2007 CF 1316
T‑101‑07
Shire Biochem Inc. (demanderesse)
c.
Procureur général du Canada (défendeur)
et
Les Compagnies de recherche pharmaceutique du Canada (intervenante)
T-100-07
Janssen‑Ortho Inc. (demanderesse)
c.
Procureur général du Canada (défendeur)
Répertorié : Shire Biochem Inc. c. Canada (Procureur général) (C.F.)
Cour fédérale, juge Russell—Ottawa, 7 novembre et 13 décembre 2007.
Brevets — Le Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés a compétence en vertu de l’art. 83(2) de la Loi sur les brevets pour examiner les prix auxquels un breveté a vendu des médicaments « alors qu’il était titulaire du brevet » — Contrôle judiciaire des décisions par lesquelles le Conseil a statué qu’il avait compétence pendant la période où les demandes de brevets visant les médicaments étaient accessibles au public — Le breveté, une fois le brevet délivré, jouit de droits de brevet depuis le moment où le brevet est rendu accessible au public — Le breveté est donc réputé jouir de ces droits à titre de breveté selon la Loi sur les brevets et doit être considéré comme ayant vendu des médicaments « alors qu’il était titulaire du brevet » — Les brevets avaient été délivrés aux demanderesses en l’espèce — Le Conseil avait raison lorsqu’il a statué qu’il avait compétence — Demandes rejetées.
Interprétation des lois — L’art. 83(2) de la Loi sur les brevets confère au Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés compétence pour examiner l’établissement des prix des médicaments lorsque le breveté vend des médicaments à des prix excessifs « alors qu’il était titulaire du brevet » — L’art. 79 de la Loi définit un « breveté » comme étant « la personne ayant pour le moment droit à l’avantage d’un brevet pour une invention » — Rien dans la Loi ne donne à entendre qu’« avantage » doit s’interpréter comme évoquant tous les recours que peut exercer un breveté — Le breveté, une fois le brevet délivré, jouit de droits de brevet depuis le moment où le brevet est rendu accessible au public — Le breveté est réputé jouir de ces droits à titre de breveté selon la Loi sur les brevets et doit être considéré comme ayant vendu des médicaments « alors qu’il était titulaire du brevet » — Il était dans l’intention du Parlement que la compétence du Conseil sur les prix des médicaments s’étende à la période où le brevet est rendu accessible au public — Les dispositions pertinentes ont une application prospective plutôt que rétroactive ou rétrospective — Le pouvoir du Conseil d’examiner des prix se cristallise à la date où le brevet est accordé, mais prend effet à la date où le brevet est mis à la disposition du public.
Droit constitutionnel — Partage des pouvoirs — Le Parlement a compétence sur les « brevets d’invention et de découverte » — La définition de breveté s’entend du breveté qui jouit de droits pendant la période de mise à la disposition du public une fois que le brevet est délivré — La loi conférant au Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés le pouvoir de réglementer les prix pendant cette période n’est pas ultra vires.
Il s’agissait de demandes de contrôle judiciaire des décisions par lesquelles le Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés a statué qu’il avait compétence pour examiner l’établissement des prix des produits médicamenteux des demanderesses, soit « Adderall XR » et « Concerta », pendant la période où les demandes de brevet visant ces produits médicamenteux étaient accessibles au public (la période de mise à la disposition du public).
Le Conseil a tenu des audiences relativement à des allégations selon lesquelles les demanderesses vendaient leurs produits médicamenteux à des prix excessifs. Shire Biochem Inc. a présenté une requête contestant la compétence du Conseil pour rendre une ordonnance en vertu de l’article 83 de la Loi sur les brevets visant la période où la demande de brevet avait été mise à la disposition du public. Cette requête a mené aux décisions en cause en l’espèce.
Jugement : les demandes doivent être rejetées.
La Cour a opéré une distinction à l’égard de l’affaire Hoechst Marion Roussel Canada Inc. c. Canada (Procureur général), où la juge a statué que le Conseil n’avait pas compétence pour examiner des prix lorsqu’un brevet est rendu accessible au public. Les brevets en cause dans l’affaire Hoechst n’avaient pas encore été délivrés. Comme le Conseil a compétence à l’égard des brevetés, il n’avait pas compétence pour examiner les prix dans cette affaire. Les demanderesses en l’espèce étaient des brevetées lorsque le Conseil s’est penché sur les allégations selon lesquelles des prix excessifs avaient été pratiqués. La question qui se posait était celle de savoir si le pouvoir du Conseil pouvait remonter jusqu’à l’époque où les brevets étaient mis à la disposition du public.
Le Conseil a pour objet de « pallier le “préjudice” découlant du fait que le monopole accordé au breveté en matière de produits pharmaceutiques durant la période d’exclusivité pouvait entraîner une hausse des prix à des niveaux inacceptables ». Les dispositions de la Loi sur les brevets doivent s’interpréter d’une manière qui s’accorde avec cet objet. Le paragraphe 83(2) de la Loi sur les brevets précise que le Conseil peut rendre une ordonnance réparatrice lorsqu’il estime que « le breveté a vendu, alors qu’il était titulaire du brevet » du médicament à des prix excessifs. L’article 79 de la Loi sur les brevets définit un breveté comme étant « la personne ayant pour le moment droit à l’avantage d’un brevet pour une invention ». Cet avantage comprend le droit du breveté d’exercer différents recours contre les contrefacteurs du brevet, notamment le recours, prévu au paragraphe 55(2), visant l’obtention d’une indemnité raisonnable pour toute contrefaçon survenue après que la demande de brevet est devenue accessible au public. En vertu du paragraphe 55(4), ce recours visant l’obtention d’une indemnité raisonnable « est réputé être une action en contrefaçon de brevet ». En effet, la Loi sur les brevets range le droit à une indemnité raisonnable en vertu du paragraphe 55(2) parmi l’ensemble des droits d’exécution dont jouit un breveté en vertu de son brevet une fois celui‑ci délivré. Il s’ensuit que, puisqu’une fois le brevet délivré le breveté jouit de droits de brevet depuis le moment où le brevet est rendu accessible au public, le breveté est donc réputé jouir de ces droits à titre de breveté selon la Loi et doit être considéré comme ayant vendu des médicaments « alors qu’il était titulaire du brevet » au sens du paragraphe 83(2). Il était dans l’intention du Parlement que la compétence du Conseil sur les prix des médicaments brevetés s’étende à cette période comprise entre le moment où la demande de brevet est rendue accessible au public et l’octroi du brevet, à condition qu’un brevet soit accordé. L’analyse téléologique effectuée par le Conseil et évoquée dans ses décisions était donc bien fondée.
Cette interprétation ne donne pas lieu à une application rétroactive ou rétrospective de la Loi sur les brevets. Les dispositions pertinentes ne sont pas censées s’appliquer à une époque antérieure aux modifications de 1987 qui les ont prévues. De même, elles n’attachent pas de nouvelles conséquences à un événement qui est survenu avant l’adoption de la loi. Les dispositions ont plutôt une application prospective, c’est‑à‑dire que les demandeurs de brevet savent lorsqu’ils déposent leurs demandes que si un brevet est par la suite accordé, ils pourront se prévaloir du paragraphe 55(2) depuis la date à laquelle la demande est mise à la disposition du public. Pour les mêmes raisons, le pouvoir du Conseil d’examiner des prix se cristallise à la date où le brevet est accordé mais prend effet à la date où le breveté obtient l’avantage du brevet, c’est‑à‑dire à la date où celui‑ci est devenu accessible au public.
La demanderesse Janssen‑Ortho a soutenu que le Parlement peut seulement réglementer les prix de produits en vertu de sa compétence législative exclusive en matière de brevets et, puisque les brevets en cause n’avaient pas été accordés pendant la période visée, le Conseil tentait de réglementer des prix au‑delà des limites de la compétence du Parlement en matière de brevets. Cet argument a été rejeté. Le Parlement a compétence sur les « brevets d’invention et de découverte ». Puisque la définition de « breveté » englobe les droits applicables à la période de mise à la disposition du public une fois que le brevet est accordé, la loi est intra vires.
Enfin, l’argument de Shire selon lequel le Conseil a commis une erreur parce qu’il n’y avait aucune preuve de « préjudice » a été rejeté. Le Parlement a créé le Conseil pour pallier un tel préjudice éventuel. La preuve d’un préjudice n’est pas nécessaire pour fonder cette compétence.
lois et règlements cités
Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I‑21, art. 12.
Loi modifiant la Loi sur les brevets et prévoyant certaines dispositions connexes, L.C. 1987, ch. 41, art. 15.
Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P‑4, art. 10 (mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 28), 39.18 (édicté par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 33, art. 15), 42 (mod., idem, art. 16), 54 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 182), 55 (mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 48), 55.01 (édicté, idem), 55.1 (édicté par L.C. 1993, ch. 2, art. 4; ch. 44, art. 193), 55.2 (édicté par L.C. 1993, ch. 2, art. 4; 2001, ch. 10, art. 2), 56 (mod. par L.C. 1993, ch. 44, art. 194), 57, 58, 59, 79 « Conseil » (édicté par L.C. 1993, ch. 2, art. 7), « breveté » (édicté, idem), 83 (édicté, idem; 1994, ch. 26, art. 54(F)).
Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 18.1 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27).
jurisprudence citée
décision appliquée :
Hoechst Marion Roussel Canada Inc. c. Canada (Procureur général), [2006] 3 R.C.F. 536; 2005 CF 1552 (quant à la norme de contrôle judiciaire).
décision différenciée :
Hoechst Marion Roussel Canada Inc. c. Canada (Procureur général), [2006] 3 R.C.F. 536; 2005 CF 1552 (quant à la compétence du Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés).
décisions examinées :
ICN Pharmaceuticals, Inc. c. Canada (Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés), [1996] A.C.F. no 206 (1re inst.) (QL); conf. par sub nom. ICN Pharmaceuticals, Inc. c. Canada (Personnel du Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés), [1997] 1 C.F. 32 (C.A.); Gustavson Drilling (1964) Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1977] 1 R.C.S. 271.
décisions citées :
Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; Benner c. Canada (Secrétaire d’État), [1997] 1 R.C.S. 358.
doctrine citée
Sullivan, Ruth. Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4e éd. Toronto : Butterworths, 2002.
DEMANDES de contrôle judiciaire des décisions par lesquelles le Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés a statué qu’il avait compétence pour examiner l’établissement des prix des produits médicamenteux des demanderesses pendant la période où les demandes de brevet visant ces produits médicamenteux étaient accessibles au public. Demandes rejetées.
ont comparu :
Martin W. Mason et Graham Ragan pour la demanderesse dans l’affaire T‑100‑07.
Malcolm N. Ruby pour la demanderesse dans l’affaire T‑101‑07.
Michael G. Roach pour le défendeur dans les affaires T‑100‑07 et T‑101‑07.
Martin W. Mason pour l’intervenante dans l’affaire T‑101‑07.
avocats inscrits au dossier :
Gowling Lafleur Henderson S.E.N.C.R.L., Ottawa, pour la demanderesse dans l’affaire T‑100‑07.
Gowling Lafleur Henderson S.E.N.C.R.L., Toronto, pour la demanderesse dans l’affaire T‑101‑07.
Le sous‑procureur général du Canada pour le défendeur dans les affaires T‑100‑07 et T‑101‑07.
Gowling Lafleur Henderson S.E.N.C.R.L., Ottawa, pour l’intervenante dans l’affaire T‑101‑07.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par
Le juge Russell :
LES DEMANDES
[1]Les demanderesses, Shire Biochem Inc. (Shire) et Janssen‑Ortho Inc. (Janssen‑Ortho) sollicitent, confor-mément à l’article 18.1 [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27] de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7 [art. 1 (mod., idem, art. 14)], le contrôle judiciaire des décisions, rendues le 18 décembre 2006, par lesquelles le Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés (le Conseil) a statué qu’il avait compétence pour examiner l’établissement des prix des produits médicamenteux « Adderall XR » de Shire, et « Concerta » de Janssen‑Ortho, pendant la période comprise entre la date où les demandes de brevet en cause sont devenues accessibles au public et la date où les brevets demandés ont été délivrés.
[2]Ces deux affaires sont des demandes distinctes. Cependant, les motifs et les conclusions du Conseil sont essentiellement les mêmes dans les deux décisions, de sorte que la Cour a ordonné, avec le consentement de toutes les parties, que les deux demandes soient entendues successivement le même jour.
[3]Les compagnies de recherche pharmaceutique du Canada (Rx&D) est une intervenante dans le dossier no T‑101‑07 et elle était aussi intervenante à l’audience devant le Conseil. Les arguments de Rx&D étayent et recoupent dans une large mesure les arguments des demanderesses.
CONTEXTE
i) Le Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés
[4]Le Conseil est constitué en vertu de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P‑4 [article 39.18], édicté en 1987 par la Loi modifiant la Loi sur les brevets et prévoyant certaines dispositions connexes, L.C. 1987, ch. 41, article 15 [maintenant L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 33]. Le Parlement a créé le Conseil pour empêcher les brevetés d’abuser de la protection accrue des brevets ou de l’exclusivité à l’égard des nouvelles inventions de médicaments (auxquelles les modifications de 1987 accordaient également une protection) en fixant des prix excessifs. Les pouvoirs du Conseil ont été renforcés en 1993 [L.C. 1993, ch. 2, art. 7] lorsque le Parlement a accru la protection des brevets ou l’exclusivité pour les nouvelles inventions de médicaments.
ii) Demandes de brevet
[5]En vertu de l’article 10 [mod. par L.C. 1993, ch. 5, art. 28] de la Loi sur les brevets, les demandes de brevet sont mises à la disposition du public pour consultation avant l’octroi du brevet. Un demandeur ne peut empêcher une personne de contrefaire le brevet visé par la demande pendant cette période. Cependant, une fois qu’un brevet est accordé, quiconque a effectivement contrefait le brevet pendant la période où la demande de brevet était accessible au public est, en vertu du paragraphe 55(2) [mod., idem, art. 48], responsable envers le breveté à concurrence d’une indemnité raisonnable pour tout dommage subi. De plus, une fois que le brevet est octroyé, il confère au breveté une gamme plus large de privilèges, droits, protections et recours, dont la possibilité d’enjoindre à autrui de cesser d’utiliser, de fabriquer ou de vendre l’objet du brevet.
iii) « Adderall XR » de Shire
.
[6]L’« Adderall XR » est un médicament utilisé pour le traitement du trouble d’hyperactivité avec déficit de l’attention (THADA).
[7]La filiale américaine de Shire s’est vu accorder le brevet canadien no 3348090 le 13 avril 2004. Shire détient une licence d’exploitation du brevet et est considérée comme la brevetée canadienne aux fins des procédures devant le Conseil et devant la Cour. Toutes les parties conviennent que ce brevet a pour objet une invention liée à un médicament.
[8]Shire a commencé à vendre l’« Adderall XR » le 12 septembre 2002, environ 19 mois avant que le brevet ne soit accordé. La demande de brevet a été rendue accessible au public le 27 avril 2000.
iv) « Concerta » de Janssen‑Ortho
[9]Tout comme l’« Adderall XR », le « Concerta » est un médicament employé pour le traitement du THADA. Janssen‑Ortho a commencé à vendre le « Concerta » au Canada le 7 août 2003.
[10]Janssen‑Ortho possède trois brevets canadiens à l’égard du « Concerta » : i) le brevet canadien no 1222950, octroyé le 16 juin 1987 et expiré le 16 juin 2004; ii) le brevet canadien no 2265668, qui a été accordé le 23 août 2005 et expirera le 12 novembre 2017; et iii) le brevet canadien no 2264852, qui a été accordé le 1er novembre 2005 et expirera le 16 septembre 2017. La période qui nous intéresse ici relativement au « Concerta » est la période comprise entre l’expiration du premier brevet et le moment où le deuxième brevet a été accordé (du 16 juin 2004 au 23 août 2005). Au cours de cette période, les deux brevets les plus récents ont été mis à la disposition du public. Toutes les parties conviennent que ces brevets ont pour objet des inventions liées à un médicament.
v) Historique de la procédure
[11]Par un avis d’audience daté du 18 janvier 2006, le Conseil a annoncé qu’il tiendrait une audience relativement à des allégations selon lesquelles Shire vendait l’« Adderall XR » à des prix excessifs. L’avis d’audience visait notamment la période où la demande de brevet relative à l’« Adderall XR » avait été mise à la disposition du public.
[12]Le 26 février 2006, Shire a présenté au Conseil une requête contestant la compétence du Conseil pour rendre une ordonnance visant la période où la demande de brevet avait été mise à la disposition du public. Le Conseil a accordé à Janssen‑Ortho et à Rx&D la qualité d’intervenantes.
[13]Par un avis d’audience daté du 24 juillet 2006, le Conseil a annoncé qu’il tiendrait une audience relativement aux allégations selon lesquelles Janssen‑Ortho avait fixé un prix excessif pour le « Concerta ». Tout comme dans le cas de l’audience concernant Shire, l’avis d’audience visait notamment la période durant laquelle les demandes de brevet relatives au « Concerta » avaient été mises à la disposition du public.
[14]Étant donné que la même question relative à la compétence a été soulevée dans l’instance mettant en cause Shire et dans celle concernant Janssen‑Ortho, les demanderesses ont proposé que la décision du Conseil statuant sur la requête relative à la compétence dans l’instance mettant en cause Shire soit incorporée par renvoi à l’instance mettant en cause Janssen‑Ortho. Le Conseil a accepté cette proposition le 14 septembre 2006.
[15]Par ordonnance datée du 18 décembre 2006, le Conseil a rejeté la requête présentée par Shire. Le Conseil a également prononcé une ordonnance distincte à l’égard de l’audience pour le « Concerta » de Janssen‑Ortho indiquant que les motifs exposés dans l’ordonnance Shire s’appliquaient aussi à l’audience « Concerta ».
[16]Bien que l’ordonnance du Conseil ait été datée du 18 décembre 2006, la décision comme telle était datée du 15 décembre 2006. Dans cette décision, le Conseil exposait des motifs détaillés qui comprenaient des conclusions pouvant se résumer comme suit :
1. L’intention du Parlement était de contrôler l’établissement de prix excessifs durant les périodes de position dominante sur le marché dans le cadre du régime des brevets, et les dispositions de la Loi sur les brevets qui créent les pouvoirs réparateurs du Conseil devraient recevoir une interprétation téléologique de manière à refléter cette intention.
2. Les articles 10 et 55 de la Loi sur les brevets ont comme effet que la partie à qui un brevet est octroyé acquiert une position dominante sur le marché à compter de la date où la demande de brevet est rendue accessible au public.
3. En vertu de l’article 83 [édicté par L.C. 1993, ch. 2, art. 7; 1994, ch. 26, art. 54 (F)] de la Loi sur les brevets, le Conseil peut rendre des ordonnances réparatrices relativement aux prix auxquels un breveté a vendu des médicaments « alors qu’il était titulaire du brevet ». L’article 79 définit le « breveté » [édicté par L.C. 1993, ch. 2, art. 7] comme étant « [l]a personne ayant pour le moment droit à l’avantage d’un brevet pour une invention liée à un médicament ».
4. Une fois qu’un brevet est accordé, le breveté a « l’avantage du brevet » depuis le moment où la demande de brevet est devenue accessible au public. En particulier, le breveté jouit des avantages que confère le paragraphe 55(2) une fois que la demande de brevet est rendue accessible au public.
DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES
[17]Les dispositions pertinentes de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P‑4, sont les suivantes [art. 42 (mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 33, art. 16), 79 « Conseil » (édicté par L.C. 1993, ch. 2, art. 7)] :
10. (1) Sous réserve des paragraphes (2) à (6) et de l’article 20, les brevets, demandes de brevet et documents relatifs à ceux‑ci, déposés au Bureau des brevets, peuvent y être consultés aux conditions réglementaires.
[. . .]
octroi des brevets
42. Tout brevet accordé en vertu de la présente loi contient le titre ou le nom de l’invention avec renvoi au mémoire descriptif et accorde, sous réserve des autres dispositions de la présente loi, au breveté et à ses représentants légaux, pour la durée du brevet à compter de la date où il a été accordé, le droit, la faculté et le privilège exclusif de fabriquer, construire, exploiter et vendre à d’autres, pour qu’ils l’exploitent, l’objet de l’invention, sauf jugement en l’espèce par un tribunal compétent.
[. . .]
contrefaçon
[. . .]
55. (1) Quiconque contrefait un brevet est responsable envers le breveté et toute personne se réclamant de celui‑ci du dommage que cette contrefaçon leur a fait subir après l’octroi du brevet.
(2) Est responsable envers le breveté et toute personne se réclamant de celui‑ci, à concurrence d’une indemnité raisonnable, quiconque accomplit un acte leur faisant subir un dommage entre la date à laquelle la demande de brevet est devenue accessible au public sous le régime de l’article 10 et l’octroi du brevet, dans le cas où cet acte aurait constitué une contrefaçon si le brevet avait été octroyé à la date où cette demande est ainsi devenue accessible.
(3) Sauf disposition expresse contraire, le breveté est, ou est constitué, partie à tout recours fondé sur les paragraphes (1) ou (2).
(4) Pour l’application des autres dispositions du présent article et des articles 54 et 55.01 à 59, le recours visé au paragraphe (2) est réputé être une action en contrefaçon et l’acte sur lequel il se fonde est réputé être un acte de contrefaçon.
[. . .]
médicaments brevetés
Définitions
79. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article et aux articles 80 à 103.
« breveté » ou «titulaire d’un brevet » La personne ayant pour le moment droit à l’avantage d’un brevet pour une invention liée à un médicament, ainsi que quiconque était titulaire d’un brevet pour une telle invention ou exerce ou a exercé les droits d’un titulaire dans un cadre autre qu’une licence prorogée en vertu du paragraphe 11(1) de la Loi de 1992 modifiant la Loi sur les brevets.
« Conseil » Le Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés prorogé au titre de l’article 91.
[. . .]
(2) Pour l’application du paragraphe (1) et des articles 80 à 101, une invention est liée à un médicament si elle est destinée à des médicaments ou à la préparation ou la production de médicaments, ou susceptible d’être utilisée à de telles fins.
[. . .]
Prix excessifs
83. (1) Lorsqu’il estime que le breveté vend sur un marché canadien le médicament à un prix qu’il juge être excessif, le Conseil peut, par ordonnance, lui enjoindre de baisser le prix de vente maximal du médicament dans ce marché au niveau précisé dans l’ordonnance et de façon qu’il ne puisse pas être excessif.
(2) Sous réserve du paragraphe (4), lorsqu’il estime que le breveté a vendu, alors qu’il était titulaire du brevet, le médicament sur un marché canadien à un prix qu’il juge avoir été excessif, le Conseil peut, par ordonnance, lui enjoindre de prendre l’une ou plusieurs des mesures suivantes pour compenser, selon lui, l’excédent qu’aurait procuré au breveté la vente du médicament au prix excessif :
a) baisser, dans un marché canadien, le prix de vente du médicament dans la mesure et pour la période prévue par l’ordonnance;
b) baisser, dans un marché canadien, le prix de vente de tout autre médicament lié à une invention brevetée du titulaire dans la mesure et pour la période prévue par l’ordonnance;
c) payer à Sa Majesté du chef du Canada le montant précisé dans l’ordonnance.
(3) Sous réserve du paragraphe (4), lorsqu’il estime que l’ancien breveté a vendu, alors qu’il était titulaire du brevet, le médicament à un prix qu’il juge avoir été excessif, le Conseil peut, par ordonnance, lui enjoindre de prendre l’une ou plusieurs des mesures suivantes pour compenser, selon lui, l’excédent qu’aurait procuré à l’ancien breveté la vente du médicament au prix excessif :
a) baisser, dans un marché canadien, le prix de vente de tout autre médicament lié à une invention dont il est titulaire du brevet dans la mesure et pour la période prévue par l’ordonnance;
b) payer à Sa Majesté du chef du Canada le montant précisé dans l’ordonnance.
(4) S’il estime que le breveté ou l’ancien breveté s’est livré à une politique de vente du médicament à un prix excessif, compte tenu de l’envergure et de la durée des ventes à un tel prix, le Conseil peut, par ordonnance, au lieu de celles qu’il peut prendre en application, selon le cas, des paragraphes (2) ou (3), lui enjoindre de prendre l’une ou plusieurs des mesures visées par ce paragraphe de façon à réduire suffisamment les recettes pour compenser, selon lui, au plus le double de l’excédent procuré par la vente au prix excessif.
QUESTIONS EN LITIGE
[18]La principale question dont je suis saisi est celle de savoir si le Conseil a commis une erreur lorsqu’il a statué qu’il avait compétence pour examiner l’établissement des prix de l’« Adderall XR » et du « Concerta » pendant la période où les brevets en cause étaient mis à la disposition du public.
MOTIFS
i) Norme de contrôle
[19]Toutes les parties conviennent que la norme de contrôle est celle de la décision correcte. Comme l’a noté la juge Heneghan dans Hoechst Marion Roussel Canada Inc. c. Canada (Procureur général), [2006] 3 R.C.F. 536 (C.F.), aux paragraphes 99 à 110 (HMRC), les questions de compétence sont des questions de droit à l’égard desquelles le Conseil ne possède pas une expertise supérieure à celle de la Cour. Bien que la Loi sur les brevets ait pour objet de résoudre des objectifs de politique contradictoires, ce qui milite en faveur d’une plus grande retenue, elle ne comporte aucune clause privative. Pour ces raisons, je conviens que la norme de contrôle est celle de la décision correcte.
ii) Application de la décision HMRC
[20]Les demanderesses soutiennent que le Conseil a commis une erreur en omettant de suivre HMRC. Dans cette décision, la juge Heneghan a statué que le Conseil n’avait pas compétence pour examiner des prix lorsqu’un brevet est rendu accessible au public. Cependant, dans HMRC, les brevets en cause n’avaient pas été accordés; il s’agissait simplement de demandes de brevet. Comme l’a fait observer la juge Heneghan au paragraphe 136 de ses motifs, « une demande de brevet ouvre uniquement la voie à la possibilité qu’un brevet soit délivré ». Puisqu’aucun brevet n’avait été accordé,
il n’y avait aucun breveté dans l’affaire dont elle était saisie. Le Conseil a compétence à l’égard des brevetés et, pour cette raison, il n’avait pas compétence pour examiner les prix dans cette affaire.
[21]En l’espèce, les brevets ont été accordés et il est acquis au débat que, puisque les demanderesses sont des brevetées, le Conseil a compétence pour examiner les prix au moins depuis la date d’octroi des brevets. Par conséquent, étant donné la différence importante entre les situations factuelles relatives aux brevets en cause, je suis d’avis que la décision HMRC n’apporte pas de réponse à la question de savoir si le Conseil peut, après l’octroi d’un brevet, examiner les prix en vigueur pendant la période où la demande de brevet était mise à la disposition du public. Selon moi, le Conseil n’a donc pas commis d’erreur lorsqu’il a établi une distinction entre la présente affaire et la décision HMRC de la juge Heneghan. Mon propre examen de HMRC me convainc que les motifs de la juge Heneghan ne comportent pas la moindre indication d’une intention de sa part de se prononcer sur une situation analogue à celle qui nous intéresse en l’espèce, où les brevets en cause ont été accordés et où les demanderesses sont des brevetées au sens de la Loi sur les brevets. Ayant acquis la qualité de brevetées, les demanderesses ne posent plus les problèmes conceptuels avec lesquels la juge Heneghan a dû s’escrimer dans HMRC. La question qui se pose maintenant est celle de savoir si, étant donné que les demanderesses sont des brevetées, le pouvoir du Conseil peut remonter jusqu’à l’époque où les brevets étaient mis à la disposition du public.
iii) Interprétation de la loi
[22]À mon avis, la question relative à la compétence soulevée dans les présentes demandes dépend de l’interprétation que l’on donne aux dispositions pertinentes de la Loi sur les brevets. À cette fin, je dois procéder à une analyse téléologique, en interprétant la Loi sur les brevets de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet conformément à la jurisprudence pertinente (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I‑21, article 12).
[23]La Cour fédérale a statué que le Conseil a pour objet de « pallier le “préjudice” découlant du fait que le monopole accordé au breveté en matière de produits pharmaceutiques durant la période d’exclusivité pouvait entraîner une hausse des prix à des niveaux inacceptables » (ICN Pharmaceuticals, Inc. c. Canada (Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés), [1996] A.C.F. no 206 (1re inst.) (QL), au paragraphe 24, conf. par [sub nom. ICN Pharmaceuticals, Inc. c. Canada (Personnel du Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés)] [1997] 1 C.F. 32 (C.A.)). Il s’ensuit, donc, que les dispositions doivent, dans la mesure où le libellé le permet, s’interpréter d’une manière qui s’accorde avec cet objet (Ruth Sullivan, Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4e éd., Toronto : Butterworths, 2002, à la page 195).
[24]La Cour d’appel fédérale a statué dans le passé que la compétence du Conseil ne se fondait pas sur une incidence actuelle ou future sur la puissance commerciale (ICN Pharmaceuticals, Inc. c. Canada (Personnel du Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés), [1997] 1 C.F. 32, au paragraphe 76). Le Parlement a conféré au Conseil un vaste rayon d’action pour examiner les prix des médicaments, même lorsque le lien avec un brevet est ténu, pour s’assurer que les compagnies pharmaceutiques ne puissent pas se soustraire à la compétence du Conseil et pour éviter de limiter la capacité du Conseil de protéger les consommateurs canadiens contre l’établissement de prix excessifs (paragraphe 60).
iv) Sens de « breveté »
[25]L’article 79 de la Loi sur les brevets définit un « breveté » comme étant « [l]a personne ayant pour le moment droit à l’avantage d’un brevet pour une invention ».
[26]L’avantage d’un brevet comprend les droits du breveté d’exercer différents recours contre les contrefacteurs du brevet conformément aux articles 54 à 59 [art. 54 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 182), 55.01 (édicté par L.C. 1993, ch. 15, art. 48), 55.1 (édicté par L.C. 1993, ch. 2, art. 4; ch. 44, art. 193), 55.2 (édicté par L.C. 1993, ch. 2, art. 4: 2001, ch. 10, art. 2), 56 (mod. par L.C. 1993, ch. 44, art. 194)] de la Loi sur les brevets. Figure parmi ces recours celui, prévu au paragraphe 55(2), visant l’obtention d’une indemnité raisonnable pour toute contrefaçon survenue après que la demande de brevet est devenue accessible au public sous le régime de l’article 10 de la Loi sur les brevets. En vertu du paragraphe 55(4), ce recours visant l’obtention d’une indemnité raisonnable est réputé être une action en contrefaçon de brevet.
[27]Cela signifie essentiellement qu’une fois qu’un brevet est accordé, un breveté a l’avantage du brevet depuis la date où le brevet est devenu accessible au public et peut intenter une action en indemnisation raisonnable.
[28]Les demanderesses soutiennent que le mot « avantage » à l’article 79 renvoie à tous les attributs des droits d’un breveté en vertu d’un brevet. Elles soulignent qu’une fois qu’un brevet a été accordé, le breveté dispose d’autres recours en plus du pouvoir de réclamer une indemnité raisonnable, notamment, par exemple, le droit de demander des injonctions en vertu de l’article 57 de la Loi sur les brevets. Puisque le breveté peut seulement demander une indemnité raisonnable pour la période de mise à la disposition du public (et seulement après l’octroi du brevet), les demanderesses soutiennent que le titulaire de brevet ne jouit pas pleinement du brevet pendant cette période et qu’il ne devrait donc pas être considéré comme un breveté pendant cette période.
[29]À mon avis, il n’y a rien dans la loi qui donne à entendre qu’« avantage » doit s’interpréter comme évoquant tous les recours que peut exercer un breveté en vertu de la loi. Le paragraphe 55(2) a pour objet d’étendre les avantages des brevets au profit des brevetés pendant la période de demande de brevet. Une fois qu’une demande de brevet est rendue accessible au public, un tiers peut lire les documents publiés et utiliser l’invention. Cependant, le paragraphe 55(2) dispose que quiconque fait cela (ou contrefait autrement l’invention) s’expose à devoir payer une indemnité raisonnable si le brevet est ensuite accordé. Le paragraphe 55(4) prévoit expressément qu’un tel recours visant à obtenir une indemnité raisonnable « est réputé être une action en contrefaçon et l’acte sur lequel il se fonde est réputé être un acte de contrefaçon ». Ainsi, la Loi sur les brevets range expressément le droit à une indemnité raisonnable en vertu du paragraphe 55(2) parmi l’ensemble des droits d’exécution dont jouit un breveté en vertu de son brevet une fois celui‑ci délivré.
[30]À mon avis, il s’ensuit que, puisqu’une fois le brevet délivré, le breveté jouit de droits de brevet depuis le moment où le brevet est rendu accessible au public (même s’il ne jouit pas de la gamme complète), le breveté est donc réputé jouir de ces droits à titre de breveté selon la Loi sur les brevets et doit être considéré comme ayant vendu des médicaments « alors qu’il était titulaire du brevet » au sens du paragraphe 83(2) et comme étant la personne ayant droit à l’avantage du brevet pendant cette période.
[31]Cela étant, je suis convaincu que l’analyse téléologique effectuée par le Conseil et évoquée dans ses décisions est bien fondée et qu’il était dans l’intention du Parlement que la compétence du Conseil sur les prix des médicaments s’étende à cette période comprise entre le moment où la demande de brevet est rendue accessible au public et l’octroi du brevet—à condition, bien sûr, qu’un brevet soit accordé, comme cela a été le cas en l’espèce.
v) Application rétroactive?
[32]Tout comme un breveté ne peut pas intenter une action en contrefaçon entre le moment où la demande de brevet est mise à la disposition du public et l’octroi du brevet, le Conseil ne peut pas examiner des prix pendant la période où la demande de brevet est mise à la disposition du public, avant l’octroi du brevet. Jusqu’à ce que le brevet soit accordé, une demande de brevet ouvre uniquement la voie à la possibilité qu’un brevet soit délivré (HMRC, au paragraphe 135), ce qui est insuffisant pour justifier tant des recours que des examens de prix.
[33]Les demanderesses soutiennent que cette inter-prétation mène à une application rétroactive de la Loi sur les brevets et qu’il n’y a rien dans la loi qui réfute la forte présomption à l’encontre de la rétroactivité des lois (Gustavson Drilling (1964) Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1977] 1 R.C.S. 271, à la page 279). Elles soutiennent que s’il est vrai que le paragraphe 55(2) prévoit un droit de recours rétroactif ou rétrospectif une fois le brevet accordé, il n’y a aucune disposition similaire prévoyant un droit rétroactif ou rétrospectif d’examen des prix par le Conseil.
[34]À mon avis, les dispositions ne s’appliquent pas rétroactivement ou rétrospectivement. Elles ne sont pas censées s’appliquer à une époque antérieure aux modifications de 1987 qui les ont prévues. De même, elles n’attachent pas de nouvelles conséquences à un événement qui est survenu avant l’adoption de la loi. (Benner c. Canada (Secrétaire d’État), [1997] 1 R.C.S. 358, aux paragraphes 39 et 40; voir aussi Sullivan, à la page 547 et s.).
[35]Les dispositions ont plutôt une application prospective. Les demandeurs de brevet savent lorsqu’ils déposent leurs demandes que si un brevet est par la suite accordé, ils pourront se prévaloir du paragraphe 55(2) depuis la date à laquelle la demande est mise à la disposition du public. Bien que l’avantage prenne effet à une date antérieure à la date à laquelle son existence se cristallise (la date d’octroi du brevet), il est néanmoins prospectif puisqu’il prend effet après le dépôt de la demande de brevet et après l’adoption des dispositions.
[36]Pour les mêmes raisons, le pouvoir du Conseil d’examiner des prix se cristallise à la date où le brevet est accordé mais prend effet à la date où le breveté obtient l’avantage du brevet—la date où celui‑ci est devenu accessible au public.
[37]Même si les dispositions peuvent être considérées comme s’appliquant rétroactivement ou rétrospectivement, elles respectent néanmoins selon moi le critère établi dans Gustavson Drilling. Comme je l’ai mentionné plus haut, le paragraphe 55(2) dispose expressément que le breveté a un avantage, une fois le brevet accordé, pendant la période de mise à la disposition du public. Par voie de conséquence, une fois qu’ un brevet accordé, le breveté est un breveté pendant la période de mise à la disposition du public. D’ailleurs, le paragraphe 55(4) dispose que tout recours en vertu du paragraphe 55(2) est réputé être une action en contrefaçon de brevet. À mon avis, interpréter la loi autrement étirerait le sens du mot « avantage » au‑delà de ce que permet les termes utilisés et au‑delà de ce qu’a voulu le Parlement.
vi) Pouvoir constitutionnel
[38]Janssen‑Ortho soutient que le Parlement outrepasserait ses pouvoirs en conférant au Conseil le pouvoir de réglementer les prix pendant la période de mise à la disposition du public parce que la réglementation des prix relève normalement de chefs de compétence provinciale. Suivant cet argument, le Parlement pourrait seulement réglementer les prix de produits en vertu de sa compétence législative exclusive en matière de brevets et, puisque les brevets en cause n’avaient pas été accordés pendant la période qui nous intéresse, le Conseil tente de réglementer des prix au‑delà des limites de la compétence du Parlement en matière de brevets. Janssen‑Ortho soutient que le Parlement n’a pas pu vouloir conférer compétence au Conseil à l’égard de la période de mise à la disposition du public parce que le Parlement ne légiférerait pas d’une manière qui pourrait étendre sa compétence.
[39]Il n’est cependant pas contesté que le Parlement a compétence sur « les brevets d’invention et de découverte ». Puisque la définition de « breveté » englobe les droits applicables à la période de mise à la disposition du public une fois que le brevet est accordé, j’estime que la loi est clairement intra vires et, par conséquent, l’argument qui précède en faveur d’une interprétation restrictive de l’intention du Parlement ne saurait tenir.
[40]À mon avis, le même pouvoir qui rend intra vires le paragraphe 55(2) de la Loi sur les brevets rend aussi intra vires le pouvoir du Conseil d’examiner les prix pendant la période de mise à la disposition du public.
vii) Éléments de preuve requis pour fonder la compétence
[41]Shire soutient que le Conseil a commis une erreur parce qu’il n’y avait aucune preuve de « préjudice » l’obligeant à intervenir. Dans ses décisions, le Conseil a affirmé que des demandeurs de brevet pourraient se livrer à des pratiques d’évitement délibéré en retardant l’octroi de leurs brevets afin de prolonger la période de mise à la disposition du public et les avantages du paragraphe 55(2) si le Conseil n’avait pas ultérieurement compétence en vertu du paragraphe 83(2). En l’absence de toute preuve qu’un tel scénario se produirait, Shire soutient que le Conseil a commis une erreur de droit en s’appuyant sur ce raisonnement.
[42]À mon avis, cet argument ne rend pas bien compte de la position du Conseil. Le terme « préjudice » vient de la jurisprudence (voir, p. ex., ICN Pharmaceuticals) et renvoie à la possibilité que des compagnies pharmaceutiques puissent chercher à se soustraire à la compétence du Conseil. Il n’y a aucune allégation selon laquelle l’une ou l’autre des demanderesses n’aurait adopté pareil comportement, et je n’ai vu aucun élément de preuve qui étaierait une telle allégation si elle était formulée.
[43]Le Parlement a créé le Conseil pour pallier un tel préjudice éventuel. La preuve d’un préjudice n’est pas nécessaire pour fonder cette compétence. Par exemple, le Conseil n’a pas besoin de disposer de la preuve d’une emprise sur le marché découlant d’un brevet, ni même qu’un brevet est effectivement exploité, pour exercer ses pouvoirs réglementaires. Le Parlement a conféré au Conseil une compétence étendue pour s’assurer qu’il puisse réaliser son objet consistant à veiller à ce que les prix ne soient pas excessifs.
[44]À mon avis, il est indifférent que les brevetés puissent retarder ou non l’obtention de l’octroi du brevet afin de minimiser la compétence du Conseil. En l’absence de cette compétence, il se peut que les brevetés soient en mesure de vendre leurs produits à des prix excessifs, en profitant du paragraphe 55(2) pour protéger leur pouvoir monopolistique d’établissement de prix pendant la période de mise à la disposition du public. La mission du Conseil est de pallier les préjudices qui pourraient découler d’un abus du pouvoir monopolistique d’un breveté. La même possibilité de préjudice existe à la fois après la date d’octroi du brevet et pendant la période de mise à la disposition du public.
[45]De même, Shire soutient que le Conseil n’a jamais conclu à l’existence d’une emprise sur le marché pendant la période de mise à la disposition du public. Cependant, comme l’a noté la Cour d’appel fédérale dans ICN Pharmaceuticals, il est indifférent qu’une emprise sur le marché existe ou non pour que le Conseil ait compétence. La question de savoir si les demanderesses avaient une emprise sur le marché pendant les périodes visées pourrait constituer pour le Conseil un facteur à prendre en compte pour décider si les prix des médicaments étaient excessifs. Cette question ne m’est cependant pas posée aujourd’hui. À mon avis, le Conseil a compétence pour évaluer si les prix sont excessifs et, le cas échéant, pour ordonner les réparations appropriées conformément à la Loi sur les brevets.
viii) Conclusion
[46]En résumé, je conclus que, pour l’application de l’article 79 de la Loi sur les brevets, « avantage du brevet » comprend l’avantage que confère le paragraphe 55(2), lequel se concrétise une fois que le brevet est accordé. En conséquence, une fois que le brevet est octroyé, un breveté est un breveté depuis la date où la demande a été rendue accessible au public en vertu de l’article 10. Il s’ensuit que le Conseil a compétence à l’égard des prix du breveté pendant la période de mise à la disposition du public en vertu du paragraphe 83(2). À mon avis, le Conseil n’a commis aucune erreur de droit en arrivant à cette même conclusion et ses décisions sont donc valides.
JUGEMENT
APRÈS avoir examiné les documents produits et entendu les observations des avocats des deux parties à Ottawa le mercredi 7 novembre 2007;
THIS COURT HEREBY ORDERS AND ADJUDGES that:
LA COUR STATUE que :
1. Pour les motifs exposés ci‑dessus, les deux demandes de contrôle judiciaire sont rejetées et les dépens sont accordés au défendeur.