A-459-12
2013 CAF 153
Sa Majesté la Reine (appelante)
c.
Julie Guindon (intimée)
Répertorié : Guindon c. Canada
Cour d’appel fédérale, juges Noël, Gauthier et Stratas, J.C.A.—Ottawa, 5 et 12 juin 2013.
Impôt sur le revenu — Pénalités et intérêts — Appel à l’encontre d’une décision de la Cour canadienne de l’impôt qui a annulé une pénalité imposée à l’intimée en application de l’art. 163.2 de la Loi de l’impôt sur le revenu — L’intimée a pris part à un programme frauduleux de dons de bienfaisance — La Cour a imposé à l’intimée des pénalités pour avoir signé des reçus fiscaux émis à des participants au programme — La Cour de l’impôt a conclu que l’art. 163.2 crée une « infraction » qui fait en sorte que les droits énoncés à l’art. 11 de la Charte canadienne des droits et libertés s’appliquent — Les arrêts R. c. Wigglesworth et Martineau c. M.R.N. ont été appliqués — La Cour de l’impôt a déterminé que l’intention de l’art. 163.2 est de promouvoir l’ordre public et de protéger le public en général; les pénalités imposées sont une véritable conséquence pénale — Il s’agissait de savoir si l’art. 11 s’appliquait — L’intimée a fait défaut de signifier la question constitutionnelle — Il n’était donc pas loisible à la Cour de l’impôt de conclure que l’art. 163.2 de la Loi créait une infraction pénale — Se voir infliger une pénalité en application de l’art. 163.2 n’est pas l’équivalent d’être « inculpé » — Une procédure découlant de l’art. 163.2 vise à maintenir la discipline, la conformité ou le bon ordre — L’expression « conduite coupable » dans la Loi ne fait appel ni au concept de « culpabilité » pénale ni à celui de conduite enfreignant une norme pénale quelconque — L’art. 163.2 n’est pas inéquitable — Il existe de nombreux moyens de s’attaquer à tout problème éventuel d’iniquité sur le fond ou sur la procédure ou découlant de l’utilisation abusive de l’art. 163.2 — Appel accueilli.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Procédures criminelles et pénales — La Cour canadienne de l’impôt a annulé une pénalité imposée à l’intimée en application de l’art. 163.2 de la Loi de l’impôt sur le revenu — La Cour a imposé à l’intimée des pénalités pour avoir signé des reçus fiscaux émis à des participants au programme frauduleux — La Cour de l’impôt a conclu que l’art. 163.2 crée une « infraction » qui fait en sorte que les droits énoncés à l’art. 11 de la Charte s’appliquent — La Cour a déterminé que l’intention de l’art. 163.2 est de promouvoir l’ordre public et de protéger le public en général; les pénalités imposées peuvent être considérées comme une véritable conséquence pénale — Il s’agissait de savoir si l’art. 11 s’appliquait — L’intimée a fait défaut de signifier la question constitutionnelle — Il n’était donc pas loisible à la Cour de l’impôt de conclure que l’art. 163.2 de la Loi créait une infraction pénale — L’intimée ne pouvait faire valoir que certains droits garantis par l’art. 11 s’appliquent et d’autres pas — Soit tous les droits garantis par l’art. 11 s’appliquent, soit aucun d’eux ne s’applique.
Il s’agissait d’un appel à l’encontre d’une décision de la Cour canadienne de l’impôt qui a annulé une pénalité imposée à l’intimée en application de l’article 163.2 de la Loi de l’impôt sur le revenu.
L’intimée, une avocate, a pris part à un programme de dons de bienfaisance. Elle a fourni un avis juridique dans lequel elle s’est portée garante du programme et a déclaré qu’elle avait passé en revue certains documents, alors qu’elle ne l’avait pas fait. Le programme était en fait une supercherie. Elle a signé des reçus fiscaux qui ont été remis à des participants au programme de dons de bienfaisance. Une pénalité variant de 1 000 $ à 25 114 $ par reçu a été fixée au motif qu’elle savait, ou aurait dû savoir, n’eût été son insouciance délibérée à l’égard des dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu, qu’elle faisait de faux énoncés en délivrant et en signant les reçus.
La Cour de l’impôt a conclu que l’article 163.2 de la Loi crée une « infraction » et qu’ainsi, l’intimée disposait des droits énoncés à l’article 11 de la Charte canadienne des droits et libertés. La Cour a appliqué les décisions de la Cour suprême du Canada dans les arrêts R. c. Wigglesworth et Martineau c. M.R.N., dans lesquels il a été déterminé qu’une personne a le droit de bénéficier des protections procédurales énoncées à l’article 11 de la Charte lorsque l’affaire vise à promouvoir l’ordre et le bien-être publics dans une sphère d’activité publique et la personne fait face à une « véritable conséquence pénale ». La Cour de l’impôt a statué que l’article 163.2 est d’une portée telle que son intention est de promouvoir l’ordre public et de protéger le public en général, plutôt que de décourager un comportement particulier et d’assurer le respect du régime réglementaire de la Loi. Elle a conclu que la pénalité élevée qui est imposée peut être considérée comme une véritable conséquence pénale.
Il s’agissait de savoir si l’article 11 de la Charte s’appliquait.
Arrêt : l’appel doit être accueilli.
Le défaut de signification par l’intimée a privé la Cour de l’impôt de toute compétence pour examiner la question de savoir si l’article 163.2 de la Loi créait une infraction pénale. Il faut signifier aux divers procureurs généraux l’avis de la contestation de la validité, de l’applicabilité ou de l’effet constitutionnel de toute loi parce que si la contestation devait être couronnée de succès, leurs propres lois pourraient être touchées. Par conséquent, il n’était pas loisible à la Cour de l’impôt de conclure que l’article 163.2 de la Loi créait une infraction pénale de sorte que tous les droits garantis par l’article 11 de la Charte étaient applicables. L’intimée ne pouvait faire valoir que certains droits garantis par l’article 11 s’appliquent et d’autres pas. En vertu de l’article 11, soit un individu est « inculpé », et alors tous les droits prévus à l’article 11 s’appliquent, soit il n’est pas « inculpé », et alors aucun de ces droits ne s’applique. L’article 11 n’est pas un buffet d’où l’on peut choisir à son gré parmi les droits offerts. Même s’il était loisible de faire valoir que seulement certains droits prévus à l’article 11 s’appliquent, se voir infliger une pénalité en application de l’article 163.2 n’est pas l’équivalent d’être « inculpé ». Une procédure découlant de l’article 163.2 vise à maintenir la discipline, la conformité ou le bon ordre au sein du régime réglementaire et administratif distinct de la Loi. Son objectif n’est pas de réparer un tort causé à la société en général. Dans la Loi, le terme « conduite coupable » est défini et comprend divers éléments qui doivent être présents pour qu’une pénalité soit imposée en application de l’article 163.2. Cette définition ne fait appel ni au concept de « culpabilité » pénale ni à celui de conduite enfreignant une norme pénale quelconque.
Enfin, les préoccupations concernant le caractère inéquitable de l’article 163.2 ont été abordées. On a fait observer qu’il existe de nombreux moyens de s’attaquer à tout problème éventuel d’iniquité sur le fond ou sur la procédure, ou encore découlant de l’utilisation abusive de l’article, comme interjeter appel devant la Cour de l’impôt, et obtenir un redressement en vertu du paragraphe 220(3.1) de la Loi. En outre, la Cour a souligné que l’article 12 de la Charte interdit les traitements ou peines cruels et inusités; toutefois, comme la jurisprudence sur l’article 163.2 est encore embryonnaire, il n’est pas encore exclu qu’il puisse s’agir là d’une voie de recours exceptionnelle.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 11, 12.
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46.
Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, art. 163(3), 163.2, 220(3.1), 239.
Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 34(2).
Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, L.R.C. (1985), ch. T-2, art. 19.2.
Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 57.
Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale), DORS/90-688a, art. 4, 9.
JURISPRUDENCE CITÉE
décisions appliquées :
R. c. Wigglesworth, [1987] 2 R.C.S. 541; Martineau c. M.R.N., 2004 CSC 81, [2004] 3 R.C.S. 737; Canada c. Schmidt, [1987] 1 R.C.S. 500.
décisions examinées :
Bekker c. Canada, 2004 CAF 186; R. c. McKinlay Transport Ltd., [1990] 1 R.C.S. 627; Canada (Procureur général) c. United States Steel Corporation, 2011 CAF 176; Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711.
décisions citées :
Paluska, Jr. v. Cava, 2002 CanLII 41746, 59 R.J.O. (3e) 469 (C.A.); Cartaway Resources Corp. (Re), 2004 CSC 26, [2004] 1 R.C.S. 672; Rowan v. Ontario Securities Commission, 2012 ONCA 208, 110 R.J.O. (3e) 492; Lavallee v. Alberta (Securities Commission), 2010 ABCA 48 (CanLII), 474 A.R. 295; Canada (Revenu national) c. Compagnie d’assurance vie RBC, 2013 CAF 50; Stemijon Investments Ltd. c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 299; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Abraham c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 266; Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2013 CAF 75.
DOCTRINE CITÉE
Agence du revenu du Canada. Impôt sur le revenu – Circulaire d’information IC 01-1, « Pénalités administratives imposées à des tiers », 18 septembre 2001, en ligne : <http://www.cra-arc.gc.ca/F/pub/tp/ic01-1/ic01-1-f.pdf>.
Agence du revenu du Canada. Impôt sur le revenu – Circulaire d’information IC 07-1, « Dispositions d’allégement pour les contribuables », 31 mai 2007, en ligne : <http://www.cra-arc.gc.ca/F/pub/tp/ic07-1/ic07-1-07f.pdf>.
Innes, William I. et Brian J. Burke. « Adviser Penalties: How Will the Courts Construe Section 163.2? », Report of Proceedings of the Fifty-Third Tax Conference, 2001 Conference Report. Toronto : Association canadienne d’études fiscales, 2002.
Mitchell, Warren J. A. « Civil Penalties: A Wolf in Sheep’s Clothing? », Report of Proceedings of the Fifty-Second Tax Conference, 2000 Conference Report. Toronto : Association canadienne d’études fiscales, 2001.
Nichols, Brian. « Civil Penalties for Third Parties », 1999 Ontario Tax Conference. Toronto : Association canadienne d’études fiscales, 2000.
APPEL à l’encontre d’une décision de la Cour canadienne de l’impôt (2012 CCI 287) qui a annulé une pénalité imposée à l’intimée en application de l’article 163.2 de la Loi de l’impôt sur le revenu. Appel accueilli.
ONT COMPARU
André LeBlanc et Paul Klippenstein pour l’appelante.
Adam Aptowitzer et Joel Secter pour l’intimée.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Le sous-procureur général du Canada pour l’appelante.
Drache Aptowitzer LLP, Ottawa, pour l’intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
Le juge Stratas, J.C.A. :
A. Introduction
[1] La Couronne interjette appel du jugement du 2 octobre 2012 de la Cour canadienne de l’impôt (le juge Bédard) portant la référence 2012 CCI 287.
[2] La Cour de l’impôt a annulé une pénalité imposée à l’intimée, Me Guindon, en application de l’article 163.2 de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1 [la Loi]. La Cour de l’impôt a conclu que l’article 163.2 de la Loi crée une « infraction » au sens de l’article 11 de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]]. Par conséquent, Me Guindon disposait des droits que l’article 11 lui garantit lors de la procédure dont elle a fait l’objet en application de l’article 163.2. En l’espèce, Me Guindon ne s’est pas vu accorder ces droits. La Cour de l’impôt a par conséquent annulé la cotisation.
[3] Pour les motifs exposés plus loin, la Cour de l’impôt n’avait pas compétence pour conclure que l’article 163.2 de la Loi de l’impôt sur le revenu crée une infraction, ce qui rend applicables les droits prévus à l’article 11 de la Charte. Pour arriver à cette conclusion, il faudrait conclure qu’au plan constitutionnel, la totalité ou une partie de l’article 163.2 est invalide, sans effet ou inapplicable. La signification d’un avis de question constitutionnelle est requise pour qu’existe la compétence de rendre pareille décision. Or, aucun avis n’a été signifié.
[4] À titre d’argument subsidiaire devant notre Cour, Me Guindon a renvoyé à certains droits que garantit l’article 11, comme l’obligation de démontrer la responsabilité hors de tout doute raisonnable. Elle a affirmé pouvoir invoquer certains de ces droits, malgré l’absence de signification d’un avis de question constitutionnelle, parce qu’ils venaient compléter l’article 163.2 et n’étaient pas incompatibles avec son libellé.
[5] Pour les motifs exposés plus loin, Me Guindon ne pouvait pas revendiquer uniquement certains des droits prévus à l’article 11 — soit tous ces droits s’appliquent, soit aucun d’eux ne s’applique. Mais même si Me Guindon avait pu ne revendiquer que certains de ces droits, il n’a pas été satisfait au critère énoncé dans l’arrêt Wigglesworth et dans l’arrêt Martineau pour conclure qu’une procédure est pénale : une procédure intentée en application de l’article 163.2 n’est pas de nature pénale et n’a pas non plus de véritables conséquences pénales.
[6] Même si elle a conclu que la cotisation établie à l’égard de Me Guindon devait être annulée parce qu’elle enfreignait l’article 11 de la Charte, la Cour de l’impôt s’est ensuite penchée sur le bien‑fondé de cette cotisation. Elle a interprété l’article 163.2 de manière favorable à Me Guindon. Malgré cela, elle a néanmoins confirmé le bien‑fondé de la cotisation au vu des faits. Autrement dit, la Cour de l’impôt aurait confirmé la pénalité imposée à Me Guindon si elle n’avait pas conclu qu’une procédure fondée sur l’article 163.2 attirait la protection conférée par l’article 11 de la Charte.
[7] La Couronne soutient devant notre Cour que la Cour de l’impôt a interprété incorrectement l’article 163.2 de la Loi. Nous n’avons toutefois pas à trancher cette question puisque, même selon l’interprétation de cet article la plus favorable à Me Guindon, la Cour de l’impôt a confirmé la cotisation.
[8] Par conséquent, j’accueillerais l’appel, j’annulerais le jugement de la Cour de l’impôt et je rétablirais la cotisation établie à l’égard de Me Guindon, avec dépens devant notre Cour et devant la juridiction inférieure.
B. Les faits essentiels
[9] Me Guindon est une avocate dont les principaux champs d’activité sont le droit de la famille ainsi que les testaments et les successions. Elle a pris part à un programme de dons de bienfaisance appelé « The Global Trust Charitable Donation Program ».
[10] Dans un avis juridique, Me Guindon s’est portée garante du programme. Elle a signé des reçus pour les dons au nom de l’organisme de bienfaisance en cause. Elle a déclaré dans son avis juridique qu’elle avait passé en revue certains documents. Or, elle ne l’avait pas fait. Le programme était en fait une supercherie. Tous les faits pertinents sont exposés dans les motifs de la Cour de l’impôt.
[11] Appliquant l’article 163.2 de la Loi, le ministre a imposé une pénalité à Me Guindon pour avoir délivré 134 reçus pour des dons à des participants au programme de dons de bienfaisance. Une pénalité variant de 1 000 $ à 25 114 $ par reçu a été fixée au motif que Me Guindon savait, ou aurait dû savoir n’eût été son insouciance délibérée à l’égard des dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu, qu’elle faisait de faux énoncés en délivrant et en signant les reçus. Le montant total des pénalités s’élevait à 564 747 $.
[12] Les dispositions clés sont celles du paragraphe 163.2(4) :
163.2 […] |
|
(4) La personne qui fait un énoncé à une autre personne ou qui participe, consent ou acquiesce à un énoncé fait par une autre personne, ou pour son compte, (ces autres personnes étant appelées « autre personne » au présent paragraphe, aux paragraphes (5) et (6), à l’alinéa (12)c) et au paragraphe (15)) dont elle sait ou aurait vraisemblablement su, n’eût été de circonstances équivalant à une conduite coupable, qu’il constitue un faux énoncé qui pourrait être utilisé par l’autre personne, ou pour son compte, à une fin quelconque de la présente loi est passible d’une pénalité relativement au faux énoncé. |
Pénalité pour participation à une information trompeuse |
[13] Selon le paragraphe 163.2(5), la pénalité dont une personne est passible en vertu du paragraphe 163.2(4) correspond au moins élevé des montants suivants : a) 100 000 $ et la rétribution brute de la personne relativement au faux énoncé; b) la pénalité dont serait passible le contribuable auquel l’énoncé a été fait s’il avait lui‑même fait l’énoncé dans sa déclaration, soit habituellement 50 p. 100 du montant de l’impôt qu’on a cherché à ne pas payer. L’amende de Me Guindon a été établie en faisant ce second calcul de manière distincte pour chacun des 134 reçus.
[14] La disposition prévoyant ces pénalités a été présentée dans le budget fédéral de 1999 [L.C. 2000, ch. 19, article 50]. L’Agence du revenu du Canada a depuis lors toujours considéré qu’il s’agissait d’une pénalité administrative (Impôt sur le revenu ‒ Circulaire d’information IC 01‑1, « Pénalités administratives imposées à des tiers », 18 septembre 2001, Agence du revenu du Canada). Toutefois, à l’extérieur de l’Agence du revenu du Canada, nombreux sont ceux qui ont fait ressortir la portée possible de la pénalité et soutenu qu’elle était essentiellement de nature pénale plutôt qu’administrative.
[15] Me Guindon a défendu cette thèse devant la Cour de l’impôt et devant notre Cour. Si la pénalité est de nature pénale, a‑t‑elle ajouté, les droits prévus à l’article 11 de la Charte lui seraient applicables. L’article 11, qui garantit divers droits, est rédigé comme suit :
11. Tout inculpé a le droit : a) d’être informé sans délai anormal de l’infraction précise qu’on lui reproche; b) d’être jugé dans un délai raisonnable; c) de ne pas être contraint de témoigner contre lui‑même dans toute poursuite intentée contre lui pour l’infraction qu’on lui reproche; d) d’être présumé innocent tant qu’il n’est pas déclaré coupable, conformément à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à l’issue d’un procès public et équitable; e) de ne pas être privé sans juste cause d’une mise en liberté assortie d’un cautionnement raisonnable; f) sauf s’il s’agit d’une infraction relevant de la justice militaire, de bénéficier d’un procès avec jury lorsque la peine maximale prévue pour l’infraction dont il est accusé est un emprisonnement de cinq ans ou une peine plus grave; g) de ne pas être déclaré coupable en raison d’une action ou d’une omission qui, au moment où elle est survenue, ne constituait pas une infraction d’après le droit interne du Canada ou le droit international et n’avait pas de caractère criminel d’après les principes généraux de droit reconnus par l’ensemble des nations; h) d’une part de ne pas être jugé de nouveau pour une infraction dont il a été définitivement acquitté, d’autre part de ne pas être jugé ni puni de nouveau pour une infraction dont il a été définitivement déclaré coupable et puni; i) de bénéficier de la peine la moins sévère, lorsque la peine qui sanctionne l’infraction dont il est déclaré coupable est modifiée entre le moment de la perpétration de l’infraction et celui de la sentence. |
Affaires criminelles et pénales |
[16] Le texte intégral des passages les plus pertinents de l’article 163.2 est reproduit ci‑après :
163.2 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article. |
Définitions |
« activité de planification » S’entend notamment des activités suivantes : a) le fait d’organiser ou de créer un arrangement, une entité, un mécanisme, un plan, un régime ou d’aider à son organisation ou à sa création; b) le fait de participer, directement ou indirectement, à la vente d’un droit dans un arrangement, un bien, une entité, un mécanisme, un plan ou un régime ou à la promotion d’un arrangement, d’une entité, d’un mécanisme, d’un plan ou d’un régime. |
« activité de planification » |
« activité d’évaluation » Tout acte accompli par une personne dans le cadre de la détermination de la valeur d’un bien ou d’un service. [...] |
« activité d’évaluation » |
« avantage fiscal » Réduction, évitement ou report d’un impôt ou d’un autre montant payable en vertu de la présente loi ou augmentation d’un remboursement d’impôt ou d’autre montant accordé en vertu de cette loi. |
« avantage fiscal » |
« conduite coupable » Conduite — action ou défaut d’agir — qui, selon le cas : a) équivaut à une conduite intentionnelle; b) montre une indifférence quant à l’observation de la présente loi; c) montre une insouciance délibérée, déréglée ou téméraire à l’égard de la loi. |
« conduite coupable » |
« droits à paiement » Quant à une personne à un moment donné, relativement à une activité de planification ou à une activité d’évaluation qu’elle exerce, l’ensemble des montants que la personne, ou une autre personne avec laquelle elle a un lien de dépendance, a le droit de recevoir ou d’obtenir relativement à l’activité avant ou après ce moment et conditionnellement ou non. |
« droits à paiement » |
« entité » S’entend notamment d’une association, d’une coentreprise, d’une fiducie, d’un fonds, d’une organisation, d’une société, d’une société de personnes ou d’un syndicat. |
« entité » |
« faux énoncé » S’entend notamment d’un énoncé qui est trompeur en raison d’une omission. |
« faux énoncé » |
« participer » S’entend notamment du fait : a) de faire agir un subalterne ou de lui faire omettre une information; b) d’avoir connaissance de la participation d’un subalterne à une action ou à une omission d’information et de ne pas faire des efforts raisonnables pour prévenir pareille participation. |
« participer » |
« personne » Sont assimilées aux personnes les sociétés de personnes. |
« personne » |
« rétribution brute » Quant à une personne donnée à un moment quelconque relativement à un faux énoncé qui pourrait être utilisé par une autre personne ou pour son compte, l’ensemble des montants que la personne donnée, ou toute personne avec laquelle elle a un lien de dépendance, a le droit de recevoir ou d’obtenir relativement à l’énoncé avant ou après ce moment et conditionnellement ou non. |
« rétribution brute » |
« subalterne » Quant à une personne donnée, s’entend notamment d’une autre personne dont les activités sont dirigées, surveillées ou contrôlées par la personne donnée, indépendamment du fait que l’autre personne soit l’employé de la personne donnée ou d’un tiers. Toutefois, l’autre personne n’est pas le subalterne de la personne donnée du seul fait que celle-ci soit l’associé d’une société de personnes. |
« subalterne » |
(2) La personne qui fait ou présente, ou qui fait faire ou présenter par une autre personne, un énoncé dont elle sait ou aurait vraisemblablement su, n’eût été de circonstances équivalant à une conduite coupable, qu’il constitue un faux énoncé qu’un tiers (appelé « autre personne » aux paragraphes (6) et (15)) pourrait utiliser à une fin quelconque de la présente loi, ou qui participe à un tel énoncé, est passible d’une pénalité relativement au faux énoncé. |
Penalité pour information trompeuse dans les arrangements de planification fiscale |
(3) La pénalité dont une personne est passible selon le paragraphe (2) relativement à un faux énoncé correspond au montant suivant : a) si l’énoncé est fait dans le cadre d’une activité de planification ou d’une activité d’évaluation, 1 000 $ ou, s’il est plus élevé, le total des droits à paiement de la personne, au moment de l’envoi à celle‑ci d’un avis de cotisation concernant la pénalité, relativement à l’activité de planification et à l’activité d’évaluation; b) dans les autres cas, 1 000 $. |
Montant de la pénalité |
(4) La personne qui fait un énoncé à une autre personne ou qui participe, consent ou acquiesce à un énoncé fait par une autre personne, ou pour son compte, (ces autres personnes étant appelées « autre personne » au présent paragraphe, aux paragraphes (5) et (6), à l’alinéa (12)c) et au paragraphe (15)) dont elle sait ou aurait vraisemblablement su, n’eût été de circonstances équivalant à une conduite coupable, qu’il constitue un faux énoncé qui pourrait être utilisé par l’autre personne, ou pour son compte, à une fin quelconque de la présente loi est passible d’une pénalité relativement au faux énoncé. |
Pénalité pour participation à une information trompeuse |
(5) La pénalité dont une personne est passible selon le paragraphe (4) relativement à un faux énoncé correspond au plus élevé des montants suivants : a) 1 000 $; b) le moins élevé des montants suivants : i) la pénalité dont l’autre personne serait passible selon le paragraphe 163(2) si elle avait fait l’énoncé dans une déclaration produite pour l’application de la présente loi tout en sachant qu’il était faux, ii) la somme de 100 000 $ et de la rétribution brute de la personne, au moment où l’avis de cotisation concernant la pénalité lui est envoyé, relativement au faux énoncé qui pourrait être utilisé par l’autre personne ou pour son compte. |
Montant de la pénalité |
C. L’article 11 de la Charte s’applique‑t‑il?
1) Résumé de la jurisprudence
[17] La Cour de l’impôt a conclu que l’article 163.2 de la Loi crée une « infraction » et qu’ainsi, Me Guindon disposait des droits énoncés à l’article 11 de la Charte. Pour parvenir à cette conclusion, la Cour de l’impôt a suivi l’arrêt R. c. Wigglesworth, [1987] 2 R.C.S. 541, ainsi que d’autres décisions subséquentes, comme l’arrêt Martineau c. M.R.N., 2004 CSC 81, [2004] 3 R.C.S. 737.
[18] La Cour de l’impôt a pour l’essentiel bien résumé la jurisprudence pertinente. Une personne a le droit de bénéficier des protections procédurales énoncées à l’article 11 de la Charte dans deux cas :
• L’affaire, de par sa nature même, vise à promouvoir l’ordre et le bien‑être publics dans une sphère d’activité publique, plutôt qu’être une procédure de nature administrative engagée pour protéger le public conformément à la politique générale d’une loi (Martineau, précité, aux paragraphes 21 et 22; Wigglesworth, précité, à la page 560).
• La personne fait face à une « véritable conséquence pénale », comme l’emprisonnement ou une amende imposée dans le but de réparer le tort causé à la société en général, plutôt que pour maintenir la discipline à l’intérieur d’une sphère d’activité limitée ou dans un secteur administratif donné (Martineau, précité, au paragraphe 57; Wigglesworth, précité, à la page 561).
[19] Les parties ont convenu que, compte tenu de cette jurisprudence, une ligne de démarcation existe, bien qu’imprécise, entre les affaires où les protections prévues à l’article 11 s’appliquent et celles où elles ne s’appliquent pas.
[20] Il peut être difficile d’établir cette ligne de démarcation dans des affaires découlant de l’application de la Loi de l’impôt sur le revenu, particulièrement en raison du fait que, même si la Loi a des incidences sur presque tous les Canadiens, la plupart d’entre elles sont essentiellement de nature administrative. Néanmoins, une ligne peut bel et bien être discernée et, comme les exemples suivants l’illustrent, certaines affaires sont manifestement d’un côté ou de l’autre de la ligne de démarcation :
• La Loi interdit de produire tardivement une déclaration de revenus et prévoit qu’une pénalité peut être imposée au contribuable pour production tardive. On doit considérer qu’il s’agit d’une pénalité infligée au contribuable pour avoir transgressé le régime d’autocotisation et de déclaration volontaire établi par la Loi, et non en raison d’un tort causé à la société en général. Le but est d’assurer la discipline ou la conformité à l’intérieur d’une sphère d’activité limitée ou dans un secteur administratif donné. La personne qui encourt une telle pénalité n’a pas droit aux protections prévues à l’article 11 de la Charte.
• Il est également contraire à la Loi de frauder le fisc ou de se soustraire à l’impôt. La personne reconnue coupable de tels actes est passible d’une amende ou d’une peine d’emprisonnement. On doit considérer cela comme la sanction d’un tort causé à la société en général, tout autant qu’une fraude en vertu du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46. La personne inculpée d’évasion ou de fraude fiscale a droit aux protections prévues à l’article 11 de la Charte.
2) La conclusion de la Cour de l’impôt
[21] La Cour de l’impôt a établi cette distinction entre les affaires de nature criminelle et non criminelle. Elle a conclu qu’il fallait « considérer que l’article 163.2 de la Loi crée une infraction de nature criminelle » et qu’ainsi, Me Guindon jouissait des droits énoncés à l’article 11 de la Charte (au paragraphe 70) :
[...] [l’article 163.2 de la Loi] est d’une portée telle que son intention est de promouvoir l’ordre public et de protéger le public en général, plutôt que de décourager un comportement particulier et d’assurer le respect du régime réglementaire de la loi. Par ailleurs, la pénalité élevée qui est imposée au tiers — une pénalité peut‑être même supérieure à l’amende imposée en application des dispositions criminelles de l’article 239 de la Loi, sans même que le tiers puisse jouir de la protection de la Charte — peut être considérée comme une véritable conséquence pénale.
3) La Cour de l’impôt avait‑elle compétence pour conclure comme elle l’a fait? La signification d’un avis de question constitutionnelle était‑elle nécessaire à tout exercice de compétence?
[22] La Couronne fait valoir en appel devant notre Cour que la Cour de l’impôt n’avait pas compétence pour conclure que l’article 11 de la Charte s’appliquait à l’article 163.2 de la Loi parce que Me Guindon n’avait pas signifié d’avis de question constitutionnelle. Me Guindon était tenue de signifier un tel avis au procureur général du Canada et aux procureurs généraux des provinces si elle cherchait à obtenir une déclaration d’invalidité, d’inapplicabilité ou d’absence d’effet d’un article de la Loi (article 19.2 de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, L.R.C. (1985), ch. T‑2, et, en appel, article 57 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7).
[23] Me Guindon cherchait essentiellement à obtenir une telle déclaration devant la Cour de l’impôt, tout comme elle le fait maintenant devant notre Cour.
[24] Me Guindon soutient que l’article 11 de la Charte s’applique aux procédures liées à une pénalité qui découlent de l’article 163.2 de la Loi. Si cette prétention était retenue, l’article 11 de la Charte rendrait invalides, inapplicables ou sans effet l’article 163.2 et des articles de nature procédurale connexes. Selon l’article 11, une pénalité ne peut être imposée qu’après que des accusations ont été portées et qu’un procès équitable s’est déroulé devant un tribunal indépendant et impartial. L’article 163.2 et les articles de nature procédurale connexes prévoient de manière très différente qu’on peut imposer une pénalité à un contribuable au moyen d’une cotisation qui le lie à moins qu’elle ne soit modifiée ou annulée lors d’un nouvel examen ou d’un appel interjeté devant la Cour de l’impôt. Ce n’est que devant la Cour de l’impôt, après qu’on a conclu qu’il y a une obligation fiscale, que se déroule ce qui ressemble à un procès indépendant et impartial.
[25] Dans son mémoire des faits et du droit déposé devant notre Cour, Me Guindon a soutenu qu’une fois l’article 163.2 de la Loi de l’impôt sur le revenu considéré comme étant une disposition créant une infraction, le paragraphe 34(2) de la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I‑21, devait recevoir application. Il découlerait de ce paragraphe l’obligation de se conformer aux procédures prévues au Code criminel plutôt qu’à la Loi de l’impôt sur le revenu. Ainsi, selon Me Guindon, conclure que l’article 163.2 établit une infraction au sens de l’article 11 de la Charte ne rend aucune procédure de la Loi de l’impôt sur le revenu invalide, inapplicable ou sans effet.
[26] Je ne suis pas d’accord. Pour retenir cette prétention, il faut faire abstraction du libellé même du paragraphe 34(2), qui impose d’appliquer les procédures prévues au Code criminel à l’égard de l’infraction, « [s]auf disposition contraire du texte créant l’infraction ». La Loi de l’impôt sur le revenu dispose le contraire, soit l’établissement d’une pénalité en vertu de l’article 163.2, une procédure de nouvel examen et un appel auprès de la Cour de l’impôt.
[27] Je conclus donc que, dans les circonstances, Me Guindon voulait obtenir une déclaration d’invalidité, d’inapplicabilité ou d’absence d’effet de dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu. Un avis de question constitutionnelle devait être signifié.
[28] Le défaut de signification a privé la Cour de l’impôt de toute compétence pour examiner la question de savoir si l’article 163.2 de la Loi créait une infraction pénale, ce qui aurait déclenché à l’égard de Me Guindon l’application des droits garantis par l’article 11.
[29] Les tribunaux canadiens considèrent qu’ils ne sont compétents à l’égard d’une question constitutionnelle que si l’on a signifié un avis de question constitutionnelle aux procureurs généraux : voir, par exemple, Paluska Jr. v. Cava, 2002 CanLII 41746, 59 R.J.O. (3e) 469 (C.A.). L’objet de l’avis est « utile, voire essentiel » (Bekker c. Canada, 2004 CAF 186, au paragraphe 9). Il faut signifier aux divers procureurs généraux l’avis de la contestation de la validité, de l’applicabilité ou de l’effet constitutionnel de toute loi parce que si la contestation devait être couronnée de succès, leurs propres lois pourraient être touchées.
[30] Une fois un avis signifié, les procureurs généraux peuvent intervenir dans l’instance et y participer. Il leur est loisible de présenter des éléments de preuve, de contre‑interroger, de contester des éléments de preuve ou encore de présenter des observations au sujet des questions constitutionnelles soulevées. Leur participation à l’instance peut avoir une incidence sur l’issue de la contestation constitutionnelle.
[31] Le ministre s’est opposé devant la Cour de l’impôt à ce que Me Guindon invoque l’article 11 de la Charte parce qu’elle n’avait pas signifié d’avis de question constitutionnelle. Si on le lui avait demandé, la Cour de l’impôt aurait pu exercer son pouvoir discrétionnaire d’ajourner l’instance et permettre ainsi une telle signification. Devant l’opposition du ministre, Me Guindon n’a toutefois demandé aucun ajournement. De même, dans l’instance devant notre Cour, Me Guindon n’a ni signifié d’avis de question constitutionnelle ni demandé d’ajournement.
[32] Par conséquent, je conclus qu’il n’était pas loisible à la Cour de l’impôt de conclure que l’article 163.2 de la Loi créait une infraction pénale de sorte que tous les droits garantis par l’article 11 de la Charte étaient applicables.
4) Me Guindon peut‑elle faire valoir que seulement certains droits prévus à l’article 11 s’appliquent à une procédure découlant de l’article 163.2 de la Loi?
[33] Me Guindon a soutenu que, même si son défaut de signifier un avis de question constitutionnelle empêchait la Cour de l’impôt de conclure que les droits prévus à l’article 11 s’appliquaient à une procédure découlant de l’article 163.2, certains de ces droits pouvaient être néanmoins applicables. Certains droits garantis par l’article 11 ne seraient pas incompatibles avec le libellé de l’article 163.2 et des dispositions de procédure connexes de la Loi.
[34] À titre d’exemple, l’article 11 impose de ne déclarer une personne coupable d’une infraction que si la preuve le démontre hors de tout doute raisonnable. Cela n’est pas incompatible avec le libellé de l’article 163.2 ou d’une autre disposition de la Loi.
[35] On ne peut, selon moi, accepter cette prétention. Me Guindon ne saurait faire valoir que certains droits garantis par l’article 11 s’appliquent et d’autres pas. En vertu de l’article 11, précédemment reproduit, soit un individu est « inculpé », et alors tous les droits prévus à l’article s’appliquent, soit il n’est pas « inculpé », et alors aucun de ces droits ne s’applique. L’article 11 n’est pas un buffet d’où l’on peut choisir à son gré parmi les droits offerts. La Cour suprême du Canada a confirmé ce principe à l’égard des audiences d’extradition, les termes employés étant de portée générale (R. c. Schmidt, [1987] 1 R.C.S. 500, à la page 519.) :
Dire que certaines dispositions de l’art. 11 s’appliquent aux audiences d’extradition alors que d’autres ne s’y appliquent pas nécessite que l’on donne au terme «inculpé» [...] des sens multiples [...] ce mot doit recevoir partout un seul et même sens, un sens qui soit en harmonie avec les différents alinéas de l’article.
5) L’article 163.2 de la Loi ne crée pas une « infraction » au sens de l’article 11 de la Charte
[36] Même s’il était loisible à Me Guindon de faire valoir que seulement certains droits prévus à l’article 11 s’appliquent, sa prétention ne saurait être retenue.
[37] À mon avis, se voir infliger une pénalité en application de l’article 163.2, ce n’est pas l’équivalent d’être « inculpé ». Par conséquent, aucun des droits prévus à l’article 11 ne s’applique à une procédure découlant de l’article 163.2. Je ne souscris pas à cet égard à la conclusion de la Cour de l’impôt sur cette question de droit.
[38] La Loi de l’impôt sur le revenu renferme un ensemble complexe de dispositions établissant un régime réglementaire et administratif distinct, doté de caractéristiques propres. La juge Wilson de la Cour suprême du Canada en a donné la description suivante (R. c. McKinlay Transport Ltd., [1990] 1 R.C.S. 627 [à la page 636].) :
La perception de l’impôt sur le revenu constitue l’une des principales sources de revenu du gouvernement fédéral. Le régime législatif mis en place pour réglementer la perception de l’impôt est la Loi de l’impôt sur le revenu. Cette loi oblige les contribuables à produire des déclarations annuelles et à évaluer les impôts qu’ils ont à payer, conformément aux calculs effectués dans ces déclarations [...] Essentiellement, le régime mis sur pied est un régime d’auto‑déclaration et d’auto‑cotisation dont le succès repose sur l’honnêteté et l’intégrité des contribuables [...]
[39] L’observation volontaire suppose aussi la communication de renseignements exacts qui permettent de calculer correctement l’impôt à payer. On y parvient en transmettant notamment des déclarations de revenus, des certificats, des formulaires et d’autres renseignements. Faire en temps opportun les choix, les désignations et les paiements requis favorise aussi l’administration efficace du régime fiscal.
[40] Il faut dissuader tout comportement préjudiciable au bon fonctionnement du système. Il faut assurer la conformité au régime d’autocotisation et son bon ordre. On y parvient — dans ce secteur administratif comme dans bien d’autres — en imposant des sanctions simples à administrer ou, comme on les désigne dans la Loi, des pénalités. Une telle simplicité est requise étant donné la complexité et la portée du régime réglementaire et administratif distinct établi par la Loi.
[41] Dans cette perspective, l’objet des pénalités prévues par la Loi n’est pas de sanctionner un comportement moralement répréhensible, ni d’inciter à sa condamnation par la société. Nous n’avons pas affaire aux « plus graves infractions que nous connaissons dans notre droit » (Wigglesworth, précité, à la page 558). Les pénalités visent plutôt à assurer le bon fonctionnement de ce régime réglementaire et administratif distinct.
[42] À mon avis, on vise principalement à s’assurer avec l’article 163.2 de l’exactitude des renseignements, de l’honnêteté et de l’intégrité dans le régime administratif d’autocotisation et d’autodéclaration prévu par la Loi. L’imposition d’une pénalité en vertu de l’article 163.2 au moyen d’une cotisation et les recours prescrits pour ensuite contester la cotisation sont des procédures de nature administrative destinées à corriger tout comportement préjudiciable au bon fonctionnement de ce régime. Autrement dit, une procédure découlant de l’article 163.2 vise à maintenir la discipline, la conformité ou le bon ordre au sein d’un régime réglementaire et administratif distinct. Son objectif n’est pas de réparer un tort causé à la société en général.
[43] Une caractéristique particulière de la Loi de l’impôt sur le revenu vient confirmer cette conclusion. La Loi renferme une soixantaine de dispositions, dont l’article 163.2, qui prévoient une pénalité. Par ailleurs, on crée des « infractions » dans diverses dispositions de la Loi. La comparaison des dispositions de la Loi prévoyant une pénalité et de celles prévoyant une infraction révèle un élément très utile au règlement de la question qui nous occupe.
[44] Chacune des dispositions créant une pénalité, y compris l’article 163.2, prévoit un montant fixe ou une formule fixe pour le calcul de la pénalité à inclure dans la cotisation. Le ministre n’a à apprécier d’aucune manière le caractère moralement répréhensible ou la turpitude du comportement, notamment par la prise en compte de circonstances atténuantes. D’ailleurs, étant donné la nature plutôt mécanique de l’établissement d’une cotisation, et vu le type de renseignements dont il dispose, le ministre n’est guère en mesure de procéder à une telle appréciation. L’objet de ces dispositions, y compris l’article 163.2, semble donc être d’assurer la discipline ou la conformité au sein d’un régime réglementaire et administratif distinct, plutôt que de corriger et de sanctionner une conduite moralement répréhensible ou un tort causé à la société.
[45] Pour ce qui est par contre des dispositions qui créent des infractions, celles‑ci sont punissables d’une amende ou d’une peine d’emprisonnement, ou des deux à la fois, qui ne peuvent être fixées ou calculées au moyen d’une formule stricte. Chaque infraction est plutôt punissable d’un éventail de sanctions — par exemple, l’évasion fiscale visée à l’article 239 est punissable d’une peine d’emprisonnement maximale, ou encore d’une amende, selon une certaine fourchette. Le juge, plutôt que de jouer un rôle purement mécanique, dispose d’un pouvoir discrétionnaire. Lorsqu’il établit la peine, le juge peut notamment prendre en compte le caractère moralement répréhensible et la turpitude de la conduite et les circonstances atténuantes. Les dispositions créatrices d’infractions ne visent donc pas simplement à assurer la discipline ou la conformité dans un régime réglementaire et administratif distinct. Elles visent également à corriger et à sanctionner une conduite moralement répréhensible ou un tort causé à la société.
[46] Me Guindon souligne que les amendes imposées en application de l’article 163.2 peuvent être élevées. Elle a raison, mais l’importance d’une amende n’entraîne pas à elle seule l’application de l’article 11 de la Charte (Martineau, précité). Les pénalités administratives doivent parfois être élevées pour dissuader une conduite préjudiciable au régime administratif mis en place et aux politiques qu’il met en œuvre (Cartaway Resources Corp. (Re), 2004 CSC 26, [2004] 1 R.C.S. 672). On confirme dans de nombreux jugements que des pénalités importantes, voire très importantes, peuvent constituer des sanctions administratives pécuniaires régies par les principes du droit administratif qui échappent aux exigences de l’article 11 de la Charte (Canada (Procureur général) c. United States Steel Corporation, 2011 CAF 176; Rowan v. Ontario Securities Commission, 2012 ONCA 208, 110 R.J.O. (3e) 492; Lavallee v. Alberta (Securities Commission), 2010 ABCA 48 (CanLII), 474 A.R. 295; Martineau, précité).
[47] Aux termes du paragraphe 163.2(4), la disposition visée en l’espèce, la pénalité maximale dont est passible l’auteur d’un faux énoncé est de 100 000 $ plus sa rétribution brute relativement à cet énoncé. L’importance de la pénalité a certes des fins de dissuasion, mais ne dénote pas un objectif de réprobation et de punition du contrevenant pour le « tort causé à la société » (Wigglesworth, précité, à la page 561). Il s’agit plutôt de prévoir des pénalités de nature à faire en sorte qu’elles « ne soient pas considérées comme une simple dépense d’affaire » (United States Steel Corporation, précité, au paragraphe 77), compte tenu du fait qu’il est possible que les faux énoncés passent inaperçus.
[48] Me Guindon attire également notre attention sur l’emploi de l’expression « conduite coupable » à l’article 163.2, qui, affirme‑t‑elle, introduirait un élément de criminalité. Il est vrai que la conduite « coupable » évoque la « culpabilité » du droit pénal si on considère l’expression isolément, dans l’abstrait et selon son sens courant. Dans la Loi, toutefois, le terme « conduite coupable » est défini et comprend divers éléments qui doivent être présents pour que le ministre puisse imposer une pénalité en application de l’article 163.2. Cette définition ne fait appel ni au concept de « culpabilité » pénale ni à celui de conduite enfreignant une norme pénale quelconque.
[49] D’autre part, les parties ont débattu dans le présent appel du sens à donner à l’expression « conduite coupable ». Tout en retenant la définition plus rigoureuse de l’expression proposée par Me Guindon, la Cour de l’impôt a néanmoins conclu, au vu des faits, que l’intimée avait adopté une telle conduite. Il n’est donc pas nécessaire que nous tranchions cette question dans le présent appel.
[50] Me Guindon a également souligné devant nous combien il importait que les droits garantis par l’article 11 de la Charte s’appliquent étant donné les sanctions sévères qui peuvent découler de l’article 163.2 de la Loi. Elle a fait valoir que, si les protections prévues à l’article 11 n’étaient pas disponibles, il en résulterait une grave injustice. Pour répondre brièvement, les droits visés à l’article 11 s’appliquent uniquement lorsqu’il est satisfait au critère exposé dans l’arrêt Wigglesworth et dans l’arrêt Martineau. Or, comme on l’a vu, tel n’est pas le cas en l’espèce.
[51] Certains observateurs ont aussi dit s’inquiéter du caractère inéquitable de l’article 163.2 de la Loi et de son éventuelle utilisation abusive. On pourra ainsi consulter William I. Innes et Brian J. Burke, « Adviser Penalties: How Will the Courts Construe Section 163.2? », Report of Proceedings of the Fifty‑Third Tax Conference, 2001 Conference Report (Toronto : Association canadienne d’études fiscales, 2002); Warren J. A. Mitchell, « Civil Penalties: A Wolf in Sheep’s Clothing? », Report of Proceedings of the Fifty‑Second Tax Conference, 2000 Conference Report (Toronto : Association canadienne d’études fiscales, 2001); Brian Nichols, « Civil Penalties for Third Parties », 1999 Ontario Tax Conference (Toronto : Association canadienne d’études fiscales, 2000). Compte tenu des préoccupations réfléchies ainsi exprimées, quelques commentaires additionnels sur le sujet semblent indiqués.
[52] À mon avis, plusieurs de ces préoccupations sont exagérées.
[53] La jurisprudence sur l’article 163.2 est embryonnaire. Ce qui peut sembler maintenant incertain et troublant pourra être réglé par la suite de manière satisfaisante dans la jurisprudence.
[54] Il existe également de nombreux moyens de s’attaquer à tout problème éventuel d’iniquité sur le fond ou sur la procédure, ou encore découlant de l’utilisation abusive de l’article.
[55] Comme on le sait, il est possible d’interjeter appel devant la Cour de l’impôt de l’imposition des pénalités. Aux termes du paragraphe 163(3) de la Loi, lors d’un tel appel, le ministre a la charge d’établir les faits qui justifient l’imposition de la pénalité. Un certain nombre de règles procédurales — dont le droit de présenter une preuve, de contre‑interroger les témoins du ministre et d’obtenir la communication des documents pertinents — permettent à l’appelant de contester valablement la cotisation. La Cour de l’impôt doit interpréter ces règles de manière à assurer notamment la résolution équitable de chaque instance, et elle peut les modifier « si l’intérêt de la justice l’exige » — autrement dit, si cela est approprié et nécessaire pour respecter l’équité procédurale (voir les articles 4 et 9 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale), DORS/90‑688a). La Cour de l’impôt possède également une compétence plénière pour assurer, par les moyens nécessaires, le caractère équitable de toute instance devant elle et pour prévenir tout abus de sa procédure (Canada (Revenu national) c. Compagnie d’assurance vie RBC, 2013 CAF 50, au paragraphe 35, puisque cela est vrai des Cours fédérales, qui sont également établies par une loi).
[56] Il ne fait aucun doute que dans certaines circonstances particulières, les pénalités fixes ou établies en fonction d’une formule peuvent être bien sévères, et ce, bien qu’elles aient un caractère administratif et ne fassent pas entrer en jeu l’article 11 de la Charte. On peut toutefois obtenir un allègement à l’égard de pénalités sévères en vertu d’une autre disposition de la Loi, soit le paragraphe 220(3.1). En vertu de ce paragraphe, les personnes passibles d’une pénalité en application de l’article 163.2 peuvent demander au ministre d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour l’annuler, en totalité ou en partie. La Couronne a concédé devant nous qu’il était possible de solliciter une telle réparation.
[57] Certains pourraient mettre en question l’intérêt ou l’efficacité de cette réparation. Après tout, c’est le ministre qui a imposé la pénalité qui examine si elle devrait être annulée. C’est là toutefois une approche trop simple de la question. Le paragraphe 220(3.1) de la Loi impose au ministre un tout autre rôle en la matière. Le ministre ne dispose pas d’une latitude absolue, ne peut pas agir au gré de ses fantaisies, ni ne peut entériner automatiquement, sans y réfléchir, la pénalité qu’il a précédemment imposée. Il convient de formuler quelques commentaires additionnels.
[58] Lors d’une demande d’allègement, l’exercice par le ministre de son pouvoir discrétionnaire doit se fonder sur l’objet de la Loi, l’objectif d’équité qui sous‑tend le paragraphe 220(3.1) et une appréciation rationnelle de tous les facteurs particuliers pertinents. Le ministre doit véritablement exercer son pouvoir discrétionnaire, qui ne doit pas être entravé ni restreint par des énoncés de politique tels que la circulaire d’information IC 07‑1 [Impôt sur le revenu – Circulaire d’information IC 07-1, « Dispositions d’allégement pour les contribuables »] (Stemijon Investments Ltd. c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 299, au paragraphe 27).
[59] Lors du contrôle judiciaire d’une décision fondée sur le paragraphe 220(3.1), la Cour fédérale peut annuler tout exercice déraisonnable par le ministre de son pouvoir discrétionnaire, c.‑à‑d. un exercice n’appartenant pas aux issues acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190). En fonction des circonstances, l’éventail des issues s’offrant au ministre peut être fort restreint (Abraham c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 266, aux paragraphes 37 à 50, et, dans un autre contexte, Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2013 CAF 75, aux paragraphes 13 et 14).
[60] Finalement, je tiens à souligner que l’article 12 de la Charte interdit les traitements ou peines cruels et inusités, c.‑à‑d. une sanction disproportionnée « au point de ne pas être compatible avec la dignité humaine » (Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711, à la page 736). L’article 12 n’a guère été mis à l’épreuve dans le domaine administratif, où son applicabilité fait encore l’objet de débat. Par ailleurs, puisque le calcul des pénalités visées à l’article 163.2 repose sur des formules tentant d’apprécier l’incidence de la conduite reprochée sur le régime fiscal, je doute que toute contestation d’une telle pénalité puisse être couronnée de succès sur le fondement de l’article 12. Toutefois, comme la jurisprudence sur l’article 163.2 est encore embryonnaire, il n’est pas encore exclu qu’il puisse s’agir là d’une voie de recours exceptionnelle.
[61] On n’a pas fait appel à ces voies de recours en l’espèce. Je ne ferai donc aucun autre commentaire à leur sujet.
D. Dispositif proposé
[62] Pour les motifs exposés, j’accueillerais l’appel avec dépens, j’annulerais le jugement de la Cour de l’impôt et, rendant le jugement que la Cour de l’impôt aurait dû rendre, je rejetterais l’appel de Me Guindon avec dépens.
Le juge Noël, J.C.A. : Je suis d’accord.
La juge Gauthier, J.C.A. : Je suis d’accord.