a fait l’objet d’une évaluation des risques dans le cadre de la révision des revendications refusées, où l’on a conclu à l’absence d’un risque objectif identifiable s’il était renvoyé.

Quant à la question soumise au contrôle judiciaire sous-jacent, il n’y a pas de question sérieuse à trancher au sujet de la conduite de l’agent chargé du renvoi. Une demande pendante invoquant des motifs d’ordre humanitaire fondée sur la séparation d’avec la famille n’est pas un motif de remettre un renvoi à plus tard. La traiter comme étant un tel motif aurait pour résultat de créer un sursis que le législateur n’a pas voulu inclure dans la Loi. L’argument du demandeur est que la perspective qu’il ait gain de cause est tellement forte, que l’agent chargé du renvoi a agi de façon déraisonnable en refusant de différer le renvoi. Les questions que le demandeur a soulevées dans sa demande invoquant des motifs d’ordre humanitaire ne font pas état d’une obligation légale qui justifierait que le ministre ne se décharge pas de l’obligation qui est sienne en vertu de la Loi. La séparation forcée d’avec son épouse est regrettable, mais elle n’a pas l’effet d’exiger une intervention.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.1(4) (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5).

Loi sur le ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration, L.C. 1994, ch. 31, art. 4.

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 6(5) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 3), (8) (mod., idem), 37 (mod., idem, art. 26), 46.07(4) (édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 14; L.C. 1992, ch. 49, art. 40), 48, 52 (mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 30, art. 7; L.C. 1992, ch. 49, art. 42), 53 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 17; L.C. 1992, ch. 49, art. 43; 1995, ch. 15, art. 12), 70 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18; L.C. 1992, ch. 49, art. 65; 1995, ch. 15, art. 13), 74 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18; L.C. 1992, ch. 49, art. 67), 114(2) (mod., idem, art. 102).

Règlement sur l’immigration de 1978, DORS/78-172, art. 2(1) « demandeur non reconnu du statut de réfugié au Canada » (mod. par by DORS/93-44, art. 1), 5(2) (mod. par DORS/97-145, art. 3), 11.2 (mod. par DORS/93-44, art. 10; 97-86, art. 2; 97-182, art. 4).

JURISPRUDENCE

DÉCISION APPLIQUÉE :

RJR—MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311; (1994), 111 D.L.R. (4th) 385; 54 C.P.R. (3d) 114; 164 N.R. 1; 60 Q.A.C. 241.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110; (1987), 38 D.L.R. (4th) 321; [1987] 3 W.W.R. 1; 46 Man. R. (2d) 241; 25 Admin. L.R. 20; 87 CLLC 14,015; 18 C.P.C. (2d) 273; 73 N.R. 341; Toth c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1988), 6 Imm. L.R. (2d) 123; 86 N.R. 302 (C.A.F.); Poyanipur c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1995), 116 F.T.R. 4 (C.F. 1re inst.); Pavalaki c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 338 (C.F. 1re inst.) (QL); Lewis c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1996), 37 Imm. L.R. (2d) 85 (C.F. 1re inst.); Saini c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 4 C.F. 325 (1998), 150 F.T.R. 148 (1re inst.); Simöes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 7 Imm. L.R. (3d) 141 (C.F. 1re inst.); Harry c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 9 Imm. L.R. (3d) 159 (C.F. 1re inst.); Arduengo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] 3 C.F. 468 (1997), 132 F.T.R. 281; 38 Imm. L.R. (2d) 217 (1re inst.).

DÉCISIONS CITÉES :

Shchelkanov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1994), 76 F.T.R. 151 (C.F. 1re inst.); Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; (1999), 174 D.L.R. (4th) 193; 14 Admin. L.R. (3d) 173; 1 Imm. L.R. (3d) 1; 243 N.R. 22; Green c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1984] 1 C.F. 441 (1983), 49 N.R. 225 (C.A.); Cohen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1995), 31 Imm. L.R. (2d) 134 (C.F. 1re inst.).

DOCTRINE

Wade, William Sir and Christopher Forsyth. Administrative Law, 8th ed. Oxford : Oxford University Press, 2000.

DEMANDE de sursis à l’exécution de la mesure de renvoi prise contre le demandeur jusqu’à ce que sa demande, présentée en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi sur l’immigration et invoquant les difficultés causées à la famille pour obtenir qu’on traite cette demande alors qu’il est toujours au Canada, ait été tranchée, en même temps qu’une demande de contrôle judiciaire de la décision de l’agent chargé du renvoi refusant d’en différer l’exécution. Demande rejetée.

ONT COMPARU :

Benjamin A. Kranc pour le demandeur.

Marianne Zoric pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kranc & Associates, Toronto, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

[1]        Le juge Pelletier : Le demandeur, Ruquan Wang, est arrivé au Canada comme visiteur en 1997. À l’expiration de son statut de visiteur en 1998, il a présenté une revendication de statut de réfugié. Cette revendication a été rejetée le 29 janvier 1999. Sa demande d’être considéré comme membre de la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada (DNRSRC) a été rejetée le 9 mars 2000. Il n’a pas sollicité le contrôle judiciaire de ces deux décisions. Le 6 avril 2000, le demandeur a été arrêté en vertu d’un mandat de l’immigration parce qu’il ne s’était pas présenté à l’entrevue en vue de son renvoi. Il a été libéré sous conditions le 5 mai 2000. Le 5 juillet 2000, le demandeur a proposé le mariage à sa compagne, avec qui il vivait depuis décembre 1999, et le mariage a eu lieu le 23 juillet 2000. Le 23 août 2000, le demandeur, parrainé par son épouse, a présenté sa demande de résidence permanente. Il demandait qu’on la traite alors qu’il était toujours au Canada, comme le prévoit le paragraphe 114(2) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 102] de la Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi) (la demande invoquant des raisons d’ordre humanitaire).

[2]        Le 1er septembre 2000, le demandeur a été convoqué au Centre d’exécution de la loi de Mississauga. Il a alors informé l’agent qu’il a rencontré du fait qu’il avait présenté une demande invoquant des raisons d’ordre humanitaire. Aucune autre mesure n’a été prise avant le 1er février 2001, alors que le demandeur a été convoqué à nouveau au Centre d’exécution de la loi de Mississauga. Il a alors été arrêté et informé qu’il serait expulsé vers la Chine le 6 février 2001. Son avocat a contacté l’agent chargé du renvoi pour lui demander de différer le renvoi jusqu’à ce que la demande invoquant des raisons d’ordre humanitaire ait été tranchée. L’agent chargé du renvoi a refusé. L’avocat a alors présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision de l’agent chargé du renvoi, ainsi qu’une demande de sursis à l’exécution de la mesure de renvoi prise contre le demandeur.

[3]        L’avis de demande donne la description suivante de la décision soumise au contrôle :

[traduction] Une décision de l’agent d’exécution Rudy Vogleson, de Citoyenneté et Immigration, en date du 2 février 2001, par laquelle il rejetait la demande présentée par le demandeur de différer l’exécution d’une mesure de renvoi contre lui jusqu’à ce qu’on ait examiné la demande qu’il a présentée pour recevoir le droit d’établissement de l’intérieur du Canada pour des raisons d’ordre humanitaire invoquant son statut d’homme marié. Cette décision a été communiquée au demandeur le 2 février 2001.

[4]        L’avis de demande sollicite les réparations suivantes :

[traduction]

1)   Que la décision de l’agent d’exécution de Citoyenneté et Immigration Rudy Vogleson soit déclarée invalide, annulée ou écartée, et que la demande soit renvoyée pour décision à un conseiller de Citoyenneté et Immigration Canada différent.

2)   Toute autre réparation que la Cour peut accorder.

[5]        L’avis de requête sollicite les réparations suivantes :

[traduction]

1.   Une ordonnance de sursis à l’exécution de la mesure de renvoi prise contre Ruquan Wang, jusqu’à ce que la demande de contrôle judiciaire en instance soit tranchée.

2.   Une ordonnance abrégeant le délai de signification de la présente requête.

3.   Toute autre réparation que la Cour estime juste.

[6]        Normalement, une demande de sursis d’exécution vise à obtenir la suspension de l’exécution d’une ordonnance pour qu’on puisse dans l’intervalle trancher une contestation de la validité de l’ordonnance. La jurisprudence appuie l’assertion qui veut que pour accorder le sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi, il faut que la validité de la mesure de renvoi même soit contestée : Shchelkanov c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 76 F.T.R. 151 (C.F. 1re inst.). Il y a toutefois plusieurs jugements de notre Cour où les juges se sont déclarés compétents pour surseoir à l’exécution d’une mesure de renvoi jusqu’à ce qu’on ait traité une autre procédure qui ne mettait pas en question la validité de la mesure de renvoi. Un exemple parmi de nombreux autres est celui où un sursis est accordé jusqu’à ce qu’on ait statué en contrôle judiciaire sur le refus d’accorder le droit d’établissement de l’intérieur du Canada pour des raisons d’ordre humanitaire. Dans de telles circonstances, le raisonnement qui justifie l’octroi du sursis s’appuie sur le fait que la Cour veut protéger l’intégrité de ses procédures. La Cour agit de manière à ce que toute personne qui peut démontrer qu’elle a une revendication valable soit en mesure de tirer profit du succès de sa demande.

[7]        Pour toutes sortes de raisons, on présente maintenant des demandes de sursis à la suite du refus des agents chargés du renvoi ou de l’expulsion de différer le renvoi jusqu’à ce qu’on ait pu présenter ou faire trancher une autre procédure. Alors qu’auparavant la requête pour obtenir un sursis découlait de la décision de renvoyer un demandeur, sans qu’on demande le report du renvoi, notre Cour reçoit maintenant un grand nombre de demandes où la décision contestée n’est pas la décision de renvoyer un demandeur, mais bien la décision de ne pas différer l’exécution de la mesure de renvoi.

[8]        La différence entre ces demandes de sursis et celles qu’on nous présentait par le passé est que les demandes antérieures venaient contester une décision autre que l’exécution de la mesure de renvoi. En l’instance, la décision contestée est l’exécution de la mesure de renvoi. Dans les affaires antérieures, le fait d’accorder le sursis ne se traduisait pas par l’octroi de la réparation demandée dans le contrôle judiciaire, puisque ce dernier portait sur une autre décision. Toutefois, lorsque la requête de sursis est en corrélation avec le refus de différer le renvoi, le fait d’octroyer le sursis accorde à l’intéressé ce que l’agent chargé du renvoi lui avait refusé. Comme la décision en cause dans la demande de contrôle judiciaire est le refus de différer le renvoi, le fait d’octroyer le sursis accorde au demandeur la réparation recherchée avant que la demande de contrôle judiciaire ait été tranchée au fond. C’est dans ce sens qu’on peut dire que la décision sur une requête de sursis d’exécution tranche la demande de contrôle judiciaire sous-jacente.

[9]        Ceci ne veut pas dire que les questions à décider dans le cadre de la requête de sursis sont les mêmes que celles qui doivent être tranchées dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire. Le critère d’octroi d’une injonction interlocutoire est le critère à trois volets énoncé dans l’arrêt Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110, qui a été appliqué, dans le cadre des demandes de sursis à une mesure de renvoi, par la Cour d’appel fédérale dans Toth c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1988), 6 Imm. L.R. (2d) 123 (C.A.F.). Le critère exige qu’on ait satisfait aux trois volets, savoir « une question sérieuse à trancher », « un préjudice irréparable » et « la prépondérance des inconvénients ». Dans les demandes de contrôle judiciaire, il n’y a pas lieu de traiter du préjudice irréparable et de la prépondérance des inconvénients. Toutefois, lorsqu’un sursis est accordé, seule la « question sérieuse à trancher » sera examinée vis-à-vis le refus de différer l’exécution, avant que la Cour n’accorde la réparation demandée dans le cadre du contrôle judiciaire. L’examen de la question au fond entrepris lors de la requête de sursis d’exécution est fort différent de celui qui est entrepris à l’audition de la demande de contrôle judiciaire.

[10]      La Cour suprême du Canada a déclaré que le critère d’une « question sérieuse à trancher » consiste tout simplement dans la détermination que la question soulevée n’est pas futile : RJR—MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, au paragraphe 44. Par contre, pour obtenir gain de cause dans le cadre du contrôle judiciaire sous-jacent, le demandeur doit démontrer que la décision de ne pas différer l’exécution doit faire l’objet d’un contrôle par suite d’une erreur de droit, d’une erreur quant à la compétence, d’une conclusion de fait erronée tirée de façon arbitraire ou d’un déni de justice naturelle : Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, paragraphe 18.1(4) [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5]. En conséquence, si le sursis est accordé, la réparation aura été obtenue sur une conclusion que la question soulevée n’est pas futile. Si le sursis n’est pas accordé et que la demande de contrôle judiciaire est examinée, le demandeur devra démontrer au fond qu’il y a un motif d’accorder la réparation demandée. La structure du processus fait que le demandeur peut obtenir la réparation sollicitée dans sa demande interlocutoire sur une base moins exigeante, nonobstant le fait que cette réparation est justement celle qui est sollicitée dans le cadre du contrôle judiciaire. C’est le fait qu’on sollicite la même réparation dans la demande interlocutoire et dans la demande finale qui me porte à conclure que, comme on sollicite la même réparation, on devrait l’obtenir sur une même base. Par conséquent, je suis d’avis que dans les affaires où une requête de sursis est présentée à la suite du refus de l’agent chargé du renvoi d’en différer l’exécution, le juge saisi de l’affaire doit aller plus loin que l’application du critère de la « question sérieuse » et examiner de près le fond de la demande sous-jacente.

[11]      Dans RJR—MacDonald Inc., précité, la Cour suprême du Canada a décidé que, dans le contexte constitutionnel, les juges des requêtes à qui on demande la délivrance d’une injonction interlocutoire ne doivent pas examiner au fond la demande sous-jacente plus que ce qui est nécessaire pour déterminer s’il y a une question sérieuse à trancher. Elle a toutefois précisé qu’il existait deux situations où la Cour doit procéder à un examen sur le fond, la première étant le cas où le résultat de la demande interlocutoire équivaudrait dans les faits à une décision sur la demande sous-jacente. Dans ce cas, la Cour suprême a affirmé que le juge des requêtes devrait examiner au fond la demande : RJR—MacDonald Inc., précité, paragraphe 51. Si l’on peut trancher des questions constitutionnelles sur cette base, il va de soi que les autres questions, qui ont un impact moins grand sur le droit, peuvent aussi être tranchées sur cette base. C’est justement la situation qui m’est présentée. Ce n’est pas que le critère en trois volets ne s’applique pas, c’est que le volet du critère qui porte sur la question sérieuse se transforme en critère de vraisemblance que la demande sous-jacente soit accueillie, étant donné que l’octroi de la réparation recherchée dans la demande interlocutoire accordera au demandeur la réparation qu’il sollicite dans le cadre du contrôle judiciaire.

[12]      L’argument à l’encontre serait que la réparation sollicitée dans ces deux cas n’est pas la même. Dans le cas d’une requête de sursis, la seule réparation demandée est le report immédiat du renvoi, alors que dans une demande de contrôle judiciaire la réparation demandée se fonde sur le fait qu’il y a une autre procédure en cours qui justifierait la décision de ne pas exécuter la mesure de renvoi avant qu’on ait statué sur cette autre procédure. La demande de contrôle judiciaire d’un refus de différer aura atteint son but si l’on juge que le renvoi ne sera pas exécuté avant qu’on ait tranché une autre procédure. La demande de sursis aura atteint son but si l’on obtient une ordonnance reportant l’exécution de la mesure de renvoi jusqu’à ce que le contrôle judiciaire ait été tranché ou, comme on le voit de plus en plus, jusqu’à ce que la procédure en question soit arrivée à terme. C’est précisément la réparation qui est recherchée par la demande de contrôle judiciaire. Le premier recours permet de déterminer si l’intéressé a droit à ce qu’il sollicite par le second. Les différences entre une requête de sursis et une demande de contrôle judiciaire portant sur un refus de différer ne justifient pas qu’on traite différemment la question sous-jacente.

[13]      La question soulevée en l’instance, ainsi que dans plusieurs instances de même nature, porte sur le pouvoir discrétionnaire de l’agent chargé du renvoi ou de l’expulsion de différer le renvoi. (Les expressions « agent chargé du renvoi » et « agent chargé de l’expulsion » seront employées indifféremment.) Comme nous le verrons plus loin, il y a maintenant un nombre important de décisions où l’on semble reconnaître l’existence d’un pouvoir discrétionnaire particulier à l’agent chargé du renvoi, de la même façon qu’un agent d’immigration, un agent d’immigration supérieur ou un arbitre ont le pouvoir de prendre certaines décisions discrétionnaires dans le cadre du régime établi par la Loi. Un examen de la Loi ne fait ressortir aucune mention des agents chargés du renvoi ou des agents chargés de l’expulsion. En fait, ces agents exercent leurs fonctions au nom du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre). Leur pouvoir discrétionnaire n’est ni plus grand, ni moins grand, que celui qui est accordé au ministre.

[14]      L’article 4 de la Loi sur le ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration, L.C. 1994, ch. 31, édicte que :

4. Les pouvoirs et fonctions du ministre s’étendent de façon générale à tous les domaines de compétence du Parlement et liés à la Citoyenneté et à l’Immigration.

[15]      Il s’ensuit donc qu’à défaut qu’une question soit confiée précisément à un fonctionnaire donné, les pouvoirs discrétionnaires accordés par la Loi doivent être exercés par le ministre, agissant par l’entremise du personnel de son Ministère. La réciproque est également vraie. Les fonctionnaires qui exercent un pouvoir discrétionnaire qui ne leur est pas conféré expressément par la Loi exercent le même pouvoir discrétionnaire que le ministre. L’étendue de ce pouvoir discrétionnaire n’est donc pas liée à leur situation personnelle au sein de la bureaucratie, mais bien au pouvoir discrétionnaire dont le ministre peut se prévaloir. Toute autre conclusion ferait que l’exercice du pouvoir discrétionnaire dépendrait des aléas des descriptions de fonctions ou de la division particulière des tâches dans les bureaux du Ministère. Ceci pourrait devenir excessivement arbitraire. Le législateur ne peut avoir eu l’intention de lier l’étendue du pouvoir discrétionnaire à la question de savoir quel service serait chargé du renvoi d’un demandeur.

[16]      Dans la mesure où l’on doit rechercher un appui à cette vision de l’action gouvernementale, il se trouve dans l’extrait suivant de l’ouvrage Administrative Law, 8e éd., 2000 du professeur Wade et C. Forsyth (aux pages 323 et 324) :

[traduction]

Les ministères du gouvernement central bénéficient d’une règle spéciale qui permet aux fonctionnaires d’agir au nom de leur ministre sans délégation de pouvoirs officielle. Lorsque des pouvoirs sont conférés à des ministres qui sont à la tête d’importants ministères, il est évident qu’il arrive souvent que ces pouvoirs ne sont pas personnellement exercés par le ministre. Le Parlement est bien conscient de ce fait et l’on considère que les pouvoirs ministériels peuvent être exercés habituellement par les fonctionnaires du ministre qui agissent en son nom.

[…]

À strictement parler, il n’y a même pas délégation dans de tels cas. La délégation exige qu’on accorde précisément à quelqu’un un pouvoir qu’il ne pouvait exercer jusque-là. L’autorité des fonctionnaires pour agir au nom du ministre est tirée d’une règle de droit générale et non d’une délégation précise. Juridiquement et constitutionnellement, l’acte du fonctionnaire est celui du ministre, sans qu’il soit nécessaire de l’autoriser expressément à l’avance ou de le ratifier par la suite.

[17]      Quelle est l’étendue du pouvoir discrétionnaire du ministre en matière de renvois? Il faut d’abord noter qu’à une exception près (celle d’une personne ayant en sa possession un permis ministériel périmé), toutes les mesures de renvoi sont prises par des fonctionnaires qui jouissent d’une autorité précise en vertu de la Loi. Les mesures de renvoi ne sont donc pas des arrangements administratifs que le ministre peut établir et modifier à son gré. Ce sont des mesures qui ont force de loi et que le ministre est tenu d’exécuter. À ce sujet, il y a lieu de noter que le pouvoir discrétionnaire du ministre d’accorder des permis qui autorisent certaines personnes qui ne pourraient autrement entrer au Canada ou y demeurer, ne peut s’appliquer à une personne qui fait l’objet d’une mesure de renvoi [article 37 (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 26)] :

37. (1) Le ministre peut délivrer un permis autorisant :

a) à entrer au Canada, les personnes faisant partie d’une catégorie non admissible;

b) à y demeurer, les personnes se trouvant au Canada qui font l’objet ou sont susceptibles de faire l’objet du rapport prévu au paragraphe 27(2).

(2) Par dérogation au paragraphe (1), ne peuvent obtenir le permis :

a) les personnes ayant fait l’objet d’une mesure de renvoi et qui se trouvent encore au Canada, sauf si la mesure a été annulée en appel;

[18]      La conclusion qui s’impose est que le ministre n’a pas un pouvoir discrétionnaire indéfini de traiter les mesures de renvoi selon ce qui lui semble indiqué. Sa situation par rapport aux mesures de renvoi est exactement la même que celle de tout fonctionnaire public qui doit se décharger d’un devoir prévu par la loi.

[19]      Le ministre a un pouvoir discrétionnaire particulier en matière de renvois, que l’on trouve à l’article 52 [mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 30, art. 7; L.C. 1992, ch. 49, art. 42] de la Loi, qui traite des pays de destination. Cette question n’est pas en cause ici, non plus que dans la plupart des cas où une demande de report est en cause. Le pouvoir discrétionnaire en cause ici, comme dans la plupart des cas, se trouve à l’article 48 de la Loi, qui traite de l’exécution des mesures de renvoi :

48. Sous réserve des articles 49 et 50, la mesure de renvoi est exécutée dès que les circonstances le permettent.

[20]      Lorsqu’il s’agit de renvoi, la source du pouvoir discrétionnaire est la même, que celui-ci soit accordé au ministre ou à l’agent chargé de l’expulsion. Le fait de dire que le pouvoir discrétionnaire est accordé au ministre ne lui donne pas une plus grande portée, mais il permet d’écarter toute idée que le pouvoir discrétionnaire est lié au rang ou au statut présumé de la personne qui l’exerce. Les limites du pouvoir discrétionnaire se trouvent dans la législation qui le confère et non dans le statut de la personne qui l’exerce.

[21]      La question devient donc de savoir quel pouvoir discrétionnaire est accordé par les termes « que les circonstances le permettent »? Cette question s’est d’abord posée dans Poyanipur c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1995), 116 F.T.R. 4 (C.F. 1re inst.), une affaire où un citoyen iranien devait être expulsé vers l’Iran. Dans cette affaire, l’agent chargé du renvoi a déclaré n’avoir aucun pouvoir discrétionnaire. Mme le juge Simpson a conclu que l’agent chargé du renvoi avait un certain pouvoir discrétionnaire [au paragraphe 9] :

Toutefois, ce qui est clair, c’est que les agents chargés du renvoi disposent d’un certain pouvoir discrétionnaire en vertu de la Loi sur l’immigration au sujet, notamment, de la rapidité avec laquelle ils peuvent procéder au renvoi une fois qu’ils ont commencé à prendre les mesures d’expulsion. L’affidavit de May indique au paragraphe 8 que les renvois doivent être exécutés aussi rapidement qu’il est « raisonnablement » possible de le faire. Cette formulation se retrouve également à l’article 48 de la Loi sur l’immigration. À mon avis, ce libellé couvre un large éventail de circonstances pouvant inclure une situation dans laquelle on pourrait se demander s’il est raisonnable d’attendre une décision imminente concernant une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire avant de procéder au renvoi. Par conséquent, l’agent chargé du renvoi semble avoir un certain pouvoir de décision qui peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire.

[22]      Compte tenu de cela, le juge a conclu que la déclaration de l’agent chargé du renvoi selon laquelle il n’avait pas de pouvoir discrétionnaire soulevait la question de l’entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire. Elle a conclu que cette question était assez sérieuse pour qu’il y ait lieu d’accorder un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi. La détermination d’un pouvoir discrétionnaire applicable à un large éventail de circonstances est, à première vue, une prémisse, plutôt qu’une conclusion comme telle.

[23]      Poyanipur est cité dans Pavalaki c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 338 (C.F. 1re inst.) (QL), une décision de Mme le juge Reed. Dans cette affaire, on invoquait que l’agent chargé du renvoi avait entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, comme dans Poyanipur. Le juge Reed a convenu que l’agent chargé du renvoi avait un certain pouvoir discrétionnaire, mais elle a conclu que celui-ci se limitait à des situations portant sur les arrangements pratiques et non sur les questions qui peuvent être soulevées dans le cadre d’une demande d’examen présentée en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi [au paragraphe 12].

La question soulevée par la demande d’autorisation n’est pas une question sérieuse. Je reconnais que les agents chargés du renvoi peuvent, dans certaines circonstances, reporter l’exécution d’une mesure de renvoi (certainement si un demandeur était malade, ou si le vol prévu était annulé, de tels cas doivent exister). Toutefois, en l’espèce, les circonstances invoquées par l’avocat pour demander l’ajournement ne sont pas celles qui ont pris naissance juste avant la date de renvoi. Le message enregistré dans la boîte vocale qu’il a reçu est de nature très laconique. Que l’interprétation que l’avocat donne aux mots utilisés soit correcte (c’est-à-dire qu’ils démontrent l’existence d’une entrave de l’exercice du pouvoir discrétionnaire) ne semble évident ni pour moi ni pour lui. Les raisons invoquées pour demander un ajournement n’étaient pas du type qu’on s’attendrait à ce qu’il soit visé par le pouvoir d’un agent chargé du renvoi de modifier les dispositions de renvoi après que celles-ci eurent été prises. Ainsi que l’a prétendu l’avocat du défendeur, elles sont du type qui relève plus correctement d’une demande d’examen des raisons d’ordre humanitaire.

[24]      Dans Lewis c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1996), 37 Imm. L.R. (2d) 85 (C.F. 1re inst.), le juge McKeown a accordé un sursis à l’exécution d’une mesure d’expulsion au motif qu’en refusant de différer le renvoi, l’agente chargé du renvoi pouvait ne pas avoir examiné l’effet du climat sur la sclérose en plaques de la requérante. Dans les circonstances de cette affaire, ceci constituait une menace à la vie et à la sécurité de la requérante.

[25]      La question a été soulevée à nouveau dans Saini c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 4 C.F. 325 (1re inst.), une affaire où la personne qui devait être expulsée soutenait qu’elle serait soumise à la torture si elle était expulsée vers l’Inde. Citant Poyanipur et Pavalaki, précités, le juge Gibson conclut qu’ [au paragraphe 19] :

Je conclus que le « large éventail de circonstances » que couvre, de l’avis de Mme le juge Simpson, l’article 48 de la Loi sur l’immigration englobe le pouvoir discrétionnaire d’évaluer s’il est raisonnable de reporter l’exécution des mesures de renvoi en attendant de connaître la décision consécutive à l’évaluation du risque. Par conséquent, il s’ensuit qu’un agent chargé du renvoi peut tenir compte d’une preuve concluante au sujet du risque que représente le renvoi de la personne visée dans un pays de destination donné et se demander si une évaluation du risque a été effectuée de façon appropriée et une décision prise à cet égard, simplement pour savoir s’il doit exercer son pouvoir discrétionnaire de différer le renvoi.

Saini, précité, fonde l’assertion que l’agent chargé du renvoi peut se poser la question de savoir s’il y a eu une évaluation du risque, dans des circonstances où un demandeur soutient qu’il existe un grand risque pour sa personne.

[26]      On trouve un autre point de vue au sujet du pouvoir discrétionnaire en cause dans Simoës c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 7 Imm. L.R. (3d) 141 (C.F. 1re inst.), une décision du juge Nadon [au paragraphe 12].

À mon avis, le pouvoir discrétionnaire que l’agent chargé du renvoi peut exercer est fort restreint et, de toute façon, il porte uniquement sur le moment où une mesure de renvoi doit être exécutée. En décidant du moment où il est « raisonnablement possible » d’exécuter une mesure de renvoi, l’agent chargé du renvoi peut tenir compte de divers facteurs comme la maladie, d’autres raisons à l’encontre du voyage et les demandes fondées sur des raisons d’ordre humanitaire qui ont été présentées en temps opportun et qui n’ont pas encore été réglées à cause de l’arriéré auquel le système fait face. (Voir Paterson c. M.C.I., [2000] A.C.F. no 139 (1re inst.); Imakina c. M.C.I., [1999] A.C.F. no 1680; Poyanipur c. M.C.I., 116 F.T.R. 4.) Ainsi, en l’espèce, le renvoi de la demanderesse, qui devait avoir lieu le 10 mai 2000, a pour des raisons de santé été reporté au 31 mai 2000. En outre, à mon avis, l’agent chargé du renvoi avait le pouvoir discrétionnaire de reporter le renvoi tant que l’enfant de la demanderesse, qui était âgée de huit ans, n’avait pas terminé son année scolaire.

[27]      Nonobstant le fait qu’il considérait que le pouvoir discrétionnaire est « fort restreint », le juge Nadon était disposé à reconnaître un pouvoir discrétionnaire de différer le renvoi jusqu’au règlement des demandes fondées sur des raisons d’ordre humanitaire présentées en temps opportun et qui n’ont pas encore été réglées à cause de l’arriéré auquel le système fait face.

[28]      Dans Harry c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 9 Imm. L.R. (3d) 159 (C.F. 1re inst.), le juge Gibson a examiné une demande de report d’un renvoi dans un contexte de prise en compte des intérêts d’un enfant né au Canada, alors qu’une demande invoquant des raisons d’ordre humanitaire avait été présentée quelque 13 mois plus tôt. Il a conclu que même si dans Simoës, précité, on avait décidé que l’agent chargé du renvoi n’avait pas compétence pour tenir compte de l’intérêt des enfants, il ne s’ensuivait pas qu’on ne devait pas en tenir compte dans une demande de report fondée sur le fait qu’une demande invoquant des raisons d’ordre humanitaire était pendante.

[29]      Dans Arduengo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] 3 C.F. 468 (1re inst.), le juge Cullen a entendu une demande de contrôle judiciaire du refus d’un agent chargé du renvoi de différer le renvoi, et il a ordonné de surseoir à l’exécution des mesures d’expulsion afin de permettre aux requérants de présenter une demande invoquant des motifs d’ordre humanitaire. Pour arriver à cette décision, il s’est fondé sur le fait que les requérants avaient été menacés de mort après avoir dénoncé leurs collègues de la police secrète chilienne. Il n’a pas traité directement du pouvoir discrétionnaire de l’agent chargé du renvoi.

[30]      Ces affaires illustrent bien la portée du pouvoir discrétionnaire qu’on a attribué aux agents chargés du renvoi, mais ils ne font ressortir aucun principe qui pourrait guider Cour dans son examen de l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire.

[31]      Comme point de départ pour établir un tel principe, on peut examiner les frontières logiques de la notion de report. Différer veut dire « remettre à plus tard ». Mais on ne diffère pas quelque chose simplement pour en retarder l’exécution. Afin d’être justifié en droit, le report doit être fait parce que, ce faisant, on pourrait trouver un motif légitime de ne pas exécuter la mesure de renvoi.

[32]      À part de questions comme les arrangements de voyage et l’état de santé permettant de voyager, l’exécution d’une mesure de renvoi ne peut être mise en cause que par un autre processus prévu par la Loi, étant donné que le ministre n’a pas l’autorité de refuser d’exécuter une telle mesure. Par conséquent, une demande de report ne peut être présentée que dans le contexte d’une procédure connexe qui pourrait avoir un impact sur le caractère exécutoire de la mesure de renvoi. En d’autres mots, si la mesure doit être exécutée quel que soit le résultat de la procédure connexe, sur quoi pourrait-on fonder le report? Par conséquent, il me semble que la question que l’on doit se poser est la suivante : la procédure en cause peut-elle créer une situation où l’exécution de la mesure de renvoi ne s’imposerait plus?

[33]      Par conséquent, l’expression defer [reporter, surseoir, différer] recouvre deux concepts différents. On l’utilise dans un sens temporel : l’exécution de la mesure de renvoi est reportée à demain (soit dans le sens de différer). Mais on peut aussi l’utiliser dans le sens d’accorder la priorité à une autre procédure (à savoir, dans le sens de déférer). Ces deux sens sont liés, tout en étant distincts.

[34]      Dans quelles circonstances une mesure de renvoi pourrait-elle être annulée ou devenir non exécutoire? Plusieurs articles de la Loi traitent de l’exécution des mesures de renvoi. Il n’est pas nécessaire de les examiner toutes ici, puisque les seules qui sont pertinentes en l’instance sont celles qui mènent à une procédure permettant de régler une question, puisque c’est l’existence d’une telle procédure qui forme la base de la demande de report. Il faut donc examiner la Loi afin de déterminer dans quelles circonstances une mesure de renvoi est écartée, annulée ou rendue de nul effet.

[35]      Le paragraphe 46.07(4) [édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 14; L.C. 1992, ch. 49, art. 40] de la Loi porte que lorsqu’une personne qui a reçu le statut de réfugié au sens de la Convention fait l’objet d’une mesure de renvoi, l’agent d’immigration ou l’arbitre doit déterminer si la personne a le droit de demeurer au Canada et, si c’est le cas, annuler la mesure de renvoi et autoriser l’intéressé à demeurer au Canada.

[36]      L’article 53 [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 17; L.C. 1992, ch. 49, art. 43; 1995, ch. 15, art. 12] de la Loi porte qu’aucune personne qui est un réfugié au sens de la Convention, ou qu’on a jugé dans un autre pays être un réfugié au sens de la Convention, ne sera renvoyée dans un pays où sa vie ou sa liberté seraient menacées, sauf si elle appartient à certaines catégories énumérées. Ceci vise une situation où une mesure de renvoi ne peut être exécutée.

[37]      L’article 70 [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18; L.C. 1992, ch. 49, art. 65; 1995, ch. 15, art. 13] de la Loi fournit un exemple d’une situation où une mesure de renvoi peut être annulée. Cet article donne un droit d’appel d’une mesure de renvoi visant un résident permanent. Si l’on fait droit à l’appel, l’article 74 [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18; L.C. 1992, ch. 49, art. 67] de la Loi accorde à la section d’appel de l’immigration certains pouvoirs, y compris celui d’annuler la mesure de renvoi.

[38]      Il est assez curieux de constater qu’une disposition portant directement sur cette question est enfouie dans le Règlement sur l’immigration de 1978 [DORS/78-172] (le Règlement). Le paragraphe 5(2) [mod. par DORS/97-145, art. 3] du Règlement, qui précise qui peut parrainer une demande de résidence permanente, contient l’alinéa suivant :

5. (2) […]

c) dans le cas d’un résident permanent, il n’est pas visé par une mesure de renvoi ou une mesure de renvoi conditionnel, autre qu’une mesure de renvoi qui ne peut être exécutée en raison d’une admission légale subséquente au Canada à titre de résident permanent;

Il est tout à fait raisonnable qu’une personne ayant obtenu le droit de demeurer au Canada ne puisse en même temps faire l’objet d’une mesure l’obligeant à quitter le Canada. Il semble toutefois que c’est le seul endroit dans la Loi ou dans le Règlement qui précise ce point.

[39]      Il semble donc logique de dire que toute procédure qui pourrait mener à l’octroi du droit d’établissement en est une qui pourrait mener à l’annulation d’une mesure de renvoi ou au fait qu’on ne peut l’exécuter. La procédure la plus évidente est celle d’une demande invoquant des raisons d’ordre humanitaire. L’analyse fait ressortir deux étapes dans ce processus : le droit de demander le droit d’établissement de l’intérieur du Canada (c’est ce que l’on peut obtenir en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi) et l’octroi du droit d’établissement même. Ce n’est que l’octroi du droit d’établissement qui a pour résultat de rendre la mesure de renvoi de nul effet. En termes pratiques, si une demande en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi est accueillie, la probabilité d’obtenir le droit d’établissement est très élevée.

[40]      Une autre procédure qui peut mener à l’obtention du droit d’établissement trouve son origine dans l’article 11.2 [mod. par DORS/93-44, art. 10; 97-86, art. 2; 97-182, art. 4] du Règlement, qui traite de certaines catégories de personnes qui se voient autorisées à demander le droit d’établissement de l’intérieur du Canada pour des motifs d’intérêt public, en vertu des paragraphes 6(5) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 3] et 6(8) [mod., idem] de la Loi. L’alinéa 11.2b) du Règlement porte que les DNRSRC sont présumés être membres d’une catégorie réglementaire pour l’application du paragraphe 6(5) de la Loi, qui est rédigé comme suit :

6. […]

(5) Sous réserve du paragraphe (8) mais par dérogation aux autres dispositions de la présente loi et aux règlements d’application de l’alinéa 114(1)a), peuvent également obtenir le droit d’établissement pour des motifs d’ordre humanitaire ou d’intérêt public l’immigrant et, le cas échéant, toutes les personnes à sa charge, s’il appartient à l’une des catégories prévues aux règlements d’application de l’alinéa 114(1)e) et satisfait aux exigences relatives à l’établissement visées à cet alinéa.

[41]      Le résultat de la procédure prévue aux paragraphes 6(5) et 6(8) de la Loi est semblable à celui d’une demande invoquant des motifs d’ordre humanitaire qui est accueillie. La personne acquiert le droit de demander le droit d’établissement, sous réserve du respect des exigences en matière d’admissibilité. Il y a toutefois une différence. Lorsqu’il s’agit d’une demande invoquant des motifs d’ordre humanitaire, la personne qui la présente ne fait pas nécessairement face à un risque pour sa sécurité personnelle si elle retourne dans son pays d’origine alors que, par définition, les membres de la catégorie des DNRSRC courent un risque pour leur vie ou d’être exposés à des sanctions excessives ou à un traitement inhumain. Le Règlement définit les DNRSRC comme suit [paragraphe 2(1) (mod. par DORS/93-44, art. 1)] :

2. (1) […]

« demandeur non reconnu du statut de réfugié au Canada » Immigrant au Canada :

a) à l’égard duquel la section du statut a décidé, le 1er février 1993 ou après cette date, de ne pas reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention, […]

[…]

c) dont le renvoi vers un pays dans lequel il peut être renvoyé l’expose personnellement, en tout lieu de ce pays, à l’un des risques suivants, objectivement identifiable, auquel ne sont pas généralement exposés d’autres individus provenant de ce pays ou s’y trouvant :

(i) sa vie est menacée pour des raisons autres que l’incapacité de ce pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats,

(ii) des sanctions excessives peuvent être exercées contre lui,

(iii) un traitement inhumain peut lui être infligé.

[42]      Comme on peut le voir, il y a des demandes ou des procédures qui peuvent faire qu’une mesure de renvoi devient nulle ou de nul effet. Ces procédures sont principalement les demandes invoquant des motifs d’ordre humanitaire et les revendications de DNRSRC. Il y en a d’autres, comme la procédure décrite au paragraphe 46.07(4) de la Loi, où l’agent d’immigration est appelé à décider si un réfugié qui a fait l’objet d’une mesure de renvoi a le droit de demeurer au Canada. Il s’ensuit donc qu’il y a des circonstances où le fait de déférer à une autre procédure peut avoir comme résultat que la mesure de renvoi dont l’exécution est différée devienne de nul effet. S’il y a moyen de justifier ces reports, c’est en fonction de ces procédures.

[43]      Cette analyse a tracé les frontières logiques du pouvoir discrétionnaire de différer. Quelles sont ses frontières juridiques? Il se peut que l’octroi du pouvoir discrétionnaire prévu à l’article 48 de la Loi n’envisage pas que le report est approprié chaque fois qu’il pourrait logiquement avoir une incidence. En fait, les termes impératifs de l’article 48 de la Loi nous indiquent qu’il en est autrement. De plus, il y a un courant jurisprudentiel qui permet de conclure que la seule existence d’une demande invoquant des motifs d’ordre humanitaire ne suffit pas à justifier un sursis d’exécution (et, par extension, un report). Finalement, le fait de définir trop largement le pouvoir discrétionnaire de différer risque de créer l’équivalent d’un droit au sursis que le législateur n’a pas voulu inscrire dans la loi. Quelles sont les limites imposées aux options disponibles par les termes « dès que les circonstances le permettent »?

[44]      Il est clair qu’il y a divers facteurs liés aux arrangements de voyage qui exigeront qu’on fasse preuve de jugement ou qu’on exerce un pouvoir discrétionnaire. Il en va ainsi des aléas des horaires des lignes aériennes, des incertitudes liées à la délivrance des documents de voyage, des états de santé qui ont une incidence sur la capacité de voyager, tous des facteurs qui pourraient mener au report d’un renvoi à une autre date. Il y a ensuite des facteurs qui débordent les limites étroites des arrangements de voyage, mais sur lesquels ces arrangements ont un impact, notamment le calendrier scolaire des enfants, ou les naissances ou décès imminents. Ce sont des facteurs qui peuvent aussi avoir une influence sur le moment du renvoi. Même si on donne une interprétation très étroite à l’article 48 de la Loi, ces facteurs doivent être considérés.

[45]      En l’instance, la mesure dont on demande de différer l’exécution est une mesure que le ministre a l’obligation d’exécuter selon la Loi. La décision de différer l’exécution doit donc comporter une justification pour ne pas se conformer à une obligation positive imposée par la Loi. Cette justification doit se trouver dans la Loi, ou dans une autre obligation juridique que le ministre doit respecter et qui est suffisamment importante pour l’autoriser à ne pas respecter l’article 48 de la Loi. Vu l’obligation qui est imposée par l’article 48, ainsi que l’obligation de s’y conformer, il y a lieu de faire grand état à l’encontre de l’octroi d’un report de la disponibilité d’une réparation autre, comme le droit de retour, puisqu’on trouve là une façon de protéger le demandeur sans avoir recours au non-respect d’une obligation imposée par la Loi. Pour ce motif, je serais plutôt d’avis qu’en l’absence de considérations particulières, une demande invoquant des motifs d’ordre humanitaire qui n’est pas fondée sur des menaces à la sécurité d’une personne ne peut justifier un report, parce qu’il existe une réparation autre que celle qui consiste à ne pas respecter une obligation imposée par la Loi.

[46]      Il n’est pas nécessaire que j’aille plus loin pour trancher l’affaire qui m’est soumise. Au fur et à mesure que d’autres affaires lui seront soumises, la Cour devra décider, au vu des faits exposés au juge à ce moment-là, si le report est justifié au vu d’autres obligations juridiques qui s’imposent au ministre. Il faudra alors se poser la question de savoir si ces obligations sont du même ordre que l’obligation faite au ministre d’exécuter la mesure de renvoi « dès que les circonstances le permettent ». Par exemple, les présents motifs ne mentionnent pas l’effet que pourrait avoir l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, de la Cour suprême du Canada, puisque cet arrêt ne s’applique pas aux faits de la présente instance. De plus, il est bien connu que la mauvaise foi et l’arbitraire sont toujours des motifs suffisants pour une cour de justice exerçant un contrôle sur les actions de l’administration d’exercer sa compétence d’accorder une réparation. Les présents motifs ont pour but de proposer un cadre d’analyse, plutôt qu’une liste d’affaires qui se situeraient d’un côté ou de l’autre d’une ligne de démarcation précisément tracée.

[47]      En résumé, le pouvoir discrétionnaire de différer le renvoi est conféré au ministre et non à la personne qui est responsable de prendre les arrangements pour exécuter le renvoi. La personne en cause agit en tant que représentant du ministre dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, ce qui ne veut pas dire que le pouvoir discrétionnaire est aligné sur l’autorité réelle ou supposée de cette personne. Les seules limites du pouvoir discrétionnaire sont celles que l’on trouve dans les dispositions de la Loi qui traitent des renvois. Le ministre a l’obligation positive d’exécuter les mesures de renvoi, qui sont des mesures légales généralement adoptées par des personnes autres que le ministre, qui détiennent des postes où elles ont reçu le pouvoir particulier de prendre de telles mesures. Ces mesures ne sont pas des dispositions administratives que le ministre peut modifier à son gré. En fait, le ministre n’est pas autorisé à accorder un permis ministériel à une personne qui fait l’objet d’une mesure de renvoi, ce qui est une preuve évidente que la Loi prévoit que le ministre exécute les mesures de renvoi plutôt qu’il ne les rende de nul effet.

[48]      Il est admis qu’il existe un pouvoir discrétionnaire de différer l’exécution du renvoi, bien que les limites de ce pouvoir discrétionnaire ne soient pas définies. L’octroi de ce pouvoir discrétionnaire se trouve dans le même article qui impose l’obligation d’exécuter les mesures de renvoi, une juxtaposition à laquelle il faut accorder tout son sens. Dans son sens le plus large, le pouvoir discrétionnaire de différer ne devrait en toute logique être exercé que dans des circonstances où la procédure à laquelle on défère peut avoir comme résultat que la mesure de renvoi devienne nulle ou de nul effet. Le report dont le seul objectif est de retarder l’échéance ne respecte pas les impératifs de la Loi. Un exemple de politique qui respecte le pouvoir discrétionnaire de différer tout en limitant son application aux cas qui respectent l’économie de la Loi est de réserver l’exercice de ce pouvoir aux affaires où il y a des demandes ou procédures pendantes et où le défaut de différer ferait que la vie du demandeur serait menacée, ou qu’il serait exposé à des sanctions excessives ou à un traitement inhumain, alors qu’un report pourrait faire que la mesure devienne de nul effet. Dans de telles circonstances, on ne pourrait annuler les conséquences d’un renvoi en réadmettant la personne au pays par suite d’un gain de cause dans sa demande qui était pendante. Les affaires comme celle-ci, qui causent des difficultés à la famille, sont malheureuses, mais on peut y remédier par une réadmission.

[49]      Il peut y avoir des circonstances où la réadmission n’est pas automatique même si la demande d’exemption est accueillie, notamment lorsqu’il y a des actes criminels en cause. Bien que ce résultat soit regrettable, il reflète l’économie de la Loi, ce qui n’est pas le cas lorsqu’il s’agit d’exposer des personnes à un risque de mort ou de torture dans des circonstances où il est possible que la mesure de renvoi soit déclarée de nul effet.

[50]      Le pouvoir discrétionnaire à exercer ne correspond pas à une évaluation du risque. Le pouvoir discrétionnaire à exercer consiste à savoir s’il faut déférer à une autre procédure qui peut rendre la mesure de renvoi nulle ou de nul effet, l’objectif de cette procédure étant de déterminer si le renvoi de la personne en cause l’exposerait à un risque de mort ou de sanctions extrêmes. Lorsque la procédure en cause n’a pas déjà été introduite au moment de la demande de report, ou qu’elle n’a été introduite que par suite de la mesure de renvoi, la personne qui exerce le pouvoir discrétionnaire pourrait conclure que la conduite du demandeur n’est pas cohérente avec une allégation de crainte d’être tué ou d’être traité de façon inhumaine. Il ne s’agit pas ici d’une évaluation du risque, mais plutôt de l’évaluation de la bonne foi d’une demande.

[51]      En appliquant ce modèle à la présente requête de sursis, je constate que le demandeur a fait l’objet d’une évaluation des risques dans le cadre de la révision des revendications refusées, où l’on a conclu à l’absence d’un risque objectif identifiable s’il était renvoyé en République populaire de Chine.

[52]      Quant à la question soumise au contrôle judiciaire sous-jacent, le refus de l’agent chargé du renvoi de différer l’exécution du renvoi jusqu’à ce qu’on ait tranché la demande invoquant des motifs d’ordre humanitaire, je considère qu’il n’y a pas de question sérieuse à trancher au sujet de sa conduite. Comme je l’ai expliqué plus tôt, une demande pendante invoquant des motifs d’ordre humanitaire fondée sur la séparation d’avec la famille n’est pas en soi un motif de remettre un renvoi à plus tard. La traiter comme étant un tel motif aurait pour résultat de créer un sursis que le législateur n’a pas voulu inclure dans la Loi : (Green c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1984] 1 C.F. 441 (C.A.), cité dans Cohen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1995), 31 Imm. L.R. (2d) 134 (C.F. 1re inst.), le juge Noël (alors juge à la Section de première instance)). En l’instance, l’argument du demandeur se fonde sur le fait que la perspective de voir sa demande invoquant des motifs d’ordre humanitaire accueillie est tellement forte qu’il aura presque certainement gain de cause. Il soutient donc que l’agent chargé du renvoi a agi de façon déraisonnable en refusant de différer le renvoi.

[53]      Selon moi, les questions que le demandeur a soulevées dans sa demande invoquant des motifs d’ordre humanitaire ne font pas état d’une obligation légale qui justifierait que le ministre ne se décharge pas de l’obligation qui est sienne en vertu de la Loi. La séparation forcée d’avec son épouse est regrettable, mais elle n’a pas l’effet d’exiger une intervention. Le demandeur a fait l’objet d’une évaluation des risques dans le cadre de la révision des revendications refusées et la conclusion est qu’il ne fait pas face à un risque significatif s’il est renvoyé en Chine.

[54]      Pour remettre le tout dans le contexte de l’analyse expliquée ci-dessus, le demandeur est visé par une mesure de renvoi valable. Le demandeur a cherché à obtenir qu’on diffère l’exécution de la mesure de renvoi jusqu’à ce qu’on ait traité sa demande invoquant des motifs d’ordre humanitaire. Cette demande est fondée sur son mariage et sur la détresse qui sera causée par la séparation imposée. Le demandeur a eu le bénéfice d’une évaluation en tant que DNRSRC, suite à laquelle on n’a pas constaté l’existence d’un danger réel s’il était renvoyé en Chine. Par conséquent, ceci ne suffit pas à justifier qu’on ne respecte pas les exigences de l’article 48 de la Loi. Dans les circonstances, je conclus qu’il n’y a pas de question sérieuse à trancher qui puisse justifier suffisamment l’octroi du sursis.

[55]      La demande de sursis est rejetée.

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