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A-532-12

2013 CAF 250

Le ministre du Revenu national et l’Agence du Revenu du Canada (appelants)

c.

JP Morgan Asset Management (Canada) Inc. (intimée)

Répertorié : JP Morgan Asset Management (Canada) Inc. c. Canada (Revenu national)

Cour d’appel fédérale, juges Sharlow, Stratas et Near, J.C.A.—Toronto; 18 septembre; Ottawa, 24 octobre 2013.

Impôt sur le revenu — Pratique — Compétence de la Cour fédérale — Appel interjeté à l’encontre d’une décision de la Cour fédérale de refuser d’annuler une décision par laquelle un protonotaire a rejeté la requête du ministre appelant en radiation de la demande de contrôle judiciaire de l’intimée — L’intimée a présenté une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale et a allégué que le ministre avait dérogé à une politique administrative lorsqu’il a établi des cotisations à l’égard de l’intimée relativement à l'impôt de la partie XIII de la Loi de l’impôt sur le revenu — L’intimée a allégué que le ministre avait abusé de son pouvoir discrétionnaire en faisant défaut de tenir compte ou, du moins, pas de manière suffisante, des politiques qui auraient eu pour effet de limiter le nombre d’années assujetties aux cotisations — Le protonotaire a conclu que la demande soulevait un motif de contrôle indépendant fondé sur le droit administratif et avait été déférée à bon droit à la Cour fédérale — La Cour fédérale a refusé d’annuler cette décision — Il s’agissait de savoir si la Cour fédérale a été dûment saisie de l’affaire — La nature essentielle de l’avis de demande est une attaque de la validité de la cotisation, sur le plan juridique — L’intimée a omis de faire état d’un moyen recevable en droit administratif — Le ministre n’a exercé aucun pouvoir discrétionnaire indépendant de la cotisation — Par conséquent, il n’y avait pas de pouvoir dont il aurait pu abuser — Le contrôle judiciaire était également exclu en raison du fait que la Cour canadienne de l’impôt pouvait répondre à la question de savoir si le ministre était légalement autorisé à établir les cotisations relativement à l’impôt de la partie XIII pour les années d’imposition en question — Enfin, seule la Cour canadienne de l’impôt était habilitée à octroyer la réparation demandée, soit frapper de nullité certaines des cotisations — Appel accueilli.

Il s’agissait d’un appel interjeté à l’encontre d’une décision de la Cour fédérale de refuser d’annuler une décision par laquelle un protonotaire a rejeté la requête du ministre appelant en radiation de la demande de contrôle judiciaire de l’intimée.

L’intimée est une société canadienne qui assure à ses clients canadiens des services de conseil en matière d’investissements. Elle commercialise aussi la gamme des actions internationales émises par des entités liées étrangères. L’intimée a présenté une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale et a allégué que le ministre avait dérogé à une politique administrative lorsqu’il a établi des cotisations à l’égard de l’intimée relativement à l’impôt de la partie XIII (art. 221 à 218.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu à l’égard des honoraires payés par celle-ci à une société privée de Hong Kong, pour tous les exercices clos entre le 31 décembre 2002 et le 31 décembre 2008 inclusivement. Plus précisément, l’intimée a soutenu qu’en établissant des cotisations au titre de la partie XIII pour un aussi grand nombre d’années, le ministre a abusé de son pouvoir discrétionnaire et qu’il n’a pas tenu compte ou, du moins, pas de manière suffisante, des politiques qui auraient eu pour effet de limiter le nombre d’années visées. Le protonotaire a conclu que la demande soulevait un motif de contrôle indépendant fondé sur le droit administratif et qu’elle avait été déférée à bon droit à la Cour fédérale. La Cour fédérale a refusé d’annuler la décision du protonotaire, n’ayant constaté aucune erreur manifeste de la part de celui-ci.

Les cotisations en cause étaient fondées sur l’alinéa 212(1)a) et les paragraphes 215(1) et (6) de la Loi de l’impôt sur le revenu. L’alinéa 212(1)a) oblige toute personne non résidente à payer l’impôt sur certains honoraires reçus d’une personne résidant au Canada, tandis que le paragraphe 215(1) oblige la personne résidant au Canada à retenir des honoraires versés l’impôt applicable en vertu de l’alinéa 212(1)a) et de le remettre à l’État.

Il s’agissait de savoir en l’espèce si la Cour fédérale a été dûment saisie de l’affaire.

Arrêt : l’appel doit être accueilli.

En dépit des larges pouvoirs conférés à la Cour fédérale en vertu de la Loi sur les cours fédérales en ce qui a trait au contrôle judiciaire, le législateur lui interdit d’intervenir dans les questions susceptibles d’appel devant la Cour canadienne de l’impôt. La Cour suprême a statué que le recours au contrôle judiciaire ne demeure possible que dans les circonstances indiquées, et que les tribunaux de révision ne doivent ouvrir la voie aux recours en contrôle judiciaire qu’avec beaucoup de circonspection.

L’un ou l’autre des éléments suivants appelle la radiation de l’avis de demande de contrôle judiciaire en matière fiscale : 1) l’avis de demande ne révèle aucune action recevable en droit administratif qui peut être introduite devant la Cour fédérale; 2) l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales ou quelque autre principe juridique interdit à la Cour fédérale de se prononcer sur le recours en droit administratif; 3) la Cour fédérale ne peut accorder la mesure demandée.

Dans la présente cause, l’avis de demande faisait valoir que le fait que le ministre n’a pas respecté les politiques constituait un abus de son pouvoir discrétionnaire et une violation de la justice naturelle. L’intimée a essentiellement soutenu que le ministre pouvait établir une cotisation pour certaines périodes et non pour d’autres. La nature essentielle de l’avis de demande était par conséquent une attaque de la validité de la cotisation, sur le plan juridique. Le protonotaire a accordé de l’importance à la forme particulière de l’avis de demande — le contrôle judiciaire de la décision d’établir une cotisation — plutôt qu’à sa nature essentielle. Il s’agit clairement d’une erreur qui a entaché son analyse et qui l’a empêché d’examiner et d’appliquer certaines objections au contrôle judiciaire. La Cour fédérale n’a pas décelé cette erreur.

En l’espèce, les trois objections à l’avis de demande étaient toutes réunies. Premièrement, l’intimée a omis de faire état d’un moyen recevable en droit administratif. Aucune jurisprudence n’a été citée à l’appui de sa thèse portant que le non-respect des politiques constitue, en soi, un abus du pouvoir discrétionnaire. Les politiques n’ont pas force de loi et les décideurs administratifs peuvent y déroger. Le ministre n’a exercé aucun pouvoir discrétionnaire indépendant de la cotisation. En conséquence, il n’y avait pas de pouvoir dont il aurait pu abuser. Deuxièmement, la demande de contrôle judiciaire était également exclue en raison du fait que la Cour canadienne de l’impôt pouvait répondre à la question de savoir si le ministre était légalement autorisé à établir les cotisations relativement à l’impôt de la partie XIII pour les années d’imposition en question. Enfin, la Cour fédérale était inhabile à octroyer la réparation demandée. L’intimée a demandé que soient frappées de nullité certaines des cotisations. Seule la Cour canadienne de l’impôt était habilitée à accorder cette mesure.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].

Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, art. 152(1),(4),(4.2),(8), 160, 165, 169, 171, 212(1), 215(1),(6), 220, 227(10).

Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, L.R.C. (1985), ch. T-2, art. 12(1).

Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1.

Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. (1985), ch. E-15.

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 2(1) « office fédéral », 18, 18.1, 18.4, 18.5.

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règles 301d),e), 306 à 319, 401, 404.

JURISPRUDENCE CITÉE

décisions suivies :

Canada c. Addison & Leyen Ltd., 2007 CSC 33, [2007] 2 R.C.S. 793; David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588 (C.A.).

décisions examinées :

Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Canada (Revenu national) c. Derakhshani, 2009 CAF 190; St. Ann’s Fishing Club v. The King, [1950] R.C.S. 211, [1950] 2 D.L.R. 225; Louis Sheff (1984) Inc. c. La Reine, 2003 CCI 589; Ludmer c. Canada, [1995] 2 C.F. 3 (C.A.); Redeemer Foundation c. Canada (Revenu national), 2008 CSC 46, [2008] 2 R.C.S. 643; Harelkin c. Université de Regina, [1979] 2 R.C.S. 561; Fraternités des préposés à l’entetretien des voies — Fédération du réseau Canadien Pacifique c. Canadien Pacifique Ltée, [1996] 2 R.C.S. 495.

décisions citées :

Crevier c. Procureur général du Québec et autres, [1981] 2 R.C.S. 220; Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22; Merchant Law Group c. Canada (Agence du revenu), 2010 CAF 184; AstraZeneca Canada Inc. c. Novopharm Limited, 2010 CAF 112; Rahman c. Commission des relations de travail dans la fonction publique, 2013 CAF 117; Donaldson c. Western Grain Storage By-Products, 2012 CAF 286; Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959; Canada (Revenu national) c. Compagnie d’assurance vie RBC, 2013 CAF 50; Canada c. Domtar Inc., 2009 CAF 218; Canada c. Roitman, 2006 CAF 266; Canada (Procureur général) c. TeleZone Inc., 2010 CSC 62, [2010] 3 R.C.S. 585; Chrysler Canada Inc. c. Canada, 2008 CF 727, conf. par 2008 CF 1049; RJR — MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311; Air Canada c. Administration portuaire de Toronto, 2011 CAF 347; Markevich c. Canada, 2003 CSC 9, [2003] 1 R.C.S. 94; Canada (Commission des droits de la personne) c. Canadian Liberty Net, [1998] 1 R.C.S. 626; Tranchemontagne c. Ontario (Directeur du Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées), 2006 CSC 14, [2006] 1 R.C.S. 513; Ministre du Revenu national c. Coopers and Lybrand, [1979] 1 R.C.S. 495; Martineau c. Comité de discipline de l’Institution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602; Cardinal et autre c. Directeur de l’établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654; Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S, 339; Canada (Procureur général) c. Commission canadienne des droits de la personne, 2013 CAF 75; Re Multi-Malls Inc. et al. and Minister of Transportation and Communications et al., 1976 CanLII 623, 14 O.R. (2d) 49 (C.A.); Doctors Hospital and Minister of Health et al., Re 1976 CanLII 739, 12 O.R. (2d) 164 (C. div.); Padfield v. Minister of Agriculture, Fisheries & Food, [1968] A.C. 997 (H.L.); Roncarelli v. Duplessis, [1959] R.C.S. 121; Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2; Stemijon Investments Ltd. c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 299; Thamotharem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’ Immigration), 2007 CAF 198, [2008] 1 R.C.F. 385; Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, 2003 CSC 19, [2003] 1 R.C.S. 226; Antrim Truck Centre Ltd. c. Ontario (Transports), 2013 CSC 13, [2013] 1 R.C.S. 594; Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559; Renvoi relatif au régime d’assistance publique du Canada (C.-B.), [1991] 2 R.C.S. 525; The King v. Dominion of Canada Postage Stamp Vending Co. Ltd., [1930] R.C.S. 500, [1930] 4 D.L.R. 241; Canada c. South Yukon Forest Corporation, 2012 CAF 165; M.R.N. c. Inland Industries Ltd., [1974] R.C.S. 514; Gibbon c. La Reine, [1978] 1 C.F. 247 (1re inst.); Comeau’s Sea Foods Ltd. c. Canada (Ministre des Pêches et Océans), [1997] 1 R.C.S. 12; Vaillancourt c. Sous-ministre M.R.N., [1991] 3 C.F. 663 (C.A.); Stickel c. Le ministre du Revenu national, [1972] C.F. 672 (1re inst.); Galway c. Le ministre du Revenu national, [1974] 1 C.F. 600 (C.A.); Harris c. Canada, [2000] 4 C.F. 37 (C.A.); Canada Agence du revenu c. Société Télé-Mobile, 2011 CAF 89; Cohen c. Canada, [1980] A.C.F. no 501 (C.A.) (QL); CIBC World Markets Inc. c. La Reine, 2012 CAF 3; Longley v. Canada (Revenue), 1992 CanLII 5961, 66 B.C.L.R. (2d) 238 (C.A.); Ministre du Revenu national c. Parsons, [1984] 2 C.F. 331 (C.A.); Northern and Central Gas Corp. c. Canada, [1985] A.C.F. no 111 (1re inst.) (QL); Bechthold Resources Ltd. c. Canada (M.R.N.), [1986] 3 F.C. 116 (1re inst.); Optical Recording Corp. c. Canada, [1991] 1 C.F. 309 (C.A.); Brydges c. Kinsman, [1992] A.C.F. no 1078 (C.A.) (QL); Devor v. Minister of National Revenue, [1993] 1 C.T.C. 142 (C.A.F.); Water’s Edge Village Estates (Phase II) Ltd. c. Canada, [1994] A.C.F. no 93 (1re inst.) (QL); Canada (Procureur général) c. Webster, 2003 CAF 388; Walker c. Canada, 2005 CAF 393; Sokolowska c. Canada, 2005 CAF 29; Angell c. Canada (Ministre du Revenu national), 2005 CF 782; Heckendorn c. Canada, 2005 CF 802; Walsh c. Canada (Ministre du Revenu national), 2006 CF 56; Smith et al. v. Canada (Attorney General) et al., 2006 BCCA 237, 61 B.C.L.R. (4th) 231; Canada c. O’Neill Motors Ltd., [1998] 4 C.F. 180 (C.A.); Yacyshyn c. Canada, 1999 CanLII 7552 (C.A.F.); Canada c. Guindon, 2013 CAF 153; Main Rehabilitation Co. c. Canada, 2004 CAF 403; Canada c. Consumers’ Gas Co., [1987] 2 C.F. 60 (C.A.); Posluns v. Toronto Stock Exchange et al., [1968] R.C.S. 330; King v. University of Saskatchewan, [1969] R.C.S. 678, (1969), 6 D.L.R. (3d) 120 (CanLII); Taiga Works Wilderness Equipment Ltd. v. British Columbia (Director of Employment Standards), 2010 BCCA 97, 316 D.L.R. (4th) 71; Histed v. Law Society of Manitoba, 2006 MBCA 89, 274 D.L.R. (4th) 326; McNamara v. Ontario (Racing Commission), 1998 CanLII 7144, 164 D.L.R. (4th) 99 (C.A. Ont.); Ereiser c. Canada, 2013 CAF 20; Bolton c. Canada, [1996] A.C.F. no 820 (C.A.) (QL); Ginsberg c. Canada, [1996] 3 C.F. 334 (C.A.); Burrows c. La Reine, 2005 CCI 761; Hardtke c. La Reine, 2005 CCI 263; Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929; Peepeekisis Band c. Canada, 2013 CAF 191; Association des compagnies de téléphone du Québec Inc. c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 203; Buenaventura Jr. c. Syndicat des travailleurs(euses) en télécommunications (STT), 2012 CAF 69; C.B. Powell Limited c. Canada (Agence des services frontaliers), 2010 CAF 61, [2011] 2 R.C.F. 332; Cheyenne Realty Ltd. c. Thompson et al., [1975] 1 R.C.S. 87; Eli Lilly & Co. c. Apotex Inc., 2000 CanLII 16486 (C.A.F.); Kingsbury v. Heighton, 2003 NSCA 80, 216 N.S.R. (2d) 277; Halifax (Regional Municipality) c. Nouvelle-Écosse (Human Rights Commission), 2012 CSC 10, [2012] 1 R.C.S. 364; Volochay v. College of Massage Therapists of Ontario, 2012 ONCA 541, 111 O.R. (3d) 561; Swift c. Canada, 2004 CAF 316; Leroux v. Canada Revenue Agency, 2012 BCCA 63, 347 D.L.R. (4th) 122; Gardner v. Canada (Attorney General), 2012 ONSC 1837 (CanLII), [2012] 5 C.T.C. 118, inf. par 2013 ONCA 423, 116 R.J.O. (3e) 304; McCreight v. Canada (Attorney General), 2013 ONCA 483, 116 R.J.O.(3e) 429; Hillier c. Canada (Procureur général), 2001 CAF 197; Rusnak c. Canada, 2011 CAF 181; Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. LeBon, 2013 CAF 55; Novopharm Ltd. c. Eli Lilly and Co., [1999] 1 C.F. 515 (1re inst.); Abraham c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 266, infirmant 2011 CF 638; Pintendre Autos Inc. c. La Reine, 2003 CCI 818; Pinto c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] 1 C.F. 619 (1re inst.); Bajwa c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 864.

DOCTRINE CITÉE

Du Pont, Guy et Michael H. Lubetsky. « Pouvoir de vérifier, pouvoir de détruire : Supervision judiciaire de l’exercice des pouvoirs de vérification » (2013), 61 (Supp.) Rev. fiscale an. 81.

Jacyk, David. « The Dividing Line Between the Jurisdictions of the Tax Court of Canada and Other Superior Courts » (2008), 56 Can. Tax. J. 661.

Mullan, David J. Administrative Law. Toronto : Irwin Law, 2001.

Sherman, David. « Annotation to Pine Valley Enterprises Inc. v. The Queen, 2010 TCC 324, [2010] G.S.T.C. 91» (dans Taxnet Pro) (en ligne).

Woolf, Lord. « Judicial Review : A Possible Programme for Reform » [1992] P.L. 221.

APPEL interjeté à l’encontre d’une décision de la Cour fédérale (2012 CF 1366) de refuser d’annuler une décision par laquelle un protonotaire (2012 FC 651) a rejeté la requête du ministre appelant en radiation de la demande de contrôle judiciaire de l’intimée. Appel accueilli.

ONT COMPARU

Naomi Goldstein et Laurent Bartleman pour les appelants.

Gerald L.R. Ranking pour l’intimée.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Le sous-procureur général du Canada pour les appelants.

Fasken Martineau DuMoulin, s.e.n.c.r.l., s.r.l., Toronto, pour l’intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]        Le juge Stratas, J.C.A. : Dans le présent appel, le ministre du Revenu national sollicite à nouveau la radiation de la demande de contrôle judiciaire présentée par JP Morgan Asset Management (Canada) Inc. devant la Cour fédérale.

[2]        Par cette demande de contrôle judiciaire, JP Morgan allègue que le ministre a dérogé à une politique administrative lorsqu’il a établi des cotisations à l’égard de l’intimée relativement à l’impôt de la partie XIII [art. 212 à 218.1] de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, pour les années 2002, 2003 et 2004. Selon JP Morgan, il s’agit d’un usage inapproprié du pouvoir discrétionnaire du ministre. De son côté, le ministre soutient qu’en réalité, JP Morgan conteste la validité des cotisations, une question qui relève de la compétence exclusive de la Cour canadienne de l’impôt.

[3]        Le protonotaire Aalto a rejeté la requête en radiation du ministre : [JP Morgan Asset Management (Canada) Inc. c. Canada (Revenu national)], 2012 CF 651. De l’avis du protonotaire, la demande soulève un motif de contrôle indépendant fondé sur le droit administratif et a été déférée à bon droit à la Cour fédérale. Le juge Mandamin a refusé d’annuler la décision du protonotaire, n’ayant constaté aucune erreur manifeste de la part de celui‑ci : [JP Morgan Asset Management (Canada) Inc. c. Canada (Revenu national)], 2012 CF 1366.

[4]        Par les motifs énoncés ci‑après, j’accueillerais l’appel du ministre, j’annulerais les ordonnances ci‑dessous et je radierais la demande de JP Morgan.

[5]        La demande de JP Morgan ne révèle aucun moyen recevable en droit administratif. Par ailleurs, il s’agit en réalité d’une contestation de la cotisation pour laquelle un recours ne peut être exercé que devant la Cour canadienne de l’impôt. Enfin, la mesure demandée est l’annulation des cotisations établies par le ministre, mesure que la Cour fédérale ne peut accorder.

A.        Les faits essentiels

[6]        JP Morgan est une société canadienne résidant au Canada aux fins de la Loi de l’impôt sur le revenu. Elle assure à ses clients canadiens des services de conseil en matière d’investissements. Elle commercialise aussi la gamme des actions internationales émises par des entités liées étrangères.

[7]        Les clients de JP Morgan lui versent des honoraires en fonction de la valeur des sommes investies. JP Morgan verse à son tour des honoraires aux entités liées étrangères en guise de rémunération pour leurs services.

[8]        Le ministre a établi des cotisations à l’égard de JP Morgan en application de la partie XIII de la Loi de l’impôt sur le revenu à l’égard des honoraires payés par celle‑ci à JF Asset Management Limited, une société privée de Hong Kong, pour tous les exercices clos entre le 31 décembre 2002 et le 31 décembre 2008 inclusivement.

[9]        La partie XIII joue lorsqu’une personne résidant au Canada paie certains montants à une personne non‑résidente ou les porte à son crédit. La personne résidant au Canada doit retenir un impôt de 25 p. 100 sur ces montants; à défaut de le faire, elle est elle‑même redevable de cet impôt (paragraphes 212(1), 215(1) et (6)). En vertu du paragraphe 227(10), le ministre peut, « en tout temps », établir une cotisation pour ces montants à l’égard de la personne résidant au Canada.

[10]      À la suite de l’établissement des cotisations, JP Morgan a déposé une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale. La nature précise de sa demande de contrôle judiciaire sera examinée ci‑dessous. La demande sollicite l’annulation de la décision du ministre d’établir des cotisations pour les exercices clos du 31 décembre 2002 au 31 décembre 2004 inclusivement.

[11]      JP Morgan soutient qu’en établissant des cotisations au titre de la partie XIII pour un aussi grand nombre d’années, le ministre a abusé de son pouvoir discrétionnaire. Elle soutient que le ministre n’a pas tenu compte ou, du moins, pas de manière suffisante, des politiques qui auraient eu pour effet de limiter le nombre d’années visées.

[12]      La Couronne a présenté une requête en radiation de la demande. Comme je l’ai signalé, elle a été déboutée par le protonotaire et la Cour fédérale. Elle interjette maintenant appel de ce jugement devant notre Cour.

B.        Dispositions législatives pertinentes

[13]      Diverses dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu confèrent au ministre le pouvoir d’établir une cotisation, une nouvelle cotisation ou une cotisation supplémentaire. Le ministre dispose aussi de pouvoirs étendus d’administration, d’enquête, d’application de la loi et de perception.

1)         Le régime du ministre

[14]      Le paragraphe 152(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu définit les obligations du ministre en matière de cotisations relativement à l’impôt :

152. (1) Le ministre, avec diligence, examine la déclaration de revenu d’un contribuable pour une année d’imposition, fixe l’impôt pour l’année, ainsi que les intérêts et les pénalités éventuels payables et détermine :

a) le montant du remboursement éventuel auquel il a droit en vertu des articles 129, 131, 132 ou 133, pour l’année;

b) le montant d’impôt qui est réputé, par les paragraphes 120(2) ou (2.2), 122.5(3), 122.51(2), 122.7(2) ou (3), 125.4(3), 125.5(3), 127.1(1), 127.41(3) ou 210.2(3) ou (4), avoir été payé au titre de l’impôt payable par le contribuable en vertu de la présente partie pour l’année.

Cotisation

[15]      Le paragraphe 152(4) de la Loi de l’impôt sur le revenu confère au ministre le pouvoir d’établir une cotisation, une nouvelle cotisation ou une cotisation supplémentaire pour une année d’imposition, assortie des intérêts et des pénalités :

152. […]

(4) Le ministre peut établir une cotisation, une nouvelle cotisation ou une cotisation supplémentaire concernant l’impôt pour une année d’imposition, ainsi que les intérêts ou les pénalités, qui sont payables par un contribuable en vertu de la présente partie ou donner avis par écrit qu’aucun impôt n’est payable pour l’année à toute personne qui a produit une déclaration de revenu pour une année d’imposition. Pareille cotisation ne peut être établie après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation applicable au contribuable pour l’année que dans les cas suivants : [la liste des exceptions est omise].

Cotisation et nouvelle cotisation

[16]      Le paragraphe 152(8) dispose qu’une cotisation est réputée exécutoire, jusqu’à ce qu’elle soit modifiée ou annulée par une nouvelle cotisation, malgré toute erreur, tout vice de forme ou toute omission dans cette cotisation :

152. […]

(8) Sous réserve des modifications qui peuvent y être apportées ou de son annulation lors d’une opposition ou d’un appel fait en vertu de la présente partie et sous réserve d’une nouvelle cotisation, une cotisation est réputée être valide et exécutoire malgré toute erreur, tout vice de forme ou toute omission dans cette cotisation ou dans toute procédure s’y rattachant en vertu de la présente loi.

Présomption de validité de la cotisation

[17]      Les cotisations établies à l’égard de JP Morgan sont fondées sur certaines obligations prescrites par la partie XIII de la Loi de l’impôt sur le revenu : alinéa 212(1)a) et paragraphes 215(1) et (6).

[18]      L’alinéa 212(1)a) de la Loi de l’impôt sur le revenu oblige toute personne non‑résidente, en l’espèce JF Asset Management Limited, à payer l’impôt sur certains honoraires reçus d’une personne résidant au Canada, en l’occurrence JP Morgan :

212. (1) Toute personne non‑résidente doit payer un impôt sur le revenu de 25 % sur toute somme qu’une personne résidant au Canada lui paie ou porte à son crédit, ou est réputée en vertu de la partie I lui payer ou porter à son crédit, au titre ou en paiement intégral ou partiel :

Impôt

a) des honoraires ou frais de gestion ou d’administration;

Honoraires ou frais d’administra-tion

Le ministre allègue que les honoraires en cause sont visés par cette disposition.

[19]      Le paragraphe 215(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu oblige la personne résidant au Canada, en l’espèce JP Morgan, à retenir des honoraires versés l’impôt applicable en vertu de l’alinéa 212(1)a) et de le remettre à l’État :

215. (1) La personne qui verse, crédite ou fournit une somme sur laquelle un impôt sur le revenu est exigible en vertu de la présente partie, ou le serait s’il n’était pas tenu compte du sous‑alinéa 94(3)a)(viii) ni du paragraphe 216.1(1), ou qui est réputée avoir versé, crédité ou fourni une telle somme, doit, malgré toute disposition contraire d’une convention ou d’une loi, en déduire ou en retenir l’impôt applicable et le remettre sans délai au receveur général au nom de la personne non‑résidente, à valoir sur l’impôt, et l’accompagner d’un état selon le formulaire prescrit.

Déduction et paiement de l’impôt

[20]      Le ministre allègue que JP Morgan n’a ni retenu ni remis l’impôt comme elle y était tenue par l’alinéa 212(1)a) de la Loi de l’impôt sur le revenu et qu’elle est donc redevable de l’impôt en vertu du paragraphe 215(6) :

215. […]

(6) Lorsqu’une personne a omis de déduire ou de retenir, comme l’exige le présent article, une somme sur un montant payé à une personne non‑résidente ou porté à son crédit ou réputé avoir été payé à une personne non‑résidente ou porté à son crédit, cette personne est tenue de verser à titre d’impôt sous le régime de la présente partie, au nom de la personne non‑résidente, la totalité de la somme qui aurait dû être déduite ou retenue, et elle a le droit de déduire ou de retenir sur tout montant payé par elle à la personne non‑résidente ou portée à son crédit, ou par ailleurs de recouvrer de cette personne non‑résidente toute somme qu’elle a versée pour le compte de cette dernière à titre d’impôt sous le régime de la présente partie.

Assujettisse-ment à l’impôt

[21]      Le ministre a établi des cotisations à l’égard de JP Morgan en application du paragraphe 215(6) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Le pouvoir conféré au ministre d’établir une cotisation est énoncé au paragraphe 227(10) de la Loi :

227. […]

(10) Le ministre peut, en tout temps, établir une cotisation pour les montants suivants :

a) un montant payable par une personne en vertu des paragraphes (8), (8.1), (8.2), (8.3) ou (8.4) ou 224(4) ou (4.1) ou des articles 227.1 ou 235;

b) un montant payable par une personne ou une société de personnes en vertu des paragraphes 237.1(7.4) ou (7.5) ou 237.3(8);

c) un montant payable par une personne en vertu du paragraphe (10.2) pour défaut par une personne non-résidente d’effectuer une déduction ou une retenue;

d) un montant payable en vertu de la partie XIII par une personne qui réside au Canada.

Les sections I et J de la partie I s’appliquent, avec les modifications nécessaires, à tout avis de cotisation que le ministre envoie à la personne ou à la société de personnes.

Cotisation

2)         Le régime de la Cour canadienne de l’impôt

[22]      Les derniers mots du paragraphe 227(10) donnent au contribuable visé le droit de s’opposer à la cotisation en vertu de l’article 165 et d’interjeter appel auprès de la Cour canadienne de l’impôt en vertu du paragraphe 169(1). JP Morgan s’est opposée à toutes les cotisations en se prévalant de l’article 165. Si ses oppositions sont rejetées, JP Morgan pourra interjeter appel devant la Cour canadienne de l’impôt, en vertu du paragraphe 169(1). Ce paragraphe dispose :

169. (1) Lorsqu’un contribuable a signifié un avis d’opposition à une cotisation, prévu à l’article 165, il peut interjeter appel auprès de la Cour canadienne de l’impôt pour faire annuler ou modifier la cotisation :

a) après que le ministre a ratifié la cotisation ou procédé à une nouvelle cotisation;

b) après l’expiration des 90 jours qui suivent la signification de l’avis d’opposition sans que le ministre ait notifié au contribuable le fait qu’il a annulé ou ratifié la cotisation ou procédé à une nouvelle cotisation;

toutefois, nul appel prévu au présent article ne peut être interjeté après l’expiration des 90 jours qui suivent la date où avis a été envoyé au contribuable, en vertu de l’article 165, portant que le ministre a ratifié la cotisation ou procédé à une nouvelle cotisation.

Appel

[23]      En appel, la Cour canadienne de l’impôt dispose de pouvoirs précis en matière de cotisations :

171. (1) La Cour canadienne de l’impôt peut statuer sur un appel :

a) en le rejetant;

b) en l’admettant et en :

(i) annulant la cotisation,

(ii) modifiant la cotisation,

(iii) déférant la cotisation au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation.

Règlement d’un appel

[24]      Le législateur a voulu que les pouvoirs de la Cour canadienne de l’impôt en matière de cotisation soient exclusifs (Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, L.R.C. (1985), ch. T-2, paragraphe 12(1)) :

12. (1) La Cour a compétence exclusive pour entendre les renvois et les appels portés devant elle sur les questions découlant de l’application […] de la Loi de l’impôt sur le revenu […] dans la mesure où ces lois prévoient un droit de renvoi ou d’appel devant elle.

Compétence

3)         La compétence de la Cour fédérale en matière de contrôle judiciaire

[25]      La Cour fédérale statue sur les demandes de contrôle judiciaire émanant d’un « office fédéral » Le ministre est assimilé à un « office fédéral » et, dans les cas appropriés, ses décisions peuvent faire l’objet d’un contrôle :

2. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

Définitions

« office fédéral » Conseil, bureau, commission ou autre organisme, ou personne ou groupe de personnes, ayant, exerçant ou censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale […]

« office fédéral » “federal board, commission or other tribunal

[26]      Lorsque la Cour fédérale est dûment saisie d’une demande de contrôle judiciaire, elle dispose de larges pouvoirs :

18. (1) Sous réserve de l’article 28, la Cour fédérale a compétence exclusive, en première instance, pour :

a) décerner une injonction, un bref de certiorari, de mandamus, de prohibition ou de quo warranto, ou pour rendre un jugement déclaratoire contre tout office fédéral;

b) connaître de toute demande de réparation de la nature visée par l’alinéa a), et notamment de toute procédure engagée contre le procureur général du Canada afin d’obtenir réparation de la part d’un office fédéral.

Recours extraordinaires : offices fédéraux

(2) Elle a compétence exclusive, en première instance, dans le cas des demandes suivantes visant un membre des Forces canadiennes en poste à l’étranger : bref d’habeas corpus ad subjiciendum, de certiorari, de prohibition ou de mandamus.

Recours extraordinaires : Forces canadiennes

(3) Les recours prévus aux paragraphes (1) ou (2) sont exercés par présentation d’une demande de contrôle judiciaire.

Exercice des recours

18.1 (1) Une demande de contrôle judiciaire peut être présentée par le procureur général du Canada ou par quiconque est directement touché par l’objet de la demande.

Demande de contrôle judiciaire

(2) Les demandes de contrôle judiciaire sont à présenter dans les trente jours qui suivent la première communication, par l’office fédéral, de sa décision ou de son ordonnance au bureau du sous‑procureur général du Canada ou à la partie concernée, ou dans le délai supplémentaire qu’un juge de la Cour fédérale peut, avant ou après l’expiration de ces trente jours, fixer ou accorder.

Délai de présentation

(3) Sur présentation d’une demande de contrôle judiciaire, la Cour fédérale peut :

a) ordonner à l’office fédéral en cause d’accomplir tout acte qu’il a illégalement omis ou refusé d’accomplir ou dont il a retardé l’exécution de manière déraisonnable;

b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu’elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l’office fédéral.

Pouvoirs de la Cour fédérale

(4) Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises si la Cour fédérale est convaincue que l’office fédéral, selon le cas :

a) a agi sans compétence, outrepassé celle‑ci ou refusé de l’exercer;

b) n’a pas observé un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale ou toute autre procédure qu’il était légalement tenu de respecter;

c) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d’une erreur de droit, que celle‑ci soit manifeste ou non au vu du dossier;

d) a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose;

e) a agi ou omis d’agir en raison d’une fraude ou de faux témoignages;

f) a agi de toute autre façon contraire à la loi.

Motifs

(5) La Cour fédérale peut rejeter toute demande de contrôle judiciaire fondée uniquement sur un vice de forme si elle estime qu’en l’occurrence le vice n’entraîne aucun dommage important ni déni de justice et, le cas échéant, valider la décision ou l’ordonnance entachée du vice et donner effet à celle‑ci selon les modalités de temps et autres qu’elle estime indiquées.

Vice de forme

4)         Restriction à la compétence de la Cour fédérale en matière de contrôle judiciaire

[27]      En dépit des larges pouvoirs conférés à la Cour fédérale en vertu des dispositions précitées, le législateur lui interdit d’intervenir dans les questions susceptibles d’appel devant la Cour canadienne de l’impôt (Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, article 18.5) :

18.5 Par dérogation aux articles 18 et 18.1, lorsqu’une loi fédérale prévoit expressément qu’il peut être interjeté appel, devant […] la Cour canadienne de l’impôt […] d’une décision ou d’une ordonnance d’un office fédéral, rendue à tout stade des procédures, cette décision ou cette ordonnance ne peut, dans la mesure où elle est susceptible d’un tel appel, faire l’objet de contrôle, de restriction, de prohibition, d’évocation, d’annulation ni d’aucune autre intervention, sauf en conformité avec cette loi.

Dérogation aux art. 18 et 18.1

C.        Introduction à l’analyse

[28]      Avant d’examiner la présente affaire, quelques observations préliminaires s’imposent.

[29]      À maintes reprises, notre Cour a rejeté des demandes de contrôle judiciaire émanant de contribuables. Qu’est‑ce qui explique le grand nombre de demandes de contrôle judiciaire non fondées dans le domaine fiscal?

[30]      Une raison qui l’explique sans doute est l’arrêt de principe de la Cour suprême dans ce domaine : Canada c. Addison & Leyen Ltd., 2007 CSC 33, [2007] 2 R.C.S. 793. Avant de conclure que la demande de contrôle judiciaire du contribuable devait être rejetée dans cette affaire, la Cour suprême a confirmé que, dans les circonstances indiquées, « [ l]e recours au contrôle judiciaire demeure possible », mais « les tribunaux de révision ne doivent ouvrir la voie aux recours en contrôle judiciaire qu’avec beaucoup de circonspection » (aux paragraphes 8 et 11). Ces deux enseignements sont sains sur le plan de certains principes de droit administratif. Toutefois, la Cour suprême n’a pas fait état de ces principes dans ses brefs motifs.

[31]      Certains avocats fiscalistes conférenciers et auteurs d’observations et de commentaires juridiques ont interprété les observations de la Cour suprême dans l’arrêt Addison & Leyen de manière isolée, en les détachant des principes du droit administratif. Selon eux, ces observations de la Cour suprême invitent le contribuable, quoique avec prudence, à s’adresser à la Cour fédérale pour faire sanctionner un traitement trop rigoureux ou inéquitable de la part du ministre. Le contribuable voit aussi à l’occasion des affaires où la Cour accorde une mesure pour l’exercice « inéquitable », « déraisonnable » ou « abusif » du pouvoir discrétionnaire — des mots qui, compris dans leur sens courant, sont autant d’invitations de s’adresser à la Cour. Sur cette base optimiste, certains contribuables introduisent des demandes de contrôle judiciaire. Toutefois, une interprétation aussi prometteuse de la juriprudence Addison & Leyen repose sur un manque de connaissance ou de compréhension des principes du droit administratif.

[32]      Les demandes de contrôle judiciaire de mesures administratives prises par le ministre relativement à une cotisation sont presque toujours rejetées, particulièrement par notre Cour. Le taux de rejet actuel a amené certains à conclure que le pouvoir judiciaire [traduction] « ne semble pas s’acquitter » de sa responsabilité relative au « contrôle, au moyen des procédures du droit administratif, de l’exercice des pouvoirs gouvernementaux [par le ministre] et dans la protection des citoyens ordinaires contre les abus » [note en bas de page omise] en ce qui a trait à l’exercice des pouvoirs de vérification et de cotisations fiscales : Guy Du Pont et Michael H. Lubetsky, « Pouvoir de vérifier, pouvoir de détruire : Supervision judiciaire de l’exercice des pouvoirs de vérification » (2013), 61 (Supp.) Rev. fiscale can. 81, à la page 100.

[33]      Dans un autre article de doctrine, un avocat souligne l’existence d’une succession de décisions [traduction] « quelque peu redondantes » et laisse entendre qu’il peut être difficile de discerner ou de saisir les motifs justifiant les distinctions opérées par la jurisprudence : David Jacyk, « The Dividing Line Between the Jurisdictions of the Tax Court of Canada and Other Superior Courts » (2008), 56 Rev. fiscale can. 661, à la page 707; voir également David Sherman, annotations concernant la décision Pine Valley Enterprises Inc. c. La Reine, 2010 CCI 324 (dans Taxnet Pro) (en ligne).

[34]      Le droit administratif comporte nombre de composantes évolutives dont l’interrelation est souvent mal comprise. Ensemble, ces composantes évolutives constituent ce que Du Pont et Lubetsky appellent les « procédures du droit administratif » [à la page 100]. Ces auteurs enseignent que les procédures du droit administratif contrôlent l’exercice des pouvoirs gouvernementaux et protègent les citoyens contre les abus. C’est en partie vrai.

[35]      Or, les procédures du droit administratif protègent aussi la capacité des décideurs administratifs d’exercer les pouvoirs que la loi leur confère. Parfois, la loi précise les conditions permettant de contester l’exercice de ces pouvoirs, ainsi que la manière de le faire. En l’absence d’une contestation constitutionnelle ou de la nécessité d’un contrôle fondé sur le principe constitutionnel de la primauté du droit (Crevier c. Procureur général du Québec et autres, [1981] 2 R.C.S. 220), le juge doit appliquer la loi en l’état. Après tout, la suprématie des lois adoptées par le législateur fédéral — un principe constitutionnel en soi — fait partie des assises du droit administratif.

[36]      Dans l’ensemble, le juge administratif applique ce principe et d’autres et, lorsque ceux‑ci entrent en conflit, exerce le rôle de médiateur : voir l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, aux paragraphes 27 à 30 (où la Cour note la tension entre la primauté du droit et la suprématie législative). Le juge administratif assure la médiation des conflits en appliquant des principes fondés sur des décennies de solutions bien réfléchies à des problèmes pratiques : une jurisprudence très abondante. En appliquant ces principes, le juge administratif suit les pratiques et les procédures conçues pour ce domaine du droit.

[37]      Pour que la Cour statue sur le présent appel et pour donner davantage d’explications, je commencerai par examiner les pratiques et les procédures régissant les avis de demande de contrôle judiciaire et les requêtes en radiation. Je me pencherai ensuite sur les principes fondamentaux en matière de contrôle concernant les affaires fiscales.

D.        Les pratiques et les procédures : les avis de demande de contrôle judiciaire et les requêtes pour les faire radier

1)         Les avis de demande de contrôle judiciaire : les exigences relatives aux actes de procédure

[38]      Dans un avis de demande de contrôle judiciaire, le demandeur doit présenter un énoncé « précis » de la mesure demandée et un énoncé « complet et concis » des motifs qu’il entend invoquer : Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, alinéas 301d) et 301e).

[39]      L’énoncé « complet » des motifs englobe tous les moyens de droit et les faits essentiels qui, s’ils sont exacts, appellent l’octroi de la mesure demandée.

[40]      L’énoncé « concis » des motifs doit comprendre les faits essentiels propres à démontrer à la Cour qu’elle peut et doit accorder la mesure demandée. Il ne comprend pas les éléments de preuve au moyen desquels ces faits doivent être prouvés.

[41]      La preuve est produite au moyen des affidavits des parties à une étape ultérieure de l’instance : règles 306 et 307, sous réserve des restrictions imposées par la jurisprudence (voir, par exemple, l’arrêt Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22).

2)         Les motifs énoncés dans l’avis de demande de contrôle judiciaire

[42]      Certes, les motifs présentés dans un avis de demande de contrôle judiciaire sont censés être « concis », mais ils ne doivent pas être trop succincts. Le demandeur qui dispose de certains éléments de preuve à l’appui d’un motif peut lui adjoindre certains détails. Le demandeur qui ne dispose d’aucun élément de preuve et qui « va à la pêche » n’a pas cette possibilité.

[43]      À titre d’exemple, il ne suffit pas de dire qu’un décideur administratif « a abusé de son pouvoir discrétionnaire ». Le demandeur doit préciser la nature de ce pouvoir et en quoi le décideur en a abusé. Par exemple, le demandeur doit faire valoir que « le décideur a entravé son pouvoir discrétionnaire en se conformant aveuglément à la politique administrative en matière de réexamen au lieu de tenir compte de l’ensemble des circonstances, comme il y est tenu par l’article Y de la loi X ».

[44]      L’énoncé des motifs dans un avis de demande de contrôle judiciaire n’est pas une liste de catégories d’éléments de preuve que le demandeur espère trouver au cours des étapes de la présentation de la preuve. Avant de pouvoir énoncer un motif, la partie doit avoir à sa disposition certains éléments de preuve à l’appui.

[45]      Intenter une poursuite en formulant des allégations totalement infondées dans l’espoir de les étoffer par la suite constitue un abus de procédure. Voir, de façon générale, Merchant Law Group c. Canada Agence du revenu, 2010 CAF 184, au paragraphe 34; AstraZeneca Canada Inc. c. Novopharm Limited, 2010 CAF 112, au paragraphe 5. La Cour peut ordonner une mesure pour abus de procédure de plusieurs façons, par exemple en enjoignant à une partie ou à son avocat, ou aux deux, de payer les dépens adjugés en faveur de la partie adverse à la partie prise : règles 401 et 404.

[46]      Parfois, des éléments de preuve susceptibles de justifier une demande de contrôle judiciaire sont trouvés après l’expiration du délai de présentation de la demande : Loi sur les Cours fédérales, précitée, au paragraphe 18.1(2) (30 jours). Par exemple, le contribuable peut éventuellement obtenir des éléments de preuve durant l’instance devant la Cour canadienne de l’impôt ou à la suite d’une demande d’information au titre de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A‑1. Dans certains cas, la Cour peut accorder un délai supplémentaire : Loi sur les Cours fédérales, précitée, au paragraphe 18.1(2).

3)         Requêtes en radiation d’avis de demande de contrôle judiciaire

[47]      La Cour n’accepte de radier un avis de demande de contrôle judiciaire que s’il est « manifestement irrégulier au point de n’avoir aucun chance d’être accueilli » [note en bas de page omise] : David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588 (C.A.), à la page 600. Elle doit être en présence d’une demande d’une efficacité assez radicale, un vice fondamental et manifeste qui se classe parmi les moyens exceptionnels qui infirmeraient à la base sa capacité à instruire la demande : Rahman c. Commission des relations de travail dans la fonction publique, 2013 CAF 117, au paragraphe 7; Donaldson c. Western Grain Storage By‑Products, 2012 CAF 286, au paragraphe 6; Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959.

[48]      Il existe deux justifications d’un critère aussi rigoureux. Premièrement, la compétence de la Cour fédérale pour radier un avis de demande n’est pas tirée des Règles, mais plutôt de la compétence absolue qu’ont les cours de justice pour restreindre le mauvais usage ou l’abus des procédures judiciaires : David Bull, précité, à la page 600; Canada (Revenu national) c. Compagnie d’assurance vie RBC, 2013 CAF 50. Deuxièmement, les demandes de contrôle judiciaire doivent être introduites rapidement et être instruites « à bref délai » et « selon une procédure sommaire » : Loi sur les Cours fédérales, précitée, au paragraphe 18.1(2) et à l’article 18.4. Une requête totalement injustifiée — de celles qui soulèvent des questions de fond qui doivent être avancées à l’audience — fait obstacle à cet objectif.

4)         L’examen approfondi de l’avis de demande de contrôle judiciaire

[49]      Forts d’outils perfectionnés pour jouer sur les mots et d’un esprit rusé, les plaideurs habiles peuvent faire paraître des questions relevant de la Cour canadienne de l’impôt comme s’il s’agissait de questions de droit administratif alors qu’il n’en est rien. Lorsque ces plaideurs ont illégitimement gain de cause, ils détournent l’intention du législateur de voir la Cour canadienne de l’impôt trancher exclusivement les questions qui relèvent de la Cour canadienne de l’impôt. Par conséquent, lorsqu’elle est saisie d’une requête en radiation, la Cour doit lire l’avis de demande de manière à saisir la véritable nature de la demande.

[50]      La Cour doit faire une « appréciation réaliste » de la « nature essentielle » de la demande en s’employant à en faire une lecture globale et pratique, sans s’attacher aux questions de forme : Canada c. Domtar Inc., 2009 CAF 218, au paragraphe 28; Canada c. Roitman, 2006 CAF 266, au paragraphe 16; Canada (Procureur général) c. TeleZone Inc., 2010 CSC 62, [2010] 3 R.C.S. 585, au paragraphe 78.

5)         La recevabilité des affidavits dans une requête en radiation

[51]      En règle générale, les affidavits ne sont pas recevables pour appuyer une requête en radiation d’une demande de contrôle judiciaire.

[52]      Plusieurs considérations justifient cette règle générale :

●          Les affidavits peuvent donner lieu à des contre‑interrogatoires et des refus de répondre à des questions et ils risquent, en conséquence, de retarder l’examen des demandes de contrôle judiciaire. Ce genre de situation est contraire à l’exigence du législateur selon laquelle les demandes doivent être instruites « à bref délai » et « selon une procédure sommaire ».

●          Le défendeur qui introduit une requête en radiation d’un avis de demande n’est pas tenu de déposer un affidavit. Dans sa requête, il doit signaler l’existence d’un vice fondamental et manifeste dans l’avis de demande, à savoir un vice qui semble évident. Un vice dont la démonstration nécessite le recours à un affidavit n’est pas manifeste. Normalement, l’incapacité du défendeur de produire un élément de preuve ne lui est pas préjudiciable. Celui‑ci peut déposer l’élément de preuve plus tard lorsque la demande est examinée au fond, sous réserve de certaines restrictions, et la Cour peut souvent statuer sur le fond dans un délai de quelques mois. Si la demande est infondée, elle est rejetée assez tôt. Et s’il est nécessaire de statuer plus rapidement sur le fond, le défendeur peut toujours demander une ordonnance en accélération de l’instruction de la demande.

●          Dans le cas du demandeur qui répond à une requête en radiation de la demande, il faut partir du principe que dans pareille requête, les faits allégués dans l’avis de demande sont tenus pour avérés : Chrysler Canada Inc. c. Canada, 2008 CF 727, au paragraphe 20, confirmé en appel, 2008 CF 1049. Cela élimine la nécessité de faire état des faits au moyen d’un affidavit. De plus, le demandeur doit présenter un énoncé « complet » des motifs dans son avis de demande. La Cour ainsi que les parties opposées peuvent à bon droit supposer que l’avis de demande renferme tout ce qui est essentiel pour octroyer la réparation demandée. L’avis de demande ne peut être complété ou renforcé par un affidavit.

[53]      Les exceptions à la règle de l’irrecevabilité des affidavits dans les requêtes en radiation ne doivent être permises que dans les cas où elles ne vont pas à l’encontre des justifications à la règle générale de l’irrecevabilité, et où l’exception sert l’intérêt de la justice.

[54]      Par exemple, constitue une exception, pertinente en l’espèce, le fait pour un document d’être mentionné et incorporé par renvoi à l’avis de demande. Une partie peut produire un affidavit joignant simplement le document en annexe, sans plus, afin d’aider la Cour.

[55]      En l’espèce, les deux parties ont déposé devant le protonotaire des éléments de preuve relativement à la requête en radiation.

[56]      Le ministre a produit un court affidavit souscrit par un fonctionnaire affecté à la tenue des dossiers à l’Agence du revenu du Canada. L’affidavit joint en annexe les cotisations établies au titre de la partie XIII contre JP Morgan pour les années d’imposition 2002, 2003 et 2004, soit les documents controversés dans l’avis de demande. L’affidavit ne contient ni observations ni renseignements supplémentaires concernant les cotisations.

[57]      L’affidavit que le ministre a produit est acceptable, puisqu’il joint simplement en annexe un document mentionné et incorporé par renvoi à l’avis de demande.

[58]      JP Morgan a déposé un affidavit de son directeur administratif chargé de la gestion de ses affaires financières. Cet affidavit contient des éléments de preuve concernant JP Morgan, la nature de ses activités et une foule de renseignements sur la vérification menée par le ministre et sa nouvelle approche à l’égard des années d’imposition antérieures. L’affidavit est accompagné de lettres envoyées par le ministre durant la vérification, d’un rapport de vérification, des avis d’opposition de JP Morgan à la cotisation établie pour l’année d’imposition 2002, ainsi que les faits et des motifs sur lesquels reposent les avis d’opposition.

[59]      Devant le protonotaire, le ministre a sollicité la radiation de l’affidavit de JP Morgan. Le protonotaire a refusé de radier l’affidavit.

[60]      Le protonotaire a observé à raison (au paragraphe 24) que « la preuve par affidavit n’est normalement pas recevable dans le cadre d’une requête en radiation » et que « les avis de demande doivent être admis de prime abord ». Toutefois, le protonotaire a conclu que l’affidavit était régulier, puisqu’il « traite de la question de savoir pourquoi la Cour a compétence pour examiner la décision dans le cadre d’un contrôle judiciaire » et qu’il « ne renferme aucun renseignement que [le ministre] ne connaît pas » (au paragraphe 24).

[61]      Au final, la décision du protonotaire quant à la recevabilité n’a eu aucune conséquence. L’affidavit de JP Morgan ne semble pas avoir occupé une place importante dans la décision du protonotaire et la Cour fédérale n’y a pas fait référence lorsqu’elle a examiné cette décision. Enfin, dans son avis d’appel devant notre Cour, le ministre n’a pas contesté la décision du protonotaire touchant la recevabilité. Il n’y a donc pas lieu de l’examiner davantage.

[62]      Cependant, je ferai de brèves observations qui pourront être utiles à l’occasion d’affaires ultérieures.

[63]      Au vu des circonstances de la présente affaire, je ne peux souscrire à l’avis du protonotaire selon lequel l’affidavit présenté par JP Morgan était recevable au motif que la compétence de la Cour était en litige. Lorsqu’il rédige les motifs à l’appui de son avis de demande, le demandeur doit indiquer les raisons pour lesquelles la Cour a compétence. Après tout, la compétence de la Cour est d’origine législative et la Cour doit avoir compétence pour statuer sur la demande et accorder la mesure demandée. De plus, l’alinéa 301e) des Règles prescrit de mentionner les dispositions législatives pertinentes.

[64]      À mon sens, l’affidavit présenté par JP Morgan est recevable seulement dans la mesure où il recense, sans controverse, les politiques mentionnées dans l’avis de demande, lesquelles, selon une interprétation objective, sont incorporées par renvoi dans l’avis de demande. Toutefois, le reste du contenu de l’affidavit n’est pas pertinent ou il ajoute des renseignements qui ne figurent pas dans les motifs à l’appui de la demande. Il n’est pas important de savoir si ces renseignements additionnels étaient connus du ministre : ils n’auraient pas dû être présentés à la Cour dans le cadre de la requête en radiation.

6)         Les procédures consécutives au rejet d’une requête en radiation

[65]      Si la requête en radiation est rejetée, la procédure en contrôle judiciaire peut avoir lieu comme le prévoient les règles 306 à 319. Cette procédure ne met pas nécessairement un terme aux processus du ministre qui précèdent ou qui suivent la cotisation, non plus qu’aux processus d’appel de la Cour canadienne de l’impôt. Le ministre et la Cour canadienne de l’impôt peuvent poursuivre leurs procédures respectives, sauf si la Cour fédérale ordonne la suspension en application du critère énoncé dans l’arrêt RJR — MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311.

E.        Les principes généraux régissant les cas où il y a lieu de rejeter un avis de demande de contrôle judiciaire en matière fiscale

[66]      Selon la jurisprudence en droit administratif de notre Cour et de la Cour suprême du Canada — notamment l’arrêt Addison & Leyen de la Cour suprême, précité —, l’un ou l’autre des éléments suivants constitue un vice fondamental et manifeste qui appelle la radiation de l’avis de demande :

1)         l’avis de demande ne révèle aucune action recevable en droit administratif qui peut être introduite devant la Cour fédérale;

2)         l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales ou quelque autre principe juridique interdit à la Cour fédérale de se prononcer sur le recours en droit administratif;

3)         la Cour fédérale ne peut accorder la mesure demandée.

J’examinerai ces enseignements à tour de rôle.

1)         L’avis de demande ne révèle aucune action recevable en droit administratif qui peut être introduite devant la Cour fédérale

[67]      Les actions recevables en droit administratif répondent à deux exigences.

[68]      Premièrement, la procédure en contrôle judiciaire doit être possible sous le régime de la Loi sur les Cours fédérales. Les articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales imposent certains prérequis de base : Air Canada c. Administration portuaire de Toronto, 2011 CAF 347 (résumé, pas nécessairement exhaustif, de nombreux préalables pertinents).

[69]      Tout compte fait et sous réserve des restrictions discutées ci‑après, il ne fait aucun doute qu’en vertu de l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales, la Cour fédérale a compétence pour se prononcer, dans certains cas, sur les agissements du ministre : Markevich c. Canada, 2003 CSC 9, [2003] 1 R.C.S. 94; Addison & Leyen, précité, au paragraphe 8. Sous‑jacent à l’article 18 réside le « pouvoir [absolu] de surveillance [de la Cour] sur les agissements du ministre dans le cadre de l’administration et de la mise en œuvre de la Loi » : Canada (Revenu national) c. Derakhshani, 2009 CAF 190, aux paragraphes 10 et 11; Compagnie d’assurance vie RBC, précité, au paragraphe 35, dans lequel j’ai interprété et suivi l’arrêt Canada (Commission des droits de la personne) c. Canadian Liberty Net, [1998] 1 R.C.S. 626, aux paragraphes 33, 36, 38 et 39.

[70]      Deuxièmement, la demande doit énoncer un motif de contrôle connu en droit administratif ou susceptible d’être reconnu en droit administratif. Les motifs connus en droit administratif sont les suivants :

●          L’absence de compétence. Une mesure administrative trouve son fondement et sa source, expresse ou implicite, dans un texte législatif : Tranchemontagne c. Ontario (Directeur du Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées), 2006 CSC 14, [2006] 1 R.C.S. 513, au paragraphe 16. Une mesure administrative ne peut être ni inconstitutionnelle en elle‑même, ni avalisée par une loi inconstitutionnelle, ni prise en vertu de mesures législatives déléguées qui ne sont pas autorisées par sa loi habilitante. C’est ce qu’on appelle souvent les questions de compétence.

●          L’irrecevabilité quant à la procédure. La plupart des mesures administratives doivent être prises d’une manière équitable sur le plan procédural. Sur la question préliminaire de savoir s’il existe des obligations d’équité procédurale, voir Ministre du Revenu national c. Coopers and Lybrand, [1979] 1 R.C.S. 495; Martineau c. Comité de discipline de l’Institution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602; Cardinal et autre c. Directeur de l’Établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643. Lorsqu’il y a obligation d’équité procédurale, le niveau d’équité peut être prescrit par la loi ou, en l’absence d’une directive donnée par la loi, peut varier en fonction d’un critère de common law : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, aux paragraphes 21 à 28.

●          L’irrecevabilité quant au fond. Compte tenu de la norme de contrôle qui joue, la mesure administrative doit être bien fondée ou appartenir aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (c’est‑à‑dire, « raisonnable ») : Dunsmuir, précité; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654. Dans le cas du caractère raisonnable de la mesure, l’éventail des issues raisonnables peut être limité ou large, tout dépendant des circonstances : Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5, aux paragraphes 17, 18 et 23; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 59; Canada (Procureur général) c. Commission canadienne des droits de la personne, 2013 CAF 75, aux paragraphes 13 et 14. Le « caractère raisonnable » est une expression consacrée, définie par la jurisprudence — elle n’est pas employée dans son sens courant.

[71]      Dans bon nombre de procédures en contrôle judiciaire des décisions du ministre, les parties soutiennent que celui‑ci a « abusé de son pouvoir discrétionnaire ». La Cour suprême, dans l’arrêt Addison & Leyen, précité, au paragraphe 8, constate que parfois, ce genre d’abus peut servir de fondement à une demande de contrôle judiciaire.

[72]      Voici deux exemples d’abus parmi les plus importants :

●          la poursuite de fins illicites ou une décision prise de mauvaise foi — à savoir une décision prise pour des fins non autorisées par la loi : Re Multi‑Malls Inc. et al. and Minister of Transportation and Communications et al., 1976 CanLII 623, 14 O.R. (2d) 49 (C.A.); Doctors Hospital and Minister of Health et al., Re (1976), 12 O.R. (2d) 164 (C. div.); Padfield v. Minister of Agriculture, Fisheries & Food, [1968] A.C. 997 (H.L.); voir aussi l’arrêt Roncarelli v. Duplessis, [1959] R.C.S. 121;

●          l’entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire ou l’exercice de ce pouvoir sous la dictée d’une personne non autorisée à prendre la décision : voir, par exemple, Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2; Stemijon Investments Ltd. c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 299 (contexte fiscal).

(Voir, de façon générale, David J. Mullan, Administrative Law (Toronto : Irwin Law, 2001), aux pages 100 à 113.)

[73]      Pour les besoins de la taxinomie ci‑dessus, il est préférable de considérer ces deux types d’abus comme des questions d’irrecevabilité quant au fond. Certains juges les considèrent comme des motifs prévus et indépendants justifiant un contrôle automatique — si le décideur se livre à ces abus, ses décisions sont automatiquement invalides : voir l’arrêt Thamotharem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 198, [2008] 1 R.C.F. 385. D’autres y voient des exemples de décisions qui n’appartiennent pas aux issues acceptables pouvant se justifier, selon le critère établi par la jurisprudence Dunsmuir : Stemijon Investments Ltd., précité, aux paragraphes 20 à 24. Peu importe la façon dont ces décisions sont analysées, ces analyses sont fondées en droit administratif.

[74]      À une certaine époque, le fait de prendre en compte des considérations non pertinentes et celui de ne pas prendre en compte des considérations pertinentes étaient des motifs de contrôle prévus — dans ces cas, un abus du pouvoir discrétionnaire était automatiquement présent. Avec le temps, cependant, on a réclamé pour les décideurs une certaine latitude pour rechercher si une considération est pertinente : voir l’arrêt Baker, précité, au paragraphe 55; Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, 2003 CSC 19, [2003] 1 R.C.S. 226, au paragraphe 24. Aujourd’hui, l’évolution est complète : le juge doit s’en remettre aux interprétations que font les décideurs des lois qu’ils utilisent habituellement, notamment à leurs analyses de ce qui est pertinent ou non sous le régime de ces lois : Dunsmuir, précité, au paragraphe 54; Alberta Teachers’ Association, précité, au paragraphe 34. Il est donc actuellement admis que ces interprétations et analyses ne sont pas des catégories de contrôle prévues, mais plutôt des questions à examiner selon le critère du caractère raisonnable établi par la jurisprudence Dunsmuir : voir l’arrêt Antrim Truck Centre Ltd. c. Ontario (Transports), 2013 CSC 13, [2013] 1 R.C.S. 594, aux paragraphes 53 et 54.

[75]      Certaines questions, prises isolément et considérées en elles‑mêmes, ne constituent pas un abus de pouvoir discrétionnaire, c’est‑à‑dire qu’elles ne sont pas substantiellement déraisonnables selon la jurisprudence Dunsmuir. Voici deux exemples :

●          L’attente d’un résultat quant au fond. Parfois, le décideur administratif amène une personne à croire qu’il prendra une décision particulière sur le fond, puis omet de la prendre. Même si la personne a une attente légitime d’un résultat quant au fond à l’égard d’une affaire particulière, cette attente n’est pas exécutoire : Agraira c. Canada (Sécurité et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, au paragraphe 97; Renvoi relatif au régime d’assistance publique du Canada (C.‑B.), [1991] 2 R.C.S. 525; St. Ann’s Fishing Club v. The King, [1950] R.C.S. 211, motifs du juge Rand, à la page 220 ([traduction] « il ne peut y avoir préclusion face à une disposition explicite d’une loi »); The King v. Dominion of Canada Postage Stamp Vending Co. Ltd., [1930] R.C.S. 500; Canada c. South Yukon Forest Corporation, 2012 CAF 165, au paragraphe 79. Dans le contexte fiscal, voir l’arrêt M.R.N. c. Inland Industries Ltd., [1974] R.C.S. 514; Louis Sheff (1984) Inc. c. La Reine, 2003 CCI 589, au paragraphe 45 (« une préclusion ne peut aller à l’encontre des lois d’application générale, et la Couronne n’est pas liée par les erreurs ou omission de ses préposés »); Gibbon c. La Reine, [1978] 1 C.F. 247 (1re inst.).

●          La dérogation aux politiques. Un changement ou une dérogation à une politique ne constitue pas en soi un abus du pouvoir discrétionnaire et ne rend pas une décision déraisonnable : Comeau’s Sea Foods Ltd. c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), [1997] 1 R.C.S. 12. Les décideurs administratifs sont tenus d’appliquer les lois d’application générale, non leurs politiques administratives, aux faits qui leur sont présentés. Par exemple, en matière fiscale, un bulletin d’information ne donne pas lieu à préclusion : Vaillancourt c. Sous‑ministre M.R.N., [1991] 3 C.F. 663 (C.A.), à la page 674; Stickel c. Le ministre du Revenu national, [1972] C.F. 672 (1re inst.), à la page 685.

[76]      Dans l’affaire Addison & Leyen, précitée, le contribuable n’avait pas révélé une action recevable en droit administratif. Le contribuable a allégué que le ministre avait abusé de son pouvoir discrétionnaire en retardant abusivement l’établissement de la cotisation du contribuable. La Cour suprême a conclu que ce fait, en soi, ne constitue pas un motif reconnu d’intervention, étant donné que le libellé de la disposition législative permet au ministre d’établir la cotisation « en tout temps » (au paragraphe 10) :

Le ministre dispose du pouvoir discrétionnaire d’établir une cotisation à l’égard d’un contribuable en tout temps. Cela ne veut pas dire que l’exercice de ce pouvoir ne peut jamais faire l’objet d’un contrôle. Toutefois, en raison du terme « en tout temps » à l’article 160 [de la Loi de l’impôt sur le revenu], la longueur du délai écoulé avant qu’il soit décidé d’établir une cotisation à l’égard d’un contribuable ne suffit pas à fonder un contrôle judiciaire, sauf, peut‑être, s’il s’agit d’autoriser un recours comme le mandamus pour inciter le ministre à faire preuve de diligence raisonnable une fois l’avis d’opposition déposé.

[77]      À certaines occasions en matière fiscale, des parties ont soutenu que le ministre avait abusé de son pouvoir discrétionnaire en établissant la cotisation. Jusqu’à maintenant, ces allégations ont toutes été rejetées au motif qu’elles étaient irrecevables puisqu’aux fins de la détermination de l’impôt à payer par un contribuable, le ministre n’a généralement pas de pouvoir discrétionnaire à exercer et partant, aucun pouvoir discrétionnaire dont il puisse abuser. Lorsqu’il ressort des faits et de la loi qu’il doit y avoir assujettissement à l’impôt, le ministre doit établir une cotisation : Galway c. Le ministre du Revenu national, [1974] 1 C.F. 600 (C.A.), à la page 602 (« le ministre a l’obligation, aux termes de la loi, de fixer le montant de l’impôt exigible d’après les faits qu’il établit et en conformité de son interprétation de la loi »).

[78]      À cet égard, en ce qui a trait à l’établissement des cotisations par suite de l’assujettissement du contribuable à l’impôt, « [n]i le ministre du Revenu ni ses préposés n’ont quelque discrétion que ce soit dans l’application qu’ils doivent faire de la Loi de l’impôt sur le revenu »; ils sont tenus de « la suivre de manière absolue » : Ludmer c. Canada, [1995] 2 C.F. 3 (C.A.), à la page 17; Harris c. Canada, [2000] 4 C.F. 37 (C.A.), au paragraphe 36. Notre Cour ne peut empêcher le ministre de remplir ses fonctions : Canada Agence du revenu c. Société Télé-Mobile, 2011 CAF 89, au paragraphe 5 (dans le contexte de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. (1985), ch. E‑15); Ludmer, précité, à la page 9.

[79]      On s’appuie pour ceci sur le principe selon lequel le ministre n’a pas le pouvoir de se prêter à un compromis concernant les sommes réclamées, c’est‑à‑dire en établissant, à la suite d’une entente de règlement avec le contribuable, une cotisation qui n’est pas fondée sur les faits et le droit : Galway, précité; Cohen c. Canada, [1980] A.C.F. no 501 (C.A.) (QL); Harris, précité, au paragraphe 37; CIBC World Markets Inc. c. La Reine, 2012 CAF 3; Longley v. Canada (Revenue), 1992 CanLII 5961, 66 B.C.L.R. (2d) 238 (C.A.), au paragraphe 19.

[80]      Dans la présente section des motifs, je n’ai pas tenté de recenser toutes les allégations qui sont véritablement justifiées ou non en droit administratif. Le point essentiel, aux fins de l’espèce, est le suivant : pour que la requête en radiation ne donne pas lieu au rejet de sa demande, le demandeur doit soulever un point de droit quelconque propre à justifier l’existence d’une action recevable en droit administratif dans les circonstances.

2)         L’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales ou quelque autre règle de droit interdit à la Cour fédérale de se prononcer sur le recours en droit administratif

[81]      L’affaire Addison & Leyen, précité, illustre judicieusement cette objection. La demande de contrôle judiciaire du contribuable consistait essentiellement en une contestation de la validité de la cotisation établie par le ministre à l’égard d’un contribuable assujetti à l’impôt en vertu de l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu. Or, ce contribuable disposait d’un recours approprié et efficace ailleurs : un appel devant la Cour canadienne de l’impôt. Appliquant l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales, la Cour suprême a conclu que le recours en contrôle judiciaire n’était pas recevable (au paragraphe 11) :

Il y a lieu de protéger l’intégrité et l’efficacité du système de cotisation et d’appel en matière fiscale. Le Parlement a édifié une structure complexe pour assurer le traitement d’une multitude de revendications se rapportant au fisc, et cette structure s’appuie sur un tribunal spécialisé et indépendant, la Cour canadienne de l’impôt. On ne saurait permettre que le contrôle judiciaire serve à créer une nouvelle forme de procédure connexe destinée à contourner le système d’appel établi par le Parlement en matière fiscale ainsi que la compétence de la Cour de l’impôt. Dans ce contexte, le contrôle judiciaire devrait demeurer un recours de dernier ressort.

La Cour suprême avait expliqué plus tôt que le recours en contrôle judiciaire « demeure possible dans la mesure où la question n’est pas autrement susceptible d’appel » devant la Cour canadienne de l’impôt ou ne sera pas réglée au moyen d’un appel devant la Cour de l’impôt : Addison & Leyen, précité, au paragraphe 8.

[82]      Dans chacun des cas suivants, l’appel devant la Cour canadienne de l’impôt est possible, approprié et efficace et permet au contribuable d’obtenir la mesure demandée; le recours en contrôle judiciaire devant la Cour fédérale n’est donc pas possible :

●          La validité des cotisations. La Cour canadienne de l’impôt a compétence exclusive quant à l’examen des cotisations au moyen d’un appel dont elle est saisie. Les articles 165 et 169 de la Loi de l’impôt sur le revenu établissent une procédure d’appel complète qui permet au contribuable de soulever devant la Cour canadienne de l’impôt toutes les questions relatives au bien-fondé des cotisations, à savoir si les cotisations sont fondées sur les faits et conformes à la loi applicable : Ministre du Revenu national c. Parsons, [1984] 2 C.F. 331 (C.A.); Northern and Central Gas Corp. c. Canada, [1985] A.C.F. no 111 (1re inst.) (QL); Bechthold Resources Limited c. Canada (M.R.N.), [1986] 3 C.F. 116 (1re inst.), à la page 122; Optical Recording Corp. c. Canada, [1991] 1 C.F. 309 (C.A.), aux pages 320 et 321 (C.A.); Brydges c. Kinsman, [1992] A.C.F. no 1078 (C.A.) (QL); Devor v. Minister of National Revenue, [1993] 1 C.T.C. 142 (C.A.F.); Water’s Edge Village Estates (Phase II) Ltd. c. Canada, [1994] A.C.F. no 93 (1re inst.) (QL); Canada (Procureur général) c. Webster, 2003 CAF 388; Walker c. Canada, 2005 CAF 393, au paragraphe 15; Sokolowska c. Canada, 2005 CAF 29; Angell c. Canada (Ministre du Revenu national), 2005 CF 782; Heckendorn c. Canada, 2005 CF 802; Walsh c. Canada (Ministre du Revenu national), 2006 CF 56; Roitman, précité, au paragraphe 20; Smith et al. v. Canada (Attorney General) et al., 2006 BCCA 237, 61 B.C.L.R. (4th) 231. Par conséquent, il n’est pas possible d’introduire un contrôle judiciaire devant la Cour fédérale pour y soulever une question de fond sur la recevabilité d’une cotisation.

●          L’admissibilité d’un élément de preuve justifiant la cotisation. Lors d’un appel, la Cour canadienne de l’impôt peut examiner si un élément de preuve dont elle est saisie est admissible. Dans la mesure où la conduite du ministre aurait nui à l’admissibilité d’un élément de preuve, cette admissibilité doit être débattue devant la Cour canadienne de l’impôt, et non devant la Cour fédérale par voie de contrôle judiciaire : Redeemer Foundation c. Canada (Revenu national), 2008 CSC 46, [2008] 2 R.C.S. 643, au paragraphe 28 (« [l]orsqu’un contribuable craint que certains éléments de preuve soient utilisés contre lui pour l’établissement d’une nouvelle cotisation, il doit s’adresser à la Cour canadienne de l’impôt pour en contester l’admissibilité »). Par exemple, la Cour canadienne de l’impôt est un autre tribunal approprié pour obtenir une décision sur l’admissibilité d’une preuve obtenue par le ministre en contravention à la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] : Canada c. O’Neill Motors Ltd., [1998] 4 C.F. 180 (C.A.).

●          Le recours abusif à la procédure interne de la Cour canadienne de l’impôt. La Cour canadienne de l’impôt possède la compétence pour appliquer ses propres règles, insister sur le respect de normes d’équité et prévenir l’abus de sa procédure : Yacyshyn c. Canada, 1999 CanLII 7552 (C.A.F.); Canada c. Guindon, 2013 CAF 153, au paragraphe 55. De plus, cette Cour possède une compétence absolue pour assurer, par les moyens nécessaires, le caractère équitable de toute instance devant elle et pour prévenir tout abus de sa procédure : Compagnie d’assurance vie RBC, précité, au paragraphe 35. Le débat concernant une conduite fautive relative au processus d’appel de la Cour canadienne de l’impôt sur laquelle cette Cour peut statuer en raison de sa compétence applicable à sa propre procédure doit avoir lieu devant cette Cour, et non devant la Cour fédérale par voie du recours en contrôle judiciaire. La procédure de la Cour canadienne de l’impôt étant recevable, la possibilité d’un recours devant la Cour canadienne de l’impôt limite l’ouverture du recours en contrôle judiciaire devant la Cour fédérale.

●          Les procédures inappropriées suivies par le ministre dans l’établissement de la cotisation. Les vices de procédure commis par le ministre dans l’établissement de la cotisation ne constituent pas, en eux‑mêmes, un motif permettant de frapper de nullité la cotisation : Main Rehabilitation Co. c. Canada, 2004 CAF 403, au paragraphe 7; Webster, précité, au paragraphe 20; Canada c. Consumers’ Gas Co., [1987] 2 C.F. 60 (C.A.), à la page 67. Dans la mesure où le ministre a ignoré un élément de preuve, en a fait abstraction, l’a écarté ou l’a mal interprété, un appel interjeté sous le régime de la procédure générale de la Cour canadienne de l’impôt est un recours approprié et curatif. En appel devant cette Cour, les parties auront la possibilité d’interroger au préalable, d’obtenir la communication de documents, de présenter des preuves documentaires, d’appeler des témoins et de faire des observations. La jouissance ultérieure de droits procéduraux peut remédier à des vices de procédure antérieurs : Posluns v. Toronto Stock Exchange et al., [1968] R.C.S. 330; King v. University of Saskatchewan, [1969] R.C.S. 678, à la page 689; Taiga Works Wilderness Equipment Ltd. v. British Columbia (Director of Employment Standards), 2010 BCCA 97, 316 D.L.R. (4th) 719, au paragraphe 28; Histed v. Law Society of Manitoba, 2006 MBCA 89 (CanLII), 274 D.L.R. (4th) 326; McNamara v. Ontario (Racing Commission), 1998 CanLII 7144, 164 D.L.R. (4th) 99 (C.A. Ont.).

[83]      En appel, la Cour canadienne de l’impôt n’a pas compétence pour annuler une cotisation établie sur la base d’une conduite fautive du ministre, tel un abus de pouvoir ou un manquement à l’équité, ayant donné lieu à la cotisation : Ereiser c. Canada, 2013 CAF 20, au paragraphe 38; Roitman, précité, au paragraphe 21; Main Rehabilitation Co. Ltd., précité, au paragraphe 6; Bolton c. Canada, [1996] A.C.F. no 820 (C.A.) (QL); Ginsberg c. Canada, [1996] 3 C.F. 334 (C.A.); Burrows c. La Reine, 2005 CCI 761; Hardtke c. La Reine, 2005 CCI 263. Si une cotisation est bien fondée au regard des faits et du droit, le contribuable doit payer l’impôt. Dans la mesure où la Cour canadienne de l’impôt ne peut connaître en appel de la conduite fautive du ministre, l’exclusion du recours en contrôle judiciaire devant la Cour fédérale prévue à l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales ne joue pas. Cela signifie‑t‑il pour autant que le contribuable peut porter l’affaire devant la Cour fédérale?

[84]      Pas nécessairement. Un autre principe de droit peut lui faire obstacle. Un recours en contrôle judiciaire introduit malgré l’existence d’un recours approprié et efficace ailleurs et à un autre moment ne peut être instruit : Harelkin c. Université de Regina, [1979] 2 R.C.S. 561; Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929; Peepeekisis Band c. Canada, 2013 CAF 191, aux paragraphes 59 à 62; Association des compagnies de téléphone du Québec Inc. c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 203, au paragraphe 26; Buenaventura Jr. c. Syndicat des travailleurs (euses) en télécommunications (STT), 2012 CAF 69, aux paragraphes 22 à 41. Ce principe s’applique sous réserve de circonstances exceptionnelles illustrées dans la jurisprudence : voir entre autres l’arrêt C.B. Powell Limited c. Canada (Agence des services frontaliers), 2010 CAF 61, [2011] 2 R.C.F. 332, aux paragraphes 30, 31 et 33, et la jurisprudence citée dans cet arrêt.

[85]      Ce principe se justifie par le fait que les mesures dont est assortie la procédure en contrôle judiciaire sont des mesures de dernier recours : Addison & Leyen, précité, au paragraphe 11; Cheyenne Realty Ltd. c. Thompson et al., [1975] 1 R.C.S. 87, à la page 90; Eli Lilly & Co. c. Apotex Inc., 2000 CanLII 16486 (C.A.F.), au paragraphe 9; Kingsbury v. Heighton, 2003 NSCA 80, 216 N.S.R. (2d) 277, au paragraphe 102; lord Woolf, « Judicial Review : A Possible Programme for Reform » [1992]  P.L.  221, à la page 235. De plus, l’introduction inappropriée ou prématurée du recours en contrôle judiciaire peut contrecarrer la volonté du législateur au regard des régimes spécialisés qu’il a établis et causer des retards : Halifax (Regional Municipality) c. Nouvelle‑Écosse (Human Rights Commission), 2012 CSC 10, [2012] 1 R.C.S. 364, au paragraphe 36; C.B. Powell, précité, aux paragraphes 28 et 32; Volochay v. College of Massage Therapists of Ontario, 2012 ONCA 541, 111 R.J.O. (3e) 561, aux paragraphes 68 et 69; Mullan, précité, à la page 489.

[86]      La doctrine et la jurisprudence en droit administratif formulent ce principe de maintes manières : un autre for approprié, la doctrine de l’épuisement des recours, la doctrine interdisant le fractionnement ou la division des procédures, le principe interdisant le contrôle judiciaire interlocutoire et l’objection contre l’exercice prématuré du recours en contrôle judiciaire. Toutes ces formules expriment la même idée : le justiciable a précipitamment introduit devant le juge un recours en contrôle judiciaire alors qu’un recours approprié et efficace était possible ailleurs ou à un autre moment.

[87]      L’affaire Harelkin, précitée, illustre dans quelle mesure un recours approprié et efficace devant un autre for peut faire obstacle au recours en contrôle judiciaire. M. Harelkin estimait que le comité du conseil de l’université avait pris à son encontre une décision inéquitable sur le plan procédural. Il aurait pu interjeter appel de cette décision auprès du sénat de l’université. Il a plutôt opté pour le recours en contrôle judiciaire. La Cour suprême a statué qu’il aurait dû interjeter appel auprès du sénat de l’université. La tenue d’une nouvelle audience devant cet organisme aurait pu remédier à l’iniquité procédurale. La demande de contrôle judiciaire a été rejetée. L’arrêt Weber, précité, est de la même eau : une procédure de règlement des griefs prévue par la loi qui est à même de fournir une mesure appropriée ne peut être contournée par l’exercice du recours en contrôle judiciaire.

[88]      L’existence d’un recours approprié et efficace devant le tribunal où un litige est déjà en instance peut faire obstacle au recours en contrôle judiciaire. L’arrêt C.B. Powell, précité, en constitue un bon exemple. Dans cette affaire, une partie à l’instance devant le Tribunal canadien du commerce extérieur (TCCE) a introduit une demande de contrôle judiciaire pendant cette instance. Elle demandait au juge de statuer sur une question d’interprétation législative qui, disait‑elle, était une question de « compétence ». La Cour a statué que le TCCE avait le pouvoir d’interpréter la loi et qu’il était habilité à le faire. Le Tribunal constituait un for approprié. Le recours en contrôle judiciaire n’aurait été possible que s’il s’avérait nécessaire à la fin de l’instance devant le TCCE.

[89]      En matière fiscale, dans les cas où le ministre s’est livré à une conduite fautive qui ne relève pas des pouvoirs de la Cour canadienne de l’impôt, des voies autres que le recours en contrôle judiciaire devant la Cour fédérale peuvent être appropriées et efficaces : Société Télé‑Mobile, précité; Ereiser, précité, au paragraphe 38. Par exemple, il est possible d’obtenir une sanction du non-respect d’une entente, d’actes malveillants, négligents ou frauduleux, du retard inexcusable et de l’abus de procédure par voie d’action pour rupture de contrat, négligence de nature réglementaire, déclaration inexacte faite par négligence, fraude, abus de procédure, ou faute dans l’exercice d’une charge publique : en matière fiscale, voir Swift c. Canada, 2004 CAF 316; Leroux v. Canada Revenue Agency, 2012 BCCA 63, 347 D.L.R. (4th) 122, au paragraphe 22; Gardner v. Canada (Attorney General), 2012 ONSC 1837 (CanLII), [2012] 5 C.T.C. 118, infirmé sur un autre point, 2013 ONCA 423, 116 O.R. (3d) 304; McCreight v. Canada (Attorney General), 2013 ONCA 483, 116 O.R. (3d) 429. La question de savoir si ces recours sont vraiment appropriés et efficaces dépend des circonstances de l’affaire.

[90]      Dans certains cas, une mesure discrétionnaire prévue ailleurs dans la Loi de l’impôt sur le revenu peut donner lieu à un recours approprié et efficace. Par exemple, suivant le paragraphe 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, le contribuable peut obtenir une mesure fondée sur l’équité à l’égard des pénalités et intérêts qui, compte tenu des circonstances, sont inéquitables. Dans certaines circonstances, cette mesure peut pallier la conduite fautive ayant donné lieu à la cotisation : Hillier c. Canada (Procureur général), 2001 CAF 197 (un retard excessif dans l’établissement de la cotisation peut donner lieu à un allègement fondé sur l’équité). Il est vrai que le ministre qui a établi la cotisation décide aussi s’il y a lieu de faire droit à la demande d’allègement fondée sur l’équité en application de l’article 220, mais les critères sur lesquels reposent les deux décisions sont différents. La décision du ministre prise en vertu de l’article 220 est susceptible de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale selon les principes du droit administratif. Si le ministre aborde la question de l’allègement pour raison d’équité en ayant l’esprit fermé ou prend une décision qui, quant au fond et à la procédure, est inacceptable en droit administratif, sa décision peut être annulée : Guindon, précité, aux paragraphes 56 à 59; Stemijon Investments Ltd., précité (le ministre doit avoir l’esprit ouvert et ne peut pas entraver son pouvoir discrétionnaire).

[91]      Conformément à la jurisprudence David Bull, précitée, et à l’existence obligatoire d’un vice fondamental et manifeste, un avis de demande de contrôle judiciaire ne doit pas être introduit sur la base de cette opposition, sauf si la question est claire. Si, après avoir établi la nature véritable de la demande, la Cour n’est pas sûre si l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales joue pour faire obstacle au recours en contrôle judiciaire ou, selon le cas :

●          si un recours est possible ailleurs, maintenant ou plus tard;

●          si le recours est approprié et efficace;

●          si les circonstances invoquées sont d’une nature inhabituelle ou exceptionnelle reconnue par la jurisprudence ou présentent des caractéristiques analogues;

la Cour ne peut radier l’avis de demande de contrôle judiciaire.

3)         La Cour fédérale n’est pas habilitée à accorder la mesure demandée

[92]      Le troisième motif pouvant donner lieu à la radiation d’un avis de demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale est le fait pour la Cour de ne pouvoir accorder la mesure demandée. Les pouvoirs de la Cour fédérale se limitent aux recours prévus au paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales, précitée, et aux recours associés à son pouvoir absolu (discutés dans les arrêts Canadian Liberty Net et Compagnie d’assurance vie RBC, précités). La mesure doit aussi être de celles qui ne sont pas, à d’autres égards, irrecevables par application de la loi ou non conformes à celle‑ci. Si l’avis de demande ne sollicite que des mesures qui ne peuvent être accordées, il doit être radié.

[93]      En matière fiscale, la Cour fédérale n’est pas autorisée à modifier ou annuler des cotisations : Loi de l’impôt sur le revenu, précitée, au paragraphe 152(8); Redeemer Foundation, précité, aux paragraphes 28 et 58; Optical Recording Corp., précité, aux pages 320 et 321; Rusnak c. Canada, 2011 CAF 181, aux paragraphes 2 et 3. Suivant le paragraphe 152(8) de la Loi de l’impôt sur le revenu, une cotisation est réputée être valide, sous la seule réserve d’une nouvelle cotisation, de modifications ou de l’annulation prononcée à la suite d’une opposition (paragraphes 165(1) et 165(2)) ou d’un appel interjeté devant la Cour canadienne de l’impôt (article 169). Les cotisations sont maintenues jusqu’à ce qu’elles soient modifiées ou annulées par la Cour canadienne de l’impôt : Optical Recording Corp., précité, aux pages 320 et 321. Si la « nature essentielle » de la mesure demandée est l’annulation de la cotisation, la demande doit être radiée.

[94]      Dans l’arrêt Addison & Leyen, la Cour suprême du Canada fait observer, au paragraphe 8, qu’« [o]n peut élaborer des réparations adaptées aux faits pour corriger les injustices ou problèmes soulevés dans une affaire donnée. » À cet égard, la Cour fédérale peut, dans les cas appropriés, rendre une ordonnance de mandamus enjoignant au ministre d’exercer les pouvoirs que la loi lui confère : Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. LeBon, 2013 CAF 55 (conditions pour accorder une ordonnance en mandamus). Une autre mesure possible est l’injonction ou le bref de prohibition. Toutefois, ces mesures ne peuvent servir à contraindre le ministre à agir en contravention de la loi ou à l’empêcher d’agir en conformité avec celle‑ci comme il y est tenu : Novopharm Ltd. c. Eli Lilly and Co., [1999] 1 C.F. 515 (1re inst.).

[95]      Il convient toutefois de rappeler que même si la Cour fédérale a le pouvoir d’ordonner ces mesures, l’avis de demande peut tout de même être radié si l’une ou l’autre de ces deux oppositions est fondée.

4)         Conclusion : que reste‑t‑il comme options?

[96]      Dans certains domaines, bien reconnus par la jurisprudence, il est possible d’exercer utilement le recours en contrôle judiciaire en matière fiscale. Signalons entre autres les décisions discrétionnaires prises au titre de dispositions sur l’équité, les cotisations de nature purement discrétionnaire (par exemple, la cotisation établie en application du paragraphe 152(4.2) en litige dans l’affaire Abraham c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 266, infirmant 2011 CF 638) et la conduite inacceptable ou injustifiable d’une personne au regard des faits et du droit durant le processus de recouvrement de créances fiscales (Walker, précité; Pintendre Autos Inc. c. La Reine, 2003 CCI 818).

[97]      Quant aux autres domaines, il serait mal avisé en l’espèce d’arrêter, une fois pour toutes, les circonstances relevant du domaine fiscal qui peuvent donner lieu à un contrôle judiciaire. Il sera possible de le faire dans d’autres affaires où les juges apprécieront les circonstances en fonction de chaque espèce et sur la base des principes énoncés ci‑dessus.

[98]      Néanmoins, même à ce stade-ci, on peut imaginer des exemples de contrôle judiciaire susceptibles d’éviter ces trois objections en matière de recours en contrôle judiciaire. Supposons que le ministre se livre à des méthodes d’enquête agressives contre des membres d’un parti politique auquel il est hostile dans des cas où un recours immédiat et efficace est nécessaire. Prenons également l’exemple du ministre qui établit une cotisation en application de l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu contre l’un ou l’autre des cinq administrateurs d’une société relativement à la dette fiscale de cette société. Or, un seul des administrateurs est une personne de couleur. Le ministre établit la cotisation contre ce seul administrateur et uniquement en raison de la couleur de sa peau, dans des circonstances où un recours immédiat et efficace est nécessaire.

[99]      Tout compte fait, il doit toujours y avoir un for devant lequel l’on puisse faire valoir ses droits lorsqu’il le faut. Pour reprendre les mots de la juge McLachlin (maintenant juge en chef) : « Si l’on veut éviter que la primauté du droit ne soit réduite à un ensemble incohérent, appliqué au gré de la fantaisie, il faut qu’il y ait une entité à laquelle les parties à un conflit puissent s’en remettre lorsque les lois et les régimes établis par celles‑ci ne prévoient aucun recours » : Fraternité des préposés à l’entretien des voies — Fédération du réseau Canadien Pacifique c. Canadien Pacifique Ltée, [1996] 2 R.C.S. 495, aux pages 501 et 502.

[100]   Par conséquent, pour l’avocat du contribuable, la question n’est pas de savoir si les droits de son client peuvent être dûment défendus. Ils peuvent l’être. Il doit se demander comment le faire en se conformant aux pratiques et aux procédures appropriées, quand le faire, devant quelle instance et par quels moyens.

[101]   Pour certains, le recours en contrôle judiciaire devant la Cour fédérale est la première voie de recours privilégiée. Ils ont tort. C’est une voie de dernier recours, ouverte uniquement lorsqu’une action recevable en droit administratif existe, lorsque toutes les autres voies de recours actuelles ou éventuelles sont épuisées, inefficaces ou inappropriées, et lorsque la Cour fédérale est habilitée à accorder la réparation demandée.

F.         L’application des principes à l’espèce

1)         L’avis de demande de contrôle judiciaire

[102]   Comme il a été signalé au paragraphe 50 ci‑dessus, la première étape consiste à obtenir une « appréciation réaliste » de la « nature essentielle » de l’avis de demande en en faisant une lecture globale et pratique, sans que l’on s’attache aux questions de forme.

[103]   JP Morgan fait valoir que le ministre a, dans un premier temps, vérifié ses années d’imposition 2007 et 2008 en vue d’établir sa cotisation relativement à l’impôt de la partie XIII uniquement pour ces années. Or, après avoir terminé sa vérification, le ministre a décidé de l’élargir à plusieurs années antérieures. Au final, le ministre a établi la cotisation de JP Morgan relativement à l’impôt de la partie XIII pour toutes les périodes de 2002 à 2008 inclusivement. JP Morgan soutient qu’il s’agit là d’un exercice inapproprié du pouvoir discrétionnaire, au motif qu’il est contraire aux propres politiques administratives du ministre, lesquelles, dit‑il, limitent les cotisations aux deux années précédentes (avis de demande de contrôle judiciaire, motifs du contrôle, paragraphe k)) :

[traduction] En agissant ainsi, l’ARC a exercé son pouvoir discrétionnaire de manière irrégulière, et la décision [d’établir une cotisation relativement à l’impôt de la partie XIII pour certaines années d’imposition] devrait être annulée. Entre autres choses, l’ARC n’a pas tenu compte, ou n’a pas suffisamment tenu compte, de ses propres politiques, lignes directrices, bulletins, communiqués internes et pratiques qui, si elle l’avait fait, auraient limité les cotisations à l’année d’imposition en cours et aux deux (2) années précédentes. En conséquence, l’ARC a agi de façon arbitraire, inéquitable, contraire aux règles de la justice naturelle et incompatible avec la manière dont elle traite les autres contribuables.

[104]   Selon l’avis de demande, le fait que le ministre n’a pas respecté les politiques constitue un abus de son pouvoir discrétionnaire et une violation de la justice naturelle. Essentiellement, il est soutenu que le ministre peut établir une cotisation pour certaines périodes et non pour d’autres. Le paragraphe (l) de l’avis de demande le reconnait : [traduction] « Dans la présente demande de contrôle judiciaire, la question en litige est celle de savoir pour combien d’années l’Agence du revenu du Canada établira la cotisation de JP Morgan relativement à l’impôt de la partie XIII ». Bref, le ministre était‑il légalement autorisé à établir la cotisation relativement à l’impôt de la partie XIII pour les années en question? La nature essentielle de l’avis de demande est une attaque de la validité de la cotisation, sur le plan juridique.

[105]   Le protonotaire (au paragraphe 27) a accordé de l’importance à la forme particulière de l’avis de demande — le contrôle judiciaire de la décision d’établir une cotisation — plutôt qu’à sa nature essentielle. Il s’agit clairement d’une erreur qui a entaché son analyse et qui l’a empêché d’examiner et d’appliquer certaines objections au contrôle judiciaire. La Cour fédérale n’a pas décelé cette erreur. En appel, notre Cour peut intervenir.

2)         Y a‑t‑il lieu de radier l’avis de demande de contrôle judiciaire?

[106]   En l’espèce, les trois objections à l’avis de demande sont toutes réunies. L’une ou l’autre de ces objections appelle la radiation de cet avis.

a)         La demanderesse a‑t‑elle omis de faire état d’un moyen recevable en droit administratif?

[107]   Oui. JP Morgan n’a cité nulle jurisprudence à l’appui de sa thèse portant que le non-respect des politiques constitue, en soi, un abus du pouvoir discrétionnaire. Notre Cour n’a pas connaissance de l’existence d’une telle jurisprudence.

[108]   À vrai dire, tout porte à croire le contraire. Les politiques n’ont pas force de loi et les décideurs administratifs peuvent y déroger : Pinto c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] 1 C.F. 619 (1re inst.); Bajwa c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 864, aux paragraphes 44 et 45; et la jurisprudence citée au paragraphe 75, ci‑dessus. Les attentes sur le fond créées par les politiques ne sont pas exécutoires : voir la jurisprudence citée au paragraphe 75, ci‑dessus. D’ailleurs, un décideur administratif qui suit aveuglément les politiques commet un abus du pouvoir discrétionnaire : voir la jurisprudence citée au paragraphe 72, ci‑dessus.

[109]   À mon sens, dans ces circonstances, le ministre n’a exercé aucun pouvoir discrétionnaire indépendant de la cotisation. Partant, il n’y avait pas de pouvoir dont il eût pu abuser. Le mot « peut » au paragraphe 227(10), la disposition qui autorise l’établissement de la cotisation en l’espèce, ne confère pas au ministre un pouvoir discrétionnaire général et absolu de ne pas établir de cotisation. Il permet plutôt au ministre de ne pas établir une cotisation d’impôt officielle au titre de la partie XIII dans des situations où l’impôt a été dûment retenu et payé.

b)         L’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales ou quelque autre principe de droit exclut‑il la demande de contrôle judiciaire?

[110]   Oui. La Cour canadienne de l’impôt peut répondre à la question de savoir si le ministre était légalement autorisé à établir les cotisations relativement à l’impôt de la partie XIII pour les années d’imposition en question : voir la jurisprudence citée au paragraphe 83, ci‑dessus; voir également la Loi de l’impôt sur le revenu, précitée, aux articles 165, 169 et 171; la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, précitée, au paragraphe 12(1); la Loi sur les Cours fédérales, précitée, à l’article 18.5. Comme c’était le cas dans l’arrêt Addison & Leyen, précité, il n’y a pas en l’espèce de raisons pour lesquelles « il aurait été impossible d’examiner les questions relatives à l’obligation fiscale […] en ce qui a trait […] aux cotisations établies […] au cours d’une procédure d’appel normale » à la Cour canadienne de l’impôt (au paragraphe 10).

c)         La Cour fédérale est‑elle inhabile à octroyer la réparation demandée?

[111]   Oui. JP Morgan demande un bref de certiorari frappant de nullité certaines des cotisations. Seule la Cour canadienne de l’impôt est habilitée à accorder cette mesure : paragraphe 152(8) de la Loi de l’impôt sur le revenu; voir aussi le paragraphe 93 des présents motifs.

d)         Conclusion

[112]   L’avis de demande de contrôle judiciaire de JP Morgan est fondamentalement vicié au sens de la jurisprudence David Bull, précitée. Par conséquent, il aurait dû être radié.

G.        Décision proposée

[113]   Par conséquent, par les motifs qui précèdent, j’accueillerais l’appel, j’annulerais l’ordonnance du 26 novembre 2012 prononcée par la Cour fédérale, j’accueillerais la requête en radiation du ministre visant l’ordonnance prononcée le 28 mai 2012 par la Cour fédérale, et j’accueillerais la requête en radiation du ministre visant l’avis de demande de contrôle judiciaire, le ministre ayant droit aux dépens devant toutes les cours.

La juge Sharlow, J.C.A. : Je suis d’accord.

Le juge Near, J.C.A. : Je suis d’accord.

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