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IMM‑204‑07

2007 CF 712

Christopher Joel Smith (demandeur)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)

Répertorié : Smith c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (C.F.)

Cour fédérale, juge Gibson—Toronto, 28 mai; Ottawa, 6 juillet 2007.

Citoyenneté et Immigration — Exclusion et renvoi — Renvoi de résidents permanents — Le demandeur, un résident permanent souffrant de schizophrénie qui a accumulé un lourd casier judiciaire au Canada, a été déclaré interdit de territoire et une mesure de renvoi a été prise à son endroit — La requête en vue d’obtenir un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi et la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel de l’immigration ont toutes deux été rejetées, et le demandeur a été renvoyé à la Jamaïque — Le demandeur sollicitait l’annulation ou la modification de ces ordonnances en vertu des règles 399(2) et (3) des Règles des Cours fédérales — La preuve par affidavit dont disposait le juge saisi de la requête en vue d’obtenir un sursis indiquait que le demandeur serait transporté à l’hôpital à son arrivée à la Jamaïque — Le fait que cela n’a pas été accompli constituait des faits nouveaux au sens de la règle 399(2)a) et justifiait l’annulation des décisions rendues relativement à la demande d’autorisation et la requête en vue d’obtenir un sursis — La Cour a ordonné que le demandeur revienne au Canada.

Pratique — Jugements et ordonnances — Annulation ou modification — Requête présentée suivant les règles 399(2) et (3) des Règles des Cours fédérales en vue d’obtenir l’annulation ou la modification de l’ordonnance refusant de surseoir à l’exécution de la mesure de renvoi prise à l’endroit du demandeur et de l’ordonnance rejetant la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire — La preuve par affidavit dont disposait le juge saisi de la requête en vue d’obtenir un sursis indiquait que le demandeur, qui souffre de schizophrénie, serait transporté à l’hôpital à son arrivée à la Jamaïque — Les agents qui escortaient le demandeur ont omis de s’assurer que le demandeur avait effectivement été transporté — Suivant la règle 399(2)a), la Cour peut annuler une ordonnance lorsque des faits nouveaux sont survenus ou ont été découverts après que l’ordonnance a été rendue — L’omission de transporter le demandeur à l’hôpital relève de la règle 399(2)a) — L’ordonnance rejetant la demande d’autorisation a été annulée puisque la décision aurait été différente à la lumière de ces faits nouveaux — N’eût été de la preuve par affidavit, la requête en vue d’obtenir un sursis aurait pu être accueillie — L’ordonnance refusant le sursis a été annulée et le renvoi a été invalidé — La Cour a ordonné que le demandeur revienne au Canada en application de la règle 399(3) — Requête accueillie.

Il s’agissait d’une requête présentée suivant les paragraphes 399(2) et (3) des Règles des Cours fédérales en vue d’obtenir l’annulation ou la modification de l’ordonnance rendue par le juge suppléant Lagacé, qui a refusé de surseoir à l’exécution de la mesure de renvoi prise à l’endroit du demandeur, et de l’ordonnance du juge Gibson, qui a rejeté la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel de l’immigration.

Le demandeur, un résident permanent de citoyenneté jamaïcaine qui souffre de schizophrénie, a accumulé un lourd casier criminel au Canada et, en conséquence, on a conclu qu’il était interdit de territoire pour criminalité. Une mesure de renvoi a été prise à son endroit. Le demandeur a interjeté appel de la mesure de renvoi et il a obtenu un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi prise contre lui. Cependant, il a par la suite été déclaré coupable d’une autre infraction et, par conséquent, la Section d’appel de l’immigration a annulé le sursis à son renvoi en application de la loi et a mis fin à son appel. Le demandeur a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision, et a présenté une requête en vue d’obtenir un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi dont il a été frappé jusqu’à ce que soit rendue la décision à l’égard de cette demande. La requête et la demande ont toutes deux été rejetées, et le demandeur a été renvoyé. La requête en cause en l’espèce visait l’annulation ou la modification de ces décisions.

Jugement : la requête doit être accueillie.

Suivant l’alinéa 399(2)a) des Règles, la Cour peut modifier ou annuler une ordonnance lorsque « des faits nouveaux sont survenus ou ont été découverts après que l’ordonnance a été rendue ». Le défendeur a déposé un affidavit auprès du juge suppléant Lagacé prévoyant qu’à l’arrivée du demandeur à la Jamaïque, celui‑ci serait transporté de l’aéroport à l’hôpital public de Kingston. L’omission des agents qui escortaient le demandeur de s’être assurés que le demandeur avait effectivement été transporté constituait des « faits nouveaux » au sens de l’alinéa 399(2)a) qui ont été portés à l’attention de la Cour en temps opportun. L’ordonnance rejetant la demande d’autorisation du demandeur n’aurait pas été rendue si la Cour avait eu connaissance de ces faits nouveaux. La demande aurait plutôt été mise en attente jusqu’à ce que la question se rapportant à l’ordonnance du juge suppléant Lagacé ait été réglée. L’ordonnance rejetant la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire du demandeur a donc été annulée.

Le fait que, selon la preuve par affidavit, le demandeur devait être transféré à l’hôpital public de Kingston à son arrivée à la Jamaïque peut fort bien avoir été un facteur qui a mené le juge suppléant Lagacé à conclure que le demandeur ne subirait pas de préjudice irréparable s’il était renvoyé. L’absence d’un préjudice irréparable constituait une conclusion déterminante quant à la requête en vue d’obtenir un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi du demandeur. N’eût été de cette preuve par affidavit, la requête aurait bien pu être accueillie. Pour ces motifs, l’ordonnance rendue par le juge suppléant Lagacé a été annulée et la requête en vue d’obtenir un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi a été rétablie. L’annulation de l’ordonnance du juge suppléant Lagacé avait pour effet d’invalider le renvoi du demandeur. La Cour a donc ordonné, en application du paragraphe 399(3) des Règles, que le demandeur revienne au Canada aux frais du défendeur, sous réserve de la transmission, par le demandeur, d’un avis écrit satisfaisant indiquant qu’il souhaitait toujours revenir au Canada, qu’il comprenait les conséquences de son retour et qu’il était disposé à se soumettre aux conditions de surveillance pendant toute la durée de son retour.

lois et règlements cités

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 18.2 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 28).

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 36(1), 68(4).

Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, règles 1 (mod. par DORS/2004‑283, art. 2), 399(2),(3), tarif B (mod., idem, art. 30, 31, 32), colonne V.

jurisprudence citée

décision différenciée :

Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 1 C.F. 286 (1re inst.).

décisions examinées :

Smith c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] D.S.A.I. no 16 (QL); Smith c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] D.S.A.I. no 16 (QL); Ayangma c. Canada, 2003 CAF 382; Cie pharmaceutique Procter & Gamble Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2003 CF 911; Cassells c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), IMM‑3316‑98, la juge Sharlow, jugement en date du 16‑6‑99, C.F. 1re inst. et [1999] A.C.F. no 1155 (1re inst.) (QL); conf. par [2000] A.C.F. no 1879 (C.A.) (QL).

décisions citées :

Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Forde, [1997] A.C.F. no 310 (C.A.) (QL); Young c. Young, [1993] 4 R.C.S. 3.

REQUÊTE en vue d’obtenir l’annulation ou la modification d’ordonnances de la Cour fédérale refusant la requête en vue d’obtenir un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi du demandeur et rejetant une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. Requête accueillie.

ont comparu :

Mary L. F. Lam pour le demandeur.

Martin E. Anderson et Kareena R. Wilding pour le défendeur.

avocats inscrits au dossier :

Mary L. F. Lam, Toronto, pour le demandeur.

Le sous‑procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Gibson :

INTRODUCTION

[1]Les présents motifs font suite à l’audience tenue à Toronto le lundi 28 mai 2007 à l’égard d’une requête présentée suivant les paragraphes 399(2) et (3) des Règles des Cours fédérales1 (les Règles) en vue d’obtenir l’annulation ou la modification de deux ordonnances rendues par la Cour.

[2]Les ordonnances en cause sont les suivantes : une ordonnance rendue par l’honorable Maurice E. Lagacé, juge suppléant, le 4 avril 2007, rejetant une requête présentée au nom du demandeur en vue d’obtenir un sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi prise à son endroit et mon ordonnance, datée du 16 avril 2007, dans laquelle j’ai déclaré ce qui suit :

[traduction] La prorogation de délai pour le dépôt de la demande est refusée. Si une prorogation de délai pour le dépôt de la demande était accordée, l’autorisation serait rejetée. La présente demande d’autorisation et de contrôle judiciaire est rejetée.

La demande principale d’autorisation et de contrôle judiciaire mentionnée dans mon ordonnance visait à obtenir le contrôle judiciaire d’une décision rendue par un membre de la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, décision qui est datée du 20 septembre 2006 et que le demandeur aurait apparemment reçue vers le 15 octobre 2006. La demande d’autorisation et de contrôle judiciaire a été déposée le 15 janvier 2007.

[3]Dans des observations écrites déposées au nom du demandeur à l’égard de la requête en cause en l’espèce, on demande les redressements suivants :

[traduction] 1. Que la décision du 4 avril 2007 par laquelle le sursis au renvoi a été refusé soit modifiée de façon à ce que le sursis soit accordé.

2. Que le ministre supporte tous les coûts et fasse tous les efforts nécessaires pour que M. Smith revienne au Canada sans délai.

3. Que la décision du 1[6] avril 2007 par laquelle la demande d’autorisation a été rejetée soit modifiée de façon à ce que la demande d’autorisation se poursuive.

4. Que les dépens d’un montant de 25 000 $, la TPS et les débours compris, soient adjugés sur une base avocat‑client.

[4]Les paragraphes 399(2) et (3) des Règles sont rédigés comme suit :

399. [. . .]

(2) La Cour peut, sur requête, annuler ou modifier une ordonnance dans l’un ou l’autre des cas suivants :

a) des faits nouveaux sont survenus ou ont été découverts après que l’ordonnance a été rendue;

b) l’ordonnance a été obtenue par fraude.

(3) Sauf ordonnance contraire de la Cour, l’annulation ou la modification d’une ordonnance en vertu des paragraphes (1) ou (2) ne porte pas atteinte à la validité ou à la nature des actes ou omissions antérieurs à cette annulation ou modification. [Non souligné dans l’original.]

Le demandeur n’a pas allégué devant la Cour que l’alinéa 399(2)b) des Règles a quelque application quant aux faits de la présente affaire.

LE CONTEXTE

[5]Le demandeur est citoyen de la Jamaïque. Il est entré au Canada à titre de résident permanent il y a environ 19 ans. Il a de nombreux liens familiaux au Canada. Il a très peu de liens familiaux à la Jamaïque. Il a eu un diagnostic de schizophrénie (hvtg). Pendant qu’il était au Canada, et apparemment en raison de sa maladie, il a accumulé un lourd casier judiciaire. On a conclu qu’il était interdit de territoire pour criminalité suivant le paragraphe 36(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés2 (la Loi) et une mesure de renvoi a été prise à son endroit.

[6]Le demandeur a interjeté appel de la mesure de renvoi prise à son endroit auprès de la Section d’appel de l’immigration précédemment mentionnée. La Section d’appel de l’immigration a accordé au demandeur un sursis à son renvoi [[2005] D.S.A.I. no 16 (QL)]. Le demandeur a par la suite été déclaré coupable d’une autre infraction visée par le paragraphe 36(1) de la Loi et, par conséquent, conformément au paragraphe 68(4) de la Loi, le sursis à son renvoi a été annulé en application de la loi.

[7]Le défendeur a présenté une demande visant à ce que soient reconnues la nullité du sursis accordé au demandeur et celle de son appel interjeté auprès de la Section d’appel de l’immigration. En réponse, le demandeur a déposé un avis de question constitution-nelle devant la Section d’appel de l’immigration invoquant que le paragraphe 68(4) de la Loi porte atteinte aux droits garantis par la Charte3 et il a soutenu avec insistance qu’il devrait obtenir une dispense constitutionnelle d’application de ce paragraphe. La Section d’appel de l’immigration [[2006] D.S.A.I. no 103 (QL)] a conclu qu’elle n’avait pas compétence pour trancher une contestation visant la Charte.

[8]Le défendeur a entamé le processus de renvoi du demandeur du Canada. Le demandeur a déposé une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR). On l’a informé le 20 décembre 2006 que sa demande d’ERAR avait été rejetée. On l’a de nouveau informé du rejet de sa demande le 29 mars 2007.

[9]Le 15 janvier 2007, le demandeur a déposé la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel de l’immigration qui sous‑tend la requête en cause en l’espèce. Jusqu’à maintenant, aucune demande de contrôle judiciaire n’a été présentée à l’égard de la décision défavorable rendue quant à l’ERAR se rapportant au demandeur. Le renvoi du demandeur du Canada était prévu pour le 5 avril 2007. Le 30 mars, le demandeur a demandé que son renvoi soit reporté. Sa demande de report a été rejetée. Le demandeur a déposé devant la Cour une requête en vue d’obtenir un sursis à son renvoi du Canada jusqu’à ce que soit rendue la décision à l’égard de sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire sous‑tendant la présente requête. L’ordonnance par laquelle le juge suppléant Lagacé a refusé un sursis en a résulté.

[10]Peu après, et à la suite du renvoi du demandeur le 5 avril, j’ai rendu mon ordonnance refusant une prorogation de délai pour déposer la demande principale d’autorisation et de contrôle judiciaire et rejetant, par conséquent, la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire.

LE MOTIF AU SOUTIEN DE LA REQUÊTE DEVANT LA COUR

[11]À l’égard de la requête présentée à la Cour qui a mené à l’ordonnance du juge suppléant Lagacé, le défendeur a déposé un affidavit d’une technicienne juridique de la Section du droit de l’immigration du Bureau régional de l’Ontario du ministère de la Justice, laquelle déclare ce qui suit :

[traduction]

23. Le 3 avril 2007, j’ai parlé personnellement à Amit Soin, l’agent d’exécution, en rapport avec cette affaire. M. Soin m’a informée, et j’ai tous les motifs de le croire, que les dispositions suivantes ont été prises. À l’arrivée du demandeur à Kingston à la Jamaïque, [il, M. Smith] sera transporté de l’aéroport au service des urgences de l’hôpital public de Kingston, sur North Street, où le Dr Reed le recevra en consultation. [Non souligné dans l’original.]

L’audience devant le juge suppléant Lagacé a eu lieu le lendemain de la discussion entre la technicienne juridique et M. Soin et la veille du renvoi du demandeur à la Jamaïque.

[12]Les circonstances entourant le renvoi du demandeur et les événements qui ont immédiatement suivi son arrivée, sous escorte, à la Jamaïque, se révèlent différents des dispositions prises selon ce qu’avait déclaré la technicienne juridique. En fait, lorsque le demandeur est arrivé à la Jamaïque, il avait une provision de médicaments d’ordonnance pour le traitement de sa schizophrénie pour quatre jours. On l’a informé qu’il avait un rendez‑vous avec un médecin à l’hôpital public de Kingston, on lui a donné suffisamment d’argent pour payer une course en taxi jusqu’à cet hôpital et on lui a dit de s’y rendre. Il a apparemment dit aux agents qui l’escortaient qu’il était citoyen jamaïcain, qu’ils étaient maintenant à la Jamaïque et qu’ils n’avaient pas autorité sur lui. Les agents qui l’escortaient ont informé les autorités jamaïcaines de l’aéroport de l’état de santé du demandeur et du fait qu’il avait un rendez‑vous à l’hôpital public de Kingston et ils leur ont demandé d’assister le demandeur pour qu’il respecte ce rendez‑vous.

[13]Les agents qui escortaient le demandeur sont revenus au Canada très rapidement. Le demandeur ne s’est pas présenté à son rendez‑vous et ne s’est présenté à l’hôpital public de Kingston que plusieurs jours après son arrivée à la Jamaïque et après que sa provision de médicaments d’ordonnance aurait été épuisée s’il avait pris ses médicaments de la façon prescrite.

[14]Dans un affidavit déposé quant à la présente requête, Amit Soin, l’agent d’exécution à qui la technicienne juridique déclare avoir parlé, confirme que la technicienne juridique et lui ont eu une conversation, mais il nie que, au moment de cette conversation, des dispositions avaient été arrêtées à l’égard du renvoi du demandeur à la Jamaïque, et il nie en particulier avoir dit à la technicienne juridique que le demandeur [traduction] « serait “transporté” de l’aéroport au service des urgences de l’hôpital public de Kingston », avec comme conséquence, selon ce que je comprends de ces mots, que le transport serait fait en compagnie et sous la supervision d’autres personnes.

[15]L’ensemble de la preuve dont dispose la Cour dans la présente requête m’amène à conclure que les agents qui escortaient le demandeur à Kingston, à la Jamaïque, savaient que le comportement du demandeur, en raison de son état de santé, et particulièrement lorsqu’il ne prenait pas les médicaments en conformité avec son ordonnance, pouvait être erratique, incertain et dangereux pour lui et autrui.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[16]Je suis d’avis que les questions en litige soumises à la Cour peuvent être résumées de la façon suivante :

1. Si la requête visant l’annulation ou la modification de mon ordonnance par laquelle j’ai rejeté la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire n’est pas accueillie, la Cour a‑t‑elle compétence pour annuler ou modifier l’ordonnance par laquelle le juge suppléant Lagacé a refusé un sursis au renvoi?

2. Quel est le critère applicable à l’exercice de la compétence suivant le paragraphe 399(2) des Règles, et en particulier suivant l’alinéa 399(2)a) des Règles?

3. Y a‑t‑il devant la Cour des faits nouveaux qui sont survenus ou qui ont été découverts après que chacune des ordonnances a été rendue qui justifieraient l’annulation ou la modification de l’une ou l’autre ou de ces deux ordonnances?

4. Si l’une ou l’autre des ordonnances en cause ou les deux sont annulées ou modifiées, cette annulation ou cette modification touche‑t‑elle à la « validité ou à la nature » du renvoi du demandeur le 5 avril 2007?

5. Quel redressement, s’il y a lieu, notamment un redressement de la nature de dépens, est‑il justifié?

L’ANALYSE

1) Compétence

[17]L’article 18.2 [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 28] de la Loi sur les Cours fédérales [L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod., idem, art. 14)] est rédigé comme suit :

18.2 La Cour fédérale peut, lorsqu’elle est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, prendre les mesures provisoires qu’elle estime indiquées avant de rendre sa décision définitive.

[18]L’avocat du défendeur soutient avec insistance que, suivant l’article précédemment mentionné, un redressement intérimaire ne peut être accordé que si une demande de contrôle judiciaire, dans la présente affaire une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, est en instance4. Selon les faits de la présente affaire, si la demande de contrôle judiciaire qui sous‑tend la requête visant un sursis au renvoi qui a entraîné l’ordonnance du juge suppléant Lagacé en cause en l’espèce est rejetée par mon ordonnance du 16 avril, cela ne sert à rien d’annuler ou de modifier une ordonnance dans le contexte d’une procédure qui n’est plus en instance devant la Cour.

[19]J’accepte sans réserve les observations de l’avocat du défendeur selon lesquelles, dans la présente requête, si mon ordonnance qui rejette la demande principale d’autorisation et de contrôle judiciaire n’est pas elle‑même annulée ou modifiée, je n’ai pas compétence suivant la règle 399 pour annuler ou modifier l’ordonnance du 4 avril 2007 rendue par le juge suppléant Lagacé.

2) Le critère applicable à l’exercice de la compétence suivant le paragraphe 399(2) et en particulier suivant l’alinéa 399(2)a) des Règles

[20]Dans l’arrêt Ayangma c. Canada5, le juge Pelletier, au nom de la Cour, a écrit ce qui suit aux paragraphes 2 et 3 :

Suivant l’alinéa 399(2)a), la Cour peut annuler ou modifier une ordonnance lorsque :

des faits nouveaux sont survenus ou ont été découverts après que l’ordonnance a été rendue.

Selon la jurisprudence, trois conditions doivent être réunies pour que la Cour puisse faire droit à une telle requête :

[traduction]

1-les éléments découverts depuis peu doivent constituer des « faits nouveaux » au sens de l’alinéa 399(2)a);

2-les  « faits nouveaux » ne doivent pas être des faits nouveaux que l’intéressé aurait pu découvrir avant que l’ordonnance ne soit rendue en faisant preuve de diligence raisonnable;

3-les « faits nouveaux » doivent être de nature à exercer une influence déterminante sur la décision en question.

Dans l’extrait ci‑dessus, et en particulier dans la troisième condition, le juge Pelletier dit que les « faits nouveaux » en question doivent être de nature à « exercer une influence déterminante » sur la décision en question. Étant donné que l’ordonnance pour laquelle on tente d’obtenir l’annulation ou la modification peut, comme en l’espèce à l’égard d’une des ordonnances, avoir été rendue par un autre juge que celui qui examine la requête, je n’interprète pas les mots « exercer une influence déterminante » comme des mots de nature concluante, mais plutôt comme des mots de nature conditionnelle comme dans l’expression « peut exercer une influence déterminante ».

[21]Dans la décision Cie pharmaceutique Procter & Gamble Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé)6, ma collègue la juge Snider a écrit ce qui suit [au paragraphe 16] :

Pour satisfaire au premier volet du critère, P&G doivent me convaincre qu’il y a de nouveaux faits. L’expression « nouveaux faits » a un sens large et peut englober autre chose que des éléments de preuve nouveaux [. . .] « Nouveaux faits » s’entend d’un élément du redressement demandé plutôt que d’un argument présenté au tribunal [. . .] Les nouveaux faits doivent être pertinents aux faits qui sont à l’origine de l’ordonnance initiale [. . .] [Références omises.]

3) Faits nouveaux qui sont survenus ou qui ont été découverts après que l’ordonnance en cause a été rendue

a) Mon ordonnance rejetant la demande principale d’autorisation et de contrôle judiciaire

[22]Les « faits nouveaux » qui seraient survenus ou auraient été découverts après qu’a été rendue mon ordonnance rejetant la demande principale d’autorisation et de contrôle judiciaire, comme dans le cas de l’ordonnance du juge suppléant Lagacé refusant un sursis au renvoi, étaient l’omission des agents qui escortaient le demandeur, à leur arrivée à Kingston à la Jamaïque, de s’être assurés qu’il était [traduction] « transporté de l’aéroport au service des urgences de l’hôpital public de Kingston sur North Street, où il serait reçu en consultation par le Dr Reed ». Le fait qu’il n’a pas été ainsi « transporté » et qu’il ne s’est pas rendu, à l’insistance des agents qui l’escortaient depuis le Canada, à l’hôpital public de Kingston pour rencontrer le Dr Reed, n’était pas en cause devant la Cour. Je suis convaincu que cela constitue des « faits nouveaux » au sens de l’alinéa 399(2)a) des Règles. La question qui se pose ensuite est celle de savoir s’il était vraisemblable, ou même concevable, que le juge suppléant Lagacé, à l’égard de la question dont il était saisi, se soit appuyé sur un engagement contenu dans un affidavit. Relativement à mon ordonnance, la question doit être celle de savoir si, dans l’éventualité où j’avais eu connaissance de la question se rapportant à la preuve dont disposait le juge suppléant Lagacé, j’aurais néanmoins rendu la décision que j’ai rendue.

[23]Je conclus que la réponse à l’égard de mon ordonnance doit être que je n’aurais pas, du moins au moment où j’ai rendu mon ordonnance, rendu l’ordonnance que j’ai rendue. Plutôt, étant donné que je n’étais pas contraint par la loi de trancher la question d’autorisation dans la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire lorsque je l’ai fait, j’aurais été mieux de mettre en attente la question dont j’étais saisi, jusqu’à ce que la question se rapportant à l’ordonnance du juge suppléant Lagacé soit réglée. J’aurais ainsi préservé la compétence de la Cour de traiter de cette controverse, si nécessaire, et je n’aurais porté atteinte d’aucune façon au demandeur ou au défendeur.

[24]Je ne doute nullement que le membre connu de la famille du demandeur à la Jamaïque, ses parents au Canada et son avocate ici au Canada ont agi de façon diligente lorsqu’ils ont eu connaissance de la situation quant à la question du « transport » du demandeur à l’hôpital de Kingston. De même, je peux sans difficulté conclure que l’avocate du demandeur a porté la question à l’attention de la Cour en temps opportun lorsqu’elle en a eu connaissance, même si cela a été fait après mon ordonnance du 16 avril 2007.

[25]Dans la décision Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration)7, le juge Teitelbaum examinait une requête visant l’annulation d’une ordonnance rejetant une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire dans un cas où l’ordonnance avait été rendue sur le seul fondement que l’avocat ne comprenait pas et ne respectait pas les exigences procédurales. Le juge Teitelbaum a conclu ce qui suit [au paragraphe 40] :

[. . .] le  paragraphe  399(2)  n’a  pas  été  conçu  de  façon  à permettre la modification ou l’annulation d’un jugement définitif de la Cour parce que l’une des parties au jugement définitif a retenu les services d’un avocat qui, constate‑t‑on subséquemment, ne connaissait pas bien le droit ou les règles de pratique. [Non souligné dans l’original.]

En l’absence de compétence suivant la règle 399, le juge Teitelbaum a ensuite examiné la question de savoir s’il avait la compétence inhérente voulue pour néanmoins annuler l’ordonnance définitive en question. Il a écrit ce qui suit au paragraphe 44 de ses motifs :

Même si j’ai conclu que j’avais la compétence inhérente voulue pour examiner une question dans le domaine du droit de l’immigration en raison de la compétence exclusive que possède la Cour fédérale en matière d’immigration, je ne suis pas convaincu que j’ai compétence pour annuler ou modifier un jugement définitif de la Section de première instance de la Cour fédérale.

[26]Je suis d’avis que la décision Guzman est différente de la présente affaire. Le juge Teitelbaum a conclu que la requête dont il était saisi n’était pas visée par le paragraphe 399(2) des Règles. En l’absence de compétence suivant les Règles, il a conclu qu’il n’avait pas la compétence inhérente voulue supplémentaire à celle prévue par le paragraphe 399(2) des Règles. Comme il a été précédemment mentionné, selon les faits de la présente affaire, je suis convaincu que la requête dont je suis saisi à l’égard de mon ordonnance du 16 avril 2007 est carrément visée par le paragraphe 399(2) des Règles.

[27]Dans les circonstances, je conclus que je devrais annuler mon ordonnance du 16 avril 2007, en raison de faits nouveaux qui n’ont été découverts et portés de façon diligente à l’attention de la Cour qu’après que mon ordonnance a été rendue.

[28]Compte tenu de ma conclusion précédente, je suis convaincu que j’ai encore compétence pour examiner la question de savoir si l’ordonnance du juge suppléant Lagacé refusant un sursis au renvoi devrait être annulée ou modifiée étant donné que la demande principale d’autorisation et de contrôle judiciaire sera rétablie devant la Cour.

b) Faits nouveaux qui sont survenus ou qui ont été découverts après l’ordonnance du juge suppléant Lagacé

[29]Le juge suppléant Lagacé n’a énoncé aucun motif quant au rejet de la requête visant un sursis au renvoi du demandeur à la Jamaïque dont il était saisi. Selon le déroulement normal d’une telle requête, les questions à trancher sont celles de savoir si la demande principale d’autorisation et de contrôle judiciaire soulève une question sérieuse à trancher, laquelle question comporte un seuil peu élevé, si le demandeur subirait un préjudice irréparable du fait du renvoi envisagé, en tenant compte de toutes les circonstances de l’affaire, et si la prépondérance des inconvénients entre le défendeur et le demandeur milite en faveur du demandeur. Les trois facteurs sont conjonctifs, c’est‑à‑dire qu’il faut, pour que le demandeur ait gain de cause quant à une requête visant un sursis au renvoi, que les trois facteurs penchent en faveur du demandeur.

[30]Comme il a été mentionné précédemment, le premier point soumis au juge suppléant Lagacé était de savoir si la demande principale d’autorisation et de contrôle judiciaire soulevait une question sérieuse qui devait être tranchée en fonction d’un seuil peu élevé. J’ai par la suite rejeté la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire qui résultait d’un refus quant à la demande de prorogation de délai pour le dépôt de la demande. Cela dit, j’ai effectivement conclu que si une prorogation de délai était accordée, l’autorisation serait quand même refusée si la question qui m’était soumise quant à la demande d’autorisation était très semblable, mais non identique, au concept de « question sérieuse à trancher » dans une requête visant un sursis au renvoi. En l’absence de motifs quant à l’ordonnance du juge suppléant Lagacé, je vais tenir pour acquis qu’il peut avoir conclu qu’il y avait une question sérieuse à trancher, en fonction d’un seuil peu élevé, et qu’il aurait néanmoins rejeté la requête visant un sursis en se fondant sur la question critique du « préjudice irréparable » et en s’appuyant sur la preuve dont il disposait.

[31]La schizophrénie du demandeur, le fait qu’il dépend de médicaments d’ordonnance pour maîtriser ses changements d’humeur et les rapports entre ces changements d’humeur et le danger qu’il constitue non seulement pour le public mais également pour lui‑même, ont tous des incidences quant à la question du préjudice irréparable.

[32]Le juge suppléant Lagacé disposait des faits précédemment exposés et de la réponse quant au fait que le demandeur, à son arrivée à Kingston à la Jamaïque, serait transporté à l’hôpital pour rencontrer le Dr Reed qui serait en mesure de prescrire des médicaments appropriés pour maîtriser les changements d’humeur du demandeur et ses impulsions violentes en l’absence de tels médicaments.

[33]Bien que je ne puisse que faire des hypothèses à l’égard de l’incidence qu’une telle réponse a pu avoir sur l’analyse du juge suppléant Lagacé quant à la question du préjudice irréparable, il m’appert que je dois conclure qu’elle n’aurait pas été écartée et qu’elle aurait milité en faveur d’une conclusion selon laquelle le demandeur ne subirait pas un préjudice irréparable du fait d’être renvoyé à la Jamaïque, et ainsi, aurait présagé une décision défavorable au demandeur quant à un des trois facteurs à prendre en compte, si une décision défavorable au demandeur quant à ce facteur aurait en soi été déterminante à l’égard d’une décision de ne pas accorder un sursis au renvoi.

[34]Pour les brefs motifs précédemment énoncés, une fois de plus, je conclus que je devrais annuler l’ordonnance du juge suppléant Lagacé au motif que des faits nouveaux qui sont survenus ou qui ont été découverts après que son ordonnance a été rendue auraient bien pu conduire à une ordonnance différente.

[35]Je réponds aux préoccupations portant sur la diligence appropriée manifestée lors de la découverte du fait que le demandeur n’avait pas été « transporté » à l’hôpital à son arrivée à Kingston à la Jamaïque de la même manière que j’ai répondu à l’égard de mon ordonnance.

4) Effet sur la « validité ou la nature » du renvoi

[36]Le paragraphe 399(3) des Règles prévoit que, sauf ordonnance contraire de la Cour, l’annulation d’une ordonnance, comme j’ai décidé qu’il devrait y avoir en l’espèce, ne porte pas atteinte à la validité ou à la nature des actes ou omissions antérieurs à cette annulation, sauf s’il y a ordonnance contraire de la Cour.

[37]Je ne peux pas conclure qu’il y a quelque conséquence résultant de l’annulation de mon ordonnance, qui a rejeté la demande principale d’autorisation et de contrôle judiciaire, qui soit pertinente. Par contre, la conséquence résultant du renvoi du demandeur à la Jamaïque à la suite de l’ordonnance du juge suppléant Lagacé rejetant la requête visant un sursis au renvoi pourrait bien se révéler avoir été grave pour le demandeur, les membres de sa famille et les membres de sa collectivité à la Jamaïque. J’ai conclu que cette conséquence a bien pu être attribuable à un défaut d’exécuter ce que je considère être un engagement inclus dans l’affidavit d’une technicienne juridique déposé à l’égard de la requête dont était saisi le juge suppléant Lagacé. Dans ces conditions, même si le malentendu survenu entre la technicienne juridique et l’agent d’exécution à l’égard du déroulement des dispositions prises quant au renvoi du demandeur était, j’en suis convaincu, un simple malentendu innocent et certainement pas une fraude au sens de l’alinéa 399(2)b) des Règles, il m’appert que je dois conclure que l’annulation de l’ordonnance rejetant la requête visant un sursis au renvoi doit avoir pour effet d’invalider le renvoi du demandeur du Canada vers la Jamaïque.

[38]La seule décision faisant autorité à laquelle on m’a renvoyé à l’égard de l’exercice par la Cour de la compétence prévue au paragraphe 399(3) des Règles, dans un contexte d’immigration, était la décision Cassells c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)8 dans laquelle la juge Sharlow, maintenant juge à la Cour d’appel fédérale du Canada, a cité le juge Brockenshire de la Cour de l’Ontario (Division générale) qui traitait d’une question préliminaire dans la même affaire se rapportant à une expulsion du Canada d’un individu qui, comme le demandeur en l’espèce, était au Canada sans statut. Le juge Brockenshire est cité, en partie, quant à ce qui suit [au paragraphe 10] :

[traduction] Je ne doute pas que la Cour fédérale est la mieux placée pour trancher les affaires en matière d’immigration. Toutefois, le cas qui nous occupe n’est pas, selon moi, une affaire en matière d’immigration. Il s’agit de protéger le pouvoir des tribunaux, de tous les tribunaux, contre une usurpation par des fonctionnaires bien intentionnés.

[39]Bien que le contexte factuel dans l’affaire Cassells soit très différent du contexte factuel qui m’est présenté, je suis d’avis que la citation précédente est, en partie, pertinente. Le juge suppléant Lagacé était saisi d’une requête visant un report de l’exécution d’une mesure de renvoi. Bien qu’il ait rejeté cette requête, j’ai conclu en l’espèce qu’il aurait bien pu ne pas la rejeter n’eût été la preuve par affidavit, dont il disposait, d’une personne « bien intentionnée », fondée sur des renseignements fournis par une autre personne « bien intentionnée ». Par mon ordonnance qui suivra les présents motifs, je rétablirai la requête dont était saisi le juge suppléant Lagacé. Dans les faits, cette requête, par laquelle on tentait d’obtenir un sursis à l’exécution du renvoi du demandeur du Canada et qui aurait pu entraîner ce sursis, renaîtra et le renvoi du demandeur le 5 avril 2007 aurait pu équivaloir à une « usurpation » de la compétence de la Cour si la Cour avait eu à sa disposition des renseignements précis et complets à l’égard de ce qui se produirait, et en fait s’est produit, lors du renvoi du demandeur à la Jamaïque.

[40]Pour les motifs précédemment énoncés, sous réserve des conditions ci‑après décrites, je déclarerai que le renvoi du demandeur à la Jamaïque le 5 avril 2007 est invalide et j’ordonnerai que le demandeur revienne au Canada aux frais du défendeur.

5) Redressement

[41]Compte tenu de l’analyse précédemment effectuée, les deux ordonnances de la Cour dont je suis saisi, à savoir mon ordonnance du 16 avril 2007 refusant une prorogation de délai pour le dépôt de la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire du demandeur, déposée le 15 janvier 2007, et rejetant cette demande, et l’ordonnance du juge suppléant Lagacé, datée du 4 avril 2007, rejetant la requête du demandeur visant un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi prise à son endroit, seront annulées. La conséquence de l’annulation de mon ordonnance est de faire renaître la demande d’autorisa-tion et de contrôle judiciaire du demandeur qui sous‑ tend la présente requête. De même, la conséquence de l’annulation de l’ordonnance du juge suppléant Lagacé est de faire renaître la requête dont il était saisi. Peu d’effets résulteront du fait de faire renaître cette requête, voire aucun, compte tenu du renvoi du demandeur le 5 avril 2007, à moins que ce renvoi soit invalide conformément au paragraphe 399(3) des Règles.

[42]J’ai informé les avocats, à la fin de l’audition de la présente requête, que j’annulerais les ordonnances en cause et que, si le demandeur indiquait par écrit, de manière satisfaisante pour la Cour, qu’il souhaite quitter la Jamaïque pour revenir au Canada, qu’il comprend les conséquences de son retour au Canada et qu’il se soumettra aux conditions établies quant à son retour et quant à la supervision dont il doit faire l’objet pendant toute la durée de son retour, je déclarerais l’invalidité de son renvoi le 5 avril 2007 et j’ordonnerais qu’il revienne au Canada aux frais du défendeur. J’ai invité les avocats à déterminer si le demandeur souhaitait revenir au Canada dans de telles circonstances et, si oui, à fournir à la Cour un projet conjoint d’ordonnance à cet égard, si une entente pouvait être conclue.

[43]Dans un envoi par télécopieur reçu au bureau de la Cour fédérale à Toronto le 11 juin 2007, l’avocate du demandeur a fourni à la Cour une copie d’une lettre très informelle du demandeur, datée du 28 mai 2007, dans laquelle il exprime le souhait de revenir au Canada. Il ne mentionne aucunement le fait qu’il accepte de faire l’objet d’une supervision durant toute la durée de son retour ou le fait qu’il comprend les conséquences de son retour au Canada. L’envoi par télécopieur fait par l’avocate semble indiquer qu’il n’a pas été possible d’arriver à une entente quant aux conditions d’une ordonnance. Elle suggère qu’une ordonnance exigeant le retour du demandeur traite des éléments suivants :

[traduction]

1. qu’une copie du document de voyage d’urgence de M. Smith utilisé par le ministre pour son expulsion soit envoyée sans délai à l’avocate du demandeur afin que M. Smith puisse présenter une demande de passeport […];

2. que le ministre […] fournisse par écrit une demande pour ajouter aux présentes procédures toute autre partie selon ce qui est jugé indiqué;

3. que, puisque M. Smith a exprimé par écrit dans une lettre datée du 28 mai 2007 son intention de revenir au Canada, le ministre prenne des mesures pour réserver un billet pour que M. Smith revienne au Canada dans les 7 jours suivant la réception d’un document de voyage valide;

4. que le ministre coopère pleinement et qu’il délivre un PRT (permis de résident temporaire) ou tout autre document qui faciliterait le retour de M. Smith au Canada et qu’il renonce aux frais de traitement à cet égard;

5. que le ministre fournisse une escorte et une infirmière pour accompagner M. Smith lors de son voyage de retour au Canada, s’il l’estime nécessaire, et qu’il supporte tous les frais engagés à cet égard;

6. que le ministre paie toutes les dépenses liées au retour de M. Smith au Canada, par avion;

7. que le retour au Canada de M. Smith soit prévu au plus tard 30 jours après la réception d’un document de voyage valide;

Dans son envoi par télécopieur, l’avocate a en outre traité de la question des dépens.

[44]L’avocat du défendeur a répondu rapidement à la communication envoyée à la Cour par l’avocate du demandeur; il a mentionné qu’il avait encore des préoccupations à l’égard de la compréhension du demandeur quant aux conséquences de son retour au Canada et à l’égard des dispositions appropriées visant à assurer la sécurité de ceux qui voyageraient en même temps que le demandeur, la sécurité du demandeur lui‑même et celle des personnes que le défendeur mettrait à la disposition du demandeur pour l’escorter, si le demandeur doit revenir au Canada.

[45]Une téléconférence à laquelle devaient participer la Cour et les avocats a été prévue pour le 27 juin. Au cours de la période entre le moment où la date de la téléconférence a été fixée et le 27 juin, les négociations entre les avocats se sont poursuivies et, selon la Cour, ont entraîné une réduction importante des sujets de désaccords et de préoccupations. Il semblerait que la téléconférence elle‑même ait réduit les sujets de préoccupations.

[46]Par conséquent, sous réserve de la réception par la Cour d’un avis écrit qui la convaincra que le demandeur souhaite toujours revenir au Canada, qu’il comprend les conséquences de son retour et qu’il accepte de se conformer à une supervision durant toute la durée de son retour, une ordonnance suivant le paragraphe 399(3) des Règles sera rendue; cette ordonnance déclarera que le renvoi du demandeur du Canada vers la Jamaïque le 5 avril 2007 était invalide et exigera que le défendeur fasse revenir le demandeur au Canada selon des conditions qui, de façon générale, seront les suivantes :

- Premièrement, le demandeur et son avocate devront donner au défendeur une assurance raisonnablement fiable que le demandeur souhaite toujours revenir au Canada et qu’il comprend toutes les conséquences d’un tel retour, notamment qu’il n’aura pas de statut au Canada autre que celui qui pourrait lui être accordé seulement pour faciliter son retour, qu’à son arrivée au Canada il pourrait être détenu à la discrétion du défendeur et que la mesure d’expulsion à l’origine de son renvoi le 5 avril 2007 demeure en vigueur à moins que, ou jusqu’à ce que, une ordonnance à l’effet contraire soit rendue9;

- deuxièmement, le demandeur et son avocate devront donner au défendeur une opinion et une assurance le convainquant que seront en sécurité ceux qui voyageront en même temps que le demandeur ainsi que le demandeur et toute personne que le défendeur mettra à sa disposition pour l’escorter au cours de son voyage au Canada;

- finalement, tous les frais et toutes les dépenses acceptables, notamment les droits et les déboursés se rapportant à la délivrance d’un permis de résident temporaire pour faciliter la rentrée du demandeur au Canada, raisonnablement liés au retour du demandeur au Canada, devront être supportés par le défendeur.

[47]L’avocat du défendeur a demandé que le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile soit ajouté à titre de défendeur dans la présente requête. L’avocate du demandeur ne s’oppose pas à la demande à cet égard. De façon certaine, en particulier compte tenu de l’ordonnance exigeant le retour du demandeur, sous réserve de conditions, et compte tenu du fait que le renvoi du demandeur le 5 avril 2007 a été effectué au nom du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, la Cour est d’avis que la demande de l’avocat du défendeur est justifiée. La Cour rendra une ordonnance à cet effet.

[48]Finalement, comme il a été précédemment mentionné dans les présents motifs, l’avocate du demandeur a demandé les dépens sur une base avocat‑client, non seulement ceux se rapportant à la présente requête, mais également les dépens pour [traduction] « tous les services rendus du 5 avril 2007 jusqu’à ce que [le demandeur] revienne au Canada ».

[49]De façon générale, les dépens sur une base avocat‑client ne sont adjugés que s’il y a eu une conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante d’une des parties10. En l’espèce, la preuve dont dispose la Cour n’établit pas que le défendeur a eu une telle conduite. Comme il a été précédemment mentionné, même si la Cour a été induite en erreur quant aux dispositions prises pour le renvoi du demandeur à la Jamaïque au moment où une requête visant à obtenir un sursis à l’exécution de ce renvoi était en instance devant la Cour, la preuve dont dispose la Cour établit que cela s’est produit par inadvertance ou en raison d’un malentendu qui résultait d’une conversation télépho-nique sur laquelle s’est fondé l’auteur de l’affidavit présenté par le défendeur quant à la requête, puisque le défendeur a disposé d’une très courte période pour se préparer quant à la requête visant un sursis. Même s’il était possible au défendeur d’accorder un court report administratif quant au renvoi afin de permettre une réponse plus réfléchie quant à la requête visant un sursis, l’omission du défendeur d’avoir accordé un tel report n’équivaut certainement pas à une conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante. Cependant, elle justifie une certaine reconnaissance quant à la question des dépens de la présente requête.

[50]Par conséquent, l’ordonnance de la Cour inclura les dépens de la requête en faveur du demandeur calculés sur la base du milieu de la fourchette de la colonne V du tarif B [mod. par DORS/2004-283, art. 30, 31, 32] des Règles des Cours fédérales.

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1 DORS/98‑106 [règle 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2)].

2 L.C. 2001, ch. 27.

3 Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].

4 Voir par exemple : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Forde, [1997] A.C.F. no 310 (C.A.) (QL).

5 2003 CAF 382.

6 2003 CF 911.

7 [2000] 1 C.F. 286 (1re inst.).

8 No du greffe IMM-3316-98, la juge Sharlow, jugement en date du 16-6-99 C.F. 1re inst. [et [1999] A.C.F. no 1155 (1re inst.) (QL)]; conf. par [2000] A.C.F. no 1879 (C.A.) (QL).

9 Voir Cassells c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), note 8.

10 Voir : Young c. Young, [1993] 4 R.C.S. 3, à la p. 134.

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