IMM‑4249‑06
2007 CF 593
Xiao Ling Zhang (demanderesse)
c.
Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)
Répertorié : Zhang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (C.F.)
Cour fédérale, juge de Montigny—Toronto, 23 mai; Ottawa, 5 juin 2007.
Citoyenneté et Immigration — Pratique en matière d’immigration — Contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section d’appel de l’immigration (SAI) a conclu qu’elle n’avait pas compétence pour entendre l’appel logé à l’encontre de la décision de l’agent d’immigration — Un visa de résident permanent a été délivré, puis annulé pendant que la demanderesse se trouvait encore en Chine — Lorsque la demanderesse est arrivée au Canada, l’agent d’immigration a déclaré qu’elle était interdite de territoire — La SAI a refusé d’entendre l’appel interjeté à l’encontre de cette décision au motif que la demanderesse n’était pas titulaire d’un visa de résident permanent conformément à l’art. 63(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés — La SAI n’a compétence que pour entendre l’appel intenté par le titulaire d’un visa de résident permanent valide — Demande rejetée.
Interprétation des lois — Il s’agissait de savoir si l’art. 63(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés confère à la Section d’appel de l’immigration le pouvoir d’entendre l’appel interjeté par le titulaire d’un visa révoqué — Réalisation d’une analyse textuelle, contextuelle et téléologique — L’art. 63(2) est écrit au présent et s’applique à un étranger qui « est titulaire » d’un visa de résident permanent — La demanderesse n’était pas visée par cette disposition même si elle avait déjà été titulaire d’un visa — Une conclusion contraire va à l’encontre de l’esprit de la Loi, divers articles de celle‑ci exigeant que les étrangers démontrent constamment qu’ils ont le droit d’entrer au Canada — Le législateur n’avait pas l’intention de permettre à un étranger d’utiliser un visa révoqué pour entrer au Canada et de se fonder sur ce visa pour exercer des droits d’appel — Le fait de conclure que l’art. 63(2) s’applique au titulaire d’un visa invalide entraîne des conséquences absurdes.
lois et règlements cités
Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I‑2, art. 70(2)b) (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18).
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 11(1), 20(1)a), 41, 63(2).
jurisprudence citée
décisions appliquées :
Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; Liyanagamage c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1637 (C.A.) (QL).
décision examinée :
Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Hundal, [1995] 3 C.F. 32 (1re inst.).
DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section d’appel de l’immigration (Zhang c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), [2006] D.S.A.I. no 64 (QL)) a refusé d’entendre l’appel que la demanderesse a interjeté à l’encontre de la décision d’un agent d’immigration au motif qu’elle n’avait pas compétence pour le faire en vertu du paragraphe 63(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Demande rejetée.
ont comparu :
Wennie Lee pour la demanderesse.
Martin E. Anderson pour le défendeur.
avocats inscrits au dossier :
Lee & Company, Toronto, pour la demanderesse.
Le sous‑procureur général du Canada pour le défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par
[1]Le juge de Montigny : En janvier 2004, Xiao Ling Zhang, une citoyenne chinoise, a reçu un visa par courrier qui lui avait été délivré par les autorités de l’immigration canadienne. Près d’un mois après qu’il eut été délivré, le visa a été révoqué. On lui a demandé de le rendre. Elle ne l’a pas fait et est plutôt venue au Canada par avion avec le document invalide qu’elle a tenté d’utiliser pour entrer dans le pays. Le visa et son invalidité sont au centre de la présente demande, qui porte sur la compétence de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) d’entendre un appel présenté par un demandeur dont le visa est invalide.
LES FAITS
[2]En novembre 2000, Mme Zhang a présenté une demande de visa de résidente permanente au bureau des visas canadiens à Beijing. Elle a présenté sa demande en tant qu’immigrante indépendante et a soutenu qu’elle ne s’était jamais mariée. En 2001, elle a épousé M. Dian Yin Jiang en Chine et a modifié sa demande en conséquence de ce mariage. Comme M. Jiang avait une sœur au Canada, Mme Zhang a obtenu cinq points supplémentaires pour sa demande comme demanderesse dans la catégorie des parents assistés.
[3]M. Jiang a demandé l’asile au Canada en 2002. Pendant son audience, il a présenté un certificat de mariage qui portait son nom et celui d’une autre femme. Bien que le visa de Mme Zhang lui eut été délivré par la poste en janvier 2004, le bureau des visas a rapidement eu connaissance de l’audition de la demande d’asile de son époux au Canada. Lorsque les autorités ont eu confirmé que le demandeur d’asile et l’époux de Mme Zhang étaient la même personne, ils ont téléphoné à Mme Zhang pour lui expliquer qu’il y avait un problème au sujet de son visa et qu’il avait été annulé. Ils lui ont demandé de le rendre au bureau des visas. Elle a plutôt acheté un billet d’avion pour venir au Canada.
[4]Lorsque Mme Zhang est arrivée au Canada en février 2004, les autorités de l’immigration ont remarqué que son visa avait été révoqué et lui ont demandé de se présenter pour enquête. Le 3 avril 2004, un agent d’immigration a conclu que Mme Zhang était interdite de territoire au Canada conformément à l’alinéa 20(1)a) et à l’article 41 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), qui prévoient :
20. (1) L’étranger non visé à l’article 19 qui cherche à entrer au Canada ou à y séjourner est tenu de prouver :
a) pour devenir un résident permanent, qu’il détient les visa ou autres documents réglementaires et vient s’y établir en permanence;
[. . .]
41. S’agissant de l’étranger, emportent interdiction de territoire pour manquement à la présente loi tout fait—acte ou omission—commis directement ou indirectement en contravention avec la présente loi […]
[5]Mme Zhang a tenté de porter la décision de l’agent en appel devant la Section d’appel de l’immigration de la Commission. C’est à ce moment qu’elle a commencé à avoir des problèmes. La Commission a compétence pour entendre des appels portant sur des mesures de renvoi prises lors d’enquêtes. Cependant, sa compétence est précisée au paragraphe 63(2) de la LIPR, qui prévoit :
63. [. . .]
(2) Le titulaire d’un visa de résident permanent peut interjeter appel de la mesure de renvoi prise au contrôle ou à l’enquête. [Non souligné dans l’original.]
Par conséquent, ce paragraphe limite la compétence de la Commission en matière d’appel aux étrangers qui sont titulaires de visas de résident permanent. À l’audience de Mme Zhang, le ministre a soutenu que la Commission n’avait pas compétence en l’espèce au vu du paragraphe 63(2). Comme le visa de la demanderesse avait été révoqué, le ministre a fait valoir qu’elle n’était pas « titulaire » d’un visa de résident permanent.
[6]La Commission était du même avis que le ministre et s’est fondée sur la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Hundal, [1995] 3 C.F. 32 (1re inst.). Dans cette affaire, le juge Marshall Rothstein a conclu qu’il y avait quatre exceptions au principe général selon lequel lorsqu’un visa est délivré, il reste valide. Le fait qu’un visa soit révoqué fait partie de ces exceptions. Mme Zhang, quant à elle, a soutenu que la décision Hundal n’était plus applicable, parce qu’elle était fondée sur l’ancienne Loi sur l’immigration [L.R.C. (1985), ch. I-2]. Elle a fait valoir que la Commission devait remarquer la différence entre le paragraphe 63(2) de la LIPR et la disposition équivalente dans l’ancienne loi, qui prévoyait [alinéa 70(2)b) (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18)] :
70. [. . .]
(2) Sous réserve des paragraphes (3) et (4), peuvent faire appel devant la section d’appel d’une mesure de renvoi ou de renvoi conditionnel :
[. . .]
b) les personnes qui, ayant demandé l’admission, étaient titulaires d’un visa de visiteur ou d’immigrant, selon le cas, en cours de validité lorsqu’elles ont fait l’objet du rapport visé à l’alinéa 20(1)(a). [Non souligné dans l’original.]
Comme l’alinéa 70(2)b) de la Loi sur l’immigration comprenait l’expression « en cours de validité », contrairement au paragraphe 63(2) de la LIPR, Mme Zhang a soutenu que le législateur avait l’intention de retirer la validité en tant que prérequis pour la compétence de la Commission en matière d’appels portant sur des mesures de renvoi.
[7]La Commission a rejeté l’argument de Mme Zhang et a écrit [Zhang c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), [2006] D.S.A.I. no 64 (QL), au paragraphe 32] : « [i]l est certain que l’on ne peut dire de quiconque qu’il est titulaire d’un visa de résident permanent si le visa en question n’est pas valide. Par ailleurs, peut‑on dire de quiconque qu’il est titulaire d’un visa révoqué? » Bien que la Commission eût reconnu la différence entre la nouvelle disposition et l’ancienne, elle a conclu que l’intention du législateur dans les deux cas était principalement la même. Par conséquent, elle a conclu qu’elle n’avait pas compétence pour entendre l’appel de Mme Zhang. Il s’agit du contrôle judiciaire de cette décision.
LA QUESTION EN LITIGE
La Commission a‑t‑elle compétence, en vertu du para-graphe 63(2) de la LIPR, pour entendre l’appel d’un étranger dont le visa a été révoqué?
ANALYSE
[8]La question en litige en l’espèce est une question de droit. Par conséquent, la Cour ne fera preuve de retenue envers les motifs de la Commission que s’ils sont corrects. Ceci dit, j’ai la certitude qu’ils le sont.
[9]Les observations que Mme Zhang a présentées à la Cour étaient fondées sur une interprétation littérale de la LIPR. Comme elle l’avait soutenu devant la Commission, elle a déclaré que si le législateur avait l’intention de limiter les appels prévus au paragraphe 63(2) aux étrangers titulaires d’un visa de résident permanent valide, il n’aurait pas enlevé l’expression « en cours de validité » du paragraphe lorsqu’il a rédigé la LIPR. Toute jurisprudence portant sur le principe de la validité était fondée sur le fait que la validité était une exigence de la loi à cette époque—une exigence qui n’existe plus.
[10]Dans des observations percutantes, l’avocat du ministre a effectué une analyse approfondie de l’interprétation de la loi. Il a examiné les conséquences possibles de l’adoption de l’interprétation de Mme Zhang du paragraphe 63(2) en fonction d’une analyse textuelle, contextuelle et téléologique tant de la disposition comme telle que de la LIPR dans son ensemble. D’après chaque analyse, l’interprétation de Mme Zhang de la LIPR était contraire à l’intention du législateur.
[11]Par exemple, d’après une analyse textuelle, les cours doivent présumer que les mots ont leur sens ordinaire en l’absence de preuve du contraire. Le paragraphe 63(2) de la LIPR est écrit au présent, alors que l’ancien alinéa 70(2)b) était écrit au passé. Selon le ministre, Mme Zhang n’était pas visée par le paragraphe 63(2) même si elle avait déjà « été titulaire » d’un visa de résidente permanente. La disposition ne s’applique qu’à un étranger qui « est titulaire » d’un visa de résident permanent. Je suis d’accord.
[12]Dans le cadre d’une analyse contextuelle, il faut examiner la disposition par rapport à l’esprit de la loi dont elle fait partie. Divers articles de la LIPR exigent que les étrangers démontrent constamment qu’ils ont le droit d’entrer au Canada. Par exemple, conformément au paragraphe 11(1) de la LIPR, un étranger n’obtiendra un visa que s’il est conclu qu’il n’est pas interdit de territoire et qu’il se conforme à la loi. En vertu de l’alinéa 20(1)a) de la LIPR, un étranger qui cherche à entrer au Canada doit prouver qu’il « détient les visa ou autres documents réglementaires » ou il ne pourra pas être admis. Une fois de plus, je souscris à l’observation du ministre selon laquelle la Cour ne tiendrait pas compte de l’esprit général de la LIPR si elle concluait que Mme Zhang était « titulaire » d’un visa de résident permanent, malgré le fait que son visa a été annulé et qu’elle serait normalement interdite de territoire au Canada.
[13]Pour l’analyse téléologique, il faut interpréter la disposition légale en fonction de l’intention du législateur. En ce qui a trait au paragraphe 63(2), le législateur avait l’intention de donner la chance à un étranger titulaire d’un visa de résident permanent de porter en appel des mesures de renvoi qui lui auraient interdit l’entrée au Canada malgré le fait qu’il possédait un visa. Une mesure de renvoi fondée sur la criminalité, par exemple. On ne peut dire que le législateur avait l’intention de permettre à un étranger d’utiliser un visa révoqué par des agents canadiens pour qu’il tente d’entrer frauduleusement au Canada et d’ensuite se fonder sur ce visa révoqué pour exercer ses droits d’appel.
[14]Comme le ministre l’a si bien soutenu, l’analyse de Mme Zhang va à l’encontre de l’arrêt de la Cour suprême du Canada Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, parce qu’elle entraînerait deux conséquences absurdes. S’il était conclu que le paragraphe 63(2) de la LIPR s’applique à un demandeur dont le visa de résident permanent est invalide, les personnes qui n’ont aucun droit d’être au Canada obtiendraient ainsi le droit de présenter un appel contre une mesure de renvoi qui leur refuse l’entrée au Canada. De plus, dans le cas d’une personne qui se trouve en contravention de l’alinéa 20(1)a) de la LIPR parce qu’elle ne possède pas de visa de résident permanent, il pourrait être conclu qu’elle possède un visa de résident permanent en vertu du paragraphe 63(2). Le droit d’en appeler de la décision contredirait directement la raison pour laquelle elle a été interdite de territoire en premier lieu.
[15]À mon avis, l’argument de Mme Zhang est fondé sur la présomption que la meilleure façon d’interpréter le paragraphe 63(2) de la LIPR est de le comparer à la disposition équivalente dans l’ancienne Loi sur l’immigration. Bien qu’il puisse s’agir d’une approche utile dans certains cas, ce n’est certainement pas la seule façon d’interpréter la loi. Dans le présent cas, les principes généraux de l’interprétation des lois montrent clairement que l’argument de Mme Zhang doit être rejeté.
[16]Si le paragraphe 63(2) s’appliquait aux visas « invalides », comme ceux qui ont été révoqués, s’appliquerait‑il aussi à ceux qui ont expiré? Cette logique est contraire au bon sens. D’après les observations de Mme Zhang, il semble que tout étranger qui est en possession d’un visa aurait le droit de présenter un appel en vertu du paragraphe 63(2), peu importe la question de savoir si le gouvernement du Canada avait l’intention de donner à ce document un effet juridique. Le fait que Mme Zhang possède encore la copie papier de son visa ne change pas la conséquence juridique de la révocation. Plutôt que de porter la mesure de renvoi prise par l’agent d’immigration en appel devant la Commission, elle aurait dû demander le contrôle judiciaire de la décision de l’agent devant la Cour. Cette option lui était toujours offerte, malgré le fait qu’elle ne pouvait pas se prévaloir du droit d’appel prévu au paragraphe 63(2).
[17]Mme Zhang a demandé à la Cour de certifier la question suivante :
[traduction] Le libellé du paragraphe 63(2) de la LIPR, soit « [l]e titulaire d’un visa de résident permanent peut interjeter appel de la mesure de renvoi prise au contrôle ou à l’enquête », devrait‑il plutôt être « le titulaire d’un visa de résident permanent valide peut interjeter appel de la mesure de renvoi prise au contrôle ou à l’enquête »?
[18]Au paragraphe 4 de l’arrêt Liyanagamage c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1637 (QL), la Cour d’appel fédérale a conclu que pour être certifiée, une question doit être de nature telle que, de l’avis de la Cour, elle aborde des éléments ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale, elle transcende les intérêts des parties au litige et elle est déterminante quant à l’issue de l’appel. Comme je ne crois pas que la question de la demanderesse satisfait au premier critère, je refuse de la certifier. Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.
JUGEMENT
LA COUR STATUE ET ADJUGE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.