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T-1458-10

2012 CF 1263

Anissa Samatar (demanderesse)

c.

Procureur général du Canada (défendeur)

Répertorié : Samatar c. Canada (Procureur général)

Cour fédérale, juge Martineau—Ottawa, 6 septembre et 31 octobre 2012.

Fonction publique — Procédure de sélection — Concours — Contrôle judiciaire d’une décision de la Commission de la fonction publique (Commission) trouvant la demanderesse coupable de fraude pour avoir fourni de fausses références à une candidate dans le cadre d’un processus de nomination au sein de la fonction publique — L’enquête de la Commission a été menée en vertu de l’art. 69 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (LEFP) — Au cours de l’enquête, la Commission a convoqué la demanderesse à une entrevue, la soupçonnant de fraude — Avant l’entrevue, l’enquêteur n’a pas dit à la demanderesse qu’elle était soupçonnée de fraude — Il ne lui a pas non plus communiqué les preuves pertinentes — Le rapport d’enquête a conclu à la fraude et des mesures correctives ont été prises à l’encontre de la demanderesse — Il était question entre autres de savoir 1) si l’art. 69 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (LEFP) autorise la Commission à prendre des mesures correctives visant la demanderesse qui n’a pas participé à un concours, mais qui a donné des références dans le cadre d’un concours, et 2) si les règles d’équité procédurale ont été violées en l’espèce La LEFP ne définit pas le mot fraude — Les définitions française et anglaise du mot « fraude » se rejoignent — Il est question de tromper autrui dans le but d’obtenir un avantage — Il faut avoir l’intention de tromper autrui, il ne suffit pas de s’arrêter au fait matériel en soi — Avant d’en arriver à examiner la raisonnabilité de la conclusion de « fraude », il faut d’abord être satisfait que la Commission a compétence vis-à-vis des tiers comme la demanderesse — Pour ce faire, il faut examiner le cadre global qui régit la fonction publique fédérale en matière de ressources humaines — Ainsi, l’information transmise à la Commission relativement à la présumée fraude de la demanderesse dans le cadre d’un processus de nomination ressemble à la divulgation d’actes répréhensibles visés par la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles — L’approche prise par la Commission ne fait qu’aboutir à un dédoublement du processus d’enquête — L’emploi par le législateur de la conjonction « and » dans la version anglaise de l’art. 69a) de la LEFP, directement avant l’art. 69b), n’est pas fortuit Il ne peut s’agir que d’un pouvoir de nature accessoire, lié à la révocation d’une proposition de nomination Pour pouvoir exercer le pouvoir de prendre des « mesures correctives » en vertu du pouvoir prévu à l’art. 69b) indépendamment du pouvoir prévu à l’art. 69a) de révoquer une nomination, il faudrait remplacer dans la version anglaise la conjonction « and » par « or », et ajouter dans la version française, la conjonction « ou » — La Commission a usurpé ses pouvoirs et agi sans compétence — Il n’est pas nécessaire d’exprimer une opinion définitive au sujet de la compétence ou de la raisonnabilité puisque la question d’équité procédurale est déterminante — Le contenu du devoir d’agir équitablement varie selon le contexte et il faut considérer les critères énumérés par la Cour Suprême dans Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) — En l’espèce, l’enquêteur n’a pas révélé à la demanderesse, en temps utile, ses intentions et les preuves qu’il avait déjà recueillies — L’avis de convocation est nettement insuffisant — Les règles d’équité procédurale exigeaient que l’enquêteur communique avant l’entrevue les éléments de preuve documentaire susceptibles d’être utilisés à l’entrevue — La violation à l’obligation d’équité procédurale est flagrante dans le cas de la demanderesse — L’art. 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales confère une large discrétion à la Cour dans le choix de la réparation appropriée — Compte tenu des circonstances particulières et exceptionnelles de la présente affaire, il n’est pas dans le meilleur intérêt de la justice que le dossier de la demanderesse retourne à la Commission — La demanderesse a droit à une indemnité de dépens accrue qui dépasse les dépens partie-partie habituellement accordés — La décision de la Commission est cassée — Demande accueillie.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision rendue par la Commission de la fonction publique du Canada (Commission) trouvant la demanderesse coupable de fraude pour avoir fourni de fausses références à une candidate dans le cadre d’un processus de nomination au sein de la fonction publique.

La demanderesse conteste la légalité du rapport d’enquête de la Commission la trouvant coupable de fraude à la suite d’une enquête menée en vertu de l’article 69 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (LEFP). La demanderesse soutient que l’enquêteur devait lui dire qu’elle était soupçonnée de fraude et devait lui communiquer avant son entrevue toutes les preuves pertinentes, en particulier le contenu du témoignage d’un témoin et les notes de celle-ci. La demanderesse n’a participé à aucun concours. Néanmoins, elle est prise à partie dans la décision de la Commission la trouvant coupable de fraude en même temps que deux autres fonctionnaires, l’une, la candidate au concours et l’autre qui, tout comme la demanderesse, a fourni des références pour la candidate. La candidate visée par l’enquête n’a pas été nommée aux postes pour lesquels elle avait soumis sa candidature. Toutefois, la Commission revendique le pouvoir de prendre des mesures correctives à l’égard de toute personne dans les cas où une fraude a pu être commise, même si celle-ci n’a eu aucun effet pratique sur la proposition de nomination ou la nomination de personnes qualifiées. La demanderesse remet en cause l’existence de ce pouvoir. Le défendeur, au nom de la Commission, fait valoir qu’il n’est pas nécessaire qu’un candidat soit nommé à un poste pour qu’il y ait enquête pour fraude selon l’article 69 de la LEFP, et qu’il suffit que la fraude ait été commise « dans le processus de nomination ». La demanderesse soutient que le préambule de la LEFP n’autorise pas la modification du texte clair de l’article 69 qui utilise la conjonction « and » et non « or ». De plus, la demanderesse fait également valoir que contrairement au cas de la candidate, elle n’était candidate à aucun concours et elle n’a pas été directement impliquée dans le processus de nomination (n’étant pas elle-même membre du jury de sélection, ni chargée de vérifier les références de la candidate).

À titre de mesures correctives, la Commission oblige la demanderesse, pour une période de trois ans, à obtenir la permission écrite de la Commission avant d’accepter un poste au sein de la fonction publique fédérale, faute de quoi sa nomination sera révoquée. De plus, la décision et le rapport d’enquête contestés sont transmis à l’employeur de la demanderesse et à la Gendarmerie Royale du Canada.

Les questions en litige étaient de savoir 1) si les règles d’équité procédurale ou de justice naturelle ont été respectées, 2) si la décision contestée selon laquelle que la demanderesse a commis une fraude est déraisonnable, et 3) si l’article 69 de la LEFP autorise la Commission à prendre des mesures correctives visant la demanderesse qui n’a pas participé à un concours, mais qui a donné des références dans le cadre d’un concours.

Jugement : la demande doit être accueillie.

En l’espèce, l’enquête de la Commission a été conduite sous l’autorité présumée de l’article 69 de la LEFP. Les lignes directrices de la Commission en matière de motifs d’enquête indiquent que la décision d’enquêter ou non est un pouvoir discrétionnaire. La LEFP ne définit pas ce qui constitue une « fraude ». Il s’agit d’une question de droit au cœur même de la compétence attribuée par le législateur à la Commission. La définition française du mot « fraude » rejoint la définition anglaise. D’abord, il est question de tromper autrui dans le but d’obtenir un avantage quelconque. De plus, il faut avoir l’intention de tromper autrui, d’où la question de savoir si l’auteur est ou non au courant de la tromperie qu’on lui prête. S’il est de bonne foi, il faut plutôt parler d’« erreur ». La détermination de l’intention derrière les actions prises est donc un élément essentiel d’analyse de la preuve. Il ne suffit pas de s’arrêter au fait matériel en soi. Sans intérêt personnel pour la candidate et sans la possibilité de tirer un avantage quelconque, il n’est pas clair comment la demanderesse aurait pu avoir l’intention, la motivation, ou encore « le but de tromper » l’employeur. Cependant, avant d’en arriver à examiner la raisonnabilité de la conclusion de « fraude », il faut d’abord être satisfait que la Commission ait compétence vis-à-vis des tiers. On ne peut pas répondre adéquatement à la question de compétence ou de raisonnabilité, sans d’abord procéder à un examen du cadre global qui régit la fonction publique fédérale. L’article 69 est entré en vigueur dans le cadre de la Loi sur la modernisation de la fonction publique. Celle-ci a créé un cadre de modernisation des ressources humaines. Le Parlement a aussi adopté une véritable loi-cadre applicable à l’ensemble du secteur public, dont l’un des objets vise justement à maintenir et à accroître la confiance du public dans l’intégrité des fonctionnaires fédéraux. Il s’agit de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles qui crée le poste de commissaire à l’intégrité de la fonction publique, lequel mène des enquêtes et se prononce sur les cas liés à la divulgation et aux représailles. Dans une optique où l’intention du législateur est de confier un pouvoir général de surveillance à la Commission pour s’assurer que les nominations soient fondées sur le mérite, on peut comprendre que celle-ci possède le pouvoir de révoquer la nomination et qu’elle puisse prendre les mesures correctives indiquées pour rétablir la confiance du public. Il reste à savoir si la Commission est autorisée à prendre des « mesures correctives » à l’égard de la tierce personne. La fraude et la fabrication de faux documents sont contraires à l’éthique et aux codes de conduite applicables aux fonctionnaires. Même s’il n’est pas nommé au poste convoité, le fonctionnaire pourra être discipliné s’il a commis un acte répréhensible et il s’expose à des sanctions pouvant aller jusqu’au licenciement. La demanderesse n’était pas visée par l’enquête à l’origine. Le dossier commence par une information transmise par le ministère où travaille la mère de la candidate. Cela ressemble à la divulgation d’actes répréhensibles possiblement commis par deux fonctionnaires fédéraux dans le cadre d’un processus de nomination. L’approche prise par la Commission ne fait qu’aboutir à un dédoublement injustifié du processus d’enquête entourant la perpétration d’actes possiblement répréhensibles par un fonctionnaire fédéral. Invoquant le pouvoir prévu à l’alinéa 69b) de la LEFP, la Commission a imposé trois mesures correctives. L’emploi par le législateur de la conjonction « and » dans la version anglaise de l’alinéa 69 a) de la LEFP, directement avant l’alinéa 69b), n’est pas fortuit. Il ne peut s’agir en l’espèce que d’un pouvoir de nature accessoire, lié à la révocation d’une proposition de nomination ou d’une nomination. Pour pouvoir exercer le pouvoir de prendre des « mesures correctives » en vertu du pouvoir prévu à l’alinéa 69b) indépendamment du pouvoir prévu à l’alinéa 69a) de révoquer une nomination ou de ne pas nommer une personne, il faudrait remplacer dans la version anglaise la conjonction « and » par « or », et ajouter dans la version française, la conjonction « ou » — puisque la conjonction « et » est sous-entendue si l’on tente de réconcilier la version française avec la version anglaise. La Commission a donc usurpé ses pouvoirs et agi sans compétence en rendant la décision contestée. Toutefois, il n’est pas nécessaire d’exprimer une opinion définitive au sujet de la compétence ou de la raisonnabilité puisque la question d’équité procédurale est déterminante.

Le contenu du devoir d’agir équitablement varie selon le contexte et il faut considérer les critères énumérés par la Cour suprême dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration). Lorsqu’elle rend une ordonnance en matière de fraude, la Commission doit être convaincue de la culpabilité de la personne visée. C’est la norme de la prépondérance des probabilités qui s’applique en matière de fraude. En ce qui a trait aux répercussions sur la personne visée, elles sont très importantes. La décision et le rapport d’enquête contestés affectent directement et de façon négative les fonctionnaires visés et ce, de diverses manières. Le principal actif, sinon le seul, d’un fonctionnaire, c’est son intégrité. La fraude constitue l’accusation suprême pouvant entraîner la peine capitale : la perte de confiance de l’employeur et du public dans l’intégrité personnelle du fonctionnaire. La procédure mise en place par la Commission, plus particulièrement au niveau de la phase d’enquête — qui est cruciale — ne respecte pas les attentes légitimes des personnes soupçonnées de fraude et est gravement déficiente. La demanderesse n’a pas eu le même traitement que la candidate et a été tenue à l’écart du processus d’enquête. Rien ne laissait présager que l’enquête pouvait porter également sur la demanderesse. L’enquêteur n’a pas révélé à la demanderesse, en temps utile, ses intentions et les preuves qu’il avait déjà recueillies. L’avis de convocation est nettement insuffisant. Il ne mentionne d’aucune manière que la Commission soupçonne la demanderesse de fraude. Les règles d’équité procédurale exigeaient, au minimum, que l’enquêteur communique avant l’entrevue les éléments de preuve documentaire susceptibles d’être utilisés à l’entrevue. La demanderesse n’a reçu aucune communication du projet de rapport contenant l’analyse et les conclusions de l’enquêteur. Le rapport d’enquête contesté a été approuvé par la Commission sans possibilité pour la demanderesse de commenter l’analyse et les conclusions finales de l’enquêteur. La violation à l’obligation d’équité procédurale est flagrante dans le cas de la demanderesse.

En ce qui a trait à la réparation appropriée, le paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales confère une large discrétion à la Cour. Selon la preuve au dossier, la violation par la Commission des règles d’équité procédurale est flagrante et suffit en elle-même pour casser la décision contestée, qui entérine le rapport d’enquête contesté. Normalement, lorsque c’est le seul vice, la Cour peut renvoyer l’affaire à l’office fédéral, et ce, conformément aux instructions qu’elle estime appropriées dans les circonstances. Dans tous les cas, il s’agit d’un pouvoir de nature discrétionnaire, et à cause du comportement d’une partie, ou encore du caractère académique que pourrait avoir un renvoi à l’office fédéral, la Cour peut choisir de simplement casser la décision contestée. La gravité de l’injustice commise à l’endroit de la demanderesse, l’intransigeance jusqu’ici manifestée par la Commission, les craintes qu’on peut avoir sur la partialité ou le parti pris de la Direction des enquêtes, l’opiniâtreté et la férocité avec lesquelles certaines positions ont été avancées par le défendeur (au nom ou pas de la Commission), le fait que l’on ait attendu jusqu’au mois de mars 2010 pour faire enquête sur des allégations qui remontent en 2007, l’absence de garanties que la Commission va mettre en place de nouveaux processus d’enquête et d’adjudication pour tenir compte des attentes légitimes des personnes soupçonnées de fraude, font en sorte qu’il n’est pas dans le meilleur intérêt de la justice que le dossier de la demanderesse retourne à la Commission. Compte tenu des circonstances particulières et exceptionnelles de ce dossier, la demanderesse a droit à une indemnité de dépens accrue qui dépasse les dépens partie-partie habituellement accordés. Il s’agit d’une simple fonctionnaire qui a dû dépenser des milliers de dollars pour faire valoir ses droits et obtenir l’annulation de la décision contestée dont l’illégalité est criante. La fin ne peut justifier les moyens déloyaux qui ont été utilisés par l’enquêteur dans ce dossier.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 13.

Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6.

Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F-11, art. 12 (mod. par L.C. 2003, ch. 22, art. 8).

Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12, 13.

Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5, art. 5 (mod. par L.C. 1997, ch. 18, art. 116).

Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles, L.C. 2005, ch. 46, art. 9.

Loi sur l’École de la fonction publique du Canada, L.C. 1991, ch. 16, art. 1 (mod. par L.C. 2003, ch. 22, art 22)

Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12, 13, art. 29, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 74, 133.

Loi sur l’emploi de la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-33, art. 6(2), (3) (mod. par L.C. 1992, ch. 54, art. 6).

Loi sur le Centre canadien de gestion, L.C. 1991, ch. 16.

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 18.1 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27).

Loi sur les enquêtes, L.R.C. (1985), ch. I-11.

Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 2.

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règles 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2), 303, 317 (mod. par DORS/2002-417, art. 19; 2006-219, art. 11(F)), 318, 400(3) (mod. par DORS/2010-176, art. 11), tarif B, colonne III.

JURISPRUDENCE CITÉE

décision appliquée :

Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817.

décisions examinées :

Seck c. Canada (Procureur général), 2011 CF 1355; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Challal c. Canada (Procureur général), 2009 CF 1251; Northwestern Utilities Ltd. et autre c. Ville d’Edmonton, [1979] 1 R.C.S. 684; Canada (Procureur général) c. Quadrini, 2010 CAF 246, [2012] 2 R.C.F. 3; Canada (Conseil canadien des relations du travail) c. Transair Ltd., [1977] 1 R.C.S. 722; Belzile c. Canada (Procureur général), 2006 CF 983; Syndicat des employés de production du Québec et de l’Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879.

décisions citées :

Seck c. Canada (Procureur général) (1 mai 2013), T-1457-10 (C.F.); M’Kounga c. Canada (Procureur général) (7 juin 2011), T-1264-10 (C.F.); M’Kounga c. Canada (Procureur général) (27 juin 2011), T-1459-10 (C.F.); Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teacher’s Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654; King c. Canada (Procureur général), 2012 CF 488; R. c. Henry, 2005 CSC 76, [2005] 3 R.C.S. 609; F.H. c. McDougall, 2008 CSC 53, [2008] 3 R.C.S. 41; Greaves c. Air Transat, 2009 CF 9; Murray c. Canada (Commission des droits de la personne), 2002 CFPI 699; Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313; Evans c. Teamsters Local Union No. 31, 2008 CSC 20, [2008] 1 R.C.S. 661; Terre-Neuve (Conseil du Trésor) c. N.A.P.E., 2004 CSC 66, [2004] 2 R.C.S. 381; Nouvelle-Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Martin; Nouvelle-Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Laseur, 2003 CSC 54, [2003] 2 R.C.S. 504; El-Helou c. Service administratif des tribunaux judiciaires, 2012 CF 1111.

DOCTRINE CITÉE

Canadian Oxford Dictionary, 2e éd. Toronto : Oxford University Press, 2004, « fraud ».

Commission de la fonction publique du Canada. Lignes directrices en matière de motifs d'enquête par la CFP en vertu de la nouvelle LEFP au sujet des nominations externes, des nominations internes sans délégation de pouvoir et des nominations pouvant résulter de l’exercice d’une influence politique ou d’une fraude, 2007, en ligne : <http://www.psc-cfp.gc.ca/inv-enq/plcy-pltq/inv-enq-fra.htm>.

Commission de la fonction publique du Canada. Résumé de rapport d’enquête: 2007 – Non fondée – Centre de psychologie du personnel, 2009, en ligne : <http://www.psc-cfp.gc.ca/inv-enq/sum-res/sec-art69/00-00-56-fra.htm>.

Commission de la fonction publique du Canada. Résumé de rapport d’enquête : Article 66 – Fondée – Service Correctionnel du Canada, 2009, en ligne :<http://www.psc-cfp.gc.ca/inv-enq/sum-res/sec-art66/00-00-48-fra.htm>.

Grand Robert de la langue française. Paris : Le Robert, 2001, « fraude ».

Publilius Syrus. Sentences. Paris : Les Belles lettres, 2011.

Rousseau, Jean-Jacques. Les Rêveries du promeneur solitaire. Paris, 1782.

Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada. Rapport sur l’examen de la Loi sur la modernisation de la fonction publique (2003), 2011, en ligne : <http://www.tbs-sct.gc.ca/reports-rapports/psma-lmfp/psma-lmfp-fra.pdf>.

DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision de la Commission de la fonction publique trouvant la demanderesse coupable de fraude pour avoir fourni de fausses références à une candidate. Demande accueillie.

ONT COMPARU

Séverin Ndema-Moussa pour la demanderesse.

Agnieszka Zagorska pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Ndema-Moussa Law Office, Ottawa, pour la demanderesse.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Voici les motifs du jugement et le jugement rendus en français par

Le juge Martineau :

I. INTRODUCTION

[1]        Les nominations internes et externes à la fonction publique fédérale, effectuées en vertu de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12, 13) (LEFP), sont basées sur le mérite et l’impartialité qui constituent deux valeurs fondamentales du système de dotation. Qu’il s’agisse d’un poste à pourvoir dans la fonction publique ou d’un emploi dans le secteur privé, il faut s’attendre qu’un candidat ne mentira pas sur ses compétences et qu’il ne fournira pas de fausses références à un employeur potentiel.

[2]        En principe, la Commission de la fonction publique du Canada (Commission) a compétence exclusive pour nommer à la fonction publique des personnes, y appartenant ou non (article 29 de la LEFP). Toutefois, depuis environ 50 ans, le pouvoir d’effectuer les nominations est délégué en pratique aux administrateurs généraux. Il n’est pas contesté que la Commission possède en vertu des articles 66 à 73 de la LEFP un large pouvoir de surveillance à l’égard des nominations internes et externes dans la fonction publique.

[3]        Ainsi, à la suite d’une enquête, la Commission peut annuler une nomination ou empêcher qu’une personne soit nommée si elle est convaincue : 1) qu’une erreur, une omission ou une conduite irrégulière a influé sur le choix de la personne nommée ou dont la nomination est proposée (articles 66 et 67); 2) que la nomination ou proposition de nomination ne s’est pas faite indépendamment de toute influence politique (article 68); ou 3) qu’il y a eu fraude dans le processus de nomination (article 69).

[4]        La demanderesse, Mme Anissa Samatar, est conseillère junior en ressources humaines au Bureau du Secrétaire du gouverneur général (BSGG). Elle conteste aujourd’hui la légalité du Rapport de décision 10-08-ID-73 (décision contestée), signé le 9 août 2010 par Mme Maria Barrados, présidente, la trouvant coupable de fraude à la suite d’une enquête menée par la Commission en vertu de l’article 69 de la LEFP.

[5]        La demanderesse n’a pas participé à aucun concours. Néanmoins, elle est prise à partie dans une décision unique de la Commission la trouvant coupable de fraude, en même temps que deux autres fonctionnaires : Mme Marième Seck, une candidate à deux concours, et une autre fonctionnaire, Mme Rose M’Kounga, qui, comme la demanderesse, a fourni des références pour la candidate (collectivement, les fonctionnaires visées par la décision contestée).

[6]        La décision contestée entérine les conclusions et recommandations contenues dans le Rapport d’enquête 2009-SVC-00118.8305 en date du 10 juin 2010 (rapport d’enquête contesté ou rapport d’enquête), qui traite du processus de nomination interne 2006-SVC-IA-HQ-95563 (processus de nomination visé par la décision contestée). Celui-ci visait à combler un poste d’analyste ES-5 au ministère des Travaux publics et Services gouvernementaux (TPSGC ou employeur visé par le processus de nomination).

[7]        La candidate visée par l’enquête n’a pas été nommée aux postes pour lesquels elle avait soumis sa candidature. Toutefois, la Commission revendique le pouvoir de prendre des « mesures correctives » à l’égard de toute personne dans les cas où une fraude a pu être commise, même si celle-ci n’a eu aucun effet pratique sur la proposition de nomination ou la nomination de personnes autrement qualifiées dont la candidature a été retenue dans le processus de nomination (candidats nommés).

[8]        Aussi, au-delà des questions particulières d’équité procédurale et de raisonnabilité, ce qui est remis globalement en cause par les trois fonctionnaires visées par la décision contestée, c’est l’existence d’un pouvoir plénier et indépendant d’enquête et de sanction de la Commission en vertu de l’article 69 de la LEFP à l’égard des personnes dont la candidature n’a pas été retenue (autres candidats) et des personnes ayant pu leur fournir des références (tiers).

II. CONTEXTE FACTUEL

[9]        Les allégations de fraude retenues contre Mme Seck et Mme M’Kounga ne font pas l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire. Il faut comprendre cependant que la demanderesse n’était pas visée à l’origine par l’enquête de la Commission, qui avait décidé d’enquêter sur les actions posées par Mme Seck et Mme M’Kounga à la suite d’une information reçue par le ministère des Ressources naturelles Canada (MRN) où travaillait Mme Gisèle Seck, la mère de la candidate.

[10]      C’est que le MRN menait une enquête administrative sur l’utilisation par la mère de la candidate des réseaux informatiques du ministère. Or, plusieurs courriels échangés entre la candidate, sa mère et Mme M’Kounga, ayant trait à des références que donnerait Mme M’Kounga pour la candidate, ont été interceptés. Une gestionnaire du MRN a ensuite envoyé ces courriels à la Commission, et c’est ce qui déclenché l’enquête entreprise en 2009 par la Commission.

[11]      Le MRN n’a pas participé à l’enquête de la Commission : c’est l’employeur visé par le processus de nomination (TPSGC) qui a pris le relais. De fait, dès le début du dossier, la Commission a traité l’employeur à titre de partie intéressée et l’a notamment invité à faire des représentations. L’employeur a ultimement appuyé les mesures correctives proposées par l’enquêteur à la suite de la communication du rapport d’enquête contesté aux parties intéressées.

[12]      Cela dit, le rapport d’enquête contesté conclut que la candidate a délibérément voulu tromper TPSGC en fournissant les noms de Mme M’Kounga et la demanderesse à titre de références. Non seulement la candidate a-t-elle menti sur son titre réel d’emploi antérieur (CR-4 plutôt que AS-1) au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (MAÉCI) mais Mme M’Kounga n’a jamais dans les faits travaillé avec la candidate et encore moins pu superviser son travail. L’enquêteur conclut que ces dernières ne sont pas crédibles et rejettent leurs explications.

[13]      Mme Michelle Cousineau, Analyste principale, Direction des affaires relatives au Conseil du Trésor/Direction générale des services ministériels, des politiques et des communications à TPSGC (l’employeur) était chargée de vérifier les deux références (Mme M’Kounga et la demanderesse) fournies par la candidate le 23 octobre 2007. Ainsi, lorsque la personne chargée de vérifier les références, a communiqué avec Mme M’Kounga pour obtenir des renseignements sur la candidate, Mme M’Kounga a indiqué ne pas avoir le temps de participer à une entrevue téléphonique, mais elle a offert de répondre aux questions par écrit. Elle a ensuite soumis le formulaire de demande de références avec ses réponses aux diverses questions posées.

[14]      Les réponses écrites données par Mme M’Kounga à la personne chargée de vérifier les références étaient exhaustives, détaillées et comportaient des commentaires très positifs sur les compétences et qualités de la candidate. Or, les références écrites fournies par Mme M’Kounga sous la forme d’un questionnaire écrit retourné le 26 novembre 2007 à TPSGC ont dans les faits été rédigées par la mère de la candidate, ce qui est corroboré par plusieurs courriels échangés entre la candidate, sa mère et Mme M’Kounga.

[15]      En ce qui a trait à la demanderesse, les faits qui lui sont reprochés personnellement semblent beaucoup moins graves et la preuve de sa participation à une fraude beaucoup moins solide que dans le cas de Mme M’Kounga ou de la candidate.

[16]      Au départ, c’est la candidate qui a elle-même fourni dans un courriel daté du 23 octobre 2007 le nom de la demanderesse à titre de « superviseure » et il n’a jamais vraiment été établi que la demanderesse avait bel et bien vu le courriel en question, puisque dit-elle, elle était en congé de maternité à cette époque, ce qui n’est pas contredit par la preuve au dossier. Ce qui est clair cependant, c’est que la demanderesse n’a jamais été la « superviseure » en titre de la candidate, un point qu’elle n’a jamais nié, même si elle soutient avoir « supervisé » dans les faits la candidate. Néanmoins, selon l’enquêteur, la fraude commise par la demanderesse résulte plutôt du fait qu’il était demandé à la candidate de fournir les noms de deux « superviseurs ». Le rapport d’enquête contesté conclut qu’il incombait à la demanderesse de corriger les informations erronées ou fausses fournies par la candidate dans son courriel du 23 octobre 2007. L’enquêteur présume en effet que la demanderesse était au courant des fausses références fournies par la candidate. Pour parvenir à cette conclusion, l’enquêteur s’appuie sur le témoignage et les notes d’une conversation téléphonique qui ont été prises par la personne chargée de vérifier les références.

[17]      À titre de mesures correctives, la Commission oblige les fonctionnaires visées par la décision contestée, incluant la demanderesse, pour une période de trois ans, à obtenir sa permission écrite avant d’accepter un poste au sein de la fonction publique fédérale, faute de quoi leur nomination sera révoquée. De plus, la décision et le rapport d’enquête contestés sont transmis à l’Agence du revenu du Canada (ARC), où travaillent alors Mme Seck et Mme M’Kounga, et au BSGG. Enfin, le rapport d’enquête contesté, ainsi que « toute information pertinente », sont transmis à la Gendarmerie royale du Canada (GRC).

            Autre décision

[18]      Le 5 juillet 2010, dans le rapport de décision 10-07-ID-49 (l’autre décision), la Commission a également entériné les conclusions et recommandations contenues dans le rapport d’enquête 2009-EXT-0049.7408 (l’autre rapport d’enquête) à la suite d’une enquête menée également en vertu de l’article 69 de la LEFP. La Commission a rendu une ordonnance visant Mme Seck et Mme M’Kounga, qui est au même effet que celle que l’on retrouve dans la décision contestée. La demanderesse n’est pas visée personnellement par l’autre décision et l’autre rapport d’enquête.

[19]      L’autre décision et l’autre rapport d’enquête traitent du processus de nomination interne 07‑EXT-IA-SKD-MCO-AS04 (l’autre processus de nomination). Celui-ci visait à combler des postes d’agents de la gestion et des affaires consulaires, au groupe et niveau AS-4 au MAÉCI. Les candidats devaient fournir les noms de trois personnes à titre de références. Mme Seck a notamment indiqué le nom de Mme M’Kounga qu’elle a présentée comme ayant été sa superviseure durant la période 2003-2004. Mme Seck n’a pas été nommée dans l’un des postes d’agent de niveau AS-4 au MAÉCI. L’enquête a conclu que de la « fraude » a également été commise dans l’autre processus de nomination par la candidate, et par Mme M’Kounga « qui a fourni de fausses références pour Mme Seck ».

[20]      À la lumière des courriels dont il a été déjà question plus haut, la Commission a entrepris une enquête pour vérifier si la candidate avait commis une fraude lors de l’autre processus de nomination. Dans l’autre rapport d’enquête, l’enquêteur a conclu que la candidate avait commis la fraude dont elle était soupçonnée. L’enquêteur a jugé que la preuve démontrait que Mme M’Kounga et la candidate n’avaient jamais travaillé ensemble, que Mme M’Kounga ne pouvait donc donner des références pour la candidate et que les références écrites avaient été rédigées non pas par Mme M’Kounga, mais par la candidate et/ou sa mère.

III. DEMANDES DE CONTRÔLE JUDICIAIRE

[21]      Dans les lettres de transmission en date du 10 août 2010, la Commission avise l’employeur et les trois fonctionnaires visées qu’ils peuvent contester la légalité de la décision contestée en déposant une demande de contrôle judiciaire conformément à l’article 18.1 [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27] de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7 [art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14)] (LCF).

[22]      La légalité de la décision contestée et celle de l’autre décision ont fait l’objet de procédures en contrôle judiciaire intentées par les trois fonctionnaires visées :

• Seck c. Canada (Procureur général), T-1263-10, 2011 CF 1355 (Seck 1) et Seck c. Canada (Procureur général), T-1457-10 (Seck 2);

• M’Kounga c. Canada (Procureur général), T-1264-10 (M’Kounga 1) et M’Kounga c. Canada (Procureur général), T-1459-10 (M’Kounga 2); et

• Samatar c. Canada (Procureur général), T-1458-10, (Samatar ou le présent dossier).

[23]      Le défendeur, au nom de la Commission, est partie à toutes ces procédures. Comme il se doit, la Commission n’a pas été désignée dans les procédures à titre de défenderesse, ce qui est conforme au paragraphe (1) de la règle 303 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [règle 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2)] (Règles). En pareil cas, si aucun défendeur n’est désigné en application du paragraphe (1), le demandeur désigne le Procureur général du Canada à ce titre. C’est ce que prévoit le paragraphe (2) de la règle 303 et c’est ce qu’a fait ici la demanderesse.

[24]      Il n’empêche, selon le paragraphe (3) de la règle 303, la Cour peut, sur requête du procureur général du Canada, si elle est convaincue que celui-ci est incapable d’agir à titre de défendeur ou n’est pas disposé à le faire après avoir été ainsi désigné conformément au paragraphe (2), désigner en remplacement une autre personne ou entité, y compris l’office fédéral visé par la demande. En l’espèce, aucune telle requête n’a été présentée par le défendeur à la Cour.

[25]      Au passage, l’employeur (TPSGC) visé par le processus de nomination qui nous intéresse aujourd’hui (poste AS-5) a des intérêts opposés à ceux de la demanderesse — puisqu’il a appuyé le 23 juillet 2010 l’approbation par la Commission des mesures correctives proposées par l’enquêteur. Quoiqu’il en soit, l’employeur n’a pas demandé d’intervenir et n’est pas partie au dossier devant la Cour. Je dois également présumer que l’employeur n’est pas autrement représenté dans ces procédures par le défendeur — qui serait alors en situation de conflit d’intérêts puisque la Commission est un organisme indépendant du gouvernement et faisant directement rapport au Parlement.

[26]      Pour revenir aux cinq demandes de contrôle judiciaire, une lecture des entrées de la Cour indique que trois dossiers (Seck 2; M’Kounga 2 et Samatar) ont fait l’objet d’une ordonnance de gestion de l’instance le 6 mai 2011. Par ailleurs, Mme M’Kounga a fait savoir à la Cour qu’elle désirait se retirer parce qu’elle avait pris sa retraite; aussi les 7 et 27 juin 2011, les demandes de contrôle judiciaire dans M’Kounga 1 et 2 ont été rejetées pour cause de retard.

[27]      Notons également que le 24 novembre 2011, la demande de contrôle judiciaire de la candidate dans Seck 1 a été rejetée au mérite par la Cour : Seck c. Canada (Procureur général), 2011 CF 1355 [précité] (Seck 1 première instance); en appel A-493-11 [l’arrêt a depuis été rendu : 2012 CAF 314, [2014] 2 R.C.F. 167]. Cette dernière demande de Mme Seck vise l’autre décision et l’autre rapport d’enquête de la Commission. Dans l’intérim, les procédures dans Seck 2 qui visent la décision et le rapport contestés sont suspendues jusqu’à la détermination ou la résolution de l’appel dans Seck 1.

            La présente demande de contrôle judiciaire

[28]      La présente demande a été entendue par la Cour le 6 septembre 2012 et le délibéré a été suspendu afin de permettre aux parties de trouver une avenue de règlement. Le 24 septembre 2012, les procureurs faisaient savoir à la Cour que les parties n’avaient pas réussi à s’entendre et demandaient à la Cour de rendre un jugement final dans cette affaire; les procureurs ayant depuis également fait des représentations sur les dépens.

[29]      Essentiellement, la demanderesse prétend que les règles d’équité procédurale ou de justice naturelle n’ont pas été respectées, que la décision contestée à l’effet qu’elle a commis une fraude est déraisonnable, alors que l’article 69 de la LEFP n’autorise pas la Commission à prendre les mesures correctives la visant personnellement. Ces prétentions sont vivement contestées par le défendeur, qui défend la légalité du processus d’enquête et la raisonnabilité de la décision contestée, ainsi que la compétence de la Commission pour rendre l’ordonnance contestée.

[30]      D’une part, la demanderesse soumet que l’enquêteur devait lui dire qu’elle était soupçonnée de fraude et devait lui communiquer avant son entrevue toutes les preuves pertinentes, en particulier le contenu du témoignage et des notes de Mme Cousineau, ce qui n’a pas été fait en l’espèce. Si la Cour accepte cet argument, la conclusion de fraude de l’enquêteur ne peut légalement tenir, vu le non-respect de l’équité procédurale. L’autre argument majeur de la demanderesse porte sur l’absence de compétence de la Commission : ou bien la Commission n’avait pas compétence pour commencer l’enquête, ou bien elle a autrement usurpé ses pouvoirs en rendant une ordonnance de « mesures correctives » la visant personnellement.

[31]      Alternativement, la demanderesse soumet à la Cour que les conclusions de la Commission sont déraisonnables parce qu’elle ne tire aucun avantage personnel de la fraude. Cette preuve pertinente n’a pas été considérée par l’enquêteur. De plus, contrairement aux durs passages qui visent explicitement la candidate et Mme M’Kounga, l’enquêteur accepte que dans les faits, la demanderesse a travaillé avec la candidate et qu’elle a pu « superviser » son travail pendant une période de deux ans au MAÉCI.

[32]      Quoiqu’il en soit, s’il y a eu une fraude, ce qui est vivement contesté par la demanderesse qui parle plutôt d’un « problème de communication » avec la personne chargée de vérifier les références, toute « fausse information » qu’elle a pu fournir n’a eu aucune incidence pratique sur le processus de nomination. En effet, la candidate n’a pas été nommée au poste d’analyste et c’est une autre candidature qui a finalement été retenue par TPSGC.

            Norme de contrôle judiciaire

[33]      Faut-il le rappeler, comme en a décidé la Cour Suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir), au paragraphe 62, le processus de contrôle judiciaire se déroule normalement en deux étapes. Premièrement, la cour de révision vérifie si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier. En second lieu, lorsque cette démarche se révèle infructueuse, elle entreprend l’analyse des éléments qui permettent d’arrêter la bonne norme de contrôle.

[34]      Dans la mesure où l’on reprocherait uniquement à la Commission — dans les faits à l’enquêteur — d’avoir erré dans son analyse de la preuve, les jugements Seck 1 première instance (en appel A-493-11 [précité]) et Challal c. Canada (Procureur général), 2009 CF 1251 (Challal) (désistement en appel A‑3‑10), répondent de façon satisfaisante à la question de la norme de contrôle applicable aux déterminations de fait, voire aux interprétations que peut faire la Commission des dispositions de la LEFP, lorsqu’aucune question de compétence n’est véritablement en jeu.

[35]      Toutefois, la demanderesse invite la Cour à déterminer si l’article 69 de la LEFP autorise la Commission à enquêter à l’égard de la conduite d’autres candidats et de tiers dans les cas où une fraude a pu être commise, mais que ceci n’a eu aucun effet pratique sur la proposition de nomination ou la nomination des candidats nommés. Avec égards pour l’opinion contraire, à mon avis, il s’agit d’une question de compétence, sinon d’une question de droit qui est d’une importance capitale pour l’ensemble du système de nomination de la fonction publique et qui mérite une interprétation correcte de la LEFP.

            Conclusion de la Cour

[36]      Pour les motifs qui suivent, la présente demande sera accueillie. Néanmoins, avant d’aborder le mérite des diverses questions ayant été débattues par les parties, il convient de traiter de l’étendue de la participation du défendeur dans ce dossier et des difficultés que cela peut occasionner tant en amont — en termes d’image de la justice et d’impartialité, qu’en aval — du point de vue de l’exercice des pouvoirs de réparation accordés à la Cour.

IV. RÔLE DU PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

[37]      Le défendeur agit ici au nom de la Commission. Ce n’est pas la première fois que le défendeur prend une position que l’on pourrait qualifier du point de vue de certains « d’agressive », voire « d’énergique », ou encore, à défaut d’autres qualificatifs, de « très défensive ». Par exemple, dans l’affaire Challal, le défendeur a fait valoir qu’il était « trop tard pour remettre en question la déclaration de culpabilité émise par la Commission » et que les mesures correctives « étaient bien de la compétence de la Commission et étaient raisonnables » (Challal, aux paragraphes 4 et 5).

[38]      Or, il est généralement acquis qu’il n’appartient pas à un tribunal dont la décision est contestée, qu’il s’agisse d’un appel ou d’un contrôle judiciaire, de venir défendre sa conduite, ainsi que le mérite de sa décision. Comme il est si bien dit dans l’arrêt Northwestern Utilities Ltd. et autre c. Ville d’Edmonton, [1979] 1 R.C.S. 684, à la page 710 : « Accorder au tribunal administratif la possibilité de défendre sa conduite et en fait de se justifier donnerait lieu à un spectacle auquel nos traditions judiciaires ne nous ont pas habitués. »

[39]      Pourquoi en serait-il autrement lorsque les procureurs du défendeur admettent eux-mêmes prendre des « instructions » de la Commission elle-même?

[40]      Dans ce contexte, il faut se demander s’il est approprié de permettre au défendeur, sans réserves, de se battre bec et ongles contre la demanderesse, en faisant valoir de manière musclée que la Commission n’a pas mal agi et que sa décision au mérite est raisonnable à tous égards. Je pose ici la question parce que si la Commission était une partie dans le dossier (soit à titre de défendeur ou d’intervenant), ses représentations devraient se limiter à la question de compétence (excluant l’équité procédurale).

[41]      La Cour d’appel fédérale a très bien résumé dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Quadrini, 2010 CAF 246, [2012] 2 R.C.F. 3, aux paragraphes 15 à 24, les raisons pour lesquelles la common law restreint la portée des observations qu’un tribunal administratif peut présenter dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Outre le principe du caractère définitif des décisions, il y a le principe de l’impartialité. Le problème n’est pas seulement au niveau du « spectacle » désagréable venant ternir l’image d’impartialité qu’il faut prêter au décideur et qu’il faut préserver dans l’intérêt de la justice. À terme, l’éventail des remèdes s’offrant à la cour siégeant en révision judiciaire, peut également gravement en souffrir.

[42]      À ce chapitre, le juge Stratas rappelle au paragraphe 16 :

Lorsqu’elle fait droit à une demande de contrôle judiciaire, une juridiction dispose d’une grande latitude en ce qui concerne le choix et la conception des réparations (MiningWatch Canada c. Canada (Pêches et Océans), 2010 CSC 2, [2010] 1 R.C.S. 6). Une des réparations les plus courantes consiste à renvoyer l’affaire au tribunal administratif pour qu’il rende une nouvelle décision. En pareil cas, le tribunal administratif doit examiner de nouveau l’affaire et être perçu comme l’examinant de nouveau avec impartialité et un esprit ouvert. Les observations que le tribunal administratif présente dans une instance en contrôle judiciaire et qui plongent trop loin, trop intensément ou trop énergiquement dans le bien-fondé de l’affaire soumise au tribunal administratif risquent d’empêcher celui-ci de procéder par la suite à un réexamen impartial du bien-fondé de l’affaire. De plus, de telles observations du tribunal administratif sont susceptibles de miner sa réputation d’impartialité et d’entamer la confiance du public envers l’équité de notre système de justice administrative.

[43]      À mon avis, lorsque le défendeur accepte d’agir au nom de la Commission, en l’absence d’une autre partie venant soutenir la légalité de la décision contestée, son intervention devrait tendre à celle d’un amicus curiae, même s’il possède plus de latitude qu’un amicus curiae. Après tout, le défendeur représente l’intérêt public. Cela dit, le défendeur devrait d’abord et avant tout éclairer la Cour, d’une façon objective et complète, sur les faits mentionnés dans la décision contestée et sur le raisonnement de la Commission, sans aller chercher des justifications qui ne sont pas fournies par la Commission elle-même dans la décision contestée — ce qui inclut bien entendu les motifs que l’on retrouve dans le rapport d’enquête que la Commission a pu entériner.

[44]      Bref, il n’y a aucun problème tant que le défendeur explique la décision contestée et fournit un éclairage objectif sur la compétence de la Commission et les pouvoirs qui lui sont dévolus en vertu de la loi. Je reconnais que cela peut être difficile dans certains dossiers. En effet, comme il a été noté il y a bien longtemps déjà dans l’arrêt Canada (Conseil canadien des relations du travail) c. Transair Ltd., [1977] 1 R.C.S. 722, à la page 728, « [e]n ce qui concerne la façon dont un tribunal créé par la loi exerce ses pouvoirs, le point de savoir ce qui est ou n’est pas une question de compétence par opposition à une question de droit strict est pour le moins ambigu sinon embrouillé. »

[45]      Bien que le texte actuel de l’article 69 de la LEFP soit, à première vue, une disposition attributive de compétence, on peut sans doute argumenter que le défendeur est autorisé, au nom de l’intérêt public, à soutenir également la raisonnabilité des « mesures correctives ». Il s’agit certainement d’un cas limite. Néanmoins, à mon avis, rien ne l’autorise à plaider, au nom de la Commission, que les règles de justice naturelle ou d’équité procédurale ont été respectées en l’espèce.

[46]      Étant donné que le procureur de la demanderesse ne s’est pas objecté à l’audition devant la Cour à ce que l’avocate du défendeur plaide sur les questions de justice naturelle, j’ai décidé de considérer le mérite de tous les arguments qui ont pu être formulés par le défendeur et son avocate à l’audition, avec néanmoins les conséquences que cela pouvait occasionner du point de vue de l’exercice de la discrétion qui m’est conférée en matière de remèdes et de dépens.

V. LA QUESTION DE COMPÉTENCE OU DE RAISONNABILITÉ

[47]      À l’instar des autres fonctionnaires visées par la décision contestée, la demanderesse soumet que la Commission n’avait pas compétence pour entreprendre l’enquête ou a autrement usurpé ses pouvoirs en rendant une ordonnance de « mesure corrective » la visant personnellement. Pour sa part, le défendeur, au nom de la Commission, fait valoir qu’il n’est pas nécessaire qu’un candidat soit nommé à un poste pour qu’il y ait enquête pour fraude selon l’article 69 de la LEFP; il suffit que la fraude ait été commise « dans le processus de nomination ». Or, la décision contestée est à tous égards raisonnable selon le défendeur.

[48]      En l’espèce, l’enquête de la Commission a été conduite sous l’autorité présumée de l’article 69 de la LEFP, qui se lit comme suit :

69. La Commission peut mener une enquête si elle a des motifs de croire qu’il pourrait y avoir eu fraude dans le processus de nomination; si elle est convaincue de l’existence de la fraude, elle peut :

a) révoquer la nomination ou ne pas faire la nomination, selon le cas;

b) prendre les mesures correctives qu’elle estime indiquées.

Fraude

[49]      Dans les Lignes directrices en matière de motifs d’enquête par la CFP, en vertu de la nouvelle LEFP, au sujet des nominations externes, des nominations internes sans délégation de pouvoir et des nominations pouvant résulter de l’exercice d’une influence politique ou d’une fraude (Lignes directrices), publiées par la Commission sur son site web, il est expliqué que la décision d’enquêter ou non est un pouvoir discrétionnaire et sera prise au cas par cas.

            Qu’est-ce que la fraude?

[50]      Comme le dit si bien le philosophe Jean-Jacques Rousseau dans Les Rêveries du promeneur solitaire (1782, posth.) [à la page 62]:

Mentir pour son avantage à soi-même est imposture, mentir pour l’avantage d’autrui est fraude, mentir pour nuire est calomnie, c’est la pire espèce de mensonge; mentir sans profit ni préjudice de soi ni d’autrui n’est pas mentir : ce n’est pas mensonge, c’est fiction.

(Quatrième promenade)

[51]      En l’espèce, la LEFP ne définit pas ce qui constitue une « fraude »; il faut donc s’en remettre à l’interprétation que la Commission a pu faire de cette notion. Il s’agit d’une question de droit qui est au cœur même de la compétence attribuée par le législateur à la Commission.

[52]      Dans le rapport d’enquête contesté, l’enquêteur se réfère à la définition donnée au mot « fraud » que donne le Canadian Oxford Dictionary, 2e éd. Toronto : Oxford University Press, 2004 :

The action or an instance of deceiving someone in order to make money or obtain an advantage illegally. A person or thing that is not what it is claimed or expected to be. A dishonest trick or stratagem.

[53]      D’autre part, selon Le Grand Robert de la langue française, Paris : Le Robert, 2001, la « fraude » est une « [a]ction faite de mauvaise foi dans le but de tromper. » Comme on peut le constater, la définition française rejoint la définition anglaise. D’abord, il est question de tromper autrui dans le but d’obtenir un avantage quelconque. De plus, il faut avoir l’intention de tromper autrui, d’où la question de savoir si l’auteur est ou non au courant de la tromperie qu’on lui prête. S’il est de bonne foi, il faut plutôt parler d’« erreur ». En l’espèce, la preuve que l’auteur tire un avantage quelconque de la tromperie permet d’inférer qu’il a l’intention de frauder autrui.

[54]      La détermination de l’intention derrière les actions prises est donc un élément essentiel d’analyse de la preuve. Il ne suffit pas de s’arrêter au fait matériel en soi. Par analogie, dans une enquête menée en vertu de l’article 66 de la LEFP, la Commission note (Commission de la fonction publique du Canada – Résumé de rapport d’enquête : Article 66 – Fondée – Service Correctionnel du Canada, 2009, voir : http://www.psc-cfp.gc.ca) :

Pour évaluer s’il y a eu erreur, omission ou conduite irrégulière dans le processus de sélection, il est nécessaire d’examiner l’intention derrière les actions prises. [Non souligné dans l’original.]

[55]      Il ne faut pas confondre une « erreur » avec une « fraude » et vice-versa. D’autre part, il est acquis que ce n’est pas le fardeau de preuve en matière criminelle qui s’applique, mais celui de la prépondérance des probabilités (Challal, aux paragraphes 27 à 30). Selon la jurisprudence de la Commission, jusqu’à ce jour, les enquêtes de la Commission ayant donné lieu à la prise de « mesures correctives » ont toujours visé des candidats à un processus de nomination.

[56]      En guise d’illustration, dans l’affaire Challal (résumé public du rapport d’enquête 2007-IPC-00286 et du Rapport de décision 08-09-IB-65), il était allégué que dans le cadre d’un processus de nomination, le candidat Challal avait triché ou plagié à un examen. À la suite de son enquête, la Commission a conclu que les explications fournies par le candidat n’étaient pas crédibles et a conclu qu’il avait copié de manière intentionnelle le guide de correction protégé lorsqu’il a répondu aux questions d’examen.

[57]      La Cour a confirmé la validité de la conclusion de fraude qui était raisonnable. Au paragraphe 17 du jugement de la Cour dans l’affaire Challal, on voit que l’enquêteur tenait le raisonnement suivant :

Copier à un examen constitue de la fraude au sens de la définition la plus usuelle. M. Challal a copié en vue d’obtenir un avantage, soit avoir un résultant d’examen suffisamment élevé pour lui assurer la nomination au poste de CS-03 et lui procurer ainsi une promotion […] [Non souligné dans l’original.]

[58]      D’un autre côté, dans l’affaire Centre de psychologie du personnel, un cas qui présente certaines similitudes avec le cas sous étude, la Commission a décidé que le seul fait pour une tierce partie d’avoir fourni des « fausses références », ne signifiait pas que le candidat avait commis une fraude, en l’absence d’une preuve de mauvaise foi (Commission de la fonction publique du Canada – Résumé de rapport d’enquête : 2007 – Non fondée – Centre de psychologie du personnel, voir : http://www.psc-cfp.gc.ca) :

Aucune définition de la fraude ne se retrouve dans la Loi […] D’après l’article 69 de la Loi, pour qu’on puisse déterminer qu’il y ait eu fraude, il faut pouvoir relier le comportement fautif à un processus de nomination

[…]

En découvrant ce courriel, le CPP a vérifié le dossier de l’employé. On y a découvert que cette tierce partie était un de ses répondants lors du processus de nomination externe visant à pourvoir le poste d’Adjoint à l’évaluation de la langue seconde. Le CPP a déterminé qu’il y avait une possibilité que la tierce partie aurait donné de fausses références en faveur de l’employé à sa demande.

Le point central de l’enquête était donc de savoir si les références obtenues de la tierce partie en faveur de l’employé étaient fausses parce qu’elles comportaient un élément de fraude de la part de l’employé. Il s’agissait de déterminer si le fait que la tierce partie aurait demandé, dans un courriel à l’employé, de jouer le rôle de directeur d’une compagnie, pour favoriser sa prise de référence, pouvait porter à croire que l’employé aurait auparavant demandé à la tierce partie de jouer le même genre de rôle et de fournir de fausses références en sa faveur.

La Commission a décidé qu’il n’était pas possible de conclure qu’une fraude aurait été commise en extrapolant que, à la suite d’un courriel de la tierce partie, l’employé aurait fraudé le système en demandant à la tierce partie de fournir de fausses références à son égard. Il n’a pas été démontré que les références obtenues en faveur de l’employé, et qui ont servi à sa nomination, ont été faites de façon frauduleuse par une action quelconque de l’employé.

Dans le processus de nomination en question, l’employé n’a donc pas commis une action faite de mauvaise foi dans le but de tromper le système lors de la prise de références. [Non souligné dans l’original.]

[59]      Dans le présent dossier, la demanderesse a bien tenté, mais sans succès, d’obtenir la communication du rapport d’enquête intégral de la Commission dans l’affaire Centre de psychologie du personnel. Le défendeur s’est opposé avec force à la requête de la demanderesse, en faisant notamment valoir qu’il n’était pas clair à la lecture des documents déjà communiqués en vertu de la règle 317 [mod. par DORS/2002-417, art. 19; 2006-219, art. 11(F)] que la Commission avait bel et bien considéré ce dernier document, et ce, malgré l’existence d’une note interne laissant croire que des recherches avaient été entreprises pour trouver des précédents pouvant avoir certaines similitudes avec l’enquête alors menée par la Commission.

[60]      Le 19 novembre 2010, la protonotaire Tabib a donné raison au défendeur et a rejeté la requête de la demanderesse avec dépens, qu’elle a fixés à 650 $. D’une certaine façon, bien que je ne remette pas en cause le motif « technique » ayant justifié le rejet de la requête, cela m’apparaît regrettable en l’espèce. Dans la mesure où la Commission a effectivement compétence pour enquêter et sanctionner des tiers, on doit alors se demander si la conclusion que la demanderesse a commis une fraude en est une « pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Challal, au paragraphe 25).

[61]      Dans ce contexte, aux fins d’évaluer la raisonnabilité de la décision contestée, il devient hautement pertinent de vérifier si la Commission a effectivement appliqué et considéré sa propre jurisprudence en matière de fraude visant des « fausses références » fournies par des tiers à l’occasion d’un processus de nomination. La question devant la Cour aujourd’hui — toujours en supposant que la Commission a compétence — n’est pas tant de savoir si le rapport d’enquête dans l’affaire Centre de psychologie du personnel devrait faire partie du dossier certifié à titre d’élément de preuve considéré par l’enquêteur, mais plutôt si l’enquêteur connaissait ou non cette jurisprudence pertinente, et le cas échéant, pourquoi dans le rapport d’enquête contesté, il n’en parle pas ou ne l’a pas considéré.

[62]      Dans le cas sous étude, la demanderesse fait valoir que le rapport d’enquête contesté ne démontre pas d’une manière claire et intelligible que la demanderesse avait l’intention de se présenter frauduleusement comme étant superviseure de la candidate. D’autre part, la candidate dans la présente affaire n’a pas accédé au poste suite au processus de nomination interne; elle n’a donc pas profité de la fraude commise, mais elle aurait pu en profiter si elle avait été nommée. En revanche, la demanderesse en l’espèce n’avait rien à gagner du succès (ou l’échec) de la candidate pour laquelle elle aurait fourni la référence. Sans intérêt personnel pour la candidate et sans la possibilité de tirer un avantage quelconque, il n’est pas clair comment la demanderesse aurait pu avoir l’intention, la motivation, ou encore « le but de tromper » l’employeur.

[63]      Cependant, avant d’en arriver à examiner la raisonnabilité de la conclusion de « fraude », il faut d’abord être satisfait que la Commission a compétence vis-à-vis des tiers, et c’est justement, ce que conteste aujourd’hui la demanderesse. Avant d’analyser les prétentions respectives des parties, encore une fois, un examen préalable de la preuve au dossier et du raisonnement de l’enquêteur sont de mise.

            Preuve au dossier

[64]      Dans les faits, c’est le 5 juin 2009, à la suite d’une information provenant du MRN où travaillait Gisèle Seck, la mère de la candidate, que la Commission notifie de façon officielle que la candidate est soupçonnée de fraude et qu’une enquête sera menée en vertu de l’article 69 de la LEFP sur les deux processus de nomination interne visés (poste d’analyste ES-5 à TPSGC et poste d’agent de la gestion et des affaires consulaires AS-4 au MAÉCI), pour lesquels Mme Seck a postulés en 2007 et 2008 (avis d’enquête).

[65]      L’avis d’enquête précise également que la Direction des enquêtes de la Commission a « complété la revue de l’information fournie conformément aux [Lignes directrices] ». Selon les Lignes directrices, lorsqu’elle décide de mener une enquête, la Commission doit déterminer :

• si la question relève de la compétence de la Commission en vertu de l’article 66, du paragraphe 67(1), de l’article 68 ou de l’article 69 de la LEFP;

• si la question soulève la possibilité d’un problème lié à l’application de la LEFP qui a eu une incidence sur la sélection aux fins de nomination ou la possibilité d’une infraction à la LEFP, au Règlement sur l’emploi dans la fonction publique (REFP), aux lignes directrices de la Commission ou aux conditions de délégation;

• si les renseignements obtenus laissent croire à la possibilité d’irrégularités systématiques lors de l’application de la LEFP, du REFP, des lignes directrices de la Commission ou des conditions de délégation;

• si la question a été portée à l’attention de la Commission par une personne visée par le processus en question dans les six mois suivant la nomination ou la proposition de nomination; toutefois, la Commission peut, par souci de justice et de protection du mérite, prolonger ce délai;

• si la question a été portée à l’attention de la Commission par d’autres moyens et si cette dernière estime qu’elle doit intervenir, que la question ait été soulevée ou non dans les six mois suivant la nomination ou la proposition de nomination;

• s’il existe une possibilité de mettre en œuvre des mesures correctives;

• s’il n’y a aucun recours disponible qui permettrait de régler la question par d’autres voies.

[66]      Selon la preuve au dossier, il semble y avoir eu un examen sommaire de la compétence de la Commission. En effet, l’avis d’enquête est daté du 5 juin 2009, soit deux jours après que la Division de la Compétence ait préparé un « rapport de compétence – 2009-EXT-00049.7408 (EA) & 2009-SVC-00118.8305 (EA) » (rapport de compétence). Il n’y a aucune mention des Lignes directrices dans le rapport de compétence.

[67]      Bref, « l’information » du MRN est le facteur déterminant dans la décision d’entreprendre une enquête en vertu de l’article 69 de la LEFP. À ce chapitre, il ne semble pas que l’on se soit demandé s’il existait une possibilité de mettre en œuvre des mesures correctives, ou encore s’il existait un autre recours disponible qui permettrait de régler la question par d’autres voies, comme le suggèrent les Lignes directrices. Ce qui est clair cependant, c’est que la demanderesse n’est pas personnellement visée par l’enquête.

            Rejet de l’objection portant sur la compétence

[68]      L’objection des fonctionnaires visées par la décision contestée à la compétence de la Commission est brièvement abordée par l’enquêteur au paragraphe 41 du rapport d’enquête contesté :

[TRADUCTION] Le but de l’article 69 de la LEFP est de déterminer si une fraude a été commise au cours d’un processus de nomination, indépendamment de la question de savoir si le candidat soupçonné d’avoir commis l’acte frauduleux a été nommé au poste en question. Souvent, la fraude est découverte avant la conclusion du processus de nomination et la personne n’est jamais nommée. Le libellé de l’article 69 de la LEFP ne se prête pas à une hypothèse selon laquelle une nomination doit être faite afin d’enquêter sur une allégation de fraude.

[69]      Outre le rapport de compétence, c’est la seule motivation écrite, au nom de la Commission, traitant un tant soit peu de la portée de l’article 69 de la LEFP et de la compétence accordée à la Commission.

            Seck 1 première instance

[70]      Dans le jugement qui a été rendu le 24 novembre 2011 dans le dossier Seck 1 [première instance], la Cour a brièvement abordé la question de la compétence de la Commission en vertu de l’article 69 de la LEFP et a confirmé la légalité des mesures correctives prescrites dans l’autre décision à l’égard de la candidate.

[71]      Ayant déterminé que la question de compétence doit être analysée suivant la norme de la décision raisonnable — puisque l’interprétation et l’application de l’article 69 de la LEFP sont au cœur du mandat et de l’expertise de la Commission — la Cour conclut que l’argument de la candidate n’a aucun mérite et que la Commission avait le pouvoir de faire enquête pour vérifier si la candidate avait commis de la fraude.

[72]      L’essentiel du raisonnement de la Cour se retrouve au paragraphe 15 :

Je partage l’avis du défendeur. D’abord, il ressort clairement du préambule de la Loi et de la Loi dans son ensemble que le législateur a confié à la Commission la responsabilité de protéger l’intégrité et l’impartialité des processus de nomination et de soutenir le principe du mérite. D’autre part, il m’apparaît évident à la lecture de l’article 69 que le mandat de la Commission a trait à toute fraude susceptible d’avoir été commise dans le cadre d’un processus de nomination et non uniquement lorsque la personne soupçonnée de fraude est la ou le candidat choisi. De plus, rien ne permet de conclure que la possibilité pour la Commission de « prendre les mesures correctives qu’elle estime indiquées » ne s’applique que lorsqu’elle a d’abord décidé de révoquer ou d’éviter une nomination. Je ne vois rien qui laisse entendre que ce pouvoir est dépendant et secondaire à une ordonnance rendue en vertu de l’alinéa a). Je comprends plutôt de l’article 69 de la Loi que la Commission peut éviter ou révoquer une nomination si la personne soupçonnée de fraude est la personne choisie à l’issue du processus de sélection. Le cas échéant, la Commission peut aussi prendre d’autres mesures additionnelles qu’elle juge appropriées. Lorsque la personne visée n’est pas la ou le candidat choisi, la Commission peut quand même faire enquête et prendre les mesures correctives qu’elle estime indiquées. Le pouvoir confié à la Commission est très large et lui donne la flexibilité d’adapter les mesures correctives aux circonstances propres à chaque dossier. [Souligné dans l’original.]

[73]      C’est cet aspect du jugement rendu dans Seck 1 [première instance] qui est sans doute le plus litigieux aujourd’hui. La demanderesse invite la Cour à adopter une approche différente, en plaidant son caractère erroné en droit. La demanderesse soumet que le préambule de la LEFP n’autorise pas la modification du texte clair de l’article 69 qui utilise la conjonction « and » et non « or ». De plus, la demanderesse fait également valoir que contrairement au cas de Mme Seck, elle n’était candidate à aucun concours et elle n’a pas été directement impliquée dans le processus de nomination (n’étant pas elle-même membre du jury de sélection, ni chargée de vérifier les références de la candidate). D’ailleurs, la candidate n’a pas été nommée.

[74]      De son côté, le défendeur se fonde sur le court passage dans Seck 1 première instance cité plus haut, ainsi que sur son argumentation écrite à la Cour d’appel fédérale, A-493-11 [précité] pour soutenir que la Commission avait compétence pour rendre la décision contestée. En effet, le pouvoir d’enquête et de prendre des « mesures correctives » en vertu des articles 66 à 69 de la LEFP est plénier. Même s’il n’y a eu aucune erreur, influence politique ou fraude dans la proposition de nomination ou la nomination d’une personne à la fonction publique, la Commission a pleine latitude et discrétion pour sanctionner toute conduite irrégulière, toute interférence politique et toute fraude d’un tiers dans le processus de nomination, qu’il s’agisse d’une personne occupant ou non un emploi dans la fonction publique, d’un député ou d’un ministre fédéral, ou encore un membre de leur personnel politique.

            Interprétation correcte ou seulement raisonnable?

[75]      La détermination de la norme de contrôle qui s’applique à l’examen de la compétence et des pouvoirs dévolus à la Commission en vertu de l’article 69 de la LEFP est une question de droit qui sera éventuellement tranchée par la Cour d’appel fédérale. Le juge de première instance ne jouit d’aucune déférence en cette matière.

[76]      Avec égards pour l’opinion contraire, une relecture de l’arrêt Dunsmuir, en particulier les paragraphes 55 à 61, et des échanges dans l’arrêt Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654, m’incite toutefois à me distancier de la position adoptée par la Cour dans Seck 1 première instance. Il faut ici faire preuve de la plus grande prudence. En effet, l’application de la présomption de la norme de raisonnabilité à une pure question de compétence, sans examen préalable de l’intention du législateur et du cadre particulier dans lequel opère un organisme administratif ou quasi judiciaire spécialisé, m’apparaît soulever un sérieux questionnement en droit.

[77]      L’une des difficultés du cas sous étude provient également du fait que dans l’affaire Seck 1 première instance, on plaidait notamment que la Commission n’avait pas compétence pour déclencher « une enquête en vertu de l’article 69 de la [LEFP] » (Seck 1 première instance, au paragraphe 9). La confusion juridique provient sans doute du fait que non seulement l’article 69 est une disposition attributive de compétence — la Commission peut mener une enquête si elle a des motifs de croire qu’il pourrait y avoir eu fraude dans le processus de nomination — mais également une disposition qui accorde certains pouvoirs de réparation de la Commission lorsqu’elle est convaincue de l’existence de la fraude.

            Environnement législatif

[78]      À mon avis, on ne peut pas répondre adéquatement à la question de compétence ou de raisonnabilité, sans d’abord procéder à un examen du cadre global qui régit la fonction publique fédérale. Avant de décrire l’arbre et son feuillage, il m’apparaît plus prudent, pour connaître l’intention du législateur, de vous parler de la forêt où pousse cet arbre. Vous verrez qu’il y pousse également d’autres grands arbres, d’une variété et d’une couleur différentes, et qui font justement la beauté de cette belle forêt.

[79]      L’article 69 est entré en vigueur le 31 décembre 2005, en même temps que les autres dispositions de la LEFP, qui sont édictées en vertu des articles 12 et 13 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22 (LMFP), laquelle a reçu la sanction royale le 7 novembre 2003. Ce texte législatif a été décrit comme « la transformation la plus profonde de la gestion des ressources humaines dans la fonction publique en plus de 35 ans » (matériel de communication, Gouvernement du Canada, 2005).

[80]      La LMFP a créé un cadre de modernisation des ressources humaines dans la fonction publique fédérale, qui inclut également une nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 2 (LRTFP). De même, la LMFP modifie substantiellement la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F-11 (LGFP), qui encadre les pouvoirs du Conseil du Trésor et des administrateurs généraux. Enfin, la LMFP modifie la Loi sur le Centre canadien de gestion [L.C. 1991, ch. 16], renommée Loi sur l’École de la fonction publique du Canada [L.C. 2003, ch. 22, art. 22], qui concerne l’apprentissage et le perfectionnement.

[81]      Aux modifications apportées par la LMFP, il faut souligner l’adoption en 2005 par le Parlement d’une véritable loi-cadre applicable à l’ensemble du secteur public, également pourvue d’un préambule, et dont l’un des objets d’intérêt public vise justement à maintenir et à accroître la confiance du public dans l’intégrité des fonctionnaires fédéraux. Je parle ici de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles, L.C. 2005, ch. 46 (LPFDAR), qui est entrée en vigueur en avril 2007. Le Commissaire à l’intégrité de la fonction publique mène des enquêtes et se prononce sur les cas liés à la divulgation et aux représailles, alors que le Tribunal de la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles instruit les plaintes liées à des représailles subies à la suite d’une divulgation protégée.

[82]      Faut-il le rappeler, la LPFDAR s’inscrit dans un continuum, qui commence par la création d’un environnement de travail où le dialogue sur les valeurs et l’éthique est encouragé, où les employés se sentent à l’aise de soulever leurs préoccupations sans crainte de représailles, et où on encourage la bonne conduite. En vertu de la LPFDAR, le ministre responsable du Secrétariat du Conseil du Trésor doit encourager dans le secteur public un environnement favorable à la divulgation des actes répréhensibles. De plus, le Conseil du Trésor doit établir un code de conduite applicable à l’ensemble du secteur public. Les administrateurs généraux doivent également établir un code de conduite applicable à l’organisme dont ils sont responsables. Ce code doit être compatible avec celui du Conseil du Trésor.

[83]      Dans une optique où l’intention du législateur est de confier un pouvoir général de surveillance à la Commission pour s’assurer que les nominations internes ou externes soient exclusivement fondées sur le mérite, on peut comprendre que celle-ci possède le pouvoir de révoquer la nomination — ou ne pas faire la nomination — et que du même coup, celle-ci puisse prendre les mesures correctives qu’elle estime indiquées pour rétablir la confiance du public lorsqu’il y a eu une erreur, une omission ou une conduite irrégulière qui a influé sur le choix de la personne nommée ou dont la nomination est proposée (articles 66 et 67 de la LEFP), ou encore lorsque la nomination ou la proposition de nomination ne s’est pas faite indépendamment de toute influence politique (article 68 de la LEFP).

[84]      Personne non plus ne se surprendra que dans l’exercice des pouvoirs de réparation prévus à l’article 69 de la LEFP, le législateur ait également voulu permettre à la Commission dans le cas de fraude — qu’il s’agisse par exemple de plagiat ou de la présentation de documents falsifiés — de révoquer une nomination ou ne pas faire la nomination, selon le cas. C’est ce que prévoit expressément l’alinéa 69a) de la LEFP. Reste à savoir si, à la suite d’une enquête, des éléments de preuve indiquent qu’il y a eu fraude de la part d’une tierce personne autre que le candidat nommé ou qu’on s’apprêtait à nommer, indépendamment du pouvoir prévu à l’alinéa 69a), la Commission est autorisée à prendre des « mesures correctives » à l’égard de la tierce personne.

[85]      On ne saurait se surprendre du fait que la fraude et fabrication de faux documents par un fonctionnaire aux fins de favoriser sa candidature dans un processus de nomination interne soit contraire à l’éthique et aux codes de conduite applicables aux fonctionnaires fédéraux. Même s’il n’est pas nommé au poste convoité, le fonctionnaire pourra toujours être discipliné par son employeur s’il a commis un acte répréhensible. Or, en vertu de l’article 9 de la LPFDAR, indépendamment de toute peine prévue par la loi, le fonctionnaire qui commet un acte répréhensible s’expose à des sanctions disciplinaires pouvant aller jusqu’au licenciement. Cela m’amène à l’article 12 [mod. par L.C. 2003, ch. 22, art. 8] sur la LGFP qui est une disposition législative très importante, puisqu’elle confère en effet aux administrateurs généraux le pouvoir général de discipliner et congédier les fonctionnaires travaillant sous leur autorité.

[86]      Les motifs de jugement de la Cour dans Seck 1 première instance, ainsi que l’argumentation écrite du défendeur, font grand état de la nécessité de préserver l’intégrité du système de dotation en guise de justification du pouvoir d’enquête et de sanction que revendique en l’espèce la Commission à l’égard des autres candidats et des tiers. De ce fait, la Commission estime qu’elle n’a pas à se demander si la « fraude » a pu avoir un effet pratique sur la proposition de nomination ou la nomination des personnes nommées à la suite d’un concours interne ou externe. Je ne suis pas certain que la position défendue aujourd’hui par le défendeur soit en harmonie avec la conception que se font les autres intervenants dans le secteur de la fonction publique.

[87]      La LEFP et la LRTFP, toutes deux édictées par la LMFP, prévoient un examen des textes législatifs, ainsi que de leur administration et de leur application, cinq ans après leur entrée en vigueur. Cet examen a eu lieu et les résultats ont été rendus publics dans un rapport ayant été déposé au Parlement en 2011. Dans son Rapport sur l’examen de la Loi sur la modernisation de la fonction publique (2003), l’équipe d’examen note à la page 42 :

La [Commission de la fonction publique] CFP, le Bureau du dirigeant principal des ressources humaines et les administrateurs généraux ne s’entendent pas sur la signification de l’expression « assurer l’intégrité du système de dotation ». Les limites de leurs pouvoirs respectifs ne sont pas toujours faciles à établir, et il n’existe pas vraiment de consensus sur la nécessité d’agir en concertation et de nouer des liens solides; il arrive aussi que les intervenants concernés ne soient pas à l’aise avec une telle idée. La CFP a par exemple fait remarquer que, lorsqu’une erreur ou une omission a été décelée au cours d’une vérification, d’une enquête sur une fraude présumée ou d’une enquête sur une nomination externe, elle ne peut pas s’occuper à elle seule de tous les aspects de l’acte répréhensible pouvant être associés à la nomination. La CFP peut révoquer une nomination ou assortir de certaines conditions les pouvoirs délégués à un administrateur général, mais l’acte répréhensible peut avoir été posé par une autre personne, notamment un employé, un gestionnaire ou même un membre du personnel des [Ressources Humaines] RH. Dans cette situation, il revient à l’administrateur général de décider de ce qu’il convient de faire, de déterminer s’il y a lieu de prendre des mesures disciplinaires et, le cas échéant, d’établir la nature de ces mesures.

Les pouvoirs conférés à la CFP, à l’administrateur général et à l’employeur sont énoncés dans non pas une, mais deux fois. Dans un système complexe où plusieurs intervenants ont des pouvoirs interreliés et où un seul événement peut souvent nécessiter une action commune et concertée, il est essentiel que les intervenants collaborent pour assurer le respect de l’intérêt public et préserver l’intégrité du système.

Par conséquent, l’équipe d’examen formule la recommandation suivante :

3.1       Si, à la suite d’une vérification ou d’une enquête, des éléments de preuve indiquent qu’il y a eu erreur, omission, fraude ou conduite irrégulière de la part d’une personne autre que la personne nommée, la CFP devrait communiquer avec les administrateurs généraux chargés de prendre les mesures appropriées, y compris sur le plan disciplinaire. [En caractère gras dans l’original.]

[88]      Rappelons que l’histoire dans ce dossier aux multiples rebondissements — la demanderesse n’était pas visée à l’origine par l’enquête — commence par une « information » transmise par le MRN où travaillait Mme Gisèle Seck, la mère de la candidate. Selon l’information en question, des fausses références auraient pu être fournies par la candidate et Mme M’Kounga qui travaillaient toutes les deux à l’ARC. Cela ressemble étrangement à la divulgation d’actes répréhensibles possiblement commis par deux fonctionnaires fédéraux dans le cadre d’un processus de nomination. Dès le départ, il était également clair qu’une autre personne que la candidate avait été nommée à chacun des postes à TPSGC et au MAÉCI. Alors, pourquoi la Commission n’a-t-elle pas plutôt référé le cas à l’administrateur général concerné pour fins d’enquête?

[89]      On peut argumenter que l’approche prise par la Commission ne fait qu’aboutir à un dédoublement injustifié du processus d’enquête entourant la perpétration d’actes possiblement répréhensibles par un fonctionnaire fédéral. En effet, il faut comprendre qu’un administrateur général ne peut pas prendre de mesures disciplinaires sans lui-même procéder à une enquête et sans préalablement donner l’occasion au fonctionnaire visé d’être entendu et de se défendre. Dans un tel cas, il faut obligatoirement suivre les mécanismes et les procédures prévues à la LRTFP et à toute convention collective applicable en l’espèce; auquel cas les fonctionnaires visées pourront contester la légalité de toute mesure disciplinaire par un grief qui pourra être référé à un arbitre par la Commission sur les relations du travail dans la fonction publique (King c. Canada (Procureur général), 2012 CF 488). Dans le cas d’autres candidats et de tiers, le Parlement a-t-il vraiment voulu que la Commission fasse enquête directement à leur sujet et prennent des mesures correctives les visant personnellement?

            Interprétation de l’article 69

[90]      Invoquant le pouvoir prévu à l’alinéa 69b) de la LEFP, la Commission, a imposé trois « mesures correctives » à l’encontre de la demanderesse : 1) la demanderesse doit obtenir la permission écrite de la Commission avant d’accepter un poste au sein de la fonction publique pour une période de trois ans, faute de quoi sa nomination sera révoquée; 2) une copie de la décision contestée et du rapport d’enquête contesté sont envoyés à son employeur actuel, le Bureau du secrétaire du gouverneur général; et 3) le rapport d’enquête contesté et toute information pertinente sont transmis à la GRC aux fins de l’article 133 de la LEFP.

[91]      La demanderesse argumente que la Commission a agi sans compétence ou a autrement usurpé les pouvoirs qui lui sont conférés par l’article 69 qu’il faut lire dans son ensemble. En effet, l’emploi par le législateur de la conjonction « and » que l’on retrouve dans la version anglaise de l’alinéa 69a) de la LEFP, directement avant l’alinéa 69b), n’est pas fortuit. D’ailleurs, on reprend la même formulation aux alinéas 66a), 67(1)a), 67(2)a) et 68a), directement avant les alinéas 66b), 67(1)b), 67(2)b) et 68b). Il ne peut s’agir en l’espèce que d’un pouvoir de nature accessoire, lié à la révocation d’une proposition de nomination ou d’une nomination.

[92]      Aussi large que puisse être le pouvoir de prendre des « mesures correctives » en vertu de l’alinéa 69b), pour pouvoir être exercé indépendamment du pouvoir prévu à l’alinéa 69a) de révoquer une nomination ou de ne pas nommer une personne, il faudrait remplacer dans la version anglaise la conjonction « and » par « or », et ajouter dans la version française, la conjonction « ou » — puisque la conjonction « et » est actuellement sous-entendue si l’on tente de réconcilier la version française avec la version anglaise. La Commission a donc usurpé ses pouvoirs et agi sans compétence en rendant la décision contestée. Je suis porté à être d’accord avec l’interprétation que propose la demanderesse.

[93]      Toutefois, il n’est pas nécessaire d’exprimer une opinion définitive au sujet de la question de compétence ou de raisonnabilité aujourd’hui et de faire reposer le jugement de la Cour accueillant la demande de contrôle judiciaire sur un aspect aussi litigieux et qui sera possiblement débattu bientôt devant la Cour d’appel fédérale [A-493-11, l’arrêt a depuis été rendu : 2012 CAF 314, [2014] 2 R.C.F. 167] dans le cadre de l’appel dans le dossier Seck 1 [première instance]. En effet, la question d’équité procédurale m’apparaît déterminante; tel que ci-après expliqué, on peut parler ici d’une violation flagrante par la Commission, plus particulièrement par son enquêteur, de l’obligation d’agir de façon équitable à l’endroit de la demanderesse.

VI. LA QUESTION D’ÉQUITÉ PROCÉDURALE

[94]      La demanderesse prétend également que la Commission a violé les règles d’équité procédurale en ne l’informant pas en temps utile de la véritable nature de l’enquête, et en ne lui dévoilant pas avant son entrevue les documents et les témoignages la concernant directement, et qui seront par la suite utilisés par l’enquêteur dans le rapport d’enquête contesté pour l’incriminer et la trouver coupable de fraude. Au demeurant, l’enquête à l’endroit de la demanderesse était illégale et inéquitable, et les conclusions de l’enquête sont fortement biaisées; d’autant plus que le processus retenu par l’enquêteur ne permettait pas de trancher impartialement, dans le respect du droit d’être entendu de la demanderesse, les questions de crédibilité qui sont déterminantes dans ce dossier.

[95]      Le défendeur reconnaît d’emblée que l’enquête et la décision de la Commission ont débouché sur des mesures correctives qui ont de lourdes conséquences sur l’emploi, la réputation, la carrière professionnelle et les chances d’avancement dans la fonction publique des trois fonctionnaires visées. Il n’empêche, le défendeur fait valoir que la demanderesse a été interviewée par l’enquêteur et qu’elle a eu l’occasion de commenter son rapport et ses recommandations avant la décision finale de la Commission, ce qui est suffisant en l’espèce. À tous égards, la procédure était équitable et aucune illégalité n’a été commise en l’espèce. La demanderesse n’a qu’à s’en prendre à elle-même si elle s’est présentée à l’entrevue sans être assistée par un représentant ou un avocat.

[96]      Comme il se doit, c’est la norme de la décision correcte qui doit guider l’analyse de la Cour au niveau du bris allégué aux règles d’équité procédurale : Belzile c. Canada (Procureur général), 2006 CF 983 (Belzile). Comme on le sait, les questions d’équité procédurale se règlent au cas par cas, de sorte qu’aujourd’hui, la Cour ne saurait être liée par les conclusions de fait auxquelles en est arrivée à ce sujet la Cour dans Seck 1 première instance, aux paragraphes 17 à 20, d’autant plus que les faits diffèrent sensiblement, la demanderesse n’ayant jamais été avisée formellement qu’elle était soupçonnée de fraude.

[97]      Le contenu du devoir d’agir équitablement varie selon le contexte et il faut d’abord considérer les critères énumérés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 (Baker) : nature de la décision et processus pour y parvenir; régime législatif; importance de la décision pour les personnes visées; attentes légitimes de la personne affectée par l’enquête; respect du choix des procédures.

            Le régime législatif et la nature de la décision

[98]      L’article 69 se retrouve à la partie 5 de la LEFP, qui comprend d’une part, les articles 66 à 73 traitant des enquêtes de la Commission sur les nominations, et d’autre part, les articles 74 à 87 traitant des plaintes relatives aux nominations et aux révocations pouvant être portées devant le Tribunal de la dotation de la fonction publique créé en vertu de la partie 6 [articles 88 à 110] de la LEFP. Rappelons que les enquêtes menées par la Commission sur les nominations représentent un important outil de surveillance qui aide à gérer le système de dotation et à assurer le caractère impartial de la fonction publique. De plus, le droit de présenter des observations est législativement reconnu lorsque sont en cause la nomination ou la proposition de nomination d’une personne (article 72).

[99]      La fabrication de documents et leur utilisation trompeuse dans le cadre d’un processus de nomination sont des allégations très graves pouvant entraîner la disqualification pour fraude du candidat si le processus de nomination est encore en cours, voire la révocation de sa nomination si celui-ci a déjà été nommé. C’est ce qu’énonce clairement l’article 69 de la LEFP, qui exige la tenue en pareil cas d’une « enquête » de la Commission.

[100]   Dans l’affaire Belzile, précitée, la Cour a décidé que le régime établi en vertu des paragraphes 6(2) et (3) [mod. par L.C. 1992, ch. 54, art. 6] de l’ancienne Loi sur l’emploi de la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-33, militait en faveur d’une « protection procédurale plus importante ». Ces dernières dispositions, bien que rédigées de façon différente, présentaient des similitudes avec les articles 66 et 67 de la LEFP, qui traitent des cas d’erreur, d’omission ou de conduite irrégulière ayant pu influer sur le choix de la personne nommée ou dont la nomination est proposée.

[101]   Il faut également noter que la décision rendue par la Commission en vertu de l’article 69 est finale et sans appel. La situation est bien différente dans le cas d’une révocation de nomination interne prononcée en vertu de l’article 67 (erreur, omission ou conduite irrégulière); la personne dont la nomination est révoquée peut en effet présenter une plainte au Tribunal de la dotation de la fonction publique (article 74). Toutefois, la personne soupçonnée de fraude n’aura pas le loisir de s’adresser au Tribunal de la dotation de la fonction publique et de faire entendre des témoins.

            Choix des procédures et attentes légitimes

[102]   Le critère du respect du choix des procédures n’est pas déterminant (Baker, au paragraphe 27).

[103]   S’il est vrai que la Commission est maître de sa procédure et que ses enquêtes doivent être menées dans la mesure du possible sans formalisme et avec célérité (paragraphe 70(2) de la LEFP), il n’empêche que la Commission dispose à ce chapitre des pouvoirs d’un commissaire nommé au titre de la partie II [articles 6 à 10] de la Loi sur les enquêtes, L.R.C. (1985), ch. I‑11 (paragraphe 70(2) de la LEFP).

[104]   Or, les pouvoirs quasi judiciaires que possède un commissaire en vertu de la Loi sur les enquêtes sont très vastes. On peut parler de pouvoirs de nature inquisitoire. Ainsi, une personne qui est assignée à titre de témoin, ne peut refuser de comparaître ou de répondre aux questions que lui adresse le commissaire, et s’il refuse de se présenter ou de répondre, la personne peut être condamnée pour outrage au tribunal et être poursuivie au criminel.

[105]   Comme on peut le constater, l’exercice des pouvoirs de contrainte d’un commissaire par l’enquêteur de la Commission facilite grandement la collection de la preuve, notamment celle recueillie auprès d’une personne soupçonnée de fraude, qui pourra s’incriminer lorsqu’elle témoigne devant l’enquêteur. D’un autre côté, peu importe la procédure choisie par la Commission (ou son enquêteur), il est nécessaire que les moyens d’enquête mis en œuvre en pareil cas respectent les attentes légitimes de la personne en termes d’intégrité, de justice, de respect et de transparence.

[106]   À ce chapitre, dans l’énoncé de mission publié sur le site Web de la Commission, il est clairement indiqué que «[p]our servir le Parlement et les Canadiens, [la Commission est guidée] par les valeurs suivantes, auxquelles [elle adhère] avec fierté»:

Intégrité dans nos actes;

Justice dans nos décisions;

Respect dans nos relations;

Transparence dans nos communications. [En caractère gras dans l’original.]

[107]   Les enquêtes que mène la Commission en matière de fraude ne sont pas publiques. La preuve recueillie durant l’enquête demeure confidentielle à moins que l’enquêteur ne décide d’en communiquer la teneur à une partie intéressée ou un témoin qui a été convoqué à une entrevue. Il existe donc un quid pro quo à l’exercice du pouvoir absolu de l’enquêteur de contraindre une personne soupçonnée de fraude à témoigner contre son gré, c’est que l’enquêteur respecte les règles du « fair play » à son endroit. Il ne s’agit pas de jouer au chat et à la souris avec les témoins : au-delà des inférences négatives que l’enquêteur peut tirer à l’endroit du témoignage d’une personne, il y a la question de l’incrimination. La personne assignée est elle un simple témoin ou le sujet principal de l’enquête?

[108]   Tout témoin qu’elle soit, la personne convoquée à une entrevue doit pouvoir connaître les soupçons pesant contre elle, voire obtenir communication des documents pertinents à l’enquête. Un témoin doit pouvoir, le cas échéant, invoquer la protection que lui confère l’article 5 [mod. par L.C. 1997, ch. 18, art. 116) de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5, même si cela ne semble plus vraiment nécessaire depuis qu’existe l’article 13 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] (Charte). Voir à ce sujet R. c. Henry, 2005 CSC 76, [2005] 3 R.C.S. 609.

            Distinction avec la Commission canadienne des droits de la personne

[109]   L’objet des articles 66 à 73 de la LEFP est bien différent du régime de plaintes et d’enquête établi en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (LCDP). De plus, les attentes légitimes d’une personne qu’on soupçonne de fraude lors d’une enquête conduite sous l’autorité de l’article 69 de la LEFP sont beaucoup plus importantes que dans une affaire de discrimination.

[110]   La décision de la Commission en vertu de l’article 69 de la LEFP porte à conséquence. Lorsqu’elle rend une ordonnance à la suite d’une enquête, la Commission doit avoir plus que des « motifs raisonnables » de croire qu’une fraude a été commise par l’individu visé. Elle doit être « convaincue » de sa culpabilité. Ainsi, la Cour a décidé dans la décision Challal, aux paragraphes 26 à 31, qu’en droit, c’est la norme de preuve civile de la prépondérance des probabilités qui doit s’appliquer lorsque l’enquêteur de la Commission est appelé à déterminer si une fraude a été commise par un candidat (F.H. c. McDougall, 2008 CSC 53, [2008] 3 R.C.S. 41, aux paragraphes 26 et 40).

[111]   La Cour Suprême du Canada dans l’arrêt Syndicat des employés de production du Québec et de l’Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879, a bien circonscrit le rôle de filtre qu’exerce la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) en vertu des dispositions de la LCDP. En effet, cette dernière ne tranche pas des droits, mais décide seulement s’il y a lieu que la plainte de discrimination soit référée au Tribunal canadien des droits de la personne.

[112]   Le juge Sopinka, parlant au nom de la majorité, explique aux pages 898 et 899 :

L’enquêteur qui mène l’enquête le fait en tant que prolongement de la Commission. Pour ma part, je ne considère pas l’enquêteur comme une personne indépendante de la Commission qui présente des preuves en témoignant devant elle. Ce qui arrive plutôt c’est que l’enquêteur établit un rapport à l’intention de la Commission. C’est là simplement une illustration du principe qui s’applique aux tribunaux administratifs, savoir qu’ils ne sont pas tenus de s’acquitter eux-mêmes de la totalité de leurs tâches, mais peuvent en déléguer une partie à d’autres. Bien que l’art. 36 n’exige pas la remise d’une copie du rapport aux parties, cela a été fait en l’espèce.

Le paragraphe 36(3) prévoit deux possibilités sur réception du rapport. La Commission peut adopter le rapport si elle est « convaincue » que la plainte est fondée ou bien rejeter la plainte si elle « est convaincue [...] que la plainte n’est pas fondée ». Je présume que, dans l’hypothèse de l’adoption du rapport, un tribunal est alors constitué en vertu de l’art. 39, à moins qu’intervienne un règlement de la plainte. J’arrive à cette conclusion parce qu’aucun autre redressement n’est prévu pour le plaignant à la suite de l’adoption du rapport. Cet aspect de la procédure devant la Commission a été élucidé par des modifications apportées à la Loi (S.C. 1985, chap. 26, art. 69). La version actuelle du par. 36(3) se trouve au par. 44(3) des L.R.C. (1985), chap. H-6 (modifié par chap. 31 (1er supp.), art. 64) qui dispose que, sur réception du rapport de l’enquêteur, la Commission peut demander la constitution d’un tribunal si elle est convaincue que, compte tenu des circonstances, l’examen de la plainte est justifié.

L’autre possibilité est le rejet de la plainte. À mon avis, telle est l’intention sous-jacente à l’al. 36(3)b) pour les cas où la preuve ne suffit pas pour justifier la constitution d’un tribunal en application de l’art. 39. Le but n’est pas d’en faire une décision aux fins de laquelle la preuve est soupesée de la même manière que dans des procédures judiciaires; la Commission doit plutôt déterminer si la preuve fournit une justification raisonnable pour passer à l’étape suivante. L’intention n’était pas non plus de tenir une audience en règle avant de décider de l’opportunité de constituer un tribunal. Au contraire, le processus va du stade de l’enquête au stade judiciaire ou quasi judiciaire dès lors qu’est rempli le critère énoncé à l’al. 36(3)a). Je conclus donc de ce qui précède que, compte tenu de la nature du rôle de la Commission et suivant les dispositions susmentionnées, il n’y a aucune intention d’astreindre la Commission à l’observation des règles formelles de la justice naturelle. Conformément aux principes posés dans l’arrêt Nicholson, précité, cependant, je compléterais les dispositions législatives en exigeant que la Commission observe les règles de l’équité procédurale.

[113]   Aussi, les jugements rendus par la Cour dans les affaires Greaves c. Air Transat, 2009 CF 9, et Murray c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), 2002 CFPI 699, qu’invoque le défendeur, sont inapplicables en l’espèce. Il faut également souligner que dans les affaires de discrimination où une enquête est menée par la CCDP, le défendeur sera normalement une personne morale ou une institution fédérale. Or, contrairement aux individus faisant l’objet d’une enquête en vertu de l’article 69 de la LEFP, les employeurs accusés de discrimination ont à leur disposition de nombreuses ressources financières et humaines pour contester les allégations de discrimination dont se plaint la victime. D’ailleurs, lorsque la CCDP décide de renvoyer une plainte au Tribunal canadien des droits de la personne (TCDP), l’employeur aura l’occasion de faire entendre des témoins et de réfuter les allégations de la CCDP si celle-ci choisit d’être une partie devant le TCDP.

            Répercussions très importantes sur les individus

[114]   La décision contestée et le rapport d’enquête contesté affectent directement et de façon négative les fonctionnaires visées, et ce, de diverses manières.

[115]   Tout d’abord, au niveau de leur emploi actuel, telle une épée de Damoclès, la transmission par la Commission du rapport d’enquête contesté aux employeurs est une invitation pour qu’ils prennent tôt ou tard des mesures disciplinaires contre les fonctionnaires visées sur la base de l’analyse et des conclusions contenues dans le rapport d’enquête contesté.

[116]   Au passage, l’un des problèmes fondamentaux dans ce dossier, c’est que le rapport d’enquête contesté, c’est-à-dire l’« Investigation Report » daté du 10 juin 2010, contenant l’analyse et les conclusions de l’enquêteur, n’a jamais été soumis préalablement à la demanderesse pour commentaires avant sa présentation à la Commission pour approbation finale. Nous reviendrons sur ce vice fatal plus loin.

[117]   Deuxièmement, les perspectives de transfert ou de promotion des fonctionnaires visées au sein de la fonction publique sont sévèrement limitées par la condition de demander la permission écrite de la Commission pour participer à un concours.

[118]   Troisièmement, non seulement le rapport d’enquête contesté est transmis à la GRC aux fins d’une poursuite criminelle éventuelle, mais également « toute information pertinente » recueillie par la Commission. Aussi bien dire que tout le dossier d’enquête, est visé, ce qui inclut ici le témoignage des fonctionnaires visées — la Commission n’ayant donné aucune indication contraire dans sa décision. L’article 133 de la LEFP se lit comme suit :

133. Quiconque commet une fraude dans le cadre d’une procédure de nomination est coupable d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.

Fraude

[119]   La transmission de « toute information pertinente » à la GRC apparaît également comme un paradoxe dans ce dossier, puisque dans les faits, au moment où la décision contestée a été rendue, les documents et les témoignages recueillis par l’enquêteur n’avaient jamais été communiqués préalablement aux fonctionnaires visées. Il aura fallu que la demanderesse dépose la présente demande de contrôle judiciaire et exige leur production au greffe de la Cour en vertu des règles 317 et 318 [des Règles] pour que la demanderesse et son avocat aient accès auxdits documents et témoignages.

[120]   De plus, il faut sérieusement s’interroger sur la légalité de la transmission des témoignages incriminants des fonctionnaires visées, pour fins de poursuite criminelle. En effet, l’article 13 de la Charte est clair : « Chacun a droit à ce qu’aucun témoignage incriminant qu’il donne ne soit utilisé pour l’incriminer dans d’autres procédures, sauf lors des poursuites pour parjure ou pour témoignage contradictoires. »

[121]   Quatrièmement, dans la lettre de transmission en date du 10 août 2010 de la décision finale de la Commission sur les mesures correctives, la directrice des enquêtes indique à la demanderesse :

[TRADUCTION] Le but de la présente lettre est de vous informer de la décision finale prise par la Commission de la fonction publique du Canada (CFP) sur les mesures correctives, à la suite de son enquête sur le processus de nomination numéro 2006-SVC-IA-HQ-95563.

[...]

Comme nous l’avons précédemment indiqué, la CFP peut décider de publier un résumé de l’enquête, qui peut inclure des noms et des renseignements personnels. Conformément à l’article 19 du Règlement sur l’emploi dans la fonction publique, la CFP a le pouvoir discrétionnaire de communiquer des renseignements personnels obtenus dans le cadre d’une enquête. Le Règlement exige que la CFP examine si des raisons d’intérêt public l’emportent sur la protection de la vie privée. Si la CFP devait envisager d’exercer son pouvoir discrétionnaire en matière de communication de renseignements personnels, vous serez consultée et aurez l’occasion de fournir vos commentaires.

[122]   D’une part, la jurisprudence canadienne reconnaît traditionnellement le rôle central du travail en ce qui a trait à la dignité de la personne : Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313, à la page 368; Evans c. Teamsters Local Union No. 31, 2008 CSC 20, [2008] 1 R.C.S. 661; Terre-Neuve (Conseil du Trésor) c. N.A.P.E., 2004 CSC 66, [2004] 2 R.C.S. 381; Nouvelle-Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Martin; Nouvelle-Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Laseur, 2003 CSC 54, [2003] 2 R.C.S. 504, au paragraphe 104.

[123]   D’autre part, on peut dire que la réputation des fonctionnaires visées risque d’être irrémédiablement atteinte par la diffusion publique de la décision contestée et du rapport d’enquête contesté (ne serait-ce sous la forme d’un résumé). En effet, faut-il le rappeler, les résumés des rapports d’enquête de la Commission peuvent être publiés sur son site Web. « Une bonne réputation est un second patrimoine » (Publilius Syrus, Sentences [Paris: Les Belles lettres, 2011]); pourtant, en quelques secondes seulement, le Web peut détruire la réputation d’une vie d’un seul clic.

[124]   Or, le principal actif, sinon le seul, d’un fonctionnaire, c’est son intégrité. La fraude constitue l’accusation suprême pouvant entraîner la peine capitale : la perte de confiance de l’employeur et du public dans l’intégrité personnelle du fonctionnaire. Dans le cas où la Commission décide de dévoiler le nom d’une personne visée (section des résumés divulgués), sa participation personnelle à la fraude commise est publiquement exposée, ce qui bien entendu, aura un impact considérable sur sa réputation et ses chances d’emploi futur.

[125]   Il est vrai que, techniquement parlant, les fonctionnaires visées par l’ordonnance contestée ont le droit d’être présumées innocentes. Il n’empêche, dans l’esprit du public ou d’un employeur — pour qui les subtilités d’ordre juridique sont souvent incompréhensibles — les fonctionnaires visées sont « coupables de fraude », même si leur culpabilité n’a pas été établie hors de tout doute devant une cour criminelle. D’ailleurs, dans certains résumés publics, on peut lire que la Commission « a déclaré coupable de fraude » telle ou telle personne nommément désignée : Mme Marin-Vuletic — Rapport d’enquête 2010-CSD-00088.10365/2010-CSD-00089.10367; Mme Vuletic — Rapport d’enquête 2010-CSD-00088.10366/2010-CSD-00089.10368 et Mme Lavoie — Rapport d’enquête 2008-IPC-00333.6908.

            Conclusion sur l’application des critères de l’arrêt Baker

[126]   Pour tous les motifs mentionnés plus haut, je suis d’avis que l’exercice par la Commission du pouvoir prévu à l’article 69 de la LEFP justifie une « protection procédurale accrue ». La gravité même des motifs invoqués à l’article 69 de la LEFP, soit la fraude, et les conséquences sur les individus sont encore plus sévères que celles ayant été notées par la Cour dans l’affaire Belzile.

[127]   Ayant pondéré chacun des facteurs énumérés à l’arrêt Baker, j’en viens à la conclusion que la procédure mise en place par la Commission, plus particulièrement au niveau de la phase d’enquête — qui est cruciale — ne respecte pas les attentes légitimes des personnes soupçonnées de fraude et est gravement déficiente. Dans le cas de la demanderesse, les preuves de non-respect des principes d’équité procédurale sont accablantes, et c’est à se demander, comment le défendeur, au nom de la Commission, peut se permettre de défendre devant la Cour l’indéfendable, et ce, même au nom de l’intérêt public.

            Preuves au dossier

[128]   La seule preuve assermentée touchant la conduite de l’enquête se trouve à être l’affidavit circonstancié de la demanderesse en date du 17 octobre 2010, et qu’il faut lire à la lumière des documents qui sont reproduits dans les deux volumes du dossier certifié produit par la Commission le 6 octobre 2010, suite à la demande formulée en vertu des règles 317 et 318.

[129]   Sur la question de la violation de l’équité procédurale, je trouve la demanderesse entièrement crédible. En particulier, j’accepte notamment les allégations aux paragraphes 10 à 15, 20 et 21 de son affidavit et qui ne sont pas contredites par la preuve documentaire au dossier.

[130]   En l’espèce, je n’ai aucune raison de croire que la demanderesse ne dit pas la vérité devant cette Cour. J’accepte aussi que de l’information personnelle ou pertinente pouvant l’incriminer a été recueillie par l’enquêteur auprès du MAÉCI, hors sa connaissance, et sans qu’elle ait été informée des soupçons pesant contre elle. J’accepte également que c’est seulement au moment où elle a pris connaissance du rapport final transmis le 10 juin 2010 (le rapport d’enquête contesté) que la demanderesse a véritablement su que l’enquête, apparemment conduite du 16 août 2009 au 27 avril 2010, avait également pour objet de déterminer si elle avait personnellement commis une fraude.

[131]   J’accepte également que la demanderesse a offert lors de l’entrevue une version des faits à l’enquêteur, selon laquelle elle pouvait à l’époque « superviser » le travail de la candidate, et ce, même si elle n’était pas sa « superviseure » en titre. Pourtant, l’enquêteur n’a pas eu de contact avec les « gestionnaires » de la demanderesse, ce qui lui aurait permis de recueillir des informations essentielles sur ses tâches et qui étaient de nature à corroborer les informations qu’elle avait fournies dans le cadre de l’enquête.

[132]   J’accepte également que la preuve de fraude — contredite par le témoignage de la demanderesse — retenue par l’enquêteur, repose sur ce qu’aurait pu dire la demanderesse à Mme Cousineau, et plus particulièrement sur ce qu’elle a consigné dans ses notes manuscrites (une preuve par ouï-dire dont la fiabilité n’a jamais été vraiment établie). Pourtant, l’enquêteur n’a jamais communiqué avant l’entrevue les documents pertinents et le témoignage de Mme Cousineau (sinon un résumé de celui-ci).

[133]   Le défendeur veut aujourd’hui faire accepter par la Cour le fait très contesté selon la preuve, que, soi-disant, « la Commission n’a jamais changé de mandat ». Même si cela est vrai, il y a eu de très graves accrocs à l’équité procédurale. Dans les faits, la Commission a totalement manqué de transparence et les actes posés par l’enquêteur, tout en étant source d’une grave injustice à l’endroit de la demanderesse, portent gravement atteinte à l’intégrité de l’enquête menée dans cette affaire.

            Avis d’enquête ne visant pas spécifiquement la demanderesse

[134]   Le 5 juin 2009, Mme Marième Seck (candidate), est formellement avisée qu’une enquête aura lieu pour déterminer si elle a commis une fraude. L’avis d’enquête, signé par Mme Suzanne Charbonneau, Directrice à la direction des enquêtes de la Commission (directrice), précise que l’enquête portera sur les allégations suivantes :

Il y a des motifs de croire que des documents frauduleux auraient été soumis dans le cadre de ces deux processus de nomination. Plus particulièrement, il semblerait que les références écrites fournies à votre sujet par Rose M’Kounga ont en fait été rédigées en tout ou en partie par votre mère, Gisèle Seck ou par vous-même. Vous trouverez en pièce jointe copie de l’information reçue.

[135]   La Commission a également transmis copie de l’avis d’enquête à TPSGC (employeur intéressé), qui a été traité comme une partie intéressée tout au long de l’enquête visant le processus de nomination interne 2006-SVC-IA-HQ-95563, qui visait à combler un poste d’analyste de niveau ES-5. Dans les faits, l’employeur intéressé a été notamment invité par l’enquêteur à réviser et commenter le rapport factuel modifié du 29 avril 2010, ainsi que les mesures correctives proposées le 28 juin 2010 par l’enquêteur, suite à la transmission de son rapport d’enquête final en date du 10 juin 2010 (rapport d’enquête contesté).

[136]   Comme nous le verrons plus loin, la demanderesse n’aura pas droit à un tel avis et elle sera traitée de façon différente, alors que l’enquêteur de la Commission décidera de modifier les règles de jeu à la toute fin du processus d’enquête, et ce, au détriment de son obligation d’agir de façon équitable et des espérances légitimes de la demanderesse, ce qui justifie l’intervention de la Cour (El-Helou c. Service administratif des tribunaux judiciaires, 2012 CF 1111).

            Espérances légitimes de la personne soupçonnée de fraude

[137]   Dès le 5 juin 2009, la candidate est également avisée par l’avis d’enquête de son droit d’être représentée tout au long de l’enquête par une personne de son choix, alors qu’il incombera à la personne chargée de l’enquête d’établir quelle approche semble plus appropriée pour mener l’enquête. La demanderesse n’a pas eu le même traitement et a été tenue à l’écart du processus d’enquête.

[138]   Dans les faits, l’enquête de la Commission a été menée sous forme d’« entrevues individuelles » par Mme Marie La Terreur, Gestionnaire, soutien aux enquêtes (l’enquêteur). On parle d’entrevues, mais il faut plutôt parler d’interrogatoires formels où la personne convoquée est assermentée et ne peut pas refuser de répondre aux questions de l’enquêteur. Dès le début, l’enquêteur confirme qu’elle préparera des rapports distincts pour chaque processus de nomination : 1) un rapport factuel faisant état des faits saillants révélés lors des entrevues; et 2) un rapport final contenant les conclusions et les recommandations de l’enquêteur.

[139]   Rien ne laissait donc présager que l’enquête pouvait porter également sur la demanderesse comme le laisse entendre le rapport d’enquête contesté. Dans les faits, l’enquêteur a recueilli le 6 août et le 2 septembre 2009 les témoignages respectifs du gestionnaire responsable du processus de nomination, Franckel Meus, et de Mme Cousineau, qui était chargée de vérifier certaines des références soumises dans le cadre du processus de nomination. Puis, l’enquêteur a confronté la candidate et Mme M’Kounga, qui ont été interrogées les 7 octobre et 1er décembre 2009. À ces deux occasions, la candidate et Mme M’Kounga étaient accompagnées d’un représentant qui a notamment soulevé l’incompétence de la Commission. Tous les individus ont été interrogés sous serment.

            Rapport factuel du 20 janvier 2010

[140]   Le 20 janvier 2010, tel qu’annoncé par l’enquêteur, le « rapport factuel » qui résume les faits pertinents à l’enquête ressortant des entrevues est transmis à la candidate, à Mme M’Kounga, à M. Meus et à Mme Cousineau. Au passage, il n’est pas nécessaire de déterminer, comme l’allègue la candidate dans les autres demandes de contrôle judiciaire, si l’enquêteur aurait dû rejoindre et recueillir autrement la version de sa mère qui avait apparemment quitté le Canada en août 2009 pour vivre en Afrique.

[141]   Sous le titre « Purpose of the Investigation », l’enquêteur précise :

[TRADUCTION] Le but de cette enquête, menée en application de l’article 69 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (LEFP), était de déterminer si une fraude a été commise au cours du processus de nomination interne 2006-SVC-IA-HQ-95563, tenu par le ministère des Travaux publics et Services gouvernementaux Canada en vue de pourvoir un poste d’analyste de groupe et de niveau ES–5. En particulier, il est allégué que les références fournies par Rose M’Kounga concernant Mme Marième Seck, candidate dans le processus de nomination, auraient été écrites par la mère de la candidate, Gisèle Seck.

[142]   D’autre part, sous le titre « Purpose of the Factual Report », l’enquêteur précise :

[traduction] Ce rapport factuel est communiqué aux personnes touchées par l’enquête afin qu’elles puissent présenter leurs observations ou toute information supplémentaire qu’elles jugent pertinente.

[143]   À l’audience devant la Cour, l’avocate du défendeur a fait valoir qu’on pouvait inférer de certains passages du rapport factuel du 20 janvier 2010 que la demanderesse était également soupçonnée de fraude et que l’enquête n’était pas complétée. Je ne suis pas de cet avis. D’une part, l’enquêteur ne transmet pas son rapport factuel à la demanderesse. D’autre part, à la lecture des lettres du 20 janvier 2010, on voit bien que l’enquête est complétée et que l’enquêteur s’apprête à passer à la deuxième phase annoncée (analyse et conclusions).

[144]   En effet, dans les lettres du 20 janvier 2010, on invite la candidate, Mme M’Kounga, et Mme Cousineau et M. Meus du côté de l’employeur à transmettre leurs commentaires avant le 5 février 2010. Mme Cousineau et M. Meus ne répondent pas à l’invitation. De leur côté, la candidate et Mme M’Kounga, par l’entremise de leur représentant, apportent certaines précisions de fait touchant le questionnaire complété en novembre 2007 par Mme M’Kounga, sans préjudice à l’absence de compétence de la Commission. Les précisions apportées n’ont absolument rien à voir avec la demanderesse.

            Preuve de mauvaise foi

[145]   Coup de théâtre, le 10 mars 2010, une convocation à se présenter à une entrevue le 23 mars 2010 devant l’enquêteur est adressée par courriel à la demanderesse. Dans cette missive laconique de Mme Linda Constant, Agent de Gestion de cas à la Direction des enquêtes de la Commission (agent), il est seulement indiqué que « [l]es détails suivront ».

[146]   Seul l’enquêteur aurait pu expliquer ce revirement subit de position; la question n’est jamais vraiment abordée dans l’un ou l’autre de ses rapports. Toutefois, il est clair selon la preuve au dossier que l’enquêteur de la Commission avait un « agenda caché » — si l’on peut se permettre d’emprunter ce calque tiré de la langue anglaise. En effet, l’enquêteur s’est bien gardé de révéler en temps utile à la demanderesse ses intentions et les preuves qu’il avait déjà recueillies. Non seulement l’enquêteur a-t-il manqué de transparence, mais la suite des choses permet de conclure qu’il a agi de mauvaise foi.

[147]   La demanderesse explique dans son affidavit qu’elle a bien tenté d’obtenir des détails pertinents au sujet de sa convocation devant l’enquêteur, mais peine perdue, toutes ses démarches se sont soldées par un échec. Dans un autre courriel laconique, celui-là du 29 mars 2010, l’agent de la Commission lui offre pour toute réponse :

[traduction] La présente se rapporte à l’enquête en cours mettant en cause Aida Marième Seck. Je ne suis pas autorisé à vous donner les détails; cependant, vous êtes priée de vous présenter à une entrevue. Veuillez confirmer votre disponibilité ainsi que la langue dans laquelle vous souhaitez être interviewée. Si vous décidez d’être représentée, veuillez nous faire connaître le nom et le titre de votre représentant.

Nous vous remercions vivement de votre coopération à ce sujet.

[148]   Deux jours plus tard, le 31 mars 2010, l’agent transmet une convocation officielle à la demanderesse. Celle-ci devra se présenter sans faute devant l’enquêteur le 27 avril 2010. L’avis de convocation ne dit toujours pas pourquoi au juste la demanderesse est convoquée, sinon qu’une enquête est conduite en vertu de l’article 69 de la LEFP.

            Lacunes de l’avis de convocation à l’entrevue

[149]   À l’audition devant cette Cour, l’avocate du défendeur a soutenu avec force que l’avis de convocation officiel était suffisant en l’espèce parce qu’on y retrouve les mentions suivantes :

[traduction] À la fin de l’enquête, l’enquêteur en arrivera à une conclusion sur la question. L’enquêteur peut tirer des conclusions négatives ou défavorables concernant toute personne impliquée dans le processus ou l’affaire faisant l’objet de l’enquête.

Vous pouvez être représentée ou accompagnée par une personne de votre choix. Cette personne peut être notamment un représentant syndical, un ami ou un avocat. Si vous décidez d’être représentée ou accompagnée par quelqu’un, veuillez vous assurer que cette personne est disponible à l’heure et à la date mentionnées ci-dessus et nous informer dès que possible du nom et du titre de cette personne.

Les procédures seront enregistrées et les témoignages seront rendus sous affirmation solennelle ou sous serment. Si vous souhaitez témoigner sous serment, vous êtes tenue d’apporter un livre saint ou un objet de votre choix (comme une Bible, le Coran, etc.). Sinon, une affirmation solennelle sera administrée.

Si vous avez l’intention de présenter des documents ou de vous y référer, veuillez apporter deux copies supplémentaires de ces documents avec vous.

[150]   L’avis de convocation du 31 mars 2010 est nettement insuffisant. Faut-il le répéter, celui-ci ne mentionne d’aucune manière que la Commission soupçonne alors la demanderesse de fraude. D’autre part, les mentions générales invoquées par le défendeur sont celles que l’on retrouve dans tous les avis de convocation à une entrevue de la Commission, que la personne convoquée soit ou non soupçonnée de fraude. D’ailleurs, une convocation semblable avait été adressée à la candidate pour son entrevue du 1er décembre 2009, alors que l’enquêteur avait également lu une mise en garde à peu près identique au texte de l’avis du 31 mars 2010 avant que ne débute les interrogatoires de Mme Cousineau, Mme M’Kounga et la candidate, les 2 septembre, 7 octobre et 1er décembre 2009.

            Défaut de communiquer des éléments de preuve essentiels avant l’entrevue de la demanderesse

[151]   De façon subsidiaire, le défendeur soutient que l’insuffisance de l’avis du 31 mars 2010 n’a causé aucun préjudice à la demanderesse. En effet, on affirme que cette dernière a eu tout le loisir de présenter sa propre version des faits durant l’entrevue avec l’enquêteur le 27 avril 2010, sinon après que l’enquêteur lui ait transmis pour commentaires copie de son Rapport factuel révisé en date du 29 avril 2010. En consultant ce dernier document et les explications divergentes, le défendeur plaide que la nature de l’enquête aurait dû être évidente, vu que Mme Cousineau avait elle-même indiqué que la demanderesse était la superviseure de Mme Seck. Encore une fois, il s’agit d’une argumentation tronquée qui ne tient pas compte de la réalité et qui ne tient malheureusement pas la route.

[152]   Il faut d’emblée écarter toute suggestion du défendeur que la procédure mise en place par l’enquêteur était conforme aux attentes légitimes d’une personne qu’on soupçonne alors de fraude. La preuve au dossier révèle que l’enquêteur a minutieusement préparé chacune des entrevues qui ont été conduites dans le dossier. En effet, Mme La Terreur avait un plan de match bien arrêté lorsqu’elle a interrogé la demanderesse le 27 avril 2010. Non seulement l’enquêteur ne voulait pas dévoiler à l’avance ses soupçons, mais elle gardait dans son jeu deux cartes maîtresses qu’elle avait bien l’intention d’utiliser à l’entrevue et par la suite contre la demanderesse.

[153]   Rappelons que Mme Cousineau était chargée de vérifier en 2007 certaines des références soumises dans le cadre du processus de nomination visé par l’enquête de la Commission. Ayant réussi l’examen écrit, Mme Seck a été invitée à passer une entrevue et à fournir des références, ce qui a été fait par l’envoi d’un courriel le 23 octobre 2007.

[154]   Or, ce courriel — qui dès le début de l’enquête a été communiqué à l’enquêteur, est d’une importance capitale, car c’est sur son contenu que, dans son rapport final du 10 juin 2010, l’enquêteur se fonde pour conclure que la demanderesse a commis une fraude. D’une part, le courriel de la candidate mentionne les noms de la demanderesse et de Mme M’Kounga à titre de « superviseures ». D’autre part, le nom de la demanderesse apparaît en copie avec celui de Mme M’Kounga.

[155]   L’autre carte maîtresse que l’enquêteur détenait dans son jeu avant l’entrevue du 27 avril 2010, était le témoignage de Mme Cousineau elle-même, qui s’appuie sur les notes d’une conversation téléphonique qu’elle aurait prises en octobre 2007 au moment où elle a contacté la demanderesse. Aux dires de Mme Cousineau, la demanderesse lui aurait dit qu’elle avait supervisé le travail de Mme Seck pendant deux ans. Or, la demanderesse n’avait jamais été la « superviseure » en titre de la candidate selon les informations que l’enquêteur aurait par ailleurs obtenues au préalable du MAÉCI.

[156]   Encore une fois, l’enquêteur a totalement manqué de transparence. Bien que certaines questions de l’enquêteur aient porté sur la candidate — par exemple, si la demanderesse était au courant que la candidate avait porté des accusations contre son ancien directeur, M. Giroux, ce qui peut sembler déplacé — l’objet véritable et jusqu’alors dissimulé de l’entrevue du 27 avril 2010 était d’incriminer la demanderesse. C’est seulement à ce moment-là que l’enquêteur remet à la demanderesse, pour la confronter, le courriel du 23 octobre 2007 et les notes de Mme Cousineau.

[157]   À mon avis, les règles d’équité procédurale exigeaient, au minimum, que l’enquêteur communique avant l’entrevue du 27 avril 2010, les éléments de preuve documentaire susceptibles d’être utilisés à l’entrevue, en l’occurrence le courriel du 23 octobre 2007, les notes manuscrites de Mme Cousineau, et à défaut de transmettre un résumé ou le contenu intégral du témoignage antérieur de Mme Cousineau, le rapport factuel du 20 janvier 2010 — dans la mesure où celui-ci contient des informations pertinentes au sujet desquelles l’enquêteur avait l’intention d’interroger la demanderesse.

            Rapport factuel révisé du 29 avril 2010

[158]   Le 29 avril 2010, soit deux jours seulement après l’interrogatoire de la demanderesse, l’enquêteur transmet pour commentaires à la candidate, à Mme Cousineau, aux représentants de TPSGC et enfin à la demanderesse un « rapport factuel révisé »; tous leurs commentaires doivent être faits par écrit avant le 7 mai 2010. Encore une fois, la teneur de cette lettre laisse entendre que l’enquête est terminée et que l’enquêteur va bientôt passer à la phase « analyse et conclusions ».

[159]   Il est important de noter que l’objet de l’enquête indiqué au rapport factuel révisé du 29 avril 2010 n’a pas changé :

[traduction] Le but de cette enquête, menée en application de l’article 69 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (LEFP), était de déterminer si une fraude a été commise au cours du processus de nomination interne 2006-SVC-IA-HQ-95563, tenu par le ministère des Travaux publics et Services gouvernementaux Canada en vue de pourvoir un poste d’analyste de groupe et de niveau ES–5. En particulier, il est allégué que les références fournies par Rose M’Kounga concernant Mme Marième Seck, candidate dans le processus de nomination, auraient été écrites par la mère de la candidate, Gisèle Seck.

[160]   Comme on peut le constater, il n’est pas question directement, du moins, d’une fraude commise par la demanderesse dont le témoignage ne peut être plus clair : ce n’est pas à titre de « superviseure » en titre de la candidate qu’elle a fourni des références, mais parce qu’elle a pu « superviser » et évaluer la qualité de son travail durant la période où la candidate et la demanderesse ont travaillé ensemble au MAÉCI. D’ailleurs, la demanderesse a invité Mme Cousineau à parler directement au superviseur de la candidate si elle désirait plus d’informations.

[161]   Dans les circonstances, la demanderesse peut légitimement s’attendre que ce sera la fin de l’affaire; son témoignage sous serment étant concluant — celui-ci n’étant pas directement contredit par les autres témoignages qui sont rapportés dans le rapport factuel révisé.

[162]   Mais voilà, Mme Cousineau n’est pas d’accord avec la version donnée par la demanderesse, et dans un courriel en date du 17 mai 2010 — donc 10 jours après la date de tombée des commentaires — elle complète son témoignage antérieur par une série d’affirmations de fait qui viennent apporter un nouvel éclairage :

Je m’excuse de ne pas avoir répondu par la date demandée mais tel que mentionné, ceci est la période la plus occupée de l’année de notre secteur (le Centre des Présentations au Conseil du Trésor de TPSGC).

[traduction] J’ai lu le rapport factuel révisé qui m’a été fourni accompagné d’une lettre datée du 29 avril 2010 dans laquelle on me demande de fournir de commentaires. Je n’ai pas d’autres commentaires sur les déclarations de Mme M’Kounga sur le processus de référence pour Marième Seck au cours du processus de dotation ES-5 tenu en 2007.

J’ai lu les renseignements supplémentaires fournis ci-dessous par Mme Samatar ainsi que les déclarations de Mme Samatar dans le rapport factuel révisé. Je suis en désaccord avec les commentaires formulés par Mme Samatar (commentaire n° 30 du rapport factuel révisé) selon lesquels elle ne savait pas que Mme Seck avait fourni son nom comme référence pour le processus de dotation ES-05. La première question que j’ai posée aux références lors du processus de vérification était, en fait, si elles avaient supervisé directement la candidate. J’ai ensuite confirmé l’endroit où elles travaillaient à l’heure actuelle et je leur ai demandé durant quelle période elles avaient supervisé la candidate et dans quel organisme. Le but de mon appel a été clairement indiqué à Mme Samatar; je lui ai expliqué que je poserais des questions standards de vérification des références et que j’aurais besoin de temps pour écrire ses réponses pour me conformer à la procédure établie (comme indiqué dans mes notes manuscrites dans le questionnaire de vérification des références).

Je suis incapable de confirmer ou d’infirmer la déclaration de Mme Samatar sur le fait que je lui ai envoyé une copie électronique du questionnaire de vérification des références. Comme vous le savez, j’ai quitté TPSGC juste avant que le bassin de candidats pour ce processus de dotation soit créé, et je suis revenue dans ce secteur il y a un peu plus d’un an. En conséquence, mon compte de messagerie de TPSGC a été fermé et la plupart de mes messages ont été perdus. Toutefois, selon mes notes manuscrites qui figurent dans le questionnaire de vérification des références, étant donné que Mme Samatar et moi avons procédé à cette vérification des références par téléphone et examiné chaque question du questionnaire, le but de mon appel était clair.

J’espère que cette information est utile et encore une fois, je vous prie d’accepter mes excuses pour le retard de ma réponse.

N’hésitez pas à communiquer avec moi si vous avez d’autres questions.

[163]   Il est déjà très surprenant que l’enquêteur ait accepté de considérer hors délai les soi-disant commentaires de Mme Cousineau — qui aura finalement eu le dernier mot dans cette affaire, alors que ce n’est pas elle qui est soupçonnée de fraude. Il est encore plus surprenant que l’enquêteur, sans communiquer au préalable l’ensemble du témoignage de Mme Cousineau à la demanderesse, veuille ensuite, dans son rapport final du 10 juin 2010, accorder un poids supérieur à des informations nouvelles de la nature d’une preuve additionnelle. Ce type de comportement peut donner l’impression que l’enquêteur a « deux poids, deux mesures », et on peut se demander s’il existe une crainte raisonnable de partialité, du moins en apparence, et c’est ce qui compte dans ce type de dossier.

[164]   Compte tenu de ce qui avait été annoncé au départ par l’enquêteur, la demanderesse pouvait légitimement s’attendre qu’en cours de route, l’enquêteur ne changerait pas les règles du jeu. Depuis le début, l’enquêteur recueillait la preuve, autre que purement documentaire, par le biais d’entrevues où les personnes interrogées étaient dûment assermentées. Au minimum, à défaut de communiquer cette nouvelle preuve à la demanderesse, l’enquêteur aurait dû, une nouvelle fois, transmettre un rapport factuel révisé incorporant les informations nouvelles fournies par Mme Cousineau le 17 mai 2010.

            Préjudice causé à la demanderesse

[165]   L’enquête de la Commission n’est pas complète. Par exemple, la description réelle des tâches de la demanderesse au MAÉCI (incluant toute fonction de supervision) ne pouvait pas être établie par Mme Cousineau, M. Meus ou l’employeur (TPSGC). C’est pourtant un aspect essentiel.

[166]   Retenons ce qu’écrit la demanderesse au paragraphe 20 de son affidavit du 7 octobre 2010 :

Tout au long de son processus d’enquête, l’enquêtrice, Madame Marie La Terreur n’a pas eu de contact avec mes « managers » pour obtenir de l’information qualitative sur mes relations de travail avec les clients. Un tel contact aurait permis à l’enquêtrice de collecter des informations additionnelles et de contacter d’autres personnes qui auraient soit corroborer les informations en sa disposition soit, au mieux, auraient fourni des informations qui auraient eu un impact significatif sur la description des faits qu’a faite l’enquêtrice et donc sur les conclusions auxquelles l’enquêtrice est parvenue sur moi.

[167]   Toute suggestion du défendeur à l’effet que la façon de procéder de l’enquêteur n’a pas causé de préjudice à la demanderesse est formellement démentie par la preuve au dossier, et il est clair que des aspects très importants de l’enquête semblent avoir été bâclés. Cela est manifeste dans la hâte de l’enquêteur d’en finir avec la demanderesse qui a été interrogée seulement deux jours avant le rapport factuel révisé du 29 avril 2010.

            Aucune communication d’un projet contenant l’analyse et les conclusions de l’enquêteur

[168]   De manière habile, le défendeur insiste au paragraphe 43 de son mémoire sur le fait que « [l]’enquêteur a donné la chance à la demanderesse de faire des commentaires sur le Rapport factuel révisé », ce qu’elle a fait le 7 mai 2010, alors que « [l]’enquêteur a donné la chance à la demanderesse le 28 juin 2010 de faire des soumissions à l’encontre des mesures correctives proposées ».

[169]   Du même coup, le défendeur passe sous silence un élément déterminant : l’approbation finale par la Commission, le ou vers le 10 juin 2010, du rapport d’enquête contesté, et ce, en l’absence de toute possibilité pour la demanderesse de commenter l’analyse et les conclusions finales de l’enquêteur au niveau de la fraude qui lui est reprochée en l’espèce.

[170]   Ainsi, dans sa lettre du 10 juin 2010, à laquelle est joint le rapport d’enquête contesté, l’enquêteur avise la demanderesse :

[traduction] La présente est pour vous informer que la Direction des enquêtes de la Commission de la fonction publique (CFP) a terminé son enquête sur le processus de nomination interne n° 2006-SVC-IA-HQ-95563, qui avait pour but de pourvoir un poste d’analyste de groupe et de niveau ES-5 au ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux. L’enquête a été menée en vertu de l’article 69 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (LEFP).

À cet effet, vous trouverez ci-joint le rapport final d’enquête, qui expose les faits, l’analyse et la conclusion de l’enquête. Ce rapport est classé « Protégé B » et ne devrait être communiqué, selon le principe de connaissance sélective, qu’aux personnes autorisées.

Selon la conclusion de l’enquête, la présente affaire est fondée. Il s’agit de la décision finale de la CFP.

Comme nous l’avons précédemment indiqué, la CFP peut décider de publier un résumé de l’enquête, qui peut inclure des noms et des renseignements personnels. Conformément à l’article 19 du Règlement sur l’emploi dans la fonction publique, la CFP a le pouvoir discrétionnaire de communiquer des renseignements personnels obtenus dans le cadre d’une enquête. Le Règlement exige que la CFP examine si des raisons d’intérêt public l’emportent sur la protection de la vie privée. Si la CFP devait envisager d’exercer son pouvoir discrétionnaire en matière de communication de renseignements personnels, vous serez consultée et aurez l’occasion de fournir vos commentaires.

Comme il a été conclu dans le cadre de l’enquête que la présente affaire était fondée, la CFP déterminera maintenant les mesures correctives qu’elle estime appropriées dans les circonstances. Vous serez informée sous peu des mesures correctives proposées pour vos commentaires. [Non souligné dans l’original.]

[171]   Une note interne au dossier confirme que la Commission a décidé d’entériner le rapport d’enquête contesté et qu’il ne reste plus qu’à obtenir son approbation quant aux mesures correctives proposées par l’enquêteur et approuvées par la directrice des enquêtes. Le rapport d’enquête contesté en date du 10 juin 2010 est « final »; ce n’est pas une simple reproduction du rapport factuel révisé du 29 avril 2010, agrémenté de quelques additions au niveau factuel ayant pu être suggérées par la demanderesse, l’employeur intéressé et les autres personnes à qui il était adressé.

[172]   Le rapport d’enquête contesté constitue à la fois le réquisitoire de l’enquêteur et la décision finale de la Commission concernant les fraudes commises par les fonctionnaires visées; il ne reste plus à la présidente de la Commission qu’à l’entériner. Encore une fois, les différences entre le rapport d’enquête contesté et le rapport factuel révisé sont majeures. On peut voir — c’est une première — que l’objet de l’enquête a été modifié pour inclure de nouvelles allégations dont la fraude reprochée à la demanderesse et dont la culpabilité est maintenant établie. De plus, de nouvelles sections ont été ajoutées pour rendre compte de l’analyse de la preuve et du droit applicable en l’espèce.

[173]   En fait, la demanderesse n’a eu aucun mot à dire au niveau de la deuxième phase (analyse et conclusions) qu’avait annoncée l’enquêteur au début de son enquête durant l’été 2009. Faut-il le répéter, le rapport d’enquête contesté est final et sera transmis — comme on le sait maintenant — aux employeurs des fonctionnaires visées et à la GRC. Il pourra même être diffusé sous forme de résumé sur le Web. Alors, comment peut-on imaginer un seul instant que les personnes directement affectées par son contenu, puissent ne pas recevoir et commenter un projet dudit rapport d’enquête final, avant qu’il ne soit soumis pour approbation à la Commission?

[174]   Poser la question, c’est y répondre du même coup.

            Trop peu, trop tard

[175]   En fait, on peut parler d’une troisième phase dans ce dossier, soit celle des mesures correctives. Au niveau de la conclusion de fraude, tout a été dit, tout a été consommé, et malgré toutes les belles parades du procureur de la demanderesse, la Commission demeurera inflexible; la décision contestée, qui contient les mesures correctives, suivra rapidement, c’est-à-dire le 9 août 2010.

[176]   Le 28 juin 2010, la demanderesse est invitée à faire des représentations écrites au sujet des mesures correctives proposées par l’enquêteur, et qui sont les mêmes pour les trois fonctionnaires visées par le rapport d’enquête contesté, mais avec le travail de sape de l’enquêteur, c’est à mon avis trop peu, trop tard dans les circonstances.

[177]   De fait, le 23 juillet 2010, l’ancien procureur de la demanderesse, dont les services viennent d’être retenus, se plaint d’une façon éloquente du déni des principes d’équité procédurale à l’endroit de la demanderesse au cours de l’enquête. De plus, il fait valoir que les mesures correctives proposées ne tiennent pas compte de la situation particulière et de la gravité de la faute de la demanderesse qui continue d’affirmer son innocence, alors que les mesures proposées sont trop vagues et trop sévères. La demanderesse réitère encore une fois qu’elle ne s’est jamais présentée comme l’ancienne superviseure de la candidate et qu’elle ne savait pas que cette dernière l’avait désignée comme superviseure.

[178]   On pourrait croire que les graves allégations au sujet du non-respect de l’équité procédurale faites par l’ancien procureur de la demanderesse auraient été de nature à soulever un sérieux questionnement, mais non, il n’en est rien si l’on se fie au contenu de la note de service adressée le 9 août 2010 par la direction des enquêtes à la Commission :

[traduction] Les commentaires ont été fournis au nom de Mme Anissa Samatar par son avocat, Chris Rootham. Au cours de l’enquête, Mme Samatar avait été informée qu’elle pouvait être représentée par un avocat, mais avait choisi de ne pas le faire à ce moment-là. M. Rootham affirme que les règles d’équité procédurale ont été violées au cours de l’enquête. En particulier, il a affirmé que Mme Samatar n’a pas été informée qu’elle faisait l’objet d’une enquête, et qu’elle n’avait pas non plus été informée avant son entrevue des éléments de preuve dont disposait déjà l’enquêteur. Sur le premier point, Mme Samatar a été informée, à la fois par écrit avant son entrevue et verbalement lors de l’entretien, du processus de nomination qui faisait l’objet d’une enquête en vertu de l’article 69 de la LEFP, et de la possibilité que des conclusions défavorables puissent être tirées à l’égard de toute personne impliquée dans le processus de nomination ou dans l’affaire faisant l’objet de l’enquête. Sur la deuxième question, après son entrevue, Mme Samatar a été saisie d’un rapport factuel contenant les faits recueillis à partir du dossier et auprès de toutes les personnes interrogées. Elle a eu l’occasion de commenter le rapport factuel, ce qu’elle a fait.

[179]   La violation à l’obligation d’équité procédurale est flagrante dans le cas de la demanderesse. Il est très malheureux qu’une enquête plus poussée sur les allégations de la demanderesse n’ait pas été demandée en août 2010 par la présidente de la Commission. D’ailleurs, à l’audition devant cette Cour, l’avocate du défendeur, au nom de la Commission, a continué à défendre avec force et conviction la position intenable que l’enquête a été menée conformément aux règles de justice naturelle et qu’il n’y a eu aucune injustice à l’égard de la demanderesse. Les arguments spécieux présentés par le défendeur n’ont aucun mérite et sont à la limite du « frivole et vexatoire », s’ils ne sont pas carrément déplacés et abusifs dans les circonstances.

VII. EXERCICE DE LA DISCRÉTION JUDICIAIRE

[180]   Vu les motifs fournis plus haut, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie. À ce chapitre, le paragraphe 18.1(3) de la LCF confère une large discrétion à la Cour dans le choix de la réparation appropriée. Il en est de même au niveau de l’adjudication des dépens; le pouvoir plénier et discrétionnaire que la Cour possède en cette matière fait appel à la considération des facteurs énumérés au paragraphe (3) de la règle 400 [mod. par DORS/ 2010-176, art. 11 des Règles], ainsi que toute autre question qu’elle juge pertinente.

[181]   C’est dans l’exercice de cette discrétion judiciaire que la Cour est la plus apte à engager un véritable dialogue avec les parties; malgré les apparences, ce n’est pas un monologue, ni un soliloque, excusez-moi le pléonasme. Pour le juge, seul dans sa chambre, après le « dire-vrai », vient le difficile arbitrage entre les torts et la raison; il faut trouver les mots les plus justes, surtout lorsque, comme aujourd’hui, le juge s’adresse au perdant. J’espère pouvoir faire œuvre utile et convaincre les deux parties que ce n’est pas la raison du plus « fort » qui doit l’emporter, mais celle du plus « fin », au sens figuré du terme, il va sans dire, dans les deux cas.

[182]   Je commencerai donc par la question de la réparation, mais j’aurais pu tout autant débuter par celle des dépens; peu importe le cheminement, le résultat de ma réflexion, de cette décision volontaire après délibération, est le même, en voici le fiat. Tout en tenant compte des faits de l’affaire, il s’agit de « réparer », et ce, dans le sens le plus noble du terme; je dis « réparer » et ne pas « excuser » ce qui est inexcusable.

[183]   Tout d’abord, mon seul souhait, c’est apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible. Je reconnais moi-même que la question de compétence ou de raisonnabilité — peu importe son qualificatif — en est une qui est difficile et qui mérite une attention particulière des tribunaux supérieurs. Aussi, malgré les forts doutes que je peux entretenir sur la compétence de la Commission et la raisonnabilité de la décision contestée, pour éviter à la demanderesse, autant faire que se peut, d’avoir à justifier devant une cour d’appel la justesse en droit de l’opinion que je peux avoir à ce sujet, j’ai décidé qu’il était dans le meilleur intérêt de la justice de ne pas trancher de façon finale ces questions.

[184]   Il n’y aura donc aucune déclaration dans mon jugement sur la compétence de la Commission ou la raisonnabilité de la décision contestée. De même, la portée de toute déclaration d’illégalité et de nullité dans le jugement qui suit, est au bénéfice exclusif de la demanderesse, et se rapporte exclusivement à la conclusion de fraude et aux « mesures correctives » que l’on retrouve dans la décision contestée et dans le rapport d’enquête contesté, en autant que la demanderesse est visée par la décision contestée et le rapport d’enquête contesté.

[185]   Je le répète encore une fois, selon la preuve au dossier, la violation par la Commission des règles d’équité procédurale est flagrante et suffit en elle-même pour casser la décision contestée, qui entérine le rapport d’enquête contesté. Normalement, lorsque c’est le seul vice, la Cour peut renvoyer l’affaire à l’office fédéral, et ce, conformément aux instructions qu’elle estime appropriées dans les circonstances. Dans tous les cas, il s’agit d’un pouvoir de nature discrétionnaire, et à cause du comportement d’une partie, ou encore du caractère académique que pourrait avoir un renvoi à l’office fédéral, la Cour peut choisir de simplement casser la décision contestée.

[186]   C’est le cas en l’espèce. À mon avis, la gravité de l’injustice commise à l’endroit de la demanderesse, l’intransigeance jusqu’ici manifestée par la Commission, les craintes qu’on peut avoir sur la partialité ou le parti pris de la Direction des enquêtes, l’opiniâtreté et la férocité avec lesquelles certaines positions ont été avancées par le défendeur (au nom ou pas de la Commission), le fait que l’on ait attendu jusqu’au mois de mars 2010 pour faire enquête sur des allégations qui remontent en 2007, l’absence de garanties que la Commission va mettre en place de nouveaux processus d’enquête et d’adjudication pour tenir compte des attentes légitimes des personnes soupçonnées de fraude, font en sorte qu’il n’est pas dans le meilleur intérêt de la justice que le dossier de la demanderesse retourne à la Commission.

[187]   J’en arrive aux dépens. Heureusement, il y a au moins un point sur lequel les deux parties sont d’accord : il est souhaitable que la Cour adjuge au gagnant une somme globale au lieu des dépens taxés. C’est bien entendu la demanderesse. Elle a obtenu, au final, un score parfait.

[188]   Pour sa part, la demanderesse réclame sur une base avocat-client des dépens de 14 134,25 $ pour la demande de contrôle judiciaire, auxquels s’ajoutent les honoraires et déboursés de l’ordre de 1 261,58 $ que la demanderesse a payé à son ancien procureur à l’occasion des représentations ayant été effectuées devant la Commission à l’été 2010 avant le dépôt de la présente demande de contrôle judiciaire.

[189]   De son côté, le défendeur concède que si la demanderesse obtient gain de cause, elle a droit à des dépens, lesquels devraient être taxés en conformité avec la colonne III du tableau du tarif B [des Règles]. C’est le minimum auquel la partie gagnante a normalement droit. La demanderesse ne devrait pas avoir un écu de plus. Le défendeur se dit donc prêt à payer une somme de 2 484,25 $, ce qui inclut les déboursés. Le défendeur note également que la demanderesse n’a pas acquitté le montant de 650 $ qui lui a été attribué à la suite du rejet de la requête en production de documents de la demanderesse.

[190]   Dans l’exercice de ma discrétion, compte tenu des circonstances particulières de ce dossier — et je dirais, exceptionnelles — je suis d’avis que la demanderesse a droit à une indemnité de dépens accrue, qui dépasse les dépens partie-partie habituellement accordés en l’absence d’ordonnance contraire de la Cour; c’est-à-dire ceux taxés en conformité avec la colonne III du tableau du tarif B des Règles. Au-delà de l’importance et de la complexité des questions en litige, ainsi que des autres critères usuels, dans cette instance, le préjudice irréparable déjà subi par la demanderesse, la conduite de la partie adverse — qui a eu pour effet de prolonger inutilement la durée de l’instance, l’intérêt public, la meilleure administration de la justice et la préservation de la confiance dans le système judiciaire, sont des critères déterminants de l’exercice de ma discrétion au chapitre des dépens.

[191]   On parle ici d’une simple fonctionnaire qui a dû dépenser des milliers de dollars pour faire valoir ses droits et obtenir l’annulation de la décision contestée dont l’illégalité est criante. La Cour n’a pas le pouvoir d’annuler rétroactivement la décision contestée qui est illégale et dont les effets négatifs — pensons seulement à l’obligation depuis août 2010 d’obtenir la permission écrite de la Commission avant de participer à un concours — perdurent jusqu’à ce jour.

[192]   Je n’imagine même pas les conséquences sur la réputation de la demanderesse et tous les tracas reliés à la communication de la décision contestée et du rapport d’enquête contesté à son employeur, sans parler de la communication également à la GRC de « toute information pertinente », et je n’oublie pas tout le stress que cela a pu causer à la demanderesse pendant plus de deux ans même s’il n’y a pas encore eu de diffusion publique sur le Web.

[193]   Décidément, rien n’aura été facile dans cette cause qui a été farouchement défendue, au nom de la Commission, par le défendeur. Même si la « victoire » de la demanderesse apparaît totale aujourd’hui, cela pourrait bien être une « victoire à la Pyrrhus », alors qu’un préjudice irréparable lui a déjà été causé par la Commission. L’intérêt public exige qu’on en tienne compte. Autrement le message de la Cour risque de ne pas passer et la confiance qu’on peut avoir dans l’administration de la justice et dans le système judiciaire pourra en souffrir de manière irrémédiable.

[194]   Nombre de personnes dans la même situation que la demanderesse — j’espère que ce n’est pas le cas — n’auront peut-être pas à l’avenir le courage, les ressources et la ténacité de la demanderesse pour dénoncer, au risque de perdre leur carrière et tout ce qu’ils possèdent, ce qui m’apparaît être, du moins dans le cas sous étude, un processus d’enquête totalitaire et qui n’a pas sa raison d’être dans une société libre et démocratique. Il me semble qu’un fonctionnaire accusé de fraude a le droit de savoir que des soupçons pèsent contre lui et qu’il a le droit de se défendre avant que ne tombe le verdict final de la Commission.

[195]   Je ne juge pas la Commission, ni son personnel, d’autres se chargeront de le faire à ma place et de poser le moment venu les questions qui s’imposent. Toutefois, il ne faut pas qu’un processus d’enquête — aussi louable soit-il au départ — invite les personnes en pouvoir à entreprendre sous le couvert de la légalité une sorte de « chasse aux sorcières » : aller au-delà des dénonciations reçues, chercher et débusquer par des moyens peut-être discutables (interception de courriels privés) tous ceux et celles qu’on soupçonne de fraude, au risque de faire des « dommages collatéraux ». Je le répète, dans un contexte où l’on parle d’assurer la confiance du public dans nos institutions, la fin ne peut justifier les moyens déloyaux qui ont été utilisés par l’enquêteur dans ce dossier. Il ne faut surtout pas qu’une machine institutionnelle aveugle s’emballe et se mette à faire des « victimes innocentes » au nom de quelque impératif d’ordre administratif ou opérationnel.

[196]   Je ne dis pas non plus que la demanderesse est « innocente » des actions qui lui sont reprochées par la Commission — d’autres auront à en juger peut-être un jour, qui sait? Toutefois, aujourd’hui, vu la preuve devant moi, et limitant mes commentaires au cas particulier de la demanderesse, je dis « non » : non à l’inconséquence, non à la dissimulation et non aux iniquités que l’on retrouve tout au long de l’enquête dans ce dossier. Nous vivons dans un système démocratique où règne la rule of law, que tous et toutes doivent respecter, incluant les institutions publiques et la Commission qui a un mandat aussi important.

[197]   Je suis indigné et consterné par l’intransigeance de la Commission à ne pas vouloir réparer les graves erreurs commises durant le processus d’enquête à l’endroit de la demanderesse, et je suis choqué par le refus obstiné du défendeur de ne pas simplement consentir à jugement. Il est manifeste que cette demande de contrôle judiciaire n’aurait pas dû procéder au mérite et qu’un règlement satisfaisant pour la demanderesse aurait dû intervenir dans l’intervalle, et ce, depuis fort longtemps déjà. À cela s’ajoutent les prises de position extrêmes du défendeur (au nom ou pas de la Commission) au sujet des questions de justice naturelle et d’équité procédurale.

[198]   Je n’adresse aucun reproche individuel aux avocats du ministère de la Justice qui ont agi en toute bonne foi dans le présent dossier. Ces derniers ont une tâche difficile et importante à accomplir, et parfois, ils ont à traiter avec des « clients » difficiles. En particulier, je désire souligner la conduite impeccable de l’avocate du défendeur qui a plaidé devant moi. À tous égards, celle-ci a accompli avec professionnalisme et courtoisie une tâche difficile dans les circonstances. Bref, elle a agi comme un véritable officier de justice. Donc, les reproches que j’adresse aujourd’hui visent exclusivement « l’institution », c’est-à-dire le « client », qui donne les « instructions » à ses procureurs.

[199]   Il va de soi que la demanderesse ne peut réclamer les honoraires et déboursés qui ont été payés à son ancien procureur puisque ceux-ci n’ont pas été encourus à l’occasion de la présente demande de contrôle judiciaire. D’un autre côté, il faut déduire les honoraires et déboursés relatifs à la préparation et à la présentation de la requête en production de document qui a été rejetée par la protonotaire Tabib. Aussi, je suis d’avis qu’un montant forfaitaire de 12 000 $ à titre de dépens est raisonnable en l’espèce, et compte tenu des observations que j’ai déjà formulées plus haut, ceux-ci devront être payés sans délai à la demanderesse, déduction faite du montant de 650 $ payable au défendeur, si ce dernier montant n’a pas encore été acquitté par la demanderesse.

[200]   En terminant, je tiens à remercier les procureurs qui ont comparu devant moi, tout en souhaitant que cette pénible affaire pour les parties en cause, incluant la Commission, se termine avec le présent jugement, qui deviendra final et exécutoire à l’expiration des délais d’appel. Enfin, pour que les déficiences ou lacunes d’ordre systémique — dans les processus d’enquête et d’adjudication — exposées plus haut ne soient pas la source de nouvelles injustices, j’invite la Commission à faire preuve de magnanimité et à entreprendre sans délai une réflexion qui devrait l’amener à réviser ses pratiques dans les cas où elle doit déterminer si une fraude a été commise dans un processus de nomination. Merci donc de l’attention qui sera apportée aux présents motifs.

JUGEMENT

LA COUR STATUE, DÉCLARE ET ORDONNE :

1. La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie avec dépens en faveur de la demanderesse;

2. La Commission a manqué à son obligation d’agir de façon équitable à l’endroit de la demanderesse;

3. La décision contestée de la Commission est cassée, en autant que la demanderesse est visée par la conclusion de fraude et les mesures correctives y contenues;

4. Les conclusions et les mesures correctives visant personnellement la demanderesse que l’on retrouve dans la décision contestée et dans le rapport d’enquête contesté, sont illégales et de nul effet à l’égard de la demanderesse, et ce, à toutes fins que de droit;

5. La demanderesse a droit à un montant forfaitaire de 12 000 $ à titre de dépens; ceux-ci devront être payés sans délai à la demanderesse, déduction faite du montant de 650 $ payable au défendeur, si ce dernier montant n’a pas encore été acquitté par la demanderesse; et

6. Le présent jugement deviendra final et exécutoire à l’expiration des délais d’appel.

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