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A-378-11

2012 CAF 284

Canada Moon Shipping Co. Ltd. et Fednav International Ltd. (appelantes)

c.

Companhia Siderurgica Paulista – COSIPA (intimée)

et

T. Co. Metals LLC (demanderesse)

Répertorié : T. Co. Metals LLC c. Federal Ems (Navire)

Cour d’appel fédérale, juges Pelletier, Gauthier et Mainville, J.C.A.—Montréal, 26 mars; Ottawa, 8 novembre 2012.

Droit maritime — Transport de marchandises — Contrats — Interprétation des lois — Pratique — Suspension des procédures — Appel d’une décision de la Cour fédérale accueillant l’appel de l’ordonnance d’un protonotaire et accordant la suspension de la procédure de mise en cause en faveur d’un arbitrage demandée par l’intimée (COSIPA) — COSIPA et Fednav International Ltd. (Fednav) ont conclu une charte-partie au voyage visant le transport de produits de l’acier par un navire appartenant à Canada Moon Shipping Co. Ltd. (Canada Moon) — COSIPA a délivré une lettre de garantie exonérant Fednav de toute responsabilité pour tout éventuel dommage causé à la marchandise — Des connaissements renfermaient une disposition stipulant que les parties étaient assujetties à la charte-partie au voyage et à la clause d’arbitrage — La demanderesse, T. Co. Metals, a introduit contre Canada Moon et Fednav une action devant la Cour fédérale pour les dommages causés à la cargaison — Canada Moon et Fednav ont nié toute responsabilité, ont affirmé que COSIPA était responsable et ont conjointement mis en cause COSIPA — COSIPA a présenté une requête en suspension de la procédure de mise en cause au motif que les parties avaient convenu de soumettre à l’arbitrage tout différend qui pourrait résulter de la charte-partie — La Cour fédérale a conclu que l’art. 46(1) de la Loi sur la responsabilité en matière maritime (la Loi) ne s’appliquait pas aux chartes-parties, et donc que la clause d’arbitrage s’appliquait — Il s’agissait de déterminer en l’espèce 1) si COSIPA avait droit à la suspension de la procédure de mise en cause la visant introduite par Fednav, 2) si COSIPA avait droit à la suspension de la procédure de mise en cause la visant introduite par Canada Moon et 3) si le Canada était un forum non conveniens quant à la mise en cause — L’expression « contrat de transport de marchandises par eau » à l’art. 46(1) de la Loi n’inclut pas les chartes-parties — Compte tenu de l’objet général de la partie 5 de la LRMM et de la situation que l’art. 46 visait à réformer (c.-à-d. les clauses de compétence et d’arbitrage types dictées par les transporteurs), et compte tenu de la réalité commerciale particulière qui conduit à la conclusion de chartes-parties, la Cour fédérale a eu raison de conclure que la charte-partie au voyage en cause n’était pas visée par l’art. 46(1) — La conclusion de la Cour fédérale selon laquelle la lettre de garantie était une modification de la charte-partie conclue avec Fednav était logique et étayée par la preuve en l’espèce — Fednav était tenue de soumettre à l’arbitrage ses différends avec COSIPA — Ce n’était pas le cas de Canada Moon — COSIPA ne pouvait pas se fonder sur la clause d’arbitrage de la charte-partie puisque Canada Moon n’est pas partie à ce contrat — Quant à la lettre de garantie, elle n’oblige pas Canada Moon à recourir à l’arbitrage pour bénéficier de l’indemnisation — Canada Moon n’était pas tenue de soumettre les différends à l’arbitrage — Le bien-fondé de l’allégation selon laquelle le Canada est un forum non conveniens n’a pas été démontré — Appel accueilli.

Il s’agissait d’un appel d’une décision de la Cour fédérale d’accueillir l’appel de la décision d’un protonotaire et d’accorder la suspension de la procédure de mise en cause en faveur d’un arbitrage demandée par l’intimée (COSIPA).

COSIPA et Fednav ont conclu une charte-partie au voyage visant le transport du Brésil au Canada de produits de l’acier. Le MS Federal Ems, navire appartenant à Canada Moon, a servi au transport de la cargaison. Un différend est survenu entre COSIPA et Fednav avant le chargement quant à l’utilisation de membranes de plastique protégeant la cargaison. Par conséquent, COSIPA a délivré une lettre de garantie exonérant Fednav de toute responsabilité pour tout éventuel dommage causé à la marchandise en raison de l’humidité. Deux connaissements renfermaient une disposition stipulant que les parties étaient assujetties à la charte-partie au voyage et à la clause d’arbitrage. La demanderesse, à titre de détentrice et d’endossataire des connaissements, a introduit contre Canada Moon et Fednav une action devant la Cour fédérale pour les dommages causés à la cargaison. Canada Moon et Fednav ont nié avoir chargé la cargaison et ont affirmé que COSIPA ou la demanderesse avaient effectué cette opération. Elles ont également soutenu que les connaissements étaient expressément assujettis aux modalités et aux conditions stipulées à la charte-partie. En même temps, elles ont conjointement mis en cause COSIPA et ont déclaré que, si l’utilisation de membranes de plastique pour emballer la cargaison avait causé les dommages, COSIPA avait convenu par la lettre de garantie de les indemniser pour les pertes. COSIPA a répondu en présentant une requête en suspension de la procédure de mise en cause au motif que les parties avaient convenu de soumettre à l’arbitrage, à New York, tout différend qui pourrait résulter de la charte-partie.

Le protonotaire a rejeté la requête en suspension de COSIPA. Il a conclu que le contrat liant COSIPA et Fednav était avant tout la charte-partie au voyage et non les connaissements, et que la lettre de garantie remise par COSIPA à Fednav devait être vue comme une modification à la charte-partie au voyage conclue entre celles-ci. Le protonotaire a refusé de donner effet à la clause d’arbitrage de la charte-partie au voyage, étant donné qu’il a conclu que cette charte-partie était un « contrat de transport de marchandises par eau » au sens de l’article 46 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime (LRMM). En ce qui concerne l’argument de COSIPA selon lequel les tribunaux canadiens constituaient un forum non conveniens, le protonotaire a examiné les facteurs énoncés dans l’arrêt Spar Aerospace Ltée c. American Mobile Satellite Corp., puis a conclu que ces facteurs n’étaient pas d’un poids suffisant pour écarter le tribunal choisi. Il a par conséquent rejeté la requête en suspension de la procédure de mise en cause.

En accueillant l’appel de COSIPA, la Cour fédérale a conclu que le paragraphe 46(1) ne s’appliquait pas aux chartes-parties. La Cour a également confirmé que le contrat conclu entre Fednav et COSIPA était principalement fondé sur la charte-partie plutôt que sur les connaissements et a conclu comme le protonotaire que la lettre de garantie devait être considérée comme une modification de la charte-partie et non comme une entente distincte. En conséquence, elle a suspendu la procédure de mise en cause devant la Cour fédérale en attendant l’issue de l’arbitrage à New York en conformité avec les modalités de la charte-partie au voyage. Étant donné cette conclusion, le juge n’avait pas à traiter de la requête fondée sur le principe du forum non conveniens.

Les questions à trancher étaient donc les suivantes : 1) COSIPA avait-elle droit à la suspension de la procédure de mise en cause la visant introduite par Fednav? 2) COSIPA avait-elle droit à la suspension de la procédure de mise en cause la visant introduite par Canada Moon? 3) S’il est répondu par la négative à l’une ou l’autre question, le Canada était-il un forum non conveniens quant à la mise en cause?

Arrêt : l’appel doit être accueilli.

En ce qui a trait à l’interprétation du paragraphe 46(1), l’approche générale de la Cour fédérale était justifiée. En conformité avec la règle moderne d’interprétation, il faut lire la disposition légale en cause dans son contexte global avant de conclure qu’il n’y a pas d’ambiguïté. Une cour doit examiner l’ensemble de la preuve, directe et indirecte, relative à l’objet de la Loi et de la disposition en cause ainsi que le contexte juridique dans lequel la Loi a été adoptée, y compris la situation à réformer. Tous les éléments pris en compte par la Cour fédérale étaient admissibles, l’interprétation ultime à donner étant fonction du poids accordé à chacun. En l’espèce, la Cour fédérale n’a pas accordé un poids trop grand aux éléments qu’on lui avait présentés. S’agissant de dispositions légales qui traitent des droits et obligations des transporteurs généraux et qui mettent en œuvre des règles internationales, l’expression « transport de marchandises par eau » n’inclut pas et ne doit pas être interprétée comme incluant les chartes-parties. Compte tenu de l’objet général de la partie 5 de la LRMM et de la situation que l’article 46 visait à réformer (c’est-à-dire les clauses de compétence et d’arbitrage types dictées par les transporteurs au détriment des importateurs et exportateurs canadiens devenus parties aux contrats en cause), et compte tenu de la réalité commerciale particulière qui conduit à la conclusion de chartes-parties, la Cour fédérale a eu raison de conclure que la charte-partie au voyage en cause n’était pas visée par le paragraphe 46(1).

La conclusion de la Cour fédérale selon laquelle la lettre de garantie était une modification de la charte-partie conclue avec Fednav était logique et amplement étayée par la preuve qui lui avait été présentée. La Cour fédérale n’a pas commis une erreur manifeste et dominante qui justifierait l’intervention de la Cour. Fednav était par conséquent tenue par l’entente de soumettre à l’arbitrage à New York ses différends avec COSIPA.

En ce qui concerne la suspension de la procédure de mise en cause intentée par Canada Moon contre COSIPA, elle se fonde aussi sur la charte-partie au voyage intégrée par renvoi dans les connaissements, à l’égard de tout dommage causé par COSIPA dans l’exécution de ses activités au Brésil, et se fonde également sur la lettre de garantie, à l’égard de tout dommage résultant, le cas échéant, de l’utilisation de membranes de plastique pour protéger la cargaison. En contexte commercial, l’arbitrage constitue un mode de règlement des différends choisi par les parties. Par conséquent, pour obliger Canada Moon à accepter l’arbitrage de sa créance, COSIPA devait démontrer que Canada Moon avait consenti directement ou implicitement à l’arbitrage. La clause d’arbitrage qui fait partie des conditions du connaissement est un bon exemple de consentement implicite à l’arbitrage puisque, en l’absence d’intervention du législateur, elle lierait Canada Moon. COSIPA ne pouvait toutefois pas se fonder sur ce consentement à l’arbitrage puisque le paragraphe 46(1) reçoit application. Par ailleurs, COSIPA a soutenu qu’elle n’était pas partie au contrat attesté par les connaissements. COSIPA ne pouvait non plus se fonder a priori sur la clause d’arbitrage de la charte-partie puisque Canada Moon n’est pas partie à ce contrat. En droit, l’intégration par renvoi d’un contrat distinct auquel l’intéressé n’est pas partie — la charte-partie au voyage en l’espèce — ne peut rendre Canada Moon partie à ce contrat.

Quant à la lettre de garantie, Canada Moon a soutenu qu’il s’agissait d’une entente autonome qui ne renfermait aucune clause d’arbitrage et donc qu’il lui était loisible de faire valoir sa demande d’indemnisation par mise en cause. COSIPA a pour sa part soutenu que la conclusion voulant que la lettre de garantie soit une modification de la charte-partie peut toujours être valable, étant donné qu’il était loisible à Fednav et COSIPA de prévoir dans leur contrat une stipulation pour le bénéfice d’une tierce partie, en l’occurrence le propriétaire du navire, Canada Moon.

La question du caractère exécutoire de clauses contractuelles au bénéfice d’une tierce partie pose le problème du lien contractuel. Normalement, Canada Moon ne pourrait pas, en tant qu’étrangère au contrat, se prévaloir des dispositions de la charte-partie ni être soumise à ses obligations. Toutefois, le droit a évolué et la règle du lien contractuel compte maintenant des exceptions de principe. On voit mal pourquoi des règles de droit empêcheraient des parties de conférer un avantage, par leur contrat, à une personne qui lui est étrangère. La question du lien contractuel revêt toutefois un aspect différent lorsque les parties veulent cette fois, par leur contrat, imposer une obligation à un étranger. Or, COSIPA tentait en l’espèce d’imposer à Canada Moon une obligation qu’elle n’avait par ailleurs pas lorsque la lettre de garantie a été établie. L’absence de toute mention d’une clause d’arbitrage dans la lettre de garantie est fort révélatrice de l’intention des parties. Les parties avaient conscience des circonstances dans lesquelles l’indemnisation serait utile pour Canada Moon et elles ont rédigé la lettre de garantie en conséquence. Il n’est pas nécessaire d’assujettir l’indemnisation à la clause d’arbitrage pour qu’il y ait efficacité commerciale. Même si l’on admet que la lettre de garantie était une modification de la charte-partie, si on l’interprète convenablement, la charte-partie modifiée n’oblige pas Canada Moon à recourir à l’arbitrage pour bénéficier de l’indemnisation. Il ne s’agit pas d’un bénéfice assorti d’une réserve. L’erreur commise par la Cour fédérale (la conclusion selon laquelle tous les intéressés étaient des parties à la charte-partie) a influé sur sa conclusion finale concernant Canada Moon. COSIPA ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait de démontrer que Canada Moon était tenue de soumettre à l’arbitrage le différend lié à la mise en cause.

En ce qui concerne la question de savoir si le Canada est un forum non conveniens, le bien-fondé de cette allégation n’a pas été démontré.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Carriage of Goods by Sea Act 1991 (Cth.), No. 160, 1991.

Loi du transport des marchandises par eau, 1936, S.C. 1936, ch. 49.

Loi sur la commercialisation des services de navigation aérienne civile, L.C. 1996, ch. 20, art. 55.

Loi sur la Convention des Nations Unies concernant les sentences arbitrales étrangères, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 16.

Loi sur la responsabilité en matière maritime, L.C. 2001, ch. 6, art. 43, 45, 46.

Loi sur l’arbitrage commercial, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 17.

Loi sur le transport des marchandises par eau, L.C. 1993, ch. 21.

TRAITÉS ET AUTRES INSTRUMENTS CITÉS

Code d’arbitrage commercial, qui constitue l’annexe 1 de la Loi sur l’arbitrage commercial, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 17, art. 1-3, 8-1.

Convention des Nations Unies sur le contrat de transport international de marchandises effectué entièrement ou partiellement par mer, New York, 11 décembre 2008 (Règles de Rotterdam) http://www.uncitral.org/pdf/french/texts/transport/Rotterdam_Rules/09-85609_Ebook.pdf.

Convention des Nations Unies sur le transport de marchandises par mer, 1978, conclu à Hambourg le 31 mars 1978, qui constitue l’annexe 4 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime, L.C. 2001, ch. 6 (règles de Hambourg), art. 2, 21, 22.

Convention internationale pour l’unification de certaines règles en matière de connaissement, conclue à Buxelles, 25 août 1924, et protocole conclu à Bruxelles, 23 février 1968 et protocole supplémentaire conclu à Bruxelles, 21 décembre 1979, qui constitue l’annexe 3 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime, L.C. 2001, ch. 6 (règles de La Haye-Visby), art. III(8), X.

Convention internationale pour l’unification de certaines règles en matière de connaissement et Protocole de signature, Bruxelles, 25 août 1924 (règles de la Haye).

JURISPRUDENCE CITÉE

décisions examinées :

Seidel c. TELUS Communications Inc., 2011 CSC 15, [2011] 1 R.C.S. 531; Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601; Canada 3000 Inc. (Re); Inter-Canadien (1991) Inc. (Syndic de), 2006 CSC 24, [2006] 1 R.C.S. 865; Club Resorts Ltd. c. Van Breda, 2012 CSC 17, [2012] 1 R.C.S. 572; Breeden c. Black, 2012 CSC 19, [2012] 1 R.C.S. 666.

décisions citées :

Spar Aerospace Ltée c. American Mobile Satellite Corp., 2002 CSC 78, [2002] 4 R.C.S. 205; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; Magic Sportswear Corp. c. Mathilde Maersk (Le), 2006 CAF 284, [2007] 2 R.C.F. 733; Carnival Cruise Lines Inc. v. Shute, 499 U.S. 85 (1991); Vimar Seguros y Reaseguros, S.A. v. The M/V Sky Reefer, 515 U.S. 528 (1995); London Drugs Ltd. c. Kuehne & Nagel International Ltd., [1992] 3 R.C.S. 299; Fraser River Pile & Dredge Ltd. v. Can-Dive Services Ltd., [1999] 3 S.C.R. 108; President of India v. Metcalfe Shipping Co. Ltd., [1970] 1 Q.B. 289 (C.A.); Rodocanachi v. Milburn (1887), 18 Q.B.D. 67 (C.A.).

DOCTRINE CITÉE

Bibliothèque du Parlement. Direction de la recherche parlementaire. Résumé législatif LS-377F. Projet de loi S-2: Loi sur la responsabilité en matière maritime, en ligne : <http://www.parl.gc.ca/Content/LOP/LegislativeSummaries/37/1/s2-f.pdf>.

Gold, Edgar et al. Maritime Law. Toronto : Irwin Law, 2003.

Sullivan, Ruth. Sullivan on the Construction of Statutes, 5e éd. Markham, Ont. : LexisNexis Canada, 2008.

Tetley, William. Marine Cargo Claims, 4e éd. Cowansville, Qué. : Yvon Blais, 2008.

Wilson, John F. Carriage of Goods by Sea, 6e éd. Harlow, Angleterre : Pearson/Longman, 2008.

APPEL d’une décision de la Cour fédérale (2011 CF 1067, [2013] 2 R.C.F. 510) d’accueillir l’appel d’une décision d’un protonotaire (2011 CF 291, 387 F.T.R. 65) et d’accorder la suspension de la procédure de mise en cause en faveur d’un arbitrage demandée par l’intimée. Appel accueilli.

ONT COMPARU

David G. Colford pour les appelantes.

Jean-Marie Fontaine et Peter Pamel pour l’intimée.

Paul Blanchard pour la demanderesse.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Brisset Bishop, Montréal, pour les appelantes.

Borden Ladner Gervais, S.E.N.C.R.L., S.R.L., Montréal, pour l’intimée.

Stikeman Elliott, S.E.N.C.R.L., s.r.l., Montréal, pour la demanderesse.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

La juge Gauthier, J.C.A. :

INTRODUCTION

[1]        La principale question en litige dans la présente affaire concerne l’effet à donner à la clause d’arbitrage d’une charte‑partie au voyage. La situation est la suivante : le détenteur et endossataire contre valeur des connaissements poursuit le propriétaire du navire et l’affréteur à temps pour dommages à la cargaison, et ceux‑ci poursuivent l’affréteur par voie de mise en cause. Dans une décision publiée sous la référence 2011 CF 291, le protonotaire Morneau (le protonotaire) a rejeté la requête de l’affréteur en vue d’obtenir la suspension de la procédure de mise en cause en faveur d’un arbitrage, comme le disposait la charte‑partie, ainsi qu’en raison de la règle du forum non conveniens. En appel, le juge Scott de la Cour fédérale (le juge) a accueilli l’appel et accordé la suspension demandée dans une décision publiée sous la référence 2011 CF 1067, [2013] 2 R.C.F. 510. Cette décision est maintenant portée en appel devant notre Cour.

LES FAITS

[2]        Les faits sont exposés de manière assez détaillée aux paragraphes 4 à 19 de la décision du protonotaire. On peut les résumer comme suit aux fins des présentes.

[3]        Vers le 22 juillet 2004, la Companhia Siderurgica Paulista (COSIPA) et Fednav International Ltd. (Fednav) ont conclu une charte‑partie au voyage, rédigée selon la formule Gencon, visant le transport du Brésil au Canada de produits d’acier (la cargaison). Le MS Federal Ems, navire appartenant à Canada Moon Shipping Co. Ltd. (Canada Moon), a servi au transport de la cargaison. Le navire était exploité conformément à une charte‑partie à temps conclue entre Canada Moon et Fednav.

[4]        Il convient de noter que deux sociétés Fednav sont parties à ces transactions, soit Fednav International Ltd. et Fednav Limited. Les parties conviennent qu’aux fins du présent différend, on peut considérer chacune des deux sociétés comme la mandataire de l’autre, de manière à éviter les divergences entre les positions de l’une et de l’autre. Je désire toutefois souligner que, tel que je le préciserai plus loin, le juge est parvenu à la conclusion de fait que Fednav Limited a agi à titre de mandataire de Canada Moon lorsqu’elle a cherché à obtenir une lettre de garantie de COSIPA.

[5]        La clause 5(a) de la charte‑partie au voyage traite des responsabilités entourant le chargement et le déchargement de la cargaison, tandis que la clause 45E) traite de l’utilisation de membranes de plastique pour emballer la cargaison :

[traduction]

5. […]

(a) […]

La cargaison est mise en cale, chargée, arrimée et/ou fixée solidement, comptée, attachée et/ou stabilisée par les affréteurs et est sortie de cale et déchargée par les réceptionnaires, sans que les propriétaires du navire soient exposés à quelque risque, responsabilité ou frais de quelque sorte que ce soit. Les affréteurs fournissent et installent le bois de calage nécessaire pour bien arrimer et protéger la cargaison à bord et les propriétaires permettent l’utilisation de tout le bois de calage se trouvant à bord.

[…]

45E) […] 

Les propriétaires garantissent que les membranes de plastique avec lesquelles les affréteurs/expéditeurs emballent la cargaison au port d’embarquement pour la protéger au cours du transport ne seront retirées qu’au moment du déchargement de la cargaison au port de déchargement respectif.

Les propriétaires sont entièrement responsables de toute pénalité, frais et dépenses supplémentaires auxquels les affréteurs peuvent être exposés en cas de défaut par les propriétaires de respecter cette condition.

[6]        Un différend est survenu entre COSIPA, le capitaine du navire et Fednav avant le chargement quant à l’utilisation de membranes de plastique protégeant la cargaison. Pour régler le différend et à la demande de Fednav Limited agissant tant pour le compte de Canada Moon que de Fednav, l’affréteur coque nue, COSIPA, a délivré une lettre de garantie adressée à Fednav Limited. Cette lettre, datée du 10 novembre 2004, faisait mention de la charte‑partie au voyage. Voici le passage important de cette lettre :

[traduction] À la condition que les propriétaires/capitaine s’assurent du bon fonctionnement du système de ventilation du navire pendant toute la durée du voyage, les affréteurs confirment par la présente qu’ils dégagent le capitaine, le navire, les propriétaires et les administrateurs de toute responsabilité, et les exonérant à l’avance de toute responsabilité pour tout éventuel dommage causé à la marchandise en raison d’une condensation d’humidité sous la membrane de plastique par suite de la ventilation réduite de la cargaison.

[7]        Deux connaissements à l’ordre de T. Co. Metals LLC ont été établis au nom du capitaine du navire, l’un le 16 novembre 2004 et l’autre le 18 du même mois, à l’intention de COSIPA, à titre d’expéditeur. Chaque connaissement renfermait la disposition suivante : [traduction] « Sous réserve des modalités, conditions et exceptions stipulées à la charte‑partie du 26 [sic] juillet 2004 à Rio de Janeiro, y compris sa clause d’arbitrage. » COSIPA a négocié les connaissements transférables et T. Co. Metals LLC (T. Co. Metals) les a présentés pour obtenir la livraison au Canada de la cargaison qui y était décrite. Bien que, plusieurs fois dans ses motifs (voir les paragraphes 52, 58, 59, 76 et 91), le juge ait mentionné que COSIPA était le détenteur des connaissements pendant toute la période pertinente, les parties conviennent que cette affirmation est erronée.

[8]        Le 20 octobre 2008, T. Co. Metals a introduit contre Canada Moon et Fednav (collectivement, les défenderesses) une action devant la Cour fédérale pour les dommages causés à la cargaison.

[9]        T. Co. Metals allègue dans sa déclaration que les défenderesses ont reçu la cargaison en bon état au port de chargement en vue de son transport et de sa livraison dans le même état à Toronto. Elle soutient que les défenderesses, en violation de leur contrat, n’ont pas chargé la cargaison en toute sécurité et ne l’ont pas livrée en bon état. T. Co. Metals ajoute que les défenderesses ont fait preuve de négligence. T. Co. Metals intente son action à titre de détenteur et d’endossataire contre valeur des connaissements visant le transport de la cargaison endommagée.

[10]     Les défenderesses ont produit une défense conjointe. Elles y ont nié avoir été tenues de charger, d’arrimer, de décharger ou d’entreposer la cargaison, ou de l’avoir fait, et affirment que COSIPA (au Brésil) ou T. Co. Metals (à Toronto) ont effectué ces opérations. Les défenderesses soutiennent que les connaissements négociés en faveur de T. Co. Metals étaient expressément assujettis aux modalités, conditions et exceptions stipulées à la charte‑partie conclue le 22 juillet 2004 à Rio de Janeiro, y compris sa clause 5(a) précitée.

[11]     En même temps qu’elles ont déposé leur défense, les défenderesses ont conjointement mis en cause COSIPA, en faisant valoir les modalités de la charte‑partie, en particulier sa clause 5(a), et le fait que COSIPA était celle qui avait chargé, arrimé, compté, attaché et stabilisé la cargaison. Les défenderesses ont également déclaré que, si l’utilisation de membranes de plastique pour emballer la cargaison avait causé les dommages, COSIPA avait convenu par la lettre de garantie de les indemniser pour les pertes.

[12]     Les défenderesses ont obtenu de la Cour fédérale la délivrance d’une lettre rogatoire pour signifier leur mise en cause à COSIPA.

[13]     COSIPA a répondu en présentant une requête en suspension de la procédure de mise en cause au motif que les parties avaient convenu de soumettre à l’arbitrage, à New York, tout différend qui pourrait résulter de la charte‑partie.

LES DÉCISIONS DE LA COUR FÉDÉRALE

[14]     Le protonotaire a rejeté la requête en suspension de COSIPA. Il a conclu a) que le contrat liant COSIPA et Fednav était avant tout la charte‑partie au voyage et non les connaissements, b) que la lettre de garantie remise par COSIPA à Fednav devait être vue comme une modification à la charte‑partie au voyage conclue entre celles‑ci.

[15]     Le protonotaire n’a pas traité expressément de la position défendue par Canada Moon.

[16]     Le protonotaire a toutefois refusé de donner effet à la clause d’arbitrage de la charte‑partie au voyage, étant donné qu’il a conclu que cette charte‑partie était un « contrat de transport de marchandises par eau » au sens du paragraphe 46(1) de la Loi sur la responsabilité en matière maritime, L.C. 2001, ch. 6 (la Loi), reproduit ci‑après par souci de commodité :

46. (1) Lorsqu’un contrat de transport de marchandises par eau, non assujetti aux règles de Hambourg, prévoit le renvoi de toute créance découlant du contrat à une cour de justice ou à l’arbitrage en un lieu situé à l’étranger, le réclamant peut, à son choix, intenter une procédure judiciaire ou arbitrale au Canada devant un tribunal qui serait compétent dans le cas où le contrat aurait prévu le renvoi de la créance au Canada, si l’une ou l’autre des conditions suivantes existe :

a) le port de chargement ou de déchargement — prévu au contrat ou effectif — est situé au Canada;

b) l’autre partie a au Canada sa résidence, un établissement, une succursale ou une agence;

c) le contrat a été conclu au Canada.

Créances non assujetties aux règles de Hambourg

[17]     Le protonotaire a conclu que les chartes‑parties étaient visées par l’expression « contrat de transport de marchandises par eau » et que, si le législateur avait souhaité qu’elles ne tombent pas sous le coup de l’article 46 de la Loi, il aurait pu le faire facilement en adoptant un libellé semblable à celui des règles de Hambourg [Convention des Nations Unies sur le transport de marchandises par mer, 1978] (annexe 4 de la Loi, articles 2 et 21), qui confirme leur exclusion.

[18]     COSIPA a aussi soutenu que la procédure de mise en cause devrait de toute façon être suspendue puisque les tribunaux canadiens constituaient un forum non conveniens. Le protonotaire a examiné chacun des facteurs énoncés dans l’arrêt Spar Aerospace Ltée c. American Mobile Satellite Corp., 2002 CSC 78, [2002] 4 R.C.S. 205 (Spar Aerospace), puis a conclu que ces facteurs n’étaient pas d’un poids suffisant pour écarter le tribunal choisi par la défenderesse. Le protonotaire a par conséquent rejeté la requête en suspension de la procédure de mise en cause.

[19]     Le juge a accueilli l’appel interjeté par COSIPA de la décision du protonotaire. Contrairement à ce dernier, le juge a conclu que le paragraphe 46(1) de la Loi ne s’appliquait pas aux chartes‑parties comme telles. Avant d’arriver à cette conclusion, le juge a examiné avec soin les termes de la Loi dans leur sens ordinaire, l’économie de la Loi, l’objet de la Loi, l’intention du législateur et les obligations internationales du Canada.

[20]     Bien que le juge ait conclu que le sens ordinaire de l’expression « contrat de transport de marchandises par eau » au paragraphe 46(1) de la Loi était de portée suffisamment large pour inclure les chartes‑parties, il a néanmoins conclu qu’en raison du contexte, ce paragraphe ne leur était pas applicable.

[21]     Canada Moon a également fait valoir devant le juge qu’en tout état de cause, sa situation différait de celle de Fednav puisque sa relation contractuelle avec COSIPA était régie par les connaissements. Par conséquent, le paragraphe 46(1) de la Loi, même s’il ne s’appliquait pas à la charte‑partie au voyage, s’appliquait sans aucun doute au contrat constaté par les connaissements. COSIPA a répondu qu’elle n’était pas partie à ce contrat. Canada Moon a en outre soutenu qu’en ce qui la concernait, on ne pouvait considérer que la lettre de garantie était une modification de la charte‑partie (même si c’en était une à l’égard de Fednav) puisqu’elle n’avait jamais été partie à la charte‑partie.

[22]     Le juge a confirmé que le contrat intervenu entre Fednav et COSIPA se retrouvait principalement dans la charte‑partie plutôt que dans les connaissements. Il n’a pas souscrit à la thèse de Canada Moon selon laquelle les connaissements régissaient la relation de celle‑ci avec COSIPA. Après avoir erronément indiqué que les connaissements étaient demeurés pendant toute la période pertinente entre les mains de COSIPA, le juge a conclu qu’ils n’avaient valeur que de preuve de réception des marchandises chargées à bord du navire (paragraphe 59 des motifs).

[23]     Le juge a également tiré la conclusion suivante :

• Mais surtout, les défendeurs admettent que les connaissements intégraient par renvoi la charte‑partie rédigée selon la formule Gencon. Ainsi, la charte‑partie demeurerait le contrat applicable en ce qui concerne le transport des marchandises entre les défendeurs (Fednav et Canada Moon) et l’appelante.

[24]     Le juge a ensuite conclu comme le protonotaire que, dans les circonstances, la lettre de garantie devait être considérée comme une modification de la charte‑partie et non comme une entente distincte intervenue entre les parties.

[25]     Le juge a par conséquent suspendu la procédure de mise en cause devant la Cour fédérale en attendant l’issue de l’arbitrage à New York en conformité avec les modalités de la charte‑partie au voyage. Étant donné cette conclusion, le juge n’avait pas à traiter de la requête fondée sur le principe du forum non conveniens.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[26]     La question essentielle à trancher dans le présent appel concerne la façon dont il convient de statuer sur la requête de COSIPA visant l’obtention d’une ordonnance suspendant la procédure de mise en cause en faveur de la procédure d’arbitrage prévue dans la charte‑partie au voyage. Comme je conviens que la position de Canada Moon diffère de celle de Fednav quant à la charte‑partie, je les examinerai de manière distincte.

[27]     Pour ce qui est de Fednav, la principale question concerne l’application du paragraphe 46(1) de la Loi aux chartes‑parties. Quant à Canada Moon, la question première concerne la juste interprétation à donner à la lettre de garantie et consiste plus particulièrement à savoir si l’indemnisation offerte par COSIPA peut uniquement être mise à exécution par voie d’arbitrage et si les connaissements démontrent l’existence d’un contrat distinct de transport de marchandises intervenu entre COSIPA et Canada Moon.

[28]     La Cour est donc appelée à trancher les questions suivantes :

1) COSIPA a‑t‑elle droit à la suspension de la procédure de mise en cause la visant introduite par Fednav?

2) COSIPA a‑t‑elle droit à la suspension de la procédure de mise en cause la visant introduite par Canada Moon?

3) S’il est répondu par la négative à l’une ou l’autre question, le Canada est‑il un forum non conveniens quant à la mise en cause?

LA NORME DE CONTRÔLE

[29]     Il s’agit d’un appel de la décision d’une cour de première instance. La norme de contrôle applicable aux questions de droit est celle de la décision correcte, tandis que celle applicable aux questions mixtes de fait et de droit (à l’exception des erreurs de droit isolables) est celle de la décision raisonnable (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, aux paragraphes 8, 10 et 36).

[30]     Sauf en ce qui concerne le sens à donner à l’expression « contrat de transport de marchandises par eau » à l’article 46 de la Loi qui, selon moi, est une question de droit isolable, les autres questions soulevées dans le présent appel sont des questions mixtes de fait et de droit.

COSIPA a‑t‑elle droit à la suspension de la procédure de mise en cause la visant introduite par Fednav?

[31]     Par sa requête, COSIPA veut obliger Fednav à respecter leur entente de soumettre à l’arbitrage tout différend pouvant découler de la charte‑partie. La clause 19(b) de la charte‑partie prévoit ce qui suit :

[traduction]

19 […]

(b) La présente charte‑partie est régie par le titre 9 du Code des États‑Unis et par le droit maritime des États‑Unis, conformément auxquels elle doit être interprétée. En cas de litige découlant de la présente charte‑partie, la question en litige doit être soumise à trois personnes à New York, une personne nommée par chacune des parties aux présentes et la troisième choisie par les deux premières; leur décision majoritaire est définitive et, aux fins de l’exécution de la décision, cette décision constitue le jugement de la Cour. L’instance se déroulera conformément aux règles de la Society of Maritime Arbitrators, Inc.

[32]     Les tribunaux respectent généralement le choix fait par des entités commerciales de régler leurs différends par voie d’arbitrage (Seidel c. TELUS Communications Inc., 2011 CSC 15, [2011] 1 R.C.S. 531, au paragraphe 2) :

En l’absence d’intervention de la législature, les tribunaux donnent généralement effet aux clauses d’un contrat commercial librement conclu dans lequel figure une clause d’arbitrage, et ce, même s’il s’agit d’un contrat d’adhésion.

[33]     En temps normal, Fednav serait donc liée par l’entente d’arbitrage. La question est toutefois de savoir si le législateur est intervenu, et plus particulièrement si le paragraphe 46(1) de la Loi délie Fednav de son consentement à l’arbitrage des différends qui découlent de la charte‑partie. Cette question nécessite à son tour que nous établissions le sens de l’expression « contrat de transport de marchandises par eau » qui figure dans ce paragraphe.

Le sens de l’expression « contrat de transport de marchandises par eau »

[34]     Fednav soutient que le juge a commis une erreur en tenant compte d’instruments extérieurs (en particulier les annexes de la Loi et la transcription de l’audience tenue le 27 mars 2001 devant le Comité permanent des transports et des opérations gouvernementales) après avoir convenu que, de manière générale, les chartes‑parties au voyage pouvaient être visées par le sens ordinaire de cette expression (paragraphe 72 des motifs). Elle affirme qu’aucune ambiguïté ne justifiait le recours à une telle approche.

[35]     D’après Fednav, le juge a fait abstraction du fait que le Canada pouvait fort bien empêcher ou restreindre le recours à l’arbitrage en vertu de la Loi sur la Convention des Nations Unies concernant les sentences arbitrales étrangères, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 16, et de la Loi sur l’arbitrage commercial, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 17. Elle ajoute que le juge a accordé trop de poids aux instruments extérieurs et a interprété incorrectement l’application dans le temps de l’article 46, qu’il a simplement considéré comme une mesure transitoire.

[36]     Selon moi, il ne fait aucun doute que l’approche générale du juge était justifiée. En conformité avec la règle moderne d’interprétation, il faut lire la disposition légale en cause dans son contexte global avant de conclure qu’il n’y a pas d’ambiguïté. Si un juge n’agissait pas ainsi, il appliquerait uniquement du bout des lèvres la règle moderne d’interprétation, tout en revenant en fait à l’ancienne « règle du sens ordinaire ».

[37]     Il convient particulièrement de citer à cet égard le passage suivant de l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601, au paragraphe 47 :

La première partie de l’examen fondé sur le par. 245(4) exige que le tribunal aille au‑delà du simple texte des dispositions et adopte une méthode d’interprétation contextuelle et téléologique en vue de dégager un sens qui s’harmonise avec le libellé, l’objet et l’esprit des dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu. Cela n’a rien de nouveau. Même lorsque le sens de certaines dispositions peut paraître non ambigu à première vue, le contexte et l’objet de la loi peuvent révéler ou dissiper des ambiguïtés latentes. [traduction] « Après tout, le libellé ne peut jamais être interprété indépendamment de son contexte, et l’objectif législatif fait partie de ce contexte. Il semblerait alors que la prise en compte de l’objectif législatif permette non seulement de dissiper les ambiguïtés manifestes, mais aussi de relever, à l’occasion, des ambiguïtés dans un libellé apparemment clair. » Voir P. W. Hogg et J. E. Magee, Principles of Canadian Income Tax Law (4e éd. 2002), p. 563. Pour relever et dissiper toute ambiguïté latente du sens des dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu, les tribunaux doivent adopter une méthode d’interprétation législative textuelle, contextuelle et téléologique unifiée. [Non souligné dans l’original.]

[38]     C’est pour ce motif que la Cour suprême du Canada avait conclu précédemment, au paragraphe 10 invoqué en l’espèce par les appelantes, ce qui suit :

L’incidence relative du sens ordinaire, du contexte et de l’objet sur le processus d’interprétation peut varier, mais les tribunaux doivent, dans tous les cas, chercher à interpréter les dispositions d’une loi comme formant un tout harmonieux.

[39]     Le juge Binnie, qui a rédigé les motifs de la Cour suprême dans l’arrêt Canada 3000 Inc. (Re); Inter-Canadien (1991) Inc. (Syndic de), 2006 CSC 24, [2006] 1 R.C.S. 865, devait décider si le mot « propriétaire », utilisé et défini dans la Loi sur la commercialisation des services de navigation aérienne civile, L.C. 1996, ch. 20 [article 55], englobait le propriétaire en titre. Ce dernier était manifestement englobé selon le sens ordinaire et grammatical du mot « propriétaire ». Le juge Binnie a néanmoins fait remarquer (au paragraphe 45) qu’il était « nécessaire de réserver notre jugement sur la portée exacte du terme “propriétaire” au paragraphe 55(1) et d’examiner d’abord les éléments “contextuels” de la méthode préconisée par Driedger ». En fin de compte, il a accordé davantage de poids à ces derniers éléments et a conclu que l’expression n’englobait pas le propriétaire en titre.

[40]     Ainsi que Ruth Sullivan l’explique dans son ouvrage Sullivan on the Construction of Statutes, 5e éd. (Markham (Ontario), LexisNexis Canada, 2008), à la page 21 :

[traduction] Les textes ne sont pas évidents ou ambigus; ils sont plutôt plus ou moins évidents et plus ou moins ambigus. Les facteurs qui aident à trancher un problème d’interprétation sont multiples et nécessitent de tirer des inférences au sujet du sens et de l’intention qui se dégagent du texte, de s’appuyer sur une preuve non textuelle de l’intention du législateur, d’utiliser des connaissances spécialisées, de faire preuve de bon sens et de respecter les normes juridiques. L’interaction entre ces divers facteurs est complexe. Il ne suffit jamais de dire que les mots ont conduit à tel ou tel résultat.

[41]     En l’espèce, le juge a recouru de manière très prudente aux instruments extérieurs. Le juge a ainsi déclaré ce qui suit au sujet de l’annexe où figurent les règles de Hambourg, qui ne sont pas encore en vigueur au Canada (au paragraphe 75) :

La Cour ne peut invoquer les autres dispositions des règles de Hambourg qui ne font pas partie de la Loi pour interpréter l’article 46, pas plus qu’elle ne peut ignorer le fait que le libellé de l’article 46 s’inspire directement de l’article 21 des règles de Hambourg.

[42]     Le juge n’a rien dit de nouveau quant à l’objet et à l’origine de l’article 46, étant donné que notre Cour avait déjà examiné cette question en détail dans l’arrêt Magic Sportswear Corp. c. Mathilde Maersk (Le), 2006 CAF 284, [2007] 2 R.C.F. 733 (Magic Sportswear), aux paragraphes 56 à 66.

[43]     Les commentaires par ailleurs formulés par le juge sous les titres « Économie de la Loi » et « Objet de la Loi » permettent de constater qu’il a bien compris qu’une cour devait examiner l’ensemble de la preuve, directe et indirecte, relative à l’objet de la Loi et de la disposition en cause ainsi que le contexte juridique dans lequel la Loi a été adoptée, y compris la situation à réformer. À mon avis, tous les éléments pris en compte par le juge étaient admissibles, l’interprétation ultime à donner étant fonction du poids accordé à chacun. C’est en cela que le juge a divergé d’opinion avec le protonotaire — ce dernier ayant privilégié le sens ordinaire des mots du paragraphe 46(1) — et estimé que le sens ordinaire n’avait pas en l’espèce un caractère déterminant.

[44]     Je ne suis pas d’avis que le juge a accordé un poids trop grand aux éléments qu’on lui avait présentés. Quoi qu’il en soit, je vais maintenant expliquer pourquoi je serais arrivée à la même conclusion même en supposant, sans toutefois tirer une conclusion à cet égard, que l’article 46 n’est pas une mesure transitoire, comme l’a soutenu Fednav.

i)         Le contexte juridique

[45]     La partie 5 [articles 41 à 46] de la Loi qui renferme l’article 46 a reproduit essentiellement la loi de 1993 [Loi sur le transport des marchandises par eau, L.C. 1993, ch. 21] mettant en œuvre par étapes deux conventions internationales non ratifiées par le Canada. Pour bien établir le contexte juridique, il sera donc utile d’examiner l’origine de ces conventions, qu’on appellera simplement les règles de La Haye‑Visby [Convention internationale pour l’unification de certaines règles en matière de connaissement, qui constitue l’annexe 3 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime] et les règles de Hambourg, la portée de ces conventions et la situation qu’elles visaient à réformer.

[46]     Au XIXe siècle, comme Edgar Gold et al. l’ont mentionné dans leur ouvrage Maritime Law (Toronto : Irwin Law, 2003), aux pages 433 et 434, on considérait que les transporteurs maritimes généraux étaient, de fait, les assureurs des marchandises qu’ils transportaient. Cette situation a conduit ces transporteurs à inclure des clauses d’exclusion de responsabilité très larges dans les connaissements qu’ils délivraient. Or, selon le principe presque sacro‑saint de la « liberté contractuelle », les tribunaux ont appliqué ces clauses même si, la plupart du temps, il s’agissait de « contrats d’adhésion ». Il s’agissait essentiellement de clauses types imposées par les transporteurs.

[47]     Après une tentative infructueuse de création d’un régime international plus équilibré, un certain nombre d’États, notamment les États‑Unis (en 1893), l’Australie (en 1904), la Nouvelle‑Zélande (en 1908) et le Canada (en 1910), ont adopté ce que l’on pourrait considérer comme la première législation sur la protection des consommateurs, quoique dans la sphère commerciale, qui réglementait les droits et les obligations des transporteurs maritimes découlant des connaissements.

[48]     Comme l’ont souligné les auteurs, [traduction] : « Il est vite devenu évident que la prolifération des textes légaux nationaux imposant des règles différentes aux navires marchands qui, de par la nature de leurs activités, font escale dans différents pays allait créer de la confusion juridique et entraver le commerce » (Maritime Law, précité, à la page 433).

[49]     Ainsi, peu après la création du Comité maritime international (CMI) en 1897, on a tenté d’établir un ensemble de règles internationales uniformes traitant des droits et des obligations des transporteurs aux termes des contrats de transport de marchandises constatés par des connaissements en usage parmi les transporteurs généraux. Il en est résulté les règles de La Haye de 1924 [Convention internationale pour l’unification de certaines règles en matière de connaissement et Protocole de signature, Bruxelles, 25 août 1924], convention qui est entrée en vigueur en 1931. Ces règles ont été très largement adoptées dans le monde. Le Canada a intégré ces règles à sa législation nationale en 1936 [Loi du transport des marchandises par eau, 1936, S.C. 1936, ch. 49].

[50]     Diverses avancées technologiques dans le domaine du commerce maritime, par exemple l’utilisation de conteneurs, ont rendu nécessaires la mise à jour et la révision des règles de La Haye. Ainsi, les règles de La Haye‑Visby ont été adoptées en 1968.

[51]     Par la suite, au milieu des années 1970, la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international (la CNUDCI) s’est intéressée pour la première fois à ce sujet et a travaillé à l’élaboration d’une nouvelle convention relative au transport de marchandises par mer. Il en est résulté cette fois les règles de Hambourg de 1978. Ces règles devaient aussi s’appliquer à de nouveaux types de documents de transport par mer utilisés par les transporteurs généraux — les lettres de transport maritime, par exemple, dotées de caractéristiques différentes de celles des connaissements traditionnels. Ces règles prévoyaient notamment des limites de responsabilité plus élevées, et moins de cas d’irresponsabilité, que les règles de La Haye‑Visby. Elles s’appliquaient aussi au transport en provenance tout autant qu’à destination d’un État contractant, et comportaient pour la première fois des dispositions détaillées sur la compétence et les clauses d’arbitrage (articles 21 et 22).

[52]     Tel qu’il est mentionné dans Maritime Law (précité, à la page 434) [traduction] : « Une vingtaine d’États, dont un petit nombre seulement sont de grandes nations maritimes, appliquent les règles de Hambourg. Les autres pays appliquent les règles de La Haye ou les règles de La Haye‑Visby, ou des variantes de celles‑ci. » Cinq nouveaux pays ont mis en œuvre les règles de Hambourg depuis la publication de cet ouvrage, mais aucun d’eux n’est une importante nation maritime.

[53]     Recourant à une approche en deux temps en 1991, l’Australie a d’abord donné effet immédiat aux règles de La Haye‑Visby (annexe 1 de la loi australienne [Carriage of Goods by Sea Act 1991, No. 160]), assorties de certaines modifications. Par exemple, comme les règles de Hambourg, les règles australiennes étaient censées s’appliquer à d’autres [traduction] « documents de transport par mer » tels que les lettres de transport maritime, les bordereaux d’expédition et d’autres documents non négociables. Les règles de Hambourg étaient intégrées à une deuxième annexe, qui n’a finalement jamais été mise en vigueur. En fait, la loi australienne fixait une limite maximale de 10 ans pour l’entrée en vigueur de l’annexe renfermant les règles de Hambourg.

[54]     En 1993, le Canada a recouru à une approche similaire en adoptant une nouvelle Loi sur le transport des marchandises par eau (L.C. 1993, ch. 21, abrogée), qui rendait les règles de La Haye‑Visby applicables au transport national, ainsi qu’aux chargements provenant de pays ayant mis ces règles en œuvre même si, comme le Canada, il ne s’agissait pas d’États contractants au sens de la convention.

[55]     La Loi, adoptée en 2001, réunissait toute la législation canadienne traitant de la responsabilité en matière maritime. La partie 5 de la Loi a remplacé la Loi sur le transport des marchandises par eau de 1993. Un peu plus loin, nous nous pencherons davantage sur l’article 46, le seul nouvel article de la partie 5.

[56]     Pour achever cet historique, il convient de signaler l’adoption en 2008 des règles de Rotterdam [Convention des Nations Unies sur le contrat de transport internationale de marchandises effectué entièrement ou partiellement par mer]. Ces règles, qui ont une plus large portée que les autres règles déjà examinées, sont destinées à s’appliquer à tous les contrats de transport de marchandises visés par les règles de Hambourg, y compris pour la première fois les contrats conclus uniquement par voie électronique. Les États‑Unis, la France, l’Espagne, la Suède, la Norvège et les Pays‑Bas sont parmi les 24 signataires de la Convention, mais les règles ne sont toujours pas en vigueur.

[57]     Il importe de noter qu’aucun des régimes internationaux dont on a traité ne réglemente les droits et obligations des parties à une charte‑partie. On mentionne expressément dans tous ces régimes que les règles n’entrent en jeu que lorsqu’un contrat de transport de marchandises distinct existe ou « prend vie », par exemple au moyen de l’endossement d’un connaissement intervenu entre un transporteur et une personne non partie à une charte‑partie.

[58]     Il sera maintenant utile de décrire les différents types de chartes‑parties utilisées et d’expliquer pourquoi ces contrats n’étaient pas réglementés au même titre que les contrats de transport visés par les divers régimes internationaux.

[59]     Les chartes‑parties sont habituellement décrites comme des contrats de location de navire. On les désigne aussi sous le nom de « contrats d’affrètement » (voir William Tetley, Marine Cargo Claims, 4e éd. (Cowansville (Québec) : Yvon Blais, 2008, à la page 530, note 24). Il y a trois principaux types de chartes‑parties :

i) les chartes‑parties coque nue, portant sur la location d’un navire sans équipage;

ii) les chartes‑parties à temps, qui sont des contrats de location pour une durée déterminée d’un navire avec équipage complet. Cela comprend le plus récent type d’affrètement à temps, appelé le contrat d’affrètement de compartiment, aux termes duquel, par exemple, un transporteur loue auprès d’un concurrent un espace ou un compartiment (espace de conteneur) particulier pour une période précise;

iii) les chartes‑parties au voyage, utilisées pour la location d’un navire précis ou d’un type particulier de navires pour un ou plusieurs trajets.

[60]     Les faits suivants sont de notoriété publique, comme le fait remarquer John F. Wilson dans son ouvrage Carriage of Goods by Sea, 6e édition (Harlow, Angleterre : Pearson/Longman, 2008), aux pages 3 et 4 :

[traduction] Une charte‑partie est un contrat négocié dans un marché libre et assujetti uniquement aux lois de l’offre et de la demande. Le pouvoir de négociation relatif des parties dépend de l’état du marché, mais le propriétaire du navire et l’affréteur peuvent par ailleurs négocier les conditions du contrat à leur guise, sans être assujettis à la moindre disposition légale. En pratique, toutefois, ceux‑ci utilisent invariablement comme fondement de leur entente une charte‑partie type à laquelle ils ajoutent le plus souvent des clauses pour satisfaire à leurs besoins particuliers. Les documents types sont de diverses origines. Certains ont été élaborés au fil des ans en lien avec un commerce particulier, comme celui des grains, du charbon ou des minerais, tandis que d’autres ont été conçus par des entreprises individuelles disposant d’un monopole dans un domaine donné, comme celui du transport du pétrole. Un nombre important de ces documents ont toutefois été conçus au siècle dernier par des comités spécialisés d’organismes tels que la United Kingdom Chamber of Shipping, le Conseil maritime baltique et international ou la bourse maritime du Japon, où bien souvent les intérêts tant des propriétaires de navires que des affréteurs étaient représentés.

L’existence de ces documents types est très utile pour le commerce international, alors que les parties peuvent avoir leur domicile dans des pays différents et les négociations peuvent être entravées par des problèmes de langue. Cela étant, les parties qui connaissent les conditions d’un document type risquent moins d’être prises au dépourvu par une clause inhabituelle ou inopinément lourde de conséquences, et peuvent ainsi concentrer leur attention sur les clauses essentielles portant sur des questions telles que le fret, les staries et les surestaries.

[61]     On peut facilement comprendre que le déséquilibre dans le pouvoir de négociation qui a conduit à l’élaboration des divers régimes internationaux décrits précédemment n’était pas présent dans le cas des chartes‑parties. Comme le trafic de ligne (les transporteurs généraux qui offrent des services réguliers dans certaines régions et recourent aux documents de transport par mer visés par les divers régimes internationaux) est tout simplement très différent du transport maritime à la demande (les navires affrétés), aucune raison n’existait de restreindre la liberté de contracter des parties à de tels contrats.

ii)        Arbitrage et compétence

[62]     Le mode traditionnel de règlement des différends liés à une charte‑partie est l’arbitrage. Les parties à ces contrats croient en effet que, pour ces différends, les connaissances spécialisées et techniques d’arbitres chevronnés sont requises. Bon nombre d’arbitres, d’ailleurs, se spécialisent dans des types particuliers de chartes‑parties visant certains types de cargaisons (par ex. le pétrole). La jurisprudence arbitrale est importante. Toutefois, on ne peut généralement pas consulter ces décisions parce que la plupart d’entre elles sont confidentielles.

[63]     Dans les années 1970, les connaissements renfermaient souvent des clauses attributives de compétence et même des clauses d’arbitrage. On s’est donc demandé si de telles clauses enfreignaient les dispositions de l’article III, paragraphe 8 des règles de La Haye ou des règles de La Haye‑Visby interdisant toute clause qui restreint la responsabilité du transporteur. À l’époque, les lois nationales ne régissaient pas de manière uniforme les clauses de compétence. La validité de ces clauses a même fait l’objet de controverse aux États‑Unis, par exemple. Le débat n’y a en fait pris fin que dans les années 1990 lorsque, dans les arrêts Carnival Cruise Lines Inc. v. Shute, 499 U.S. 85 (1991) (clause de compétence), et Vimar Seguros y Reaseguros, S.A. v. The M/V Sky Reefer, 515 U.S. 528 (1995) (clause d’arbitrage), la Cour suprême des États‑Unis a reconnu le caractère exécutoire de telles clauses dans les connaissements.

[64]     En outre, plusieurs délégations auprès de la CNUDCI ont jugé inéquitable que des frais doivent être engagés pour l’exécution de petites créances maritimes dans un autre ressort, particulièrement lorsque le tribunal choisi par le transporteur n’avait aucun lien avec le transport effectué (dans le cas, par exemple, d’une clause attribuant la compétence aux tribunaux de Londres dans un connaissement visant un voyage entre les États‑Unis et l’Afrique). C’est cette situation qui a donné lieu à l’adoption des articles 21 et 22 des règles de Hambourg.

[65]     Les législateurs de certains pays qui n’ont pas adopté les règles de Hambourg de manière globale ont choisi d’intégrer à leur législation nationale mettant en œuvre les autres régimes internationaux des dispositions semblables aux articles 21 et 22 de ces règles. On compte parmi ces pays l’Afrique du Sud (1986), l’Australie (1991), la Nouvelle‑Zélande (1994) et les pays scandinaves (Norvège, Finlande, Danemark et Suède) (1994).

[66]     À première vue, le paragraphe 46(1) semble être la réponse canadienne au problème qui a conduit à l’adoption des articles 21 et 22 des règles de Hambourg et des diverses dispositions nationales mentionnées précédemment. Le Résumé législatif cité par le juge aux paragraphes 82 et 83 de ses motifs [Résumé législatif LS-377F. Projet le loi S-2 : Loi sur la responsabilité en matière maritime, 5 février 2001] le confirme d’une certaine manière, tout particulièrement le passage suivant traitant de l’article 46 (au paragraphe 83) :

Selon la documentation du ministère, comme les règles de La Haye‑Visby, à la différence des règles de Hambourg, ne renferment aucune clause de juridiction, certains problèmes se sont présentés lorsque des clauses de juridiction étrangère incluses dans des connaissements ont empêché le règlement ou l’arbitrage d’un litige au Canada. Une modification s’impose donc pour confirmer la compétence du Canada dans les cas où un connaissement stipule que les litiges doivent être soumis à un tribunal étranger.

[67]     Dans son ouvrage Marine Cargo Claims, précité, William Tetley fait remarquer, aux pages 1424 et 1425, que la disposition canadienne est moins restrictive que la plupart des dispositions adoptées par les autres pays, puisqu’elle n’interdit pas d’écarter la compétence canadienne. L’article 46 ne fait que permettre à un réclamant d’intenter une procédure judiciaire ou arbitrale au Canada dans certaines circonstances. L’auteur ajoute [traduction] : « Cette solution semble juste et raisonnable en attendant l’éventuelle transition du Canada des règles de La Haye‑Visby aux règles de Hambourg. »

[68]     Indépendamment de l’évolution susmentionnée, l’arbitrage est généralement devenu un mode privilégié de règlement des différends commerciaux internationaux, ce qui a conduit à l’adoption de divers instruments internationaux. Comme nous l’avons vu, le Canada a ainsi adopté au milieu des années 1980 la Loi sur la Convention des Nations Unies concernant les sentences arbitrales étrangères, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 16 (la Loi sur la Convention de New York) et la Loi sur l’arbitrage commercial, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 17.

[69]     En vertu de l’article 8-1 du Code d’arbitrage commercial, inclus à titre l’annexe 1 à la Loi sur l’arbitrage commercial, le tribunal canadien suspendra l’instance en présence d’une clause d’arbitrage valide et susceptible d’être exécutée. Une clause d’arbitrage n’est pas exécutoire au Canada, bien sûr, lorsque l’article 46 de la Loi est applicable (voir l’article 1-3 du Code d’arbitrage commercial).

[70]     La Cour doit néanmoins faire preuve de prudence dans l’interprétation du paragraphe 46(1), étant donné qu’il ne faut pas présumer trop facilement que le législateur a restreint l’effet des clauses d’arbitrage à l’égard des différends qu’on avait pour coutume de soumettre à l’arbitrage, comme ceux liés aux chartes‑parties.

iii)       L’économie de la Loi

[71]     La Loi ne donne aucune indication quant à son objet. J’ai déjà renvoyé au Résumé législatif cité par le juge. Je ferai simplement observer qu’on y confirme que la Loi visait à refondre en une seule loi les divers régimes de responsabilité existants en matière maritime (accidents mortels; limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes; responsabilité civile lors du transport de marchandises par eau; responsabilité civile et indemnisation pour les dommages dus à la pollution). On a déjà traité du passage précis du résumé qui traite de l’objet de l’article 46 (voir également l’arrêt Magic Sportswear, précité, aux paragraphes 56 à 66).

[72]     L’expression « contrat de transport de marchandises par eau », utilisée aux articles 43, 45 et 46, n’est pas définie à la partie 5 de la Loi. Après avoir défini les termes « règles de Hambourg » et « règles de La Haye‑Visby », l’article 43 confère à ces dernières règles force de loi au Canada à l’égard des contrats de transport de marchandises par eau conclus entre les différents États selon les règles d’application visées à l’article X de ces règles, dont le texte est reproduit à l’annexe 3 de la Loi. Ces règles s’appliquent jusqu’à l’entrée en vigueur de l’article 45 (paragraphe 43(4) de la Loi). Il s’ensuit que les règles de La Haye‑Visby s’appliqueront à tous les contrats de transport de marchandises attestés par un connaissement délivré dans un État contractant, à tout transport à partir d’un État contractant (le port de chargement) et à tout contrat attesté par un connaissement qui intègre ces règles. Le paragraphe 43(2) étend la portée des règles de La Haye‑Visby aux contrats de transport interne, à moins qu’ils ne soient pas assortis d’un connaissement et qu’ils stipulent que ces règles ne s’appliquent pas.

[73]     Le paragraphe 43(3) prévoit que, pour l’application du paragraphe 43(1), l’expression « État contractant » vise tout État qui, à l’instar du Canada, n’étant pas lui‑même partie à la convention, a donné force de loi aux règles de La Haye‑Visby dans sa législation nationale.

[74]     L’article 44 prévoit pour sa part que le ministre examine, tous les cinq ans, la possibilité de remplacer les règles de La Haye‑Visby par les règles de Hambourg et en fait rapport au Parlement. On recommandait dans le dernier rapport, publié en 2009, de ne pas mettre en œuvre les règles de Hambourg en raison de la faible proportion du commerce entre le Canada et les pays qui, eux, les avaient alors mises en œuvre.

[75]     L’article 45, non encore en vigueur, fait aussi mention des contrats de transport de marchandises par eau conclus entre les différents États selon les règles d’application visées à l’article 2 des règles de Hambourg. Comme nous l’avons vu précédemment, ces règles sont d’une portée plus large : elles s’appliqueront à divers documents non négociables tels que les lettres de transport maritime délivrées dans un État contractant, ou pour le transport en provenance ou à destination d’un État contractant. Encore une fois, lorsqu’elles seront en vigueur, les règles de Hambourg s’appliqueront également au transport interne, à moins que le contrat en cause ne stipule que les règles ne s’appliquent pas. On remarquera qu’aucune mention n’est faite des connaissements au paragraphe 45(2); cela vient du fait que la gamme des contrats de transport auxquels les règles peuvent s’appliquer est plus étendue et comprend des documents tels que les lettres de transport maritime. Quant au paragraphe 45(3), il fait écho au paragraphe 43(3).

[76]     Nous en arrivons maintenant au paragraphe 46(1) qui débute, comme nous l’avons déjà indiqué, par les mots suivants :

46. (1) Lorsqu’un contrat de transport de marchandises par eau, non assujetti aux règles de Hambourg […]

[77]     Au paragraphe 72 de ses motifs, le juge a reconnu qu’en fonction de son sens ordinaire (ou plus précisément du sens donné par les dictionnaires), l’expression « contrat de transport de marchandises par eau » pourrait comprendre les chartes‑parties puisqu’en dernière analyse, ces contrats sont tous conclus en vue de « transporter des marchandises » par eau.

[78]     Cela dit, je suis toutefois convaincue que, s’agissant de dispositions légales qui traitent des droits et obligations des transporteurs généraux et qui mettent en œuvre des règles internationales, cette expression n’inclut pas et ne doit pas être interprétée comme incluant les chartes‑parties.

[79]     Cette conclusion de droit est conforme à la réalité commerciale. Les chartes‑parties sont des contrats conclus par des personnes morales commerciales directement entre elles et dont l’exécution, forcée ou non, constitue pour les cocontractants une affaire privée. Aucune raison de principe ne justifie que ces parties ne soient pas tenues de respecter leurs engagements.

[80]     Je le répète, compte tenu de l’objet général de la partie 5 et de la situation que l’article 46 visait à réformer (c’est‑à‑dire les clauses de compétence et d’arbitrage types dictées par les transporteurs au détriment des importateurs et exportateurs canadiens devenus parties aux contrats en cause), et compte tenu de la réalité commerciale particulière qui conduit à la conclusion de chartes‑parties, le juge a eu raison de conclure que la charte‑partie au voyage en cause n’était pas visée par le paragraphe 46(1).

iv)       La lettre de garantie

[81]     Fednav soutient que la mise en cause à l’encontre de COSIPA se fonde, en partie du moins (quant aux dommages dus à la corrosion), sur la lettre de garantie, qui constitue, contrairement à ce qu’ont conclu le juge et le protonotaire, un contrat autonome non assujetti à la clause d’arbitrage de la charte‑partie au voyage. Fednav estime que le juge a mal interprété la preuve à cet égard.

[82]     Or, comme nous l’avons vu, en tant que partie à la charte‑partie au voyage, Fednav est de toute façon tenue de soumettre à l’arbitrage tous les différends qui l’opposent à COSIPA (et assurément ceux fondés sur la clause 5(a)). La question est donc de savoir si l’engagement contracté par COSIPA dans la lettre de garantie, si on l’interprète comme comprenant celui d’indemniser Fednav elle‑même, est aussi soumis à la clause d’arbitrage en tant que différend découlant de la charte‑partie.

[83]     La conclusion du juge selon laquelle la lettre de garantie était une modification de la charte‑partie conclue avec Fednav était logique et amplement étayée par la preuve qui lui avait été présentée. On ne m’a pas convaincue que le juge a commis une erreur manifeste et dominante qui justifierait l’intervention de la Cour.

[84]     Fednav est par conséquent tenue par l’entente de soumettre à l’arbitrage à New York ses différends avec COSIPA.

COSIPA a‑t‑elle droit à la suspension de la procédure de mise en cause la visant introduite par Canada Moon?

[85]     Comme je l’ai mentionné précédemment, la mise en cause de Canada Moon se fonde aussi sur la clause 5(a) de la charte‑partie au voyage intégrée par renvoi dans les connaissements, à l’égard de tout dommage causé par COSIPA dans l’exécution de ses activités au Brésil, et se fonde également sur la lettre de garantie, à l’égard de tout dommage résultant, le cas échéant, de l’utilisation de membranes de plastique pour protéger la cargaison.

[86]     En contexte commercial, l’arbitrage constitue un mode de règlement des différends choisi par les parties. Pour obliger Canada Moon à accepter l’arbitrage de sa créance, COSIPA doit donc démontrer que Canada Moon a consenti directement ou implicitement à l’arbitrage.

[87]     La clause d’arbitrage qui fait partie des conditions du connaissement est un bon exemple de consentement implicite à l’arbitrage puisque, en l’absence d’intervention du législateur, elle lierait Canada Moon. COSIPA ne peut toutefois pas se fonder sur ce consentement à l’arbitrage puisque le paragraphe 46(1) de la Loi reçoit application. Par ailleurs, COSIPA a soutenu devant nous qu’elle n’était pas partie au contrat attesté par les connaissements.

[88]     COSIPA ne peut non plus se fonder a priori sur la clause d’arbitrage de la charte‑partie puisque Canada Moon n’est pas partie à ce contrat. En droit, l’intégration par renvoi d’un contrat distinct auquel l’intéressé n’est pas partie — la charte‑partie au voyage en l’espèce — ne peut rendre cette personne, en l’occurrence Canada Moon, partie à ce contrat.

[89]     Canada Moon soutient que la conception erronée du juge voulant qu’elle soit partie à la charte‑partie en raison de l’intégration par renvoi de ce contrat dans les connaissements a nécessairement influé sur sa conclusion selon laquelle la lettre de garantie n’était pas un contrat autonome, du moins en ce qui la concernait.

[90]     Canada Moon soutient aussi que l’engagement d’indemnisation de COSIPA était une entente autonome qui ne renfermait aucune clause d’arbitrage. En ce qui concerne Canada Moon, une entente autonome d’indemnisation, sans mention d’arbitrage, ne constituait pas de sa part un consentement, direct ou implicite, à l’arbitrage des différends relatifs à cette indemnisation. Canada Moon soutient qu’ainsi, il lui est loisible de faire valoir sa demande d’indemnisation par mise en cause.

[91]     Au moment de la négociation et de l’établissement de la lettre de garantie, aucune relation juridique n’existait entre COSIPA et Canada Moon. Le capitaine n’avait pas accepté la cargaison. Aucun connaissement n’avait non plus été délivré.

[92]     Le juge a admis que Fednav Limited avait négocié la lettre de garantie pour le compte de deux mandants (Fednav et Canada Moon). Si l’on considère que la lettre adressée à Fednav Limited à titre de mandataire était destinée à ses deux mandants distincts, dont l’un, contrairement à ce que le juge a conclu au paragraphe 59, n’était pas partie à la charte‑partie, il serait logique de conclure que la lettre de garantie était bel et bien un contrat autonome à l’égard de Canada Moon, et ce, même si l’on devait conclure qu’à l’égard de Fednav, la lettre de garantie constituait une modification de son contrat existant avec COSIPA.

[93]     Tous les éléments d’un contrat autonome sont présents, y compris la contrepartie, qui consiste en l’acceptation par Canada Moon de la cargaison telle qu’elle était emballée.

[94]     COSIPA soutient que malgré la conclusion erronée du juge au paragraphe 59, selon laquelle tous les intéressés étaient des parties à la charte‑partie, sa conclusion voulant que la lettre de garantie soit une modification de la charte‑partie peut toujours être valable, étant donné qu’il était loisible à Fednav et COSIPA de prévoir dans leur contrat une stipulation pour le bénéfice d’une tierce partie, en l’occurrence le propriétaire du navire, Canada Moon.

[95]     La question du caractère exécutoire de clauses contractuelles au bénéfice d’une tierce partie pose le problème du lien contractuel. Normalement Canada Moon ne pourrait pas, en tant qu’étrangère au contrat, se prévaloir des dispositions de la charte‑partie ni être soumise à ses obligations. Toutefois, le droit a évolué et la règle du lien contractuel compte maintenant des exceptions de principe (London Drugs Ltd. c. Kuehne & Nagel International Ltd., [1992] 3 R.C.S. 299, et Fraser River Pile & Dredge Ltd. c. Can‑Dive Services Ltd., [1999] 3 R.C.S. 108 (Fraser River)).

[96]     On voit mal pourquoi des règles de droit empêcheraient des parties de conférer un avantage, par leur contrat, à une personne qui lui est étrangère. La question du lien contractuel revêt toutefois un aspect différent lorsque les parties veulent cette fois, par leur contrat, imposer une obligation à un étranger. Sauf en matière de responsabilité délictuelle, le droit est peu disposé à imposer des obligations à des personnes qui n’y ont pas consenti. Or, COSIPA tente en l’espèce d’imposer à Canada Moon une obligation qu’elle n’avait par ailleurs pas lorsque la lettre de garantie a été établie.

[97]     Si l’on considère, comme le propose maintenant COSIPA, que la lettre de garantie était simplement une modification à la charte‑partie qui renfermait une clause au bénéfice de Canada Moon, il me semble que la question pertinente est de savoir si le bénéfice ainsi conféré comportait comme réserve que toute indemnisation demandée ne pouvait l’être que par voie d’arbitrage. Si tel est le sens véritable de la charte‑partie modifiée, Canada Moon aurait ainsi consenti, en invoquant la clause d’indemnisation que les parties ont prévue pour son bénéfice, à ce que la question soit soumise à l’arbitrage.

[98]     Selon une juste interprétation de la charte‑partie modifiée, les parties ont‑elles conféré à Canada Moon un bénéfice assorti d’une réserve? Pour résoudre la question, il faudra examiner les conditions de la lettre de garantie et de la charte‑partie ainsi que le contexte au moment pertinent.

[99]     COSIPA a invoqué deux affaires traitant de la clause dite « Himalaya » au soutien de sa prétention selon laquelle Canada Moon était nécessairement liée par la clause d’arbitrage. Je conclus toutefois que les faits de l’espèce sont différents de ceux de ces deux affaires. Le libellé de la lettre de garantie est très éloigné, en effet, de celui, plus étoffé, des clauses Himalaya qui font habituellement partie des clauses imprimées types des connaissements.

[100]   Tous les intéressés savaient que la destination de la cargaison était le Canada. Si le capitaine s’est opposé au mode d’emballage utilisé par COSIPA, ce ne pouvait être que pour éviter les demandes d’indemnisation de la part du destinataire canadien. Il ne conviendrait guère à Canada Moon d’avoir à soumettre sa demande d’indemnisation à l’arbitrage à New York alors qu’elle est poursuivie au Canada. Bien que ce soit l’intention de COSIPA et de Fednav en tant que parties à la charte‑partie qui compte, et non pas celle de Canada Moon, pour que la lettre de garantie soit acceptable pour Canada Moon, il faudrait que cette lettre réponde aux problèmes de Canada Moon. Il faut présumer que Canada Moon a estimé que la lettre le faisait, puisqu’elle a accepté la lettre de garantie.

[101]   Cela étant, l’absence de toute mention d’une clause d’arbitrage dans la lettre de garantie est fort révélatrice de l’intention des parties. D’autant, ferais‑je remarque, qu’une telle clause est incluse dans les connaissements délivrés à COSIPA. Je remarque également que, d’après sa teneur même, la clause d’arbitrage ne se prête guère à ce qu’un tiers la fasse valoir pour obtenir l’arbitrage.

[102]   À mon sens, les parties avaient conscience des circonstances dans lesquelles l’indemnisation serait utile pour Canada Moon et elles ont rédigé la lettre de garantie en conséquence. Il n’est pas nécessaire d’assujettir l’indemnisation à la clause d’arbitrage pour qu’il y ait efficacité commerciale. C’est plutôt le contraire qui risque de se produire.

[103]   En dernière analyse, et même si l’on admet que la lettre de garantie est une modification de la charte‑partie, j’estime que, si on l’interprète convenablement, la charte‑partie modifiée n’oblige pas Canada Moon à recourir à l’arbitrage pour bénéficier de l’indemnisation. Il ne s’agit pas d’un bénéfice assorti d’une réserve.

[104]   Dans ces circonstances, j’estime que l’erreur commise par le juge (troisième point au paragraphe 59) a influé sur sa conclusion finale concernant Canada Moon. COSIPA ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait de démontrer que Canada Moon était tenue de soumettre à l’arbitrage le différend lié à la mise en cause.

[105]   Il n’est pas nécessaire d’examiner les autres arguments soulevés par Canada Moon, particulièrement sur la question de savoir s’il y a des raisons valables de conclure qu’on ne devrait pas appliquer en l’espèce la règle voulant qu’à première vue un connaissement ne soit pas, quant à un affréteur au voyage, une preuve de l’existence d’un contrat de transport distinct (President of India v. Metcalfe Shipping CoLtd., [1970] 1 Q.B. 289 (C.A.); Rodocanachi v. Milburn (1887), 18 Q.B.D. 67 (C.A.)).

S’il est répondu par la négative à l’une ou l’autre question, le Canada est‑il un forum non conveniens quant à la mise en cause?

[106]   Comme il a ordonné la suspension de la procédure de mise en cause, le juge n’a pas traité de la question du forum non conveniens. Le protonotaire a quant à lui conclu que le Canada n’était pas, aux fins de l’instruction de la mise en cause, un forum non conveniens. Comme nous l’avons vu, le protonotaire a examiné les divers facteurs énumérés dans l’arrêt Spar Aerospace et a conclu, après les avoir soupesés avec soin, qu’ils ne privaient pas Canada Moon de son droit présumé au choix du tribunal.

[107]   La Cour suprême du Canada s’est penchée sur la question du forum non conveniens dans deux arrêts récents depuis Spar Aerospace : Club Resorts Ltd. c. Van Breda, 2012 CSC 17, [2012] 1 R.C.S. 572, et Breeden c. Black, 2012 CSC 19, [2012] 1 R.C.S. 666. Dans ces deux affaires, la Cour suprême du Canada a mis en garde contre l’octroi d’une trop grande importance au facteur de l’avantage juridique dans l’analyse du forum non conveniens.

[108]   Consciente de cette mise en garde, je souscris toujours néanmoins pour l’essentiel à l’évaluation faite par le protonotaire des facteurs pertinents. COSIPA ne m’a pas convaincue que la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire pour suspendre la procédure de mise en cause en faveur des tribunaux du Brésil.

CONCLUSION

[109]   Compte tenu de l’analyse qui précède, je conclus que COSIPA a droit à la suspension de la procédure de mise en cause la visant engagée par Fednav, mais pas de celle engagée par Canada Moon. Je conclus en outre que le bien‑fondé de l’allégation selon laquelle le Canada est un forum non conveniens n’a pas été démontré.

[110]   En conséquence, j’accueillerais l’appel. J’annulerais les ordonnances de la Cour fédérale des 10 mars 2011 et 12 septembre 2011. J’accueillerais la requête de COSIPA visant la suspension de la procédure de mise en cause au regard de Fednav, mais je la rejetterais au regard de Canada Moon. J’accorderais à COSIPA ses dépens devant toutes les cours.

Le juge Pelletier, J.C.A. : Je suis d’accord.

Le juge Mainville, J.C.A. : Je suis d’accord.

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