IMM-1592-07
2007 CF 1219
Masoud Boroumand (demandeur)
c.
Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)
Répertorié : Boroumand c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (C.F.)
Cour fédérale, juge Gibson—Toronto, 25 octobre; 21 novembre 2007.
Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Personnes à protéger — Contrôle judiciaire de la décision de la représentante du ministre rejetant la demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) du demandeur au motif que celui-ci constitue un danger à la fois actuel et futur pour le public au Canada et qu’il ne sera exposé à aucun des risques mentionnés à l’art. 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) — Le demandeur était interdit de territoire pour grande criminalité — L’art. 113d)(i) de la LIPR s’appliquait en vertu de l’art. 320(5) du Règlement sur l’ immigration et la protection des réfugiés et de l’art. 112(3)b) de la LIPR — L’examen de la demande de protection a été limité aux facteurs énoncés à l’art. 97 et à la question de savoir si le demandeur constituait un danger pour le public au Canada — L’agente d’ERAR en est arrivée à une évaluation des risques favorable — La représentante du ministre a souscrit à l’avis de l’agente d’ERAR concernant six des sept sources alléguées de risque, mais elle a négligé de considérer la septième source et est arrivée à une autre conclusion relativement à la huitième source — La représentante du ministre n’avait pas le loisir d’arriver à la conclusion que le demandeur ne serait vraisemblablement pas exposé à un risque de torture, à une menace à sa vie ou à un risque de subir des traitements ou peines cruels et inusités après sa très brève analyse du risque — La représentante du ministre a aussi négligé l’une des sources de risque alléguées par le demandeur pour justifier sa crainte d’un renvoi, elle n’a prêté que peu d’attention aux documents et aux renseignements sur lesquels s’était fondée l’agente d’ERAR, elle n’a pas tenu compte des objectifs de la LIPR énoncés à l’art. 3(3)f) et elle a laissé de côté les répercussions cumulatives de toutes les sources de risque alléguées par le demandeur — La décision de la représentante du ministre était entachée d’une erreur susceptible de contrôle — Demande accueillie.
Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire déposée à l’encontre de la décision d’une représentante du ministre rejetant la demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) du demandeur au motif que celui-ci constitue un danger à la fois actuel et futur pour le public au Canada et qu’il ne sera exposé à aucun des risques mentionnés à l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR). Le demandeur a sollicité un ERAR en vertu du paragraphe 112(1) de la LIPR mais, comme il était interdit de territoire pour grande criminalité, son droit de demander la protection au ministre était restreint par le paragraphe 320(5) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés et l’alinéa 112(3)b) de la LIPR. Par conséquent, le sous-alinéa 113d)(i) de la LIPR s’appliquait au demandeur et seuls les facteurs énoncés à l’article 97 et la question de savoir s’il constituait un danger pour le public au Canada devaient être pris en considération pour trancher sa demande de protection. Le demandeur, un Iranien, est arrivé au Canada en 1988 et a été déclaré coupable d’infractions de trafic de stupéfiants en 1992. Alors que le demandeur était incarcéré, une mesure d’expulsion a été prononcée contre lui. Sa demande d’asile et sa demande en vue d’être considéré comme membre de la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada ont été refusées. Avant d’être renvoyé, le demandeur a épousé une citoyenne canadienne, il a quitté la province et il a usurpé l’identité d’un tiers. Le demandeur a été arrêté sept ans plus tard et il a été emprisonné à nouveau.
La représentante du ministre avait devant elle un avis d’une agente d’ERAR qui a rejeté sept sources de risque alléguées par le demandeur, mais elle a conclu que le demandeur serait exposé à un risque de torture, à une menace à sa vie ou à un risque de subir des traitements ou peines cruels et inusités à son retour en Iran selon la huitième source alléguée de risque. Étant donné que des fonctionnaires du gouvernement du Canada avaient communiqué au gouvernement de l’Iran des renseignements sur la déclaration de culpabilité prononcée contre le demandeur et sur sa demande d’asile, à l’occasion de sa demande de titre de voyage en 1995, l’agente d’ERAR a conclu qu’il serait susceptible de poursuites et que la peine qui lui serait imposée en Iran serait probablement contraire aux normes internationales reconnues. Cependant, la représentante du ministre est arrivée à une conclusion autre et a dit que le demandeur ne serait pas exposé à un risque s’il était tenu de retourner en Iran. Elle a déclaré que, d’après l’information obtenue du HCNUR, il n’existait pas de renseignements fiables sur la possibilité que le demandeur soit passible d’une sanction imposée par l’État, et donc sur la probabilité qu’il soit exposé à un risque de torture ou à un risque de subir des traitements ou peines cruels et inusités, en raison des déclarations de culpabilité prononcées contre lui au Canada. La question litigieuse était de savoir si la représentante du ministre avait le loisir de prendre la décision qu’elle a prise.
Jugement : la demande doit être accueillie.
La représentante du ministre a succinctement souscrit à l’avis de l’agente d’ERAR concernant six des sept sources de risque pour lesquelles l’agente avait rejeté les arguments du demandeur. Toutefois, elle a négligé de considérer la septième source alléguée de risque (c’est-à-dire que le demandeur éveillerait instantanément l’attention des autorités iraniennes à son arrivée en Iran en raison de l’absence d’un titre de voyage courant) et elle aurait dû le faire.
La représentante du ministre n’avait tout simplement pas le loisir d’arriver à la conclusion qu’elle a tirée quant à la huitième source alléguée de risque après sa très brève analyse du risque. Elle a négligé l’une des sources de risque alléguées par le demandeur et n’a prêté que peu d’attention aux documents d’une tierce partie indépendante ou aux renseignements sur lesquels s’était fondée l’agente d’ERAR ou les a laissés de côté. Rien ne démontrait qu’elle a pleinement analysé les observations détaillées qui avaient été présentées à l’agente et à elle-même au nom du demandeur. Elle n’a pas non plus tenu compte de l’alinéa 3(3)f) de la LIPR et a laissé de côté la question des répercussions cumulatives de toutes les sources de risque alléguées au nom du demandeur. La décision contestée était entachée d’une erreur susceptible de contrôle.
lois et règlements cités
Anti-Narcotic Drugs Law (telle qu’elle a été modifiée le 1er juillet 1989) (Iran).
Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, 10 décembre 1984, [1987] R.T. Can. No 36, Art. 1.
Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6, Art. 1Fc).
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 3(1),(3), 6(1), 36(1), 97, 112(1),(3), 113d), ann.
Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, art. 320(5)
jurisprudence citée
décisions appliquées :
Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3; 2002 CSC 1; Figurado c. Canada (Solliciteur général), [2005] 4 R.C.F. 387; 2005 CF 347.
décisions citées :
Kim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 437; Jiang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 477.
doctrine citée
UNHCR/ACCORD : 7th European Country of Origin Information Seminar. Country Report on Iran. Final Report. Berlin, 11 et 12 juin 2001.
DEMANDE de contrôle judiciaire déposée à l’encontre de la décision d’une représentante du ministre rejetant la demande d’examen des risques avant renvoi du demandeur au motif que celui-ci constitue un danger à la fois actuel et futur pour le public au Canada et qu’il ne sera exposé à aucun des risques mentionnés à l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Demande accueillie.
ont comparu :
Lorne Waldman pour le demandeur.
Bridget A. O’Leary pour le défendeur.
avocats inscrits au dossier :
Waldman and Associates, Toronto, pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par
Le juge Gibson :
INTRODUCTION
[1] Les présents motifs font suite à l’audition, à Toronto, le 25 octobre 2007, d’une demande de contrôle judiciaire déposée à l’encontre de la décision d’une représentante du ministre concernant la demande d’examen des risques avant renvoi [ERAR] qu’avait présentée le demandeur. La décision contestée porte la date du 29 mars 2007 et a été communiquée au demandeur le 16 avril 2007. La décision est, pour l’essentiel, formulée dans les termes suivants :
[traduction] L’objet de la LIPR est le suivant :
3. (1) En matière d’immigration, la présente Loi a pour objet :
[. . .]
h) de protéger la santé des Canadiens et de garantir leur sécurité;
i) de promouvoir, à l’échelle internationale, la justice et la sécurité par le respect des droits de la personne et l’interdiction de territoire aux personnes qui sont criminels ou constituent un danger pour la sécurité;
3. (3) L’interprétation et la mise en œuvre de la présente Loi doivent avoir pour effet :
a) de promouvoir les intérêts du Canada sur les plans intérieur et international;
Après avoir examiné en détail tous les aspects de la présente affaire, y compris l’intérêt de l’enfant de M. Boroumand, ainsi que le danger que M. Boroumand constitue pour le public au Canada, je suis d’avis que l’intérêt de l’enfant ne l’emporte pas sur le risque pour le public au Canada. Eu égard à la gravité des infractions dont M. Boroumand a été déclaré coupable, je crois que le risque pour le public l’emporte sur le risque auquel il pourrait être exposé après son retour en Iran. Je suis donc d’avis que M. Boroumand constitue un danger à la fois actuel et futur pour le public au Canada, et que son renvoi du Canada ne devrait donc pas être suspendu.
Finalement, me fondant sur les documents que j’ai examinés, je suis d’avis, selon la prépondérance de la preuve, que M. Boroumand ne sera exposé à aucun des risques mentionnés dans l’article 97 de la LIPR.
LE RÉGIME LÉGAL ET L’ARRÊT « SURESH »
[2] Le demandeur a sollicité un examen des risques avant renvoi en vertu du paragraphe 112(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés1 (la LIPR). Ce paragraphe est ainsi formulé :
112. (1) La personne se trouvant au Canada et qui n’est pas visée au paragraphe 115(1) peut, conformément aux règlements, demander la protection au ministre si elle est visée par une mesure de renvoi ayant pris effet ou nommée au certificat visé au paragraphe 77(1).
[3] Son droit de demander la protection au ministre était restreint par le paragraphe 320(5) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés2, une disposition transitoire, dont le texte est le suivant :
320. [. . .]
(5) La personne qui, à l’entrée en vigueur du présent article, avait été jugée être visée à l’alinéa 27(1)d) de l’ancienne loi :
a) est interdite de territoire pour grande criminalité en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés si elle a été déclarée coupable d’une infraction pour laquelle une peine d’emprisonnement de plus de six mois a été infligée ou une peine d’emprisonnement de dix ans ou plus aurait pu être infligée;
b) est interdite de territoire pour criminalité en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés si elle a été déclarée coupable d’une infraction punissable d’un emprisonnement maximal égal ou supérieur à cinq ans mais de moins de dix ans.
et par l’alinéa 112(3)b) de la LIPR, dont le texte est le suivant :
112. [. . .]
(3) L’asile ne peut être conféré au demandeur dans les cas suivants
[. . .]
b) il est interdit de territoire pour grande criminalité pour déclaration de culpabilité au Canada punie par un emprisonnement d’au moins deux ans ou pour toute déclaration de culpabilité à l’extérieur du Canada pour une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans;
[4] En vertu de ces dispositions, le sous-alinéa 113d)(i) de la LIPR s’appliquait au demandeur. Les mots introductifs de l’article 113, les mots introductifs de l’alinéa 113d) et le sous-alinéa 113d)(i) sont ainsi formulés :
113. Il est disposé de la demande comme il suit :
[. . .]
d) s’agissant du demandeur visé au paragraphe 112(3), sur la base des éléments mentionnés à l’article 97 et, d’autre part :
(i) soit du fait que le demandeur interdit de territoire pour grande criminalité constitue un danger pour le public au Canada, [. . .]
[5] Outre les dispositions susmentionnées de la LIPR et du Règlement, les dispositions légales suivantes intéressent la décision contestée, et elles y sont mentionnées. Les mots introductifs du paragraphe 3(1) de la LIPR et les alinéas h) et i) de ce paragraphe sont ainsi formulés :
3. (1) En matière d’immigration, la présente loi a pour objet :
[. . .]
h) de protéger la santé des Canadiens et de garantir leur sécurité;
i) de promouvoir, à l’échelle internationale, la justice et la sécurité par le respect des droits de la personne et l’interdiction de territoire aux personnes qui sont des criminels ou constituent un danger pour la sécurité;
[6] L’alinéa 3(3)a) de la LIPR prévoit ce qui suit :
3. [. . .]
(3) L’interprétation et la mise en œuvre de la présente loi doivent avoir pour effet :
a) de promouvoir les intérêts du Canada sur les plans intérieur et international;
L’alinéa 3(3)f) de la LIPR est, à mon avis, pertinent lui aussi. J’en dirai davantage sur ce point plus loin dans les présents motifs, et l’alinéa 3(3)f) sera alors cité.
[7] Le paragraphe 6(1) de la LIPR prévoit ce qui suit :
6. (1) Le ministre désigne, individuellement ou par catégorie, les personnes qu’il charge, à titre d’agent, de l’application de tout ou partie des dispositions de la présente loi et précise les attributions attachées à leurs fonctions.
[8] L’alinéa 36(1)a) de la LIPR prévoit ce qui suit :
36. (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :
a) être déclaré coupable au Canada d’une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans ou d’une infraction à une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé;
[9] L’article 97 de la LIPR prévoit ce qui suit :
97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :
a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;
b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :
(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,
(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,
(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,
(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats
(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.
[10] Finalement, l’alinéa c) de la section F de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés [28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6], laquelle section F est reproduite dans l’annexe de la LIPR, prévoit ce qui suit :
F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :
[. . .]
c) Qu’elles se sont rendues coupables d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.
[11] Le premier alinéa de la décision contestée tient lieu d’introduction. Plus exactement, il précise que le fondement en vertu duquel la représentante du ministre a pris la décision est une désignation faite par le ministre en vertu du paragraphe 6(1) de la LIPR. Ce premier alinéa de la décision est ainsi formulé :
[traduction] Il s’agit ici des motifs de la décision rendue en réponse à votre demande de protection présentée en vertu du paragraphe 112(3) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR). Parce que vous avez été déclaré interdit de territoire pour grande criminalité pour avoir été déclaré coupable au Canada d’une infraction punie par un emprisonnement d’au moins deux ans, vous êtes une personne décrite dans l’alinéa 112(3)b) et, conformément à l’alinéa 113d), j’ai examiné votre demande de protection en fonction des facteurs de risque énoncés dans l’article 97, en me demandant si vous constituez un danger pour le public au Canada. Une décision de faire droit à votre demande a pour effet de suspendre la mesure de renvoi prononcée contre vous. J’ai été désignée par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration du Canada, en application du paragraphe 6(1) de la LIPR, comme dépositaire du pouvoir de rendre une telle décision. [Non souligné dans l’original.]
[12] Il était établi, dans le dossier soumis à la représentante du ministre et à la Cour, que le demandeur était une personne décrite dans l’alinéa 112(3)b) de la LIPR. En conséquence, sa demande de protection a été, en vertu du sous-alinéa 113d)(i), étudiée sur la base des seuls éléments mentionnés dans l’article 97 de la LIPR, lesdits éléments consistant à déterminer si le demandeur, une fois renvoyé vers le pays dont il a la nationalité, serait personnellement exposé au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumis à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture [Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumans ou dégradants, 10 décembre 1984, [1987] R.T. Can. no 36], ou exposé à une menace contre sa vie, ou exposé au risque de subir des traitements ou peines cruels et inusités.
[13] En raison des circonstances particulières du demandeur, la représentante du ministre avait l’obligation de prendre en compte les propos tenus par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)3, propos selon lesquels « sauf circonstances extraordinaires, une expulsion [du Canada] impliquant un risque de torture violera généralement les principes de justice fondamentale protégés par l’art. 7 de la Charte », et ne saurait donc être admise sauf que, « dans des circonstances exceptionnelles, une expulsion impliquant un risque de torture [pourra] être justifiée, soit aux termes du processus de pondération requis par l’art. 7 de la Charte, soit au regard de l’article premier de celle-ci ».
LE CONTEXTE
[14] Le demandeur est un Iranien âgé de 45 ans qui est arrivé au Canada en 1988 à la faveur d’un faux passeport espagnol, et sans visa. En 1990, les fonctionnaires de l’immigration des États-Unis ont arrêté le demandeur, qui était entré aux États-Unis illégalement. Il a été renvoyé au Canada.
[15] En septembre 1992, le demandeur a été déclaré coupable au Canada de trois infractions de trafic de stupéfiants. La drogue en cause était l’héroïne. Le demandeur a été condamné à un emprisonnement de quatre ans. Il a obtenu une libération conditionnelle le 30 janvier 1994.
[16] En février 1993, alors que le demandeur était encore incarcéré, une mesure d’expulsion a été prononcée contre lui.
[17] Cinq ans après son arrivée au Canada, c’est-à-dire en avril 1993, le demandeur a sollicité l’asile. Par décision du 17 décembre 1993, la possibilité pour lui d’obtenir l’asile lui a été refusée parce qu’il tombait sous le coup de l’alinéa c) de la section F de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés. Cette disposition, citée au paragraphe 10 des présents motifs, exclut du droit de demander l’asile les personnes dont on a des raisons sérieuses de penser qu’elles se sont rendues coupables d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.
[18] Par demande de contrôle judiciaire, M. Boroumand a voulu contester devant la Cour la décision l’excluant du droit de demander l’asile. L’autorisation de contester la décision lui a été refusée le 8 septembre 1994.
[19] En février 1995, la demande présentée par le demandeur en vue d’être considéré comme membre de la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada lui a été refusée. On a considéré qu’il ne serait pas exposé à un risque s’il était renvoyé en Iran. Il n’a pas sollicité le contrôle judiciaire de cette décision.
[20] En juillet 1995, le demandeur a épousé une citoyenne canadienne. Son renvoi devait avoir lieu le
23 août 1995. Au lieu de cela, il a quitté la province de l’Ontario, puis s’est installé en Colombie-Britannique, où il a usurpé l’identité de son frère. Un mandat d’arrêt a été décerné contre lui, parce qu’il ne s’était pas présenté pour son renvoi et parce qu’il avait enfreint les conditions de sa liberté conditionnelle.
[21] Plus de sept ans plus tard, en décembre 2002, le demandeur a été arrêté. Il fut emprisonné à nouveau pour avoir contrevenu aux conditions de sa liberté conditionnelle et a été détenu par les autorités de l’immigration jusqu’en octobre 2004. Il a alors été relâché, après avoir déposé une garantie en espèces très élevée, et un cautionnement beaucoup plus élevé.
[22] En août 2003, le demandeur et son épouse, alléguant des motifs d’ordre humanitaire, ont déposé une demande afin que le demandeur soit autorisé à solliciter le droit d’établissement depuis le Canada. Cette demande a été refusée en décembre 2003. Le demandeur a voulu solliciter le contrôle judiciaire de cette décision. L’autorisation d’aller de l’avant dans sa demande de contrôle judiciaire lui a été refusée le 3 mars 2004.
[23] Au cours des années que le demandeur a passées au Canada et hormis la déclaration de culpabilité du
30 septembre 1992 pour les trois accusations de trafic d’héroïne, le demandeur n’a été déclaré coupable qu’à une seule autre reprise. Le 10 février 2004, il a été déclaré coupable d’entrave délibérée à un agent de la paix pour avoir usurpé l’identité de son frère. Pour cette déclaration de culpabilité, le demandeur a été condamné aux trois mois d’emprisonnement déjà purgés.
[24] Le demandeur et son épouse ont un fils, né le 30 novembre 2000. Puisque leur fils est né au Canada, il est citoyen canadien. L’épouse et le fils du demandeur sont citoyens canadiens, mais également ses parents, deux frères et une sœur.
LES PIÈCES QUE LA REPRÉSENTANTE DU MINISTRE AVAIT DEVANT ELLE
a) L’examen des risques avant renvoi
[25] La représentante du ministre avait devant elle un avis d’une agente d’examen des risques avant renvoi daté du 4 octobre 2004. Les « notes au dossier », qui se terminent par l’avis de l’agente, couvrent environ 20 pages. L’agente y relève que le demandeur a énoncé les risques suivants pour le cas où il serait renvoyé en Iran :
[traduction]
– il dit qu’il a éveillé l’attention des autorités lorsqu’il a distribué des tracts de nature politique à l’université
– il dit qu’il a été étiqueté comme sympathisant baha’i et qu’il est ciblé repéré par la police parce qu’il est intervenu pour sauver un ami de foi baha’i
– il dit qu’il a déserté l’armée iranienne et a fui en Turquie; il dit qu’il est recherché pour désertion
– il dit qu’il a été déclaré coupable par contumace et condamné à la peine de mort par pendaison; lettre de 1987
– il a présenté une assignation et un jugement venant de l’Iran, censés attester une déclaration de culpabilité par contumace prononcée en avril 2003
– il dit que les autorités canadiennes ont communiqué avec ses proches en Iran et les ont informés qu’il avait été déclaré coupable de trafic de drogue et qu’il serait expulsé, ce qui a augmenté le risque
– il dit qu’il éveillera instantanément l’attention des autorités en Iran, pour cause d’absence d’un titre de voyage courant
– il dit que le ministère de l’Immigration du Canada a communiqué au gouvernement de l’Iran des renseignements sur la déclaration de culpabilité prononcée contre lui et sur sa demande d’asile, par le biais de sa demande de titre de voyage de 1995, demande qui a été présentée en 2003
[26] L’agente a examiné chacun des risques recensés par le demandeur.
[27] S’agissant de la distribution, par le demandeur, de tracts de nature politique alors qu’il fréquentait l’université, l’agente a conclu ainsi :
[traduction] Me fondant sur l’information communiquée par le demandeur, je suis d’avis que le demandeur ne serait probablement pas exposé à un risque de torture, à une menace pour sa vie ou à un risque de subir des peines ou traitements cruels et inusités s’il était renvoyé en Iran, pour avoir distribué des tracts de nature politique à l’université, et cela parce qu’il ne semble pas que le demandeur était très absorbé par ses activités politiques au point que ces activités auraient pu le signaler et lui faire courir des risques.
[28] S’agissant de l’identité présumée du demandeur en tant que sympathisant baha’i, l’agente concluait ainsi :
[traduction] Je considère que le demandeur a sans doute aidé son ami baha’i, ce qui lui aurait valu une sanction sévère. Je considère aussi que le demandeur a été puni pour ses actes, a été relâché sous condition et s’est conformé aux conditions de sa libération durant environ un mois. Comme le risque est prospectif, je crois peu probable que le demandeur serait puni une deuxième fois à son retour en Iran pour des faits qui ont eu lieu en Iran en 1986. Les autorités iraniennes soupçonnent peut-être que le demandeur est un sympathisant baha’i, mais la preuve documentaire montre que le demandeur peut abjurer le bahaïsme. Je ne crois pas que le profil du demandeur en tant que sympathisant baha’i serait susceptible de l’exposer à un risque de torture, à une menace pour sa vie ou à un risque de subir des traitements ou peines cruels et inusités.
[29] S’agissant de l’affirmation du demandeur selon laquelle il aurait déserté l’armée iranienne, l’agente concluait ainsi :
[traduction] Étant donné que le service militaire est une obligation pour tous en Iran, je ne crois pas que le fait pour le demandeur d’avoir déserté constitue un risque qui lui est propre. La preuve documentaire montre aussi que le gouvernement de l’Iran est aujourd’hui plus indulgent envers les déserteurs et qu’il est maintenant possible de racheter son service militaire ou la peine imposée pour désertion. Je suis donc d’avis que le demandeur ne serait probablement pas exposé à un risque de torture, à une menace pour sa vie ou à un risque de subir des traitements ou peines cruels et inusités, pour cause de désertion, s’il était renvoyé en Iran.
[30] S’agissant de la crainte du demandeur à propos d’une supposée déclaration de culpabilité par contumace prononcée en 1987, avec condamnation à la peine de mort par pendaison, l’agente, après avoir cité un passage de ce qui semble être une transcription de l’audition du demandeur par l’agente le 15 septembre 2004, concluait ainsi :
[traduction] J’ai accordé peu de poids aux documents judiciaires de 1987. Si j’ai accordé peu de poids à cette preuve, j’ai également considéré les déclarations faites par le demandeur durant l’audition de sa demande d’ERAR, en même temps que son FRP et sa demande en vue d’être compris dans la catégorie des DNRSRC. J’ai tenu compte aussi de la déclaration solennelle de Masih Bourmand [sic], de même que les conclusions d’une recherche objective accessibles au public. Je crois peu probable que le demandeur soit exposé à un risque de torture, à une menace pour sa vie ou à un risque de subir des traitements ou peines cruels et inusités à son retour en Iran, contrairement à ce que pourraient donner à penser les documents judiciaires de 1987.
[31] S’agissant de l’assignation et du jugement venant de l’Iran et censés attester une déclaration de culpabilité par contumace prononcée en avril 2003, l’agente a conclu ainsi :
[traduction] Après avoir examiné les déclarations du demandeur faites durant l’audition de sa demande d’ERAR, la déclaration solennelle de Masih [sic] Bouramand et les conclusions de la recherche objective accessibles au public, j’ai accordé peu de poids aux documents judiciaires de 2003. Je ne crois pas, selon la prépondérance de la preuve, que le demandeur serait exposé à un risque de torture, à une menace pour sa vie ou à un risque de subir des traitements ou peines cruels et inusités à son retour en Iran.
[32] Quant au risque allégué par le demandeur parce que les autorités canadiennes ont communiqué avec ses proches en Iran pour les informer qu’il avait été déclaré coupable de trafic de stupéfiants et qu’il serait expulsé, ce qui aurait eu pour effet d’accroître le risque couru par le demandeur, l’agente, après avoir encore une fois cité ce qui semble être une transcription de l’audition du demandeur par elle-même, concluait ainsi :
[traduction] En somme, je crois peu probable que le demandeur serait exposé à un risque de torture, à une menace pour sa vie ou à un risque de subir des traitements ou peines cruels et inusités, du seul fait que les autorités canadiennes ont communiqué avec ses proches en Iran et ont demandé à un avocat de vérifier pour elles l’identité du demandeur. Le demandeur dit que ces démarches des autorités canadiennes ont augmenté les risques qu’il court et qu’elles n’ont pas échappé à l’attention des autorités iraniennes, mais cette affirmation semble reposer sur des conjectures.
[33] Quant à la crainte ressentie par le demandeur parce qu’il n’a pas un titre de voyage courant et qu’il est « inévitable », d’après lui, que, dès son retour en Iran, il éveillera l’attention des autorités iraniennes en tant que demandeur d’asile débouté et qu’un lien serait donc établi entre lui et sa demande d’asile, l’agente a conclu ainsi :
[traduction] À la lumière des conclusions d’une recherche objective, je suis d’avis que, selon la prépondérance de la preuve, le demandeur ne serait pas exposé à un risque de torture, à une menace pour sa vie ou à un risque de subir des traitements ou peines cruels et inusités, à son retour en Iran, du seul fait qu’il est un demandeur d’asile débouté.
[34] L’agente est arrivée à une conclusion autre quant à la crainte que ressent le demandeur parce
que des fonctionnaires du gouvernement du Canada ont communiqué au gouvernement de l’Iran des renseignements sur la déclaration de culpabilité prononcée contre lui et sur sa demande d’asile, à l’occasion de sa demande de titre de voyage de 1995, demande qui a été présentée en 2003. L’agente écrivait ce qui suit :
[traduction] Je suis d’avis que le demandeur sera probablement exposé à un risque de torture, à une menace pour sa vie ou à un risque de subir des traitements ou peines cruels et inusités, à son retour en Iran, par suite de sa déclaration de culpabilité pour trafic de drogue au Canada. Le 30 septembre 1992, le demandeur a été déclaré coupable au Canada de trois chefs de trafic de stupéfiants et a été condamné à un emprisonnement de quatre ans (demande d’ERAR). La peine imposée au demandeur est inscrite sur la demande de titre de voyage de 1995, et le demandeur y affirme qu’il a purgé une peine d’emprisonnement. La demande de titre de voyage a été remplie et signée par le demandeur. D’après la transcription des procédures de la CISR [. . .], l’ambassade d’Iran a accusé réception de la demande de titre de voyage, et je suis donc d’avis que le gouvernement de l’Iran est au courant de cette sanction. J’observe que, même si le demandeur n’a pas mentionné l’acte criminel dont il a été déclaré coupable, je suis d’avis que la connaissance par le gouvernement de l’Iran de la peine imposée suffirait à éveiller ses doutes.
Le gouvernement de l’Iran a accès aux casiers judiciaires canadiens [. . .] L’Iran est membre du Réseau Interpol. Les demandes faites par les autorités iraniennes sont traitées sur le même pied que les demandes faites par d’autres pays. Un agent du bureau d’Interpol de la Gendarmerie royale du Canada dit que les officiers de police iraniens ont accès aux casiers judiciaires canadiens en suivant les procédures habituelles d’Interpol. La Direction précise également que les corps policiers de par le monde ont accès à Interpol nuit et jour et peuvent obtenir des renseignements en ligne, en quelques secondes. [Non souligné dans l’original; omission d’une date et d’une référence.]
[35] L’agente a consulté le dossier d’information sur l’Iran (Direction de l’immigration et de la nationalité du Royaume-Uni, avril 2004), ainsi que le rapport UNHCR/ ACCORD [United Nations High Commissioner for Refugees/Austrian Centre for Country of Origin and Asylum Research and Documentation], en citant le passage suivant de ce document :
[traduction] « L’Iran applique une politique très rigoureuse en ce qui concerne les infractions liées à la drogue [. . .] Les autorités iraniennes ont souvent dit que les Iraniens qui ont été déclarés coupables à l’étranger de crimes punissables en vertu du droit islamique pouvaient quand même être poursuivis à leur retour en Iran. Cependant, le HCNUR n’a pas été en mesure de trouver une jurisprudence confirmant l’application de peines à des personnes déclarées coupables à l’étranger d’infractions liées à la drogue. Le HCNUR n’a pas non plus en sa possession de renseignements sur le nombre des doubles condamnations imposées à leur retour en Iran aux personnes déclarées coupables à l’étranger d’infractions liées à la drogue ». Le dossier d’information sur l’Iran précise aussi que Amnistie Internationale a appris l’existence d’un cas de double déclaration de culpabilité, où un ressortissant iranien avait été appréhendé en Espagne alors qu’il se livrait à la contrebande de drogues. Selon le Secrétariat d’Amnistie Internationale à Londres, l’Iranien serait en principe exposé au risque d’une reprise des poursuites en Iran, mais cela dépendait des documents existants se rapportant à la personne concernée. Le Secrétariat d’Amnistie Internationale a dit que l’intéressé pourrait retourner en Iran sans être inquiété en disant qu’il tentait d’immigrer en Espagne.
[36] Sur cette crainte ressentie par le demandeur, l’agente a conclu ainsi :
[traduction] Pour ce qui concerne le cas précis du demandeur, je relève que le gouvernement de l’Iran a déjà été informé que le demandeur a été déclaré coupable au Canada, et cela à la faveur de sa demande de titre de voyage de 1995. Ainsi, dans le cas particulier du demandeur, je crois qu’il est improbable qu’il serait en mesure d’entrer en Iran sans être davantage interrogé ou questionné sur la peine qui lui a été imposée au Canada.
Dans un autre document de la CISR, [. . .] on signale, citant un professeur de sciences politiques spécialiste de l’Iran, qu’une personne qui a été déclarée coupable en dehors de l’Iran d’avoir vendu 75 grammes d’héroïne et qui a purgé une peine d’emprisonnement en dehors de l’Iran n’est pas susceptible d’être jugée ou punie en Iran. Cependant, si la personne concernée présente un intérêt pour l’Iran, la règle interdisant la dualité de poursuites pour un même fait n’est pas applicable et la personne pourra être jugée à nouveau pour les mêmes infractions. Je fais observer que j’ai accordé peu de poids aux documents judiciaires produits par le demandeur, et je suis arrivée à la conclusion qu’il ne sera pas exposé à un risque en tant que demandeur d’asile débouté. Je ne crois pas que, de par ce statut, il présenterait de l’intérêt pour le gouvernement de l’Iran. Cependant, il pourrait intéresser le gouvernement de l’Iran puisqu’il sait maintenant qu’il a été déclaré coupable et condamné au Canada.
Un avocat iranien installé à Londres [. . .] dit que la question de la dualité de poursuites pour un même fait n’est pas claire. Le paragraphe 3(4) de l’ancien Code pénal de l’Iran disposait explicitement qu’un Iranien qui a commis une infraction en dehors de l’Iran et qui se trouve en Iran serait puni en application des lois pénales iraniennes, à condition qu’il n’ait pas été jugé et acquitté, ou à condition que la peine n’ait pas été appliquée. Le Code pénal islamique actuel ne contient pas de disposition semblable. Cependant, l’article 7 dispose qu’un Iranien qui commet un acte criminel en dehors de l’Iran et qui est arrêté en Iran sera puni selon le Code pénal. L’avocat iranien de Londres dit aussi que l’article 15 du Code pénal renferme des dispositions qui, selon lui, ne donneraient pas aux tribunaux iraniens compétence pour statuer sur des faits survenus en dehors de l’Iran. J’observe que l’interprétation de l’article 15, selon laquelle les tribunaux iraniens ne seraient pas compétents dans un tel cas, est celle d’un seul avocat iranien. Je remarque qu’il y a peu d’écrits sur la position juridique de la République islamique d’Iran à propos de la dualité de poursuites pour un même fait et à propos des infractions liées à la drogue.
Le demandeur a été déclaré coupable au Canada de trafic de stupéfiants. Il a été condamné à un emprisonnement de quatre ans, peine qu’il a purgée partiellement en prison et partiellement en liberté conditionnelle. La peine purgée par le demandeur au Canada a été portée à la connaissance du gouvernement iranien, à la faveur de sa demande de titre de voyage de 1995. Les sources consultées, indiquées plus haut, montrent que l’Iran a accès aux casiers judiciaires canadiens, via Interpol. Il est aussi attesté objectivement que l’Iran punit sévèrement les infractions liées à la drogue et que le pouvoir judiciaire jouit d’une grande latitude dans la manière de traiter les trafiquants de drogues. Selon la Loi iranienne sur la lutte contre les stupéfiants, les infractions liées à la drogue sont punissables de la peine du fouet ou de la peine de mort, châtiments qui à mon avis sont contraires aux normes internationales reconnues. Après examen de la preuve documentaire relative aux trafiquants de drogues et aux peines qui leurs sont imposées en Iran, ce à quoi s’ajoute l’incertitude sur la position juridique de l’Iran et sur la compétence des tribunaux iraniens concernant les infractions en matière de drogues qui ont été commises à l’étranger, je suis d’avis que le demandeur est susceptible de poursuites et que la peine qui lui serait imposée à son retour en Iran serait probablement contraire aux normes internationales reconnues. Je suis donc d’avis qu’il serait exposé à un risque de torture, à une menace pour sa vie ou à un risque de subir des traitements ou peines cruels et inusités à son retour en Iran. [Renvois omis; non souligné dans l’original.]
[37] Il ressort de ce qui précède que c’est d’une manière approfondie et détaillée que l’agente d’ERAR a évalué le risque auquel serait exposé le demandeur s’il était renvoyé en Iran. Le demandeur a soumis à l’examen de l’agente huit risques distincts. L’agente a passé en revue chacun des huit risques séparément. Elle en a rejeté sept, mais, concluant que le huitième était authentique et fondé, elle a rattaché l’analyse qu’elle a faite de ce risque à plusieurs des autres risques qu’elle avait rejetés, c’est-à-dire qu’elle a pris en compte l’effet cumulatif de tous les risques allégués par le demandeur.
b) L’examen des restrictions
[38] Contrairement à l’examen des risques avant renvoi, l’examen des restrictions que la représentante du ministre avait devant elle est bref. Il comprend deux pages et demie, dont la première, et une partie de la deuxième, consistent en un rappel des faits développant un peu plus une portion antérieure des présents motifs. L’examen a été effectué par un analyste de la section de l’examen des cas, à la Direction générale du règlement des cas, et elle a été entérinée par un analyste principal intérimaire de la même direction générale.
[39] L’examen relève que, le 3 septembre 2003, un gendarme de la Section du renseignement criminel de la GRC, Section intégrée du renseignement perse, a comparu comme témoin pour le défendeur au cours d’une audience d’examen des motifs de détention, tenue en rapport avec le demandeur. Il a parlé d’une [traduction] « organisation criminelle suspecte » se livrant prétendument à l’importation et au trafic de cocaïne et d’opium, au télémarketing frauduleux et au blanchiment des produits des infractions d’importation, de trafic et de fraude. Il a témoigné que, au milieu de 2002, des signalements ont été reçus, selon lesquels le demandeur était mêlé aux affaires de l’organisation criminelle suspecte, apparemment comme « passeur » de drogues, principalement entre Toronto et Vancouver. Le demandeur aurait également été impliqué dans un télémarketing frauduleux pour la même organisation. Par ailleurs, alors que le demandeur était incarcéré en 2002 et 2003, il fut visité par des membres de l’organisation criminelle suspecte, notamment par le chef présumé de cette organisation. Ceux de l’organisation qui l’ont visité, à une exception près, avaient des casiers judiciaires. L’exposé circonstancié accompagnant l’examen se termine par une information d’une personne qui y est nommée, mais dont l’identité est par ailleurs tue, selon laquelle, en avril 2004, le demandeur était encore membre du « groupe restreint des chefs » de l’organisation criminelle suspecte.
[40] Le demandeur était représenté par un avocat lors de l’audience d’examen des motifs de sa détention. Selon la transcription de l’audience, l’avocat a pris une part active à l’audience, au nom de son client.
[41] L’examen se termine par le bref paragraphe suivant :
[traduction] M. Boroumand a été déclaré coupable de crimes très graves, à savoir le trafic d’héroïne, un trafic qui met en danger la vie d’autrui, et il existe une information policière crédible selon laquelle il est encore mêlé au commerce de la drogue. En outre, l’information montre qu’il fréquente des criminels connus. Il a contrevenu aux conditions de sa liberté conditionnelle et il a été. en fuite durant plus de sept ans, il s’est fait passer pour son frère, et il ne s’est pas présenté le jour fixé pour son renvoi. Il a également trompé les fonctionnaires de l’immigration des États-Unis. J’arrive à la conclusion que M. Boroumand constitue un danger présent et futur pour le public au Canada.
c) Les observations de l’avocat du demandeur
[42] La représentante du ministre avait devant elle les observations de l’avocat du demandeur datées du 19 août 2005. C’étaient des observations approfondies. En outre, le demandeur fut invité, par lettre en date du 11 juillet 2006, à présenter des observations finales portant sur certains aspects que la représentante du ministre avait recensés durant l’examen des documents qu’elle possédait. L’avocat du demandeur a répondu à l’invitation le 3 août 2006 en présentant d’autres observations et pièces justificatives.
LA DÉCISION CONTESTÉE
[43] La décision contestée couvre environ 15 pages. Après l’alinéa introductif qui est cité au paragraphe 11 des présents motifs, la décision est répartie en quatre rubriques : [traduction] Dispositions pertinentes de la LIPR; Partie I — Les faits; Sommaire des antécédents criminels; Partie II — Interdiction de territoire pour cause de grande criminalité; Partie III — Dangerosité, laquelle rubrique est suivie d’un sommaire des observations de l’avocat du demandeur, d’un sommaire des pièces pertinentes, puis d’une sous-rubrique : Conclusion sur le danger; Partie IV — Examen du risque en cas de retour en Iran, rubrique qui elle aussi est suivie d’un sommaire des observations de l’avocat du demandeur, puis d’une analyse des observations relatives au risque, et d’une évaluation du risque; Partie V — Remarques finales sur le risque; Partie VI — Motifs d’ordre humanitaire et intérêt de l’enfant; Partie VII — Décision; et finalement, Partie VIII — Documents considérés.
[44] La conclusion de la représentante du ministre à propos du danger est formulée de la manière suivante :
[traduction] Conformément au sous-alinéa 113d)(i) de la LIPR, dans le cas d’un demandeur d’asile qui est interdit de territoire pour cause de grande criminalité, je dois examiner si le demandeur constitue « un danger pour le public », expression qui est interprétée au sens de « danger présent ou futur pour le public ». Je dois donc faire porter mon attention sur les circonstances particulières d’un demandeur d’asile, tel que M. Boroumand, afin de savoir s’il existe des éléments suffisants qui me permettraient d’affirmer qu’il est un récidiviste potentiel, dont la présence au Canada fait peser un risque inacceptable pour le public.
Eu égard à l’ensemble des renseignements que j’ai devant moi, je suis d’avis que les infractions de M. Boroumand qui ont conduit à la mesure d’expulsion prononcée contre lui pour grande criminalité sont particulièrement graves. Les premières déclarations de culpabilité prononcées contre lui au Canada se rapportaient à trois chefs de trafic d’héroïne. Il s’agit là d’une substance mortelle qui a des répercussions très négatives sur les victimes de même que sur la collectivité en général. Pour ces infractions, il s’est vu imposer une longue peine et, comme conséquence, il a également été exclu du régime d’attribution du droit d’asile.
Après que M. Boroumand eut obtenu une libération conditionnelle alors qu’il purgeait les peines qui lui avaient été imposées pour trafic d’héroïne, il a quitté la province, contrevenant ainsi aux modalités de sa libération conditionnelle. Il ne s’est pas non plus présenté aux autorités de l’immigration comme il devait le faire. Il s’est rendu dans la province de Colombie-Britannique, pour finalement s’établir à Vancouver, où il est devenu étroitement lié à Omid Tahvili, lequel, selon un rapport de la GRC, est le chef d’une organisation criminelle. Durant cette période, M. Boroumand a usurpé l’identité de son frère, afin de ne pas être découvert. Il a obtenu un permis de conduire de la C.-B. sous le nom de son frère. Selon l’information figurant dans les rapports de police, l’organisation criminelle aurait été activement mêlée à la distribution de cocaïne et d’opium dans la région de Vancouver. La crédibilité du rapport de police, outre celle des autres renseignements que j’ai devant moi, me convainc, selon la prépondérance de la preuve, que le groupe est un groupe organisé qui s’adonne au trafic de drogues. J’ai aussi devant moi des éléments crédibles qui me convainquent que, vraisemblablement, M. Boroumand était membre de ce groupe et qu’il était mêlé au commerce de la drogue. M. Boroumand a montré un mépris total pour les lois du Canada, non seulement en usurpant l’identité de son frère afin d’éviter d’être découvert, mais, aspect plus important, en s’intégrant à une organisation criminelle en vue de passer des drogues illégales.
La prépondérance de la preuve me conduit à conclure que M. Boroumand ne s’est pas réadapté. Sa première infraction aux lois a eu lieu en octobre 1990; il fut alors appréhendé par les autorités de l’immigration des États-Unis [. . .] pour être entré aux États-Unis à un endroit autre qu’un point d’entrée. Il leur avait dit qu’il avait le statut de réfugié au Canada et qu’il attendait l’approbation de son statut d’immigrant ayant obtenu le droit d’établissement. Aucune de ces affirmations n’était exacte. Les autorités des États-Unis l’ont renvoyé au Canada. C’est peu après cet incident qu’il fut accusé de trois chefs de trafic d’héroïne, puis déclaré coupable. Il a été incarcéré, puis a obtenu une liberté conditionnelle assortie de conditions. Il ne s’est pas conformé auxdites conditions. En juillet 1995, une lettre a été envoyée à M. Boroumand, qui l’informait que son renvoi aurait lieu le 23 août 1995. Il ne s’est pas présenté à la date prévue de son renvoi. Il a plus tard déclaré que, s’il était allé en Colombie-Britannique en août 1995, c’était pour éviter d’être expulsé vers l’Iran. Comme je l’ai expliqué plus haut, M. Boroumand fut encore une fois incarcéré pour avoir contrevenu aux conditions de sa liberté conditionnelle. À nouveau en 2004, il a été déclaré coupable d’entrave délibérée à un agent de la paix. Depuis le début des années 90, les agissements de M. Boroumand montrent qu’il est totalement réfractaire à la loi, puisqu’il a été déclaré coupable de plusieurs graves infractions criminelles et qu’il est prêt à prendre tous les moyens requis par les circonstances pour éviter d’être découvert ou d’être arrêté par les forces de l’ordre ou par les autorités de l’immigration.
Me fondant sur mon appréciation des renseignements ci-dessus, je suis d’avis que M. Boroumand n’est pas intégré dans la société et qu’il ne s’est pas réadapté. Les agissements de M. Boroumand attestent plutôt un mépris des lois canadiennes, et un refus de sa part de prendre les dispositions nécessaires pour tenter de s’intégrer en tant que citoyen respectueux des lois et membre productif de la société canadienne.
Le dossier renferme peu d’éléments attestant un soutien de la part de sa famille ou de membres de la collectivité. Cette absence de soutien renforce encore ma conviction qu’il est peu probable que M. Boroumand parvienne à se réadapter et à s’établir en tant que membre productif de la société canadienne.
En conclusion, compte tenu de l’adhésion volontaire de M. Boroumand à une organisation criminelle, et de son rôle actif au sein de ladite organisation, et compte tenu de son refus de rompre volontairement avec les têtes dirigeantes de l’organisation criminelle, une organisation qui, selon un rapport de la GRC, a des liens avec le crime organisée, je suis d’avis que M. Boroumand constitue un danger présent et futur pour le public au Canada. À mon avis, M. Boroumand est un récidiviste potentiel, dont la présence au Canada constitue un risque inacceptable pour le public.
[45] La représentante du ministre a analysé les observations relatives au risque et a évalué le risque. Son analyse et son évaluation, de même que ses conclusions sur le risque, se présentent ainsi :
[traduction] L’agente d’ERAR a examiné les affirmations de M. Boroumand selon lesquelles il serait exposé à la torture parce qu’il a aidé un Baha’i et aussi parce qu’il avait déserté. L’agente n’a trouvé, pour l’une ou l’autre de ces affirmations, aucun motif l’autorisant à conclure à l’existence d’un risque. M. Boroumand était dans la vingtaine lorsqu’il a quitté l’Iran, et il est aujourd’hui âgé de 43 ans. Il est improbable que l’armée iranienne s’intéresserait à lui aujourd’hui. Je ne suis pas persuadé eu égard aux renseignements fournis, que M. Boroumand risque la torture parce qu’il a été déserteur.
Dans sa demande d’ERAR, M. Boroumand écrivait qu’il serait exposé à un risque parce qu’il n’a pas terminé son service militaire. L’agente d’ERAR a examiné en détail cet aspect. Elle a expliqué la manière dont on peut « racheter » son service militaire en Iran, et elle a donc conclu que M. Boroumand ne serait pas exposé à un risque du seul fait qu’il n’a pas terminé son service militaire. En conséquence de cette information, je suis d’avis, selon la prépondérance de la preuve, que M. Boroumand ne serait pas, en cas de renvoi en Iran, exposé à un risque personnalisé de préjudice parce qu’il n’a pas terminé son service militaire.
M. Boroumand a aussi prétendu qu’il serait exécuté parce qu’il a fait campagne pour les droits de l’homme et parce qu’il s’est joint à l’Organisation Mujahedin Khalgh alors qu’il s’opposait à la guerre Iran-Iraq. Il dit qu’il a été déclaré coupable par contumace, et condamné à la peine de mort par pendaison. Cependant, interrogé par l’agente d’ERAR, M. Boroumand est resté vague sur les documents judiciaires de 1987, et l’agente d’ERAR a décidé, après une recherche, d’accorder peu de poids à ces documents.
L’agente d’ERAR a accordé du poids à la demande de titre de voyage, datée de 1995, mentionnée par l’avocat de M. Boroumand, ainsi qu’à la déclaration de culpabilité prononcée contre M. Boroumand pour trafic de drogue au Canada, et elle en a conclu que M. Boroumand serait exposé à un risque à son retour en Iran. La demande de titre de voyage ne fait pas état de la déclaration de culpabilité comme telle, mais elle mentionne la peine imposée pour cette déclaration de culpabilité. L’agente d’ERAR écrit : [traduction] « je suis d’avis que le demandeur est susceptible de poursuites et que la peine qui lui serait imposée à son retour en Iran serait probablement contraire aux normes internationales reconnues. Je suis donc d’avis qu’il serait exposé à un risque de torture, à une menace pour sa vie ou à un risque de subir des traitements ou peines cruels et inusités à son retour en Iran. »
Quant à la crainte d’une sanction pour la déclaration de culpabilité prononcée au Canada pour trafic de drogue, le dossier d’information sur l’Iran du UNHCR/ACCORD précise que [traduction] « le HCNUR n’a pas été en mesure de trouver une jurisprudence confirmant l’application de peines à des personnes déclarées coupables à l’étranger d’infractions liées à la drogue ».
Le HCNUR n’a pas non plus en sa possession de renseignements sur le nombre des doubles condamnations imposées à leur retour en Iran aux personnes déclarées coupables à l’étranger d’infractions liées à la drogue [. . .] Il convient de noter que des peines sévères sont prévues pour l’importation, l’exportation et la production de stupéfiants, ainsi que pour l’achat, la vente et la consommation de stupéfiants en Iran, mais ces peines sont prospectives et non rétrospectives. D’après l’information obtenue du HCNUR, il n’existe pas de renseignements fiables sur les possibilités que M. Boroumand soit passible d’une sanction imposée par l’État, et donc sur la probabilité qu’il soit exposé à un risque de torture ou à un risque de subir des traitements ou peines cruels et inusités en raison des déclarations de culpabilité prononcées contre lui au Canada.
Selon les documents présentés, une personne en Iran qui abjure le bahaïsme n’est pas particulièrement exposée. Cependant, l’article n’aborde pas le cas de M. Boroumand, qui affirme être venu en aide à un baha’i, et non avoir été lui-même un baha’i. La preuve [. . .] ne dit rien sur les risques courus par ceux qui viennent en aide à un baha’i. Cependant, la preuve ne dit pas que ceux qui viennent en aide à un baha’i dans ses pratiques sont finalement davantage exposés, à titre personnel, aux risques énumérés dans l’article 97.
M. Boroumand a dit qu’il avait fait campagne en faveur des droits de l’homme en Iran. Cette activité, ainsi que sa désertion, ont conduit les autorités à lui demander des comptes et à le condamner, par contumace, à la peine de mort par pendaison. Contrairement à l’agente d’ERAR, je ne suis pas persuadé selon la prépondérance de la preuve, que le document juridique présenté par M. Boroumand était un document authentique. L’information reçue du bureau des visas à Téhéran, en réponse à l’interrogation de l’agente d’ERAR touchant l’authenticité de ces documents juridiques, précisait que le document qui est émis dans les affaires civiles est un avis, tandis que celui qui est émis dans les affaires pénales est une sommation. Compte tenu de l’information au dossier qui a été communiquée à l’avocat de M. Boroumand, on peut donc en conclure que l’affaire à laquelle est mêlé M. Boroumand est une affaire civile, et non une affaire pénale. La personne consultée a dit que ce verdict ne ressemble pas à la forme habituelle dans laquelle serait rendu un verdict d’exécution. Un sommaire de l’affaire apparaît en général au haut du document, avant le verdict même, lequel suit le sommaire, mais le présent verdict ne comprend aucun sommaire. La langue et la manière dans lesquelles ce verdict a été formulé sont sans aucune fermeté pour une telle sentence (sentence de mort). Ce verdict a été rendu récemment, il y a deux ans (non il y a 28 ou 29 ans, à l’époque de la Révolution islamique), et cela mine sa crédibilité. Par exemple, il est très improbable qu’un tel verdict serait rendu d’une manière si peu formelle, surtout si l’on considère sa formule finale : [traduction] « avertir le point d’arrivée afin qu’il arrête l’intéressé et le transfère à la Commission d’exécution des ordonnances ». La personne (de quelle personne s’agit-il? Je vous suggère d’indiquer l’endroit d’où vient cette information) a ajouté que, lorsqu’une sentence est la peine de mort, elle n’est pas définitive et appel peut être interjeté, de telle sorte que ce verdict devrait contenir une phrase précisant s’il est définitif ou non, mais il ne mentionne absolument rien à ce sujet. La copie d’un tel verdict est censée être envoyée au Service des passeports, et à l’attention des autres pays. La personne a ajouté que cette lettre d’avis ne s’accorde pas avec ce verdict (exécution). Ce devrait être une lettre de sommation, non une lettre d’avis, car il s’agit d’une affaire pénale et non d’une affaire civile. En outre, ni la lettre d’avis ni le jugement n’étaient datés. Pour une personne qui est en état d’arrestation, on s’efforce de trouver la personne au lieu d’annoncer à l’avance que nous voulons procéder à l’arrestation, et aucune adresse n’est non plus enregistrée. Il y avait une explication selon laquelle le timbre utilisé au bas du verdict n’est pas clair, et selon laquelle aucun renseignement ne peut être obtenu de ce timbre. Le timbre comprend certains renseignements, mais on ne peut rien retirer de celui-ci. Par ailleurs, tous les renseignements, y compris la signature, l’emblème du ministère de la Justice (balance), l’expression « Pouvoir judiciaire », l’emblème ALLAH (Dieu) et le mot Justice, sont lisibles. L’expert qui a été consulté a eu l’impression que quelque chose clochait si l’unique renseignement qui ne figure pas sur le document ou qui n’est pas lisible est l’endroit où le verdict a été rendu. Lorsqu’un timbre n’est pas clair, aucun des renseignements n’est clair, ou à tout le moins quelques-uns ne le sont pas. Dans le cas présent, tous les renseignements sont clairs, sauf la partie la plus importante, à savoir le nom du bureau ou de la direction qui a rendu la sentence. Le mode de vérification le plus facile consiste à employer le numéro de la direction ou le numéro du bureau, ou l’endroit exact qui a rendu le verdict. Le fait que ce timbre ne révèle pas des renseignements qui pourraient servir à confirmer l’authenticité du verdict et de la sentence imposée met en doute la crédibilité du document tout entier.
Cette information ayant été reçue du bureau des visas, elle a été communiquée à M. Boroumand sans qu’on lui révèle le nom de la personne qui l’avait fournie, parce que cette personne demeure à Téhéran. Je prends note de l’audience tenue par l’agente d’ERAR le 15 septembre 2004. Après l’entrevue, l’agente a relevé que, lorsque M. Boroumand est arrivé au Canada, il n’a pas fait état de ces accusations ou condamnations. Prié de réagir à cette information, il a répondu au cours de l’entrevue qu’il n’en avait pas alors la preuve. Il a dit aussi qu’il n’avait pas fait état de sa désertion car il pensait qu’il pourrait être refusé. À nouveau, lorsqu’il a présenté une demande au titre de la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada (CDNRSRC), il a négligé de faire état de l’un et l’autre de ces deux faits importants. Puisque, à deux reprises, M. Boroumand a négligé de faire état de cette information importante, à savoir une déclaration de culpabilité prononcée par contumace en Iran, pour désertion, et l’imposition d’une peine de mort par pendaison, et compte tenu de l’information selon laquelle les documents produits ne sont pas authentiques, je crois, en définitive, que très peu de poids devrait être accordé à l’information déposée au soutien de ce risque allégué. Vu mon évaluation du poids relatif à accorder à cette information, j’arrive à la conclusion que M. Boroumand ne serait pas exposé à un risque à son retour en Iran, eu égard à sa condamnation pour désertion.
Je note aussi que, dans des observations reçues de l’avocat de M. Boroumand, sous la rubrique [traduction] « appels », un article produit par l’avocat de M. Boroumand contient ce qui suit : [traduction] « Cependant, si la peine prononcée est la peine capitale ou la lapidation, ou la peine prévue par la loi du talion, la flagellation, la confiscation d’un bien valant plus de 1 million de rials, un appel est possible. » [. . .]
Partie V — Remarques finales sur le risque
Il est vrai que le bilan des droits de l’homme en Iran est déplorable. C’est sur cette toile de fond générale concernant les conditions ayant cours en Iran, y compris le bilan de l’Iran en matière de droits de l’homme, que j’ai évalué le risque propre à M. Boroumand, selon ce que prévoit l’article 97 de la LIPR, pour le cas où il serait renvoyé en Iran. D’après cette disposition, il est clair que le risque doit être personnel.
Après examen des documents versés dans le dossier, y compris l’examen fait par l’agente d’ERAR, pour qui M. Boroumand serait exposé à une menace pour sa vie ou à un risque de torture ou à un risque de subir des traitements ou peines cruels et inusités s’il était renvoyé en Iran, et me fondant sur les pièces que j’ai examinées, et pour les motifs susmentionnés, je suis d’avis, selon la prépondérance de la preuve, qu’il est peu probable que M. Boroumand serait personnellement exposé à l’un quelconque des risques énumérés dans l’article 97 de la LIPR, s’il était renvoyé en Iran.
Le passage qui précède est reproduit tel qu’il apparaît dans l’original. J’ai le regret de dire qu’il est mal rédigé par endroits, et très difficile à comprendre, en particulier dans le très long paragraphe central.
[46] S’agissant des motifs d’ordre humanitaire et de l’intérêt de l’enfant canadien du demandeur, la représentante du ministre a conclu de la manière suivante :
[traduction] [. . .] l’épouse et l’enfant souffriront du renvoi de M. Boroumand, mais ils ont vécu sans lui durant une bonne partie des dernières années et ont montré qu’ils étaient capables de se passer de lui. Je ne suis donc pas persuadé tout compte fait, que l’intérêt de l’enfant l’emporte sur les autres considérations qui militent en faveur du renvoi de M. Boroumand.
Le dossier contient peu d’indications donnant à penser que M. Boroumand s’est établi avec succès au Canada.
Je n’ignore pas que les membres de la famille de M. Boroumand souffriront d’être séparés de lui en raison de son renvoi du Canada. Cependant, après examen de l’ensemble de la preuve que j’ai devant moi, je dois conclure, selon la prépondérance de la preuve, que le mépris de M. Boroumand pour les lois du Canada, son incapacité à bien s’intégrer dans la société canadienne et le danger qu’il constituerait pour le public, s’il était autorisé à rester au Canada, font qu’il ne s’agit pas ici d’un cas justifiant la prise en compte de motifs d’ordre humanitaire.
[47] Par la suite, le texte de la décision de la représentante du ministre est relativement bref. Il est cité au paragraphe 1 des présents motifs.
[48] Il vaut particulièrement la peine de relever que, bien que le mandat de la représentante du ministre soit de mettre en balance les intérêts en présence, c’est-à-dire d’une part la sécurité de la population et d’autre part les motifs d’ordre humanitaire et les risques découlant du renvoi de personnes telles que le demandeur, le rôle de la représentante du ministre devient beaucoup plus simple lorsqu’on lit sa conclusion exposée dans le tout dernier alinéa, très bref, reproduit au paragraphe 1 des présents motifs. La représentante du ministre soustrait en effet de l’équation les risques posés par le renvoi, seuls les motifs d’ordre humanitaire devant dès lors être mesurés aux risques courus par le public au Canada pour le cas où le demandeur serait autorisé à rester au Canada.
LES POINTS LITIGIEUX
[49] Dans l’exposé des arguments déposé au nom du demandeur, l’avocat du demandeur énumérait sept points soulevés dans la demande de contrôle judiciaire, sans évoquer la question universelle de la norme de contrôle dans une demande telle que celle-ci.
[50] À l’ouverture de l’audience, l’avocat du demandeur a néanmoins reconnu que, eu égard à la conclusion de la représentante du ministre selon laquelle le demandeur, en cas de renvoi en Iran, ne serait pas exposé au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumis à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture, ou à une menace à sa vie ou au risque de subir des traitements ou peines cruels et inusités, le seul point fondamental soulevé dans cette demande de contrôle judiciaire était de savoir si la représentante du ministre pouvait ou non arriver à cette conclusion, puisqu’aucune objection n’était formulée quant à la conclusion de la représentante à propos des motifs d’ordre humanitaire et à propos de l’intérêt de l’enfant canadien du demandeur.
[51] Essentiellement, vu la conclusion d’absence de risque pour le demandeur à son retour en Iran, et si cette conclusion peut résister à un contrôle judiciaire conduit selon la norme applicable de contrôle, la question du danger pour le public au Canada et de la mise en balance de ces intérêts rivaux n’entre plus en ligne de compte. Il existe après tout une mesure d’expulsion prononcée contre le demandeur, mesure qu’il serait loisible au défendeur de mettre à exécution. En outre, comme je l’ai dit plus haut dans les présents motifs, le demandeur a choisi de solliciter, en invoquant des motifs d’ordre humanitaire, l’autorisation de demander depuis le Canada le droit d’établissement. Cette autorisation lui a été refusée et cette décision de refus a cessé d’être réformable lorsque l’autorisation de déposer une demande de contrôle judiciaire de ladite décision fut refusée au demandeur.
[52] Je suis donc d’avis que seuls deux points subsistent, à savoir les suivants : d’abord, quelle norme de contrôle faut-il appliquer pour le présent contrôle judiciaire? et deuxièmement, d’après cette norme, la représentante du ministre avait-elle le loisir de dire que le demandeur ne serait exposé à aucun des risques énumérés dans l’article 97 de la LIPR?
ANALYSE
a) La norme de contrôle
[53] L’avocat du demandeur a fait valoir que le point fondamental à décider dans la demande devrait être revu selon la décision correcte. L’avocat du défendeur, quant à lui, a fait valoir que la norme de contrôle qui est applicable est la décision manifestement déraisonnable. Je rejette les prétentions des deux avocats sur ce point. La décision contestée est essentiellement une décision en matière d’examen des risques avant renvoi, prise par la représentante du ministre, en même temps qu’elle rejetait l’opinion ou l’avis, qu’elle avait devant elle, de l’agente d’examen des risques avant renvoi.
[54] Dans le jugement Figurado c. Canada (Solliciteur général)4, mon collègue le juge Martineau écrivait ce qui suit, au paragraphe 51 :
À mon avis, en appliquant l’approche pragmatique et fonctionnelle, lorsque la décision ERAR contestée est examinée dans sa totalité, la norme de contrôle applicable devrait être celle de la décision raisonnable simpliciter [. . .] Cela dit, lorsque l’agent ERAR tire une conclusion de fait, la Cour ne devrait pas substituer sa décision à celle de l’agent ERAR sauf si le demandeur a établi que l’agent a tiré la conclusion de fait d’une manière abusive ou arbitraire et sans égard aux éléments de preuve dont il était saisi [. . .] [Renvois omis.]
Mon collègue le juge Mosley est arrivé à la même conclusion dans la décision Kim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)5.
[55] En arrivant à sa décision concernant le risque que ferait courir au demandeur son renvoi en Iran, la représentante du ministre a bien sûr fait fond considérablement sur les conclusions de fait contenues dans la décision de l’agente d’ERAR qu’elle avait devant elle, mais elle a réinterprété certains de ces faits. Je suis d’avis que, agissant ainsi, elle a exposé sa conclusion à un contrôle « dans sa totalité » et que la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer ici est donc la décision raisonnable simpliciter.
b) La représentante du ministre pouvait-elle rendre la décision qu’elle a rendue concernant le risque que ferait courir au demandeur son renvoi vers l’Iran?
[56] L’essentiel de la décision de la représentante du ministre, c’est-à-dire sa conclusion, qui suit une introduction et une analyse assez approfondies, est reproduit au paragraphe 1 des présents motifs. Il convient de noter que, même si la représentante du ministre cite certains des objets de la LIPR et certaines des directives régissant l’interprétation de la LIPR comme étant des « objets pertinents », c’est-à-dire, si je comprends bien, des objectifs pertinents pour la tâche qu’elle devait accomplir, elle passe sous silence les directives suivantes, qui doivent être suivies pour l’interprétation de la LIPR :
3. [. . .]
3) L’interprétation et la mise en œuvre de la présente loi doivent avoir pour effet :
[. . .]
f) de se conformer aux instruments internationaux portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire.
[57] L’alinéa 97(1)a) de la LIPR, cité plus haut au paragraphe 5, évoque, à propos d’une personne à protéger, le risque pour elle, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture. Cette convention est, d’après moi, un instrument international portant sur les droits de l’homme, selon ce qu’envisage l’alinéa 3(3)f) de la LIPR, et le Canada en est certainement signataire.
[58] La représentante du ministre fait mention de l’article premier de la Convention contre la torture, à la page 10 de ses motifs, et elle cite d’ailleurs la définition du mot « torture », donnée dans la Convention, mais elle n’établit aucun lien entre cette définition, les documents qu’elle a devant elle et l’alinéa 3(3)f) de la LIPR. Je considérerais cette omission comme une erreur réformable, selon la norme applicable de contrôle, si le premier alinéa de la décision de la représentante du ministre était déterminant. Je suis d’avis qu’il ne l’est pas, bien que, selon moi, l’omission en cause intéresse le deuxième bref alinéa de la décision.
[59] Comme je l’ai dit plus haut dans les présents motifs, le demandeur avait soumis à l’agente d’examen des risques avant renvoi huit sources possibles de risque qui lui faisaient craindre un éventuel retour en Iran. L’agente en a rejeté sept. Elle a accepté la huitième qui, selon elle, était suffisamment fondée pour justifier une recommandation de ne pas renvoyer le demandeur en Iran. Elle a aussi estimé que cette source de risque, considérée en même temps que les autres sources alléguées de risque, présentait un fondement tout aussi suffisant.
[60] La représentante du ministre a succinctement souscrit à l’avis de l’agente d’examen des risques avant renvoi concernant six des sept sources de risque pour lesquelles l’agente d’ERAR avait rejeté les arguments du demandeur. Elle a négligé de considérer la septième source alléguée de risque, celle où le demandeur disait qu’il éveillerait instantanément l’attention des autorités iraniennes à son arrivée en Iran, en raison de l’absence d’un titre de voyage courant, qu’il serait par conséquent interrogé, que la totalité de ses faits et gestes au Canada seraient donc portés à l’attention des autorités iraniennes et qu’il serait alors exposé à un risque appréciable. Vu la teneur de l’analyse de la représentante du ministre des six autres sources de risque qui furent rejetées par l’agente d’examen des risques avant renvoi, je crois qu’il est probable que, si elle avait considéré la septième source, elle serait arrivée à la même conclusion que l’agente d’ERAR. Cela dit, cette conclusion de ma part est
pure conjecture. La représentante du ministre aurait dû considérer la septième source alléguée de risque.
[61] Je passe donc à la huitième source de risque alléguée par le demandeur, c’est-à-dire le fait que les représentants du défendeur ont fait savoir au gouvernement iranien que le demandeur avait été déclaré coupable au Canada d’une infraction liée à la drogue et qu’il avait demandé l’asile au Canada, outre les répercussions de cette source alléguée de risque si elle est considérée en même temps que les sept autres sources. L’agente d’examen des risques avant renvoi avait relevé que le gouvernement iranien pouvait consulter les casiers judiciaires canadiens. Elle a cité à l’appui un document, daté du 28 février 2000, d’une direction de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Elle a consulté la loi iranienne sur la lutte contre les stupéfiants [Anti-Narcotic Drugs Law (tel que modifiée le 1er juillet 1989], loi qu’elle avait pu semble-t-il obtenir par l’entremise de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime. Elle a aussi obtenu le Dossier d’information sur l’Iran (Département de l’immigration et de la nationalité du Royaume-Uni, avril 2004) et le rapport UNHCR/ACCORD : 7th European Country of Origin Information Seminar, Country Report on Iran, Final Report (juin 2001, rapport final), et un autre document de la CISR daté du 22 mars 2000, qui rapportait les propos d’un avocat iranien établi à Londres. Eu égard à l’ensemble de ces informations, ainsi qu’aux observations qui lui avaient été présentées au nom du demandeur, l’agente d’ERAR était arrivée à la conclusion suivante:
[traduction] [. . .] je suis d’avis que le demandeur est susceptible de poursuites et que la peine qui lui serait imposée à son retour en Iran serait probablement contraire aux normes internationales reconnues. Je suis donc d’avis qu’il serait exposé à un risque de torture, à une menace pour sa vie ou à un risque de subir des traitements ou peines cruels et inusités à son retour en Iran.
L’agente d’ERAR est arrivée à la même conclusion concernant les répercussions cumulatives de l’ensemble des sources de risque alléguées par le demandeur.
[62] C’est sur la base des conclusions précédentes de l’agente d’ERAR que la représentante du ministre est arrivée à une conclusion autre, pour dire finalement que le demandeur ne serait pas exposé à un risque s’il était tenu de retourner en Iran. La représentante du ministre écrivait ce qui suit :
[traduction] Quant à la crainte d’une sanction pour la déclaration de culpabilité prononcée au Canada pour trafic de drogue, le dossier d’information sur l’Iran du UNHCR/ACCORD précise que [traduction] « le HCNUR n’a pas été en mesure de trouver une jurisprudence confirmant l’application de peines à des personnes déclarées coupables à l’étranger d’infractions liées à la drogue. Le HCNUR n’a pas non plus en sa possession de renseignements sur le nombre des doubles condamnations imposées à leur retour en Iran aux personnes déclarées coupables à l’étranger d’infractions liées à la drogue » Il convient de noter que des peines sévères sont prévues pour l’importation, l’exportation et la production de stupéfiants, ainsi que pour l’achat, la vente et la consommation de stupéfiants en Iran, mais ces peines sont prospectives et non rétrospectives. D’après l’information obtenue du HCNUR, il n’existe pas de renseignements fiables sur les possibilités que M. Boroumand soit passible d’une sanction imposée par l’État, et donc sur la probabilité qu’il soit exposé à un risque de torture ou à un risque de subir des traitements ou peines cruels et inusités, en raison des déclarations de culpabilité prononcées contre lui au Canada. [Non souligné dans l’original.]
[63] La représentante du ministre aurait pu sans doute arriver à la conclusion qu’elle a tirée, mais je suis d’avis qu’elle ne le pouvait tout simplement pas après sa très brève analyse du risque. Elle a négligé l’une des sources de risque alléguées par le demandeur pour justifier sa crainte d’un renvoi en Iran. Elle n’a prêté que peu d’attention à un document d’une tierce partie indépendante sur lequel s’était fondée l’agente d’examen des risques avant renvoi. Elle a laissé de côté d’autres renseignements de tierces parties sur lesquels s’était fondée l’agente. Il n’est nulle part établi qu’elle a pleinement analysé les observations détaillées qui avaient été présentées à l’agente d’ERAR et à elle-même directement, au nom du demandeur. Elle n’a pas non plus tenu compte de l’alinéa 3(3)f) de la LIPR et a laissé de côté la question des répercussions cumulatives de toutes les sources de risque alléguées par le demandeur et en son nom.
[64] Eu égard à l’analyse qui précède, et que ce soit après examen global de la décision contestée, et d’après la norme de la décision raisonnable simpliciter, ou parce que les motifs exposés par la représentante du ministre étaient tout simplement insuffisants compte tenu de l’importance de la décision pour le demandeur, une conclusion qui serait fondée sur la norme de la décision correcte étant donné que l’à-propos des motifs d’une décision relève de l’équité ou de la justice naturelle6, je suis d’avis que la décision contestée est entachée d’une erreur susceptible de contrôle.
DISPOSITIF
[65] Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie, la décision contestée sera annulée et l’affaire sera renvoyée au défendeur pour nouvelle décision d’un autre représentant du ministre.
QUESTION À CERTIFIER
[66] À la clôture de l’audition de la présente affaire, j’ai suspendu ma décision. Les avocats voulaient qu’un délai leur soit accordé, après le prononcé des motifs, pour qu’ils puissent présenter des observations sur une éventuelle question à certifier. Fort de l’assurance des avocats qu’il s’agissait à ce stade d’une affaire inédite, ou du moins relativement inédite, j’ai donné mon accord. Les avocats auront deux semaines à compter du prononcé des présents motifs pour présenter à la Cour des observations sur une question à certifier, et pour échanger lesdites observations. Une ordonnance sera alors rendue, qui donnera effet aux présents motifs.
1 L.C. 2001, ch. 27.
2 DORS/2002-227.
3 [2002] 1 R.C.S. 3, aux par. 76 et 78.
4 [2005] 4 R.C.F. 387 (C.F.).
5 2005 CF 437.
6 Voir la décision Jiang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 477, aux par. 12 et 13.