T-351-05
2008 CF 78
YM (Sales) Inc. (demanderesse)
c.
Ministre du Commerce international et Procureur général du Canada (défendeurs)
Répertorié : YM (Sales) Inc. c. Canada (Ministre du Commerce international) (C.F.)
Cour fédérale, juge suppléant Strayer—Toronto, 17 décembre 2007; Ottawa, 22 janvier 2008.
Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue au nom du ministre du Commerce international en vertu de la Loi sur les licences d’exportation et d’importation (la LLEI) refusant de modifier des licences d’importation antérieurement délivrées à la demanderesse.
La demanderesse importait des vêtements au Canada au moyen de certificats d’origine fournis par les exportateurs américains attestant que ces vêtements étaient des « produits originaires » au sens de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) (c.-à-d. qu’ils provenaient des É.-U.). Sur la base de ces certificats, la demanderesse a obtenu des licences d’importation en vertu de la LLEI. Cependant, l’Agence des douanes et du revenu du Canada a considéré que bon nombre des produits de la demanderesse n’étaient pas des produits originaires et elle a émis des relevés détaillés de rajustement (RDR) par lesquels elle a imposé un droit comme si les produits n’étaient pas admis en franchise de droits au Canada. Pour que des produits soient originaires, ils doivent être coupés, cousus et assemblés en Amérique du Nord et confectionnés dans un tissu fabriqué en Amérique du Nord à partir de filés fabriqués eux-mêmes en Amérique du Nord. Les produits de la demanderesse ne satisfaisaient pas aux deux derniers critères.
La demanderesse a cherché à modifier ses licences d’importation initiales relativement aux produits à l’égard desquels des RDR avaient été émis pour que ces produits soient admissibles au niveau de préférence tarifaire (NPT). En vertu de l’ALENA, les textiles et les vêtements peuvent être considérés comme des produits admissibles au NPT si le vêtement est coupé, cousu et assemblé en Amérique du Nord, même s’il est confectionné à partir d’un tissu et d’un filé ne provenant pas d’Amérique du Nord. La différence entre les produits admissibles au NPT et les produits originaires est que l’ALENA impose un contingent annuel sur la quantité de vêtements susceptibles de bénéficier de cette préférence. Le ministre a conclu que l’admissibilité aux avantages relatifs au NPT n’avait pas été établie.
Jugement : la demande doit être accueillie.
Le paragraphe 10(1) de la LLEI précise que le ministre « peut […] modifier les licences ». Lorsqu’il décide s’il le fait ou non, le ministre doit établir si les produits à l’égard desquels la licence a été émise sont admissibles au traitement NPT selon les critères énoncés à l’annexe 300-B, appendice 6.B de l’ALENA. La décision du ministre en l’espèce ne renfermait aucun motif justifiant sa conclusion que les produits n’étaient pas admissibles. Cependant, on a présumé, selon le dossier, que la décision reposait sur la politique du ministre de refuser des modifications rétroactives des licences d’importation visant des produits à l’égard desquels des RDR avaient déjà été émis.
Le paragraphe 10(1) et l’alinéa 10(2)d) de la LLEI ne confèrent pas le pouvoir exprès ou tacite de rejeter automatiquement une demande de modification à l’égard de produits ayant fait l’objet de RDR. Le fait que le ministre « peut » délivrer une licence ne signifie pas qu’il peut ne pas tenir compte de l’exigence de prendre une décision quant à l’admissibilité selon les critères énoncés dans l’ALENA. En l’espèce, la politique du ministre était considérée comme déterminante quant aux demandes de modification ou comme imposant à leur égard un fardeau présomptif écrasant. On n’a pas tenu compte de la preuve additionnelle présentée au ministre, c.-à-d. que dès que la demanderesse a constaté qu’elle revendiquait à tort la statut de marchandises originaires à l’égard de toutes ses importations par suite des conseils erronés de son courtier en douane, elle lui a donné l’ordre de présenter des demandes de traitement NPT rétroactif. La politique du ministre constituait une entrave illégitime au pouvoir discrétionnaire.
lois et règlements cités
Accord de libre-échange nord-américain entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des États-Unis d’Amérique et le gouvernement des États-Unis du Mexique, le 17 décembre 1992, [1994] R.T. Can. n° 2, art. 502, ann. 300-B, appendice 6.B.
Décret de remise des droits de douane visant certains textiles et vêtements importés du Mexique ou des États-Unis, DORS/98-420, art. 1, 3.
Liste des marchandises d’importation contrôlée, C.R.C., ch. 604 (mod. par DORS/89-251, art. 1(F)), art. 85(1) (édicté par DORS/89-46, art. 1; 93-588, art. 1; 2005-71, art. 2).
Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14).
Loi sur les licences d’exportation et d’importation, L.R.C. (1985), ch. E-19, art. 5e), 5.2 (édicté par L.C. 1988, ch. 65, art. 118; 1997, ch. 36, art. 209; 2001, ch. 28, art. 48), 8(1),(2) (mod. par L.C. 2002, ch. 19, art. 14), 8.2 (édicté par L.C. 1988, ch. 65, art. 120; 1997, ch. 14, art. 76), 10(1) (mod. par L.C. 2006, ch. 13, art. 113), (2) (mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 13, art. 3; L.C. 2002, ch. 19, art. 15), (3) (mod. par L.C. 1988, ch. 65, art. 122), 14, 24 (mod. par L.C. 2004, ch. 15, art. 65).
Tarif des douanes, L.C. 1997, ch. 36.
jurisprudence citée
décision différenciée :
Centre hospitalier Mont-Sinaï c. Québec (Ministre de la Santé et des Services sociaux), [2001] 2 R.C.S. 281; 2001 CSC 41.
décision examinée :
Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2.
décisions citées :
Sketchley c. Canada (Procureur général), [2006] 3 R.C.F. 392; 2005 CAF 404; Yhap c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 1 C.F. 722 (1re inst.).
DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision rendue en vertu de la Loi sur les licences d’exportation et d’importation refusant de modifier des licences d’importation antérieurement délivrées à la demanderesse au motif que l’admissibilité au niveau de préférence tarifaire n’avait pas été établie. Demande accueillie.
Darrel H. Pearson et Jesse I. Goldman pour la demanderesse.
Karen E. Lovell, Andrea Bourke et John C. Clifford pour les défendeurs.
Gottlieb & Pearson, Toronto, pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par
Le juge suppléant Strayer :
INTRODUCTION
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue au nom du ministre du Commerce international (le ministre), et annoncée à la demanderesse par lettre en date du 14 février 2005. La décision en question, rendue en vertu de la Loi sur les licences d’exportation et d’importation, L.R.C. (1985), ch. E-19, modifiée (LLEI), refusait de modifier quelque 1 200 licences d’importation antérieurement délivrées à la demanderesse (YM) en vue de permettre l’admission de produits au niveau de préférence tarifaire (NPT).
FAITS
[2] YM, importatrice et distributrice de vêtements qu’elle désigne généralement comme étant de type « Fast Fashion », exploite 205 points de vente au détail au Canada. Les produits en question ont tous été fabriqués aux États-Unis, d’où ils ont été importés. La présente affaire concerne des dispositions de l’Accord de libre-échange nord-américain entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des États-Unis d’Amérique et le gouvernement des États-Unis du Mexique [17 décembre 1992, [1994] R.T. Can. n° 2] (ALENA) signé entre le Canada, les États-Unis et le Mexique, ainsi que la mise en œuvre de cet accord et son administration au Canada. Le cadre juridique sera défini plus en détail plus loin. Cependant, on peut dire en résumé que pendant quelques années après l’adoption de l’ALENA, YM importait des vêtements dont les certificats d’origine fournis par les exportateurs américains attestaient que lesdits vêtements étaient des « produits originaires », c’est-à-dire qu’ils provenaient des États-Unis, l’une des parties à l’ALENA. Sur la base de ces certificats, YM a obtenu des licences d’importation en vertu de la LLEI. À leur arrivée, les produits étaient considérés par l’Agence des douanes et du revenu du Canada (ADRC) comme des « produits originaires » à des fins douanières (c’est-à-dire provenant de la zone de libre-échange). Toutefois, en ce qui concerne un certain nombre d’importations effectuées par YM entre 1998 et 2001, l’ADRC a estimé qu’il ne s’agissait pas de produits originaires et elle a émis des relevés détaillés de rajustement (RDR) par lesquels elle a imposé un droit comme si les produits n’étaient pas admis en franchise de droits au Canada sous le régime de l’ALENA.
[3] YM déclare qu’elle a cru de bonne foi, sur l’avis d’un courtier en douane, que dans la mesure où ces vêtements étaient coupés, cousus et assemblés aux États-Unis, ils étaient des produits originaires au sens de l’ALENA. Toutefois, il est maintenant reconnu que l’ALENA exige que ces produits subissent une « triple transformation » sur le territoire qu’il couvre : c’est-à-dire qu’ils doivent non seulement être coupés, cousus et assemblés en Amérique du Nord, mais aussi confectionnés dans un tissu fabriqué en Amérique du Nord à partir de filés fabriqués eux-mêmes en Amérique du Nord. YM croit maintenant qu’un grand nombre ou la plupart de ses importations, bien qu’ayant été coupées, cousues et assemblées aux États-Unis, sont fabriquées à partir d’un tissu et d’un filé ne provenant pas d’Amérique du Nord. Aussi a-t-elle cherché à modifier ses licences d’importation initiales relativement aux produits à l’égard desquels l’ADRC avait émis des RDR imposant un droit (ce droit équivalant à celui imposé sur tout produit importé des nations les plus favorisées (NPF)). YM sollicitait la modification des licences d’importation initiales visant ces produits pour faire en sorte que ceux-ci soient classés comme produits admissibles au NPT. En vertu de l’ALENA, les textiles et les vêtements peuvent être considérés comme des produits admissibles au NPT si le vêtement est coupé, cousu et assemblé en Amérique du Nord, même s’il est confectionné à partir d’un tissu et d’un filé ne provenant pas d’Amérique du Nord. L’importateur qui se voit délivrer une licence d’importation au NPT pour des vêtements a droit à une remise des droits autrement payables au taux de la NPF. Bien que les produits admissibles au NPT soient alors importables sur la même base que les produits originaires, l’ALENA impose un contingent annuel sur la quantité de vêtements susceptibles de bénéficier de cette préférence. L’administration du contingent relève du ministre, lequel doit s’assurer que les produits sont admissibles au NPT et exercer un contrôle sur la quantité de ces produits entrant au Canada chaque année.
[4] Dans la présente affaire, lorsque YM a présenté une demande pour faire modifier les licences d’importation afin que les produits ayant fait l’objet de RDR soient considérés comme admissibles au NPT, il y a eu une série d’échanges de lettres et de rencontres entre ses représentants et les fonctionnaires de la Direction générale des contrôles à l’exportation et à l’importation (DGCEI) de Commerce international Canada. Ces échanges et rencontres ont finalement donné lieu à la décision rendue pour le compte du ministre et transmise à l’avocat de YM le 14 février 2005, décision qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire. Les parties pertinentes de cette décision sont ainsi rédigées :
[traduction] Toutes les décisions relatives aux autorisations en vertu la Loi sur les licences d’exportation et d’importation (LLEI), y compris les décisions en matière d’avantages relatifs au NPT, doivent être compatibles avec les fins pour lesquelles les contrôles à l’importation ont été établis. Ainsi, dans le cas des avantages relatifs au NPT négociés avec les États-Unis et le Mexique, ceux-ci ne sont accordés qu’aux produits admissibles. Pour établir l’admissibilité au NPT, il faut fournir de la documentation à l’appui d’une demande NPT conformément à l’annexe 300-B, appendice 6(B)(1)(a) de l’ALENA, établissant que les produits importés ont été « coupés (ou façonnés) et cousus ou autrement assemblés sur le territoire de l’une des Parties à partir d’un tissu ou d’un filé produit ou obtenu à l’extérieur de la zone de libre-échange ».
Après avoir examiné la demande de modification de licences en vue d’obtenir les avantages relatifs au NPT présentée par YM, le ministre a conclu que ces modifications ne seraient pas compatibles avec les fins pour lesquelles les produits en question sont contrôlés en vertu de la LLEI. En particulier, les observations de YM n’ont pas établi l’admissibilité de ses importations aux avantages relatifs au NPT. Les demandes de modification de licences présentées par YM sont donc refusées.
[5] Il importe de signaler que la décision énonce que les demandes de modifications ont été rejetées parce que YM n’avait pas [traduction] « établi l’admissibilité de ses importations aux avantages relatifs au NPT ».
[6] Le ministre fait valoir que la décision était fondée sur la preuve, ou l’absence de preuve, fournie par YM relativement à l’origine des vêtements en question ainsi que du tissu ou du filé à partir desquels ils ont été confectionnés. Il soutient que la seule preuve directe fournie par YM quant à l’origine de ses importations était les certificats remplis par ses exportateurs après que les produits en cause aient fait l’objet de RDR. (Le ministre voulait apparemment ainsi établir que ces certificats n’étaient pas convaincants car ils avaient été délivrés à l’égard de produits que l’ADRC avait déjà déclaré être d’origine incertaine faute de preuve satisfaisante à cet égard.) Le ministre fait donc valoir qu’il s’agissait d’une décision relative à l’admissibilité des produits au NPT, prise en raison de l’absence de preuve d’admissibilité.
[7] YM se fonde essentiellement sur deux motifs pour contester cette décision. Elle soutient que le ministre n’avait pas compétence pour refuser de transformer une licence d’importation en licence visant l’entrée de produits admissibles au NPT. Il s’agit selon elle d’une question de législation douanière, laquelle relève de l’ADRC et de ses successeurs. Deuxièmement, YM dit que si la décision relevait de la compétence du ministre, alors cette décision était viciée parce qu’elle était en fait fondée sur une politique du ministre de refuser la modification rétroactive des licences d’importation visant des produits à l’égard desquels l’ADRC avait déjà émis des RDR. Selon YM, le ministre a ainsi établi une politique qui entrave à tort son propre pouvoir discrétionnaire. Le ministre nie qu’une telle politique, bien que parfois énoncée à l’interne, ait un caractère contraignant, mais il concède qu’un examen plus rigoureux est appliqué aux demades « involontaires » de modifications rétroactives (« involontaires » parce qu’elles sont présentées uniquement après le refus de l’ADRC d’accorder le traitement douanier applicable aux produits importés à titre de produits originaires de l’ALENA (c’est-à-dire après l’émission de RDR)). YM soutient que, même si elle consiste uniquement à imposer une norme de preuve plus élevée aux demandes « involontaires » de modifications rétroactives, cette politique constitue une entrave au pouvoir discrétionnaire du ministre.
[8] Malheureusement, une preuve substantielle au dossier établit qu’une telle politique a été appliquée dans la présente affaire. Elle a été énoncée de façon on ne peut plus directe et ouverte dans des lettres émanant du directeur adjoint de la vérification et de l’observation, Direction de la politique sur la réglementation commerciale, en date du 19 juillet 2001 et du 15 avril 2002 et adressées au courtier en douane de YM relativement à la demande de modification des licences d’importation présentées par YM. Le paragraphe-clé des deux lettres est le suivant :
[traduction] Veuillez prendre note que notre ministère n’est pas disposé à envisager l’application rétroactive des NPT dans les cas où une déclaration inexacte à l’entrée n’a pas été modifiée de plein gré avant une décision de l’Agence du revenu du Canada (ADRC). Dans cette affaire, un relevé détaillé de rajustement (RDR) avait été émis à la suite d’une enquête de l’ADRC. Par conséquent, un NPT rétroactif ne peut être appliqué aux expéditions en question. Notre bureau est toutefois disposé à examiner toutes demandes dûment étayées de NPT à l’égard de futures importations de produits similaires que présentera votre client.
Même si les hauts fonctionnaires de l’intimé nient depuis lors catégoriquement qu’il s’agisse là d’une politique générale inéluctablement appliquée à des demandes involontaires rétroactives, la documentation afférente à la décision en cause soulève des doutes sérieux sur cette dénégation. YM a eu plusieurs occasions de présenter des observations orales et écrites à l’appui de sa demande de licences NPT rétroactives au personnel de la DGCEI, laquelle a examiné la demande et a fait un rapport et des recommandations au ministre. Le premier de ces rapports internes adressés au ministre consistait en une note de service datée du 4 août 2004, où l’on trouvait les informations contextuelles suivantes :
[traduction] Les demandes d’application de niveaux de préférence tarifaire (à savoir les demandes NPT) se font habituellement au moment de l’importation des produits textiles ou des vêtements. Toutefois, Commerce international Canada (CICan) accepte également les demandes NPT rétroactives « volontaires » pour des marchandises importées antérieurement si, au moment où la demande rétroactive est présentée : a) les quotas annuels de NPT n’ont pas été atteints; b) l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) n’a pas rendu de détermination négative contre une demande d’admissibilité conformément aux règles d’origine de l’ALENA présentée par l’importateur au moment de l’importation. L’acceptation des demandes NPT rétroactives exige la modification des licences d’importation délivrées au moment de l’importation des produits.
Cela donne à penser qu’une demande « involontaire » ne peut être acceptée. Il s’ensuit que dès le départ, avant l’importation, les importateurs doivent prendre des décisions éclairées et que, si tel n’est pas le cas et qu’ils présentent ensuite une demande de modification conformément à la LLEI, leur demande sera rejetée pour cause de négligence. La recommandation formulée au ministre reprenait les termes de la politique et était rédigée comme suit :
[traduction] Nous recommandons ce qui suit :
a) que vous confirmiez la politique de refus des demandes d’application rétroactive des niveaux de préférence tarifaire pour les textiles et les vêtements au titre de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) si, avant la présentation de la demande, l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a rendu une décision portant que les importations en question ne sont pas admissibles au traitement tarifaire préférentiel en vertu des règles d’origine de l’ALENA, réclamé par l’importateur au moment de l’importation;
b) que vous rejetiez la demande de YM Inc. voulant que vous fassiez une entorse à la politique ci-dessus.
Apparemment, en raison de certaines inquiétudes soulevées par le ministre ou le ministère quant au fait que cette politique n’avait jamais été publiée et que cela pouvait la rendre vulnérable, l’affaire a encore été examinée et une deuxième note de service a été envoyée au ministre le 22 décembre 2004. Dans les renseignements de base de cette note de service on insistait également sur la différence entre des demandes de modifications « volontaires » et « non volontaires » en vue de bénéficier du NPT. Même si un passage a été expurgé, il ressort du contexte que l’auteur parle de demandes de modifications NPT pour des produits ayant fait l’objet de RDR :
[traduction] Sur demande d’une société, les fonctionnaires examinent les observations additionnelles d’un revendicateur de NPT non-ALENA, tels un certificat d’origine non-ALENA et la documentation à l’appui. Dans la pratique, les fonctionnaires n’ont jamais connu de cas où une société a réussi à avoir gain de cause dans une demande NPT dans ces circonstances. (Les demandes actuelles de YM entrent dans cette catégorie.) Pour ce faire, il faudrait une documentation complète quant à l’origine et au traitement des importations et des produits en question.
Par voie de conséquence, la recommandation de la DGCEI, après celle du 4 août 2004, était la suivante :
[traduction] Nous recommandons une fois de plus le rejet des demandes de YM.
Il est difficile d’interpréter ces communications comme étant autre chose que des conclusions fondées sur la politique alléguée qui, au mieux, a été appliquée pour créer une présomption de fait contre la validité d’une demande non volontaire de modification aux fins d’octroi rétroactif du NPT. Étant donné que, dans sa décision du 14 février 2005, le ministre n’a pas motivé clairement sa conclusion selon laquelle YM n’avait [traduction] « pas établi l’admissibilité de ses importations aux avantages relatifs au NPT », on doit présumer que cette conclusion trouve son fondement dans le rapport documentaire de la DGCEI. (Voir par exemple Sketchley c. Canada (Procureur général), [2006] 3 R.C.F. 392 (C.A.F.), aux paragraphes 36 à 39.)
[9] Cette conclusion est renforcée par un affidavit de Debra Charmaine Easton, directrice « EPMV » de la DGCEI pendant cette période, qui a participé à l’évaluation de la demande de modifications rétroactives de YM et a examiné le dossier dont est saisie la Cour. Elle opine que le seul facteur ayant été pris en compte pour rendre la décision en cause était la question des « demandes non volontaires », c’est-à-dire que les demandes avaient été présentées seulement après que les produits en cause eurent fait l’objet de RDR. (Voir dossier de la demanderesse III, à la page 585.)
QUESTIONS EN LITIGE
[10] Il appert qu’il y a trois questions en litige, à savoir :
(1) Le ministre du Commerce international a-t-il compétence pour refuser les demandes de modifications rétroactives aux fins d’octroi du NPT?
(2) Dans l’affirmative, cette compétence a-t-elle été correctement exercée en conformité avec la loi?
(3) Quelle est la norme de révision applicable à cette décision?
ANALYSE
[11] Il importe tout d’abord d’exposer le plus succinctement possible le cadre juridique complexe dans lequel de telles décisions sont prises.
[12] L’article 502 de l’ALENA oblige chaque partie à exiger des importateurs sur son territoire, s’ils demandent un traitement tarifaire préférentiel, qu’ils présentent, sur la base d’un certificat d’origine valide, une déclaration écrite attestant que le produit est admissible à titre de produit originaire. Comme nous l’avons déjà précisé, pour constituer un produit originaire, le vêtement doit avoir été coupé, cousu et assemblé sur le territoire d’une partie à partir d’un tissu et d’un filé produit sur le territoire d’une partie. Toutefois, l’appendice 6.B de l’annexe 300-B prévoit des dispositions particulières en ce qui concerne les vêtements qui, bien que n’étant pas des produits originaires, sont tout de même admissibles au NPT. Elle dispose :
1. a) Chacune des Parties appliquera le taux de droit applicable aux produits originaires figurant dans sa liste de l’annexe 302.2, et en conformité avec l’appendice 2.1, jusqu’à concurrence des quantités annuelles indiquées dans la liste 6.B.1, en EMC, et aux vêtements visés par les chapitres 61 et 62, qui sont coupés (ou façonnés) et cousus ou autrement assemblés sur le territoire de l’une des Parties à partir d’un tissu ou d’un filé produit ou obtenu à l’extérieur de la zone de libre-échange, et qui satisfont aux autres conditions applicables à l’octroi du traitement tarifaire préférentiel aux termes du présent accord. L’EMC sera déterminé en fonction des facteurs de conversion indiqués dans la liste 3.1.3. [Non souligné dans l’original.]
Le ministre tire la plupart de ses pouvoirs, pour donner effet à l’ALENA, de la LLEI. L’article 14 prévoit qu’il est interdit d’importer des marchandises figurant sur la Liste des marchandises d’importation contrôlée [C.R.C., ch. 604 (mod. par DORS/89-251, art. 1(F))] (LMIC) à moins de posséder une licence d’importation délivrée en vertu de la LLEI. L’article 5 de la Loi autorise le gouverneur en conseil à établir une LMIC pour diverses fins précises, notamment :
5. […]
e) mettre en œuvre un accord ou un engagement intergouvernemental.
Le paragraphe 5.2(1) [édicté par L.C. 1998, ch. 65, art. 118; 2001, ch. 28, art. 48] prévoit ce qui suit :
5.2 (1) Lorsqu’il est convaincu qu’il est souhaitable d’obtenir des renseignements sur l’exportation ou l’importation de marchandises dont une quantité spécifiée est susceptible chaque année de bénéficier soit du taux de droits prévu par les listes de l’annexe 302.2 de l’ALÉNA conformément à l’appendice 6 de l’annexe 300-B de celui-ci, soit du taux de droits prévu aux listes de l’annexe C-02.2 de l’ALÉCC conformément à l’appendice 5.1 de l’annexe C-00-B de celui-ci, soit du taux de droits prévu aux listes de l’annexe III.3.1 de l’ALÉCCR conformément à l’appendice III.1.6.1 de l’annexe III.1 de celui-ci, le gouverneur en conseil peut, par décret et sans mention de la quantité, porter ces marchandises sur la liste des marchandises d’exportation contrôlée et sur celle des marchandises d’importation contrôlée, ou sur l’une de ces listes, pour que soit facilitée la collecte de ces renseignements. [Non souligné dans l’original.]
Les articles suivants portent sur les pouvoirs du ministre de délivrer ou de modifier des licences d’importation [paragraphe 8(2) (mod. par L.C. 2002, ch. 19, art. 14), article 8.2 (édicté par L.C. 1988, ch. 65, art. 120; 1997, ch. 14, art. 76), paragraphes 10(1) (mod. par L.C. 2006, ch. 13, art. 113), (2) (mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 13, art. 3; L.C. 2002, ch. 19, art. 15), (3) (mod. par L.C. 1988, ch. 65, art. 122)] :
8.(1) Le ministre peut délivrer à tout résident du Canada qui en fait la demande une licence pour l’importation de marchandises figurant sur la liste des marchandises d’importation contrôlée, sous réserve des conditions prévues dans la licence ou les règlements, notamment quant à la quantité, à la qualité, aux personnes et aux endroits visés.
(2) Malgré le paragraphe (1) et tout règlement d’application de l’article 12 incompatible avec l’objet du présent paragraphe, le ministre délivre à tout résident du Canada qui en fait la demande une licence pour l’importation de marchandises figurant sur la liste des marchandises d’importation contrôlée aux seules fins d’obtenir des renseignements en application des paragraphes 5(4.3),(5) ou (6) ou 5.4(6),(7) ou (8), sous la seule réserve de l’observation des règlements d’application de l’article 12 qui sont nécessaires à ces fins.
[…]
8.2 Malgré l’article 7, le paragraphe 8(1) et tout règlement d’application de l’article 12 incompatible avec l’objet du présent article, le ministre délivre à tout résident du Canada qui en fait la demande une licence pour l’exportation ou l’importation de marchandises figurant, aux seules fins visées aux paragraphes 5.2(1),(2) ou (3) sur la liste des marchandises d’exportation contrôlée ou sur celle des marchandises d’importation contrôlée, sous la seule réserve de l’observation des règlements d’application de l’article 12 qui sont nécessaires à ces fins.
[…]
10. (1) Sous réserve du paragraphe (3), le ministre peut modifier, suspendre, annuler ou rétablir les licences, certificats, autorisations d’importation ou d’exportation ou autres autorisations délivrés ou concédés en vertu de la présente loi.
(2) Le ministre peut modifier, suspendre ou annuler une licence, au besoin, lorsqu’il y a eu délivrance, en vertu de la présente loi, d’une licence pour l’exportation ou pour l’importation de marchandises figurant sur la liste marchandises d’exportation contrôlée ou sur celle des marchandises d’importation contrôlée aux seules fins visées aux paragraphes 5(4.3),(5) ou (6), 5.1(1), 5.2(1),(2) ou (3) ou 5.4(6),(7) ou (8), et que l’on se trouve dans l’une des circonstances suivantes :
a) la personne qui a fait la demande de licence a fourni, à l’occasion de la demande, des renseignements faux ou trompeurs sur un point important;
b) le ministre a délivré en vertu de la présente loi, après la délivrance de la licence et à la demande de cette personne, une seconde licence pour l’exportation ou l’importation de ces marchandises;
c) les marchandises ont, après la délivrance de la licence, été portées sur la liste des marchandises d’exportation contrôlée ou sur celle des marchandises d’importation contrôlée à d’autres fins que celles visées aux paragraphes 5(4.3),(5) ou (6), 5.1(1), 5.2(1),(2) ou (3) ou 5.4(6),(7) ou (8);
d) il est nécessaire ou indiqué de corriger une erreur dans la licence;
e) le titulaire de la licence consent à la modification, la suspension ou l’annulation.
(3) Sauf les cas prévus au paragraphe (2), le ministre ne peut modifier, suspendre ou annuler une licence délivrée en vertu de la présente loi dans les circonstances visées à ce paragraphe que dans la mesure compatible avec l’objet du paragraphe 8(2) ou des articles 8.1 ou 8.2, c’est-à-dire que les licences d’exportation ou d’importation de marchandises figurant sur la liste des marchandises d’exportation contrôlée ou sur celle des marchandises d’importation contrôlée dans ces circonstances soient délivrées aussi librement que possible aux personnes qui désirent exporter ou importer les marchandises sans plus d’inconvénients qu’il n’est nécessaire pour atteindre le but visé par leur mention sur cette liste. [Non souligné dans l’original.]
[13] L’article 85 [édicté par DORS/89-46, art. 1; 93-588, art. 1; 2005-71, art. 2] de la LMIC a été adopté en vertu de l’article 5.2 [édicté par L.C. 1988, ch. 65, art. 118; 1997, ch. 36, art. 209; 2001, ch. 28, art. 48] de la LLEI pour donner effet à l’appendice 6.B de l’annexe 300-B de l’ALENA, précité, à l’égard du NPT pour les vêtements. En conséquence, des licences d’importation sont exigées pour :
85. (1) Vêtements qui, à la fois :
a) sont coupés ou façonnés et cousus ou autrement assemblés au Mexique ou aux États-Unis à partir d’un tissu ou d’un filé produit ou obtenu à l’extérieur de la zone de libre-échange;
b) ne sont pas inclus dans un autre article de la présente liste
[14] L’importateur de produits non originaires importés d’un pays ALENA doit normalement payer des droits de douane au taux de la NPF. Il a cependant droit à une remise de ces droits, conformément au Décret de remise des droits de douane visant certains textiles et vêtements importés du Mexique ou des États-Unis, DORS/98-420, pris en application du Tarif des douanes, L.C. 1997, ch. 36. Ce Décret prévoit ce qui suit :
1. Les définitions qui suivent s’appliquent au présent décret.
« filés » Les fils de coton ou de fibres synthétiques ou artificielles visés aux positions nos 52.05 à 52.07 ou 55.09 à 55.11 qui sont filés au Mexique ou aux États-Unis à partir de fibres visées aux positions 52.01 à 52.03 ou 55.01 à 55.07 qui sont produites ou obtenues hors de la zone de libre-échange.
[…]
3. […]
(2) La remise visée à l’article 2 est accordée à condition que l’importateur ou le propriétaire des marchandises fournisse à un agent des douanes, sur demande de celui-ci :
a) au moment où les marchandises font l’objet d’une déclaration en détail en vertu des paragraphes 32(1),(3) ou (5) de la Loi sur les douanes ou d’une demande de remboursement des droits de douane, un certificat délivré en vertu de la Loi sur les licences d’exportation et d’importation et du Règlement sur les certificats d’importation, indiquant la quantité passible d’une remise ou d’un remboursement en vertu de l’annexe 300-B du chapitre 3 de l’Accord de libre-échange nord-américain; [Non souligné dans l’original.]
[15] En l’espèce, YM sollicitait la modification des licences d’importation de portée générale initialement délivrées par le ministre pour des produits à l’égard desquels l’ADRC avait subséquemment émis des RDR (c’est-à-dire des produits non reconnus comme produits originaires). Il m’apparaît donc qu’en l’occurrence le pouvoir du ministre découle du paragraphe 10(1) de la LLEI, lequel dispose que ce dernier « peut modifier
[…] les licences ». Le mot « peut » indique un pouvoir discrétionnaire. La licence dont on demandait la modification était une licence de portée générale, et non une licence délivrée à l’origine aux fins du NPT. Même si l’on devait la considérer comme ayant été concédée pour des NPT, le paragraphe 10(2), qui porte sur les licences pour les produits figurant sur la LMIC « aux seules fins visées a[u] paragraph[e] […] 5.2(1) », dispose que le ministre « peut modifier […] une licence, au besoin ». L’avocat de YM m’invite à appliquer plutôt le paragraphe 10(3), qui prévoit que le ministre ne peut modifier une licence pour les produits figurant sur la LMIC en vertu (entre autres) du paragraphe 5.2(1) de la LLEI, c’est-à-dire aux fins d’obtention de renseignements seulement, que dans la mesure compatible avec le but visé, à savoir que les licences « soient délivrées aussi librement que possible aux personnes qui désirent exporter ou importer les marchandises sans plus d’inconvénients qu’il n’est nécessaire pour atteindre le but visé par leur mention sur cette liste ». En d’autres termes, il dit que le ministre doit modifier ces licences comme demandé, la seule restriction étant que le ministre est obligé de compter les licences afin de faire respecter le contingent prescrit par l’ALENA. Je n’accepte pas cette interprétation. Le paragraphe 10(3) commence par les mots « [s]auf les cas prévus au paragraphe (2) ». Le paragraphe (2) dispose que le ministre « peut modifier » une licence, même celles délivrées à l’égard d’un article figurant sur la LMIC en vertu du paragraphe 5.2(1), si entre autres, « d) il est nécessaire ou indiqué de corriger une erreur dans la licence ». C’est précisément ce que le ministre a été invité à faire en l’espèce. Alors, même si on demandait véritablement la licence à l’égard de produits figurant sur la LMIC uniquement aux fins de collecte de renseignements, le ministre a toujours le pouvoir discrétionnaire de modifier la licence déjà délivrée afin d’y corriger une erreur.
[16] On a évoqué la possibilité que les demandes de modifications de YM soient considérées comme des demandes de nouvelles licences en vertu de l’article 8. Le paragraphe 8(1) dispose que le ministre « peut délivrer […] une licence » et, partant, sa décision est tout aussi discrétionnaire. YM cependant fait valoir que suivant l’article 8.2, qui s’applique « [m]algré […] le paragraphe 8(1) et tout règlement d’application de l’article 12 incompatible avec l’objet du présent article », lorsque l’article en question figure sur la LMIC aux fins entre autres du paragraphe 5.2(1), « le ministre délivre
[…] une licence […] sous la seule réserve de l’observation des règlements d’application de l’article 12 qui sont nécessaires à ces fins ». Comme je l’ai mentionné, les articles 8 et 8.2 ne s’appliquent pas, selon moi, à la présente affaire qui porte sur des demandes de modifications. Même si ces articles s’appliquaient, j’estime que le ministre a malgré tout le droit de refuser de délivrer une nouvelle licence.
[17] Toutes ces dispositions trouvent application dans la mesure où les produits en cause figurent sur la LMIC. Il s’agit là d’une décision qu’à mon avis le ministre doit prendre pour chaque demande de licence ou de modification de licence. Je ne puis interpréter l’article 8.2 ou le paragraphe 10(3) comme déchargeant le ministre de l’obligation — et l’empêchant en fait — de décider si les marchandises figurent effectivement sur la liste.
[18] Je conclus donc que le ministre devait rendre un jugement indépendant sur la question de savoir si les produits visés par ces demandes de modifications étaient admissibles au NPT prévu à l’article 85 de la LMIC.
[19] S’exprimant quant aux pouvoirs du ministre, YM opine qu’il est essentiellement un faiseur d’additions ayant pour unique droit et obligation de veiller à ce que la quantité de produits devant faire l’objet d’une licence NPT ne dépasse pas le contingent annuel imposé pour ces produits en vertu de l’ALENA. Cette prétention fait partie d’une analyse plus détaillée et compliquée de YM pour démontrer que c’est l’Agence des services frontaliers du Canada qui a seule la responsabilité de contrôler l’entrée des produits et de percevoir les revenus. Or il me semble que c’est d’abord le ministre qui, par l’octroi ou le refus de licences d’importation, exerce le premier contrôle sur l’importation de produits au Canada. Dès lors qu’ils sont présentés à la frontière, c’est à l’ADRC que revient la décision d’imposer ou non des droits. Les produits admissibles au NPT, en tant que produits non originaires, sont assujettis à des droits pouvant faire l’objet d’une remise en vertu du Décret de remise des droits de douane visant certains textiles et vêtements importés du Mexique ou des États-Unis, précité. Pour obtenir une remise, l’importateur doit fournir à un agent des douanes un certificat délivré en vertu de la LLEI, c’est-à-dire par le ministre (voir le Décret de remise, précité, alinéa 3(2)a), cité au paragraphe 14 [des présents motifs]). Par conséquent, la décision sur la question de savoir si un importateur a droit à la remise des droits à l’égard de produits que l’on prétend être admissibles au NPT relève d’une responsabilité conjointe. Le Décret reconnaît clairement que la remise est subordonnée à la délivrance d’une licence d’importation par le ministre. Bien évidemment, la coopération entre les deux administrations est nécessaire. Par exemple, l’article 24 [mod. par L.C. 2004, ch. 15, art. 65] de la LLEI exige qu’avant de permettre l’importation ou le transfert de produits, les agents des douanes s’assurent que l’importateur ou l’exportateur n’a enfreint aucune disposition de la LLEI.
[20] Quelle que soit la façon dont on décrit le pouvoir du ministre en vertu duquel, conformément aux paragraphes 8(1) ou 10(1), il peut délivrer ou modifier une licence, cette décision nécessite clairement de déterminer si ces produits sont admissibles au traitement NPT selon les critères énoncés à l’annexe 300-B, appendice 6.B de l’ALENA, précitée : c’est-à-dire qu’il doit déterminer si les produits ont été assemblés sur le territoire d’une partie, à partir d’un tissu ou d’un filé produit ou obtenu à l’extérieur de la zone de libre-échange. Je ne dis pas que le mot « peut » permet au ministre de ne pas tenir compte de cette exigence, bien qu’il puisse lui permettre de refuser de concéder une licence même si les produits sont admissibles. Je n’ai pas à me prononcer sur cette question parce que la décision en cause en l’espèce, énoncée expressément dans la lettre du 14 février 2005, portait sur « l’admissibilité » de ces produits aux avantages relatifs au NPT. À l’évidence, la loi laisse au ministre une grande marge de manœuvre quant aux procédures à appliquer pour prendre cette décision. Rien ne dit que cette décision doit être prise dans le cadre d’un processus quasi judiciaire. Cependant, il faudrait au moins pouvoir démontrer que la décision a été prise au vu de la preuve dont disposait le ministre et qu’elle n’est pas fondée sur des facteurs non pertinents. La décision du ministre ne referme aucun motif justifiant sa conclusion que les produits en cause n’étaient pas admissibles. Étant donné l’ampleur de la documentation présentée par YM à la DGCEI, il est regrettable que le ministre n’ait pas pu au moins expliqué en quoi aucun de ces éléments n’étayait l’admissibilité si tel était effectivement le cas. La Cour est forcée de s’en remettre à l’opinion que la DGCEI a fournie au ministre et de présumer qu’elle représente les motifs de sa décision. Cet examen donne fortement à penser que toutes les personnes ayant participé au processus décisionnel estimaient qu’une demande de modification rétroactive de licences en vue d’obtenir le traitement NPT était présumée non valide parce qu’elle visait des produits ayant déjà fait l’objet de RDR. Il ressort des documents soumis que dans de telles circonstances un importateur n’a pas droit à un examen, car il aurait dû savoir que sa déclaration initiale à l’ADRC selon laquelle les produits étaient originaires était incompatible avec l’ALENA et ses nombreuses dispositions. Cela implique également que cet importateur a commis une faute en faisant au départ une fausse déclaration au sujet de ses produits et qu’il n’a par conséquent pas droit à une seconde chance. Aucun de ces énoncés ne figurent expressément ou implicitement dans le cadre législatif. Le paragraphe 10(1) de la LLEI confère expressément au ministre le pouvoir de modifier une licence et l’alinéa 10(2)d) l’autorise à l’exercer lorsqu’« il est nécessaire ou indiqué de corriger une erreur dans la licence ». Le ministre n’a pas non plus le pouvoir exprès ou tacite de rejeter automatiquement une demande de modification à l’égard de produits ayant fait l’objet de RDR, même lorsqu’il y a eu négligence dans la demande de licence d’importation initiale ou dans la déclaration à l’ADRC quant à l’origine des produits. Dans la présente affaire, le ministre disposait d’amples éléments de preuve établissant que la fausse désignation initiale de ces produits comme produits originaires s’appuyait sur l’avis erroné du courtier en douane de YM. Cependant, même si tel n’était pas le cas, rien n’indique qu’une demande de modification présentée par un importateur négligent devrait être rejetée d’emblée ou soumise à une norme de preuve plus élevée. Même si en raison du mot « peut » aux paragraphes 8(1) et 10(1), la décision du ministre peut être largement considérée comme discrétionnaire, celui-ci ne peut entraver son pouvoir discrétionnaire en l’assujettissant à des conditions non autorisées par la loi : voir par exemple Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, à la page 6; Yhap c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 1 C.F. 722 (1re inst.). Bien que le ministre fasse valoir qu’il ne tenait pas la « politique » décrite plus haut pour obligatoire, il ressort du dossier que, en fait, ses conseillers la considéraient comme déterminante quant aux demandes en cause ou comme imposant à leur égard un fardeau présomptif écrasant. YM fait également valoir qu’une telle politique est invalide parce qu’elle n’est pas publiée. Je ne suis pas disposé à conclure ainsi, mais cette politique constitue une entrave illégitime au pouvoir discrétionnaire.
[21] Il semble en fait qu’en l’absence de motifs pour étayer la décision du ministre et faute de références à la preuve additionnelle présentée par YM, on doive présumer qu’on n’en a pas tenu compte. Ou alors, faut-il présumer, un demandeur « non volontaire » devrait satisfaire à une charge de preuve particulière à laquelle échappent les demandeurs « volontaires ». Selon le témoignage de Thomas John Martin, vice-président, Finance, de YM pendant la période pertinente, lorsque YM a réalisé qu’elle revendiquait à tort le statut de marchandises originaires à l’égard de toutes ses importations, dont certaines avaient fait l’objet de RDR, elle a donné ordre à son courtier de présenter des demandes de traitement NPT rétroactif. Son affidavit énonce ce qui suit (aux paragraphes 26 à 28) :
[traduction] Le courtier en douane de YM a préparé les quelque 3 300 demandes de licence d’importation pour l’application rétroactive des NPT à des transactions n’ayant pas fait l’objet de RDR. Ces demandes avaient été déposées en 2001 et au cours des premiers mois de 2002. Pour faire ces demandes, on a rempli des formulaires de demande de licences d’importation, déposé les factures commerciales des exportateurs ainsi qu’une attestation de l’exportateur de marchandises textiles non originaires renvoyant aux factures commerciales des exportateurs.
Cette preuve était exactement de la même nature que celle que YM a fournie à la DGCEI dans ses premières demandes limitées relatives aux licences d’importation modifiées visant des produits ayant fait l’objet de RDR, que Mme Friesen a refusées. C’est également l’information qui est spécifiquement exigée en vertu du décret n° 1998-1456 intitulé Décret de remise des droits de douane visant certains textiles et vêtements importés du Mexique ou des États-Unis (« décret de remise NPT »), joint à titre de pièce « E », ainsi que le Mémorandum D110-4-22, joint à titre de pièce « C ».
Au cours des 18 mois qui ont suivi, la plupart des demandes rétroactives de licence d’importation NPT visant des produits n’ayant pas fait l’objet de RDR ont donné lieu à la délivrance de nouvelles licences d’importation NPT à YM. Les autres demandes de rajustement de YM en vue de passer de l’ALENA au décret de remise NPT ont été acceptées par l’ADRC.
Autrement dit, la même preuve a été acceptée pour la modification rétroactive des NPT concernant des produits n’ayant pas fait l’objet de RDR, mais a été rejetée pour les autres produits. Le ministre n’a pas contredit cette preuve. Cela confirme l’idée que dans la décision faisant l’objet du contrôle, la DGCEI ne s’est pas attachée au caractère suffisant de la preuve, mais au fait que l’ADRC avait émis des RDR à l’égard de certaines marchandises non originaires seulement, les autres ayant été qualifiées d’admissibles par le ministre.
[22] Reste à examiner la norme de contrôle applicable à la décision du ministre en date du 14 février 2005. YM a fait valoir qu’il fallait adopter la norme de la décision correcte, mais le ministre a soutenu qu’il fallait plutôt adopter celle de la décision manifestement déraisonnable. Considérons les facteurs habituels : il n’y a bien évidemment pas de clause privative ni de droit d’appel; la décision est soumise à examen en vertu de la Loi sur les Cours fédérales [L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14)]. Ces facteurs sont censés être neutres dans la détermination du degré de retenue nécessaire. On doit reconnaître au ministre une plus grande expertise que les tribunaux en matière d’identification de produits admissibles à un traitement préférentiel, ce qui implique que sa décision commande un haut degré de déférence, à condition d’avoir été prise dans un cadre juridique approprié. L’objet de la loi, selon moi, est de mettre en œuvre les promesses de libre-échange incarnées dans l’ALENA. Ces promesses ont été incorporées dans la législation et les contrôles à l’importation doivent respecter les critères juridiques tout en favorisant les objectifs de l’Accord. Cela signifie qu’on doit accorder un degré de déférence moins élevé aux décisions du ministre lorsqu’il s’agit de savoir si ces critères sont respectés. Enfin, on soutient que la décision du ministre est une décision discrétionnaire parce que le mot « peut » figure dans les articles pertinents de la LLEI. Il faut, je crois, analyser le pouvoir plus avec précision. Je ne pense pas que le mot « peut » habilite le ministre à ne pas tenir compte de la définition de l’admissibilité des vêtements énoncée à l’article 85 de la LMIC. Agir ainsi serait refuser aux exportateurs américains la possibilité d’exporter au Canada, et à l’importateur canadien, celle d’importer ces vêtements au Canada en franchise de droits. Bien que j’accepte le principe approuvé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Maple Lodge Farms Ltd., précité, à la page 5, selon lequel la LLEI ne « crée ni ne reconnaît de droit strict à une licence d’importation », je souligne également que dans le même passage la Cour a convenu avec la Cour d’appel fédérale qu’il découle de l’inscription d’un article sur la LMIC que « le Ministre doit exercer le pouvoir qui lui est confié de délivrer ou de refuser des licences pour les fins » de l’article inscrit sur la LMIC. Le ministre a soutenu que la norme de contrôle applicable en l’espèce devait être celle de la décision manifestement déraisonnable. Il s’est fondé sur les motifs de deux juges dans l’arrêt de la Cour suprême Centre hospitalier Mont-Sinaï c. Québec (Ministre de la Santé et des Services sociaux), [2001] 2 R.C.S. 281, selon lesquels la norme de contrôle relative à l’exercice d’un pouvoir ministériel discrétionnaire [en contexte administratif] doit être celle de la décision manifestement déraisonnable. Dans cette affaire toutefois, le pouvoir discrétionnaire devait être exercé « dans l’intérêt public », le pouvoir du ministre étant d’approuver des installations de soins de santé et leur emplacement, ce qui, de toute évidence, soulevait tout un éventail de questions. En l’espèce, le ministre n’a pas le pouvoir discrétionnaire de concéder ou de refuser les licences d’importation simplement « dans l’intérêt public », mais il a des critères très spécifiques à appliquer ainsi qu’il est prévu à l’article 85 de la LMIC. À mon avis, cela met en jeu des questions mixtes de fait et de droit au milieu du spectre décisionnel et la norme de contrôle appropriée doit alors être celle du caractère déraisonnable. Je ne puis conclure que la décision du ministre, limitée qu’elle était par une politique de refus des demandes « non volontaires » de traitement rétroactif au NPT ou d’imposition à ces demandeurs d’un niveau de preuve plus élevé sans véritable égard à la preuve, était raisonnable.
DÉCISION
[23] J’annulerai donc la décision du ministre en date du 14 février 2005 et je renverrai les demandes de traitement NPT de la demanderesse au ministre et à ses délégués pour décision en conformité avec les présents motifs. Il n’appartient pas à la Cour de déclarer que la demanderesse a droit à une licence d’importation ou d’ordonner au ministre par mandamus de délivrer ces licences. C’est le ministre qui a le pouvoir de prendre ces décisions, mais il doit le faire en prenant dûment compte des faits qui lui sont soumis. Dans l’énoncé de la « réparation recherchée » dans son exposé des faits et du droit, la demanderesse m’a demandé d’empêcher le ministre et ses délégués de délivrer des licences d’importation NPT rétroactives [traduction] « à l’égard des vêtements et articles en coton admissibles au NPT, importés au Canada en provenance des États-Unis au cours de la période 1998-2002 ». Aucune explication n’a été fournie quant à la nécessité ou à l’opportunité de cette réparation.
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE :
1. La décision prise au nom du ministre du Commerce international et communiquée à la demanderesse le 14 février 2005 est annulée;
2. L’affaire est renvoyée au ministre du Commerce international pour qu’il procède à un nouvel examen en conformité avec les présents motifs.