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2007 CAF 410

A-579-06

Procureur général du Canada (appelant)

c.

Jacques Roy, ès qualité de syndic (intimé)

Répertorié : Canada (Procureur général) c. Roy (C.A.F.)

Cour d’appel fédérale, juge en chef Richard et juges Décary et Létourneau, J.C.A. — Montréal, 13 décembre; Ottawa, 21 décembre 2007.

                Faillite — Appel de la décision de la Cour fédérale portant que la décision du syndic n’enfreint pas l’art. 45 des Règles générales sur la faillite et l’insolvabilité (interdiction de signer des documents faux ou trompeurs); les feuilles de temps du syndic ne constituent pas des documents de l’actif au sens de l’art. 26 de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité — Appel incident de la décision portant que le syndic enfreint le code de déontologie lorsqu’il exerce les pouvoirs énumérés à l’art. 30 de la Loi sans obtenir le consentement préalable des inspecteurs — La Cour fédérale s’est méprise quant à la mens rea requise par l’art. 45 en exigeant la preuve que le syndic avait l’intention de confectionner un document faux ou trompeur, mais elle n’a pas commis d’erreur à l’égard des feuilles de temps puisque le syndic n’est pas contraint de tenir des feuilles de temps — Pour ce qui est de l’appel incident, les fautes civile et disciplinaire peuvent exister ensemble — L’art. 14.01 de la Loi confère au surintendant le pouvoir d’enquêter de même que celui de prendre des mesures pour assurer le respect de la Loi, la source de la faute disciplinaire en l’espèce — La Cour fédérale avait raison de conclure que le syndic devait obtenir la permission des inspecteurs avant d’exercer les pouvoirs énumérés à l’art. 30 de la Loi — Appel accueilli en partie; appel incident rejeté.

                Il s’agissait d’un appel et d’un appel incident de la décision de la Cour fédérale qui a trait aux démarches d’un syndic dans l’administration de l’actif.  La Cour fédérale a statué que : 1) pour prouver l’existence d’une infraction à l’article 45 (signature d’un document faux ou trompeur) des Règles générales sur la faillite et l’insolvabilité, il était nécessaire d’établir l’intention coupable du signataire; 2) les feuilles de temps d’un syndic ne constituent pas des documents de l’actif au sens de l’article 26 de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité; et 3) un syndic commet une infraction aux règles déontologiques lorsqu’il pose un des gestes énumérés à l’article 30 de la Loi, sans obtenir au préalable la permission des inspecteurs pour ce faire.

                Arrêt : l’appel doit être accueilli en partie; l’appel incident doit être rejeté.

                1) La mens rea d’une infraction, lorsqu’elle est exigée, soit expressément, soit implicitement par les termes choisis, varie en fonction des éléments matériels ou constitutifs de cette infraction. En l’espèce, les éléments matériels de l’interdiction prévue à l’article 45 sont la signature d’un document que le signataire sait ou devrait raisonnablement savoir être faux ou trompeur. L’article 45 établit à la fois un test subjectif (« savoir ») et un test objectif (« devrait savoir ») pour établir la connaissance que le syndic a du caractère faux ou trompeur du document et il suffit de satisfaire l’un ou l’autre de ces deux tests. La connaissance imputée par le jeu de la responsabilité objective « n’a rien à voir avec ce qui s’est passé effectivement dans l’esprit de l’accusé, mais concerne ce qui aurait dû s’y passer si ce dernier avait agi raisonnablement ». La Cour fédérale s’est méprise quant à la mens rea requise par l’article 45 en exigeant la preuve que le syndic « avait l’intention de confectionner un document faux ou trompeur » et a donc commis une erreur de droit.

                2) Cependant, la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur quant aux feuilles de temps. En l’absence d’une disposition expresse qui l’exige ou d’une disposition suffisamment explicite et non équivoque pour conclure que c’était là l’intention du législateur, on ne peut présumer d’une obligation pour un syndic de faillite, sous peine de sanction disciplinaire, de conserver ses feuilles de temps. L’existence d’une infraction disciplinaire ne se présume pas.

                3) Pour ce qui est du défaut d’obtenir la permission des inspecteurs en vertu de l’article 30 de la Loi, en droit civil, ce défaut engage la responsabilité personnelle du syndic si l’exercice du pouvoir résulte en un préjudice à autrui. Il s’agit d’une faute civile qui n’empêche pas la juxtaposition d’une faute disciplinaire. La source de la faute disciplinaire en l’espèce était l’article 14.01 de la Loi, qui confère au surintendant le pouvoir d’enquêter de même que celui de prendre des mesures pour assurer le respect de la Loi. La Cour fédérale a donc eu raison de conclure que le syndic devait obtenir la permission des inspecteurs avant de prendre les démarches reprochées.

                lois et règlements cités

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 366.

Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. (1985), ch. B-3, art. 1 (mod. par L.C. 1992, ch. 27, art. 2), 13.5 (édicté, idem, art. 9), 14.01 (édicté, idem; 1997, ch. 12, art. 12), 14.03 (édicté par L.C. 1992, ch. 27, art. 9; 1997, ch. 12, art. 14; 1999, ch. 31, art. 18(A)), 18, 19 (mod. par L.C. 2004, ch. 25, art. 19(F)), 26 (mod. par L.C. 1997, ch. 12, art. 20; 2004, ch. 25, art. 21), 30 (mod. par L.C. 1997, ch. 12, art. 22(F); 2004, ch. 25, art. 22), 31(1), 38(4), 39(2), (5), 117(1), 120(3) (mod., idem, art. 65(F)), (4), 152 (mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 20; ch. 27, art. 55).

Règles générales sur la faillite et l’insolvabilité, C.R.C., ch. 368 (mod. par DORS/98-240, art. 1), art. 45 (mod. par DORS/2005-284, art. 4), 61 (mod. par DORS/98-240, art. 1; 2005-284, art. 6(F)), 68(1) (mod. par DORS/98-240, art. 1).

                jurisprudence citée

décisions examinées

Cochard v. Cochard (2004), 7 C.B.R. (5th) 73; 2004 ABQB 439; Bryant Isard & Co., Re (1923), 4 C.B.R. 41; 24 O.W.N. 597 (C.S. Ont.).

décisions citées

Béliveau c. Barreau du Québec, [1992] R.J.Q. 1822; (1992), 50 Q.A.C. 67 (C.A.); R. sur la dénonciation de Mark Caswell c. Corporation de la ville de Sault Ste-Marie, [1978] 2 R.C.S. 1299; Lévis (Ville) c. Tétreault; Lévis (Ville) c. 2629-4470 Québec inc., [2006] 1 R.C.S. 420; 2006 CSC 12; Canada (Procureur général) c. Gates, [1995] 3 C.F. 17 (C.A.); R. c. Creighton, [1993] 3 R.C.S. 3; Scott (Syndic de), [2001] J.Q. no 8490 (C.S.) (QL); Brosseau (Syndic) (Re), 2006 QCCS 5369; Airobec inc. (Syndic de), 2007 QCCS 3231; Sheriff c. Canada (Procureur général), [2007] 1 R.C.F. 3; 2006 CAF 139; Howe v. Institute of Chartered Accountants of Ontario (1994), 19 O.R. (3d) 483; 118 D.L.R. (4th) 129; 27 Admin. L.R. (2d) 118; 74 O.A.C. 26 (C.A.); Feldman, Re (1932), 13 C.B.R. 313 (C.S. Ont.); Keddy Motor Inns Ltd. (Re) (1999), 181 N.S.R. (2d) 120; 560 A.P.R. 120; 15 C.B.R. (4th) 48 (C.S. N.-É.); Brown c. Gentleman, [1971] R.C.S. 501; 4 R.N.-B. (2e) 880; Cie du Trust National Ltée c. Louida Payeur Inc. (Syndic), [1989] R.J.Q. 1769 (C.A.); Pratchler Agro Services Inc. (Trustee of) v. Cargill Ltd. (1999), 11 C.B.R. (4th) 107; 183 Sask. R. 157 (B.R.); Canadevim ltée (Syndic de), [2005] J.Q. no 12638 (C.S.) (QL); Graphicshoppe Ltd. (Re) (2005), 78 O.R. (3d) 401; 260 D.L.R. (4th) 713; 15 C.B.R. (5th) 207; 49 C.C.P.B. 63; 21 E.T.R. (3d) 1; 205 O.A.C. 113 (C.A.).

              doctrine citée

Bennett on Bankruptcy, 9e éd. Toronto : CCH Canadian, 2006.

Bilodeau, Paul-Émile. Précis de la faillite et de l’insolvabilité, 2e éd. Brossard, Québec : CCH, 2004.

Bohémier, Albert. Faillite et insolvabilité, tome 1. Montréal : Thémis, 1992.

Côté-Harper, Gisèle et Jean Turgeon. Droit pénal canadien, 3e éd., supplément. Cowansville, Qc : Yvon Blais, 1994.

Directive No. 7 (Pré-1992), « Rétention de documents par le syndic », émise : le 19 juin 1986; émise de nouveau : le 10 janvier 1991, en ligne : Bureau du surintendant des faillites Canada <http://strategis.ic.gc.ca/epic/site/ bsf-osb.nsf/vwapj/dir7.pdf>.

Houlden, L. W. et al. The 2007 Annotated Bankruptcy and Insolvency Act. Toronto : Thomson Carswell, 2006.

Létourneau, Gilles et Pierre Robert. Code de procédure pénale du Québec annoté, 7e éd. Montréal : Wilson & Lafleur, 2007.

                APPEL et APPEL INCIDENT de la décision de la Cour fédérale (2006 CF 1387) rejetant une demande de contrôle judiciaire ayant trait aux démarches d’un syndic et mettant en cause, entre autres, l’article 45 des Règles générales sur la faillite et l’insolvabilité, ainsi que les articles 26 et 30 de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité. Appel accueilli en partie; appel incident rejeté.

              ont comparu :

Bernard Letarte et Vincent Veilleux pour l’appelant.

Jean-Philippe Gervais pour l’intimé.

              avocats inscrits au dossier :

Le sous-procureur général du Canada pour l’appelant.

Gervais & Gervais, s.e.n.c., Montréal, pour l’intimé.

                Voici les motifs du jugement rendus en français par

                Le juge Létourneau, J.C.A. :

Appel, appel incident et questions en litige

[1] L’appelant s’en prend à une décision du juge Simon Noël de la Cour fédérale (rapportée à 2006 CF 1387) au terme de laquelle le juge a rejeté deux des revendications que l’appelant soumettait par voie de contrôle judiciaire. Il formule les reproches suivants :

a) le juge a commis une erreur de droit en concluant qu’afin de prouver l’existence d’une infraction à l’article 45 [mod. par DORS/2005-284, art. 4] des Règles générales sur la faillite et l’insolvabilité, C.R.C., ch. 368 [mod. par DORS/98-240, art. 1] (Règles), soit la signature d’un document faux ou trompeur, il était nécessaire d’établir l’intention coupable du signataire; et

b) le juge a commis une erreur de droit en concluant que les feuilles de temps d’un syndic ne constituent pas des documents de l’actif au sens de l’article 26 [mod. par L.C. 1997, ch. 12, art. 20; 2004, ch. 25, art. 21] de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. (1985), ch. B-3 [art. 1 (mod. par L.C. 1992, ch. 27, art. 2)] (Loi).

[2] Pour sa part, l’intimé interjette appel de cette partie de la décision du juge qui affirme qu’un syndic de faillite commet une infraction aux règles déontologiques lorsqu’il pose un des gestes énumérés à l’article 30 [mod. par L.C. 1997, ch. 12, art. 22(F); 2004, ch. 25, art. 22] de la Loi, sans obtenir au préalable la permission des inspecteurs pour ce faire. Il y voit là une erreur de droit de la part du juge.

Les dispositions législatives et réglementaires pertinentes

[3] Avant de résumer sur ces points la décision du juge, il importe de reproduire les dispositions législatives et réglementaires pertinentes pour mieux saisir les énoncés du juge et, par la suite, les prétentions des parties :

Loi [art. 13.5 (édicté par L.C. 1992, ch. 27, art. 9), 14.01 (édicté, idem; 1997, ch. 12, art. 12), 19 (mod. par L.C. 2004, ch. 25, art. 19(F)), 120(3) (mod., idem, art. 65(F))]

                13.5 Les syndics sont tenus de se conformer aux codes de déontologie régissant leur conduite qui peuvent être prescrits.

[…]

                14.01 (1) Après avoir tenu ou fait tenir une enquête sur la conduite du syndic, le surintendant peut prendre l’une ou plusieurs des mesures énumérées ci-après, soit lorsque le syndic ne remplit pas adéquatement ses fonctions ou a été reconnu coupable de mauvaise administration de l’actif, soit lorsqu’il n’a pas observé la présente loi, les Règles générales, les instructions du surintendant ou toute autre règle de droit relative à la bonne administration de l’actif […]

[…]

                19. (1) Le syndic peut, antérieurement à la première assemblée des créanciers, obtenir un avis juridique et prendre les procédures judiciaires qu’il peut juger nécessaires pour recouvrer ou protéger les biens du failli.

                (2) Dans un cas d’urgence où il est impossible d’obtenir des inspecteurs, en temps utile, l’autorisation requise pour prendre les mesures qui s’imposent, le syndic peut obtenir l’opinion d’un conseiller juridique, intenter les procédures judiciaires et prendre les mesures qu’il juge nécessaires dans l’intérêt de l’actif.

[…]

                26. (1) Le syndic tient des livres et registres convenables de l’administration de chaque actif auquel il est commis, dans lesquels sont inscrits tous les montants d’argent reçus ou payés par lui, une liste de tous les créanciers produisant des réclamations, en indiquant le montant de ces dernières et comment il en a été disposé, ainsi qu’une copie de tous les avis expédiés et le texte original et signé de tout procès-verbal, de toutes procédures entamées et résolutions adoptées à une assemblée de créanciers ou d’inspecteurs, de toutes les ordonnances du tribunal et toutes autres matières ou procédures qui peuvent être nécessaires pour fournir un aperçu complet de son administration de l’actif.

                (2) Les livres, registres et documents de l’actif concernant l’administration d’un actif sont considérés comme étant la propriété de l’actif et, advenant un changement de syndic, ils sont immédiatement remis au syndic substitué.

[…]

                30. (1) Avec la permission des inspecteurs, le syndic peut :

                a) vendre ou autrement aliéner, à tel prix ou moyennant telle autre contrepartie que peuvent approuver les inspecteurs, tous les biens ou une partie des biens du failli, y compris l’achalandage, s’il en est, ainsi que les créances comptables échues ou à échoir au crédit du failli, par soumission, par enchère publique ou de gré à gré, avec pouvoir de transférer la totalité de ces biens et créances à une personne ou à une compagnie, ou de les vendre par lots;

                b) donner à bail des immeubles ou des biens réels;

                c) continuer le commerce du failli, dans la mesure où la chose peut être nécessaire pour la liquidation avantageuse de l’actif;

                d) intenter ou contester toute action ou autre procédure judiciaire se rapportant aux biens du failli;

                e) employer un avocat ou autre représentant pour engager des procédures ou pour entreprendre toute affaire que les inspecteurs peuvent approuver;

                f) accepter comme contrepartie pour la vente de tout bien du failli une somme d’argent payable à une date future, sous réserve des stipulations que les inspecteurs jugent convenables quant à la garantie ou à d’autres égards;

                g) contracter des obligations, emprunter de l’argent et fournir des garanties sur tout bien du failli par voie d’hypothèque, de charge, de privilège, de cession, de nantissement ou autrement, telles obligations devant être libérées et tel argent emprunté devant être remboursé avec intérêt sur les biens du failli, avec priorité sur les réclamations des créanciers;

                h) transiger sur toute dette due au failli et la régler;

                i) transiger sur toute réclamation faite par ou contre l’actif;

                j) partager en nature, parmi les créanciers et selon sa valeur estimative, un bien qui, à cause de sa nature particulière ou d’autres circonstances spéciales, ne peut être promptement ni avantageusement vendu;

                k) décider de retenir, durant la totalité ou durant une partie de la période restant à courir, ou de céder, abandonner ou résilier tout bail ou autre droit ou intérêt provisoire se rattachant à un bien du failli;

                l) nommer le failli pour aider à l’administration de l’actif de la manière et aux conditions que les inspecteurs peuvent ordonner.

                (2) La permission n’est pas une permission générale visant tous les pouvoirs mentionnés, mais est restreinte à un ou plusieurs pouvoirs précisés, ou à une catégorie de pouvoirs précisés.

                31. (1) Avec la permission du tribunal, un séquestre intérimaire ou un syndic, avant la nomination d’inspecteurs, peut consentir des avances nécessaires ou opportunes, contracter des obligations, emprunter de l’argent et donner une garantie sur les biens du débiteur aux montants, selon les conditions et sur les biens que le tribunal autorise. Ces avances, obligations et emprunts sont remboursés sur les biens du débiteur et ont priorité sur les réclamations des créanciers.

[…]

                38. (1) […]

                (4) Lorsque, avant qu’une ordonnance soit rendue en vertu du paragraphe (1), le syndic, avec la permission des inspecteurs, déclare au tribunal qu’il est prêt à intenter les procédures au profit des créanciers, l’ordonnance doit prescrire le délai qui lui est imparti pour ce faire, et dans ce cas le profit résultant des procédures, si elles sont intentées dans le délai ainsi prescrit, appartient à l’actif.

[…]

                117. (1) Le syndic peut convoquer une assemblée des inspecteurs lorsqu’il l’estime utile, et il doit le faire lorsque la majorité des inspecteurs l’en requiert par écrit.

[…]

                120. (1) […]

                (3) Les inspecteurs vérifient le solde en banque de l’actif, examinent ses comptes, s’enquièrent de la suffisance de la garantie fournie par le syndic et, sous réserve du paragraphe (4), approuvent l’état définitif des recettes et des débours préparé par le syndic, le bordereau de dividende et la disposition des biens non réalisés.

                (4) Avant d’approuver l’état définitif des recettes et des débours du syndic, les inspecteurs doivent s’assurer eux-mêmes qu’il a été rendu compte de tous les biens et que l’administration de l’actif a été complétée, dans la mesure où il est raisonnablement possible de le faire, et doivent établir si les débours et dépenses subis sont appropriés ou non et ont été dûment autorisés et si les honoraires et la rémunération sont justes et raisonnables en l’occurrence. [Je souligne.]

Règles [art. 61 (mod. par DORS/98-240, art. 1; 2005- 284, art. 6(F)), 68(1) (mod. par DORS/98-240, art. 1)]

                45. Le syndic ne signe aucun document, notamment une lettre, un rapport, une déclaration, un exposé et un état financier, qu’il sait ou devrait raisonnablement savoir être faux ou trompeur, ni ne s’associe de quelque manière à un tel document, y compris en y joignant sous sa signature un déni de responsabilité.

[…]

                61. [l’article 64 avant les modifications de 1998] (1) La demande de libération du syndic:

                a) est établie en la forme prescrite;

                b) est accompagnée d’une copie de l’avis de dividende définitif et de demande de libération du syndic et d’une copie de l’état définitif des recettes et des débours taxés, lesquels sont en la forme prescrite, ainsi que du bordereau de dividende.

                (2) Au moment de sa libération, le syndic démontre au tribunal qu’il a rempli les conditions suivantes :

                a) les déclarations relatives à sa libération sont vraies;

                b) l’état définitif des recettes et des débours constitue un état exact et fidèle de l’administration de l’actif et a été approuvé par les inspecteurs et taxé par le tribunal;

                c) les débours indiqués dans cet état sont exacts et justifiables;

                d) les biens du failli dont il était responsable ont été vendus, réalisés ou disposés de la manière indiquée dans cet état;

                e) les réclamations ayant fait l’objet d’un dividende ont été dûment examinées et :

          (i) pour autant qu’il sache, le bordereau de dividende soumis au tribunal donne une liste véridique et fidèle des réclamations des créanciers ayant droit à une partie de l’actif,

          (ii) les paiements mentionnés dans ce bordereau ont été dûment effectués,

          (iii) il a fait parvenir les dividendes non réclamés et les fonds non distribués au surintendant conformément au paragraphe 154(1) de la Loi;

                f) il n’a reçu ni ne compte recevoir et il ne lui a été promis aucune rémunération ou rétribution autre que celle figurant sur l’état définitif des recettes et des débours;

                g) il s’est conformé au paragraphe 170(2) de la Loi;

                h) l’état définitif des recettes et des débours, le bordereau de dividende et l’avis de demande de libération du syndic ont été envoyés au registraire, au bureau de division, au failli et à chaque créancier dont la réclamation a été prouvée.

[…]

                68. (1) [le paragraphe 65(1) avant les modifications de 1998] Sauf ordonnance contraire du tribunal, le syndic conserve pendant au moins les quatre ans suivant la date de sa libération les livres, registres et documents concernant l’administration de l’actif. [Je souligne.]

Directive [Bureau du surintendant des faillites Canada,  Directive No. 7 (Pré-1992), « Rétention de documents par le syndic », émise : le 19 juin 1986; émise de nouveau : le 10 janvier 1991]

Directive No. 7 (Pré-1992)

Rétention de documents par le syndic

[…]

Livres, registres et documents concernant l’administration d’un actif

5. Les livres, registres et documents de l’actif concernant l’administration d’un actif mentionnés au paragraphe 26(2) de la Loi sont les documents produits pour ou par le syndic durant sa propre administration pour justifier ses décisions et démarches (le dossier d’administration du syndic).

6. Ceci consistera généralement en preuves de réclamations, avis divers aux créanciers, multiples rapports aux créanciers, au tribunal et au surintendant, la correspondance, les requêtes et les ordonnances, tous les procès-verbaux d’assemblées, les effets bancaires et les relevés comptables démontrant les entrées et dispositions de fonds ainsi que les pièces justificatives pour les divers déboursés.

Résumé de la décision du juge

[4] S’inspirant des définitions des mots « faux » et « trompeur » dans des dictionnaires français et anglais, le juge a conclu, aux paragraphes 35 et 36 des motifs de sa décision, que les mots « faux » et « trompeur » sous-entendent l’intention.

[5] L’essence de sa conclusion se retrouve aux paragraphes 39 et 40 de ses motifs. Elle se veut une réponse aux arguments de l’appelant que l’on retrouve au paragraphe 38. Je reproduis ces trois paragraphes car ils seront au cœur de mon analyse subséquente de la conclusion du juge :

                Les avocats du Procureur général prétendent que l’emploi des mots dans la Règle 45 « qu’il sait ou devrait raisonnablement savoir être faux ou trompeur » (en anglais « that they know or reasonably ought to know, is false or misleading ») n’exige pas la démonstration d’une intention de tromper pour le signataire du document. Pour eux, si une personne raisonnable aurait dû savoir que le document était faux ou trompeur, il y a contravention et ce, que l’on ait ou non démontré une intention réelle de tromper. Il s’agit d’un test objectif sans égard à l’intention réelle de la personne en cause. [Souligné dans l’original.]

                Ma lecture de la Règle me permet de constater que le syndic doit avoir une connaissance que le document signé est faux ou trompeur. Le libellé de la Règle lie le syndic avec le verbe savoir ou devrait raisonnablement savoir que le document est faux ou trompeur. L’adjectif « faux » ou « trompeur » sous-entend l’élément d’intention de savoir ou de devoir raisonnablement savoir que le document est faux ou trompeur. Je ne vois pas en quoi les mots « devrait raisonnablement savoir être faux ou trompeur » peuvent en soi éliminer la connaissance du syndic pour y établir un test objectif. L’intention du syndic de savoir ou de devoir raisonnablement savoir lorsqu’il signe un document faux ou trompeur m’apparaît être un élément essentiel permettant de conclure ou non au bien-fondé du manquement disciplinaire suivant le libellé de la Règle 45.

                La conclusion à laquelle le délégué en est arrivé, soit que la Règle 45 inclut l’intention coupable d’être associé à un document faux ou trompeur, est correcte. Sa conclusion à l’effet qu’il n’y a pas de preuve au dossier que le syndic avait l’intention de confectionner un document faux ou trompeur n’est pas remise en question. Elle est conforme au droit applicable et elle est correcte. [Soulignement ajouté.]

[6] Le raisonnement du juge quant au statut légal des feuilles de temps d’un syndic apparaît aux paragraphes 68 à 80 de ses motifs. Essentiellement, il s’est dit d’avis que les termes « documents de l’actif » de l’article 26 de la Loi ne permettaient pas d’y inclure les feuilles de temps du syndic. Il a vu dans ces documents des « documents personnels préparés dans le but de pouvoir chiffrer, s’il y a lieu, ses honoraires pour les fins de la taxation éventuelle ou encore d’une demande d’honoraire spéciale » : paragraphe 77 des motifs de sa décision.

[7] Enfin, en ce qui a trait à l’article 30 de la Loi qui autorise un syndic à poser un certain nombre d’actes avec la permission des inspecteurs, le juge s’est servi d’autres dispositions de la Loi, notamment les articles 19, 31, 38 et 117, pour établir que le rôle que jouent les inspecteurs n’en est pas un simplement figuratif. Leur présence et leur acquiescement préalable à certains actes que peut poser un syndic visent à assurer une protection et une saine administration de l’actif au profit des créanciers.

[8] Tout en reconnaissant une jurisprudence constante voulant qu’un tiers ne soit pas préjudicié par un geste posé par un syndic sans la permission des inspecteurs, il a conclu, et je le dis en mes termes, qu’un syndic ne saurait, au plan disciplinaire, ignorer les inspecteurs, faire cavalier seul et faire impunément fi des dispositions impératives de la Loi : voir les paragraphes 61 à 66 de ses motifs.

[9] J’aborde donc maintenant dans l’ordre les deux motifs de l’appel principal et celui de l’appel incident.

Analyse de la décision du juge et des motifs de l’appel principal

a) l’erreur alléguée du juge quant à la mens rea de l’interdiction de signer un document faux ou trompeur

[10]         J’ai déjà évoqué précédemment la position de l’appelant quant à l’interdiction contenue à l’article 45 [des Règles] : la responsabilité du signataire est engagée s’il sait ou devrait raisonnablement savoir que le document qu’il signe est faux ou trompeur.

[11]         Naturellement, l’intimé supporte la décision du juge. Il cite une jurisprudence abondante portant sur la fabrication et l’usage de faux documents. J’y reviendrai plus loin. Mais auparavant il n’est pas inapproprié de rappeler certains principes de la responsabilité pénale et disciplinaire. Ceci dit, je suis bien conscient que le droit disciplinaire est un droit sui generis et que l’ensemble des principes du droit pénal n’y sont pas applicables : voir Béliveau c. Barreau du Québec, [1992] R.J.Q. 1822 (C.A.), Gilles Létourneau et Pierre Robert, Code de procédure pénale du Québec annoté, 7e éd., Wilson & Lafleur, 2007, aux pages 8 et 9 pour un énoncé de certaines différences entre les deux droits. Cependant, il existe des rapprochements et des chevauchements au niveau de la faute requise pour l’enregistrement d’une déclaration de culpabilité.

[12]                      Sauf pour les infractions de responsabilité absolue où la seule commission de l’acte est génératrice de responsabilité, il faut que le geste posé soit accompagné ou d’une faute objective ou d’un élément de culpabilité morale dite faute subjective, c.-à-d. d’une mens rea : R. sur la dénonciation de Mark Caswell c. Corporation de la ville de Sault Ste-Marie, [1978] 2 R.C.S. 1299; Lévis (Ville) c. Tétreault; Lévis (Ville) c. 2629-4470 Québec inc., [2006] 1 R.C.S. 420. Dans le cas du droit disciplinaire, on parle d’une faute professionnelle ou disciplinaire qui peut être subjective ou objective : voir Béliveau et Létourneau et Robert.

[13]         La mens rea d’une infraction, lorsqu’elle est exigée, soit expressément, soit implicitement par les termes choisis, varie en fonction des éléments matériels ou constitutifs de cette infraction, c.-à-d. de l’actus reus. Dans le cas d’une infraction composée de plusieurs éléments matériels, la mens rea prendra des formes diverses, adaptées à chacun de ces éléments matériels. Deux exemples empruntés au droit criminel pour le besoin de la cause suffiront à illustrer le fonctionnement de la relation entre ces deux concepts. J’en ai retenu un comme deuxième qui s’apparente à l’interdiction de l’article 45, mais qui est différent et qui permet de mieux comprendre la teneur de celle-ci.

[14]         Ainsi, une accusation de possession de stupéfiants dans le but d’en faire le trafic requiert au niveau de la mens rea une preuve que le possesseur à la fois connaissait la nature de la substance possédée et qu’il avait l’intention de trafiquer cette substance.

[15]         La fabrication d’un faux document, interdite par l’article 366 du Code criminel [L.R.C. (1985), ch. C-46], survient lorsqu’une personne « fait un faux document le sachant faux, avec l’intention », par exemple, « qu’il soit employé […] comme authentique, au préjudice de quelqu’un ». Il ressort de ce texte d’incrimination, à l’instar de l’exemple précédent, la nécessité d’établir une double mens rea : l’une de connaissance quant à la fausseté du document, l’autre d’intention quant à l’usage qui sera fait de ce document.

[16]         Dans le cas qui nous occupe, les éléments matériels de l’interdiction prévue à l’article 45 sont simples, soit la signature d’un document que le signataire sait ou devrait raisonnablement savoir être faux ou trompeur. L’interdiction exige une mens rea de connaissance quant à la fausseté ou au caractère trompeur du document, sans plus. Elle se limite, en ce qui a trait à ses éléments matériels, au seul fait et geste de signer un tel document. Contrairement à ce qu’ont cru le juge et le délégué qui fut le premier à décider la question, l’article 45 ne crée pas une infraction de fabrication d’un faux document avec l’intention qu’il soit utilisé au préjudice de quelqu’un. Le faux document peut avoir été fabriqué par quelqu’un d’autre. Ce que cet article reproche au syndic comme faute disciplinaire et non criminelle, c’est de l’avoir signé.

[17]         La méprise du juge quant à la nature de l’interdiction l’a inexorablement amené à se méprendre quant à la mens rea requise par l’article 45 en exigeant la preuve que le syndic « avait l’intention de confectionner un document faux ou trompeur » : voir le paragraphe 40 de ses motifs. Il s’est aussi trompé quant à la nature même de la connaissance nécessaire pour établir une violation de l’article 45.

[18]         L’appelant a raison lorsqu’il affirme que les termes « devrait raisonnablement savoir être faux ou trompeur » de l’article 45 établissent un test objectif pour la détermination de la connaissance que le syndic a de la fausseté ou du caractère trompeur du document : sur la signification de ces termes par rapport à la faute, voir Canada (Procureur général) c. Gates, [1995] 3 C.F. 17 (C.A.), aux pages 19 et 20; Gisèle Côté-Harper et Jean Turgeon, Droit pénal canadien, 3e éd., supplément, Yvon Blais, 1994, pages 63 à 65. Contrairement à ce qu’énonce le juge au paragraphe 39 de ses motifs, ces termes n’éliminent pas en soi la connaissance du syndic : au contraire, ils lui en prêtent une qu’il n’a pas, mais que, dans les circonstances, il était raisonnable pour lui d’avoir.

[19]         De fait, la connaissance qu’une personne a d’une chose peut être actuelle ou imputée. Elle est actuelle lorsque, par exemple, elle connaît le contenu d’un colis parce que c’est elle-même qui l’y a placé. Elle est imputée lorsque, bien qu’elle ne connaît pas le contenu dudit colis, elle est néanmoins réputée le connaître, soit par suite de son aveuglement volontaire, soit parce qu’une personne raisonnable dans les mêmes circonstances l’aurait connu. Alors que la connaissance imputée par suite de l’aveuglement volontaire réfère à l’état d’esprit de l’accusé, celle imputée par le jeu de la responsabilité objective « n’a rien à voir avec ce qui s’est passé effectivement dans l’esprit de l’accusé, mais concerne ce qui aurait dû s’y passer si ce dernier avait agi raisonnablement » : voir R. c. Creighton, [1993] 3 R.C.S. 3, à la page 58.

[20]         De plus, parler de « [l]’intention du syndic de savoir ou de devoir raisonnablement savoir lorsqu’il signe un document faux ou trompeur » (je souligne) revient à revêtir de confusion et d’ambiguïté une disposition explicite et claire : au paragraphe 39 [de la décision de la Cour fédérale].

[21]         En somme, l’article 45 reconnaît deux tests, l’un subjectif (s’il sait), l’autre objectif (s’il devrait raisonnablement savoir), pour établir la connaissance que le signataire du document a du caractère faux ou trompeur de ce document. Il suffit de satisfaire l’un ou l’autre de ces deux tests. La preuve d’une violation de l’interdiction prévue à l’article 45 sera faite si le poursuivant établit :

a) que le syndic qui est poursuivi a signé le document en litige;

b) que ce document était faux, c’est-à-dire contraire à la vérité, ou trompeur, c’est-à-dire qui induit en erreur; et

c) que le syndic soit le savait, soit aurait dû raisonnablement le savoir.

[22]         Contrairement à ce que j’avais initialement cru à la lecture du mémoire des faits et du droit de l’intimé, ce dernier ne nie pas l’existence des deux tests, subjectif et objectif, ainsi que le fait que l’un ou l’autre puisse être appliqué pour établir la connaissance du syndic.

[23]         L’échange qui a eu lieu lors de l’audition entre les membres de la formation et le procureur de l’intimé a permis d’apporter des précisions quant à l’argument que l’intimé soulève par rapport à la mens rea de l’article 45.

[24]         L’intimé fonde son argument sur l’emploi des mots « faux » ou « trompeur » que l’on retrouve dans l’article 45. Initialement, le procureur de l’intimé a soutenu que ces mots employés par le législateur emportaient nécessairement, d’une manière implicite, une intention de tromper. Suite à des échanges avec la Cour, il a parlé d’un risque de causer un préjudice.

[25]         Si la mens rea requise n’était pas précisée dans le texte même de l’article 45 et si ce n’était des termes de responsabilité objective « devrait raisonnablement savoir », l’argument pourrait avoir du mérite. Mais comme l’article 45 établit une responsabilité objective, on ne peut exiger du syndic qu’il ait une intention de tromper en signant le document puisqu’il ne sait pas qu’il est faux. L’intention de tromper réfère nécessairement à l’état d’esprit du syndic alors que la responsabilité objective « n’a rien à voir avec ce qui s’est passé effectivement dans l’esprit [du syndic], mais concerne ce qui aurait dû s’y passer si ce dernier avait agi raisonnablement » : R. c. Creighton, précité, à la page 58. En d’autres termes, l’exigence d’une intention de tromper est incompatible avec les termes « devrait raisonnablement savoir » de l’article 45. Elle a pour effet de les rendre inopérants.

[26]         Quant à l’exigence d’un risque de causer un préjudice, celle-ci est toujours satisfaite, indépendam- ment des notions de faute ou de mens rea, puisqu’un document faux ou trompeur, par définition, risque de causer un préjudice. Le risque nait du caractère faux ou trompeur du document, que son signataire l’ait signé intentionnellement, en connaissance de son caractère, sans s’en soucier ou sans le savoir.

[27]         À mon avis, le premier motif d’appel du procureur général du Canada doit être accueilli.

b) l’erreur alléguée du juge quant au statut légal des feuilles de temps d’un syndic

[28]         Il est acquis que le concept de « documents de l’actif » qui apparaît au paragraphe 2 de l’article 26 de la Loi n’est ni défini dans celle-ci, ni dans les Règles.

[29]         L’appelant reconnaît que les feuilles de temps du syndic ne sont pas expressément mentionnées au paragraphe 26(2) comme faisant partie des documents de l’actif. Il admet également qu’elles n’entrent pas dans les vocables « livres et registres » du paragraphe 26(1).

[30]         Mais il soutient qu’elles font implicitement partie du paragraphe 26(2) puisque, selon le paragraphe 26(1), le syndic doit garder une copie de « toutes autres matières ou procédures qui peuvent être nécessaires pour fournir un aperçu complet de son administration de l’actif ». Or, selon lui, les feuilles de temps du syndic sont des documents qui permettent de « fournir un aperçu complet de son administration de l’actif » au sens de l’article 26 de la Loi.

[31]         L’appelant appelle aussi à sa rescousse la Directive No. 7, précitée [au paragraphe 5], laquelle précise que « [l]es livres, registres et documents de l’actif […] sont les documents produits pour ou par le syndic durant sa propre administration pour justifier ses décisions et démarches (le dossier d’administration du syndic) ». En somme, la Directive réfère au dossier d’administration du syndic.

[32]         Le paragraphe 6 de la Directive énumère en quoi consistera généralement ce dernier. La courte liste énumérative se termine par les mots « ainsi que les pièces justificatives pour les divers déboursés ». Selon l’appelant, les feuilles de temps constituent des pièces justificatives pour les divers déboursés. Elles sont utiles pour la taxation des honoraires, la libération du syndic et toute révision subséquente.

[33]         Si ces pièces sont utiles aux fins ci-auparavant mentionnées, l’appelant reconnaît qu’elles sont à la fois ni obligatoires, ni nécessaires. De fait, un syndic n’est pas, d’une part, législativement contraint de tenir des feuilles de temps. D’autre part, plutôt que de réclamer paiement selon un tarif horaire, il peut demander la rémunération de 7½ pour cent prévue au paragraphe 39(2) de la Loi.

[34]         Dans ce contexte, il est difficile de voir un fondement rationnel à cette position de l’appelant selon laquelle commet une infraction disciplinaire le syndic qui tient des feuilles de temps, fait taxer ses honoraires en conséquence, obtient sa libération et en dispose par la suite alors que ne commet aucune infraction celui qui n’en tient pas et réclame des honoraires globaux supérieurs à la rémunération prévue par la loi.

[35]         Je suis d’accord avec le procureur de l’intimé que le mécanisme de taxation du relevé des recettes et des déboursés par la Cour, lequel contient les honoraires du syndic, offre des garanties suffisantes pour prévenir les abus que, semble-t-il, voudrait dissuader l’infraction disciplinaire : voir le paragraphe 61(2) [des Règles]. Le syndic qui ne peut adéquatement justifier ses honoraires encourt le risque de se les voir refuser ou diminuer par la Cour en vertu du paragraphe 39(5) de la Loi : voir Scott (Syndic de), [2001] J.Q. no 8490 (C.S.) (QL); Brosseau (Syndic) (Re), 2006 QCCS 5369; et Airobec inc. (Syndic de), 2007 QCCS 3231.

[36]         Il est aussi toujours loisible aux créanciers de contester les honoraires sur réception d’une copie du relevé taxé qui doit leur être envoyée en vertu de l’article 152 [mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 20; ch. 27, art. 55] de la Loi.

[37]         En l’absence d’une disposition expresse qui l’exige ou d’une disposition suffisamment explicite et non équivoque pour conclure que c’était là l’intention du législateur, on ne peut présumer d’une obligation pour un syndic de faillite, sous peine de sanction disciplinaire, de conserver ses feuilles de temps. L’existence d’une infraction disciplinaire ne se présume pas, même si le droit disciplinaire accepte que l’infraction puisse être couchée en des termes larges.

[38]         En outre, il ne faut pas oublier que le droit disciplinaire peut être lourd de conséquences pour un titulaire de licence qui l’enfreint : voir Sheriff c. Canada (Procureur général), [2007] 1 R.C.F. 3 (C.A.F.), aux paragraphes 31 et 32; et Howe v. Institute of Chartered Accountants of Ontario (1994), 19 O.R. (3d) 483 (C.A.).

[39]         Un syndic de faillite, qui agit professionnellement et qui est soucieux de respecter la Loi et les Règles, doit pouvoir être en mesure de raisonnablement identifier et connaître les prohibitions de nature disciplinaire qui s’appliquent à lui de manière à pouvoir se conformer à la Loi. Pour les fins de l’obligation prévue à l’article 68 [des Règles], l’appelant se réclame d’une définition large et tentaculaire du concept de « documents de l’actif » qui, en ce qui a trait aux feuilles de temps, n’a pas trouvé preneur dans l’affaire Cochard v. Cochard (2004), 7 C.B.R. (5th) 73 où, au paragraphe 49 la juge Veit de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta conclut qu’elles ne sont pas des « documents dont l’article 26 exige la production ». Accepter la position de l’appelant requiert d’étirer le concept au point de l’étioler pour pouvoir en définitive créer judiciairement, par des dédales interprétatifs, une infraction disciplinaire. Notre Cour ne dispose pas de ce pouvoir. Libre au législateur de le faire s’il le désire et de s’exprimer clairement en ce sens.

[40]         Pour ces motifs, je rejetterais le deuxième motif d’appel de l’appelant. Ceci m’amène maintenant à considérer le mérite de l’appel incident.

Analyse de la décision du juge et des motifs de l’appel incident

[41]         Infirmant la décision du délégué, on se rappellera que le juge a conclu que le défaut d’obtenir la permission préalable des inspecteurs pour poser un des gestes prévus à l’article 30 de la Loi constituait une infraction disciplinaire. Je crois qu’il est utile de reproduire les trois chefs d’accusation.

[42]         Ceux-ci sont ainsi formulés :

Infraction #2

Le syndic n’a pas obtenu la permission des inspecteurs pour vendre les comptes à recevoir à Isomur et accepter comme contre-partie une somme d’argent payable à une date future, contrevenant ainsi aux alinéas 30(1)a) et f) de la Loi.

Infraction #3

Le syndic n’a pas obtenu la permission des inspecteurs pour employer un avocat pour déposer une requête en recouvrement de deniers contre Isomur et messieurs Rivard et Genest, contrevenant ainsi à l’alinéa 30(1)e) de la Loi.

Infraction #4

Le syndic n’a pas obtenu la permission des inspecteurs pour transiger sur la réclamation de 15 000,00 $, plus les intérêts et l’indemnité prévue, faite par l’actif contre Isomur suite au jugement le 4 janvier 1995, contrevenant ainsi à l’article 30(1)i) de la Loi.

À la lecture, on y voit le reproche d’avoir contrevenu à l’article 30.

[43]         L’article 30 est intitulé « Pouvoirs du syndic avec la permission des inspecteurs » (je souligne). Le texte liminaire de cet article se lit (et je souligne) : « Avec la permission des inspecteurs, le syndic peut ».

[44]                      L’article 30 est une disposition qui confère au syndic une discrétion d’effectuer certaines opérations ou transactions. La disposition définit les sujets de ces opérations ou transactions ainsi que les conditions d’exercice de ces pouvoirs. Par exemple, il peut « continuer le commerce du failli, dans la mesure où la chose peut être nécessaire pour la liquidation avantageuse de l’actif » : alinéa 30(1)c). L’exercice de ce pouvoir requiert une appréciation de la nécessité d’opérer le commerce dans les circonstances.

[45]         L’une de ces conditions préalables à l’exercice du pouvoir discrétionnaire et applicables à chacune des opérations prévues à l’article 30 consiste à obtenir la permission des inspecteurs. Qui plus est, outre la permission des inspecteurs, l’exercice des pouvoirs conférés aux alinéas 30(1)a),e),f) et l) requiert une intervention additionnelle des inspecteurs.

[46]         Dans le cas de l’alinéa 30(1)a), il est nécessaire également d’obtenir l’approbation des inspecteurs quant au prix ou à la contrepartie de la vente ou de l’aliénation des biens du failli.

[47]         L’alinéa 30(1)e) exige une approbation additionnelle des inspecteurs pour qu’un avocat entreprenne toute affaire autre que celle d’engager des procédures.

[48]         Alors qu’un syndic, avec la permission des inspecteurs, peut accepter, comme contrepartie pour la vente d’un bien du failli, une somme d’argent payable à une date future, ce pouvoir ne peut s’exercer que « sous réserve des stipulations que les inspecteurs jugent convenables quant à la garantie ou à d’autres égards » : voir l’alinéa 30(1)f).

[49]         Enfin, selon l’alinéa 30(1)l), la nomination du failli comme aide à l’administration de l’actif non seulement se fait avec la permission des inspecteurs, mais également « de la manière et aux conditions que les inspecteurs peuvent ordonner ».

[50]         L’article 30 de la Loi confère aux inspecteurs un pouvoir important. On peut le voir par le rôle et les fonctions qui leurs sont attribués par les paragraphes 120(3) et (4) de la Loi. Pour utiliser l’expression du professeur Paul-Émile Bilodeau dans son ouvrage intitulé Précis de la faillite et de l’insolvabilité, 2e éd., Brossard, Qué. : CCH, 2004, à la page 53, citant les arrêts Feldman, Re  (1932), 13 C.B.R. 313 (C.S. Ont.) et Keddy Motor Inns Ltd. (Re) (1999), 181 N.S.R. (2d) 120 (C.S.), « les inspecteurs sont l’autorité gouvernante en matière d’administration d’une faillite ». Dans l’affaire Bryant Isard & Co., Re  (1923), 4 C.B.R. 41, à la page 48, le juge Fisher de la Cour suprême de l’Ontario écrivait :

                [traduction] La relation entre les inspecteurs et l’ensemble des créanciers est d’ordre fiduciaire, en sorte que les inspecteurs doivent s’acquitter de leurs obligations avec impartialité et dans l’intérêt des créanciers qui les ont nommés. Ils doivent veiller à ce que les syndics se comforment à la Loi de faillite […]

Voir aussi Bennett on Bankruptcy, 9e éd., Toronto : CCH Canadian, 2006, aux pages 322-323, L. W. Houlden et al., The 2007 Annotated Bankruptcy and Insolvency Act, Toronto : Thomson Carswell, 2006, aux pages 556-557.

[51]         En somme, les inspecteurs sont un rouage important de l’administration de l’actif d’un failli par un syndic. Le législateur a voulu qu’ils soient chargés de veiller à ce qu’il y ait une saine administration de l’actif au profit de la masse des créanciers. Sur ce point, l’auteur Bennett, précité, écrit à la page 322 :

                [traduction] Les inspecteurs sont les superviseurs du syndic, et il entre dans leurs attributions de donner instruction au syndic de prendre toute mesure qu’ils jugent indiquée pour protéger l’actif ainsi que les créanciers. Ils exercent une charge légale et sont nommés en vertu du paragraphe 116(1) de la Loi pour représenter les créanciers. Ils doivent agir de façon indépendante du syndic.

C’est dans cette perspective d’un contrôle immédiat et continu de l’administration d’un syndic que s’inscrivent les pouvoirs qu’ils se sont vus conférés à l’article 30 de la Loi.

[52]         Naturellement s’est soulevée la question de la validité des actes posés par le syndic si les conditions d’exercice de ces pouvoirs, dont, entre autres, celle d’obtenir la permission des inspecteurs, ne sont pas respectées. Depuis plus de 60 ans, comme le soumet le procureur de l’intimé, une jurisprudence constante des tribunaux a confirmé au plan du droit civil la validité de l’acte posé sans la permission préalable des inspecteurs et que l’absence de permission des inspecteurs ne peut être invoquée comme moyen de défense : voir Brown c. Gentleman, [1971] R.C.S. 501, à la page 511; Cie du Trust National Ltée c. Louida Payeur Inc. (Syndic), [1989] R.J.Q. 1769 (C.A.), à la page 1774; Pratchler Agro Services Inc. (Trustee of) v. Cargill Ltd. (1999), 11 C.B.R. (4th) 107 (B.R. Sask.), à la page 109; Canadevim ltée (Synci de), [2005] J.Q. no 12638 (C.S.) (QL); et Graphicshoppe Ltd. (Re) (2005), 78 O.R. (3d) 401, au paragraphe 24 où la Cour d’appel d’Ontario réfère à des décisions de 1923 et 1929.

[53]         Selon cette jurisprudence, le syndic qui n’obtient pas au préalable la permission des inspecteurs engage sa responsabilité personnelle si l’exercice du pouvoir résulte en un préjudice à autrui. L’appelant soumet qu’en reconnaissant au syndic une responsabilité personnelle, le droit civil reconnaît une faute civile et qu’il n’est alors pas incompatible d’y juxtaposer une faute disciplinaire.

[54]         Il soutient que le paragraphe 14.01(1) de la Loi, plus particulièrement les termes « lorsqu’il n’a pas observé la présente loi, les Règles générales, les instructions du surintendant » (je souligne) que l’on y retrouve, constitue la source de la faute disciplinaire et la justification pour des poursuites de cette nature. Avec respect pour l’opinion contraire, je crois qu’il a raison.

[55]         Je tiens à préciser que la faute civile génératrice de responsabilité civile ne résulte pas, comme le veut la position de l’appelant, du défaut d’obtenir la permission des inspecteurs, mais bien d’un exercice fautif du pouvoir lui-même, lequel exercice, et non l’absence de permission des inspecteurs, cause un préjudice à autrui.

[56]         Quoiqu’il en soit, en imposant une responsabilité personnelle au syndic, les tribunaux ont développé un remède civil conséquent et approprié à cette attribution de pouvoirs de l’article 30 lorsque, pour une raison ou une autre, la permission des inspecteurs n’a pas été préalablement obtenue.

[57]         Mais il est bien connu que le droit civil ne tient en échec ni le droit disciplinaire, ni le droit criminel ou pénal. Une sanction civile peut se doubler d’une sanction disciplinaire.

[58]         L’article 14.01 de la Loi confère au Surintendant un pouvoir d’enquête de même que celui de prendre des mesures pour assurer le respect de la Loi. Parmi ces mesures, on retrouve celles d’imposer des conditions ou des restrictions à la licence d’un syndic, de suspendre ou d’annuler celle-ci, et la possibilité de recourir à des mesures conservatoires en vertu de l’article 14.03 [édicté par L.C. 1992, ch. 27, art. 9; 1997, ch. 12, art. 14; 1999, ch. 31, art. 18(A)] pour sauvegarder l’actif.

[59]         Il va de soi qu’à l’égard de biens périssables ou sujets à une dépréciation rapide, un syndic peut disposer de ceux-ci sommairement dans l’intérêt de l’actif du failli : voir l’article 18 de la Loi et aussi l’article 19 où, en cas d’urgence, le syndic peut, sans l’autorisation des inspecteurs, prendre des mesures nécessaires à la protection de l’actif.

[60]         Il est aussi reconnu que des transactions faites en vertu de l’article 30 sans l’autorisation préalable des inspecteurs peuvent être ratifiées subséquemment par ces derniers : voir Albert Bohémier, Faillite et insolvabilité, Montréal : Thémis, tome 1, 1992, à la page 777.

[61]         Mais peut-on vraiment affirmer qu’un syndic qui, d’une manière répétée, voire systématique ou abusive, exercerait les pouvoirs de l’article 30 de la Loi sans jamais obtenir la permission des inspecteurs est un syndic qui observe la Loi? Peut-on conclure que le syndic qui agirait ainsi pourrait continuer de le faire sans possibilité de contrôle de la part du surintendant en vertu de l’article 14.01 de la Loi, parce qu’il existe en droit civil un remède développé par les tribunaux pour protéger les tierces parties et l’actif du failli contre des réclamations découlant de l’exercice de ces pouvoirs? Je crois que, dans les deux cas, poser la question c’est y répondre.

[62]         Pour conclure, le législateur a voulu s’assurer que la Loi et les Règles seront respectées. À cette fin, il a confié au surintendant un rôle de supervision. Il l’a investi des pouvoirs nécessaires à la réalisation de ce mandat par le biais de l’article 14.01. Certains de ces pouvoirs revêtent un aspect disciplinaire et débouchent sur des mesures susceptibles d’amener le contrevenant à observer la Loi et les Règles et à s’y conformer. Il existe une possibilité de modulation et de gradation de ces mesures, le surintendant étant investi du libre choix de celle la plus apte à réaliser l’objectif. Le juge a eu raison de conclure que la permission des inspecteurs était requise pour les opérations décrites dans les trois manquements reprochés à l’intimé et de retourner le dossier au délégué pour qu’il adjuge sur la question.

[63]         Pour ces motifs, je rejetterais l’appel incident avec dépens.

Conclusions sur l’appel principal

[64]         J’accueillerais l’appel principal avec dépens et j’infirmerais en partie le jugement de la Cour fédérale rendu le 17 novembre 2006. Procédant à rendre le jugement qu’elle aurait dû rendre, j’accueillerais avec dépens la partie de la demande de contrôle judiciaire portant sur l’interprétation de l’article 45 [des Règles] et je lui retournerais l’affaire pour qu’elle la retourne avec diligence au délégué, Me Lawrence Poitras, pour qu’il rende, en tenant compte des motifs de la présente décision et du jugement de cette Cour, une nouvelle décision au sujet des allégations de manquements suivantes :

Dossier de la faillite Jacob :

1)             Le syndic a signé un procès-verbal faux et trompeur sur le déroulement de l’assemblée du 7 octobre 1999 quant à sa confirmation à titre de syndic par l’assemblée et à l’omission d’indiquer la suspension de l’assemblée aux fins de procéder à certaines vérifications, contrevenant ainsi à l’article 13.5 de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité et à la Règle 45.

[…]

8)             Le syndic a signé un relevé des recettes et déboursés en indiquant que tout l’actif avait été réalisé alors qu’il devait raisonnablement savoir que la perception du produit de la vente des comptes à recevoir n’était pas encore réalisée et il a ensuite signé une demande de libération appuyée par un affidavit inexact, contrevenant ainsi à l’article 13.5, aux paragraphes 41(1) et 152(1) de la Loi et aux Règles 45 et 64(2) (Règle 61(2) depuis le 30 avril 1998).

9)          Le syndic a signé un relevé des recettes et déboursés en indiquant que tout l’actif avait été réalisé alors qu’il devait raisonnablement savoir que la réalisation des sommes à recevoir de BCL n’était pas complétée et il a ensuite signé une demande de libération appuyée par un affidavit inexact, contrevenant ainsi à l’article 13.5, aux paragraphes 41(1) et 152(1) de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité et aux Règles 45 et 64(2) (Règle 61(2) depuis le 30 avril 1998).

[65]         J’ordonnerais au délégué, Me Lawrence Poitras de convoquer, dans les 30 jours du jugement à être rendu, une conférence téléphonique avec les procureurs des parties afin que soit fixée une date d’audition dans les meilleurs délais.

Conclusions sur l’appel incident

[66]         Je rejetterais l’appel incident avec dépens.

                Le juge en chef Richard : Je suis d’accord.

                Le juge Décary, J.C.A. : Je suis d’accord.

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