IMM-1293-07
2008 CF 168
Tariq Amin (demandeur)
c.
Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)
Répertorié : Amin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (C.F.)
Cour fédérale, juge Barnes—Toronto, 31 janvier; Ottawa, 8 février 2008.
Citoyenneté et Immigration — Pratique en matière d’immigration — Parrainage — Reconnaissance de « divorces étrangers » — Contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) portant que le demandeur n’avait pas établi l’existence d’un divorce pakistanais légalement valide et qu’il ne pouvait parrainer sa deuxième épouse pour qu’elle immigre au Canada conformément à l’art. 117(9)c) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (le Règlement) — Bien que le premier mariage du demandeur ait censément été dissous en 1993 selon la formule islamique de divorce appelée talaq, ce divorce n’a été enregistré en vertu de la Muslim Family Laws Ordinance, 1961 qu’en 2005 — La déclaration du tribunal pakistanais ne constitue pas une preuve suffisante de la validité juridique du divorce du demandeur d’avec sa première épouse puisqu’elle précise tout simplement que le divorce produit ses effets après son enregistrement en vertu de l’Ordonnance en 2005 — Selon l’art. 22(1) de la Loi sur le divorce, le Canada ne reconnaît pas les divorces étrangers à moins qu’une autorité judiciaire puisse intervenir — La déclaration extrajudiciaire unilatérale de divorce faite par le demandeur ne répond pas à l’idée que l’on se fait au Canada d’un véritable divorce — La Commission n’a pas commis d’erreur en ne cherchant pas à savoir si le demandeur ou sa première épouse avait, avec le Pakistan, un lien réel et substantiel propre à valider le divorce de 1993 — Ce critère intervient seulement lorsque le divorce étranger a été jugé légalement valide au Canada — Demande rejetée.
Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié portant que le demandeur n’avait pas établi l’existence d’un divorce pakistanais légalement valide qui lui aurait permis de parrainer sa deuxième épouse pour qu’elle immigre au Canada. Le demandeur a parrainé avec succès sa première épouse, qu’il a épousé au Pakistan en 1989, pour qu’elle devienne résidente permanente du Canada. Cependant, en 1993, ce mariage a censément été dissous au Pakistan selon la formule islamique de divorce appelée talaq. Un acte notarié de divorce attestait la dissolution du mariage du demandeur, qui a déclaré trois fois, en présence de témoins, qu’il était divorcé. L’acte de divorce n’a été enregistré en vertu de la Muslim Family Laws Ordinance, 1961 (l’Ordonnance) que le 30 juillet 2005. Le demandeur s’est remarié au Pakistan en 2002 et a voulu parrainer sa deuxième épouse pour qu’elle devienne une résidente permanente. Bien qu’il ait produit une déclaration d’un tribunal pakistanais confirmant son divorce d’avec sa première épouse comme preuve supplémentaire de son divorce, la demande de parrainage présentée par le demandeur a été refusée. Le point litigieux à trancher était celui de savoir si la Commission a commis une erreur en ne reconnaissant pas la validité juridique du divorce obtenu par le demandeur selon la formule du talaq.
Jugement : la demande doit être rejetée.
Pour que le demandeur puisse parrainer sa deuxième épouse afin qu’elle devienne résidente permanente, le demandeur devait prouver que son premier mariage avait été légalement dissous. C’est là l’une des conditions d’un parrainage au titre du regroupement familial, en application de l’alinéa 117(9)c) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (le Règlement), selon lequel une personne qui parraine son conjoint ne doit pas, à la date de parrainage, être mariée avec une autre personne. La déclaration de la Haute Cour de Lahore, au Pakistan, était loin d’être concluante sur ce point. Bien que la déclaration précise que le divorce obtenu par le demandeur selon la formule du talaq était « effectif selon la charia », elle indiquait que ce divorce ne fut enregistré selon l’Ordonnance que le 30 juillet 2005 et qu’il n’a pris effet qu’à cette date. Ces observations pourraient être conciliées par le fait que la polygamie est admise dans le droit islamique. Par conséquent, la conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur n’avait pas prouvé la validité juridique au Pakistan de son divorce religieux obtenu en 1993 était raisonnable et donc inattaquable par procédure de contrôle judiciaire.
La décision que la Commission a rendue dans l’affaire Bhatti c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), dans la mesure où elle précisait qu’un divorce fondé sur la formule du talaq, qui n’est rien de plus qu’une déclaration unilatérale de divorce faite par le mari, généralement en la présence de témoins, suffit à remplir les exigences du paragraphe 22(1) de la Loi sur le divorce était erronée. Aux fins de l’application du droit interne, l’à-propos d’une reconnaissance des divorces extrajudiciaires du genre dont il s’agit en l’espèce a été mis en doute. L’intention évidente du paragraphe 22(1) de la Loi sur le divorce était de faire en sorte qu’une autorité judiciaire ou quelque autre autorité officielle puisse intervenir dans le divorce avant que le Canada ne reconnaisse un divorce étranger, condition qui serait remplie par observation de la procédure énoncée dans l’Ordonnance. Les principes de common law qui régissent la reconnaissance des divorces étrangers comprennent les conditions primordiales que sont le respect des formes régulières et l’équité procédurale. La déclaration extrajudiciaire et semble-t-il unilatérale de divorce faite par le demandeur au Pakistan en 1993 n’était pas une forme de divorce qui réponde à l’idée que l’on se fait au Canada d’un véritable divorce, et cette déclaration de divorce ne saurait être reconnue ici.
La Commission n’a pas commis d’erreur en ne cherchant pas à savoir si le demandeur ou sa première épouse avait, avec le Pakistan, un lien réel et substantiel propre à valider le divorce de 1993. Le critère du lien réel et substantiel intervient seulement lorsque le divorce étranger a été jugé au Canada légalement valide à l’endroit où il a été accordé, et lorsqu’il constitue également un divorce obtenu selon une procédure qui s’accorde avec la notion canadienne de l’équité et avec l’ordre public canadien. Par conséquent, aux fins de l’alinéa 117(9)c) du Règlement, le premier mariage du demandeur n’a été véritablement dissous qu’en 2005, lorsque furent remplies les conditions de l’Ordonnance. Puisque, en droit canadien, le demandeur était encore marié avec sa première épouse lorsqu’il s’est marié une deuxième fois, sa demande de parrainage de sa seconde épouse était irrecevable.
lois et règlements cités
Loi sur le divorce, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 3, art. 22(1),(3).
Muslim Family Laws Ordinance, 1961, Ordinance No. VIII of 1961.
Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, art. 117(9)c) (mod. par DORS/2004- 167, art. 41).
décisions appliquées :
Chaudhary v. Chaudhary, [1984] 3 All E.R. 1017 (C.A.); Indyka v. Indyka, [1969] 1 A.C. 33 (H.L.); Orabi v. El Qaoud (2005), 12 R.F.L. (6th) 296; 2005 NSCA 28.
décision différenciée :
Schwebel v. Ungar, [1965] R.C.S. 148; (1964), 48 D.L.R. (2d) 644.
décisions examinées :
Quazi v. Quazi, [1980] A.C. 744 (H.L.); Bhatti c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] D.S.A.I. no 519 (QL).
décisions citées :
Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84; 2002 CSC 3; Khosa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] 4 R.C.F. 332; 2007 CAF 24; Fatima v. Secretary of State for the Home Department, [1986] 2 All E.R. 32 (H.L.); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Subala, [1997] A.C.F. no 1011 (1re inst.) (QL).
DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié ([2007] D.S.A.I. no 768 (QL)) portant que le demandeur n’avait pas établi l’existence d’un divorce pakistanais légalement valide qui lui aurait permis de parrainer sa deuxième épouse pour qu’elle immigre au Canada. Demande rejetée.
Wennie Lee pour le demandeur.
Dupé Oluyomi pour le défendeur.
Lee & Company, Toronto, pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par
Le juge Barnes :
[1] Tariq Amin sollicite le contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) [Amin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] D.S.A.I. no 768 (QL)]. L’unique point soulevé est de savoir si la Commission a commis une erreur en disant que M. Amin n’avait pas établi l’existence d’un divorce pakistanais légalement valide qui lui eût permis de parrainer sa deuxième épouse pour qu’elle immigre au Canada.
I. Les faits
[2] Dans la présente instance, les faits ne sont guère contestés. C’est leur portée juridique qui est en cause.
[3] M. Amin s’est marié la première fois au Pakistan en 1989. Par la suite, il a parrainé avec succès sa première épouse pour qu’elle devienne résidente permanente du Canada. En 1993, le premier mariage de M. Amin a censément été dissous au Pakistan selon la formule islamique de divorce appelée talaq. Le dossier contient un acte notarié de divorce daté d’octobre 1993, signé par M. Amin, qui atteste la dissolution de ce mariage par la déclaration suivante :
[traduction] 1. Le signataire et ladite Mme Nazish Nayyar ne peuvent plus vivre comme mari et femme dans le giron d’Allah Tout-Puissant, comme il est dit ci-dessus.
2. Le signataire prononce ici trois fois la formule de divorce sur son épouse, à savoir Mme Nazish Nayyar, fille de Nayyar Ali Khan :
« Je prononce ici trois fois, en présence d’un témoin, le mot talaq (divorce) sur la susnommée Mme Nazish Nayyar, fille de Nayyar Ali Khan »
et elle n’est plus mon épouse, et elle m’est « interdite » (étrangère). Ladite Mme Nazish Nayyar est libre de contracter mariage après l’expiration de la période d’attente appelée iddat.
3. Le signataire se réserve le droit de réclamer en tout temps la garde de ses enfants mineurs.
[4] Il convient sans doute de noter que l’acte susmentionné de divorce mentionne que M. Amin résidait alors en [traduction] « Amérique », et il n’est pas contesté que son épouse vivait au Canada. Il n’est pas non plus contesté que la déclaration de divorce de M. Amin n’a été enregistrée en vertu de la Muslim Family Laws Ordinance, 1961 [Ordonnance no VIII de 1961] qu’en 2005.
[5] M. Amin s’est remarié au Pakistan le 15 mars 2002. Lorsqu’il a voulu parrainer sa nouvelle épouse pour qu’elle devienne résidente permanente du Canada, une question s’est posée concernant le divorce de 1993, et il fut prié de produire d’autres preuves confirmant que ce divorce était légalement valide au Pakistan. M. Amin a alors déposé une requête devant la Haute Cour de Lahore, à Rawalpindi, pour qu’elle confirme la validité de sa déclaration de divorce de 1993 et la légalité de son remariage de 2002. La Haute Cour s’est prononcée ainsi :
[traduction] 9. En l’espèce, l’intimé n° 2 Tariq Amin a contracté nikah (mariage) avec la requérante le 15 mars 2002, environ huit ans et demi après qu’il eut prononcé la formule du talaq devant sa première épouse, Mme Nazish Nayyar, le 11 octobre 1993. Donc, même si l’intimé no 2 n’a pas donné avis au président, le divorce daté du 11 octobre 1993 est devenu effectif selon la charia après l’expiration de 90 jours, le 11 janvier 1994, et le mariage contracté par la suite entre la requérante, Mme Aisha Tariq, et l’intimé no 2, Tariq Ameen, est un mariage valide.
[6] Nonobstant ce prononcé, la demande de parrainage présentée par le demandeur a été refusée. L’agent des visas qui a refusé la demande a exposé les motifs suivants :
[traduction] D’après les lois pakistanaises sur la famille, pour qu’un divorce soit légalement valide, il doit être enregistré auprès d’un conseil local d’arbitrage, et un acte doit être délivré par le conseil local d’arbitrage confirmant les détails du divorce, c’est-à-dire le numéro du dossier, la date de délivrance, et la date à laquelle le divorce a pris effet, ou bien des ordonnances judiciaires doivent être rendues par un tribunal de la famille, c’est-à-dire par un juge aux affaires familiales.
Votre répondant était déjà marié avec Nazish Nayyar. L’acte de divorce que vous avez produit pour le mariage antérieur de votre répondant dit que l’avis de divorce a été signifié au conseil d’arbitrage le 30 avril 2005, et que la décision a été rendue le 30 juillet 2005. Pour respecter l’équité procédurale, vous avez été priée de produire les ordonnances d’un tribunal de la famille indiquant la date à laquelle le divorce a pris effet. J’ai examiné les ordonnances présentées. Lesdites ordonnances ne sont pas claires et ne font état que de votre mariage avec le répondant, alors que nous vous avions demandé de produire des ordonnances confirmant la date du divorce prononcé entre le répondant et sa première épouse. Par notre lettre du 28 mars 2006, nous vous avons à nouveau priée de produire les ordonnances judiciaires. La réponse de votre avocat ne règle pas cependant la question du divorce entre le répondant et sa première épouse, ni ne confirme la date à laquelle le divorce a pris effet. Je ne suis donc pas persuadé qu’il ne s’agit pas ici d’un cas de bigamie et que votre répondant pouvait légalement se marier avec vous le jour de votre mariage avec lui.
[7] Le 31 mai 2006, le demandeur a fait appel de la décision de l’agent des visas, mais la Commission ne fut pas elle non plus persuadée que son divorce de 1993 était légalement valide. La décision de la Commission était la suivante (aux paragraphes 14 à 21) :
En ce qui a trait à la validité juridique du divorce de l’appelant, le tribunal a noté que la haute cour de Lahore a eu de la difficulté à se prononcer, tout d’abord en ce qui a trait au second mariage et ensuite, en ce qui concerne la validité du second mariage en vertu de la charia par opposition à la loi sur l’ordonnance sur la loi familiale du Pakistan.
Cette distinction constitue la clé, car elle éclaircit la principale préoccupation de la cour. Du point de vue du tribunal, la haute cour de Lahore était principalement préoccupée par la validité du deuxième mariage en vertu de la loi islamique et était moins préoccupée de la validité juridique du divorce en vertu de l’Ordonnance sur la loi familiale du Pakistan. Le juge cite, avec approbation, le paragraphe suivant du cas Allah Dad :
[traduction] « […] même si nous présumons que l’article 7 de l’Ordonnance sur la loi familiale constitue une bonne loi, nous ne pouvons présumer la même chose au sujet de la validité d’un mariage contracté en vertu de la charia […] »
De plus,
[traduction] « Il est maintenant évident qu’un avis du talaq au président n’est pas obligatoire en vertu des injonctions islamiques et que tout divorce prononcé ou écrit par un mari ne peut devenir inefficace ou invalide en vertu de la charia simplement parce que le président n’en a pas été avisé […] »
Le juge pakistanais a continué en déclarant que le second mariage de l’appelant est valide en vertu de la charia.
Il semble donc que, en ce qui concerne la loi islamique, le second mariage de l’appelant est valide au Pakistan, même si son divorce d’avec sa précédente femme n’était pas conforme aux exigences réglementaires et, par conséquent, frappé de nullité en vertu de l’Ordonnance sur la loi familiale. La déclaration du juge démontre clairement qu’il ne s’est pas prononcé sur la validité du mariage en vertu de l’Ordonnance sur la loi familiale du Pakistan.
Le tribunal estime qu’en vertu de l’Ordonnance sur la loi familiale du Pakistan, en se mariant avec la demandeure le 15 mars 2002, l’appelant aurait eu deux épouses puisque son divorce n’était pas conforme à l’article 7 de cette loi. Il s’agit d’une circonstance que la loi canadienne reconnaît comme un cas de bigamie.
Les dispositions réglementaires canadiennes en matière d’immigration ne prévoient pas de telles circonstances. Le sous-alinéa 117(9)c)(i) énonce la disposition législative applicable :
(9) Restrictions. Ne sont pas considérées comme appartenant à la catégorie du regroupement familial du fait de leur relation avec le répondant les personnes suivantes :
[…]
c) l’époux du répondant, si, selon le cas :
(i) le répondant ou cet époux étaient, au moment de leur mariage, l’époux d’un tiers […]
La définition du mariage énoncée à l’article 2 du Règlement explique clairement que le terme « mariage » s’agissant d’un mariage contracté à l’extérieur du Canada, signifie un mariage valide à la fois en vertu des lois du lieu où il a été contracté et des lois canadiennes.
Le conseil de l’appelant allègue que, compte tenu de la décision de la cour de Lahore, une cour canadienne devrait également reconnaître que le divorce a pris effet le 11 janvier 1994. Le tribunal ne partage pas cette position, car il n’a reçu aucune preuve que les cours canadiennes reconnaissent la charia ou privilégient la charia au régime statuaire pakistanais. Le tribunal pense que ce qu’il faut demander à l’appelant, comme il n’a pas pu établir que les cours canadiennes auraient reconnu un divorce prononcé aux termes de la charia, serait d’établir clairement et sans équivoque que, en l’absence d’un enregistrement auprès d’un conseil local d’arbitrage, son divorce s’avérait légalement valide en vertu des lois pakistanaises applicables et qu’il avait le droit d’épouser la demandeure lorsqu’il l’a supposément fait le 15 mars 2002. À la lumière de l’analyse ci-dessus, le tribunal conclut que l’appelant n’en a rien fait. [Notes infrapaginales omises; souligné dans le texte.]
II. Les points litigieux
[8] La Commission a-t-elle commis une erreur en ne reconnaissant pas la validité juridique du divorce obtenu par le demandeur selon la formule du talaq?
III. Analyse
[9] La question soumise à l’agent des visas, puis à la Commission, était de savoir s’il avait été prouvé que le divorce islamique obtenu par M. Amin en 1993 était un divorce qui serait reconnu à toutes fins au Canada. La Commission n’était pas persuadée que ce point avait été clairement établi d’après la preuve produite. Aux fins de la discussion, je suis disposé à admettre qu’il s’agit là d’une question mixte de droit et de fait, laquelle devrait être examinée selon la norme de la décision raisonnable : voir l’arrêt Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84, au paragraphe 26, et l’arrêt Khosa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] 4 R.C.F. 332 (C.A.F.), au paragraphe 12.
[10] Pour que M. Amin puisse parrainer son épouse afin qu’elle devienne résidente permanente, il lui fallait prouver que son premier mariage avait été légalement dissous. C’est là l’une des conditions d’un parrainage au titre du regroupement familial, en application de l’alinéa 117(9)c) [mod. par DORS/2004-167, art. 41] du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, selon lequel une personne qui parraine son conjoint ne doit pas, à la date du parrainage, être mariée avec une autre personne. Aux fins de l’immigration au Canada, la polygamie n’est donc pas admise.
[11] La preuve produite par M. Amin pour établir que son divorce pakistanais était valide a été jugée douteuse par la Commission, et elle l’était effectivement.
[12] Le prononcé de la Haute Cour de Lahore, au Pakistan, est loin d’être concluant sur ce point et, selon moi, la Commission en a fait une juste évaluation. Le juge Paracha semble avoir été très sûr de lui quand il a dit que le divorce obtenu en 1993 par M. Amin selon la formule du talaq était « effectif selon la charia » et que par conséquent son second mariage était valide. Cependant, il faisait observer, ailleurs dans sa décision, que le divorce obtenu par M. Amin ne fut enregistré selon la Muslim Family Laws Ordinance, 1961 que le 30 juillet 2005 et qu’il n’a pris effet qu’à cette date. Ces observations semblent quelque peu incompatibles, mais elles pourraient bien être conciliées par le fait que la polygamie est admise dans le droit islamique ou que, comme le faisait valoir le demandeur devant la Cour de Lahore :
[traduction] Selon le droit, et selon les préceptes islamiques, le défendeur n° 1 était libre de contracter mariage avec la demanderesse à la date à laquelle il a contracté mariage avec elle parce que, après l’expiration d’un délai de 90 jours, l’homme est libre de contracter un second mariage; or, le Coran et la Sunna lui donnent le droit de se lier dans quatre mariages à la fois, alors que, dans les circonstances particulières de la présente affaire, il a contracté un second mariage avec la demanderesse après avoir divorcé de sa première épouse; il était donc légalement libre de contracter mariage avec la demanderesse à cette date.
[13] Ce à quoi la preuve ne répond pas est la question de savoir si le fait pour M. Amin de ne pas avoir observé les prescriptions de la Muslim Family Laws Ordinance, 1961 a rendu invalide, à des fins autres que religieuses au Pakistan, son divorce obtenu en 1993 selon la formule du talaq. Au vu de ladite ordonnance, il est évident qu’un divorce obtenu selon la formule du talaq [traduction] « ne prend effet qu’à l’expiration d’un délai de quatre-vingt-dix jours à compter de la date à laquelle avis en est donné au président » du conseil d’arbitrage. Ce point est confirmé dans l’acte de divorce qui fut délivré à M. Amin par le conseil d’arbitrage et qui précisait clairement que le divorce de 1993 n’avait pris effet que le 30 juillet 2005. Cet acte précise ensuite que [traduction] « les parties sont maintenant libres de contracter mariage selon la Muslim Family Laws Ordinance, 1961 ». J’ajouterais à cela que de nombreuses décisions judiciaires rendues en Angleterre reconnaissent l’importance du régime législatif pour la validité au Pakistan d’un divorce obtenu selon la formule du talaq. Dans l’arrêt Quazi v. Quazi, [1980] A.C. 744 (H.L.), à la page 825, lord Scarman s’exprimait ainsi :
[traduction] Le divorce a pris effet selon la loi pakistanaise non pas, comme dans la loi islamique classique, lors du prononcé de la formule du talaq, mais, sauf annulation, à l’expiration d’un délai de quatre-vingt-dix jours après qu’avis écrit en fut signifié au président du conseil d’arbitrage. Il ne fait aucun doute que tel est l’état du droit au Pakistan.
Voir aussi l’arrêt Fatima v. Secretary of State for the Home Department, [1986] 2 All E.R. 32 (H.L.), lord Ackner, aux pages 35 et 36.
[14] Au vu des prononcés susmentionnés, et nonobstant l’argumentation habile de Mme Lee, la conclusion de la Commission selon laquelle M. Amin n’avait pas prouvé la validité juridique au Pakistan de son divorce religieux obtenu en 1993 était raisonnable et donc inattaquable par procédure de contrôle judiciaire.
[15] On a fait valoir au nom de M. Amin qu’une certaine jurisprudence canadienne reconnaît la validité juridique de divorces religieux prononcés à l’étranger et que la Commission a commis une erreur en ne reconnaissant pas ces précédents.
[16] M. Amin se fonde sur un arrêt de la Cour suprême du Canada, Schwebel v. Ungar, [1965] R.C.S. 148, dans lequel elle semble avoir reconnu la validité au Canada d’un divorce prononcé par un rabbin selon la loi juive. Il y a cependant des différences entre ce précédent et la présente espèce. Dans l’affaire Schwebel, il était établi que le divorce religieux en cause avait été officiellement prononcé par un rabbin et qu’il était reconnu par l’État d’Israël. Il n’apparaît pas que des dispositions légales israéliennes n’avaient pas été observées, et il semble d’ailleurs que cette procédure était l’unique moyen possible d’obtenir un divorce en Israël à cette époque. Par ailleurs, la Cour suprême concluait sa décision par la mise en garde suivante sur son aptitude à faire jurisprudence [à la page 155] :
[traduction] La Cour d’appel de l’Ontario a considéré que ces circonstances particulières constituaient une exception à la règle générale que je viens d’évoquer. Dans ses motifs, le juge MacKay a minutieusement et fidèlement résumé et discuté les précédents portant sur cette difficile question, et il serait à mon avis superflu de ma part de faire à nouveau le chemin qu’il a si bien parcouru. Je fais mien son raisonnement sur ce point, et je souscris à sa conclusion selon laquelle, s’agissant simplement de résoudre les difficultés suscitées par les circonstances particulières de la présente affaire, la considération principale est le statut de l’intimée d’après la loi du lieu de son domicile à la date de son second mariage, et non le moyen par lequel elle a obtenu ce statut.
[17] Mme Lee a également cité une décision de la Section d’appel de l’immigration, Bhatti c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] D.S.A.I. no 519 (QL), où la Section a reconnu, aux fins d’un parrainage relevant de la catégorie du regroupement familial, un divorce obtenu selon la formule du talaq.
[18] La difficulté que pose la décision Bhatti est qu’elle ne dit pas clairement si le divorce en question dans cette affaire avait été enregistré conformément à la Muslim Family Laws Ordinance, 1961. La lecture de cette décision donne à penser que les dispositions légales avaient été observées dans cette affaire, comme on peut le voir dans le passage suivant (au paragraphe 7) :
L’appelant a déposé, à l’appui de son argumentation, une lettre d’un avocat du Pakistan, une déclaration solennelle et des lettres d’opinion de deux avocats pratiquant le droit de la famille à Toronto. L’acte de divorce signé en juin 1996 constitue un divorce extrajudiciaire puisqu’il s’agit d’un talaq, soit un divorce prononcé en vertu du droit musulman. La lettre de Samina Khan, avocat qui pratique devant la haute cour à Islamabad et qui a représenté l’appelant dans le cadre de son divorce de 1996, déclare que la Muslim Family Law Ordinance, 1961 régit le divorce au Pakistan. Cette loi reconnaît le talaq. Selon l’avocat, l’acte de divorce de l’appelant satisfait aux conditions essentielles et procédurales de la loi. [Note infrapaginale omise.]
[19] La décision Bhatti, renferme des propositions qui sont difficiles à admettre. Ainsi, la Commission écrivait qu’un divorce extrajudiciaire, tel un divorce résultant de la formule musulmane du talaq, était conforme au paragraphe 22(1) de la Loi sur le divorce, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 3, qui dispose qu’un divorce étranger doit avoir été prononcé « par un tribunal ou une autre autorité compétente ». Autant que je puisse en juger d’après le dossier que j’ai devant moi, et d’après les précédents applicables, un divorce fondé sur la formule du talaq n’est rien de plus qu’une déclaration unilatérale de divorce faite par le mari, généralement en la présence de témoins, et parfois enregistrée dans un acte de divorce sous seing privé. Une telle procédure ne suffit manifestement pas à remplir les exigences du paragraphe 22(1) de la Loi sur le divorce et, dans la mesure où la décision Bhatti dit le contraire, elle est, à mon humble avis, erronée : voir l’arrêt Chaudhary v. Chaudhary, [1984] 3 All E.R. 1017 (C.A.).
[20] J’ajouterais que, aux fins de l’application du droit interne, j’ai de sérieuses réserves sur l’à-propos d’une reconnaissance des divorces extrajudiciaires du genre dont il s’agit ici. L’intention évidente du paragraphe 22(1) de la Loi sur le divorce était de faire en sorte que puisse intervenir dans le divorce une autorité judiciaire ou quelque autre autorité officielle avant que le Canada ne reconnaisse un divorce étranger. Cette condition serait remplie par observation de la procédure énoncée dans la Muslim Family Laws Ordinance, 1961 : voir l’arrêt Quazi, précité, à la page 825; et l’arrêt Chaudhary, précité, à la page 1025. L’objet évident d’une telle intervention judiciaire ou officielle est la prise en compte d’importantes questions d’intérêt public susceptibles de découler de la reconnaissance nationale d’un divorce de nature religieuse ou sans caractère officiel. Nombre de ces préoccupations furent reconnues dans le passage suivant de l’arrêt Chaudhary, précité, aux pages 1031 et 1032 :
[traduction] Si je comprends bien, la procédure du talaq consiste uniquement à prononcer pour soi-même une formule devant des témoins qui n’ont pas nécessairement été réunis par le mari à cette fin et dont l’unique qualité est que, vraisemblablement, ils sont en mesure de voir et d’entendre ce qui se passe. La formule peut, comme ce fut le cas ici, être prononcée dans le temple. Elle peut, comme ce fut le cas ici, être renforcée par un document renfermant les renseignements, exacts ou non, que le mari voudra bien y insérer. Mais, ce qui conduit au divorce, c’est le prononcé de la formule devant des témoins, et cela uniquement. Pour l’essentiel donc, le talaq n’est qu’un rite où la forme est réduite au minimum; il ne présente pas l’élément indispensable de la publicité; il ne fait pas intervenir le moindrement l’État, ni aucune autorité publique, autre que l’obligation d’enregistrer ce qui a été fait. Ainsi, bien que ses conséquences publiques soient très différentes, c’est une procédure qui s’écarte très peu de n’importe quel autre acte de nature privée, tel que la signature d’un testament, et elle est assimilable au divorce purement consensuel reconnu dans certains États d’Extrême-Orient (voir par exemple Ratanachai v. Ratanachai (1960) Times, 4 juin, Varanand v. Varanand (1964) 108 SJ 693, et Lee v. Lau [1964] 2 All ER 248, [1967] P 14).
À mon avis, et si l’on considère uniquement la Loi de 1971, un tel acte ne saurait être validement qualifié de « procédure » au sens tout à fait ordinaire de ce mot, encore moins de « procédure » au sens restrictif qui doit, pour les raisons susmentionnées, être attribué à ce mot tel qu’il est employé dans la Loi.
[…]
Cependant, même si je me trompe dans mon appréciation de la question, je souscris totalement à la décision du juge sur le second point, c’est-à-dire qu’il serait manifestement contraire à l’ordre public de reconnaître ici comme valide un divorce résultant tout bonnement de la formule du talaq.
[21] Les principes de common law qui régissent la reconnaissance des divorces étrangers vont au-delà de la nécessité de l’existence d’un lien réel et substantiel avec le lieu où est prononcé le divorce, mais comprennent les conditions primordiales que sont le respect des formes régulières et l’équité procédurale. Ce point fut exposé par lord Pearce dans l’arrêt Indyka v. Indyka, [1969] 1 A.C. 33 (H.L.), dans le passage suivant, à la page 88 :
[traduction] J’estime cependant que nos tribunaux devraient se réserver le droit de refuser d’entériner les jugements qui heurtent l’idée que nous nous faisons d’un authentique divorce. C’est ce qu’ils font lorsque des jugements vont à l’encontre des principes de justice fondamentale, et cela comprend évidemment un jugement obtenu par fraude. Mais je crois que cela comprend aussi, ou devrait comprendre, le jugement rendu lorsqu’une épouse est allée à l’étranger pour obtenir un divorce et que l’on peut dire que le divorce ainsi obtenu ne s’accorde pas avec l’idée que nous nous faisons d’un divorce authentique.
[22] Ce point capital a aussi été souligné par le juge J. E. Fichaud, dans la décision Orabi v. El Qaoud (2005), 12 R.F.L. (6th) 296, où il était demandé à la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse de reconnaître une déclaration de divorce délivrée au mari par un conseil chargé de l’application de la charia en Jordanie. Après un examen approfondi des principes de common law régissant la reconnaissance des divorces étrangers, le juge Fichaud écrivait ce qui suit (au paragraphe 18) :
[traduction] M. El Qaoud savait où habitait Mme Orabi. Or, il n’a pas signifié à Mme Orabi l’avis de la procédure de divorce. Ce n’était pas un cas où l’intimée était difficile à localiser, cherchait à se soustraire à la signification de l’avis ou était l’objet d’une ordonnance portant signification indirecte. Le tribunal jordanien a, semble-t-il, accordé le divorce sans exiger la preuve qu’avis de la procédure avait été signifié à Mme Orabi. En décembre 2002, Mme Orabi s’est vu remettre par messager un jugement de divorce, rendu par un tribunal devant lequel elle n’avait pas comparu, dans un pays avec lequel elle n’avait aucun lien, à la suite d’une procédure qui ne lui avait pas été signifiée. Ce jugement de divorce allait modifier son statut et ses mesures accessoires. Cela contrevient aux principes de justice naturelle. Je serais d’avis de refuser, pour ce motif, la reconnaissance du document de divorce révocable.
[23] Les doutes évoqués par les tribunaux dans les affaires Orabi, Chaudhary et Indyka, susmentionnées, sont également présents en l’espèce. Finalement, je ne pense pas que la déclaration extrajudiciaire et semble-t-il unilatérale de divorce faite par M. Amin au Pakistan en 1993 soit une forme de divorce qui réponde à l’idée que l’on se fait au Canada d’un véritable divorce, et ladite déclaration de divorce ne saurait être reconnue ici.
[24] On a aussi fait valoir au nom de M. Amin que la Commission avait commis une erreur en ne déterminant pas si le divorce de 1993 pouvait, en application du paragraphe 22(3) de la Loi sur le divorce, être reconnu en common law; plus précisément, on a prétendu que la Commission a commis une erreur en ne cherchant pas à savoir si M. Amin ou sa première épouse avait, avec le Pakistan, un lien réel et substantiel propre à valider le divorce de 1993.
[25] Il me semble que le critère du lien réel et substantiel intervient seulement lorsqu’un divorce étranger a été jugé au Canada légalement valide à l’endroit où il a été accordé, et lorsqu’il constitue également un divorce obtenu selon une procédure qui s’accorde avec la notion canadienne de l’équité et avec l’ordre public canadien. Autrement dit, il ne s’agit pas d’un critère permettant de compenser les faiblesses juridiques d’un divorce extrajudiciaire étranger. L’exigence du lien réel et substantiel constitue plutôt une autre condition de la reconnaissance par le Canada d’un divorce étranger, afin de faire obstacle notamment à la pratique consistant à rechercher la juridiction la plus favorable : voir l’arrêt Indyka, précité, lord Pearson, aux pages 111 et 112.
[26] Il résulte de ce qui précède que, aux fins de l’alinéa 117(9)c) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, le premier mariage de M. Amin n’a été véritablement dissous qu’en 2005, lorsque furent remplies les conditions de la Muslim Family Laws Ordinance, 1961. Puisque, en droit canadien, M. Amin était encore marié avec sa première épouse lorsqu’il s’est marié une seconde fois, sa demande de parrainage de sa seconde épouse était irrecevable. L’acte de divorce obtenu par la suite, en 2005, ne neutralise pas cet obstacle légal : voir la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Subala, [1997] A.C.F. no 1011 (1re inst.) (QL).
[27] L’avocate du demandeur a dit qu’il existait certains obstacles religieux empêchant M. Amin de se marier une nouvelle fois avec son épouse au Pakistan à la suite du rejet de sa demande de parrainage. C’est peut-être le cas, mais il ne devrait y avoir aucun obstacle à un remariage civil au Canada, et l’épouse de M. Amin pourrait probablement obtenir à tout le moins un visa de visiteur l’autorisant à entrer au Canada à cette fin.
[28] Eu égard à ce qui précède, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
[29] Les parties ont sollicité la possibilité de proposer une question à certifier, et je leur accorderai 10 jours pour ce faire. Si le demandeur propose dans ce délai une question à certifier, j’accorderai au défendeur un autre délai de trois jours pour y répondre.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.