T-1488-06; T-26-07
2007 CF 914
David Deck Rendina (demandeur)
c.
Procureur général du Canada et Commissaire aux brevets, Office de la propriété intellectuelle du Canada (défendeurs)
Répertorié : Rendina c. Canada (Procureur général) (C.F.)
Cour fédérale, juge de Montigny—Vancouver (Colombie-Britannique), 6 et 13 septembre 2007.
Brevets — Pratique — Contrôle judiciaire de la décision par laquelle le commissaire aux brevets a refusé le paiement de la taxe périodique et de la taxe de rétablissement afférentes à la demande de brevet canadien no 2424725 pendant la période de rétablissement d’un an — Le demandeur est le seul propriétaire et inventeur du brevet et il a nommé un agent de brevets — La taxe périodique annuelle n’ayant pas été payée dans le délai prescrit, la demande a été considérée comme abandonnée — Le commissaire n’a pas commis d’erreur lorsqu’il a refusé le paiement de la taxe périodique et de la taxe de rétablissement parce que la demande a été faite par le demandeur, pas l’agent, ce qui était contraire à l’art. 6(1) des Règles — Les dispositions de la Loi et des Règles concernant la taxe périodique doivent être interprétées strictement — Le commissaire n’a pas commis d’erreur lorsqu’il a refusé de réexaminer sa décision en dépit de l’art. 3.1(1) des Règles, qui confère au commissaire le pouvoir de prolonger le délai de paiement — Vu les premiers mots qui précisent que l’art. 3.1(1) des Règles sur les brevets est assujetti à l’art. 6(1), la requête en rétablissement devait être présentée par l’agent de brevets, pas le demandeur — Le commissaire avait aussi raison de refuser le paiement parce que le délai de présentation d’une requête en rétablissement était expiré — Demande rejetée.
Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle le commissaire aux brevets a refusé le paiement de la taxe périodique et de la taxe de rétablissement afférentes à la demande de brevet canadien no 2424725 pendant la période de rétablissement d’un an. Le demandeur est le seul propriétaire et inventeur du brevet et il a lui-même préparé et déposé le brevet le 3 avril 2003. Il a par la suite chargé un agent de brevets de s’occuper du brevet. La taxe périodique annuelle n’ayant pas été payée, la demande a été considérée comme abandonnée. L’Office de la propriété intellectuelle du Canada (l’OPIC) a délivré un avis d’abandon indiquant que le brevet pourrait être rétabli si le demandeur satisfaisait aux exigences énoncées au paragraphe 73(3) de la Loi sur les brevets (la Loi) au plus tard le 4 avril 2006. Le 21 mars 2006, le demandeur a demandé que le brevet soit rétabli et il a autorisé le paiement des taxes au moyen de sa carte de crédit, mais l’OPIC a refusé parce que la taxe permettant de maintenir la demande du demandeur en état ne pouvait être payée que par le correspondant autorisé conformément au paragraphe 6(1) des Règles sur les brevets (les Règles). Le demandeur n’aurait été informé de la décision de l’OPIC que le 5 avril 2006, soit le jour suivant l’expiration de la période de 12 mois relative au rétablissement. Le 17 mai 2006, l’agent de brevets a demandé à l’OPIC de réexaminer la décision de refuser le paiement fait par le demandeur et il a autorisé le paiement des taxes au moyen de sa propre carte de crédit. Néanmoins, le 18 juillet 2006, l’OPIC a réitéré sa position antérieure parce que le demandeur n’était pas le correspondant autorisé. Bien qu’il ait aussi fait référence à l’article 3.1 des Règles, qui confère au commissaire le pouvoir de prolonger le délai de paiement si une tentative infructueuse a été faite pour payer la taxe, l’OPIC a conclu que cette disposition ne s’appliquait pas puisque la communication ne provenait pas du correspondant autorisé.
L’article 27.1 de la Loi prévoit que des taxes annuelles doivent être payées pour maintenir une demande de brevet en état après qu’elle a été déposée. La demande sera considérée comme abandonnée si ces taxes ne sont pas payées dans le délai prévu conformément à l’alinéa 73(1)c) de la Loi. La demande peut toutefois être rétablie si une requête à cet effet est présentée à l’OPIC et si les taxes réglementaires sont payées (paragraphe 73(3) de la Loi) « dans les douze mois suivant la date de prise d’effet de l’abandon » (article 98 des Règles). La question à trancher était celle de savoir si le commissaire a commis une erreur lorsqu’il a refusé le paiement de la taxe périodique et de la taxe de rétablissement effectué par le demandeur.
Jugement : la demande doit être rejetée.
La demande de rétablissement du demandeur a été rejetée uniquement parce qu’elle a été faite par le demandeur lui-même et non par son agent de brevets, ce qui était contraire au paragraphe 6(1) des Règles. Vu l’emploi régulier du terme « demandeur » dans les dispositions de la Loi et des Règles qui traitent de l’étape de la poursuite d’une demande de brevet pour désigner l’auteur de la demande et les premiers mots du paragraphe 6(1) (« Sauf disposition contraire de la Loi ou des présentes règles »), chacune de ces dispositions serait une exception au paragraphe 6(1), ce qui n’a aucun sens. Les dispositions de la Loi et des Règles concernant les taxes périodiques doivent être interprétées strictement de manière à ce que les demandeurs respectent ces dispositions et, donc, que les demandeurs versent diligemment les taxes dans le délai imparti. L’objet de la Loi ne peut être atteint si on ajoute un élément d’incertitude à l’application de la Loi et si on ne tient pas compte des termes clairs qui y sont employés. Le paragraphe 6(1) a été adopté dans le but de prévenir la confusion qui découlerait du fait d’avoir plusieurs correspondants et parce que le législateur estimait qu’il fallait préciser avec qui le commissaire doit communiquer et de quelles communications il doit tenir compte à l’égard d’une demande de brevet particulière. L’interprétation que le commissaire a faite du paragraphe 6(1) des Règles, qui lui permet seulement de communiquer avec le correspondant autorisé et de tenir compte seulement des communications de celui-ci, était correcte.
En outre, le commissaire n’a pas commis d’erreur lorsqu’il a réitéré sa décision de refuser les taxes réglementaires en dépit du paragraphe 3.1(1) des Règles. Cette disposition confère explicitement au commissaire le pouvoir de prolonger le délai de paiement si une personne a fait une tentative infructueuse pour verser les taxes. Cependant, comme le libellé de cette disposition commence par les mots « [s]ous réserve du paragraphe 6(1) », la requête en rétablissement devait être présentée par l’agent de brevet, pas le demandeur. Le commissaire avait raison de refuser le paiement fait par l’agent de brevets parce que le délai de présentation d’une requête en rétablissement était expiré.
lois et règlements cités
Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, art. 27(1), 27.1 (édicté par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 33, art. 9; L.C. 1993, ch. 15, art. 32), 35(1) (mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 33, art. 12), 73(3) (mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 52).
Règles sur les brevets, DORS/96-423, art. 2 « correspondant autorisé », 3(1), 3.1 (édicté par DORS/2003-208, art. 2), 6(1), 20, 28(1), 98.
jurisprudence citée
décisions appliquées :
Eiba c. Canada (Procureur général), [2004] 3 R.C.F. 416; 2004 CF 250; Pfizer Inc. c. Canada (Commissaire aux brevets), [2000] A.C.F. no 1801 (C.A.) (QL).
décisions examinées :
Dutch Industries Ltd. c. Canada (Commissaire aux brevets), [2002] 1 C.F.325; 2001 CFPI 879; conf. par [2003] 4 C.F. 67; 2003 CAF 121; Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982; motifs modifiés, [1998] 1 R.C.S. 1222.
décisions citées :
Winters c. Legal Services Society, [1999] 3 R.C.S. 160; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, [2002] 2 R.C.S. 559; 2002 CSC 42; Euro-Excellence Inc. c. Kraft Canada Inc., [2007] 3 r.c.s. 20; 2007 CSC 37; F. Hoffmann-La Roche AG c. Canada (Commissaire aux brevets), 2005 CAF 399.
doctrine citée
Office de la propriété intellectuelle du Canada. Recueil des pratiques du Bureau des brevets. Ottawa : Bureau des brevets, mars 2007.
DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision par laquelle le commissaire aux brevets a refusé le paiement de la taxe périodique et de la taxe de rétablissement que le propriétaire du brevet, plutôt que l’agent nommé, a effectué pendant la période de rétablissement d’un an. Demande rejetée.
ont comparu :
David M. Rush pour le demandeur.
Monika R. Bittel pour les défendeurs.
avocats inscrits au dossier :
Petraroia Langford Rush LLP, Kelowna, pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par
[1]Le juge de Montigny : Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 31 mars 2006 par laquelle le commissaire aux brevets (le commissaire) a refusé le paiement de la taxe périodique et de la taxe de rétablissement afférentes à la demande de brevet canadien no 2424725 (le brevet ′725) pendant la période de rétablissement d’un an.
I. Le contexte
[2]Le demandeur est le seul propriétaire et inventeur du brevet ′725 intitulé « Dispersion de substances à l’échelle nanométrique, renouvelable et énergétique ». Il a lui‑même préparé et déposé le brevet ′725 le 3 avril 2003. Il a par la suite chargé un agent de brevets, Antony C. Edwards (l’agent de brevets), de s’en occuper.
[3]La taxe périodique annuelle payable au plus tard le 4 avril 2005 n’ayant été payée ni par le demandeur ni par l’agent de brevets, la demande a été considérée comme abandonnée. L’Office de la propriété intellectuelle du Canada (l’OPIC) a délivré un avis d’abandon indiquant que le brevet ′725 pourrait être rétabli si le demandeur présentait une requête à cet effet, payait la taxe périodique et payait la taxe de rétablisse-ment au plus tard le 4 avril 2006, conformément au paragraphe 73(3) [mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 52] de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P‑4 (la Loi).
[4]Le 21 mars 2006, le demandeur a écrit au commissaire pour demander le rétablissement du brevet ′725 et pour autoriser le paiement des taxes au moyen de sa carte de crédit. Le paiement a apparemment été reçu et traité par l’OPIC, mais le 31 mars 2006, un avis a été envoyé au demandeur pour l’informer que, [traduction] « pendant qu’une demande est en instance, la taxe permettant de maintenir cette demande en état ne peut être payée que par le correspondant autorisé en ce qui concerne cette demande », conformément au paragraphe 6(1) des Règles sur les brevets, DORS/96‑423 (les Règles). En conséquence, la lettre indiquait qu’un remboursement serait effectué sur demande. Le demandeur soutient qu’il n’a été informé de cette décision que le 5 avril 2006.
[5]La période de 12 mois relative au rétablissement a pris fin le 4 avril 2006. Le 17 mai 2006, l’agent de brevets a écrit à l’OPIC pour lui demander de réexaminer la décision de refuser le paiement fait par le demandeur lui‑même. Il a aussi autorisé le paiement des taxes au moyen de sa propre carte de crédit.
[6]Dans une deuxième lettre datée du 18 juillet 2006, l’OPIC a réaffirmé qu’il refusait le paiement fait par le demandeur parce que celui‑ci n’était pas le correspondant autorisé. Il a aussi fait référence à l’article 3.1 [édicté par DORS/2003-208, art. 2] des Règles, qui confère expressément au commissaire le pouvoir de prolonger le délai de paiement si une tentative infructueuse a été faite pour payer la taxe; il a toutefois conclu que cette disposition ne s’appliquait pas puisque la communication ne provenait pas du correspondant autorisé.
[7]Le demandeur a déposé une deuxième demande d’autorisation et de contrôle judiciaire visant la décision du 18 juillet 2006 (dossier no T‑1488‑06). À l’audience cependant, il a expliqué que cette deuxième demande visait essentiellement à protéger ses droits, mais qu’elle avait trait aussi à la décision de l’OPIC de refuser sa demande de rétablissement. En conséquence, il n’y aura qu’un seul ensemble de motifs pour les deux affaires.
II. Les questions en litige
[8]La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :
1. Quelle est la norme de contrôle applicable?
2. Le commissaire a‑t‑il commis une erreur lorsqu’il a refusé le paiement de la taxe périodique et de la taxe de rétablissement afférentes au brevet ′725?
III. Les dispositions pertinentes
[9]Les dispositions pertinentes sont reproduites à l’annexe A.
IV. L’analyse
[10]Les parties s’entendent sur le fait que c’est la norme de la décision correcte qui s’applique en l’espèce étant donné que la question en litige est essentiellement une question de droit. À cet égard, je ne peux que citer des extraits de la décision rendue par ma collègue la juge Dawson dans Dutch Industries Ltd. c. Canada (Commissaire aux brevets), [2002] 1 C.F. 325 (1re inst.) (confirmée par [2003] 4 C.F. 67 (C.A.)). Procédant à une analyse pragmatique et fonctionnelle comme l’a exigé la Cour suprême du Canada dans des arrêts comme Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, la juge Dawson a affirmé ce qui suit, aux paragraphes 21 à 24 :
L’expertise est le plus important des quatre facteurs à examiner. Bien que le Commissaire possède une expertise à l’égard d’un certain nombre de questions, je ne suis pas persuadée que cette expertise s’étende à l’interprétation des dispositions pertinentes de la Loi et des Règles pour déterminer les conséquences d’un versement insuffisant de taxes. Ainsi que les juges majoritaires de la Cour d’appel fédérale l’ont fait remarquer dans l’arrêt President and Fellows of Harvard College c. Canada (Commissaire aux brevets), [2000] 4 C.F. 528 (C.A.) au paragraphe 183, plus les propositions avancées sont générales et plus les répercussions de la décision s’écartent du domaine d’expertise fondamental du commissaire, moins le tribunal est justifié de faire preuve de retenue judiciaire, ce qui permet de conclure à une norme de contrôle qui appelle un degré moins élevé de retenue judiciaire et se rapproche davantage de la norme du bien‑fondé, qui se situe à l’autre extrémité du spectre.
Bien que la Loi ait pour objet de promouvoir la mise au point d’inventions susceptibles de profiter tant aux inventeurs qu’au public, je conclus que l’objet des dispositions précises en litige en ce qui concerne le paiement de taxes n’est pas de nature polycentrique et qu’il n’implique pas l’application d’un critère de pondération à volets multiples. La Loi définit et réglemente les droits respectifs des titulaires de brevets. Lorsqu’une loi a pour objet de définir les droits entre les intéressés, le tribunal est justifié de procéder à un examen plus serré.
La question en litige est, de par sa nature, une question de droit. L’interprétation aura des incidences déterminantes sur les décisions à venir, ce qui, je le répète, justifie un degré moins élevé de retenue judiciaire et l’application d’une norme qui se rapproche davantage de la norme du bien‑fondé.
Appliquant ces facteurs, je conclus que les décisions prises par le Commissaire en l’espèce peuvent faire l’objet d’un contrôle judiciaire selon la norme du bien‑fondé.
[11]La Cour doit donc décider si le commissaire a bien interprété la Loi. La Cour n’est tenue de faire preuve d’aucune retenue en l’espèce : l’interprétation des dispositions de la Loi par le commissaire était correcte ou elle ne l’était pas. Pour les motifs exposés ci‑dessous, je crois que la conclusion à laquelle est parvenu le commissaire était correcte.
[12]L’article 27.1 [édicté par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 33, art. 9; L.C. 1993, ch. 15, art. 32] de la Loi prévoit que des taxes annuelles doivent être payées pour maintenir une demande de brevet en état après qu’elle a été déposée. La demande sera considérée comme abandonnée si ces taxes ne sont pas payées dans le délai prévu (alinéa 73(1)c) [mod., idem, art. 52] de la Loi). La demande peut cependant être rétablie si une requête à cet effet est présentée à l’OPIC, si les mesures qui s’imposaient pour éviter l’abandon sont prises et si les taxes réglementaires sont payées (paragraphe 73(3) de la Loi) « dans les douze mois suivant la date de prise d’effet de l’abandon » (article 98 des Règles).
[13]En l’espèce, la demande a été considérée comme abandonnée le 4 avril 2005. Le demandeur avait alors 12 mois pour demander le rétablissement, soit jusqu’au 4 avril 2006. Il a présenté sa requête le 21 mars 2006. La requête a donc été présentée dans le délai réglementaire de 12 mois. Elle a été rejetée uniquement parce qu’elle a été faite par le demandeur lui‑même et non par son agent de brevets, ce qui, selon le commissaire, était contraire au paragraphe 6(1) des Règles.
[14]Le demandeur s’appuie sur les premiers mots de ce paragraphe (« Sauf disposition contraire de la Loi ou des présentes règles ») pour soutenir que sa demande aurait dû être acceptée. Il soutient que le paragraphe 27.1(1) de la Loi indique que le demandeur est tenu de payer les taxes réglementaires au commissaire pour maintenir sa demande en état. De même, le paragraphe 73(3) prévoit qu’une demande de brevet sera rétablie si, entre autres choses, le demandeur paie la taxe réglementaire de rétablissement dans le délai réglementaire. En outre, l’article 98 des Règles prévoit que c’est le demandeur qui doit prendre les mesures nécessaires pour éviter la présomption d’abandon de la demande. Finalement, la section 24.02.02 du Recueil des pratiques du Bureau des brevets confirme également que la taxe périodique afférente à une demande de brevet peut être payée par le demandeur ou par le correspondant autorisé. Compte tenu de ces dispositions, le demandeur estime que les premiers mots du paragraphe 6(1) des Règles s’appliquent et qu’il pouvait demander lui‑même le rétablissement.
[15]Le problème quant à l’interprétation du demandeur vient du fait qu’elle vide de son sens le paragraphe 6(1) des Règles et qu’elle le rend superflu. Les articles 27.1 et 73 de la Loi et l’article 98 des Règles ne sont pas les seuls où le terme « demandeur » est employé. Ce terme est utilisé régulièrement dans les dispositions de la Loi et des Règles qui traitent de l’étape de la poursuite d’une demande de brevet pour désigner l’auteur de la demande. La Loi décrit les démarches qui doivent être effectuées par le demandeur ou le commissaire dans le cadre du processus de demande d’un brevet. Vu l’emploi régulier du terme « demandeur » dans les dispositions relatives à la poursuite d’une demande de brevet, chacune de ces dispositions serait une exception au paragraphe 6(1), ce qui n’a absolument aucun sens et irait à l’encontre de la présomption voulant que les mots employés dans une loi aient un sens et une fonction. Le paragraphe 6(1) est clair, et on ne devrait pas laisser le commissaire décider, dans chaque cas, si la communication directe du demandeur avec le Bureau des brevets doit être prise en compte ou non.
[16]En fait, il y a dans la Loi et dans les Règles des dispositions qui désignent clairement une autre personne que le demandeur comme la personne qui se charge d’une étape de la procédure. C’est le cas notamment du paragraphe 35(1) [mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 33, art. 12] de la Loi et du paragraphe 28(1) des Règles. Selon le texte anglais de ces dispositions, « any person » (« la personne » au paragraphe 28(1) des Règles) peut demander l’examen d’une demande de brevet, ce qui exige du commissaire qu’il communique avec une autre personne que le correspondant autorisé au sujet de la poursuite ou du maintien d’une demande de brevet. Il ne fait aucun doute que le passage introductif du paragraphe 6(1) s’applique dans ces cas.
[17]L’avocat du demandeur soutenait également que l’interprétation de la Loi et des Règles devait être régie par les principes d’interprétation des lois et plus particulièrement par une analyse téléologique. S’appuyant sur Dutch Industries Ltd. [de la Cour fédérale première instance], il a affirmé que le principal objet de la Loi est de promouvoir la mise au point d’inventions susceptibles de profiter tant aux inventeurs qu’au public. Il soutient en conséquence que l’interpré-tation du paragraphe 6(1) qu’il propose devrait être retenue puisque c’est celle qui favorise le mieux la mise au point d’inventions en facilitant le paiement des taxes nécessaires et en évitant de priver les inventeurs de leurs droits de brevet parce que l’on ne sait pas avec certitude quelle partie doit payer ces taxes.
[18]La Cour suprême du Canada a récemment traité de l’interprétation des lois dans les arrêts Winters c. Legal Services Society, [1999] 3 R.C.S. 160, Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, [2002] 2 R.C.S. 559, et Euro‑Excellence Inc. c. Kraft Canada Inc., [2007] 3 R.C.S. 20, dans lesquels elle a adopté une méthode reconnaissant l’importance du contexte global des dispositions. Les termes d’une loi doivent recevoir leur sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’objet de la Loi, l’intention du législateur et l’esprit de la Loi.
[19]Dans Eiba c. Canada (Procureur général), [2004] 3 R.C.F. 416 (C.F.) (Eiba), le juge Mosley a dit ce qui suit au sujet des dispositions relatives aux taxes périodiques, au paragraphe 43 :
Comme l’a précisé la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Barton No‑till Disk Inc. et al., précité, l’objet des dispositions relatives aux taxes périodiques est de couvrir les frais d’administration du régime des brevets et, aussi, de décourager la prolifération de brevets et de demandes de brevets inutiles en obligeant leurs titulaires à entreprendre, une fois par année, des démarches pour les conserver en état. Bien qu’en l’espèce la preuve par affidavit révèle que le demandeur avait l’intention de maintenir sa demande en état, je suis d’avis que les dispositions de la Loi et des Règles concernant les taxes périodiques doivent être interprétées strictement tant par le commissaire que par la Cour, de manière à ce que les demandeurs respectent ces dispositions et, donc, que les demandeurs versent diligemment les taxes dans le délai imparti.
[20]Le demandeur a fort probablement raison en ce qui a trait à l’objet général de la Loi, mais je ne pense pas que cet objet puisse être atteint si on ajoute un élément d’incertitude à l’application de la Loi et si on ne tient pas compte des termes clairs qui y sont employés. Différentes personnes (inventeur, co-inventeurs, représentant juridique d’un inventeur ou de co-inventeurs, co-agent de brevets, agent de brevets) peuvent vouloir communiquer directement avec le commissaire au sujet d’une demande de brevet particu-lière. Le fait d’avoir plusieurs correspondants alourdit le travail administratif de l’OPIC, peut entraîner des demandes, des instructions et des réponses contradic-toires et peut faire en sorte que des instructions ne soient pas données en raison de l’incertitude concernant la personne qui doit intervenir et, en conséquence, que des échéances ne soient pas respectées. Je suis d’accord avec le défendeur lorsqu’il dit que le paragraphe 6(1) a été adopté dans le but de prévenir cette confusion et parce que le législateur estimait qu’il fallait préciser avec qui le commissaire doit communiquer et de quelles communications il doit tenir compte à l’égard d’une demande de brevet particulière.
[21]Pour tous les motifs qui précèdent, je ne pense pas que le commissaire a commis une erreur en refusant le paiement de la taxe périodique et de la taxe de rétablissement afférentes au brevet ′725 fait par le demandeur; son interprétation du paragraphe 6(1) des Règles, lequel lui permet seulement de communiquer avec le correspondant autorisé et de tenir compte seulement des communications de celui‑ci, est correcte.
[22]En outre, je suis d’avis que le commissaire n’a pas commis d’erreur lorsqu’il a décidé, le 18 juillet 2006, de refuser à nouveau les taxes réglementaires en dépit du paragraphe 3.1(1) des Règles. Cette disposition confère explicitement au commissaire le pouvoir de prolonger le délai de paiement si une personne a fait une tentative infructueuse pour verser les taxes. Le libellé de cette disposition commence cependant par les mots « [s]ous réserve du paragraphe 6(1) ». Le défendeur a raison de dire que la requête en rétablissement devait être présentée par l’agent de brevets. En l’espèce, l’article 3.1 ne peut être d’aucune utilité au demandeur puisque c’est lui qui a présenté la requête.
[23]De plus, je crois que l’OPIC a eu raison de refuser le paiement fait par l’agent de brevets le 18 juillet 2006 parce que le délai de présentation d’une requête en rétablissement était expiré. Dans Pfizer Inc. c. Canada (Commissaire aux brevets), [2000] A.C.F. no 1801 (QL), la Cour d’appel fédérale a conclu que le commissaire n’avait pas le pouvoir suivant la Loi de prolonger la période de rétablissement; voir aussi F. Hoffmann‑La Roche AG c. Canada (Commissaire aux brevets), 2005 CAF 399, et Eiba.
[24]Par conséquent, je suis d’avis de rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée avec dépens.
ANNEXE A
Loi sur les brevets
27. (1) Le commissaire accorde un brevet d’invention à l’inventeur ou à son représentant légal si la demande de brevet est déposée conformément à la présente loi et si les autres conditions de celle‑ci sont remplies.
[. . .]
35. (1) Sur requête à lui faite en la forme réglementaire et sur paiement de la taxe réglementaire, le commissaire fait examiner la demande de brevet par tel examinateur compétent recruté par le Bureau des brevets.
[. . .]
73. (1) La demande de brevet est considérée comme abandonnée si le demandeur omet, selon le cas :
a) de répondre de bonne foi, dans le cadre d’un examen, à toute demande de l’examinateur, dans les six mois suivant cette demande ou dans le délai plus court déterminé par le commissaire;
b) de se conformer à l’avis mentionné au paragraphe 27(6);
c) de payer, dans le délai réglementaire, les taxes visées à l’article 27.1;
d) de présenter la requête visée au paragraphe 35(1) ou de payer la taxe réglementaire dans le délai réglementaire;
e) de se conformer à l’avis mentionné au paragraphe 35(2);
f) de payer les taxes réglementaires mentionnées dans l’avis d’acceptation de la demande de brevet dans les six mois suivant celui‑ci.
(2) Elle est aussi considérée comme abandonnée dans les circonstances réglementaires.
(3) Elle peut être rétablie si le demandeur :
a) présente au commissaire, dans le délai réglementaire, une requête à cet effet;
b) prend les mesures qui s’imposaient pour éviter l’abandon;
c) paie les taxes réglementaires avant l’expiration de la période réglementaire.
(4) La demande abandonnée au titre de l’alinéa (1)f) et rétablie par la suite est sujette à modification et à nouvel examen.
(5) La demande rétablie conserve sa date de dépôt.
Règles sur les brevets
2. Les définitions qui suivent s’appliquent aux présentes règles.
[. . .]
« correspondant autorisé » Pour une demande :
a) lorsque la demande a été déposée par l’inventeur, qu’aucune cession de son droit au brevet, de son droit sur l’invention ou de son intérêt entier dans l’invention n’a été enregistrée au Bureau des brevets et qu’aucun agent de brevets n’a été nommé :
(i) l’unique inventeur,
(ii) s’il y a deux coïnventeurs ou plus, celui autorisé par ceux‑ci à agir en leur nom,
(iii) s’il y a deux coïnventeurs ou plus et qu’aucun de ceux‑ci n’a été ainsi autorisé, le premier inventeur nommé dans la pétition ou, dans le cas des demandes PCT à la phase nationale, le premier inventeur nommé dans la demande internationale;
b) lorsqu’un coagent a été nommé ou doit l’être en application de l’article 21, le coagent ainsi nommé;
c) lorsque les alinéas a) et b) ne s’appliquent pas, l’agent de brevets nommé en application de l’article 20.
[. . .]
3. (1) La personne qui remplit des formalités ou demande la prestation d’un service par le commissaire ou le Bureau des brevets verse au commissaire la taxe qui est prévue, le cas échéant, à l’annexe II.
[. . .]
6. (1) Sauf disposition contraire de la Loi ou des présentes règles, dans le cadre de la poursuite ou du maintien d’une demande, le commissaire ne communique qu’avec le correspondant autorisé en ce qui concerne cette demande et ne tient compte que des communications reçues de celui‑ci à cet égard.
[. . .]
20. (1) Le demandeur qui n’est pas l’inventeur nomme un agent de brevets chargé de poursuivre la demande en son nom.
(2) L’agent de brevets est nommé dans la pétition ou dans un avis remis au commissaire et signé par le demandeur.
(3) La nomination d’un agent de brevets peut être révoquée par un avis de révocation remis au commissaire et signé par l’agent ou le demandeur.
[. . .]
28. (1) Sous réserve du paragraphe (2), le commissaire peut, à la demande de la personne qui verse la taxe prévue à l’article 4 de l’annexe II, devancer la date normale d’examen d’une demande s’il juge que le non‑devancement est susceptible de porter préjudice aux droits de cette personne.
[. . .]
98. (1) Pour que la demande considérée comme abandonnée en application de l’article 73 de la Loi soit rétablie, le demandeur, à l’égard de chaque omission visée au paragraphe 73(1) de la Loi ou à l’article 97, présente au commissaire une requête à cet effet, prend les mesures qui s’imposaient pour éviter l’abandon et paie la taxe prévue à l’article 7 de l’annexe II, dans les douze mois suivant la date de prise d’effet de l’abandon.
(2) Pour prendre les mesures qui s’imposaient pour éviter l’abandon pour non‑paiement de la taxe visée aux paragraphes 3(3), (4) ou (7), le demandeur, avant l’expiration du délai prévu au paragraphe (1) :
a) soit paie la taxe générale applicable;
b) soit dépose, à l’égard de sa demande, la déclaration du statut de petite entité conformément à l’article 3.01 et paie la taxe applicable aux petites entités.