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 [2014] 3 R.C.F. 117

A-243-11

2013 CAF 15

Christian Martin (appelant)

c.

Procureur général du Canada (intimé)

Répertorié : Martin c. Canada (Procureur général)

Cour d’appel fédérale, juges Nadon, Dawson et Stratas, J.C.A.—Toronto, 18 septembre 2012; Ottawa, 24 janvier 2013.

Assurance-emploi — Contrôle judiciaire visant la décision par laquelle un juge-arbitre a accueilli l’appel interjeté par la Commission de l’assurance-emploi du Canada de la décision rendue par un conseil arbitral qui a statué que l’appelant était admissible à la période de prestations visée à l’art. 12(4) de la Loi sur l’assurance-emploi — Le conseil arbitral a conclu que l’appelant avait droit à 35 semaines de prestations parentales même si son épouse avait obtenu, elle aussi, 35 semaines de telles prestations — Le conseil arbitral a ainsi infirmé la décision de la Commission portant que l’appelant n’avait pas droit à ces 35 semaines de prestations parentales — L’épouse de l’appelant a donné naissance à des jumelles — L’appelant a présenté une demande de prestations parentales auprès de la Commission — Il a sollicité, pour les soins à donner à ses enfants, la période maximale prévue de 35 semaines de prestations et a demandé que sa demande soit examinée de manière distincte de celle de son épouse — Le juge-arbitre a statué que le conseil arbitral avait interprété erronément les dispositions pertinentes de la Loi; que les art. 2(1), 7, 8, 12 et 23 ne portaient pas atteinte aux droits que tire l’appelant de l’art. 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés; que le conseil arbitral a eu raison de statuer qu’il n’avait pas compétence pour connaître les moyens tirés de la Charte par l’appelant — Il s’agissait de savoir si le juge-arbitre a commis une erreur en concluant que la Loi ne permettait pas à chacun des parents de jumeaux d’obtenir 35 semaines de prestations parentales; s’il a correctement conclu que le conseil arbitral n’avait pas compétence pour connaître les moyens puisés dans la Charte; et s’il a commis une erreur en concluant que les dispositions sur les prestations parentales de la Loi ne portaient pas atteinte à l’art. 15(1) de la Charte — Rien ne permettait de conclure que l’interprétation des dispositions pertinentes par le juge-arbitre était erronée; le juge arbitre a interprété correctement la Loi pour statuer — Les art. 12(3)b), 12(4) et 23 de la Loi ont fait l’objet d’un examen particulier en l’espèce — L’interprétation du juge-arbitre était parfaitement compatible avec le but visé par les prestations parentales instaurées par la Loi et avec la nature du régime d’assurance-emploi — Le juge-arbitre a eu raison de statuer que le conseil arbitral a conclu à bon droit qu’il n’avait pas compétence pour connaître des moyens puisés dans la Charte — Le juge-arbitre a conclu à bon droit que la décision de la Cour suprême dans Tétreault-Gadoury c. Canada (Commission de l’Emploi et de l’Immigration) lui était opposable; et que la Loi confère au juge-arbitre, et non au conseil arbitral, le pouvoir explicite de décider les questions de droit — Le juge‑arbitre n’a pas commis d’erreur en concluant, au regard du deuxième élément du critère de l’art. 15 de la Charte, que la distinction opérée par la Loi entre les parents de jumeaux et les autres parents ne donnait pas lieu à un désavantage par la perpétuation d’un préjugé ou l’application de stéréotypes — Le juge-arbitre a pesé avec soin les éléments de preuve et les observations présentés par l’appelant; il a pris en compte les facteurs contextuels énoncés par la jurisprudence sur les analyses de l’art. 15 de la Charte — Demande rejetée.

Droit constitutionnel — Charte des droits — Droits à l’égalité — L’épouse de l’appelant a donné naissance à des jumelles — Le conseil arbitral a conclu que l’appelant avait droit à 35 semaines de prestations parentales même si son épouse avait obtenu, elle aussi, 35 semaines de telles prestations — Le juge-arbitre a accueilli l’appel interjeté par la Commission de l’assurance-emploi du Canada de cette décision — Le juge‑arbitre a statué que les art. 2(1), 7, 8, 12 et 23 de la Loi ne portaient pas atteinte aux droits que tire l’appelant de l’art. 15(1) de la Charte — Le juge-arbitre n’a pas commis d’erreur en concluant, au regard du deuxième élément du critère de l’art. 15 de la Charte, que la distinction opérée par la Loi entre les parents de jumeaux et les autres parents ne donnait pas lieu à un désavantage par la perpétuation d’un préjugé ou l’application de stéréotypes — Le juge-arbitre a pesé avec soin les éléments de preuve et les observations présentés par l’appelant; il a pris en compte les facteurs contextuels énoncés par la jurisprudence sur les analyses de l’art. 15 de la Charte.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision par laquelle un juge-arbitre a accueilli l’appel interjeté par la Commission de l’assurance-emploi du Canada de la décision rendue par un conseil arbitral qui a statué que l’appelant était admissible à la période de prestations visée au paragraphe 12(4) de la Loi sur l’assurance-emploi. Le conseil arbitral a plus particulièrement conclu que l’appelant avait droit à 35 semaines de prestations parentales même si son épouse avait demandé, et obtenu, elle aussi, 35 semaines de telles prestations. Le conseil arbitral a par conséquent infirmé la conclusion de la Commission portant que l’appelant n’avait pas droit à ces 35 semaines de prestations parentales au motif que la naissance ou l’adoption de plusieurs enfants était assimilée à la naissance ou à l’adoption d’un seul. Le conseil arbitral a également statué qu’il n’avait pas compétence pour connaître les moyens soulevés par l’appelant en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés, et que, de manière subsidiaire, en le privant du droit à des prestations parentales, les dispositions en cause de la Loi portaient atteinte aux droits qu’il tire du paragraphe 15(1) de la Charte.

L’épouse de l’appelant a donné naissance à des jumelles. L’appelant a présenté à la Commission une demande de prestations parentales par laquelle il sollicitait, pour les soins à donner à ses enfants, la période maximale prévue de 35 semaines de prestations. Plus tard, l’appelant a de nouveau écrit à la Commission afin que sa demande de prestations parentales soit examinée de manière distincte de celle de son épouse, dont la demande de 35 semaines de prestations avait déjà été approuvée par la Commission.

En appel, le conseil arbitral a statué qu’en vertu du paragraphe 12(4) de la Loi, le prestataire n’avait droit qu’à 35 semaines de prestations pour les soins à donner à l’enfant issu d’une seule et même grossesse. Il a estimé que, par effet conjugué des paragraphes 12(1) et (4) et de l’alinéa 12(3)b) de la Loi, chaque prestataire (c.-à-d. l’appelant et son épouse) pouvait demander des prestations en vertu de l’alinéa 12(3)b). Quant au juge-arbitre, il a statué que le conseil arbitral avait interprété erronément les dispositions pertinentes de la Loi. Il s’est dit d’avis que le paragraphe 12(4) de la Loi allait clairement dans le sens de la thèse de l’intimé voulant que le nombre maximal de semaines pendant lesquelles des prestations parentales puissent être versées fût de 35 pour une même grossesse, qu’un ou plusieurs enfants en soient issus. Le juge-arbitre a également statué que ni le paragraphe 2(1), ni les articles 7, 8, 12 et 23 de la Loi ne portaient atteinte aux droits que tire l’appelant du paragraphe 15(1) de la Charte et que le conseil arbitral avait eu raison de conclure qu’il n’avait pas compétence pour connaître des moyens tirés de la Charte par l’appelant.

Il s’agissait de savoir si le juge-arbitre a commis une erreur en concluant que la Loi ne permettait pas à chacun des parents de jumeaux d’obtenir 35 semaines de prestations parentales; s’il a correctement conclu que le conseil arbitral n’avait pas compétence pour connaître des moyens puisés dans la Charte; et s’il a commis une erreur en concluant que les dispositions sur les prestations parentales de la Loi ne portaient pas atteinte au paragraphe 15(1) de la Charte.

Arrêt : la demande doit être rejetée.

  L’appelant a soutenu que le juge-arbitre a interprété le paragraphe 12(4) de la Loi sans tenir compte du contexte et sans appliquer les principes d’interprétation appropriés, faisant valoir que l’interprétation correcte de la Loi appelle la conclusion que lui et son épouse ont chacun droit à un congé parental. L’interprétation proposée par l’appelant ne pouvait pas être la bonne, car elle allait à l’encontre de l’intention manifeste du législateur lorsqu’il a adopté les dispositions en cause. Rien ne permettait de conclure que l’interprétation du juge-arbitre était erronée; il a interprété correctement la Loi pour statuer.

L’alinéa 12(3)b) et le paragraphe 12(4) de la Loi ont été examinés. Selon ces dispositions, le prestataire peut recevoir, au cours d’une période de prestations, un nombre maximal de 35 semaines de prestations pour donner des soins à un ou plusieurs nouveau-nés. Toute période de prestations est établie au profit d’un prestataire particulier, et elle lui est ainsi propre. Pour une telle période, par conséquent, l’alinéa 12(3)b) limite à une seule période de 35 semaines les prestations qu’une mère ou un père, à titre de prestataire individuel et distinct, peut recevoir pour les soins à donner aux enfants. Une autre limite, prévue au paragraphe 12(4), s’ajoute toutefois à celle-ci et restreint la période pendant laquelle des prestations parentales peuvent être versées pour les soins à donner à un ou plusieurs nouveau-nés. La période maximale est de 35 semaines pour tous les enfants issus d’une même grossesse. Quant au paragraphe 23(4), qui revêtait une plus grande importance en l’espèce, il vise la situation où deux prestataires de la première catégorie « prennent soin d’un enfant visé au paragraphe (1) » et permet à ceux-ci de partager entre eux les semaines de prestations, à concurrence de 35, payables pour les soins à donner, selon le cas, à un ou plusieurs enfants. En vertu de l’article 23, le prestataire de la première catégorie peut obtenir des prestations s’il prend soin de son ou de ses nouveau-nés et, lorsque deux prestataires de la première catégorie prennent soin de leur ou de leurs nouveau-nés, ils peuvent se partager entre eux un maximum de 35 semaines de prestations. Ce que prévoit indéniablement l’article 23, c’est que deux parents qui interrompent leur emploi pour prendre soin d’un ou de plusieurs nouveau‑nés ont droit à un nombre maximum de 35 semaines de prestations, qu’ils peuvent se partager entre eux, comme bon leur semble. La seule conclusion pouvant être tirée lorsqu’on lit de concert les articles 12 et 23 est qu’à l’égard d’un enfant ou d’enfants issus d’une seule et même grossesse, il est possible d’obtenir 35 semaines de prestations parentales, quel que soit le nombre d’enfants issus d’une seule et même grossesse, et quel que soit le nombre de prestataires voulant obtenir des prestations par suite de cette grossesse. Cette approche a été adoptée par le juge-arbitre et son interprétation était parfaitement compatible avec le but visé par les prestations parentales instaurées par la Loi et avec la nature du régime d’assurance‑emploi. On verse les prestations parentales aux parents pour compenser l’arrêt de leur rémunération lorsqu’ils cessent de travailler ou réduisent leurs heures de travail pour prendre soin d’un ou de plusieurs enfants. Le régime n’est manifestement pas axé sur les besoins des parents ou sur le nombre d’enfants issus d’une grossesse.

Quant à l’argument de l’appelant voulant qu’on ait établi dans la Loi deux périodes différentes de prestations (la période de prestations visée aux articles 9 et 10 de la Loi et une période amorphe visée au paragraphe 23(2)), c’est là une façon erronée de raisonner. S’il ne fait aucun doute que la période de prestations visée aux articles 9 et 10 de la Loi est établie en fonction spécifiquement du prestataire, il n’en est pas ainsi pour la période pendant laquelle des prestations parentales peuvent être versées au titre du paragraphe 23(2). L’établissement de cette dernière période se rattache à la naissance d’un ou de plusieurs enfants (paragraphe 23(2)).

Par conséquent, selon toutes les dispositions qui ont été examinées en l’espèce, lorsque deux parents/prestataires subissent un arrêt de rémunération pour prendre soin de leur ou de leurs enfants, ils ne peuvent recevoir globalement plus de 35 semaines de prestations à l’égard des enfants issus d’une seule et même grossesse.

Le juge-arbitre a conclu que le conseil arbitral a statué à bon droit qu’il n’avait pas compétence pour connaître des moyens puisés dans la Charte soulevés par l’appelant puisque la Cour suprême du Canada s’était déjà prononcée sur la question dans l’arrêt Tétreault-Gadoury c. Canada (Commission de l’Emploi et de l’Immigration), une décision qui portait sur la compétence du conseil arbitral à connaître des questions relatives à la Charte et qui lui était opposable. L’argument de l’appelant selon lequel la jurisprudence Tétreault-Gadoury était désormais obsolète compte tenu de la jurisprudence récente de la Cour suprême a été rejeté. Le juge-arbitre a conclu à bon droit que l’arrêt Tétreault-Gadoury lui était opposable; la Loi confère au juge-arbitre, et non au conseil arbitral, le pouvoir explicite de décider les questions de droit et ne prévoit aucun rôle pour le conseil arbitral à cet égard. La Cour suprême n’a jamais écarté cette décision explicitement dans sa jurisprudence ultérieure, même si on lui en a fourni de bonnes occasions. Par conséquent, la jurisprudence Tétreault-Gadoury fait autorité.

Quant à la question relative à la Charte, le juge-arbitre n’a pas commis d’erreur en concluant, au regard du deuxième élément du critère relatif aux analyses de l’article 15 de la Charte, tel qu’établi par la Cour suprême dans l’arrêt R. c. Kapp, que la distinction opérée par la Loi entre les parents de jumeaux et les autres parents ne donnait pas lieu à un désavantage par la perpétuation d’un préjugé ou l’application de stéréotypes. Pour en arriver à cette conclusion, le juge-arbitre a examiné les quatre facteurs contextuels consacrés par la jurisprudence. Le juge-arbitre a souligné à juste titre que l’objet de la Loi n’était pas de s’attaquer aux difficultés particulières auxquelles les parents font face, mais plutôt de compenser l’arrêt de rémunération des parents qui prennent congé pour prendre soin de leurs enfants. Contrairement à ce que l’appelant a affirmé, rien ne prouvait que ce groupe (les parents de jumeaux ou de plus de deux nouveau-nés) soit victime d’un désavantage préexistant et soit vulnérable. C’est dans le contexte que la Loi vise plutôt à aider divers types de prestataires, en assurant un revenu de remplacement partiel et temporaire à ceux qui subissent un arrêt de rémunération, que le juge-arbitre a conclu à juste titre que la Loi était suffisamment souple pour répondre aux besoins des parents dont les enfants leur imposent un fardeau plus lourd que d’autres. Rien ne permettait d’être en désaccord avec le juge-arbitre.

Pour conclure, le juge-arbitre a pesé avec soin les éléments de preuve et les observations présentés par l’appelant, et, ce faisant, il a pris en compte les facteurs contextuels énoncés par la jurisprudence de la Cour suprême sur cette question. Par conséquent, il n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle en concluant que les dispositions en cause n’étaient pas discriminatoires et n’étaient donc pas contraires au paragraphe 15(1) de la Charte.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 1, 15, 24(1).

Industrial Relations Act, R.S.B.C. 1979, ch. 212.

Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 52.

Loi de 1971 sur l’assurance-chômage, S.C. 1970-71-72, ch. 48.

Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 10.

Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23, art. 2(1), 6, 7, 8, 9. 10, 11, 12, 23, 117, 152.05, 152.09.

Règlement sur l’assurance-emploi, DORS/96-332, art. 76.21.

JURISPRUDENCE CITÉE

décisions appliquées :

Tétreault-Gadoury c. Canada (Commission de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] 2 R.C.S. 22; Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497; R. c. Kapp, 2008 CSC 41, [2008] 2 R.C.S. 483; Barrie Public Utilities c. Assoc. canadienne de télévision par câble, 2003 CSC 28, [2003] 1 R.C.S. 476.

décisions examinées :

R. c. Conway, 2010 CSC 22, [2010] 1 R.C.S. 765; Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143; Withler c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 12, [2011] 1 R.C.S. 396; Granovsky c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 2000 CSC 28, [2000] 1 R.C.S. 703; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; Nouvelle-Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Martin; Nouvelle-Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Laseur, 2003 CSC 54, [2003] 2 R.C.S. 504; Mills c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 863; Douglas/Kwantlen Faculty Assn. c. Douglas College, [1990] 3 R.C.S. 570; Cuddy Chicks Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail), [1991] 2 R.C.S. 5; Canada c. Craig, 2012 CSC 43, [2012] 2 R.C.S. 489; Gunn c. Canada, 2006 CAF 281, [2007] 3 R.C.F. 57.

décisions citées :

Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 R.C.S. 203; Delisle c. Canada (Sous-procureur général), [1999] 2 R.C.S. 989; Miron c. Trudel, [1995] 2 R.C.S. 418; Canada (Procureur général) c. Lesiuk, 2003 CAF 3, [2003] 2 C.F. 697, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée [2003] 2 R.C.S. viii; Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 53, [2011] 3 R.C.S. 471; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654; Chaulk c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 190; Doré c. Barreau du Québec, 2012 CSC 12, [2012] 1 R.C.S. 395; Moldowan c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 480.

DOCTRINE CITÉE

Sullivan, Ruth. Sullivan on the Construction of Statutes, 5e éd. Markham, Ont. : LexisNexis, 2008.

DEMANDE de contrôle judiciaire visant la décision (Loi sur l’assurance-emploi (Re) (2011), CUB 76899) par laquelle un juge-arbitre a accueilli l’appel interjeté par la Commission de l’assurance-emploi du Canada de la décision rendue par un conseil arbitral qui a statué que l’appelant était admissible à la période de prestations visée au paragraphe 12(4) de la Loi sur l’assurance-emploi. Demande rejetée.

ONT COMPARU

Stephen J. Moreau pour l’appelant.

Nicole Butcher et Martin Kreuser pour l’intimé.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Cavalluzzo Hayes Shilton McIntyre & Cornish LLP, Toronto, pour l’appelant.

Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]        Le juge Nadon, J.C.A. : En avril 2009, Paula Critchley, l’épouse du demandeur, a donné naissance à des jumelles. La question de fond centrale en l’espèce est de savoir si le demandeur et son épouse ont tous deux le droit de toucher 35 semaines de prestations parentales sous le régime de la Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23 (la Loi).

[2]        Nous sommes saisis d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision du 31 mai 2011 [Loi sur l’assurance-emploi (Re) (2011)] (CUB 76899) par laquelle un juge-arbitre (le juge Zinn de la Cour fédérale) a accueilli l’appel interjeté par la Commission de l’assurance-emploi (la Commission) de la décision rendue par un conseil arbitral le 11 septembre 2009.

[3]        Le conseil arbitral a statué dans sa décision que le demandeur était admissible à la période de prestations visée au paragraphe 12(4) de la Loi. Le conseil arbitral a plus particulièrement conclu que le demandeur avait droit à 35 semaines de prestations parentales même si son épouse avait demandé, et obtenu, elle aussi, 35 semaines de telles prestations. En tirant cette conclusion, le conseil arbitral a infirmé celle de la Commission portant que le demandeur n’ait pas eu droit à ces 35 semaines de prestations parentales. Le 29 mai 2009, la Commission avait expliqué par écrit, comme suit, sa décision au demandeur :

[traduction] La présente a pour but de vous informer que nous ne pouvons pas, dans le cadre du régime d’assurance-emploi, vous verser des prestations parentales à partir du 26 avril 2009.

Ce refus est attribuable au fait que vous n’avez pas prouvé que vous êtes le parent qui recevra les 35 semaines de prestations parentales relatives à cette naissance. La mère de vos enfants a présenté une demande afin de toucher les 35 semaines de prestations parentales et vous avez indiqué que vous acceptiez que ces prestations lui soient versées. Je comprends que vous auriez aimé recevoir vous aussi 35 semaines de prestations parentales compte tenu du fait que votre femme a donné naissance à des jumelles. Cependant, aux fins de l’assurance-chômage, la naissance ou l’adoption de plusieurs enfants est traitée comme la naissance ou l’adoption d’un seul enfant.

[4]        Le conseil arbitral a également statué qu’il n’avait pas compétence pour connaître les moyens soulevés par le demandeur, de manière subsidiaire, selon lesquels, en le privant du droit à des prestations parentales, les dispositions en cause de la Loi portaient atteinte aux droits qu’il tire du paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] (la Charte).

[5]        En accueillant l’appel interjeté par la Commission de la décision du conseil arbitral, le juge-arbitre a statué que celui‑ci avait interprété erronément les dispositions pertinentes de la Loi et que ni le paragraphe 2(1), ni les articles 7, 8, 12 et 23 de la Loi ne portaient atteinte aux droits que tire le demandeur du paragraphe 15(1) de la Charte. Selon le juge-arbitre, par ailleurs, le conseil arbitral avait eu raison de statuer qu’il n’avait pas compétence pour connaître des moyens tirés de la Charte par le demandeur.

Les faits pertinents

[6]        Les faits de l’affaire sont simples et sont constants.

[7]        En avril 2009, le demandeur et son épouse sont devenus parents de jumelles. Le 27 avril 2009, le demandeur a présenté à la Commission une demande de prestations parentales par laquelle il sollicitait, pour les soins à donner à ses enfants, la période maximale prévue de 35 semaines de prestations. Il a ajouté qu’il était au service de Ressources naturelles Canada et qu’il allait être en congé parental du 24 avril 2009 au 11 janvier 2010. Le demandeur a de nouveau écrit à la Commission 9 jours plus tard, soit le 6 mai 2009, afin que sa demande de prestations parentales soit examinée de manière distincte de celle de son épouse, une demande de 35 semaines de prestations déjà approuvée par la Commission.

[8]        Je l’ai dit, la Commission a écrit le 29 mai 2009 au demandeur pour l’informer qu’elle ne pouvait pas accéder à sa demande de 35 semaines de prestations parentales parce qu’elle avait déjà approuvé la demande de son épouse, en lui faisant remarquer que, aux termes de la Loi, la naissance ou l’adoption de plusieurs enfants était assimilée à la naissance ou à l’adoption d’un seul.

[9]        Insatisfait, le demandeur a porté la décision de la Commission en appel devant le conseil arbitral, qui a conclu que lui et son épouse avaient chacun droit séparément, selon le régime de la Loi, à 35 semaines de prestations parentales. Le conseil arbitral a en premier lieu énoncé la question qu’il lui fallait trancher : le demandeur a-t-il cessé d’être admissible aux prestations parentales pour les soins à donner à ses enfants du fait que son épouse a déjà été reconnue admissible à de telles prestations? Le conseil arbitral a statué qu’en vertu du paragraphe 12(4) de la Loi, le prestataire n’avait droit qu’à 35 semaines de prestations pour les soins à donner à l’enfant issu d’une seule et même grossesse, et ajouté que [traduction] « cet alinéa permet de présenter une demande pour chaque grossesse et le nombre de grossesses n’est pas limité à une seule ».

[10]      Le conseil arbitral a toutefois estimé que, par effet conjugué des paragraphes 12(1) et (4) et de l’alinéa 12(3)b) de la Loi, chaque prestataire, c.-à-d. le demandeur et son épouse, pouvait demander des prestations en vertu de l’alinéa 12(3)b) parce qu’une période de prestations avait été établie pour chacun d’eux, et qu’on pouvait uniquement interpréter le paragraphe 12(4) comme comprenant implicitement l’expression « à un prestataire » après les mots introductifs « Les prestations ne peuvent être versées ». Par conséquent, le demandeur pouvait demander 35 semaines de prestations parentales pour un enfant, et son épouse 35 semaines pour l’autre. Ainsi, selon le conseil arbitral, [traduction] « dans le cadre des demandes que les parents ont présentées, chaque prestataire ne peut recevoir que 35 semaines de prestations par enfant. Deux prestataires qui présentent des demandes distinctes pour des enfants ont tous les deux le droit de demander des prestations pour une période de 35 semaines ».

[11]      La Commission a interjeté appel de la décision du conseil arbitral devant le juge-arbitre, et c’est la décision de ce dernier qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

La décision du juge-arbitre

[12]      La première question examinée par le juge-arbitre dans ses motifs concernait l’interprétation de la Loi. Le juge-arbitre a d’abord exposé les interprétations divergentes de la Loi qu’avançaient l’une et l’autre partie. Selon le défendeur, la Loi autorisait 35 semaines de congé parental pour chaque grossesse, peu importe le nombre d’enfants qui en résultait. Selon le demandeur, la Loi accordait 35 semaines de congé parental pour chaque enfant issu d’une grossesse, chacun des parents ayant droit à un maximum de 35 semaines.

[13]      Le juge-arbitre a ajouté que l’interprétation du demandeur se fondait sur le paragraphe 12(3) de la Loi, et celle du défendeur sur le paragraphe 12(4). Le juge-arbitre a ensuite reproduit les deux paragraphes, puis il s’est dit d’avis que le paragraphe 12(4) allait clairement dans le sens de la thèse du défendeur voulant que le nombre maximal de semaines pendant lesquelles des prestations parentales puissent être versées était de 35 pour une même grossesse, qu’un ou plusieurs enfants en soient issus. Le juge-arbitre a déclaré en tirant cette conclusion qu’il ne pouvait retenir la thèse du demandeur selon laquelle l’objet implicite du paragraphe 12(4) était de restreindre à 35 semaines les prestations payables à un prestataire et qu’ainsi, il n’y avait pas un tel plafond de 35 semaines de prestations disponibles, quel que soit le nombre de prestataires. De l’avis du juge-arbitre, l’interprétation proposée par le demandeur, et acceptée par le conseil arbitral, appellerait la réécriture du paragraphe 12(4) par l’ajout des mots « à un prestataire », de manière à ce qu’il débute par l’expression « Les prestations ne peuvent être versées à un prestataire ».

[14]      Le juge-arbitre ne pouvait pas retenir l’interprétation du demandeur, en outre, parce qu’elle aurait aussi permis à chacun des parents d’un seul enfant de prendre un congé parental de 35 semaines. Le juge-arbitre a ainsi déclaré : « Le nombre maximal de 35 semaines qui vise de toute évidence un seul enfant serait éliminé compte tenu du fait que le paragraphe 12(4) s’appliquerait “à un prestataire”, c’est-à-dire à chaque prestataire individuellement. Chaque parent d’un seul enfant pourrait donc avoir droit à des prestations pendant 35 semaines » (décision du juge-arbitre, à la page 5).

[15]      La seule interprétation possible de la Loi, selon le juge-arbitre, était que chaque grossesse donnait ouverture à 35 semaines de prestations parentales. Le passage « dans le cas de soins à donner à un ou plusieurs nouveau-nés d’une même grossesse ou du placement de un ou de plusieurs enfants […] en vue de leur adoption », au paragraphe 12(4), ne laissait aucun doute sur le sujet. Le juge-arbitre a énoncé comme suit, à la page 5 de sa décision, son raisonnement sur ce point :

Contrairement à ce que pense M. [Martin]., la Loi indique en fait que chaque grossesse donne droit à 35 semaines de prestations. Le passage « à un ou plusieurs nouveau‑nés d’une même grossesse ou du placement de un ou plusieurs enfants [...] en vue de leur adoption » (j’ai ajouté le caractère gras) l’indique clairement. Si le paragraphe 12(4) visait à limiter simplement les prestations payables pour chaque enfant à 35 semaines, il serait libellé comme suit : « dans le cas de soins à donner à un nouveau-né ou à un enfant placé en vue de son adoption est 35 semaines. » Bien que les avantages et les inconvénients du choix politique d’accorder le même nombre de semaines de prestations aux parents de « un ou plusieurs » enfants puissent faire l’objet d’un débat, c’est au Parlement qu’il incombe de le faire. En ce qui concerne l’interprétation des lois, les dispositions de la Loi sont claires et elles ne peuvent être modifiées en raison d’arguments relatifs au fardeau supplémentaire qui est imposé aux parents de jumeaux.

[16]      Le juge-arbitre s’est ensuite dit incapable de retenir la thèse du demandeur selon laquelle le paragraphe 12(4) visait à préciser que les 35 semaines de prestations pour soins parentaux pouvaient être demandées à chaque nouvelle grossesse et non pas seulement une seule fois dans la vie d’un prestataire. Plutôt, selon le juge-arbitre, le nombre maximal de 35 semaines de prestations parentales prévu au paragraphe 12(3) était disponible à chaque période de prestations, ce qui permettait de présenter une demande pour une grossesse ultérieure dès qu’une nouvelle période de prestations était établie.

[17]      Le juge-arbitre a conclu cette partie de sa décision en déclarant (à la page 6) que le demandeur n’avait pas le droit d’obtenir des prestations parentales pour les enfants nées en avril 2009 puisque son épouse avait déjà demandé 35 semaines de prestations, que la Commission avait approuvé cette demande et que lui‑même avait accepté la réception de ces prestations par son épouse. Le juge-arbitre a par conséquent jugé que le conseil arbitral avait interprété erronément les dispositions pertinentes de la Loi et que sa décision devait être annulée.

[18]      Le juge-arbitre a ensuite examiné si le conseil arbitral avait compétence pour connaître des moyens du demandeur puisés dans la Charte. Selon lui, la Cour suprême du Canada s’était déjà prononcée sur la question par l’arrêt Tétreault-Gadoury c. Canada (Commission de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] 2 R.C.S. 22 (Tétreault-Gadoury) — elle y a statué que le juge-arbitre et non le conseil arbitral avait compétence pour décider si des dispositions de la Loi de 1971 sur l’assurance-chômage [S.C. 1970-71-72, ch. 48] étaient contraires, ou non, à la Charte. Le juge-arbitre s’est dit tenu par cette jurisprudence, et il a rejeté la thèse du demandeur selon laquelle la Cour suprême avait elle-même écarté la jurisprudence Tétreault-Gadoury par son récent arrêt R. c. Conway, 2010 CSC 22, [2010] 1 R.C.S. 765 (Conway). Il a exprimé son avis en ces termes (à la page 9 de sa décision) :

De plus, compte tenu du fait que dans l’arrêt R. c. Conway la Cour suprême a cité expressément la décision qu’elle avait rendue précédemment dans l’affaire Tétreault-Gadoury, si elle avait eu l’intention d’annuler sa décision à ce moment-là, elle l’aurait fait plus clairement, même si la Loi n’était pas en cause dans l’arrêt Conway. Elle ne l’a pas fait, choisissant plutôt de faire référence à la fusion du droit en vigueur; selon moi, le fait que la décision rendue dans Tétreault-Gadoury n’ait pas été infirmée constitue un autre élément de preuve. De plus, l’exercice visant à déterminer l’intention du législateur qui a été fait dans l’affaire Tétreault-Gadoury n’est pas implicitement invalidé par les principes énoncés dans l’arrêt Conway. Selon l’arrêt Conway, il n’y a aucune contradiction entre le fait que le conseil n’ait pas la compétence pour trancher des questions de droit et l’analyse sous l’angle institutionnel de la compétence liée à la Charte.

[19]      Le juge-arbitre s’est ensuite penché sur les moyens du demandeur fondés sur la Charte, particulièrement celui selon lequel le paragraphe 2(1) et les articles 7, 8, 12 et 23 de la Loi contrevenaient au paragraphe 15(1) de la Charte.

[20]      Le juge-arbitre a premièrement passé en revue les arrêts de la Cour suprême Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143 (Andrews); Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497 (Law); et R. c. Kapp, 2008 CSC 41, [2008] 2 R.C.S. 483 (Kapp). Le juge-arbitre a tout particulièrement porté son attention sur l’arrêt Kapp, où la Cour suprême avait énoncé le critère d’analyse visant l’article 15 : la loi en cause opère-t-elle une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue et, le cas échéant, la distinction donne-t-elle lieu à un désavantage par la perpétuation d’un préjugé ou l’application de stéréotypes?

[21]      Le juge-arbitre a ensuite traité du premier volet du critère de la jurisprudence Kapp. L’examen des faits pertinents à la lumière des jurisprudences de la Cour suprême Law; Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 R.C.S. 203; Andrews; Delisle c. Canada (Sous-procureur général), [1999] 2 R.C.S. 989; Miron c. Trudel, [1995] 2 R.C.S. 418; et Withler c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 12, [2011] 1 R.C.S. 396 (Withler) l’a amené à conclure qu’être « le parent de jumeaux est une caractéristique personnelle immuable, ce qui peut sembler suffisant pour faire de cette situation un motif analogue de discrimination » (décision de l’arbitre, à la page 12).

[22]      Le juge-arbitre a ensuite recherché si une distinction avait été opérée sur le fondement de la caractéristique personnelle immuable du demandeur. Il a conclu que la Loi opérait bien une distinction entre les parents de jumeaux et les autres parents. Voici son raisonnement (à la page 15) :

En l’espèce, en accordant des prestations en fonction d’« une seule et même grossesse », la Loi omet de tenir compte des véritables caractéristiques des parents de jumeaux, étant donné que leur « seule et même grossesse » résulte en deux fois plus d’enfants, mais en aucune augmentation des prestations. Cette situation est, dans les faits, une distinction.

[23]      Se penchant sur le deuxième élément du critère de la jurisprudence Kapp, le juge-arbitre a ensuite recherché si la distinction donnait lieu à un désavantage par la perpétuation d’un préjugé ou l’application de stéréotypes. Il a conclu par la négative.

[24]      Pour tirer cette conclusion, le juge-arbitre a analysé les quatre facteurs contextuels lesquels, selon la Cour suprême, dans les arrêts Law et Kapp, permettait d’établir si une distinction donnait lieu à un désavantage qui perpétuait un préjugé ou un stéréotype : a) le désavantage préexistant du prestataire; b) les besoins, les capacités et la situation du prestataire et d’autres groupes; c) l’effet d’amélioration d’un avantage eu égard à un groupe désavantagé; d) la nature du droit touché.

[25]      Quant au premier facteur contextuel, le désavantage préexistant du prestataire, le demandeur a soutenu qu’il ressortait d’éléments de preuve solides que traiter de manière identique une naissance simple et une naissance multiple aux fins des prestations parentales perpétuait une distinction et un désavantage. Le juge-arbitre a rejeté cette thèse. Selon lui, bien que les prestations parentales existent parce que la Loi reconnaît que les enfants ont besoin que l’on s’occupe d’eux après leur naissance, l’objet de la Loi est de fournir une rémunération de remplacement partielle et temporaire au prestataire qui subit un arrêt de rémunération à la suite de la naissance ou du placement d’un enfant. Le juge-arbitre a ajouté que la Loi assurait la rémunération du prestataire, et que c’étaient les parents qui recevaient les prestations, et non l’enfant ou les enfants.

[26]      Le juge-arbitre a souligné que l’économie de la Loi ne tenait pas compte du fardeau ou des difficultés qu’occasionnait une naissance donnée, et prévoyait plutôt le versement au prestataire d’un certain nombre de semaines de prestations, peu importe « le degré de soins qu’il faudra apporter à l’enfant ou aux enfants » (décision du juge-arbitre, à la page 16). Autrement dit, le juge-arbitre a conclu que la Loi visait à répondre au besoin ressenti par les parents de rester à la maison après la naissance d’un ou de plusieurs enfants, en leur accordant des prestations compensant l’arrêt de leur rémunération pour en prendre soin. Il a ensuite déclaré ce qui suit (à la page 16 de sa décision) :

Rien ne prouve que les parents de jumeaux sont victimes d’un traitement inéquitable dans la société en raison du fait qu’ils sont les parents de jumeaux ou qu’ils ne font pas l’objet du même respect, de la même déférence ou de la même considération. Le fait qu’il soit plus difficile de s’occuper de jumeaux que d’un seul enfant ne prouve pas l’existence d’un désavantage historique qui perpétue un préjugé ou l’application de stéréotypes. Il n’existe absolument aucune preuve, dans le contexte de la Loi, que les parents de jumeaux ont été victimes d’un désavantage historique, de stéréotypes, d’une vulnérabilité ou de préjugés parce qu’ils étaient les parents de jumeaux.

[27]      Le juge-arbitre a ensuite porté son attention vers le second facteur de la jurisprudence Kapp, soit le rapport entre les motifs de discrimination et les besoins, les capacités ou la situation réels du prestataire. Il a d’abord déclaré qu’il s’agissait principalement de rechercher si la Loi tenait compte de la situation particulière des personnes en cause, auquel cas il était moins probable qu’il y ait eu discrimination par l’application de stéréotypes.

[28]      Le juge-arbitre a examiné dans sa discussion des paragraphes 23(4) et 23(5) de la Loi, et fait remarquer que les dispositions de celle‑ci étaient suffisamment souples pour répondre aux besoins de la plupart des prestataires en fonction de leur situation. Il a notamment observé qu’en vertu du paragraphe 23(4), les parents pouvaient partager les semaines de prestations parentales entre eux, à leur gré, à concurrence de 35 semaines pour une seule et même grossesse. Le juge-arbitre a ajouté qu’à l’instar de la situation dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Lesiuk, 2003 CAF 3, [2003] 2 C.F. 697, autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada refusée, [2003] 2 R.C.S. viii, il n’était pas question, dans l’affaire dont il était saisi, d’un groupe entier ou d’une partie importante d’un groupe exclu du bénéfice de prestations, mais plutôt d’un cas où « certains prestataires devraient recevoir davantage de prestations que d’autres en raison du fait qu’ils sont les parents de jumeaux » (décision du juge-arbitre, à la page 17).

[29]      Le juge-arbitre a estimé qu’étant donné les diverses situations familiales susceptibles d’exister, il n’était pas possible de mettre en place un régime de prestations familiales qui réponde aux besoins de chaque famille. D’après le juge-arbitre, toutefois, « la souplesse inhérente à la Loi permet de répondre, dans une certaine mesure, aux besoins des parents d’enfants qui imposent un fardeau relativement plus important que les autres enfants, même si le régime n’est pas précisément adapté à la situation de M. [Martin] » (décision du juge-arbitre, à la page 17).

[30]      Le juge-arbitre a par conséquent conclu que n’avait aucune incidence, dans un sens ou dans l’autre, le second facteur.

[31]      Le juge-arbitre a estimé non pertinent le troisième facteur de la jurisprudence Kapp — l’objet ou l’effet d’amélioration de la loi ou du programme en cause — , puisque le demandeur fondait principalement son argumentation sur le fait que le groupe dont il faisait partie, soit les parents de jumeaux, aurait été désavantagé par rapport à d’autres groupes, et que la « Loi ne vis[ait] aucun autre groupe relativement plus désavantagé » (décision du juge-arbitre, à la page 17).

[32]      Le juge-arbitre a finalement discuté la nature du droit touché, le quatrième et dernier facteur contextuel. Il a renvoyé à l’arrêt Granovsky c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 2000 CSC 28, [2000] 1 R.C.S. 703 (Granovsky), où la Cour suprême a déclaré que la question n’était pas véritablement de savoir si le prestataire avait été privé d’un avantage financier, mais plutôt de savoir si cette privation favorisait l’opinion que les individus souffrant d’une déficience temporaire étaient « “moins capables ou […] moins [dignes] d’être reconnus ou valorisés en tant qu’êtres humains ou en tant que membres de la société canadienne qui méritent le même intérêt, le même respect et la même considération” » [souligné dans l’original] (Granovsky, au paragraphe 58).

[33]      Le juge-arbitre a déclaré, dans cette perspective, que le seul droit touché dans la présente affaire était de nature économique, et que le demandeur n’avait pas réussi à démontrer que le rejet de sa demande de prestations « avait restreint son accès à une institution fondamentale ou compromis un aspect fondamental de la pleine appartenance à la société canadienne » (décision du juge-arbitre, à la page 17). Le droit économique en cause du demandeur, par conséquent, n’avait pas donné lieu à de la discrimination. Le juge-arbitre a exposé son raisonnement comme suit, à la page 18 de sa décision :

Le véritable nœud de la présente affaire est que la Loi ne permet pas à M. [Martin] et à sa conjointe de recevoir deux fois plus de semaines de prestations parentales que les parents d’un seul enfant. Contrairement à ce qu’il prétend, le prestataire n’a pas été exclu du régime de prestations parentales. Il a plutôt simplement choisi de ne pas se prévaloir du bénéfice des prestations parentales de façon à ce que sa conjointe puisse recevoir le plus grand nombre de semaines de prestations possible. Je suis d’avis que le refus de la Commission d’accorder 35 semaines de prestations supplémentaires au prestataire ne restreint pas l’accès à une institution sociétale fondamentale et ne résulte pas en la non-reconnaissance complète d’un groupe.

[34]      Le juge-arbitre a souligné que, vu les quatre facteurs contextuels susmentionnés, il avait tenu compte de la mise en garde donnée par la Cour suprême par l’arrêt Kapp, à savoir qu’il ne fallait pas appliquer ces facteurs de façon rigide, comme il ne s’agissait que d’aides utiles pour établir si une distinction donnait lieu à une discrimination. Il ne faisait aucun doute selon le juge-arbitre, qu’on aborde l’affaire sous l’angle de l’atteinte à la dignité, comme dans l’affaire Law, ou de la question de savoir si la distinction donne lieu à un désavantage par la perpétuation d’un préjugé ou l’application de stéréotypes, comme dans les affaires Andrews et Kapp, que « la discrimination suppose nécessairement le traitement préjudiciable d’un groupe dans la société. Les tribunaux doivent déterminer si une distinction porte atteinte à l’égalité réelle protégée par l’article 15 » (décision du juge-arbitre, à la page 18).

[35]      Le juge-arbitre s’est ensuite dit d’avis que le demandeur n’avait pas démontré que la Loi et le régime d’assurance-emploi portaient atteinte au droit à l’égalité réelle garanti par la Charte. Il s’est expliqué comme suit (à la page 18) :

Il est faux de dire que le régime d’assurance-emploi ne reconnaît pas le respect, la déférence et la considération que méritent les parents de jumeaux en tant que membres de la société canadienne. Bien que M. [Martin] ait montré par des éléments de preuve que la naissance de ses enfants lui a imposé un fardeau supplémentaire, le fait que sa famille n’ait pas droit au double des prestations en vertu de la Loi ne permet pas de démontrer que le régime suppose qu’il mérite moins de respect. Dans la présente affaire, on ne saurait trop insister sur l’importance du contexte, qui a été reconnu au paragraphe 43 de l’arrêt Withler comme un élément fondamental de l’analyse requise par l’article 15. M. [Martin] n’a pas démontré que les parents de jumeaux sont ou ont été victimes d’un désavantage historique, de préjugés ou de stéréotypes dans la société canadienne. Par ailleurs, le droit de nature économique qui est touché en l’espèce n’empêche pas M. [Martin] de participer pleinement à tous les aspects fondamentaux de la société canadienne, et les prestations pouvant être versées à M. [Martin] et à sa conjointe [Mme Critchley], bien qu’elles ne correspondent pas précisément à leurs besoins supplémentaires en tant que parents de jumeaux, font en sorte qu’ils sont bien servis par le régime d’assurance-emploi. Du point de vue d’une personne raisonnable se trouvant dans la situation de M. [Martin], et compte tenu de tous les facteurs examinés précédemment, on ne peut tout simplement pas dire que le régime d’assurance‑emploi perpétue un préjugé et l’application de stéréotypes.

[36]      Puis, le juge-arbitre a insisté sur le fait que toute différence de traitement n’équivalait pas, en droit, à une violation de l’article 15. Voici son raisonnement (aux pages 18 et 19 de sa décision) :

Le classement des personnes et des groupes, la prise de dispositions différentes concernant de tels groupes ainsi que l’application de règles, de règlements, d’exigences et de réserves à des personnes différentes sont nécessaires pour assurer la gouvernance de la société moderne. La Cour suprême du Canada et la Cour d’appel fédérale ont établi que les régimes d’avantages sociaux complexes, comme le régime d’assurance-emploi, font souvent des distinctions de façon à ce qu’ils puissent être bien appliqués, et qu’il faut donner au Parlement une certaine souplesse dans l’octroi des prestations sociales. Il est tout à fait légitime que le gouvernement fasse des choix lorsqu’il accorde des avantages et il doit jouir d’une certaine marge de manœuvre pour ce faire, étant donné qu’il s’agit d’un exercice qui est presque destiné à paraître arbitraire aux yeux de ceux qui se retrouvent du mauvais côté de la limite. [Citations omises].

[37]      S’appuyant finalement sur la jurisprudence Withler de la Cour suprême, le juge-arbitre a souligné que l’intérêt public pouvait constituer un facteur pertinent quant au deuxième élément du critère de la jurisprudence Kapp. Il a observé à cet égard que les prestations familiales prévues par la Loi n’étaient pas établies en fonction des besoins de chaque prestataire, de manière à ce que les prestations soient ajustées selon le fardeau ou les difficultés occasionnés aux parents par la naissance d’un enfant. En outre, a dit le juge-arbitre, le régime mis sur pied par le législateur était soumis aux mêmes contraintes financières que tout autre programme gouvernemental, et le fait que la Loi ne permettait pas aux parents de jumeaux de toucher davantage de prestations ne signifiait pas que le législateur ne reconnaissait pas le fardeau supplémentaire imposé aux parents de jumeaux ou de triplés, car la Loi ne tenait tout simplement pas compte des différents fardeaux imposés par la naissance d’un ou de plusieurs enfants.

[38]      Le juge-arbitre a conclu son raisonnement comme suit (à la page 20):

L’objectif de la Loi est de permettre aux parents de recevoir un certain nombre de semaines de prestations parentales à la suite de la naissance d’un enfant, peu importe leurs besoins ou leur fardeau particuliers. Ainsi, on ne peut raisonnablement conclure que la Loi remet en question le respect, la déférence et la considération que méritent les parents de jumeaux.

Dispositions législatives pertinentes

[39]      Les dispositions pertinentes de la Loi et du Règlement sur l’assurance-emploi, DORS/96‑332 (le Règlement) sont les suivantes :

La Loi

12. (1) Une fois la période de prestations établie, des prestations peuvent, à concurrence des maximums prévus au présent article, être versées au prestataire pour chaque semaine de chômage comprise dans cette période.

Prestations

(2) Le nombre maximal de semaines pendant lesquelles des prestations peuvent être versées au cours d’une période de prestations — à l’exception de celles qui peuvent être versées pour l’une des raisons prévues au paragraphe (3) — est déterminé selon le tableau de l’annexe I en fonction du taux régional de chômage applicable au prestataire et du nombre d’heures pendant lesquelles il a occupé un emploi assurable au cours de sa période de référence.

Maximum

(3) Le nombre maximal de semaines pendant lesquelles des prestations peuvent être versées au cours d’une période de prestations est :

a) dans le cas d’une grossesse, quinze semaines;

b) dans le cas de soins à donner à un ou plusieurs nouveau-nés du prestataire ou à un ou plusieurs enfants placés chez le prestataire en vue de leur adoption, 35 semaines;

c) dans le cas d’une maladie, d’une blessure ou d’une mise en quarantaine prévue par règlement, quinze semaines;

d) dans le cas de soins ou de soutien à donner à un ou plusieurs membres de la famille visés au paragraphe 23.1(2), six semaines.

Maximum : prestations spéciales

(4) Les prestations ne peuvent être versées pendant plus de 15 semaines, dans le cas d’une seule et même grossesse, ou plus de 35, dans le cas de soins à donner à un ou plusieurs nouveau-nés d’une même grossesse ou du placement de un ou plusieurs enfants chez le prestataire en vue de leur adoption.

Prestations spéciales

(4.01) Si une demande de prestations est présentée au titre de la présente partie relativement à un ou plusieurs enfants visés au paragraphe (4) et une demande de prestations est présentée au titre de l’article 152.05 relativement au même enfant ou aux mêmes enfants, les prestations prévues par la présente loi relativement à celui-ci ou à ceux-ci ne peuvent être versées pendant plus de trente-cinq semaines.

[…]

Maximum : prestations parentales

(8) Pour l’application du présent article, le placement auprès d’un prestataire de la première catégorie, au même moment ou presque au même moment, de deux enfants ou plus en vue de leur adoption est considéré comme un seul placement d’un ou plusieurs enfants en vue de leur adoption.

[…]

Adoption

23. (1) Malgré l’article 18 mais sous réserve des autres dispositions du présent article, des prestations sont payables à un prestataire de la première catégorie qui veut prendre soin de son ou de ses nouveau-nés ou d’un ou plusieurs enfants placés chez lui en vue de leur adoption en conformité avec les lois régissant l’adoption dans la province où il réside.

Prestations parentales

(2) Sous réserve de l’article 12, les prestations visées au présent article sont payables pour chaque semaine de chômage comprise dans la période qui :

a) commence la semaine de la naissance de l’enfant ou des enfants du prestataire ou celle au cours de laquelle le ou les enfants sont réellement placés chez le prestataire en vue de leur adoption;

b) se termine cinquante-deux semaines après la semaine de la naissance de l’enfant ou des enfants du prestataire ou celle au cours de laquelle le ou les enfants sont ainsi placés.

[…]

Semaines pour lesquelles des prestations peuvent être payées

(4) Si deux prestataires de la première catégorie prennent soin d’un enfant visé au paragraphe (1) — ou si un prestataire de la première catégorie et un particulier qui présente une demande de prestations au titre de l’article 152.05 prennent tous deux soin d’un enfant visé à ce paragraphe —, les semaines de prestations à payer en vertu du présent article, de l’article 152.05 ou de ces deux articles peuvent être partagées entre eux, jusqu’à concurrence d’un maximum de trente-cinq semaines.

Partage des semaines de prestations

(4.1) Il est entendu que dans le cas où un prestataire de la première catégorie présente une demande de prestations au titre du présent article et où un particulier présente une demande de prestations au titre de l’article 152.05 relativement au même enfant, le nombre total de semaines de prestations à payer au titre du présent article et de l’article 152.05 qui peuvent être partagées entre eux ne peut dépasser trente-cinq semaines.

[…]

Nombre maximal de semaines pouvant être partagées

152.05 (1) Sous réserve de la présente partie, des prestations doivent être payées à un travailleur indépendant qui veut prendre soin de son ou de ses nouveau-nés ou d’un ou plusieurs enfants placés chez lui en vue de leur adoption en conformité avec les lois régissant l’adoption dans la province où il réside.

[…]

Prestations parentales

(15) Si un travailleur indépendant présente une demande de prestations au titre de la présente partie et qu’une autre personne présente une demande de prestations au titre des articles 22 ou 23 relativement au même enfant ou aux mêmes enfants et que l’un d’eux a purgé son délai de carence ou a choisi de le purger, les règles suivantes s’appliquent :

a) dans le cas où le travailleur indépendant ne l’a pas purgé ou n’a pas choisi de le purger, il n’est pas tenu de le faire;

b) dans le cas où la personne qui présente une demande de prestations au titre des articles 22 ou 23 ne l’a pas purgé ou n’a pas choisi de le purger, elle peut faire reporter cette obligation en conformité avec l’article 23.

[…]

Exception

152.09 (1) S’il remplit les conditions requises pour recevoir des prestations à la fois à titre de travailleur indépendant au titre de la présente partie et d’assuré au titre de la partie I, un particulier ne peut les recevoir qu’au titre d’une seule de ces parties et doit choisir, selon les modalités réglementaires, au moment de présenter sa demande initiale, la partie aux termes de laquelle les prestations seront versées.

Prestations prévues par la présente partie et la partie I

(2) Le choix lie le particulier à l’égard de la demande initiale pour toutes les prestations qui doivent lui être payées, pour les raisons ci-après, au cours de la période de prestations établie à l’égard de cette demande :

a) grossesse;

b) soins à donner par le travailleur indépendant à son ou ses nouveau-nés ou à un ou plusieurs enfants placés chez celui-ci en vue de leur adoption;

c) maladie, blessure ou mise en quarantaine prévue par règlement;

d) soins ou soutien à donner à un ou plusieurs membres de sa famille.

Effet du choix

Le Règlement

76.21 (1) Le paragraphe (2) s’applique aux personnes qui prennent soin du même enfant ou des mêmes enfants, mais qui ne résident pas dans la même province au moment où la première d’entre elles fait une demande de prestations en vertu des articles 22 ou 23 de la Loi ou une demande de prestations provinciales.

(2) Sous réserve du paragraphe (3), dans le cas où l’une des personnes visées au paragraphe (1) a demandé et est en droit de recevoir des prestations en vertu de l’article 23 de la Loi (ci‑après appelée « prestataire ») et que l’autre personne a demandé et est en droit de recevoir des prestations provinciales (ci-après appelée « demandeur provincial »), à moins qu’il n’existe une entente sur le nombre de semaines de telles prestations que l’une et l’autre demanderont respectivement ou qu’il n’existe une ordonnance d’un tribunal sur le partage de ces semaines de prestations, le nombre de semaines de prestations à payer est établi de la façon suivante :

a) dans le cas où le nombre de semaines de prestations que le prestataire serait par ailleurs en droit de recevoir en vertu de l’article 23 de la Loi est un nombre pair, le prestataire a droit à la moitié des semaines de prestations;

b) dans le cas où ce nombre est impair :

(i) si le prestataire a fait le premier la demande, il a droit à une semaine de prestations en plus de la moitié des semaines qui restent,

(ii) si le demandeur provincial a fait le premier la demande, le prestataire a droit à la moitié des semaines de prestations qui restent après déduction d’une semaine.

(3) Dans tous les cas, le nombre maximal de semaines de prestations pouvant être versées au prestataire au titre de l’article 23 de la Loi ne peut excéder le nombre maximal de semaines prévu à l’alinéa 12(3)b) de la Loi moins le nombre de semaines de prestations provinciales qui ont été versées au demandeur provincial compte tenu, le cas échéant, des semaines de prestations qui sont versées selon le mode de versement accéléré visé au paragraphe 76.19(2).

Questions en litige

[40]      La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

1. Le juge-arbitre a-t-il commis une erreur en concluant que la Loi ne permettait pas à chacun des parents de jumeaux d’obtenir 35 semaines de prestations parentales?

2. Le juge-arbitre a-t-il correctement conclu que le conseil arbitral n’avait pas compétence pour connaître des moyens puisés dans la Charte?

3. Le juge-arbitre a-t-il commis une erreur en concluant que les dispositions sur les prestations parentales de la Loi ne portaient pas atteinte au paragraphe 15(1) de la Charte?

4. Si le juge-arbitre a conclu erronément que les dispositions sur les prestations parentales de la Loi ne portaient pas atteinte au paragraphe 15(1) de la Charte, l’atteinte portée était‑elle, aux termes de l’article premier de la Charte, une limite raisonnable dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique?

Analyse

[41]      Il convient de dire d’abord quelques mots, avant de discuter la première question, sur la norme de contrôle applicable.

[42]      Premièrement, il n’est pas controversé entre les parties que les questions relatives à la Charte, et celle de savoir si le conseil arbitral avait compétence pour connaître de telles questions, appellent la norme de la décision correcte. Je ne vois aucune raison d’être d’opinion contraire.

[43]      Quant aux questions concernant l’interprétation de la Loi, deuxièmement, il s’agirait, selon le demandeur de questions de droit commandant également la norme de la décision correcte. Le défendeur a plutôt soutenu dans son mémoire, en faisant valoir les récents arrêts de la Cour suprême Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 53, [2011] 3 R.C.S. 471, et Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654, que la norme applicable dans ce cas était celle de la raisonnabilité. Avant l’instruction de la demande, le demandeur, compte tenu de l’arrêt de la Cour Chaulk c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 190, a renoncé à la thèse qu’il avait défendue dans son mémoire et a concédé que la norme de contrôle devant être appliquée par la Cour à l’interprétation par le juge-arbitre des dispositions en cause était celle de la décision correcte.

[44]      Examinons maintenant la première question en litige.

A.        Première question en litige — Le juge-arbitre a-t-il commis une erreur en concluant que la Loi ne permettait pas à chacun des parents de jumeaux d’obtenir 35 semaines de prestations parentales?

[45]      Le demandeur soutient que le juge-arbitre a commis une erreur en recourant à une mauvaise méthode d’interprétation pour les dispositions en cause. Il soutient plus particulièrement que le juge-arbitre a interprété le paragraphe 12(4) de la Loi sans tenir compte du contexte, sans appliquer les principes d’interprétation appropriés, c’est-à-dire sans prendre en considération la Loi dans son ensemble et l’objet de celle‑ci. à l’appui de sa thèse, le demandeur nous renvoie à Sullivan on the Construction of Statutes, 5e éd. [Markham, Ont. : LexisNexis, 2008], à la page 1, où l’éminent auteur expose ce qui suit :

[traduction] Aujourd’hui, il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur. [Note en bas de page omise.]

Le demandeur nous renvoie également à l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd.(Re), [1998] 1 R.C.S. 27, aux paragraphes 20 à 23, où la Cour suprême a retenu cette doctrine et s’est aussi fondée sur l’article 10 de la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, selon lequel les lois doivent s’interpréter de la manière la plus équitable et la plus large qui soit pour garantir « la réalisation de leur objet selon leur sens, intention et esprit véritables ».

[46]      Rejetant la méthode d’interprétation à laquelle a eu recours le juge-arbitre en ce qui concerne les dispositions en cause, le demandeur affirme que l’interprétation correcte de la Loi appelle la conclusion que lui et son épouse ont chacun droit à un congé parental. Le demandeur énonce d’abord le postulat sur lequel s’appuie l’interprétation qu’il propose : celle‑ci est conforme au but visé par la Loi de reconnaître la valeur des interruptions légitimes d’emploi pour prodiguer des soins aux enfants, en permettant à deux prestataires admissibles qui ont chacun interrompu leur emploi pour s’occuper de leurs enfants de recevoir les mêmes prestations que deux autres prestataires, dont chacun serait admissible et qui donneraient des soins à deux enfants ou plus, cela tout en promouvant les besoins des enfants, l’une des principales raisons d’être des prestations de congé parental. Le demandeur ajoute que son interprétation, portant qu’un enfant donne lieu à une demande de prestations parentales, et deux enfants ou plus toujours à deux demandes, constitue une interprétation claire et cohérente de la Loi qui permet de concrétiser au mieux l’objet du régime de prestations parentales, tout en tenant compte, contrairement à l’interprétation retenue par le juge-arbitre, du contexte global de l’article 12 et de la partie I [articles 6 à 55] de la Loi.

[47]      Examinons maintenant plus en détail l’interprétation proposée par le demandeur des dispositions en cause. Le demandeur commence par signaler que le paragraphe 12(4) de la Loi constitue [traduction] « un petit élément d’un régime de prestations beaucoup plus complexe et de beaucoup plus large portée » (mémoire du demandeur, au paragraphe 32). Il dit d’abord qu’on établit aux articles 6 à 11 la condition préalable à la présentation d’une demande de prestations parentales, c’est-à-dire avoir travaillé le nombre d’heures nécessaire pour avoir versé suffisamment de cotisations pendant la période de référence d’environ un an avant l’arrêt de la rémunération. Une fois cette exigence remplie, ajoute le demandeur, la Loi prévoit deux périodes se chevauchant, mais distinctes, pendant lesquels des prestations parentales peuvent être versées à un prestataire. La première période est celle de 52 à 73 semaines visée par les articles 9 et 10 de la Loi. La deuxième, que le demandeur qualifie de [traduction] « période plus amorphe » (mémoire du demandeur, au paragraphe 35) est celle visée au paragraphe 23(2), dont les notes marginales sont intitulées « Semaines pour lesquelles des prestations peuvent être payées ». Cette deuxième période peut différer de la première, selon le demandeur, puisque la date de départ et la durée varient en fonction de certains facteurs, comme l’hospitalisation d’un enfant ou le service dans les forces armées d’un père ou d’une mère.

[48]      Le demandeur en déduit que l’article 12, qui prescrit les prestations payables, ne prend son sens que si l’on garde à l’esprit ces deux périodes distinctes. Il affirme notamment qu’on doit interpréter l’article 12 comme prévoyant à l’égard d’un prestataire, et non d’une seule et même grossesse, la période maximale de versement de prestations de 35 semaines. Le demandeur ajoute que l’objet de l’alinéa 12(3)b) est de restreindre à 35 le nombre de semaines, au cours de sa période de prestations, pendant lesquelles le prestataire peut recevoir des prestations parentales, et l’objet du paragraphe 12(4) est de restreindre à 35 le nombre de semaines de prestations parentales à verser à un prestataire pendant une période où il y a droit.

[49]      Le demandeur soutient ensuite que, son épouse et lui-même étant chacun en propre un prestataire admissible, l’un et l’autre est visé individuellement par les périodes maximales prévues aux paragraphes 12(3) et 12(4), et peut donc demander le nombre maximal de 35 semaines de prestations. Le demandeur dit ainsi : [traduction] « Deux prestataires, cela signifie deux demandes de prestations, chacune pour un maximum de 35 semaines » (mémoire du demandeur, au paragraphe 39). Selon le demandeur, donc, interpréter la période maximale de 35 semaines des paragraphes 12(3) et 12(4) comme étant [traduction] « centrée sur le prestataire » est conforme au sens global de l’article 12. Il en découlerait nécessairement que si l’on plaçait [traduction] « le texte du paragraphe 12(1) tout juste devant celui des paragraphes 12(3) et 12(4) [l’intention clairement visée], il deviendrait manifeste que les périodes maximales sont prévues “par prestataire” dans ces deux derniers paragraphes » (mémoire du demandeur, au paragraphe 41).

[50]      Le demandeur ajoute que l’interprétation qu’il propose est conforme à l’objet de la Loi et de ses dispositions sur les prestations parentales. Il précise que son interprétation, faisant considérer les prestations maximales des paragraphes 12(3) et 12(4) comme payables par prestataire, est conforme à l’objectif visé, axé sur le prestataire, de contribuer au revenu de celui‑ci amoindri par l’arrêt de rémunération, et aussi conforme à l’objectif social visé par la Loi de faire une telle contribution lorsque le prestataire met son travail en veilleuse pour donner des soins à ses enfants.

[51]      Le demandeur soutient également que l’interprétation de la Loi par le juge-arbitre [traduction] « conduit à une absurdité », puisqu’il en résulte l’octroi d’un seul congé parental si deux ou plusieurs enfants sont issus d’une même grossesse, mais de deux congés si l’on a affaire à deux grossesses ou à une grossesse et une adoption. Il ajoute que le législateur ne peut avoir prévu une période maximale de prestations pour un accouchement simple au paragraphe 12(4) alors qu’il a visé explicitement de cette situation au paragraphe 23(4). Pour clore son raisonnement, le demandeur affirme qu’en statuant que le paragraphe 12(4) visait à restreindre les couples de prestataires à une seule période de 35 semaines dans le cas d’un enfant unique, le juge-arbitre a fait abstraction du fait que les paragraphes 23(4) et 23(4.1) prévoyaient déjà une telle limite, et qu’on ne peut pas présumer que le législateur a créé une période maximale de prestations pour un accouchement simple au paragraphe 12(4) alors qu’il a visé explicitement cette situation au paragraphe 23(4).

[52]      Le demandeur conclut comme suit son argumentation sur ce point, au paragraphe 58 de son mémoire :

[traduction] Au contraire de cette interprétation tautologique [celle du juge-arbitre], l’interprétation du demandeur confère un sens au paragraphe 12(1) (les périodes maximales des paragraphes 12(3) et 12(4) sont accordées par prestataire), un sens additionnel au paragraphe 12(3) (les périodes maximales en fonction des « périodes de prestations »), un sens additionnel au paragraphe 12(4) (des périodes maximales pour les différentes périodes postérieures à la naissance visées à l’article 23 lorsque des prestations parentales peuvent être demandées) et un sens aux paragraphes 23(4) et 23(4.1) (une période de prestations partagée de 35 semaines dans le cas d’un accouchement simple).

[53]      Je suis d’avis que l’interprétation proposée par le demandeur ne peut pas être la bonne car elle va à l’encontre de l’intention manifeste du législateur lorsqu’il a adopté les dispositions en cause. Rien ne permet de conclure, selon moi, que l’interprétation du juge-arbitre était erronée. Le juge‑arbitre a interprété correctement la Loi pour statuer. Je tire cette conclusion par les motifs que je vais maintenant exposer.

[54]      Examinons d’abord les articles 12 et 23 de la Loi, qui constituent le nœud de la présente procédure.

[55]      Le paragraphe 12(1) prévoit qu’une fois la période de prestations établie, les prestations sont versées au prestataire pour chaque semaine de chômage comprise dans cette période. L’article 12 prévoit des périodes maximales de versement des prestations; celles des paragraphes 12(3) et 12(4) sont d’intérêt tout particulier.

[56]      L’alinéa 12(3)b) dispose que le nombre maximal de semaines pendant lesquelles les prestations peuvent être versées à un prestataire au cours d’une période de prestations est, dans le cas de soins à donner à un ou plusieurs nouveau-nés, de 35. Quant au paragraphe 12(4), il dispose que les prestations ne peuvent être versées plus de 35 semaines dans le cas de soins à donner à un ou plusieurs nouveau-nés « d’une même grossesse ».

[57]      Je vais maintenant exposer le sens à donner, selon moi, aux dispositions en cause. Premièrement, le prestataire peut recevoir, au cours d’une période de prestations, un nombre maximal de 35 semaines des prestations pour donner des soins à un ou plusieurs nouveau‑nés (alinéa 12(3)b)). Toute période de prestations est établie au profit d’un prestataire particulier, et elle lui est ainsi propre. Pour une telle période, par conséquent, l’alinéa 12(3)b) limite à une seule période de 35 semaines les prestations qu’une mère ou un père, à titre de prestataire individuel et distinct, peut recevoir pour les soins à donner aux enfants. Une autre limite, prévue au paragraphe 12(4), s’ajoute toutefois à celle‑ci. Si ce n’était de cette autre limite, le demandeur et son épouse auraient chacun droit à 35 semaines de prestations parentales pour donner des soins à leurs jumelles.

[58]      Le paragraphe 12(4) restreint la période pendant laquelle des prestations parentales peuvent être versées pour les soins à donner à un ou plusieurs nouveau-nés. La période maximale est de 35 semaines pour tous les enfants issus d’une même grossesse.

[59]      Je passe au paragraphe 23(1), lequel prévoit que les prestations parentales pourront être versées au prestataire de la première catégorie qui veut prendre soin de son ou de ses nouveau-nés.

[60]      Le paragraphe 23(2) dispose pour sa part que, sous réserve de l’article 12 de la Loi, les prestations parentales visées à l’article 23 sont payables pendant la période qui commence la semaine de la naissance de l’enfant ou des enfants du prestataire et se termine 52 semaines plus tard.

[61]      Les paragraphes 23(3) à 23(3.3) prévoient des exceptions à la règle du paragraphe 23(2) et permettent certaines prolongations restreintes de la période de 52 semaines de versement de prestations parentales.

[62]      Le paragraphe 23(4) est d’un plus grand intérêt pour nos fins. Il vise la situation où deux prestataires de la première catégorie « prennent soin d’un enfant visé au paragraphe (1) » et permet à ceux‑ci de partager entre eux les semaines de prestations, à concurrence de 35, payables pour les soins à donner, selon le cas, à un ou plusieurs enfants.

[63]      Voici, selon moi, le sens à prêter à l’article 23. Le prestataire de la première catégorie peut obtenir des prestations s’il prend soin de son ou de ses nouveau‑nés et, lorsque deux prestataires de la première catégorie prennent soin de leur ou de leurs nouveau-nés, ils peuvent se partager entre eux un maximum de 35 semaines de prestations. Il ne fait donc aucun doute que ce que prévoit l’article 23, c’est que deux parents qui interrompent leur emploi pour prendre soin d’un ou de plusieurs nouveau-nés ont droit à un nombre maximum de 35 semaines de prestations, qu’ils peuvent se partager entre eux, comme bon leur semble.

[64]      La seule conclusion pouvant être tirée lorsqu’on lit de concert les articles 12 et 23 est qu’à l’égard d’un enfant ou d’enfants issus d’une seule et même grossesse, il est possible d’obtenir 35 semaines de prestations parentales. En d’autres termes, quel que soit le nombre d’enfants issus d’une seule et même grossesse, et quel que soit le nombre de prestataires voulant obtenir des prestations par suite de cette grossesse, le nombre maximal de semaines de prestations disponible est de 35.

[65]      La méthode à laquelle j’ai, en l’occurrence, recouru est la même que celle retenue par le juge-arbitre. Cette méthode n’est pas adéquate selon le demandeur : le juge-arbitre aurait commis une erreur en ne tenant pas compte du contexte global et de l’objet de la Loi. Cette critique est sans fondement à mon sens, puisque l’interprétation du juge-arbitre est parfaitement compatible avec le but visé par les prestations parentales instaurées par la Loi et avec la nature du régime d’assurance-emploi.

[66]      Il y a arrêt de rémunération lorsque la rémunération du prestataire est réduite de plus de 40 p. 100 parce qu’il cesse de travailler ou réduit son temps de travail afin, au sens du paragraphe 23(1), de prendre soin d’un ou de plusieurs enfants. On verse par conséquent les prestations parentales aux parents pour compenser l’arrêt de leur rémunération lorsqu’ils cessent de travailler ou réduisent leurs heures de travail pour prendre soin d’un ou de plusieurs enfants. Le régime n’est manifestement pas axé sur les besoins des parents ou sur le nombre d’enfants issus d’une grossesse. Il a clairement pour objectif de compenser l’arrêt de rémunération des parents qui prennent un congé pour prendre soin d’un ou de plusieurs enfants. Autrement dit, la Loi permet aux parents de disposer d’un revenu de remplacement partiel temporaire de 35 semaines. Mis à part les dispositions précises de la Loi que j’ai discutées précédemment, celle‑ci en contient aussi d’autres dont il ressort que le juge-arbitre a tiré la conclusion correcte.

[67]      Premièrement, le paragraphe 12(8) de la Loi prévoit sans nulle équivoque que le placement auprès d’un prestataire de la première catégorie de deux enfants ou plus en vue de leur adoption est considéré comme un seul placement d’un ou plusieurs enfants en vue de leur adoption. Autrement dit, le placement de deux enfants auprès d’un prestataire donne ouverture à une période maximale de prestations de 35 semaines. Compte tenu de l’intention du législateur aussi clairement exprimée dans ces dispositions, il serait étrange d’interpréter les paragraphes 12(3) et 12(4) comme permettant à chacun des parents de jumeaux de demander 35 semaines de prestations, alors que par ailleurs l’adoption de deux ou plusieurs enfants au même moment est considérée être un seul placement aux fins de l’article 12.

[68]      L’article 76.21 du Règlement va aussi, deuxièmement, dans le sens de l’interprétation du juge-arbitre. Il est prévu le nombre maximal de semaines de prestations parentales payables sous le régime de la Loi lorsqu’une première personne demande de telles prestations en vertu de celle‑ci, et qu’une deuxième demande des prestations similaires en vertu de lois provinciales. Dans un tel cas, le nombre maximal de semaines où des prestations sont payables au premier parent en vertu de la Loi est de 35, moins le nombre de semaines où des prestations provinciales sont payables au deuxième en vertu des lois provinciales. Si les deux parents ne peuvent en venir à une entente, le paragraphe 76.21(2) prévoit le mécanisme permettant de régler le différend. Le paragraphe 76.21(3) prévoit enfin qu’en tout état de cause, le nombre maximal de semaines de prestations pouvant être versées au prestataire au titre de l’article 23 « ne peut excéder le nombre maximal de semaines prévu à l’alinéa 12(3)b) de la Loi moins le nombre de semaines de prestations provinciales qui ont été versées au demandeur provincial [l’autre parent] ».

[69]      Il ressort ainsi clairement de la Loi que lorsque des demandes de prestations distinctes sont présentées dans le cadre de régimes différents, le nombre maximal de semaines où les prestations parentales peuvent être versées pour les soins à donner à un ou plusieurs enfants est de 35 pour une seule et même grossesse.

[70]      Enfin, il y a aussi le paragraphe 12(4.1) de la Loi, qui vise les demandes de prestations parentales pour les soins à donner à un ou plusieurs enfants et présentées au titre des articles 12 et 23, et les demandes concernant le même ou les mêmes enfants présentées au titre de l’article 152.05, qui permet le versement de prestations au travailleur indépendant qui veut prendre soin de son ou de ses nouveau-nés. Il découle clairement du paragraphe 12(4.1) que, dans un tel cas, au maximum, 35 semaines de prestations peuvent être versées sous le régime de la Loi pour les soins à donner à un ou à plusieurs enfants. Tout comme au paragraphe 12(4) de la Loi, ce n’est pas en fonction d’ « un prestataire » que le nombre maximal de semaines de prestations est prévu au paragraphe 12(4.1). On doit plutôt comprendre de ce paragraphe, encore une fois comme du paragraphe 12(4), que la durée maximale de 35 semaines joue dans les cas où plus d’un prestataire est concerné.

[71]      Si l’on considère de concert toutes ces dispositions, une seule conclusion peut être tirée : lorsque, comme en l’espèce, deux parents/prestataires subissent un arrêt de rémunération pour prendre soin de leur ou de leurs enfants, ils ne peuvent recevoir globalement plus de 35 semaines de prestations à l’égard des enfants issus d’une seule et même grossesse. J’estime par conséquent que les dispositions en cause ne permettent pas le versement de 70 semaines de prestations lorsqu’il y a naissance de jumeaux.

[72]      Avant de conclure, je tiens à examiner la thèse du demandeur selon lequelle l’intention du législateur, en adoptant les paragraphes 12(3) et 12(4), était d’établir en fonction d’ « un prestataire » la durée maximale de versement de 35 semaines. Le demandeur soutient en d’autres mots que le paragraphe 12(4) de la Loi devrait s’entendre comme suit :

12. […]

(4) Les prestations ne peuvent être versées À UN PRESTATAIRE pendant […] plus de 35, dans le cas de soins à donner à un ou plusieurs nouveau-nés d’une même grossesse ou du placement de un ou plusieurs enfants chez le prestataire en vue de leur adoption.

Prestations spéciales

[73]      Je l’ai dit, le demandeur soutient plus particulièrement qu’on a établi dans la Loi deux périodes différentes de prestations, la période de prestations visée aux articles 9 et 10 de la Loi et une période « amorphe » visée au paragraphe 23(2), et qu’en lisant en concert ces dispositions, on peut interpréter l’article 12 comme prévoyant une période maximale de 35 semaines de prestations par prestataire, plutôt que par grossesse. Le demandeur ajoute que l’objet de l’alinéa 12(3)b) est de restreindre à 35 le nombre de semaines, au cours de sa période de prestations, où le prestataire peut recevoir des prestations parentales, et de le paragraphe 12(4) de restreindre à 35 le nombre de semaines de prestations parentales à verser au prestataire pendant une période où il y a droit.

[74]      C’est là, à mon sens, une façon erronée de raisonner.

[75]      S’il ne fait aucun doute que la période de prestations visée aux articles 9 et 10 de la Loi est établie en fonction spécifiquement du prestataire, il n’en est pas ainsi pour la période pendant laquelle des prestations parentales peuvent être versées au titre du paragraphe 23(2). L’établissement de cette dernière période se rattache à la naissance d’un ou de plusieurs enfants (voir le paragraphe 23(2)). Par conséquent, même si deux prestataires peuvent chacun demander des prestations parentales pour prendre soin d’un ou de plusieurs enfants, et si une période de prestations doit être établie au profit de chacun des prestataires séparément, les prestations parentales ne peuvent être versées que pendant la période visée par le paragraphe 23(2), peu importe quand commence et se termine la période de prestations de l’un ou l’autre prestataire.

[76]      Je ne peux non plus retenir la thèse du demandeur portant qu’en raison du sens à donner au paragraphe 12(1), on puisse exclusivement interpréter le paragraphe 12(4) comme comprenant implicitement l’expression « à un prestataire ». J’abonde entièrement dans le sens du juge-arbitre : il faudrait pour en arriver à cette solution réécrire la disposition en cause en faisant totalement abstraction de l’intention du législateur. Quoi qu’il en soit, il est manifeste à la lecture des paragraphes 12(4.1) et 12(8) de la Loi et de l’article 76.21 du Règlement que l’interprétation du demandeur ne peut être retenue. En fin de compte, le demandeur nous demande en fait de modifier une disposition législative pour atteindre l’objectif qu’il affirme avoir été celui du législateur, c’est-à-dire garantir un certain niveau de soins en fonction du nombre d’enfants issus d’une seule et même grossesse et des besoins particuliers des parents donnant ces soins à ces enfants. De toute manière, même si l’on admettait que l’objet véritable de la Loi puisse être controversé, cet objet ne peut supplanter ou écarter l’intention qu’avait le législateur en adoptant des dispositions particulières de la Loi. Dans l’arrêt Barrie Public Utilities c. Assoc. canadienne de télévision par câble, 2003 CSC 28, [2003] 1 R.C.S. 476, le juge Gonthier, s’exprimant au nom de la majorité à la Cour suprême, a fait les observations suivante à ce sujet (au paragraphe 42) :

La prise en considération des objectifs législatifs est l’un des aspects de l’approche moderne en matière d’interprétation des lois. Cependant, les cours de justice et les tribunaux administratifs doivent avoir recours aux énoncés d’intention pour établir, et non pas pour contrecarrer l’intention du législateur. À mon avis, le CRTC s’est fondé sur les objectifs de politique pour écarter l’intention du législateur qui ressort clairement du sens ordinaire du par. 43(5), de l’art. 43 dans son ensemble et de la Loi considérée comme un tout. En effet, le CRTC a considéré les dispositions énonçant ces objectifs comme étant des dispositions attributives de pouvoir. C’était une erreur.

[77]      Passons maintenant à la deuxième question en litige.

B.        Deuxième question en litige — Le juge-arbitre a-t-il conclu correctement que le conseil arbitral n’avait pas compétence pour connaître des moyens puisés dans la Charte?

[78]       Selon le juge-arbitre, le conseil arbitral a statué à bon droit qu’il n’avait pas compétence pour connaître des moyens puisés dans la Charte soulevés par le demandeur. Le juge-arbitre a estimé que la Cour suprême avait décidé cette question par la jurisprudence Tétreault-Gadoury, et que celle-ci lui était opposable. Le juge-arbitre a en outre rejeté la thèse du demandeur portant que la Cour suprême avait rejeté la jurisprudence Tétreault-Gadoury par l’arrêt Conway.

[79]      Le demandeur soutient, comme il l’a fait devant le juge-arbitre, que la jurisprudence Tétreault‑Gadoury est désormais obsolète compte tenu de la jurisprudence récente de la Cour suprême, en particulier de l’arrêt Nouvelle-Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Martin; Nouvelle-Écosse (Worker’s Compensation Board) c. Laseur, 2003 CSC 54, [2003] 2 R.C.S. 504 (Martin). Par cette jurisprudence, selon le demandeur, la Cour suprême [traduction] « a reconnu les avantages pratiques qu’il y avait à ce que le tribunal administratif qui connaît le mieux la loi applicable, qui entend la preuve et qui établit le dossier donne son avis sur la constitutionnalité de cette loi (mémoire du demandeur, au paragraphe 68).

[80]      Le demandeur fait valoir à l’appui de sa thèse portant que le conseil arbitral tranche bel et bien des questions de droit, ne pouvant d’ailleurs s’acquitter de sa tâche autrement, et que dans l’arrêt Tétreault-Gadoury, la Cour suprême a déclaré que certaines considérations d’ordre pratique favorisaient l’octroi au conseil arbitral de la compétence quant aux moyens puisés dans la Charte. Le demandeur affirme pour conclure que, comme le conseil arbitral dispose du pouvoir de trancher les questions de droit, il a aussi l’obligation d’examiner les arguments fondés sur la Charte.

[81]      Le défendeur rejette cette thèse. Il soutient que la jurisprudence Tétreault-Gadoury demeure toujours d’actualité et que le juge-arbitre a eu raison de conclure qu’elle lui était opposable. Le défendeur nous rappelle que la Loi confère au juge-arbitre, et non au conseil arbitral, le pouvoir explicite de décider les questions de droit, et qu’en outre le législateur, s’il en avait eu l’intention, aurait pu corriger la doctrine de la jurisprudence Tétreault-Gadoury en modifiant la Loi.

[82]      Le défendeur ajoute que, depuis la jurisprudence Tétreault-Gadoury, la Cour suprême a réaffirmé la primauté de l’intention du législateur. Bien que d’autres tribunaux administratifs assujettis à des régimes législatifs différents aient compétence pour connaître des moyens puisés dans la Charte, cela ne change rien au fait que, par l’arrêt Tétreault-Gadoury, la Cour suprême a clairement signalé que le conseil arbitral ne disposait pas, lui, d’une telle compétence.

[83]      Je suis d’avis que la thèse du défendeur est saine. La Cour suprême n’a jamais écarté la jurisprudence Tétreault-Gadoury explicitement dans sa jurisprudence ultérieure, même si on lui en a fourni de bonnes occasions. Je vais maintenant exposer pour quels motifs j’en viens à cette conclusion.

1.         La doctrine jurisprudentielle antérieure à l’arrêt Conway

[84]      Avant l’arrêt Conway, la jurisprudence suivait différents critères en ce qui concerne les pouvoirs dont disposaient les tribunaux administratifs au sujet de l’article 52 de la Loi constitutionnelle [de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] et du paragraphe 24(1) de la Charte. Je vais dès lors concentrer mon attention sur la jurisprudence ayant porté sur l’article 52 et faire abstraction des affaires axées principalement sur le paragraphe 24(1), par exemple l’arrêt Mills c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 863, par laquelle la Cour suprême a statué que le juge présidant à une enquête préliminaire ne constituait pas un tribunal compétent, aux fins du paragraphe 24(1) de la Charte, pour suspendre une instance.

[85]      L’étude de la jurisprudence portant sur l’application de l’article 52 par les tribunaux administratifs débute par la « trilogie Cuddy Chicks », soit les arrêts Douglas/Kwantlen Faculty Assn. c. Douglas College, [1990] 3 R.C.S. 570 (Douglas College); Cuddy Chicks Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail), [1991] 2 R.C.S. 5 (Cuddy Chicks); et Tétreault-Gadoury. Ces arrêts portaient sur la question de savoir si la loi en cause conférait expressément à un tribunal administratif la compétence de décider les questions de droit. Si la loi n’accordait pas expressément cette compétence, on ne pouvait conclure à l’existence d’une compétence implicite en matière d’article 52.

[86]      Dans la première affaire, Douglas College, l’on a recherché si un arbitre du travail, nommé conformément à la convention collective des parties et encadré par la Industrial Relations Act, R.S.B.C. 1979, ch. 212, avait compétence pour se pencher sur la question de constitutionnalité de cette convention collective. La Cour suprême a étendu à l’arbitre cette compétence, après avoir conclu qu’il y avait de nets avantages à permettre au tribunal habilité à connaître des questions de droit de se prononcer véritablement sur l’ensemble du droit. Comme l’a ainsi observé le juge La Forest, « il serait anormal que les tribunaux responsables de l’interprétation de la loi sur cette question ne puissent se prononcer intégralement sur la question, sous réserve de contrôle judiciaire » (Douglas College, à la page 599, cité dans l’arrêt Conway, au paragraphe 51). On a aussi reconnu qu’il y était avantageux de pouvoir soulever la question en première instance, dans le contexte même où elle se présentait — devant le tribunal —, plutôt que d’obliger les plaideurs à saisir la cour supérieure, ce qui coûte cher et prend du temps. On a également jugé utile à l’étude des questions constitutionnelles l’expertise du tribunal administratif et sa connaissance du dossier. Tel que le juge La Forest l’a expliqué, une « compétence spécialisée peut être d’une aide inestimable en matière d’interprétation constitutionnelle » (Douglas College, à la page 605, cité dans l’arrêt Conway, au paragraphe 51).

[87]      Par l’arrêt suivant, Cuddy Chicks, la Cour suprême a étendu à la Commission des relations de travail de l’Ontario la compétence de statuer sur les questions constitutionnelles. La Cour suprême s’est appuyée dans son raisonnement sur la jurisprudence enseignant que les commissions des relations de travail avaient compétence de la compétence. Le juge La Forest a observé à ce sujet (à la page 19 du jugement) :

Ces arrêts traitent non seulement de la nature fondamentale de la Constitution, mais aussi de la compétence décisionnelle des commissions des relations du travail et de la valeur de leur expertise aux étapes initiales de délibérations constitutionnelles complexes. Ces considérations d’ordre pratique ont amené les tribunaux à reconnaître le pouvoir, certes soigneusement restreint, des tribunaux des relations du travail de se prononcer sur des questions constitutionnelles ayant trait à leur propre compétence. Ces considérations sont tout aussi contraignantes dans le cas de la contestation, sur le plan de la Charte, de la loi habilitante d’un tribunal administratif. Par conséquent, l’extension du "rôle restreint, mais important" des commissions des relations du travail au domaine de la Charte n’est que la progression naturelle d’un principe bien établi.

[88]      Dans l’affaire Tétreault-Gadoury, enfin, la Cour suprême s’est penchée sur la question même qui nous est déférée, soit celle de savoir si la Loi de 1971 sur l’assurance-chômage conférait à un conseil arbitral la compétence de connaître des questions de droit. Comme cette loi ne prévoyait pas une telle compétence dans ses dispositions sur le conseil arbitral, mais le conférait expressément au juge-arbitre, le juge La Forest a conclu, en se fondant sur la maxime d’interprétation législative expressio unius est exclusio alterius, que le conseil arbitral n’avait pas la compétence de connaître des questions de droit. Il s’en est expliqué dans ces termes (à la page 33) :

À l’instar de tous les principes généraux d’interprétation législative, la maxime expressio unius est exclusio alterius doit être appliquée avec prudence. Toutefois, et à juste titre, le pouvoir d’interpréter la loi n’est pas de ceux que le législateur a conférés à la légère aux tribunaux administratifs. Bien que le principe de retenue judiciaire ne s’applique pas à la conclusion d’un tribunal administratif sur une question relative à la Charte, cette retenue joue généralement quant à l’interprétation d’un texte législatif relevant du champ d’expertise du tribunal lorsque ce dernier a été investi du pouvoir d’interpréter la loi. Il est par conséquent improbable que le fait que le conseil arbitral ne jouisse pas d’un pouvoir semblable à celui du juge‑arbitre résulte d’un simple oubli.

[89]      Le juge La Forest a également exprimé l’avis que le législateur n’accordait qu’avec précaution et judicieusement le droit de se prononcer sur les questions de droit. Faute d’intention du législateur explicitement exprimée, il n’y avait pas lieu de conclure qu’un tribunal administratif avait la compétence de se pencher et de se prononcer sur les questions de droit.

[90]      Dans la trilogie Cuddy Chicks, ainsi, le fil conducteur était que, pour qu’un tribunal administratif puisse examiner une question constitutionnelle, la loi en cause devait lui conférer expressément la compétence de se prononcer sur les questions de droit.

[91]      La jurisprudence Martin, a marqué une rupture à l’égard de cette doctrine; la Cour suprême a de nouveau examiné la question de savoir si un tribunal administratif avait compétence pour se prononcer sur la constitutionnalité de dispositions législatives. La Cour suprême s’est dite d’avis qu’un tribunal investi du pouvoir d’interpréter les lois avait aussi le pouvoir connexe d’en évaluer la constitutionnalité. Si le tribunal jugeait des dispositions ainsi invalides, il devait nécessairement refuser de les appliquer. Malgré tout, le tribunal n’était pas habilité à déclarer des lois invalides. Ses décisions sur des questions constitutionnelles, par conséquent, ne feraient pas jurisprudence.

[92]      Dans l’affaire Martin, on a recherché si un tribunal administratif avait la compétence d’interpréter les lois conférée par un texte législatif, expressément ou implicitement. La doctrine professée par la trilogie Cuddy Chicks s’en est ainsi trouvée élargie. La discussion du juge Gonthier était fondée sur des considérations d’accessibilité : les Canadiens devaient pouvoir faire valoir leurs droits constitutionnels devant le for le plus accessible, et la cour réformatrice profiterait de l’analyse faite par le tribunal administratif. Il demeurerait possible de recourir au contrôle judiciaire, qui bénéficierait de l’éclairage fourni par un tribunal spécialisé jouissant d’expertise et ayant l’habitude d’interpréter sa loi constitutive. Ce raisonnement a des similitudes avec celui retenu par l’arrêt Douglas College.

2.         Le critère de la jurisprudence Martin

[93]      Dans l’arrêt Martin, la Cour suprême a énoncé le critère modifié suivant, comportant deux étapes :

1. Il faut d’abord rechercher si le tribunal administratif dispose du pouvoir de trancher les questions de droit. Dans l’affirmative, le tribunal sera présumé pouvoir se prononcer sur les questions de droit constitutionnel relatives à l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982.

2. Il faut rechercher ensuite si la présomption a été réfutée (p. ex., par un pouvoir exprès prévu ailleurs dans la loi en cause ou par déduction nécessaire)?

3.         En quoi la jurisprudence Conway a-t-elle changé l’état du droit?

[94]      Dans l’arrêt Conway, la Cour suprême a fusionné les analyses relatives au paragraphe 24(1) [de la Charte] et à l’article 52 [de la Loi constitutionnelle de 1982] en une seule s’appuyant de manière unifiée sur les mêmes concepts fondamentaux. Vu le cadre consacré par la jurisprudence Conway, la question pertinente est toujours de savoir si le tribunal administratif est investi par la loi de la compétence d’examiner les questions de droit.

[95]      À ce titre, la jurisprudence Conway ne marque donc pas véritablement une rupture de la jurisprudence antérieure sur les questions d’interprétation constitutionnelle. Elle est plus utile quant à l’examen de la compétence dont disposent, ou non, les tribunaux administratifs d’accorder des mesures en application du paragraphe 24(1). On semble en fait y adopter un raisonnement très semblable à celui suivi dans l’arrêt Martin, et ainsi effacer toute distinction pouvant encore exister entre les différents types d’analyses constitutionnelles.

[96]      Le demandeur soutient que le conseil arbitral est habilité à examiner les questions de droit, malgré l’enseignement contraire de la jurisprudence Tétreault-Gadoury. Selon lui, la Cour suprême, dans son analyse du pouvoir du tribunal d’examiner les questions de droit en vertu de l’article 117 de la Loi, s’est heurté au cadre qu’elle a imposé à cette analyse. L’arrêt Tétreault-Gadoury a été rendu en 1991, et la façon dont la Cour suprême abordait alors ce genre de questions ne serait plus d’actualité. La façon d’aborder alors le problème était influencée par le fait qu’ailleurs dans la Loi, on avait accordé expressément au juge-arbitre la compétence de se pencher sur les questions de droit.

[97]      Le demandeur ajoute que l’exigence posée d’une compétence expressément formulée restreignait la portée de la recherche; la jurisprudence Tétreault-Gadoury ne ferait donc plus autorité. Le demandeur soutient en outre que l’enseignement que professe depuis la Cour suprême, notamment par les arrêts Martin, Conway et Doré c. Barreau du Québec, 2012 CSC 12, [2012] 1 R.C.S. 395, a pour effet d’écarter le raisonnement qui l’avait emporté dans l’arrêt Tétreault‑Gadoury. Il estime que l’application du critère de l’heure consacré par l’arrêt Martin, qui permet soit de déduire la compétence d’examiner les questions de droit soit de la formulation expresse du texte législatif octroi exprès de compétence dans la loi, soit de la dégager implicitement de l’ensemble des dispositions de la loi, oriente désormais notre Cour autrement et appelle la solution opposée.

[98]      Je rejette cette thèse. La recherche repose toujours sur la question de savoir si le tribunal en cause a ou non le pouvoir d’examiner les questions de droit. C’est seulement lorsqu’on répond par l’affirmative à cette question que l’évolution de la jurisprudence a une incidence sur la nature de la recherche. Si la loi interdit au tribunal d’examiner les questions de droit, il n’y a pas lieu de se demander s’il peut ou doit se pencher sur les questions constitutionnelles.

[99]      Dans l’affaire Tétreault-Gadoury, on l’a dit, la Cour suprême était précisément appelée à rechercher si le conseil arbitral avait compétence pour examiner les questions de droit. Le juge La Forest a répondu sans équivoque que tel n’était pas le cas. On délimitait clairement dans le texte législatif les rôles distincts du juge-arbitre et du conseil arbitral, et il n’était pas prévu que ce dernier avait la compétence de se prononcer sur les questions de droit. Ces questions étaient plutôt déférées au juge-arbitre, ce qui était particulièrement indiqué par la qualité de juges ou de juges à la retraite, bien souvent, des juges-arbitres. La Loi accordant expressément au juge-arbitre la mission de connaître des moyens de droit, et ne prévoyant aucun rôle pour le conseil arbitral à cet égard, la conclusion s’impose que le conseil arbitral n’a pas compétence quant à ces moyens.

[100]   L’évolution de l’enseignement de la jurisprudence et invoquée par le demandeur n’entre donc pas en jeu. Les arguments du demandeur valent uniquement si l’on établit d’abord qu’un tribunal dispose du pouvoir — expressément ou implicitement — d’examiner les questions de droit.

[101]   Dans l’affaire Conway, la juge Abella a passé en revue les faits en cause et les conclusions tirées par la jurisprudence, notamment par l’arrêt Tétreault-Gadoury, portant sur la compétence des tribunaux de se prononcer sur les questions constitutionnelles. Elle a fait de longues observations sur la jurisprudence Tétreault-Gadoury, et ne l’a pas écarté expressément à titre de précédent. Elle s’est en outre appuyée sur ses observations sur cet arrêt et la jurisprudence subséquente pour dire (au paragraphe 78) :

L’évolution de la jurisprudence appelle les deux observations suivantes. D’abord, un tribunal administratif possédant le pouvoir de trancher des questions de droit et dont la compétence constitutionnelle n’est pas clairement écartée peut résoudre une question constitutionnelle se rapportant à une affaire dont il est régulièrement saisi.

[102]   À mon avis, la juge Abella avait conscience que la manière dont la jurisprudence Tétreault-Gadoury a guidé la jurisprudence ultérieure et elle n’a ainsi pas voulu la répudier expressément. Sa conclusion selon laquelle seuls les tribunaux ayant la compétence d’examiner les questions de droit pouvaient se prononcer sur les questions de droit constitutionnel s’appuyait tout autant sur la jurisprudence Tétreault-Gadoury que sur la jurisprudence subséquente. Si la juge Abella avait bel et bien voulu modifier l’état du droit elle l’aurait fait, et aurait dû le faire à mon humble avis, de manière expresse. Cela est particulièrement vrai compte tenu de la manière catégorique dont le juge La Forest avait décidé la question dans l’arrêt Tétreault-Gadoury [aux pages 34 et 35] :

Bien que cette appréciation comparative de l’expertise et des capacités pratiques du conseil puisse être juste, elle ne peut supplanter l’intention expresse du législateur de conférer le pouvoir d’interpréter la loi au juge‑arbitre et non au conseil arbitral. En d’autres termes, j’estime qu’en dépit de la capacité pratique du conseil arbitral, il découle de l’économie de la Loi de 1971 sur l’assurance‑chômage qu’il convient davantage de présenter la question constitutionnelle au juge‑arbitre, en appel, plutôt qu’au conseil lui‑même.

Appliquant le critère énoncé dans les arrêts Douglas College et Cuddy Chicks, j’estime que, tout en ayant compétence sur les parties en l’espèce, le conseil arbitral n’avait pas compétence quant au fond du litige et à la réparation demandée. La question dont le conseil était saisi ne consistait pas simplement à déterminer l’admissibilité de l’intimée aux prestations, mais aussi à déterminer si l’ancien art. 31 de la Loi de 1971 sur l’assurance‑chômage violait l’art. 15 de la Charte. De même, la réparation demandée aurait exigé que le conseil fasse abstraction de l’art. 31 pour accorder des prestations à l’intimée, en supposant qu’il ait jugé cet article incompatible avec la Charte. Or, comme je l’ai indiqué précédemment, une telle décision relève, d’après l’économie de la Loi, de la compétence du juge‑arbitre, et non de celle du conseil arbitral.

[103]   Il est bien établi que la Cour suprême peut revirer sa propre jurisprudence, étant donné particulièrement ses récentes observations sur le principe du précédent obligatoire dans l’arrêt Canada c. Craig, 2012 CSC 43, [2012] 2 R.C.S. 489 (Craig). Dans cette affaire, la Cour suprême s’est penchée sur un arrêt de la Cour porté en appel et où nous n’avions pas appliqué un de ses précédents ayant force obligatoire, Moldowan c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 480 (Moldowan). La Cour avait plutôt choisi de suivre la doctrine de son propre arrêt Gunn c. Canada, 2006 CAF 281, [2007] 3 R.C.F. 57, qui divergeait de celle de l’arrêt Moldowan et tenait compte des importantes critiques adressées à son endroit par les avocats fiscalistes. Bien que la Cour suprême ait finalement rejeté l’appel et se soit elle-même chargée de répudier la jurisprudence Moldowan, elle ne l’a pas fait sans déclarer que la Cour d’appel fédérale n’aurait pas dû refuser de se soumettre à un précédent ayant force obligatoire. S’exprimant pour l’ensemble de la Cour suprême, le juge Rothstein a observé (aux paragraphes 18 à 23) :

Il ne fait aucun doute que l’interprétation du par. 13(1) faite par le juge Dickson dans Moldowan est un précédent ayant force obligatoire pour la Cour d’appel fédérale et la Cour canadienne de l’impôt. Bien que dans Gunn la Cour d’appel fédérale ait souscrit dans une large mesure aux motifs du juge Dickson dans l’arrêt Moldowan, précédent qui la liait, elle s’en est écartée sur la question capitale de savoir si des activités agricoles constituant une source de revenu secondaire permettent d’échapper à la limitation de la déductibilité des pertes opérée par le par. 31(1).

D’ailleurs, l’arrêt Gunn a notamment eu comme conséquence de poser à la Cour canadienne de l’impôt et à la Cour d’appel fédérale elle‑même l’épineux problème d’avoir à choisir entre deux précédents contradictoires. On peut voir à l’œuvre, dans les décisions postérieures à Gunn, l’incertitude que l’application du précédent vise à éviter; la Cour canadienne de l’impôt a reconnu que l’arrêt Moldowan fait autorité, mais s’est sentie tenue de suivre Gunn : Stackhouse c. La Reine, 2007 CCI 146 (CanLII); Falkener c. La Reine, 2007 CCI 514 (CanLII); Loyens c. La Reine, 2008 CCI 486 (CanLII); Johnson c. La Reine, 2009 CCI 383 (CanLII); Scharfe c. La Reine, 2010 CCI 39 (CanLII); et Turbide c. La Reine, 2011 CCI 371 (CanLII). Et, bien sûr, la Cour d’appel fédéral a suivi Gunn dans la présente affaire.

C’est peut-être en raison des nombreuses critiques suscitées par l’arrêt Moldowan que l’arrêt Gunn s’en est écarté. Du reste, le juge Dickson lui‑même a reconnu que la disposition en cause était « un paragraphe difficile, mal formulé et très controversé » (p. 482). En outre, cette disposition n’a pas été soumise à l’examen de notre Cour pendant les trois décennies qui ont suivi Moldowan.

Mais peu importe l’explication fournie, la cour d’appel en l’espèce se devait d’exposer dans ses motifs ce qu’elle considérait problématique dans Moldowan, comme elle l’avait fait dans Gunn, au lieu de l’écarter.

Sur le fondement de son arrêt Miller c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 370 (CanLII), dans lequel elle a confirmé la règle portant qu’elle est normalement liée par ses propres décisions, la Cour d’appel fédérale a suivi Gunn et non Moldowan. La question de savoir si la Cour d’appel fédérale devait appliquer l’arrêt Miller et suivre Gunn ne se posait tout simplement pas, compte tenu du précédent établi par la Cour suprême dans Moldowan.

La décision de la Cour d’appel fédérale d’écarter l’arrêt Moldowan ne touche toutefois en rien le bien‑fondé du pourvoi ni la question principale de savoir si l’arrêt Moldowan doit effectivement être écarté.

[104]   Avec respect pour l’opinion contraire, il ne nous revient donc pas de répudier la jurisprudence Tétreault-Gadoury, étant donné tout particulièrement que la Cour suprême, même si on lui en a souvent offert l’occasion, ne l’a jamais fait. Je n’ai pas non plus à me livrer à des conjectures quant à savoir si la Cour suprême rendrait aujourd’hui une décision différente si elle devait être saisie de faits identiques à ceux de l’affaire Tétreault-Gadoury. L’arrêt Tétreault-Gadoury a été rendu en 1991 et sa doctrine est opposable jusqu’à ce que la Cour suprême opère un revirement.

[105]   Par ces motifs, je conclus que la jurisprudence Tétreault-Gadoury fait autorité et que, par conséquent, le juge-arbitre n’a pas commis d’erreur en concluant que cet arrêt lui était opposable.

C.        Troisième question en litige — Le juge-arbitre a-t-il commis une erreur en concluant que les dispositions sur les prestations parentales n’étaient pas contraires au paragraphe 15(1) de la Charte?

[106]   Le demandeur soutient que, dans la mesure où l’on interprète les dispositions en cause comme comportant une [traduction] « restriction en fonction de la grossesse », ces dispositions sont contraires au paragraphe 15(1) de la Charte.

[107]   Tout en conluant, comme le juge-arbitre, qu’était satisfait le premier élément du critère de la jurisprudence Kapp, c’est-à-dire que la Loi opérait une distinction entre le cas des naissances multiples et le cas où il y a deux enfants, et que cette distinction se fondait sur le motif analogue de la situation parentale ou familiale, le demandeur attaque la conclusion du juge-arbitre quant au deuxième élément.

[108]   Le demandeur affirme particulièrement que le juge-arbitre a fait abstraction de l’effet particulier de la Loi sur les parents d’enfants issus d’une naissance multiple et sur ces enfants eux-mêmes, et du fait qu’il y avait pour ces parents et enfants une différence sur le plan de l’accès aux prestations parentales. Il ajoute que l’effet particulier découle principalement de [traduction] « l’attention/la présence (ou au manque d’attention ou à l’absence) des parents pendant la première année [des enfants] » (mémoire du demandeur, au paragraphe 88). Selon le demandeur, cet effet particulier découle du fait que les parents de jumeaux ne peuvent obtenir davantage de prestations que les parents d’un enfant unique.

[109]   La thèse du défendeur est que le juge-arbitre a correctement conclu que les dispositions sur les prestations parentales de la Loi n’étaient pas discriminatoires, et ne portaient donc pas atteinte aux droits que tire l’appelant du paragraphe 15(1) de la Charte.

[110]   Plus précisément, tout en étant critique de la conclusion du juge-arbitre quant au premier élément du critère de la jurisprudence Kapp, soit que la Loi opère une distinction entre les parents de jumeaux et les autres parents en fonction de la situation parentale ou familiale, le défendeur affirme que la conclusion du juge-arbitre quant au deuxième élément du critère est saine. Le juge‑arbitre aurait ainsi conclu à juste titre qu’il ne résultait pas du régime de prestations parentales prévu par la Loi la perpétuation d’un préjugé ou l’application de stéréotypes.

[111]   Le défendeur fait valoir à l’appui de sa thèse l’objet des dispositions en cause de la Loi et les objectifs qu’elles visent, et affirme qu’il ressort manifestement de l’examen de ces textes sous le bon angle qu’elles ne sont pas contraires au paragraphe 15(1) de la Charte. Le défendeur précise que l’objet du régime de prestations est d’offrir un soutien au revenu restreint aux prestataires qui sont absents du travail, notamment, pour donner des soins à un ou plusieurs enfants; il insiste sur l’absence de toute corrélation entre les prestations parentales et le nombre d’enfants concernés, les dépenses engagées pour donner des soins aux enfants ou la situation ou les besoins particuliers de prestataires individuels. En d’autres mots, la raison d’être du régime prévu par la Loi est de fournir aux prestataires un revenu de remplacement partiel et temporaire selon des critères d’admissibilité uniformes.

[112]   À mon avis, le juge-arbitre n’a pas commis d’erreur en concluant, au regard du deuxième élément du critère de la jurisprudence Kapp, que la distinction opérée par la Loi entre les parents de jumeaux et les autres parents ne donnait pas lieu à un désavantage par la perpétuation d’un préjugé ou l’application de stéréotypes. Je n’ai donc pas à me pencher sur l’attaque formulée par le défendeur à l’endroit de la conclusion du juge-arbitre quant au premier élément du critère. Comme je suis essentiellement d’accord avec les motifs énoncés par le juge-arbitre (que j’ai exposés assez longuement dans les présents motifs), je ne discuterai que certains points particuliers soulevés par le demandeur. À tous autres égards, je souscris aux motifs du juge-arbitre.

[113]   Pour répondre à la question de savoir si la distinction établie par la Loi donnait lieu à un désavantage par la perpétuation d’un préjugé ou l’application de stéréotypes, le juge-arbitre a examiné les quatre facteurs contextuels consacrés par la Cour suprême par les arrêts Law et Kapp. Quant au premier facteur, il a conclu que les parents de jumeaux n’étaient pas victimes d’un désavantage préexistant, de stéréotypes, d’une vulnérabilité ou de préjugés. Le demandeur soutient que les parents d’enfants issus d’une grossesse multiple sont et se sentent isolés, obtiennent peu d’appui public en comparaison avec la majorité des parents et assument d’énormes responsabilités aux plans financier et affectif; il s’agit là selon lui de [traduction] « caractéristiques classiques d’une minorité discrète et isolée » (mémoire du demandeur, au paragraphe 111).

[114]   Le demandeur ajoute qu’en plus de faire face aux mêmes difficultés que tous les parents de nouveau-nés, les parents comme lui et son épouse en subissent d’additionnelles par suite d’une naissance multiple, et ce groupe minoritaire est ainsi [traduction] « particulièrement vulnérable avant et après cette naissance » (mémoire du demandeur, au paragraphe 113). Cela serait d’autant plus vrai que ces parents font plus souvent face à des problèmes de santé et de dépression ou de stress parental, ou liés à une naissance prématurée ou à de moindres aptitudes cognitives ou sociales des enfants. Les parents de jumeaux doivent donc inévitablement, selon le demandeur, quitter temporairement leur emploi pour donner à leurs enfants des soins raisonnables. D’après le demandeur, lui et son épouse ont été [traduction] « forcés de choisir entre de graves problèmes éventuels pour leurs enfants et le revenu dont ils avaient désespérément besoin pour les élever » (mémoire du demandeur, au paragraphe 113).

[115]   Le demandeur soutient que les parents d’enfants issus d’une naissance multiple sont ainsi victimes d’un désavantage préexistant et vulnérables, et qu’en ne tenant pas compte de leurs intérêts particuliers, la Loi proclame haut et fort que la loi donne lieu à un désavantage par la perpétuation d’un préjugé.

[116]   Je rejette cette thèse. La conclusion essentielle du juge-arbitre, que je retiens entièrement, est que rien ne prouve que les parents de jumeaux ont été traités de manière inéquitable par la société et qu’ainsi, ils ont été victimes d’un désavantage historique, de stéréotypes, d’une vulnérabilité ou de préjugés du fait même qu’ils étaient les parents de jumeaux. J’ajouterais que, bien que prendre soin de jumeaux, et du reste de plus de deux nouveau-nés, soit nécessairement plus ardu que prendre soin d’un seul nouveau-né, cela n’équivaut pas au type de désavantage historique par la perpétuation d’un préjugé ou l’application de stéréotypes que la Cour suprême avait à l’esprit dans l’affaire Law.

[117]   Selon moi, et tel que le juge-arbitre l’a souligné à juste titre, l’objet de la Loi n’est pas de s’attaquer aux difficultés particulières auxquelles les parents font face, mais plutôt de compenser l’arrêt de rémunération des parents qui prennent congé pour prendre soin de leurs enfants. Nul élément ne permet d’affirmer, comme le fait le demandeur, que son groupe est victime d’un désavantage préexistant et est vulnérable et que la Loi porte un message qui donne lieu à un désavantage par la perpétuation d’un préjugé.

[118]   Tournons-nous maintenant vers le deuxième facteur contextuel, soit le rapport entre les motifs sur lesquels la demande est fondée et les besoins, les capacités ou la situation véritables du prestataire ou des autres personnes visées par les dispositions législatives.

[119]   Même si rien ne prouve que les parents de jumeaux ont subi un désavantage historique, le demandeur peut toujours démontrer que tout désavantage découlant de la loi repose sur un stéréotype qui ne correspond pas à la situation véritable des membres de son groupe. Dans l’affaire Withler, la Cour suprême a reconnu que les régimes de prestations complexes, comme celui en l’espèce, sont conçus en faveur de plusieurs groupes dont les intérêts et la situation divergent. La question est donc de savoir si les limites établies par le législateur sont raisonnables, compte tenu de la situation des groupes touchés et de l’objet du régime.

[120]   Bien que le demandeur reconnaisse, comme il se doit, que le législateur dispose du pouvoir d’établir les limites requises d’un régime de prestations complexe, et que l’article 15 ne requiert pas une correspondance parfaite, il affirme qu’une restriction [traduction] « en fonction d’une grossesse » touche tous les membres de son groupe, et que les limites établies par le législateur ne sont donc pas appropriées.

[121]   Le demandeur attaque également l’affirmation du juge-arbitre (à la page 28 de sa décision) selon laquelle quant à l’ « admissibilité aux prestations parentales, […] [il] ne prévoit aucune limite claire pour l’avenir ». Selon le demandeur, il existait en effet une limite facile à discerner pour offrir réparation, soit celle déjà adoptée par le législateur lorsque des parents doivent prendre soin de deux enfants par suite de deux événements distincts. Il en découlerait l’octroi de deux prestations parentales, soit une par enfant à concurrence de deux, puisqu’il y avait deux prestataires.

[122]   Le demandeur expose finalement, comme suit, le fond de son argumentation sur le deuxième facteur (au paragraphe 128 de son mémoire) :

[traduction] En l’absence de toute preuve au soutien des restrictions « en fonction d’une grossesse », il est difficile de concevoir comment on pourrait dire au demandeur et aux membres de son groupe, exclusivement des parents satisfaisant à toutes les exigences liées à l’assurance-emploi prévues dans la Loi sur l’AE, qu’aux fins de l’établissement du montant des prestations, le nombre d’enfants concernés est pris en compte dans tous les cas sauf le leur, sans qu’ils n’aient le sentiment que la naissance multiple de leurs enfants est jugée moins digne d’être reconnue que d’autres par un système qui tente, par ailleurs, de respecter le choix fait par des parents d’interrompre leur emploi pour prendre soin de leurs enfants. Le fait que tous les parents de plus d’un nouveau-né et leurs enfants subissent un effet particulier rend la situation encore plus inéquitable, et fait ressentir davantage que leurs familles, bien qu’elles respectent intégralement les mêmes critères que ceux imposés aux autres familles qui comptent deux parents, sont moins dignes de bénéficier des mesures destinées à aider les parents, sous le régime de la Loi sur l’AE, à prendre soin de leurs enfants.

[123]   Je commence par rappeler que le régime de prestations parentales établi par la Loi n’est pas un programme d’assistance sociale qui tient compte, pour établir l’admissibilité et le taux des prestations hebdomadaires, des besoins financiers ou de la situation de chaque participant individuel. La Loi vise plutôt à aider divers types de prestataires, en assurant un revenu de remplacement partiel et temporaire à ceux qui subissent un arrêt de rémunération et qui satisfont aux critères d’admissibilité.

[124]   C’est dans ce contexte que le juge-arbitre a conclu à bon droit que la Loi était suffisamment souple pour répondre, quoique imparfaitement, aux besoins des parents dont les enfants leur imposent un fardeau plus lourd que d’autres. Rien ne permet selon moi d’être en désaccord avec le juge-arbitre. Soit dit avec déférence, le demandeur affirme essentiellement que lui et les autres membres de son groupe — les parents d’enfants issus d’une naissance multiple — devraient recevoir davantage de prestations que celles offertes par la Loi parce qu’ils assument un plus lourd fardeau que les parents d’un enfant unique. Avec égard, je ne vois pas comment un régime complexe comme celui prévu par la Loi pourrait répondre à ces attentes. Autrement dit, il est impossible pour le régime de satisfaire aux besoins particuliers et de s’adapter à la situation individuelle de tous les prestataires. À mon avis, on ne peut assurément pas qualifier d’inappropriées les limites établies par le législateur.

[125]   Encore une fois rien dans les dispositions en cause ne me permet de conclure qu’elles s’appuient sur des stéréotypes. On ne saurait dire non plus que, parce que les membres du groupe du demandeur n’obtiennent pas 70 semaines de prestations pour prendre soin de leurs enfants, la loi les juge moins dignes de considération que les parents d’un enfant unique.

[126]   Pour conclure sur ce facteur, je dirai quelques mots sur la critique du demandeur visant l’observation du juge-arbitre selon laquelle il ne prévoyait aucune limite claire pour l’avenir quant à l’admissibilité aux prestations parentales. J’estime cette critique non fondée, les motifs simples en ressortissent des commentaires suivants du défendeur (aux paragraphes 134 à 136 de son mémoire) :

[traduction] Malgré l’attrait a priori de la mesure proposée par le demandeur, celle‑ci n’est ni simple ni bien circonscrite, tel qu’il le laisse entendre. On n’y trouve en fait aucun paramètre quant à la mise en œuvre du régime de prestations parentales si l’on devait tenir compte, dans l’établissement du nombre de semaines de prestations à accorder, des besoins individuels des parents.

Par exemple, combien faudrait-il accorder de semaines de prestations dans le cas de triplés ou de quadruplés? La Commission de l’AE devrait-elle alors, compte tenu des plus grands besoins rencontrés, verser des prestations parentales à un tiers fournisseur de soins, comme un membre de la famille? Les prestataires soutiendraient assurément dans ces cas que leurs plus grands besoins méritent au moins autant de considération que ceux des parents de jumeaux.

Le demandeur ne dit pas non plus en proposant cette réparation comment la Commission de l’AE devrait traiter les autres parents pouvant avoir de plus grands besoins en raison d’une particularité de leur famille ou de leurs enfants. Les parents célibataires, par exemple, soutiendraient vraisemblablement que des prestations plus importantes sont justifiées dans leur cas, en raison des défis particuliers rencontrés lorsqu’on élève seul un enfant.

[127]   Je retiens entièrement les observations du défendeur qui, à mon sens, vont nettement dans le sens de la conclusion du juge-arbitre voulant que la Loi soit suffisamment souple pour bien répondre, en fonction de leur situation, aux besoins des membres du groupe du demandeur.

[128]   Pour ce qui est du troisième facteur contextuel, l’effet d’amélioration de la loi ou du programme, les deux parties conviennent, toute comme l’avait conclu le juge-arbitre, qu’il n’est pas pertinent en l’espèce.

[129]   Examinons donc maintenant le quatrième et dernier facteur contextuel, soit la nature du droit touché.

[130]   Le juge-arbitre a conclu, quant à ce facteur, que le seul droit touché était de nature économique, et que le demandeur n’avait pas démontré que les dispositions en cause, en le privant de prestations parentales, avaient de quelque manière que ce soit « restreint son accès à une institution fondamentale ou compromis un aspect fondamental de la pleine appartenance à la société canadienne » (décision de l’arbitre, à la page 30). Le juge-arbitre a par conséquent estimé le droit économique en cause du demandeur insuffisant pour fonder une conclusion de discrimination.

[131]   D’après le demandeur, le juge-arbitre a [traduction] « rabaissé » son droit et le droit des membres de son groupe en jeu dans la présente instance. Il a ajouté que la Loi était une composante importante du tissu social canadien, qu’elle avait une incidence sur tous les éléments de notre vie professionnelle — depuis la maladie jusqu’à la grossesse en passant par les soins à donner aux enfants et aux membres de la famille — , et qu’ainsi elle marquait de son empreinte le cœur même de l’identité humaine. Par conséquent, puisque les membres de son groupe étaient tous traités de même manière différemment des autres, en n’ayant droit qu’à un ensemble de prestations parentales, leur situation constituait ce que le demandeur a qualifié d’ [traduction] « exemple classique d’effets graves et localisés ». Ainsi, selon le demandeur, le plein accès refusé à son groupe à un important repère de l’appartenance à la société canadienne constitue un indice notable de discrimination.

[132]   Pour conclure, le juge-arbitre a pesé avec soin les éléments de preuve et les observations présentés par le demandeur. Ce faisant, il a pris en compte les facteurs contextuels énoncés par la Cour suprême par les arrêts Law et Kapp, en gardant à l’esprit que ces facteurs ne devaient pas donner lieu à un examen rigide, mais plutôt aider à établir si la loi contestée portait atteinte au droit à l’égalité garanti par le paragraphe 15(1) de la Charte. À mon humble avis, le juge-arbitre n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle en concluant que les dispositions en cause n’étaient pas discriminatoires et, par conséquent, n’étaient pas contraire au paragraphe 15(1) de la Charte.

Décision

[133]   Par les motifs exposés ci-dessus, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire. Le défendeur ne sollicitant pas de dépens, je n’en adjugerais aucuns.

La juge Dawson, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.

Le juge Stratas, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.

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