IMM‑4346‑06
2007 CF 814
Hee Han Lee (demandeur(s))
c.
Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur(s))
Répertorié : Lee c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (C.F.)
Cour fédérale, juge Barnes—Halifax, 10 mai; Ottawa, 2 août 2007.
Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Résidents permanents — Contrôle judiciaire de la décision par laquelle l’agent des visas a rejeté la demande de résidence permanente au motif que l’enfant non accompagnant était interdit de territoire pour des raisons d’ordre sanitaire — Le fils non accompagnant a 33 ans, il est totalement invalide et il est institutionnalisé — Le fils est interdit de territoire en vertu des art. 38(1) et 42 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR); en vertu de l’art. 42, l’interdiction de territoire dont le fils du demandeur est frappée entraîne prima facie l’interdiction de territoire des autres membres de la famille — L’agent des visas a conclu que l’adoption du fils par sa tante était une adoption de complaisance qui n’était pas authentique — Il faut se tourner vers l’art. 23 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (le Règlement) pour déterminer si l’invalidité du fils entraînait l’interdiction de territoire de sa famille — L’art. 4 du Règlement établit un critère conjonctif servant à déterminer s’il s’agissait d’une véritable adoption — L’art. 4 ne l’emporte pas sur l’art. 23 du Règlement, qui vise à prévenir le genre de problème qui se pose lorsqu’un enfant non accompagnant est laissé au pays — Compte tenu de la faiblesse du fondement factuel sous‑jacent à la conclusion portant que l’adoption n’était pas authentique et de l’omission de prendre en considération la suffisance juridique des mesures de garde et les incidences de l’art. 23 du Règlement, la décision était déraisonnable — Demande accueillie.
Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle l’agent des visas a rejeté la demande de résidence permanente du demandeur et de deux de ses trois enfants au motif que l’enfant non accompagnant du demandeur était interdit de territoire au Canada pour des raisons d’ordre sanitaire. Le demandeur et les membres de sa famille sont Coréens. Le fils totalement invalide du demandeur a 33 ans, il a été confié aux soins d’un organisme d’aide sociale œuvrant en Corée et il ne peut satisfaire seul aucun de ses besoins. En vertu du paragraphe 38(1) et de l’article 42 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR), il serait interdit de territoire au Canada. En vertu de l’article 42 de la LIPR, l’interdiction de territoire dont le fils du demandeur est frappée entraîne prima facie l’interdiction de territoire des autres membres de la famille. Dès le départ, le fils du demandeur avait été désigné comme membre de la famille non accompagnant et il devait rester en Corée. Lorsque l’agent des visas a évoqué l’interdiction de territoire, le fils avait été adopté légalement par sa tante. Cependant, l’agent des visas a conclu qu’il ne s’agissait pas d’une adoption authentique et a conclu que la famille était interdite de territoire. L’agent des visas a essentiellement conclu qu’il s’agissait d’une adoption de complaisance. La question à trancher était celle de savoir si la décision de l’agent des visas de refuser les visas d’immigrant était déraisonnable.
Jugement : la demande doit être accueillie.
Il faut se tourner vers l’article 23 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (le Règlement) pour déterminer si l’invalidité du fils entraînait l’interdiction de territoire de sa famille. L’article 4 du Règlement porte sur les adoptions et les mariages de mauvaise foi. La décision de l’agent des visas reposait apparemment sur cet article. Même si l’article 4 vise tous les cas d’adoption en rapport avec la LIPR et qu’il convenait d’en tenir compte en conjonction avec les facteurs prévus à l’article 23, il ne l’emporte pas sur celui‑ci. L’article 4 établit un critère conjonctif servant à déterminer s’il s’agit d’une véritable adoption; cette disposition exige que l’adoption vise principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la Loi et qu’elle ne soit pas authentique. La première exigence était à n’en pas douter remplie puisqu’il appert du dossier que le fils invalide a été adopté pour que la demande de résidence permanente de la famille se présente sous un meilleur jour. Le demandeur n’a rien caché au défendeur, pas même la raison de l’adoption. La conclusion de l’agent des visas selon laquelle l’adoption n’était pas « authentique » n’était étayée que par la mention que le fils avait 32 ans. S’agissant d’une personne institutionnalisée et souffrant d’une invalidité totale, l’âge prend figure de facteur secondaire. Il était autrement plus important de savoir qui s’occupe en fait du fils, quelles mesures ont été prises pour sa garde, quels sont ses rapports avec la tante qui l’a adopté et si l’adoption est juridiquement valide. Rien dans les notes de l’agent des visas n’indiquait qu’il avait tenu compte de ces éléments et il n’a pas suivi les lignes directrices du ministère suivant lesquelles il doit « expliquer clairement » les motifs de telles décisions. En outre, rien au dossier n’indiquait que le demandeur avait été mis au courant des préoccupations de l’agent des visas et avait eu la possibilité de s’exprimer à ce sujet.
Qui plus est, l’agent des visas n’a pas pris en considération la portée juridique de l’article 23 du Règlement. Que l’adoption du fils soit conforme ou non à l’article 4 ne joue pas sur la question de savoir si la famille est néanmoins admissible au Canada parce que d’autres mesures de garde valides ont été prises à son égard en Corée. L’article 23 vise manifestement à prévenir le genre de problème qui se pose lorsqu’un enfant est laissé au pays sous la garde et les soins légaux d’une autre personne. La teneur de la décision ne montrait pas que l’agent des visas avait tenu compte des effets de l’article 23 et avait examiné, plus particulièrement, si les mesures relatives à la garde du fils permettraient d’éviter l’application de cette disposition. Cette analyse requiert plus que l’examen de la légalité ou du but d’une adoption. Puisque l’agent des visas n’a pas exposé clairement les dispositions législatives et réglementaires qu’il était tenu d’appliquer et compte tenu de la faiblesse du fondement factuel sous‑jacent à sa conclusion, sa décision était déraisonnable et elle ne pouvait être maintenue.
lois et règlements cités
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 38(1), 42.
Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227, art. 4 (mod. par DORS/2004‑167, art. 3(A)), 23, 87 (mod., idem, art. 80), 117(9),(10),(11).
jurisprudence citée
décisions appliquées :
Ouafae c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 459; Gavino c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 308; Gal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1771.
décision citée :
Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1372.
doctrine citée
Citoyenneté et Immigration Canada. Guide de traitement des demandes à l’étranger (OP). Chapitre OP 3 : Adoptions, en ligne : http://www.cic.gc.ca/français /ressources/guides/op/index.asp.
DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision par laquelle l’agent des visas a rejeté la demande de résidence permanente au motif que l’enfant non accompagnant était interdit de territoire pour des raisons d’ordre sanitaire et que la famille était donc interdite de territoire. Demande accueillie.
ont comparu :
Roderick H. (Rory) Rogers pour le demandeur.
Melissa R. Cameron pour le défendeur.
avocats inscrits au dossier :
Stewart McKelvey, Halifax, pour le demandeur.
Le sous‑procureur général du Canada pour le défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par
[1]Le juge Barnes : La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision par laquelle la Section de l’immigration de l’ambassade du Canada à Séoul en Corée a refusé un visa de résident permanent au demandeur, Hee Han Lee, à son épouse et à deux de ses trois enfants. Le fondement du refus était que l’enfant non accompagnant de M. Lee, Dong Jun Lee, était interdit de territoire pour des raisons d’ordre sanitaire, ce qui emportait interdiction de territoire pour la famille.
Contexte
[2]La demande de visa de résidence permanente de la famille Lee a été présentée en 2004. La famille voulait s’installer à l’Île‑du‑Prince‑Édouard et avait été évaluée et retenue par le gouvernement de cette province sous le régime de l’article 87 [mod. par DORS/2004-167, art. 80] du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement). Il ressort clairement du dossier que les Lee n’ont jamais eu l’intention d’inclure le fils aîné, Dong Jun Lee, dans la demande de résidence permanente. Dong Jun a actuellement 33 ans et il est totalement invalide. La preuve médicale indique qu’il souffre d’une forme atypique de paralysie cérébrale incurable. Son état s’est progressivement détérioré de sorte qu’aujourd’hui il ne peut ni parler, ni marcher, ni écrire, ni communiquer. Il ne peut satisfaire seul aucun de ses besoins et, depuis 1996 environ, il était confié aux soins du Saint Cross Center, un organisme catholique d’aide sociale œuvrant en Corée. Il ne fait aucun doute que Dong Jun serait interdit de territoire au Canada en application du paragraphe 38(1) et de l’article 42 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR).
[3]Le problème de la famille Lee provient de ce qu’en vertu de l’alinéa 42a) de la LIPR, l’interdiction de territoire dont Dong Jun est frappé entraîne prima facie leur propre interdiction de territoire. Il est clair que cette disposition vise notamment à empêcher qu’une personne puisse s’installer au Canada et parrainer par la suite un membre de sa famille qui serait autrement interdit de territoire parce que les soins qu’il nécessite entraîneraient un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé.
[4]La famille se trouvait donc dans une situation sans issue, empêchée de venir au Canada à cause d’un enfant interdit de territoire, lequel n’avait pas été inclus dans leur demande de résidence permanente et allait rester en Corée. Ce problème aurait pu être évité si l’agent des visas n’avait pas exigé que Dong Jun subisse un examen malgré l’opposition de sa famille, et il semble certainement possible pour les décideurs d’exercer judicieusement un certain pouvoir discrétionnaire de renonciation à l’exigence de l’examen dans les cas appropriés. La famille semble avoir bien perçu les conséquences juridiques de l’examen médical et elle a cherché sans succès à l’éviter. Si les vœux de la famille avaient été respectés, la conséquence juridique aurait consisté en l’impossibilité de parrainer ensuite l’admission de Dong Jun au Canada en tant qu’enfant à charge : paragraphes 117(9), (10) et (11) du Règlement.
[5]Lorsque l’agent des visas a évoqué l’interdiction de territoire, la famille a fait en sorte que Dong Jun soit adopté par sa tante, et le dossier indique que l’adoption légale a eu lieu. Toutefois, lorsque la famille a informé l’agent des visas de l’adoption, ce dernier a jugé qu’il ne s’agissait pas d’une adoption authentique et a conclu que la famille était interdite de territoire. Il va sans dire que cette regrettable situation n’avait pas lieu d’être, et il ne semble pas que cet acharnement procédural ait permis d’atteindre l’objet poursuivi par l’article 42 de la LIPR.
[6]La demande de contrôle judiciaire vise la décision d’interdire de territoire M. Lee et sa famille.
La décision faisant l’objet du contrôle
[7]La décision de ne pas accorder de visa de résidence permanente à M. Lee est exposée dans une lettre en date du 8 juin 2006 expédiée de l’ambassade du Canada à Séoul, en Corée. Voici les passages pertinents de cette lettre :
[traduction] Aux termes du paragraphe 38(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, un membre de votre famille, soit Dong Jun LEE (qui est atteint d’une déficience intellectuelle—degré non précisé), est une personne dont l’état de santé risque d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé. Les définitions pertinentes contenues dans le Règlement sont jointes aux présentes. Par conséquent, ce membre de votre famille est interdit de territoire pour motifs sanitaires.
Dans ma lettre du 23 mars 2006, je vous ai demandé d’autres renseignements ou documents pour faire suite à l’appréciation initiale. Nous avons reçu vos documents le 22 mai 2006, et ils ont fait l’objet d’un examen attentif, mais ils n’ont modifié en rien l’appréciation de l’état de santé du membre de votre famille; cette appréciation est maintenant définitive. En outre, je n’ai pas été convaincu que l’adoption est authentique, compte tenu de l’âge de votre fils et des faits en cause. Vous avez décidé de faire adopter votre fils pour contourner son interdiction de territoire, et j’estime qu’il s’agit d’une adoption de complaisance.
L’alinéa 42a) de la Loi énonce que, sauf pour une personne protégée, emporte interdiction de territoire pour inadmissibilité familiale l’interdiction de territoire frappant tout membre de la famille d’un étranger qui l’accompagne ou qui, dans les cas réglementaires, ne l’accompagne pas. Le membre de votre famille qui vous accompagne [sic] est interdit de territoire au Canada, en conséquence vous et les autres membres de votre famille êtes également interdits de territoire.
Les deux parties conviennent que les mots [traduction] « membre de la famille qui vous accompagne » procèdent d’une erreur typographique et que ce sont les mots « membre de la famille qui ne vous accompagne pas » qu’il faudrait lire.
[8]Les notes de l’agent des visas consignées dans le STIDI [Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration] renferment la justification lapidaire suivante de la décision :
[traduction] Après l’envoi de la lettre faisant état de nos réserves, l’intéressé décide alors de faire adopter son fils. Le fils—âgé de 32 ans—est adopté par sa tante.
Je ne suis pas/pas convaincu qu’il s’agit d’une adoption authentique, en raison des circonstances en cause et je crois que cela vise à éviter un refus.
Refusés pour interdiction de territoire pour motifs sanitaires.
Les questions en litige
[9](a) Quelle est la norme de contrôle applicable aux questions soulevées par le demandeur?
(b) Le refus d’accorder un visa au demandeur constitue‑t‑il une erreur susceptible de révision?
Analyse
[10]Je conviens que la norme de contrôle applicable aux décisions des agents des visas peut varier en fonction de la nature des questions soulevées. En l’espèce, je suis d’avis d’adopter l’analyse effectuée par mon collègue Yves de Montigny dans Ouafae c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 459 (aux paragraphes 18 à 20) :
La norme de contrôle applicable dans le cadre des décisions prises par les agents des visas ne fait pas l’unanimité et semble avoir donné lieu à des décisions en apparence contradictoires. Dans certains cas, on a retenu la norme de la décision raisonnable simpliciter (voir, entre autres, Yaghoubian c. Canada (M.C.I.), 2003 CFPI 615; Zheng c. Canada (M.C.I), IMM‑3809‑98; Lu c. Canada (M.C.I.), IMM‑414‑99). Dans d’autres décisions, on a plutôt opté pour la norme de la décision manifestement déraisonnable (voir notamment Khouta c. Canada (M.C.I .), 2003 C.F. 893; Kalia c. Canada (M.C.I.), 2002 CFPI 731).
Pourtant, si l’on y regarde de plus près, ces décisions ne sont pas irréconciliables. Si l’on en est arrivé à des conclusions différentes, c’est essentiellement parce que la nature de la décision faisant l’objet de révision par cette Cour peut varier selon le contexte. Ainsi, il va de soi que la norme de contrôle applicable à la décision discrétionnaire d’un agent des visas appelé à évaluer l’expérience d’un immigrant éventuel au regard d’une profession sera celle de la décision manifestement déraisonnable. Dans la mesure où la décision de l’agent repose sur un examen des faits, cette Cour n’interviendra pas à moins que l’on puisse démontrer que cette décision est fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire.
Par contre, il en ira autrement si la décision de l’agent des visas comporte l’application de principes généraux découlant d’une loi ou d’un règlement à des circonstances précises. Lorsque la décision repose sur une question mixte de droit et de fait, la Cour fera preuve d’une moins grande retenue et voudra s’assurer que la décision est tout simplement raisonnable.
[11]Les questions déterminantes en l’espèce sont des questions mixtes de fait et de droit, mais elles concernent principalement l’application de dispositions législatives et réglementaires à des faits qui sont en grande partie non contestés. Je conclus donc que la norme applicable est celle de la décision raisonnable simpliciter.
[12]Pour évaluer le caractère raisonnable d’une décision, il est nécessaire d’examiner le cadre législatif et réglementaire dans lequel elle s’inscrit. La lettre faisant état de la décision mentionne l’alinéa 42a) de la LIPR. Voici le texte de cette disposition :
42. Emportent, sauf pour le résident permanent ou une personne protégée, interdiction de territoire pour inadmissibilité familiale les faits suivants :
a) l’interdiction de territoire frappant tout membre de sa famille qui l’accompagne ou qui, dans les cas réglementaires, ne l’accompagne pas; [Non souligné dans l’original.]
En l’espèce, Dong Jun a toujours été désigné comme membre de la famille non accompagnant, de sorte qu’il faut se tourner vers l’article 23 du Règlement pour déterminer si son invalidité entraînait l’interdiction de territoire de sa famille. Voici le texte de cette disposition réglementaire :
23. Pour l’application de l’alinéa 42a) de la Loi, l’interdiction de territoire frappant le membre de la famille de l’étranger qui ne l’accompagne pas emporte interdiction de territoire de l’étranger pour inadmissibilité familiale si :
a) l’étranger a fait une demande de visa de résident permanent ou de séjour au Canada à titre de résident permanent;
b) le membre de la famille en cause est, selon le cas :
(i) l’époux de l’étranger, sauf si la relation entre celui‑ci et l’étranger est terminée, en droit ou en fait,
(ii) le conjoint de fait de l’étranger,
(iii) l’enfant à charge de l’étranger, pourvu que celui‑ci ou un membre de la famille qui accompagne celui‑ci en ait la garde ou soit habilité à agir en son nom en vertu d’une ordonnance judiciaire ou d’un accord écrit ou par l’effet de la loi,
(iv) l’enfant à charge d’un enfant à charge de l’étranger, pourvu que celui‑ci, un enfant à charge de celui‑ci ou un autre membre de la famille qui accompagne celui‑ci en ait la garde ou soit habilité à agir en son nom en vertu d’une ordonnance judiciaire ou d’un accord écrit ou par l’effet de la loi. [Non souligné dans l’original.]
Une autre disposition du Règlement s’applique en l’espèce. Il s’agit de l’article 4 [mod. par DORS/2004-167, art. 3(A)] , concernant les adoptions et les mariages de mauvaise foi :
4. Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait, le partenaire conjugal ou l’enfant adoptif d’une personne si le mariage, la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux ou l’adoption n’est pas authentique et vise principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la Loi.
[13]Il ressort clairement de la décision rendue par l’agent des visas qu’il a jugé que l’adoption de Dong Jun par sa tante n’était pas authentique. On peut présumer que la décision était fondée sur l’article 4 du Règlement. Je conviens avec le défendeur que cette disposition vise tous les cas d’adoption en rapport avec la LIPR et qu’il était approprié en l’espèce d’en tenir compte en conjonction avec les facteurs prévus à l’article 23 du Règlement. À cet égard, je souscris à l’analyse faite par mes collègues dans les décisions Gavino c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 308 et Gal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1771, lesquelles ont confirmé que l’article 4 s’appliquait dans des affaires comme la présente espèce et des affaires semblables. Toutefois, je ne suis pas d’avis que cet article écarte l’application de l’article 23 ou l’emporte sur lui; il est donc nécessaire de tenir compte des deux dispositions pour établir si l’article 42 entraîne l’interdiction de territoire.
[14]Bien que l’article 4 puisse s’appliquer à toute adoption susceptible d’examen en application de la LIPR, encore faut‑il l’appliquer correctement. Cette disposition établit un critère conjonctif servant à déterminer si l’on a affaire à une véritable adoption, lequel exige que l’adoption vise principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la Loi et qu’elle ne soit pas authentique. La première exigence est à n’en pas douter remplie puisqu’il appert du dossier que Dong Jun a été adopté pour que la demande de résidence permanente de la famille se présente sous un meilleur jour. Il n’y a rien à redire en soi à une démarche visant à améliorer les chances d’une demande de résidence permanente, si elle se fait sans dissimulation et si elle est authentique. En l’espèce, le défendeur ayant fait preuve d’une grande rigidité à l’égard de la demande de M. Lee, ce dernier a en conséquence cherché une façon de réaliser son objectif d’installer sa famille—à l’exception de Dong Jun—au Canada. Il n’a rien caché au défendeur, pas même la raison de l’adoption.
[15]Le laconisme de la décision de l’agent des visas fait qu’il est très difficile de savoir quels facteurs il a pris en considération dans son application de l’article 4 à la demande de M. Lee. Il est indéniable qu’il s’agissait d’une adoption de complaisance, mais la conclusion de l’agent des visas selon laquelle elle n’était pas « authentique » n’est étayée que par la mention que Dong Jun avait 32 ans. S’agissant d’une personne institutionnalisée et souffrant d’une invalidité totale, l’âge prend figure de facteur secondaire. Il est autrement plus important de savoir qui s’occupe en fait de Dong Jun, quelles mesures ont été prises pour sa garde, quels sont ses rapports avec la tante qui l’a adopté et si l’adoption est juridiquement valide. Rien dans la décision de l’agent des visas n’indique qu’il ait tenu compte de ces éléments et, détail qui a aussi son importance, il appert qu’il n’a pas suivi les lignes directrices du ministère ([Guide de traitement des demandes à l’éranger (OP)], chapitre OP 3, article 7.8), suivant lesquelles il doit « expliquer clairement » les motifs de telles décisions. Ces lignes directrices recommandent aussi qu’il y ait entrevue lorsque l’authenticité d’une adoption suscite des doutes. Or rien au dossier n’indique que M. Lee ait été mis au courant des préoccupations de l’agent des visas et ait eu la possibilité de s’exprimer à ce sujet. Il n’est pas nécessaire en l’espèce que je détermine si cette omission constitue un manquement à l’obligation d’équité comme dans Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1372, mais c’est un facteur qu’il faut prendre en considération pour établir si la décision survit au contrôle judiciaire.
[16]Par contre, l’omission de l’agent des visas de prendre expressément en compte la portée juridique de l’article 23 du Règlement me préoccupe davantage. Que l’adoption de Dong Jun soit conforme ou non à l’article 4 ne joue pas sur la question de savoir si la famille est néanmoins admissible au Canada parce que d’autres mesures de garde valides ont été prises à son égard en Corée. On peut présumer que la famille aurait pu parvenir à ses fins en obtenant une ordonnance judiciaire de garde ou en concluant un accord de garde ayant force exécutoire avec la tante de Dong Jun.
[17]L’article 23 vise manifestement à prévenir le genre de problème qui se pose lorsque, comme en l’espèce, un enfant est laissé au pays sous la garde et les soins légaux d’une autre personne. La teneur de la décision rendue en l’espèce ne me convainc pas que l’agent des visas a tenu compte des effets de l’article 23 et a examiné, plus particulièrement, si les mesures relatives à la garde de Dong Jun en Corée permettaient d’éviter l’application de cette disposition. Cette analyse requiert plus que l’examen de la légalité ou du but d’une adoption—encore que si l’adoption était légale en Corée, cela seul suffirait probablement à éviter l’application de l’article 23, quel que soit le but de l’adoption. Il en est ainsi parce que si le soin et la garde de Dong Jun sont passés de ses parents à sa tante ou, même, à l’établissement où il vit, les causes d’interdiction de territoire prévues par le règlement cessent de s’appliquer à sa famille. D’ailleurs, il est un peu étrange que le ministère ait mis en doute les mesures prises parce que toute tentative postérieure de la famille d’en invoquer l’invalidité pour des fins d’immigration donnerait presque certainement lieu à l’application des règles de préclusion.
[18]Puisque l’agent des visas n’a pas exposé clairement les dispositions législatives et réglementaires qu’il était tenu d’appliquer à la demande, et compte tenu de la faiblesse du fondement factuel sous‑jacent à sa conclusion, je conclus que sa décision est déraisonnable et qu’elle ne peut être maintenue.
[19]L’affaire sera renvoyée à un autre décideur pour qu’il la réexamine au fond. Compte tenu du temps écoulé, il faudra donner à M. Lee la possibilité de mettre sa demande à jour et de présenter des éléments de preuve additionnels en relation avec la question de l’admissibilité.
[20]Le défendeur aura sept jours à compter de la date du présent jugement pour soumettre une question à certifier, et le demandeur aura trois jours, ensuite, pour présenter sa réponse.
JUGEMENT
LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :
La demande est accueillie et l’affaire est renvoyée pour réexamen au fond par un autre décideur.
Le défendeur aura sept jours à compter de la date du présent jugement pour soumettre une question à certifier, et le demandeur aura trois jours, ensuite, pour présenter sa réponse.