T-671-12
2012 CF 1463
Brent William van Buskirk (demandeur)
c.
Canada (Solliciteur général) (défendeur)
Répertorié : van Buskirk c. Canada (Solliciteur général)
Cour fédérale, juge Shore—Vancouver, 27 novembre; Ottawa, 11 décembre 2012.
Libération conditionnelle — Contrôle judiciaire du calcul des dates d’admissibilité à la libération conditionnelle du demandeur par le chef de la gestion des peines (CGP) à l’établissement pénitentiaire — Le demandeur voulait que l’on recalcule ses dates d’admissibilité de manière à exclure le volet « mise en liberté sous condition au sein de la collectivité » de sa peine spécifique — Le demandeur était mineur lorsqu’il a commis un meurtre, mais adulte lorsqu’il a commis d’autres crimes — Il purge une peine d’emprisonnement totale de 17 ans et 2 mois — Il a été condamné, en application de l’art. 42(2)q)(i) de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents (la LSJPA), à une peine d’emprisonnement imposée en vertu de la LSJPA et à une mise en liberté sous condition au sein de la collectivité (peine sans placement sous garde imposée en vertu de la LSJPA) — Plus tard, le demandeur a été condamné à des peines pour adulte concurrentes en vertu de l’art. 465(1)a) du Code criminel — Les peines imposées au demandeur étaient considérées comme une seule peine en vertu de l’art. 139 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (LSCMLSC) — Le 13 juin et le 23 octobre 2012, la LSCMLSC a été modifiée en vue d’inclure les peines spécifiques sans placement sous garde visées à l’art. 42(2)q)(i) dans le calcul des dates d’admissibilité d’un individu à la libération conditionnelle, ainsi que des dates de libération d’office et d’expiration du mandat — Le CGP a conclu que les peines imposées au demandeur avaient été fusionnées en vertu de l’article 139 de la LSCMLSC; par conséquent, il a inclus la peine sans placement sous garde d’une durée de 48 mois du demandeur lorsqu’il a calculé ses dates d’admissibilité — Il s’agissait de savoir si les récentes modifications apportées à la LSCMLSC s’appliquaient au demandeur de façon à inclure sa peine sans placement sous garde imposée en vertu de la LSJPA dans la détermination de ses dates d’admissibilité à la libération conditionnelle — Une simple lecture de l’art. 743.5(3)a) du Code criminel laissait entendre que la peine sans placement sous garde en vertu de la LSJPA du demandeur était à inclure dans le calcul de son admissibilité à la libération conditionnelle sous le régime de la LSCMLSC — La décision de la Cour d’appel fédérale dans J.P. c. Canada (Procureur général) dans laquelle un jeune a été condamné en vertu de la LSCMLSC a fait l’objet de discussions, mais elle se distinguait de la présente cause — La demande de contrôle judiciaire du demandeur au sujet du calcul de son admissibilité à la libération conditionnelle en vertu des art. 119(1)c) et 120.1 de la LSCMLSC a été rejetée sur le fondement de l’art. 743.5(3)a) du Code criminel selon lequel la peine sans placement sous garde imposée en vertu de la LSJPA au demandeur a été considérée comme une seule peine d’emprisonnement pour l’application des dispositions en matière de fusion de peines qui figurent à l’art. 139 de la LSCMLSC — Demande rejetée.
Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire du calcul des dates d’admissibilité à la libération conditionnelle du demandeur par le chef de la gestion des peines (CGP) d’un établissement pénitentiaire en Colombie‑Britannique. Le demandeur a fait valoir que le CGP a commis une erreur de droit en incluant le volet « mise en liberté sous condition au sein de la collectivité » de sa peine spécifique dans le calcul des dates de son admissibilité à la semi-liberté, à la libération conditionnelle totale et à la libération d’office sous le régime de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (LSCMLSC); il voulait que l’on recalcule ses dates d’admissibilité de manière à exclure le volet « mise en liberté sous condition au sein de la collectivité » de sa peine spécifique.
Le demandeur était un délinquant primaire qui purgeait une peine d’emprisonnement totale de 17 ans et 2 mois. Il était mineur lorsqu’il a commis un assassinat, mais il était âgé de 18 ans lorsqu’il a été impliqué dans d’autres complots pour assassiner certaines personnes. Le demandeur a plaidé coupable à une accusation de meurtre au premier degré et a été condamné, en application du sous-alinéa 42(2)q)(i) de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents (la LSJPA) à une peine de six années d’emprisonnement (la peine d’emprisonnement imposée en vertu de la LSJPA) et de quatre années de mise en liberté sous condition au sein de la collectivité (la peine sans placement sous garde imposée en vertu de la LSJPA). Une période a été soustraite pour le temps déjà purgé. Plus tard, le demandeur a été condamné à des peines concurrentes de huit et de six ans pour complot en vue de commettre un meurtre (moins un crédit pour détention présentencielle) en application de l’alinéa 465(1)a) du Code criminel (le Code), lesquelles peines devaient être purgées à la suite d’une autre peine pour laquelle il avait été condamné et des peines imposées en vertu de la LSJPA. Le Service correctionnel du Canada (le SCC) a informé le demandeur de ses dates d’admissibilité, ce qui incluait sa peine sans placement sous garde imposée en vertu de la LSJPA. À sa demande, on lui a plus tard confirmé que toutes ses peines étaient considérées comme une seule peine au sens de l’article 139 de la LSCMLSC.
Le 13 juin 2012 et le 23 octobre 2012, la LSCMLSC a été modifiée en vue d’inclure les peines spécifiques sans placement sous garde visées au sous-alinéa 42(2)q)(i) de la LSJPA dans le calcul des dates d’admissibilité d’un individu à la libération conditionnelle totale et à la semi-liberté, ainsi que des dates de libération d’office et d’expiration du mandat.
Le CGP a conclu que les peines imposées au demandeur avaient été fusionnées en vertu de l’article 139 de la LSCMLSC, et, ce faisant, il a inclus la peine sans placement sous garde imposée en vertu de la LSJPA d’une durée de 48 mois. Il a par la suite calculé les dates d’admissibilité du demandeur en fonction d’une peine totale d’une durée de 17 ans et 2 mois. Le demandeur a soutenu qu’il ne fallait pas inclure la peine sans placement sous garde imposée en vertu de la LSJPA dans le calcul des dates de son admissibilité à la libération conditionnelle, car cette dernière ne peut pas se rapporter à des peines sans placement sous garde, tandis que le défendeur a fait valoir qu’aucune erreur n’avait été commise dans le calcul des dates d’admissibilité à la libération conditionnelle et que la peine d’emprisonnement imposée en vertu de la LSJPA au demandeur doit être incluse dans la détermination de son admissibilité à la libération conditionnelle à cause de modifications récemment apportées à la LSCMLSC.
Il s’agissait de savoir si les récentes modifications apportées à la LSCMLSC s’appliquaient au demandeur de façon à inclure sa peine sans placement sous garde imposée en vertu de la LSJPA dans la détermination de ses dates d’admissibilité.
Jugement : la demande doit être rejetée.
Le demandeur a fait valoir que conformément à la décision J.P. c. Canada (Procureur général), une peine sans placement sous garde imposée en vertu de la LSJPA ne tombe pas sous le coup du mot « peine » défini dans la LSCMLSC en vue du calcul des dates d’admissibilité à la libération conditionnelle. Toutefois, selon une simple lecture de l’alinéa 743.5(3)a) du Code, cette peine est à inclure dans le calcul de son admissibilité à la libération conditionnelle sous le régime de la LSCMLSC. La distinction critique qu’il y avait entre la présente demande et celle tranchée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt J.P. était que le paragraphe 743.5(1) et l’alinéa 743.5(3)a) du Code s’appliquaient au demandeur en l’espèce, mais pas à celui dont il était question dans l’affaire J.P.Dans cette dernière, le demandeur avait été déclaré coupable et condamné en tant qu’adolescent en vertu de la LSJPA et ne s’était pas vu imposer une peine consécutive en tant qu’adulte en vertu du Code. La Cour d’appel fédérale a conclu que la définition du mot « peine » qui figure à l’article 2 de la LSCMLSC ne pouvait englober une peine spécifique sans placement sous garde. Le demandeur en l’espèce était assujetti aux dispositions de conversion que prévoit l’article 743.5 du Code parce qu’il a été condamné à une peine d’emprisonnement pour une infraction tout en étant sous le coup d’une peine spécifique imposée en vertu de l’alinéa 42(2)q) de la LSJPA. L’effet du paragraphe 743.5(1) du Code est que la peine spécifique imposée au demandeur en vertu de l’alinéa 42(2)q) de la LSJPA devait être purgée comme s’il s’agissait d’une peine imposée en vertu du Code. L’alinéa 743.5(3)a) du Code, lui, avait pour effet que le raisonnement qui sous-tend la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt J.P. ne pouvait s’appliquer à la décision dont il était question en l’espèce. Du fait de l’alinéa 743.5(3)a), la peine sans placement sous garde imposée en vertu de la LSJPA au demandeur a été considérée comme une seule peine d’emprisonnement pour l’application des dispositions en matière de fusion de peines qui figurent à l’article 139 de la LSCMLSC. Aux termes de l’article 139, la peine sans placement sous garde imposée en vertu de la LSJPA au demandeur a été fusionnée à ses autres peines en vue d’en faire une seule pour le calcul des dates de son admissibilité à la libération conditionnelle aux termes des articles 119 et 120.1 de la LSCMLSC.
Même si l’alinéa 743.5(3)a) était déterminant dans le cas de la présente demande, il pouvait être utile de vérifier si les modifications à la LSCMLSC auraient eu une application immédiate ou rétroactive si le demandeur n’était pas assujetti à l’article 743.5 du Code. Une simple lecture du paragraphe 119(1) et de l’article 120.1 de la version non modifiée de la LSCMLSC donne à penser que la version modifiée de cette loi aurait eu pour effet de changer l’effet juridique passé de l’admissibilité continue du demandeur à la libération conditionnelle totale et à la semi-liberté si l’article 745.3 du Code ne s’était pas appliqué, en retardant la date à laquelle il est devenu admissible à demander la libération conditionnelle totale et à la semi-liberté. Étant donné que le demandeur (n’eût été de l’article 743.5 du Code) aurait déjà été admissible à présenter une demande à l’époque où les modifications à la LSCMLSC sont entrées en vigueur, l’application de ces modifications à ses circonstances aurait eu pour effet de changer l’effet juridique passé de cette situation. Par conséquent, l’application des modifications dans de telles circonstances aurait donné lieu à une application rétroactive inadmissible de la loi.
Conformément au paragraphe 743.5(3) du Code et à l’article 139 de la LSCMLSC, la peine sans placement sous garde imposée en vertu de la LSJPA au demandeur devait aussi être incluse dans le calcul de la date de sa libération d’office. L’article 743.5 du Code et l’article 139 de la LSCMLSC ont fusionné la peine sans placement sous garde imposée en vertu de la LSJPA au demandeur à ses autres peines en vue d’obtenir une seule peine d’emprisonnement pour le calcul de la date de sa libération d’office aux termes de l’article 127 de la LSCMLSC.
Même si entendre la présente demande n’a pas eu pour effet de résoudre une controverse qui aurait pu avoir une incidence sur les droits des parties (le demandeur est devenu admissible à la libération conditionnelle totale et à la semi-liberté), le facteur de l’économie des ressources judiciaires militait fortement en faveur de l’audition de la présente demande. Les questions de savoir si l’alinéa 743.5(3)a) s’appliquait déjà de manière à inclure une peine sans placement sous garde imposée en vertu de la LSJPA dans le calcul des dates d’admissibilité à la libération conditionnelle et si les modifications apportées à la LSCMLSC ont eu un effet immédiat ou rétroactif sur le calcul de la semi-liberté et de la libération conditionnelle totale d’individus avaient de très fortes chances de se poser dans d’autres demandes.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-34, art. 465(1)a), 743.5.
Loi sur la sécurité des rues et des communautés, L.C. 2012, ch. 1, art. 75, 76, 196, 197.
Loi sur la sécurité des rues et des communautés : Décret fixant au 13 juin 2012 la date d’entrée en vigueur des articles 52 à 107 et 147 de la loi, TR/2012-40.
Loi sur la sécurité des rues et des communautés : Décret fixant diverses dates d’entrée en vigueur de certains articles de la loi, TR/2012-48.
Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20, art. 2(1) « peine » ou « peine d’emprisonnement », 99, 119, 119.2, 120, 120.1, 120.2, 120.3, 127, 139.
Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, L.C. 2002, ch. 1, art. 42(2)q), 89(1),(3).
Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.1.
JURISPRUDENCE CITÉE
décisions appliquées :
J.P. c. Canada (Procureur général), 2009 CF 402, [2010] 3 R.C.F. 3, conf. par 2010 CAF 90, [2011] 4 R.C.F. 29 (quant à la question de la norme de contrôle); Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Gustavson Drilling (1964) Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1977] 1 R.C.S. 271.
décision différenciée :
J.P. c. Canada (Procureur général), 2009 CF 402, [2010] 3 R.C.F. 3, conf. par 2010 CAF 90, [2011] 4 R.C.F. 29.
décisions examinées :
R. c. M. (C.A.), [1996] 1 R.C.S. 500; R. c. Proulx, 2000 CSC 5, [2000] 1 R.C.S. 61; R. v. K. (C.), 2008 ONCJ 236 (CanLII), 233 C.C.C. (3d) 194; R. v. Van Buskirk, 2007 BCSC 1925; R. v. C.(A.), 2008 ONCJ 613 (CanLII); Procureur général du Québec c. Tribunal de l'expropriation et autres, [1986] 1 R.C.S. 732.
DOCTRINE CITÉE
Baudouin, L. Les aspects généraux du droit public dans la province de Québec. Paris : Dalloz, 1965.
Côté, Pierre-André. Interprétation des lois. Cowansville, Qc : Yvon Blais, 1982.
Sullivan, Ruth. Sullivan on the Construction of Statutes, 5e éd. Markham, Ont. : LexisNexis, 2008.
DEMANDE de contrôle judiciaire du calcul des dates d’admissibilité à la libération conditionnelle du demandeur par le chef de la gestion des peines d’un établissement pénitentiaire en Colombie-Britannique. Demande rejetée.
ONT COMPARU
Patrick M. Fullerton pour le demandeur.
Mark E. W. East pour le défendeur.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Smart, Harris & Martland, Vancouver, pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par
Le juge Shore :
I. Introduction
[1] Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la façon dont le chef de la gestion des peines (CGP) de l’Établissement Kent, situé à Agassiz (Colombie-Britannique), a calculé les dates de son admissibilité à la libération conditionnelle. Selon lui, le CGP a commis une erreur de droit en incluant le volet « mise en liberté sous condition au sein de la collectivité » de sa peine spécifique dans le calcul des dates de son admissibilité à la semi-liberté, à la libération conditionnelle totale et à la libération d’office (les dates d’admissibilité) sous le régime de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 (la LSCMLSC). Le demandeur voudrait que la Cour ordonne que l’on recalcule ses dates d’admissibilité de manière à exclure le volet « mise en liberté sous condition au sein de la collectivité » de sa peine spécifique.
II. La procédure judiciaire
[2] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7, relativement à la décision du CGP datée du 29 février 2012.
III. Le contexte
[3] Le demandeur, M. Brent William van Buskirk, est né en 1986; ce délinquant primaire purge une peine d’emprisonnement totale de 17 ans et 2 mois.
[4] Le 29 août 2004, le demandeur (quelques semaines avant son 18e anniversaire) a assassiné une personne dans le cadre d’un meurtre commandé et rétribué.
[5] En décembre 2004, le demandeur (alors âgé de 18 ans) a planifié avec un cocomploteur l’assassinat d’une personne. Le complot ne s’est pas concrétisé.
[6] En janvier 2005, le demandeur a été impliqué dans un autre complot d’assassinat. Ce dernier n’a pas dépassé le stade de la planification.
[7] Le 21 décembre 2006, le demandeur s’est vu infliger une peine d’emprisonnement de 24 mois pour l’infraction d’outrage au tribunal en common law (la peine d’outrage au tribunal) parce qu’il avait refusé de prêter serment et de témoigner dans le cadre du procès de son cocomploteur.
[8] Le 30 novembre 2007, le demandeur a plaidé coupable à une accusation de meurtre au premier degré et a été condamné, en application du sous-alinéa 42(2)q)(i) de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, L.C. 2002, ch. 1 (la LSJPA) à une peine de six années d’emprisonnement (la peine d’emprisonnement imposée en vertu de la LSJPA) et de quatre années de mise en liberté sous condition au sein de la collectivité (la peine sans placement sous garde imposée en vertu de la LSJPA). Une période d’un an et deux mois a été soustraite de la peine d’emprisonnement imposée en vertu de la LSJPA pour le temps déjà purgé.
[9] Le 10 décembre 2007, le demandeur a été condamné à des peines concurrentes de huit et de six ans pour deux chefs de complot en vue de commettre un meurtre (les peines de complot applicables aux adultes) en application de l’alinéa 465(1)a) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑34. Ces peines de complot applicables aux adultes devaient être purgées à la suite de la peine d’outrage au tribunal et des peines imposées en vertu de la LSJPA. Le demandeur a obtenu un crédit d’un an pour détention présentencielle à l’égard de chaque chef de complot en vue de commettre un meurtre.
[10] Les peines imposées au demandeur ont commencé le 21 décembre 2006.
[11] Le 13 décembre 2007, le Service correctionnel du Canada (le SCC) a informé le demandeur que la date d’expiration de son mandat était le 20 février 2024, la date de sa libération d’office était le 1er juin 2018, la date d’admissibilité à sa libération conditionnelle totale était le 19 décembre 2012 et la date d’admissibilité à sa semi-liberté était le 19 juin 2012.
[12] Pour calculer les dates d’admissibilité du demandeur, le SCC avait inclus sa peine sans placement sous garde imposée en vertu de la LSJPA, ce qui faisait passer la durée de sa peine totale à 17 ans et 2 mois.
[13] Le 27 février 2012, le demandeur a demandé au CGP de fournir un affidavit énonçant ses dates d’admissibilité et d’indiquer si les peines combinées étaient considérées comme une seule peine au sens de l’article 139 de la LSCMLSC.
[14] Le 29 février 2012, le CGP a confirmé que la totalité des peines infligées au demandeur étaient considérées comme une seule peine au sens de l’article 139 de la LSCMLSC et il a fourni l’affidavit demandé et décrit au paragraphe 11 qui précède.
[15] Le 13 juin 2012 et le 23 octobre 2012, la LSCMLSC a été modifiée en vue de concrétiser l’intention expresse du législateur d’inclure les peines spécifiques sans placement sous garde visées au sous-alinéa 42(2)q)(i) dans le calcul des dates d’admissibilité d’un individu à la libération conditionnelle totale et à la semi-liberté, ainsi que des dates de libération d’office et d’expiration du mandat.
IV. La décision faisant l’objet du présent contrôle
[16] Le CGP a conclu que les peines imposées au demandeur avaient été fusionnées en vertu de l’article 139 de la LSCMLSC. En fusionnant ces peines, le CGP a inclus la peine sans placement sous garde imposée en vertu de la LSJPA d’une durée de 48 mois. Il a par la suite calculé ses dates d’admissibilité en fonction d’une peine totale d’une durée de 17 ans et 2 mois.
[17] Selon les calculs du CGP, la date d’admissibilité du demandeur à la semi-liberté était le 19 juin 2012 et la date d’admissibilité à la libération conditionnelle totale était le 19 décembre 2012, la date de sa libération d’office était le 1er juin 2018 et la date d’expiration de son mandat était le 20 février 2024.
V. La question en litige
[18] Les récentes modifications apportées à la LSCMLSC s’appliquent-elles au demandeur de façon à inclure sa peine sans placement sous garde imposée en vertu de la LSJPA dans la détermination de ses dates d’admissibilité?
VI. Les dispositions législatives applicables
[19] L’annexe A présente les dispositions applicables de la LSCMLSC (y compris celles qui sont entrées en vigueur le 13 juin 2012 et le 23 octobre 2012 conformément aux modifications qui y ont été apportées).
[20] L’annexe A présente les dispositions applicables de la LSCMLSC qui s’appliquaient avant l’entrée en vigueur, le 13 juin 2012 et le 23 octobre 2012, des modifications qui y ont été apportées.
[21] L’annexe A présente les dispositions applicables de la LSJPA.
[22] L’annexe A présente les dispositions applicables du Code criminel.
VII. Les positions des parties
[23] Le demandeur soutient essentiellement qu’il ne faudrait pas inclure la peine sans placement sous garde imposée en vertu de la LSJPA dans le calcul des dates de son admissibilité à la libération conditionnelle car cette dernière ne peut pas se rapporter à des peines sans placement sous garde.
[24] Le demandeur cite la décision J.P. c. Canada (Procureur général), 2009 CF 402, [2010] 3 R.C.F. 3, conf. par 2010 CAF 90, [2011] 4 R.C.F. 29, à l’appui de la thèse qu’une peine sans placement sous garde imposée en vertu de la LSJPA ne tombe pas sous le coup du mot « peine » défini dans la LSCMLSC en vue du calcul des dates d’admissibilité à la libération conditionnelle. Selon lui, les faits dont il est question dans la décision J.P. se comparent à ceux dont il est question en l’espèce, à deux exceptions près : i) le demandeur a été condamné à une peine en vertu du sous-alinéa 42(2)q)(i) de la LSJPA, et ii) il a aussi été condamné à des peines consécutives en tant qu’adulte en vertu du Code criminel.
[25] Le demandeur déclare que sa peine a été transformée en une peine pour adultes en vertu du paragraphe 743.5(1) du Code criminel lorsqu’il a été condamné à une peine d’emprisonnement pour complot en vue de commettre un meurtre.
[26] Selon le demandeur, la LSCMLSC définit une « peine » comme une peine d’emprisonnement et une peine spécifique imposée en vertu de la LSJPA.
[27] Le demandeur reconnaît que la réforme législative de la Loi sur la sécurité des rues et des communautés [L.C. 2012, ch. 1] (la LSRC) a élargi la définition du mot « peine » figurant dans la LSCMLSC [paragraphe 2(1)] en vue d’inclure les peines comportant un placement sous garde et les peines de mise en liberté sous condition au sein de la collectivité.
[28] Le demandeur soutient qu’indépendamment de ces modifications le fait de considérer que le mot « peine » englobe la peine spécifique sans placement sous garde est fondamentalement vicié; par ailleurs, la libération conditionnelle est une forme de libération discrétionnaire qui permet à un délinquant de purger une partie de sa peine avec placement sous garde en dehors des murs d’un établissement pénal, et elle ne cadre pas avec une peine ou une partie d’une peine qui ne comporte pas un placement sous garde et ne peut pas s’y rapporter. Le demandeur cite l’arrêt R. c. M. (C.A.), [1996] 1 R.C.S. 500, à l’appui de la thèse selon laquelle les peines qui comportent un placement sous garde et celles qui n’en comportent pas sont fondamentalement différentes; il cite aussi l’arrêt R. c. Proulx, 2000 CSC 5, [2000] 1 R.C.S. 61, à l’appui de la thèse selon laquelle la libération conditionnelle ne peut s’appliquer à un délinquant qui a été l’objet d’une peine d’emprisonnement avec sursis et non incarcéré. Faisant référence à la décision J.P., précitée, il fait également remarquer qu’on ne peut pas accorder la libération conditionnelle à un jeune délinquant qui a été libéré sous condition. Enfin, il renvoie la Cour à la décision R. c. K.(C.), 2008 ONCJ 236 (CanLII), 233 C.C.C. (3d) 194, où il a été conclu [au paragraphe 22] que le fait de [traduction] « [t]raiter un adolescent transféré exactement de la même façon qu’un adulte pose d’emblée une difficulté pour le calcul de la peine elle-même » parce qu’une conversion peut faire en sorte qu’une personne se retrouve condamnée à une peine d’emprisonnement qui excède la période limite de six ans que prévoit la LSJPA.
[29] Le défendeur soutient que le CGP n’a pas commis d’erreur en calculant les dates d’admissibilité à la libération conditionnelle, de libération d’office et d’expiration du mandat du demandeur. Selon lui, la peine d’emprisonnement imposée en vertu de la LSJPA au demandeur doit être incluse dans la détermination de son admissibilité à la libération conditionnelle à cause de modifications récemment apportées à la LSCMLSC.
[30] Le défendeur allègue que le législateur a introduit la LSRC en vue d’étendre le sens donné au mot « peine » au paragraphe 2(1) et à l’article 99 de la LSCMLSC et d’inclure ainsi les peines spécifiques sans placement sous garde en réponse à la décision J.P., précitée.
[31] En particulier, l’article 196 de la LSRC modifie la définition d’une « peine » qui figure au paragraphe 2(1) de la LSCMLSC de façon à inclure une peine spécifique comprenant un volet comportant un placement sous garde et un volet sans placement sous garde. L’alinéa 99(2)b) de la LSCMLSC, qui a été modifié par l’article 197 de la LSRC, dispose aussi maintenant que l’expiration d’une peine s’entend du jour où expire la peine, indépendamment du volet « sans placement sous garde » d’une peine spécifique. Enfin, l’article 75 de la LSRC introduit l’article 119.2 de la LSCMLSC, lequel dispose que, pour l’application des articles 120 à 120.3 de la LSCMLSC, l’admissibilité à la libération conditionnelle dans le cas d’une peine spécifique est déterminée en fonction de la somme des périodes de placement sous garde et sans garde.
[32] Le défendeur déclare que l’article 76 de la LSRC [qui modifie les articles 120 à 120.3 de la LSCMLSC] est entré en vigueur le 13 juin 2012 et que les articles 196 et 197 de la LSRC sont entrés en vigueur le 23 octobre 2012.
[33] Selon le défendeur, le CGP a calculé l’admissibilité du demandeur à la libération conditionnelle sur le fondement suivant : i) ses peines spécifiques ont été converties en des peines pour adulte en application du paragraphe 743.5(1) du Code criminel; et ii) ses peines spécifiques et ses peines pour adulte ont été fusionnées en une seule peine en application de l’article 139 de la LSCMLSC.
[34] Selon l’interprétation du défendeur, l’article 743.5 du Code criminel considère qu’une peine imposée en vertu de la LSJPA est une peine imposée en vertu du Code criminel dans les cas où un individu se voit d’abord infliger une peine spécifique en application du sous‑alinéa 42(2)q)(i) de la LSJPA et, ensuite, une peine pour adulte. Le défendeur est d’avis que l’article 743.5 du Code criminel fait tomber la peine spécifique qui a été imposée au demandeur sous le coup du paragraphe 139(1) de la LSCMLSC. Selon son interprétation, le paragraphe 139(1) dispose qu’un individu est réputé avoir été condamné à une seule peine si : i) il est sous le coup d’une peine qui n’est pas expirée; et ii) il est condamné à des peines additionnelles (peine fusionnée); la peine fusionnée commence à la date de la première de ces peines et prend fin à l’expiration de la dernière d’entre elles.
[35] Le défendeur soutient que les peines consécutives du demandeur déclenchent l’application de l’article 120.1 de la LSCMLSC, qui décrit de quelle façon la libération conditionnelle est calculée lorsqu’on impose des peines consécutives additionnelles. Aux termes de l’article 120.1 de la LSCMLSC, l’admissibilité du demandeur à une libération conditionnelle est calculée à partir du 10 décembre 2007, soit la date de l’imposition de sa peine spécifique de 8 ans et 2 mois et de celle de sa peine pour adulte pour complot en vue de commettre un meurtre, d’une durée de 7 ans. Il soutient que l’admissibilité du demandeur à la libération conditionnelle est déterminée en fonction d’une peine d’une durée de 15 ans et 2 mois.
[36] Selon le défendeur, la date d’admissibilité du demandeur à la libération conditionnelle totale est le tiers de sa peine consécutive de 15 ans et 2 mois aux termes du paragraphe 120(1) et de l’article 120.1 de la LSCMLSC. D’après l’alinéa 119(1)c) de cette loi, le demandeur est devenu admissible à la semi-liberté 6 mois avant d’être admissible à la libération conditionnelle totale. L’effet de ces dispositions, ajoute le défendeur, est que les dates d’admissibilité du demandeur sont le 19 décembre 2012 et le 19 juin 2012 pour la libération conditionnelle totale et la semi-liberté, respectivement.
[37] Le défendeur déclare que l’article 127 de la LSCMLSC donne à une personne purgeant une peine de durée déterminée le droit d’être mise en liberté après avoir purgé une période d’emprisonnement équivalant à au moins les deux tiers de cette peine (la date de libération d’office). En prenant pour base une peine d’une durée de 17 ans et 2 mois, la date de libération d’office du demandeur est le 1er juin 2018.
[38] Le défendeur soutient par ailleurs qu’une ordonnance rendue en faveur du demandeur aura pour effet de réduire de quatre ans la durée de la peine qui lui a été imposée. Cela, fait-il valoir, ne concorde pas avec l’article 743.5 du Code criminel et fait en sorte que la décision J.P., précitée, se distingue de la présente espèce.
[39] Au dire du défendeur, la véritable raison pour laquelle le demandeur a déposé la présente demande de contrôle judiciaire est une réduction de sa peine. Selon lui, si la peine sans placement sous garde imposée en vertu de la LSJPA au demandeur n’est pas convertie en vertu de l’article 743.5 du Code criminel et fusionnée en vertu de l’article 139 de la LSCMLSC, elle disparaîtra ou, sinon, restera un volet concurrent d’une peine spécifique imposée en vertu de la LSJPA. Cela réduira de quatre ans la peine qui lui a été imposée pour meurtre au premier degré. Le défendeur soutient que cela ne concorde pas avec la décision en matière de détermination de la peine que la Cour suprême de la Colombie-Britannique a rendue dans la décision R. v. Van Buskirk, 2007 BCSC 1925, qui a expressément établi que la peine infligée au demandeur pour complot en vue de commettre un meurtre était consécutive à sa peine pour meurtre au premier degré. D’après le défendeur, cette interprétation ne concorde pas non plus avec une simple lecture des articles 743.5 du Code criminel et 139 de la LSCMLSC, qui visent à traiter les délinquants ayant commis de multiples infractions consécutives comme des adultes purgeant une seule peine en vertu du Code criminel.
[40] Selon le défendeur, la décision J.P., précitée, traite de la question distincte de l’inclusion des peines spécifiques sans placement sous garde dans le calcul de l’admissibilité à la libération conditionnelle. En l’espèce, par contraste, la peine consécutive pour adulte qui a été imposée au demandeur a déclenché l’application du paragraphe 743.5(1) du Code criminel. Le défendeur estime qu’à cause du paragraphe 743.5(1) la LSJPA ne s’applique plus au demandeur. Comme ce paragraphe considère que le demandeur a été condamné en vertu du Code criminel, les dispositions de la LSJPA en matière de surveillance dans la collectivité, de mise en liberté sous condition au sein de la collectivité et de maintien sous garde ne s’appliquent plus. Toujours selon le défendeur, la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt J.P., précité, n’a pas traité des dispositions en matière de conversion et de fusion de peines qui figurent aux articles 743.5 du Code criminel et 139 de la LSCMLSC et, de ce fait, n’a un effet ni directeur ni exécutoire sur la Cour.
[41] Le défendeur soutient que si la Cour conclut que les modifications apportées par la LSRC à la LSCMLSC ne s’appliquent pas au demandeur parce qu’elles sont entrées en vigueur après la date de sa condamnation, il faudrait alors qu’elle ordonne au SCC d’administrer la peine d’une manière conforme aux dispositions relatives à la peine spécifique qui a été infligée en vertu de la LSJPA. En particulier, la Cour devrait ordonner au SCC de convertir la peine de mise en liberté sous condition de quatre ans imposée en vertu de la LSJPA en une période similaire de libération d’office en vertu de la LSCMLSC. Le défendeur estime que les dispositions en matière de libération d’office que comporte l’article 127 de la LSCMLSC sont analogues aux dispositions en matière de mise en liberté sous condition au sein de la collectivité que comporte le sous‑alinéa 42(2)q)(i) de la LSJPA. Une telle mesure convertirait la peine pour meurtre au premier degré du demandeur en une période d’emprisonnement de quatre mois et deux ans et en une période prévue pour la libération d’office de quatre ans.
[42] Le défendeur est d’avis que cette mesure est conforme à l’intention du législateur qui est exprimée aux articles 743.5 du Code criminel et 139 de la LSCMLSC et qu’elle préserve l’intégrité de la peine, respecte les principes qui sous-tendent les peines spécifiques prévues par la LSJPA et évite l’éventuel problème d’avoir à soumettre le demandeur à la double compétence de la Commission nationale des libérations conditionnelles (pendant qu’il bénéficie d’une libération conditionnelle) et du directeur, des travailleurs à la jeunesse et du tribunal pour adolescents de la province (pendant qu’il purge sa peine sans placement sous garde en vertu de la LSJPA).
[43] Enfin, le défendeur fait valoir que la présente demande de contrôle judiciaire est de nature théorique ou le sera vraisemblablement à la date de son audition. Selon lui, le demandeur est devenu admissible à la semi-liberté en application du paragraphe 119(1) de la LSCMLSC le 19 juin 2012 et il aura le droit de demander la semi-liberté le 19 décembre 2012.
[44] Le défendeur cite l’arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, à l’appui de la thèse selon laquelle une décision d’un tribunal est de nature théorique si elle n’a pas pour effet de résoudre une controverse qui a ou peut avoir une incidence sur les droits des parties. Il déclare qu’une décision sur la présente demande de contrôle judiciaire n’aura aucun effet concret car : i) le demandeur aura vraisemblablement le droit de demander la libération conditionnelle totale avant d’être entendu; et ii) il est peu probable que cette décision ait un effet pratique quelconque sur les demandeurs qui se trouvent dans une situation semblable.
[45] Le défendeur distingue de la présente espèce l’affaire J.P., précitée, dans lequel la présente Cour et la Cour d’appel fédérale ont tranché une question théorique concernant l’admissibilité à la libération conditionnelle en rapport avec des peines imposées en vertu de la LSJPA et applicables aux adultes parce qu’il y avait de fortes chances que la question se pose dans des demandes ultérieures. Il fait valoir que ce raisonnement ne s’étend pas à la présente demande de contrôle judiciaire car les modifications apportées à la LSCMLSC empêchent les demandes fondées sur des faits semblables de réussir. En particulier, ces modifications expriment l’intention du législateur, à savoir que tant les volets « avec placement sous garde » que « sans placement sous garde » des peines imposées sous le régime de la LSJPA sont incluses dans le calcul de l’admissibilité à la libération conditionnelle.
VIII. Analyse
[46] Dans la décision J.P., précitée, le juge Richard Mosley, de la présente Cour, a conclu que l’interprétation des dispositions en matière d’admissibilité à la libération conditionnelle commande l’application de la norme de la décision correcte (au paragraphe 10).
[47] La Cour suit la décision du juge Mosley pour ce qui est de la norme de contrôle applicable, soit la décision correcte, d’autant plus que, dans la présente demande de contrôle judiciaire la question déterminante est l’application temporelle de modifications récemment apportées à la LSCMLSC. Une question qui se rapporte à l’application temporelle d’une loi est une question de droit qui est « “d’une importance capitale pour le système juridique […] étrangère au domaine d’expertise” » du CGP. Selon l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 [au paragraphe 55], une telle question de droit commande l’application de la norme de la décision correcte.
[48] Dans la présente demande de contrôle judiciaire, la question cruciale consiste à savoir si la peine sans placement sous garde imposée en vertu de la LSJPA au demandeur peut être incluse dans le calcul des dates de son admissibilité à la libération conditionnelle. Selon une simple lecture de l’alinéa 743.5(3)a) du Code criminel, cette peine est à inclure dans le calcul de son admissibilité à la libération conditionnelle sous le régime de la LSCMLSC.
[49] La présente demande représente une intéressante rupture par rapport aux faits qui sous‑tendent la décision que la Cour d’appel fédérale a rendue dans l’arrêt J.P., précité. Dans cette dernière, le demandeur avait été déclaré coupable et condamné en tant qu’adolescent en vertu de la LSJPA pour meurtre au second degré et ne s’était pas vu imposer une peine consécutive en tant qu’adulte en vertu du Code criminel. À l’inverse, dans le cas qui nous occupe, le demandeur a été déclaré coupable et condamné en tant qu’adolescent en vertu de la LSJPA pour meurtre au premier degré et a par la suite été déclaré coupable et condamné consécutivement en tant qu’adulte en vertu du Code criminel.
[50] Les faits qui sous-tendent la présente demande mettent en jeu une matrice de dispositions législatives différente de celle qui sous-tend l’affaire J.P. Pour les besoins de la présente demande, la plus importante de ces dispositions législatives est l’alinéa 743.5(3)a) du Code criminel, lequel dispose que, dans les cas où le paragraphe 743.5(1) s’applique, le reste d’une peine spécifique et d’une période d’emprisonnement ultérieure est réputé être une seule peine d’emprisonnement pour l’application de l’article 139 de la LSCMLSC. Le paragraphe 743.5(1) dispose que lorsqu’un adolescent ou un adulte est ou a été condamné à une peine d’emprisonnement pour une infraction pendant qu’il était sous le coup d’une peine spécifique imposée en vertu de l’alinéa 42(2)q) de la LSJPA, le reste de la peine spécifique imposée est purgée, pour l’application de cette loi ou de toute autre loi fédérale, comme si elle avait été imposée en vertu du Code criminel.
[51] Dans l’arrêt J.P., la question déterminante était la définition du mot « peine » qui figure au paragraphe 2(1) de la LSCMLSC et le fait de savoir si cette définition pouvait englober une peine spécifique sans placement sous garde. En décrétant que non, la Cour d’appel fédérale (au paragraphes 55 et 63) a exprimé l’avis que cette définition se limitait aux peines comportant un placement sous garde :
Pour commencer, il est important de noter que la définition du paragraphe 2(1) de la LSCMLC porte : « “peine” ou “peine d’emprisonnement.” S’entend notamment d’une peine spécifique imposée en vertu de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents » […]
[…]
Par conséquent, bien que j’aie d’abord trouvé intéressant l’argument de l’appelant touchant l’unité de la peine spécifique sous le régime de la LSJPA, je l’estime mal fondé, étant donné le libellé de la LSCMLC et de la LSJPA. Il est vrai que la peine prononcée en vertu du sous-alinéa 42(2)q)(ii) de la LSJPA constitue une [traduction] « seule sanction », mais il n’en reste pas moins que seule la période de garde qu’elle comprend constitue une « peine d’emprisonnement ».
[52] Dans l’arrêt J.P., la Cour d’appel fédérale (au paragraphe 62) a étayé son raisonnement en lisant la définition d’une « peine » qui figure au paragraphe 2(1) de la LSCMLSC de pair avec les paragraphes 89(1) et (3) de la LSJPA :
Le paragraphe 89(1) de la LSJPA porte que l’adolescent âgé de 20 ans ou plus doit être détenu dans un établissement correctionnel pour adultes pour y purger sa peine. Par conséquent, c’est selon moi seulement à cette période que le législateur a disposé, au paragraphe 89(3) de la LSJPA, que s’appliquent la LSCMLC et la LPMC [Loi sur les prisons et les maisons de correction]. Il s’ensuit nécessairement que le régime de la libération conditionnelle de la LSCMLC ne peut s’appliquer qu’à la période de garde de l’adolescent, à l’exclusion de sa période de surveillance.
[53] La distinction critique qu’il y a entre la présente demande et l’affaire J.P. est que le paragraphe 743.5(1) et l’alinéa 743.5(3)a) du Code criminel s’appliquent au demandeur, mais pas à celui dont il était question dans l’affaire J.P. Le demandeur est assujetti aux dispositions de conversion que prévoit l’article 743.5 du Code criminel parce qu’il a été condamné à une peine d’emprisonnement pour une infraction tout en étant sous le coup d’une peine spécifique imposée en vertu de l’alinéa 42(2)q) de la LSJPA. L’effet du paragraphe 743.5(1) du Code criminel est que la peine spécifique imposée au demandeur en vertu de l’alinéa 42(2)q) de la LSJPA doit être purgée, pour l’application du Code criminel ou de toute autre loi fédérale (y compris la LSCMLSC), comme s’il s’agissait d’une peine imposée en vertu du Code criminel. Étant donné que le paragraphe 743.5(1) s’applique au demandeur, c’est également le cas de l’alinéa 743.5(3)a).
[54] Ni le demandeur ni le défendeur ne contestent l’application de l’article 743.5.
[55] L’alinéa 743.5(3)a) du Code criminel a pour effet que le raisonnement qui sous-tend la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt J.P.ne peut s’appliquer à la décision dont il est question en l’espèce. Dans l’affaire J.P., la question en litige était que la définition du mot « peine » au paragraphe 2(1) de la LSCMLSC avait été limitée à une peine d’emprisonnement. Par contraste, l’alinéa 743.5(3)a) considère que la peine sans placement sous garde imposée en vertu de la LSJPA au demandeur et les peines d’emprisonnement ultérieures constituent une seule peine d’emprisonnement pour l’application de l’article 139 de la LSCMLSC.
[56] Cette matrice législative neutralise l’effet de la définition de « peine » figurant au paragraphe 2(1) de la version non modifiée de la LSCMLSC et si cruciale dans l’affaire J.P. Du fait de l’alinéa 743.5(3)a) (qui était en vigueur à l’époque où le demandeur a été condamné), la peine sans placement sous garde imposée en vertu de la LSJPA au demandeur a été considérée comme une seule peine d’emprisonnement pour l’application des dispositions en matière de fusion de peines qui figurent à l’article 139 de la LSCMLSC. Aux termes de cet article, sa peine sans placement sous garde imposée en vertu de la LSJPA a été fusionnée à ses autres peines en vue d’en faire une seule pour le calcul des dates de son admissibilité à la libération conditionnelle aux termes des articles 119 et 120.1 de la LSCMLSC. Cette peine unique a commencé le premier jour de la première des peines qu’il avait à purger et prendra fin le dernier jour de la dernière d’entre elles.
[57] En résumé, la présente demande déclenche l’application d’une disposition (l’alinéa 743.5(3)a) du Code criminel) qui n’avait pas été soulevée au regard des faits dont il était question dans l’affaire J.P. et qui n’aurait donc pas pu influencer la décision de la Cour d’appel fédérale. Dans la présente demande, les dispositions en matière de conversion que renferme le paragraphe 743.5(3) du Code criminel ont fusionné la peine sans placement sous garde imposée en vertu de la LSJPA au demandeur avec ses autres peines d’emprisonnement en vue de faire une seule peine d’emprisonnement pour l’application des dispositions en matière de fusion de la LSCMLSC. Dans la décision R. v. C.(A.), 2008 ONCJ 613 (CanLII), le juge Paul Robertson, de la Cour de justice de l’Ontario, est arrivé à une conclusion semblable au moment d’interpréter les dispositions en matière de conversion du Code criminel : [traduction] « [L’effet de l’article 743.5 est qu’un jeune délinquant] a maintenant été condamné pour les questions applicables aux adultes et purge donc à l’heure actuelle une peine; toute peine spécifique que j’imposerai sera traitée comme si elle l’avait été en vertu du Code criminel plutôt que de la LSJPA et les peines seront traitées comme une peine unique, conformément à l’article 139 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition » (au paragraphe 18).
[58] Le juge soussigné fait remarquer, à titre incident, que si l’alinéa 743.5(3)a) ne s’était pas appliqué, il aurait fallu que la Cour examine si les modifications apportées à la LSCMLSC s’appliquaient au demandeur. Pour répondre à cette question, il aurait fallu qu’elle évalue l’application temporelle du paragraphe 2(1) « peine », de l’alinéa 99(2)b) et de l’article 119.2 de la LSCMLSC.
[59] Avant de poursuivre, il serait utile d’examiner la distinction que fait la professeure Ruth Sullivan entre les dispositions législatives qui ont une application rétroactive, rétrospective et immédiate. Une disposition législative d’application rétroactive a pour effet de [traduction] « changer l’effet juridique passé d’une situation passée » [non souligné dans l’original] et une disposition législative d’application rétrospective a pour effet de [traduction] « changer l’effet juridique futur d’une situation passée » [non souligné dans l’original], alors qu’une disposition législation d’application immédiate a pour effet de [traduction] « changer l’effet juridique futur d’une situation présente » (non souligné dans l’original) (professeure Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 5e éd. (Markham, Ont. : LexisNexis, 2008), à la page 669).
[60] Selon l’arrêt Gustavson Drilling (1964) Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1977] 1 R.C.S. 271, il existe une présomption selon laquelle une loi n’a un effet rétroactif que si [à la page 279] « [son texte] ne le décrète expressément ou n’exige implicitement une telle interprétation. Une disposition modificatrice peut prévoir qu’elle est censée être entrée en vigueur à une date antérieure à son adoption, ou qu’elle porte uniquement sur les transactions conclues avant son adoption. Dans ces deux cas, elle a un effet rétroactif. » Dans le cas présent, l’article 119.2 de la LSCMLSC est entré en vigueur le 13 juin 2012 et la définition modifiée du mot « peine » qui figure au paragraphe 2(1) ainsi que la version modifiée de l’alinéa 99(2)b) sont entrées en vigueur le 23 octobre 2012. Les décrets donnant effet à la LSRC n’ont pas précisé si les modifications apportées à la LSCMLSC seraient réputées entrer en vigueur avant cette date (TR/2012‑48, Gaz. C. 2012.II.1627; TR/2012‑40, Gaz. C. 2012. II.1410). C’est donc dire que la présomption contre la rétroactivité n’est pas réfutée.
[61] Même si l’alinéa 743.5(3)a) est déterminant dans le cas de la présente demande et que le défendeur n’a pas traité expressément de la présomption de rétroactivité, la Cour conclut qu’il peut être utile de vérifier si les modifications à la LSCMLSC auraient eu une application immédiate ou rétroactive si le demandeur n’était pas assujetti à l’article 743.5.
[62] Dans l’arrêt Procureur général du Québec c. Tribunal de l’expropriation et autres, [1986] 1 R.C.S. 732, le juge Julien Chouinard, de la Cour suprême du Canada, a conclu qu’« [i]l faut distinguer entre la rétroactivité d’une loi et son application immédiate » (à la page 744). Il a estimé qu’une nouvelle loi ne peut s’appliquer à des effets immédiats déjà produits ou survenus pendant une période prolongée avant que cette loi soit entrée en vigueur car cela donnerait à cette dernière un effet rétroactif. Néanmoins, cette nouvelle loi « saisira les effets à venir attachés à ces situations juridiques et qui ne se sont pas encore produits avant sa mise en vigueur » [non souligné dans l’original] (Tribunal de l’expropriation et autres [à la page 744], citant Louis Baudouin, Les aspects généraux du droit public dans la province de Québec (Paris : Dalloz, 1965)) et qu’elle « s’applique, dès sa promulgation, à tous les effets qui résultent dans l’avenir de rapports juridiques nés ou à naître » (non souligné dans l’original) ([Tribunal de l’expropriation et autres, à la page 744], citant le professeur Pierre-André Côté, Interprétation des lois (Cowansville (Qc) : Yvon Blais, 1982)).
[63] L’arrêt Tribunal de l’expropriation et autres avait trait à l’application d’une loi entrée en vigueur en 1973 (la loi de 1973) à une expropriation qui avait débuté en 1970 mais qui avait été abandonnée en 1979. La loi de 1973 obligeait le gouvernement du Québec à solliciter l’autorisation d’un tribunal d’expropriation avant de pouvoir se désister d’une expropriation mais la loi précédente obligeait seulement le gouvernement à déposer un désistement unilatéral. Le juge Chouinard a rejeté l’argument du gouvernement du Québec selon lequel la loi de 1973 ne s’appliquait pas parce que l’expropriation avait commencé avant que la loi soit édictée. Il a exprimé l’avis que, même si la situation juridique sous-jacente avait pris naissance avant l’entrée en vigueur de la loi de 1973, son application était immédiate plutôt que rétroactive. En effet, la situation sous-jacente était de nature continue et la loi de 1973 avait eu pour effet de changer l’effet juridique à venir de cette situation continue. En fait, le juge Chouinard [à la page 754] a souscrit à l’argument de l’intimé selon lequel la loi de 1973 « ne vis[ait] qu’à retirer pour l’avenir le droit de produire un désistement unilatéral dont l’appelant pouvait se prévaloir auparavant. Cet article n’[avait] aucune incidence sur ce droit dans la mesure où il [avait] été exercé avant l’entrée en vigueur de l’art. 55 » (non souligné dans l’original).
[64] Les modifications apportées à la LSCMLSC sont-elles d’application rétroactive ou immédiate? Si l’article 743.5 du Code criminel ne s’était pas appliqué, ces modifications auraient-elles eu pour effet de changer l’effet juridique passé de l’admissibilité passée du demandeur à la libération conditionnelle, ou auraient-elles changé l’effet juridique futur de son admissibilité continue à la libération conditionnelle?
[65] Une simple lecture de l’alinéa 119(1)c) et de l’article 120.1 de la version non modifiée de la LSCMLSC donne à penser que la version modifiée de cette loi aurait eu pour effet de changer l’effet juridique passé de l’admissibilité continue du demandeur à la libération conditionnelle totale et à la semi-liberté si l’article 745.3 du Code criminel ne s’était pas appliqué.
[66] Selon l’article 120.1 de la version non modifiée de la LSCMLSC, un délinquant qui se voit infliger une peine consécutive additionnelle n’est pas admissible à la libération conditionnelle totale avant le jour où il a purgé, à compter de la date à laquelle cette peine additionnelle a été imposée : i) tout temps d’épreuve relatif à la peine que le délinquant purgeait déjà lorsqu’il s’est vu imposer la peine supplémentaire et ii) le temps d’épreuve relatif à cette peine additionnelle. L’article 120 de la version non modifiée de la LSCMLSC dispose qu’un délinquant n’est pas admissible à la libération conditionnelle totale avant la date où il a accompli un temps d’épreuve équivalant au moindre du tiers de la peine ou sept ans. Aux termes de l’alinéa 119(1)c) de la version non modifiée de la LSCMLSC, la partie de la peine que doit purger un délinquant condamné à une peine égale ou supérieure à deux ans avant de pouvoir obtenir la semi-liberté est, sous réserve d’exceptions non applicables, la plus longue des deux périodes suivantes : i) celle qui se termine six mois avant la date d’admissibilité à la libération conditionnelle totale, ou ii) six mois.
[67] Avant l’entrée en vigueur des modifications à la LSCMLSC le 13 juin 2012 et le 23 octobre 2012, la définition non modifiée d’une « peine », au paragraphe 2(1) de la LSCMLSC, s’appliquait au demandeur. Dans l’arrêt J.P., précité, le juge Marc Nadon a décrété que, selon cette définition, le volet « sans placement sous garde » d’une peine imposée en vertu de la LSJPA ne pouvait pas être incluse dans le calcul des dates d’admissibilité du demandeur à la libération conditionnelle (aux paragraphes 65 et 67).
[68] Si l’article 743.5 ne s’était pas appliqué à la présente demande, l’effet juridique passé de la version non modifiée de la LSCMLSC (selon l’interprétation du juge Nadon dans l’arrêt J.P., précité) aurait été le suivant : le demandeur aurait eu le droit de demander la libération conditionnelle totale et la semi-liberté avant que l’article 119.2 de la LSCMLSC entre en vigueur le 13 juin 2012 et avant que la définition modifiée d’une « peine », au paragraphe 2(1) et à l’alinéa 99(2)b) de la LSCMLSC, entre en vigueur le 23 octobre 2012.
[69] Si l’article 743.5 n’était pas entré en jeu, les modifications à la LSCMLSC auraient changé l’effet juridique passé de la capacité qu’avait le demandeur de demander la libération conditionnelle totale et la semi-liberté : elles auraient retardé la date à laquelle il est devenu admissible à demander la libération conditionnelle totale le 19 décembre 2012 et à demander la semi-liberté le 19 juin 2012. Étant donné que le demandeur (n’eût été de l’article 743.5) aurait déjà été admissible à présenter une demande à l’époque où les modifications à la LSCMLSC sont entrées en vigueur, l’application de ces modifications à ses circonstances aurait eu pour effet de changer l’effet juridique passé de cette situation. C’est donc dire que l’application des modifications dans de telles circonstances aurait donné lieu à une application rétroactive inadmissible de la loi.
[70] Une fois tranchée la question des dates d’admissibilité du demandeur à la libération conditionnelle totale et à la semi-liberté en appliquant l’alinéa 743.5(3)a), il est bien sûr inutile d’examiner la question de la rétroactivité dans le but de trancher la présente demande. Le juge soussigné souligne que l’alinéa 743.5(3)a) permet de trancher la présente demande et que l’analyse du caractère temporel des modifications apportés à la LSCMLSC constitue une opinion incidente.
[71] Conformément à l’alinéa 743.5(3)a) du Code criminel et à l’article 139 de la LSCMLSC, la peine sans placement sous garde imposée en vertu de la LSJPA au demandeur doit aussi être incluse dans le calcul de la date de sa libération d’office. Les articles 743.5 et 139 ont fusionné la peine sans placement sous garde imposée en vertu de la LSJPA au demandeur à ses autres peines en vue d’obtenir une seule peine d’emprisonnement pour le calcul de la date de sa libération d’office aux termes de l’article 127 de la LSCMLSC.
[72] Même si l’alinéa 743.5(3)a) n’était pas entré en jeu, les modifications à la LSCMLSC se seraient appliquées immédiatement plutôt que rétroactivement à la date de libération d’office du demandeur. De ce fait, la définition modifiée d’une « peine », au paragraphe 2(1) de la LSCMLSC, se serait appliquée à la détermination de la date de libération d’office du demandeur en vertu de l’article 127 de la LSCMLSC, et le souci du défendeur, à savoir que le véritable motif pour lequel le demandeur avait déposé la présente demande était une réduction de sa peine, aurait été injustifié.
[73] Avant que la définition modifiée d’une « peine », au paragraphe 2(1) de la LSCMLSC, entre en vigueur le 23 octobre 2012 et en l’absence de l’aliéna 743.5(3)a), l’affaire J.P., précitée, aurait eu pour effet d’exclure la peine sans placement sous garde imposée en vertu de la LSJPA au demandeur du sens du mot « peine » et donc du calcul de la date de libération d’office prévu à l’article 127. Selon ce cadre et conformément aux paragraphes 127(1) et (3) de la LSCMLSC, le demandeur aurait eu le droit d’être mis en liberté le jour où il aurait purgé les deux tiers de sa peine (la date de libération d’office).
[74] Cependant, le demandeur n’a pas atteint la date de sa libération d’office avant que la version modifiée de la LSCMLSC entre en vigueur le 23 octobre 2012. À ce stade, le demandeur avait le droit possible, mais non réel, à une date de libération d’office qui serait déterminée en excluant sa peine sans placement sous garde imposée en vertu de la LSJPA. Ce droit était soumis à la condition préalable que le demandeur ait purgé les deux tiers de sa peine. Tant que cette condition préalable n’est pas remplie, on ne peut pas dire que l’effet juridique passé de la situation du demandeur a changé du fait de l’inclusion de la peine avec placement sous garde qui lui a été imposée en vertu de la LSJPA dans le calcul de la date de sa libération d’office. Par conséquent, l’article 2 de la version modifiée de la LSCMLSC se serait appliqué d’office au demandeur, si l’alinéa 743.5(3)a) ne s’appliquait pas déjà de manière à inclure sa peine sans placement sous garde imposée en vertu de la LSJPA dans le calcul de la date de sa libération d’office. Résultat, cela aurait changé l’effet juridique futur de sa situation antérieure sur le plan des peines infligées.
[75] La Cour ajoute qu’une loi, même si elle s’applique immédiatement, peut aller à l’encontre d’un droit acquis (Tribunal de l’expropriation et autres, précité, à la page 746). Le demandeur n’aurait pas satisfait aux conditions préalables à l’établissement de son droit à une date de libération d’office antérieure avant qu’entre en vigueur la version modifiée de la LSCMLSC. Il s’ensuit qu’il n’aurait eu aucun droit acquis à ce que la définition antérieure du mot « peine », telle qu’interprétée dans l’affaire J.P., précitée, s’applique à sa situation.
[76] La Cour a décidé d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’entendre la présente demande, même si cela n’aura pas pour effet de résoudre une controverse qui a ou peut avoir une incidence sur les droits des parties parce que le demandeur est devenu admissible à la semi-liberté en vertu du paragraphe 119(1) de la LSCMLSC le 19 juin 2012 et à la libération conditionnelle totale en vertu de l’article 120.1 de cette même loi le 19 décembre 2012.
[77] Selon l’arrêt Borowski, précité, il y a lieu de prendre en considération les facteurs suivants au moment d’exercer le pouvoir discrétionnaire d’entendre une demande, indépendamment de son caractère théorique : i) l’existence d’un rapport contradictoire entre les parties; ii) l’économie des ressources judiciaires; et iii) le besoin pour la cour de ne pas empiéter sur le pouvoir législatif.
[78] Le facteur de l’économie des ressources judiciaires milite fortement en faveur de l’audition de la présente demande. Les questions de savoir si l’alinéa 743.5(3)a) s’applique déjà de manière à inclure une peine sans placement sous garde imposée en vertu de la LSJPA dans le calcul des dates d’admissibilité à la libération conditionnelle et si les modifications apportées à la LSCMLSC ont un effet immédiat ou rétroactif sur le calcul de la semi-liberté et de la libération conditionnelle totale d’individus ont de très fortes chances de se poser dans d’autres demandes. Comme l’a déclaré le juge John Sopinka dans l’arrêt Borowski, précité : « Il faut mettre en balance la dépense de ressources judiciaires et le coût social de l’incertitude du droit » (à la page 361).
IX. Conclusion
[79] Pour tous les motifs qui précèdent, étant donné que, comme nous l’avons vu plus tôt, la présente affaire n’est pas de nature théorique, la demande de contrôle judiciaire du demandeur au sujet du calcul de son admissibilité à la libération conditionnelle en vertu de l’article 120.1 de la LSCMLSC et de l’alinéa 119(1)c) de la même loi est rejetée sur le fondement de l’alinéa 743.5(3)a) du Code criminel.
[80] La question que le demandeur a soumise à la Cour dans le cadre de la présente demande a trait au calcul de l’admissibilité à la libération conditionnelle. La détermination de ce calcul découle de la reconnaissance du fait que la peine imposée au demandeur en vertu de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents doit être interprétée comme si elle avait été imposée en vertu du Code criminel.
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée, relativement au calcul des dates d’admissibilité du demandeur à la libération conditionnelle totale en vertu de l’article 120.1 de la LSCMLSC et à la semi-liberté en vertu de l’alinéa 119(1)c) de cette même loi.
ANNEXE A
Dispositions législatives applicables
Les dispositions législatives suivantes, tirées de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 (LSCMLSC) (y compris celles qui sont entrées en vigueur le 13 juin 2012 et le 23 octobre 2012, conformément aux modifications qui y ont été apportées) sont pertinentes :
2. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente partie. […] |
Définitions |
« peine » ou « peine d’emprisonnement » S’entend notamment : a) d’une peine d’emprisonnement infligée par une entité étrangère à un Canadien qui a été transféré au Canada sous le régime de la Loi sur le transfèrement international des délinquants; b) d’une peine spécifique infligée en vertu de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, laquelle comprend la partie purgée sous garde et celle purgée sous surveillance au sein de la collectivité en application de l’alinéa 42(2)n) de cette loi ou en liberté sous condition en application des alinéas 42(2)o), q) ou r) de cette loi. […] |
« peine » ou « peine d’emprison-nement » “sentence” |
99. […] |
|
(2) Pour l’application de la présente partie, la mention de l’expiration légale de la peine que purge un délinquant s’entend du jour d’expiration de la peine compte non tenu : a) de la libération d’office à laquelle il pourrait avoir droit; b) dans le cas d’une peine spécifique infligée en vertu de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, de la partie de la peine purgée sous surveillance au sein de la collectivité en application de l’alinéa 42(2)n) de cette loi ou en liberté sous condition en application des alinéas 42(2)o), q) ou r) de cette loi; c) des réductions de peine à son actif en date du 1er novembre 1992. […] |
Mention de l’expiration légale de la peine |
119. (1) Sous réserve de l’article 746.1 du Code criminel, du paragraphe 140.3(2) de la Loi sur la défense nationale et du paragraphe 15(2) de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, le temps d’épreuve pour l’admissibilité à la semi-liberté est : a) un an, en cas de condamnation à la détention préventive avant le 15 octobre 1977; b) dans le cas d’un délinquant — autre que celui visé à l’alinéa b.1) — condamné à une peine de détention dans un pénitencier pour une période indéterminée, la période qui se termine trois ans avant l’admissibilité à la libération conditionnelle totale déterminée conformément à l’article 761 du Code criminel ou, si elle est supérieure, la période qui se termine trois ans avant l’admissibilité à la libération conditionnelle totale déterminée conformément au paragraphe 120.2(2); (b.1) dans le cas d’un délinquant condamné, avant la date d’entrée en vigueur du présent alinéa, à une peine de détention dans un pénitencier pour une période indéterminée, trois ans ou, si elle est supérieure, la période qui se termine trois ans avant l’admissibilité à la libération conditionnelle totale déterminée conformément au paragraphe 120.2(2); c) dans le cas du délinquant qui purge une peine d’emprisonnement égale ou supérieure à deux ans, à l’exclusion des peines visées aux alinéas a) et b), six mois ou, si elle est plus longue, la période qui se termine six mois avant la date d’admissibilité à la libération conditionnelle totale; d) dans le cas du délinquant qui purge une peine inférieure à deux ans, la moitié de la peine à purger avant cette même date. […] |
Temps d’épreuve pour la semi-liberté |
119.2 Pour l’application des articles 120 à 120.3, l’admissibilité à la libération conditionnelle de l’adolescent qui a reçu une des peines spécifiques prévues aux alinéas 42(2)n), o), q) ou r) de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents et est transféré dans un établissement correctionnel provincial pour adultes ou dans un pénitencier au titre des articles 89, 92 ou 93 de cette loi est déterminée en fonction de la somme des périodes de garde et de surveillance de la peine spécifique. |
Peine spécifique |
120. (1) Sous réserve des articles 746.1 et 761 du Code criminel et de toute ordonnance rendue en vertu de l’article 743.6 de cette loi, du paragraphe 140.3(2) de la Loi sur la défense nationale et de toute ordonnance rendue en vertu de l’article 140.4 de cette loi, et du paragraphe 15(2) de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, le temps d’épreuve pour l’admissibilité à la libération conditionnelle totale est d’un tiers de la peine à concurrence de sept ans. […] |
Temps d’épreuve pour la libération conditionnelle totale |
120.1 (1) La personne qui est condamnée le même jour à plusieurs peines d’emprisonnement alors qu’elle n’en purgeait aucune n’est admissible à la libération conditionnelle totale qu’après avoir accompli le temps d’épreuve égal à la somme des périodes suivantes : a) le temps d’épreuve requis relativement à la partie de la peine, déterminée conformément au paragraphe 139(1), qui est visée par une ordonnance rendue en vertu de l’article 743.6 du Code criminel ou de l’article 140.4 de la Loi sur la défense nationale; b) le temps d’épreuve requis relativement à toute autre partie de cette peine. |
Peines imposées le même jour |
(2) Le délinquant dont la peine d’emprisonnement — peine simple ou peine déterminée conformément au paragraphe 139(1) — n’est pas expirée et qui est condamné à une peine d’emprisonnement supplémentaire à purger consécutivement à l’autre ou qui est condamné le même jour à plusieurs peines d’emprisonnement supplémentaires à purger consécutivement à la peine non expirée n’est admissible à la libération conditionnelle totale qu’après avoir accompli, à compter du jour de la condamnation, le temps d’épreuve égal à la somme des périodes suivantes : a) le reste du temps d’épreuve relatif à la peine qu’il purgeait au moment de la condamnation; b) le temps d’épreuve relatif à la peine supplémentaire ou, en cas de condamnation à plusieurs peines supplémentaires, la période égale à la somme des temps d’épreuve relatifs à celles-ci. |
Peine supplémentaire consécutive |
(3) Par dérogation au paragraphe (2), le délinquant dont la peine d’emprisonnement — peine simple ou peine déterminée conformément au paragraphe 139(1) — n’est pas expirée et qui est condamné à une ou plusieurs peines d’emprisonnement supplémentaires à purger consécutivement à une partie de la peine non expirée ou qui est condamné le même jour à plusieurs peines d’emprisonnement supplémentaires dont une à purger concurremment à la peine non expirée et une ou plusieurs peines à purger consécutivement à la peine supplémentaire concurrente n’est admissible à la libération conditionnelle totale qu’après avoir accompli, à compter du jour de la condamnation, le temps d’épreuve qui correspond à la période la plus longue résultant de la somme des périodes ci-après, d’une part, le reste du temps d’épreuve relatif à la peine qu’il purgeait au moment de la condamnation et, d’autre part : (a) soit un tiers de la période équivalant à la différence entre la durée de la peine déterminée conformément au paragraphe 139(1) qui englobe la ou les peines supplémentaires et la durée de la peine non expirée; b) soit le temps d’épreuve relatif à la ou aux peines supplémentaires à purger consécutivement. |
Peine supplémentaire consécutive à une partie de la peine |
120.2 (1) Sous réserve du paragraphe (2), le délinquant dont la peine d’emprisonnement — peine simple ou peine déterminée conformément au paragraphe 139(1) — n’est pas expirée et qui est condamné à une peine d’emprisonnement supplémentaire à purger concurremment à l’autre n’est admissible à la libération conditionnelle totale qu’à la plus éloignée des dates suivantes : a) la date à laquelle il a accompli le temps d’épreuve relatif à la peine qu’il purgeait au moment de la condamnation; b) la date à laquelle il a accompli, d’une part, le temps d’épreuve requis relativement à la partie de la peine, déterminée conformément au paragraphe 139(1) et englobant la peine supplémentaire, qui est visée par une ordonnance rendue en vertu de l’article 743.6 du Code criminel ou de l’article 140.4 de la Loi sur la défense nationale et, d’autre part, le temps d’épreuve requis relativement à toute autre partie de cette peine. […] |
Peine supplémentaire concurrante |
127. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, l’individu condamné ou transféré au pénitencier a le droit d’être mis en liberté à la date fixée conformément au présent article et de le demeurer jusqu’à l’expiration légale de sa peine. […] |
Droit du délinquant |
(3) La date de libération d’office d’un individu condamné à une peine d’emprisonnement le 1er novembre 1992 ou par la suite est, sous réserve des autres dispositions du présent article, celle où il a purgé les deux tiers de sa peine. […] |
Date de libération d’office |
139. (1) Pour l’application du Code criminel, de la Loi sur les prisons et les maisons de correction, de la Loi sur le transfèrement international des délinquants et de la présente loi, le délinquant qui est assujetti à plusieurs peines d’emprisonnement est réputé n’avoir été condamné qu’à une seule peine commençant le jour du début de l’exécution de la première et se terminant à l’expiration de la dernière. |
Peines multiples |
Les dispositions législatives suivantes de la LSCMLSC, qui s’appliquaient avant que les modifications à cette loi entrent en vigueur le 13 juin 2012 et le 23 octobre 2012, sont pertinentes :
2. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente partie. […] |
Définitions |
« peine » ou « peine d’emprisonnement » S’entend notamment d’une peine spécifique imposée en vertu de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents et d’une peine d’emprisonnement imposée par une entité étrangère à un Canadien qui a été transféré au Canada sous le régime de la Loi sur le transfèrement international des délinquants. […] |
« peine » ou « peine d’emprisonnement » “sentence” |
120.1 (1) Le délinquant dont la peine d’emprisonnement n’est pas expirée et qui est condamné à une peine d’emprisonnement supplémentaire à purger à la suite de l’autre n’est pas admissible à la libération conditionnelle totale avant d’avoir purgé, à la fois, depuis le jour où il s’est vu infliger cette peine supplémentaire : a) le reste du temps d’épreuve relatif à la peine que le délinquant purgeait déjà lorsqu’il s’est vu imposer la peine supplémentaire; b) le temps d’épreuve relatif à cette peine supplémentaire. |
Peine supplémentaire consécutive |
(2) Par dérogation au paragraphe (1), le délinquant dont la peine d’emprisonnement n’est pas expirée et qui est condamné à une peine supplémentaire à purger après une partie de la peine en cours n’est admissible à la libération conditionnelle totale qu’à la plus éloignée des dates suivantes : a) la date à laquelle il a accompli le temps d’épreuve sur la peine qu’il purge au moment de la condamnation à la peine supplémentaire; b) la date à laquelle il a accompli le temps d’épreuve sur la peine supplémentaire, déterminé à compter de la date de la condamnation à celle-ci; c) la date à laquelle il a accompli le temps d’épreuve requis par rapport à la peine d’emprisonnement déterminée conformément au paragraphe 139(1). |
Peine supplémentaire à purger après une partie de la peine |
Les dispositions législatives suivantes, tirées de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, L.C. 2002, ch. 1 (LSJPA) sont pertinentes :
42. […] |
|
(2) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, dans le cas où il déclare un adolescent coupable d’une infraction et lui impose une peine spécifique, le tribunal lui impose l’une des sanctions ci-après en la combinant éventuellement avec une ou plusieurs autres compatibles entre elles; dans le cas où l’infraction est le meurtre au premier ou le meurtre au deuxième degré au sens de l’article 231 du Code criminel, le tribunal lui impose la sanction visée à l’alinéa q) ou aux sous-alinéas r)(ii) ou (iii) et, le cas échéant, toute autre sanction prévue au présent article qu’il estime indiquée : […] q) l’imposition par ordonnance : (i) dans le cas d’un meurtre au premier degré, d’une peine maximale de dix ans consistant, d’une part, en une mesure de placement sous garde, exécutée de façon continue, pour une période maximale de six ans à compter de sa mise à exécution, sous réserve du paragraphe 104(1) (prolongation de la garde), et, d’autre part, en la mise en liberté sous condition au sein de la collectivité conformément à l’article 105, (ii) dans le cas d’un meurtre au deuxième degré, d’une peine maximale de sept ans consistant, d’une part, en une mesure de placement sous garde, exécutée de façon continue, pour une période maximale de quatre ans à compter de sa mise à exécution, sous réserve du paragraphe 104(1) (prolongation de la garde), et, d’autre part, en la mise en liberté sous condition au sein de la collectivité conformément à l’article 105; |
Peine spécifique |
La disposition suivante du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑34 est pertinente :
743.5 (1) Lorsqu’un adolescent ou un adulte assujetti à une décision rendue au titre des alinéas 20(1)k) ou k.1) de la Loi sur les jeunes contrevenants, chapitre Y-1 des Lois révisées du Canada (1985), ou à une peine spécifique imposée en vertu des alinéas 42(2)n), o), q) ou r) de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents est ou a été condamné à une peine d’emprisonnement pour une infraction, le reste de la décision prononcée ou de la peine spécifique imposée est purgée, pour l’application de la présente loi ou de toute autre loi fédérale, comme si elle avait été prononcée ou imposée au titre de la présente loi. |
Transfert de compétence |