A-202-06
2007 CAF 272
Banque Canadienne Impériale de Commerce (appelante)
c.
Commissaire en chef, Commission canadienne des droits de la personne (intimé)
et
Association des banquiers canadiens (intervenante)
Répertorié : Banque Canadienne Impériale de Commerce c. Canada (Commissaire en chef, Commission canadienne des droits de la personne) (C.A.F.)
Cour d’appel fédérale, juges Décary, Nadon et Pelletier, J.C.A.—Toronto, 30 avril; Ottawa, 27 août 2007.
Accès à l’information — Appel d’une décision de la Cour fédérale rejetant la demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission canadienne des droits de la personne de communiquer le rapport de vérification final qui contenait des conclusions au sujet du respect de la Loi sur l’équité en matière d’emploi par l’appelante — Le fait que la demande d’accès n’a pas été présentée par écrit comme l’exige l’art. 6 de la Loi sur l’accès à l’information (la LAI) ne porte pas atteinte à la demande — Sens de l’expression « relevant d’une institution fédérale » qui se trouve à l’art. 4 de la LAI — L’attente de confidentialité découlant des relations entre la source du document et l’institution fédérale ne suffit pas pour retirer à l’institution fédérale le contrôle de ce document — Rien ne donnait à penser que la manière dont la Commission a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu des art. 16 et 19 était déraisonnable — L’exigence relative à l’intérêt public a pour but d’assurer que l’exception ne joue qu’en faveur de l’intérêt public — Le juge des requêtes a commis une erreur en appliquant un critère comparatif alors qu’il n’y avait pas lieu de le faire et en concluant que les renseignements contenus dans le rapport final n’échappaient pas à la communication en tant que renseignements commerciaux confidentiels suivant l’art. 20(1)b) de la LAI — Appel accueilli.
Droit de l’emploi — L’appelante s’opposait à la communication du rapport de vérification final qui contenait des conclusions au sujet de son respect de la Loi sur l’équité en matière d’emploi (LEE) en invoquant le privilège prévu à l’art. 34 de la LEE — Le gros des renseignements contenus dans le rapport final étaient des renseignements fournis à la Commission canadienne des droits de la personne dans le cadre de la vérification fondée sur la LEE et n’ont pas été tirés de sources publiques — Le rapport final était donc censément assujetti au privilège — Toutefois, il ne faut pas confondre le contrôle des documents et le contrôle des renseignements — Le fait que l’art. 34 impose certaines limites au pouvoir de la Commission de communiquer les renseignements qui sont contenus dans le document ne signifie pas que le document lui-même ne relève pas de la Commission — La relation confidentielle entre la Commission et le sujet d’une vérification de la conformité de l’équité en matière d’emploi est d’intérêt public.
Il s’agissait d’un appel de la décision de la Cour fédérale rejetant la demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Commission canadienne des droits de la personne de communiquer un rapport de vérification final qui contenait des conclusions au sujet du respect de la Loi sur l’équité en matière d’emploi (la LEE) par la Banque Canadienne Impériale de Commerce (l’appelante CIBC). La Commission avait auparavant refusé une demande présentée en vertu de la Loi sur l’accès à l’information (la LAI) pour la communication du « Rapport provisoire sur l’équité en matière d’emploi concernant la CIBC » (le rapport provisoire) parce qu’il renfermait des renseignements commerciaux confidentiels et qu’il était donc visé par l’exception prévue à l’alinéa 20(1)b) de la LAI. En juillet 2004, la Commission a informé la CIBC qu’elle avait reçu une autre demande d’accès à son rapport final, demande présentée en vertu de la LAI, sans divulguer que cette demande avait été faite oralement et non par écrit. En octobre 2004, la Commission a informé la CIBC qu’elle avait l’intention de communiquer le rapport final et que sa décision de ne pas communiquer le rapport provisoire avait, en fait, été fondée sur l’alinéa 16(1)c) de la LAI, exception qui vise les renseignements dont la communication risquerait de nuire au déroulement d’une enquête licite, et non pas sur l’alinéa 20(1)b) de cette loi. La CIBC s’est alors adressée à la Cour fédérale pour demander le contrôle judiciaire de la décision de la Commission. Le juge des requêtes a rejeté la demande, sauf pour ce qui avait trait à deux passages précis. Les questions litigieuses étaient de savoir si : 1) la Commission avait compétence pour communi-quer le rapport final en l’absence d’une demande écrite, comme l’exige l’article 6 de la LAI; 2) les renseignements fournis à la Commission par la CIBC qui ont été reproduits dans le rapport final sont assujettis à la LAI quand ils ne relèvent pas de la Commission puisque l’article 34 de la LEE accorde à la CIBC, et non pas à la Commission, le pouvoir de donner ou non son consentement à la communication; 3) les renseignements de la CIBC sont visés par les exceptions à la communication énoncées aux alinéas 20(1)b) ou 20(1)c) ou aux articles 16 ou 19 de la LAI; et 4) la Commission a enfreint les principes de justice fondamentale quand elle a fourni des motifs erronés pour justifier son refus de divulguer le rapport provisoire, induisant ainsi la CIBC en erreur quant aux arguments qu’elle devait présenter pour s’opposer à la communication du rapport final.
Arrêt : l’appel doit être accueilli.
1) Formuler la question d’une requête écrite comme étant une question de compétence cache la véritable question, à savoir la conséquence du non-respect de la condition qui exige que les demandes de renseignements soient faites par écrit. Rien n’explique pourquoi la Commission n’aurait pas dû respecter le texte clair de l’article 6 de la LAI et exiger que la demande d’accès au rapport final soit faite par écrit. Une telle exigence n’est pas onéreuse et il est facile de s’y conformer. Mais le fait que la Loi impose une obligation ne définit pas en soi les conséquences du non-respect. Il n’y a rien dans la LAI qui est censé annuler tout ce qui est fait en l’absence d’une demande écrite. Étant donné qu’aucun des objets de la loi n’a été mis en échec du fait qu’on n’a pas insisté pour avoir une demande écrite, il faut présumer que la demande de communication du rapport final n’était pas nulle simplement parce qu’on ne l’a pas faite par écrit.
2) La CIBC a soutenu que puisque l’article 34 de la LEE interdit la communication des renseignements qu’elle a fournis à la Commission sans son consentement, elle a le pouvoir de décider si ces renseignements peuvent être communiqués. Cet argument s’appuie sur le sens de l’expression « relevant d’une institution fédérale » qui se trouve à l’article 4 de la LAI. Le gros des renseignements contenus dans le rapport final étaient des renseignements fournis à la Commission dans le cadre de la vérification fondée sur la LEE, et n’ont pas été tirés de sources publiques. Dans cette mesure, il y a un fondement factuel à l’argument selon lequel le rapport final est assujetti au privilège créé par l’article 34 de la LEE. Le juge des requêtes a commis une erreur quand il a conclu qu’il était suffisant que les renseignements contenus dans le rapport final soient du même genre que les renseignements disponibles au grand public. L’attente de confidentialité découlant des relations entre la source du document et l’institution fédérale ne suffit pas pour retirer à l’institution fédérale le contrôle de ce document. L’argument de la CIBC confond le contrôle des documents et le contrôle des renseignements. Le fait que l’article 34 impose certaines limites au pouvoir de la Commission de communiquer les renseignements qui sont contenus dans le document ne signifie pas que le document lui-même ne relève pas de la Commission. La CIBC a également soutenu que bien que le document puisse relever de la Commission, les renseignements ne sont pas assujettis aux dispositions de la LAI parce qu’ils sont protégés. Il est question du privilège en tant que liberté de s’opposer à une communication forcée, et il ne s’agit pas de savoir si les renseignements protégés sont admissibles dans une cour de justice. Les renseignements dont disposait le gouvernement peuvent être communiqués en vertu de la LAI, à moins qu’ils ne bénéficient d’une exception prévue dans la Loi, ou à moins que la disposition en vertu de laquelle ils sont créés ou communiqués figure à l’annexe II de la LAI.
3) L’article 16 de la LAI, qui traite des renseignements dont la divulgation risquerait de nuire au déroulement d’enquêtes licites, est une exception discrétionnaire. Pour avoir gain de cause, la CIBC devait démontrer que la Commission avait exercé son pouvoir discrétionnaire de façon déraisonnable. Rien ne permettait à la Cour de statuer que la manière dont la Commission a exercé son pouvoir discrétionnaire était déraisonnable. On pourrait en dire autant de l’article 19 de la LAI, qui exempte les renseignements personnels de la communication. Les deux principaux motifs d’opposition formulés par la CIBC étaient les alinéas 20(1)b) et 20(1)c) de la LAI. Le juge des requêtes a comparé le rapport final au rapport annuel de 2002 que la CIBC a fourni en vertu de la LEE et a conclu que les renseignements qui figuraient dans ce rapport se rapprochaient beaucoup de ceux figurant dans le rapport final. Ce n’est pas là le critère qu’il fallait appliquer. Le critère n’est pas de savoir si des renseignements du même genre sont à la disposition du grand public, mais bien de savoir si des renseignements précis le sont. Le juge des requêtes a commis une erreur de droit en appliquant le mauvais critère pour décider si les renseignements en question étaient confidentiels. L’élément suivant du critère consistait à déterminer s’il existait un fondement objectif permettant de soutenir que les renseignements ont été communiqués dans l’attente qu’ils resteraient confidentiels. La conclusion du juge des requêtes qu’il n’y avait pas de fondement raisonnable à l’attente de la CIBC que ces renseignements resteraient confidentiels était déraisonnable. Les motifs donnés n’étayaient pas suffisamment sa conclusion sur cet élément important du critère relatif à l’application de l’exception qui se trouve à l’alinéa 20(1)b) de la LAI. Le dernier élément du critère est l’intérêt du public à la communication des renseignements. L’exigence relative à l’intérêt public a pour but d’assurer que l’exception ne joue qu’en faveur de l’intérêt public. Cette exigence n’appelle pas une pondération de l’intérêt public entre la communication et la non-communication. Le juge des requêtes a commis une erreur an appliquant un critère comparatif alors qu’il n’y avait pas lieu de le faire. La relation confidentielle entre la Commission et le sujet d’une vérification de la conformité de l’équité en matière d’emploi est d’intérêt public. L’article 34 de la LEE énonce clairement que la confidentialité de cette relation doit être préservée. Le juge des requêtes a commis une erreur de droit en appliquant le mauvais critère pour ce qui est de l’aspect relatif à l’intérêt public et en concluant que les renseignements contenus dans le rapport final n’échappaient pas à la communication en tant que renseignements commerciaux confidentiels suivant l’alinéa 20(1)b) de la LAI.
4) La modification par la Commission des motifs justifiant son refus de communiquer le rapport provisoire était surprenante et assez troublante. Il est difficile de concevoir comment on peut confondre un refus se fondant sur des renseignements commerciaux confidentiels et un refus se fondant sur un obstacle à une enquête licite. Il est peu probable que la personne qui a pris la décision initiale ait eu l’intention de prendre une décision autre que celle qui a été prise. Cette décision ne peut par la suite être retirée et traitée comme inopérante quand de meilleurs motifs viennent à l’esprit du décideur, motifs qui, soit dit en passant, ne s’opposent pas à la communication du rapport final. Cependant, la CIBC n’a jamais été trompée quant au fardeau dont elle devait s’acquitter.
Le rapport final renfermait des renseignements commerciaux confidentiels qui ont été traités de façon constante de manière confidentielle par la CIBC, comme le prévoit l’alinéa 20(1)b) de la LAI.
lois et règlements cités
Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1, art. 4 (mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 144, ann. VII, no 1(F); 2001, ch. 27, art. 202), 6, 7, 16, 19, 20, 24, 44 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 1, art. 45, ann. III, no 1(F)), 53.
Loi sur l’Agence de la consommation en matière financière du Canada, L.C. 2001, ch. 9, art. 17.
Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21, art. 3 « renseignements personnels » (mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 144; ann. VII, no 47(F)).
Loi sur la Société d’assurance-dépôts du Canada, L.R.C. (1985), ch. C-3, art. 45.2 (édicté par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 18, art. 68; L.C. 2001, ch. 9, art. 214).
Loi sur le Bureau du surintendant des institutions financières, L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 18, art. 22(1) (mod. par L.C. 2001, ch. 9, art. 472).
Loi sur l’équité en matière d’emploi, L.C. 1995, ch. 44, art. 9(3), 34.
Loi sur les archives nationales du Canada, L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 1, art. 5.
Loi sur les banques, L.C. 1991, ch. 46, art. 636 (mod. par L.C. 1999, ch. 28, art. 41; 2007, ch. 6, art. 103).
jurisprudence citée
décisions appliquées :
Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226; 2003 CSC 19; Air Atonabee Ltd. c. Canada (Ministre des Transports), [1989] A.C.F. no 453 (1re inst.) (QL).
décision différenciée :
Andersen Consulting c. Canada, [2001] 2 C.F. 324 (1re inst.).
décisions examinées :
Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de l’Industrie), [2008] 1 R.C.F. 231; 2007 CAF 212; Colombie-Britannique (Procureur général) c. Canada (Procureur général); Acte concernant le chemin de l’île de Vancouver (Re), [1994] 2 R.C.S. 41; Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247; 2003 CSC 20.
décisions citées :
Société canadienne des postes c. Canada (Ministre des Travaux publics), [1993] 3 C.F. 320 (1re inst.); R. c. McClure, [2001] 1 R.C.S. 445; 2001 CSC 14; Dagg c. Canada (Ministre des Finances), [1997] 2 R.C.S. 403.
doctrine citée
Canada. Guide du Conseil du Trésor : Politiques et lignes directrices en matière d’accès à l’information, chapitre 2-00 « Lignes directrices—généralités ». Ottawa : Approvisionnements et Services Canada, 1993.
Sopinka, J. et al. The Law of Evidence in Canada, 2e éd. Toronto : Butterworths, 1999.
APPEL d’une décision de la Cour fédérale (2006 CF 443) rejetant une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Commission canadienne des droits de la personne de communiquer le rapport de vérification final qui contenait des conclusions au sujet du respect de la Loi sur l’équité en matière d’emploi par l’appelante. Appel accueilli.
ont comparu :
Paul B. Schabas et Catherine M. Beagan Flood pour l’appelante.
Kathleen P. Fawcett et Mark Searl pour l’intimé.
Guy J. Pratte et Nadia Effendi pour l’intervenante.
avocats inscrits au dossier :
Blake Cassels & Graydon LLP, Toronto, pour l’appelante.
Commission canadienne des droits de la personne, Ottawa, pour l’intimé.
Borden Ladner Gervais s.r.l., s.e.n.c.r.l., Ottawa, pour l’intervenante.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
[1]Le juge Pelletier, J.C.A. : Le présent appel soulève un certain nombre de questions ayant trait à l’interaction entre la Loi sur l’équité en matière d’emploi, L.C. 1995, ch. 44 (la LEE) et la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A‑1 (la LAI). Quand la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) a décidé qu’elle était tenue de divulguer les résultats de sa vérification menée auprès de la Banque Canadienne Impériale de Commerce (la CIBC) au sujet du respect de la LEE, par suite d’une demande d’accès fondée sur la LAI, la banque s’est opposée au motif que les renseignements contenus dans le rapport étaient confidentiels et qu’ils étaient visés par une exception prévue dans une ou plusieurs dispositions de la LAI. La Commission n’a pas souscrit à ce point de vue, non plus que la Cour fédérale. La CIBC en appelle maintenant devant cette Cour.
Les faits
[2]Les faits sont assez simples. En juin 2000, la Commission a informé la CIBC qu’elle souhaitait faire une vérification de la conformité à la LEE. La CIBC a collaboré avec la Commission au cours de la vérification, en fournissant les renseignements qui lui étaient périodiquement demandés.
[3]À l’automne 2002, la Commission a remis à la CIBC le « Rapport provisoire sur l’équité en matière d’emploi concernant la CIBC » (le rapport provisoire) qui exposait ses conclusions préliminaires. En novembre 2002, la Commission a reçu une demande d’accès au rapport provisoire fondée sur la LAI. Elle a informé la CIBC de la requête et l’a invitée à formuler ses observations. La CIBC s’est opposée à la communication du rapport provisoire en invoquant le privilège prévu à l’article 34 de la LEE. La CIBC soutenait également que le rapport renfermait des renseignements commerciaux confidentiels qu’elle avait fournis à la Commission dans l’expectation qu’ils demeureraient confidentiels. La Commission a informé la CIBC, dans une lettre en date du 13 février 2003, qu’elle n’avait pas l’intention de divulguer le rapport provisoire parce qu’il renfermait des renseignements commerciaux confidentiels et qu’il était donc visé par l’exception prévue à l’alinéa 20(1)b) de la LAI.
[4]Le 9 juillet 2004, la Commission a informé la CIBC qu’une demande d’accès au rapport final lui avait été présentée, sans divulguer que cette demande avait été faite oralement et non par écrit. Une fois encore, la CIBC était invitée à déposer ses observations et, de nouveau, elle s’est opposée à la communication du rapport en s’appuyant sur les mêmes motifs qui l’avaient amenée à contester la communication du rapport provisoire. Le 26 octobre 2004, la Commission a informé la CIBC qu’elle avait l’intention de communiquer le rapport final.
[5]Deux jours plus tard, la Commission a informé la CIBC que sa décision de ne pas communiquer le rapport provisoire avait en fait été fondée sur l’alinéa 16(1)c) de la LAI, exception qui vise les renseignements dont la communication risquerait de nuire au déroulement d’une enquête licite, et non pas sur l’alinéa 20(1)b) comme elle en avait informé précédemment la CIBC.
[6]La CIBC a alors invoqué l’article 44 [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 1, art. 45; ann. III, no 1(F)] de la LAI pour demander à la Cour fédérale le contrôle judiciaire de la décision de la Commission. Le juge Blanchard, qui a entendu la demande, a rejeté celle‑ci, sauf pour ce qui a trait à deux passages précis, dans une décision publiée Banque Canadienne Impériale de Commerce c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), 2006 CF 443.
Les questions en litige
[7]La CIBC soutient que le présent appel soulève les questions suivantes :
1‑ La Commission avait‑elle compétence pour communiquer le Rapport final en l’absence d’une demande écrite, comme l’exige l’article 6 de la LAI ?
2‑ Les renseignements fournis à la Commission par la CIBC qui ont été reproduits dans le Rapport final (les renseigne-ments de la CIBC) sont‑ils assujettis à la LAI quand ils ne relèvent pas de la Commission puisque l’article 34 de la LEE accorde à la CIBC, et non pas à la Commission, le pouvoir de donner ou non son consentement à la communication ?
3‑ Les renseignements de la CIBC sont‑ils visés par les exceptions à la communication énoncées aux alinéas 20(1)b) ou 20(1)c) ou aux articles 16 ou 19 de la LAI ?
4‑ La Commission a‑t‑elle enfreint les principes de justice fondamentale quand elle a fourni des motifs erronés pour justifier son refus de divulguer le Rapport provisoire, induisant ainsi la CIBC en erreur quant aux arguments qu’elle devait présenter pour s’opposer à la communication du Rapport final ?
5‑ La CIBC devrait‑elle payer les dépens de la Commission ?
Le statut d’intervenante a été accordé en l’espèce à l’Association des banquiers canadiens (ABC). Sa position est essentiellement celle de la CIBC, à l’exception d’un argument concernant l’interaction entre les dispositions relatives à la confidentialité dans les lois régissant les banques et les institutions financières et la LAI.
La norme de contrôle
[8]La norme de contrôle applicable au juge des requêtes a été énoncée par mon collègue le juge Evans dans Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de l’Industrie), [2008] 1 R.C.F. 231 (C.A.F.), au paragraphe 65 des motifs de la Cour. Bien que le juge Evans ait exprimé sa dissidence dans cette affaire, ses collègues ont adopté la manière dont il avait formulé la norme de contrôle :
Les questions relatives à la façon dont le responsable d’une institution interprète la Loi sur l’accès à l’information pour refuser de communiquer des dossiers en réponse à une demande d’accès sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte, tandis que l’exercice de tout pouvoir discrétionnaire conféré par la Loi sur l’accès à l’information est susceptible de contrôle selon la décision déraisonnable simpliciter : voir, par exemple, Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada), [2003] 1 R.C.S. 66, aux paragraphes 14 à 19; 3430901 Canada Inc. c. Canada (Ministre de l’Industrie), [2002] 1 C.F. 421 (C.A.F.), aux paragraphes 28 à 47.
[9]La norme de contrôle applicable à cette Cour, qui siège en appel de la décision du juge des requêtes, a été énoncée dans l’arrêt Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, au paragraphe 43 :
Le rôle de la Cour d’appel était de décider si la juge de révision avait choisi et appliqué la norme de contrôle appropriée et, si cela n’était pas le cas, d’examiner la décision de l’organisme administratif à la lumière de la norme de contrôle appropriée, soit celle de la décision raisonnable. À cette étape de l’analyse, la Cour d’appel effectue le contrôle en appel d’une décision judiciaire, et non pas le contrôle judiciaire d’une décision administrative. Par conséquent, les règles usuelles applicables au contrôle en appel d’une décision judiciaire énoncées dans Housen, précité, s’appliquent. La question du choix et de l’application de la norme appropriée est une question de droit et le juge de révision doit donc y avoir répondu correctement.
[10]En l’espèce, le juge des requêtes a utilisé la norme de la décision correcte ou, dans le cas où certains arguments n’avaient pas été soulevés devant la Commission, il a procédé de novo : voir les paragraphes 31 et 32 de ses motifs.
Les prétentions et l’analyse
La Commission avait‑elle compétence pour communi-quer le rapport final en l’absence d’une demande écrite, comme l’exige l’article 6 de la LAI?
[11]L’article 6 de la LAI prévoit ce qui suit :
6. La demande de communication d’un document se fait par écrit auprès de l’institution fédérale dont relève le document; elle doit être rédigée en des termes suffisamment précis pour permettre à un fonctionnaire expérimenté de l’institution de trouver le document sans problèmes sérieux.
[12]La CIBC soutient que la Commission n’avait pas compétence pour traiter la requête d’accès au rapport final parce qu’elle avait été faite oralement et non par écrit. La Commission prétend qu’il y avait une demande écrite, c’est‑à‑dire la première demande d’accès au rapport provisoire, et qu’elle a traité la demande verbale concernant la communication du rapport final comme étant une demande valide aux termes de l’article 6, « conforme à l’esprit et à l’objet de la LAI » : voir le paragraphe 39 des motifs du juge des requêtes.
[13]Le juge des requêtes a accepté la position de la Commission. Tout en reconnaissant qu’il aurait été préférable qu’une deuxième demande écrite soit présentée pour avoir accès au rapport final, il a jugé que l’absence d’une demande écrite n’annulait pas la décision de la Commission. Il a conclu que l’acceptation par la Commission de la requête orale était conforme à l’esprit et à l’objet de la LAI qui est de « faciliter— plutôt que d’empêcher— » l’accès à des renseignements. Il a ajouté que même si la plainte de la CIBC était fondée, cela ne changerait rien puisque le requérant n’aurait qu’à déposer une demande écrite pour obtenir le rapport final.
[14]La CIBC a également fait valoir que la Commission était dessaisie dès lors qu’elle avait refusé de communiquer le rapport provisoire de sorte qu’elle n’avait pas compétence pour traiter une demande d’accès au rapport final en se fondant sur la première demande écrite concernant le rapport provisoire. La Commission soutient que chaque décision était une décision distincte se fondant sur une demande distincte de sorte que la doctrine du dessaisissement ne s’appliquait pas. Le juge des requêtes a souscrit à cette position de la Commission.
[15]À mon avis, il n’est pas utile d’examiner la conduite de la Commission sous l’angle d’une procédure judiciaire. Formuler la question d’une requête écrite comme étant une question de compétence cache la véritable question, savoir la conséquence du non‑respect de la condition qui exige que les demandes de renseignements soient faites par écrit. De même, faire intervenir la doctrine du dessaisissement ne répond pas à la question de savoir s’il y avait une ou deux demandes d’accès à l’information.
[16]Je ne vois rien qui puisse expliquer pourquoi la Commission n’aurait pas dû respecter le texte clair de l’article 6 de la LAI et exiger que la demande d’accès au rapport final soit faite par écrit. Une telle exigence n’est pas onéreuse et il est facile de s’y conformer. La demande écrite définit ensuite les limites de la communication demandée de même qu’elle fournit un point de référence solide à l’égard des délais prévus dans la loi. Invoquer « l’esprit et l’objet de la LAI » pour justifier l’omission d’observer une condition législative très simple donne l’impression qu’on tente de rationaliser la décision après le fait.
[17]Cela dit, quelles sont les conséquences du non‑respect de l’exigence voulant qu’une demande de renseignements soit présentée par écrit ? Le fait que la loi impose une obligation ne définit pas en soi les conséquences du non‑respect. Il n’y a rien dans la LAI qui est censé annuler tout ce qui est fait en l’absence d’une demande écrite. Le but évident des requêtes écrites est de fournir des « termes suffisamment précis pour permettre à un fonctionnaire expérimenté de l’institution de trouver le document sans problème sérieux » : voir l’article 6 de la LAI.
[18]La distinction entre une disposition impérative et une disposition directive n’a pas été débattue devant nous, cette question ayant été supplantée par la question de la compétence. Comme l’écrit le juge Iacobucci dans l’arrêt Colombie‑Britannique (Procureur général) c. Canada (Procureur général); Acte concernant le chemin de fer de l’Île de Vancouver (Re), [1994] 2 R.C.S. 41, aux pages 123 et 124 :
[. . .] le tribunal appelé à décider ce qui est impératif ou directif ne recourt à aucun outil spécial pour prendre sa décision. La décision repose sur le processus habituel d’interprétation législative. Cependant, ce processus suscite peut‑être une préoccupation spéciale pour les inconvénients tant publics que privés auxquels donnera lieu l’interprétation adoptée.
[19]Compte tenu du fait que nous n’avons pas eu l’avantage d’entendre d’arguments contradictoires sur la question, je préfère ne pas m’exprimer sur ce point autrement que pour dire que, d’après les faits de l’espèce, je ne suis pas convaincu que l’un des objets de la loi a été mis en échec du fait qu’on n’a pas insisté pour avoir une demande écrite. Compte tenu de la nature du document en l’espèce, la Commission n’a_eu aucune difficulté à identifier le document auquel on lui demandait l’accès. En outre, aucune question n’a été posée concernant le délai de 30 jours imposé par l’article 7 de la LAI. Par conséquent, je présume, sans trancher la question, que la demande de communication du rapport final n’est pas nulle simplement parce qu’on ne l’a pas faite par écrit.
[20]Ce raisonnement règle non seulement l’argument de la « compétence », mais aussi celui fondé sur le « dessaisissement » puisque la demande d’accès au rapport final était une demande valide, même si elle n’était pas parfaite.
[21]Pour ces motifs, je ne modifierais pas la décision du juge des requêtes sur ce point.
Les renseignements fournis à la Commission par la CIBC qui ont été reproduits dans le rapport final (les renseignements de la CIBC) sont‑ils assujettis à la LAI quand ils ne relèvent pas de la Commission puisque l’article 34 de la LEE accorde à la CIBC, et non à la Commission, le pouvoir de donner ou non son consentement à la communication ?
[22]La prémisse qui sous‑tend cette question suppose que les renseignements contenus dans le rapport final sont les mêmes que ceux que la CIBC a fournis à la Commission et qui étaient visés par le privilège prévu à l’article 34 de la LEE, reproduit ci‑dessous :
34. (1) Les renseignements obtenus par la Commission dans le cadre de la présente loi sont protégés. Nul ne peut sciemment les communiquer ou les laisser communiquer sans l’autorisation écrite de la personne dont ils proviennent.
[23]L’argument de la CIBC sur cette question s’appuie sur le sens de l’expression « relevant d’une institution fédérale », expression qui se trouve à l’article 6 de la LAI, figurant ci‑dessus, et à l’article 4 [mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 144, ann. VII, no 1(F); 2001, ch. 27, art. 202], reproduit ci‑après :
4. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi mais nonobstant toute autre loi fédérale, ont droit à l’accès aux documents relevant d’une institution fédérale et peuvent se les faire communiquer sur demande :
a) les citoyens canadiens;
b) les résidents permanents au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.
[24]L’argument de la CIBC, brièvement résumé, fait valoir que, puisque l’article 34 interdit la communi-cation des renseignements qu’elle a fournis à la Commission sans son consentement, elle a le pouvoir de décider si ces renseignements peuvent être commu-niqués. Par conséquent, les renseignements ne relèvent pas de l’institution fédérale.
[25]La CIBC s’appuie sur la décision Andersen Consulting c. Canada, [2001] 2 C.F. 324 (1re inst.) (Andersen Consulting) pour étayer la proposition selon laquelle, lorsque des documents aux mains de la Couronne sont assujettis à une restriction quant à l’utilisation qui peut en être faite, ces documents ne relèvent pas d’une institution fédérale. Dans Andersen Consulting, cette restriction était l’engagement implicite qui, on s’en souviendra, est la règle qui empêche l’utilisation de renseignements obtenus à l’étape de la communication de la preuve dans une action civile pour des fins autres que celles qui ont trait à cette action.
[26]Comme la loi ne donne pas de définition du terme « relevant », la Commission s’appuie sur la décision Société canadienne des postes c. Canada (Ministre des Travaux publics), [1993] 3 C.F. 320 (1re inst.), pour soutenir que les documents qui sont en possession du gouvernement relèvent d’elle.
[27]Le juge des requêtes a repris l’expression suivante dans l’énoncé liminaire de l’article 4, « nonobstant toute autre loi fédérale », et l’a interprétée comme signifiant que « les dispositions de la LAI ont préséance sur d’autres dispositions législatives restrei-gnant la communication de documents, sauf sur les dispositions énoncées à l’annexe II de la LAI » : voir les motifs de la décision, au paragraphe 47. La très large exception touchant les dispositions législatives énumérées à l’annexe II découle de l’article 24 de la LAI :
24. (1) Le responsable d’une institution fédérale est tenu de refuser la communication de documents contenant des renseignements dont la communication est restreinte en vertu d’une disposition figurant à l’annexe II.
[28]L’article 34 de la LEE ne figure pas à l’annexe II de la Loi. Le juge des requêtes en a conclu que le législateur avait voulu que la LAI s’applique à des renseignements dont disposait la Commission, malgré le privilège créé par l’article 34.
[29]Finalement, le juge des requêtes a fait la distinction avec l’affaire Andersen Consulting en statuant que, bien qu’en vertu de l’engagement implicite les documents en question n’étaient pas sous la responsabilité de la Couronne, en l’espèce, les obligations légales découlant de la LEE et de la LAI faisaient clairement que le rapport final relevait de la Commission. Aucune restriction légale, comme celle créée par l’article 34 de la LEE, n’opère de façon que le rapport final ne relève pas de la Commission.
[30]Le juge des requêtes a conclu que soustraire à l’opération de la LAI les renseignements protégés par l’article 34 de la LEE enlèverait tout son sens au texte largement formulé de l’article 4 (« nonobstant toute autre loi fédérale »).
[31]La CIBC a contesté la conclusion du juge des requêtes en citant le Guide du Conseil du Trésor : Politiques et lignes directrices en matière d’accès à l’information [chapitre 2-00 « Lignes directrices— généralités » qui définit l’expression « relever de » de la manière suivante :
Relever de (under the control)—Un document relève d’une institution fédérale si cette institution est autorisée à accorder ou à refuser l’accès à ce document, à décider de son utilisation et, sous réserve de l’approbation de l’archiviste fédéral, à s’en défaire.
[32]En outre, la CIBC a signalé d’autres dispositions législatives qui limitent l’utilisation qui peut être faite des renseignements recueillis en vertu de la LEE. Elle s’est appuyée plus précisément sur les dispositions suivantes :
9. [. . .]
(3) Les renseignements recueillis par l’employeur dans le cadre de l’alinéa (1)a) sont confidentiels et ne peuvent être utilisés que pour permettre à l’employeur de remplir ses obligations dans le cadre de la présente loi.
[. . .]
34. [. . .]
(2) Il ne peut être exigé d’un commissaire ou d’un agent de la Commission qui obtient des renseignements protégés dans le cadre de la présente loi qu’il dépose en justice à leur sujet, ni qu’il produise des déclarations, écrits ou autres pièces à cet égard, sauf lors d’une instance relative à l’application de la présente loi.
[. . .]
(5) Les renseignements obtenus par la Commission ou un tribunal dans le cadre de l’application de la présente loi ne peuvent être utilisés, sans le consentement de l’employeur concerné, dans des procédures intentées en vertu d’une autre loi.
[33]La CIBC fait valoir que ces restrictions à l’utilisation des renseignements recueillis au cours d’une vérification sur l’équité en matière d’emploi n’auraient plus aucun sens si les renseignements étaient tout simplement à la disposition de tous ceux qui en font la demande en vertu de la LAI.
[34]La CIBC a également réexaminé l’affaire Andersen Consulting et signalé que la clé du raisonnement dans cette affaire était la distinction établie entre, d’une part, une restriction unilatérale imposée par une partie ou une simple limitation contractuelle à l’utilisation qui peut être faite des renseignements et, d’autre part, une condition imposée par la loi elle‑même à l’institution fédérale qui reçoit un document. En l’espèce, la CIBC soutient que la Commission a reçu les renseignements qu’elle lui a fournis sous réserve des limites imposées par l’article 34 de sorte que l’affaire tombe clairement sous le coup du principe énoncé dans l’affaire Andersen Consulting.
[35]En outre, la CIBC a contesté le raisonnement du juge des requêtes concernant l’article 4 de la LAI en signalant que ce dernier ne s’applique que si les renseignements en question relèvent de l’institution fédérale. Par conséquent, il faut répondre à la question de savoir si un document relève de l’institution sans tenir compte de l’article 4. Le juge des requêtes a commis une erreur dans la mesure où il a conclu que le rapport final relevait du gouvernement parce que l’article 4 s’appliquait « nonobstant toute autre loi fédérale ».
[36]Tout d’abord, je suis convaincu, d’après le code de couleurs attribué aux documents déposés par la CIBC que le gros des renseignements contenus dans le rapport final étaient des renseignements fournis à la Commission dans le cadre de la vérification fondée sur la LEE, et n’ont pas été tirés de sources publiques. Dans cette mesure, il y a un fondement factuel à l’argument selon lequel le rapport final est assujetti au privilège créé par l’article 34 de la LEE. À mon avis, le juge des requêtes a commis une erreur quand il a conclu qu’il était suffisant que les renseignements contenus dans le rapport final soient du même genre que les renseignements disponibles au grand public. Comme on le verra plus tard, le critère à appliquer est de déterminer si les renseignements eux‑mêmes peuvent se trouver dans des documents publics.
[37]La question de savoir si des documents relèvent d’une institution fédérale s’est posée à quelques reprises. La jurisprudence a été résumée par le juge Hugessen dans la décision Andersen Consulting, de la manière suivante, au paragraphe 14 :
Bien qu’il semble n’y avoir aucune jurisprudence fondée sur la Loi sur les Archives nationales du Canada, les décisions fondées sur la Loi sur l’accès à l’information ont adopté une position large quant au sens qu’il faut donner à la notion de contrôle. Plus particulièrement, on a statué qu’une obligation de confidentialité imposée par l’auteur du document (Baldasaro, Blacklock et Tucker c. Canada (1986), 4 F.T.R. 120 (C.F. 1re inst.)), par l’institution fédérale qui le reçoit (Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Commission de l’immigration et du statut de réfugié) (1997), 4 Admin. L.R. (3d) 96 (C.F. 1re inst.)), ou par une partie qui a des relations contractuelles avec le gouvernement (Société canadienne des postes. c. Canada (Ministre des Travaux publics), [1995] 2 C.F. 110 (C.A.)), n’a pas pour effet de faire en sorte que ces documents ne sont plus sous le « contrôle » d’un ministère fédéral au sens de cette loi.
[38]En résumé, l’attente de confidentialité découlant des relations entre la source du document et l’institution fédérale ne suffit pas pour retirer à l’institution fédérale le contrôle de ce document.
[39]L’affaire Andersen Consulting ne porte pas sur la LAI. La décision Andersen Consulting traite de l’article 5 de la Loi sur les archives nationales du Canada, L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 1, qui interdit l’élimination ou l’aliénation « des documents des institutions fédérales ». C’est l’utilisation de cette expression dans la Loi sur les archives nationales du Canada et la LAI qui est à l’origine de l’application du raisonnement de cette affaire aux faits de la présente espèce.
[40]La difficulté que pose l’argument de la CIBC vient de ce qu’il confond le contrôle des documents et le contrôle des renseignements. Pour faire une analogie, on pourrait penser à la différence qui existe entre la propriété d’un livre et la propriété du droit d’auteur sur le contenu du livre. Le propriétaire d’un livre a le contrôle sur le volume en tant que tel, même s’il n’est pas autorisé à reproduire le texte que contient ce livre.
[41]De la même manière, la Commission a le contrôle du rapport final, en tant que document, même s’il peut exister des limites à la reproduction des renseignements qu’il contient. Le fait que l’article 34 impose certaines limites au pouvoir de la Commission de communiquer les renseignements qui sont contenus dans le document ne permet pas de conclure que le document lui‑même ne relève pas de la Commission. Bien que le juge des requêtes n’ait pas suivi ce raisonnement, il en est venu à la même conclusion et, donc, il n’y a pas de raison de modifier sa conclusion sur ce point.
[42]Cela nous amène à l’argument subsidiaire de la CIBC voulant que, bien que le document puisse relever de la Commission, les renseignements ne sont pas assujettis aux dispositions de la LAI parce qu’ils sont protégés. L’effet du privilège est souvent décrit en termes d’exclusion de la preuve. Par exemple, dans leurs observations d’ouverture sur la question du privilège, les éditeurs de l’ouvrage The Law of Evidence in Canada (2e éd.) (Toronto: Butterworths, 1999) le décrivent comme une règle d’exclusion : voir le paragraphe 14.1. Mais le privilège fait également référence à la liberté de s’opposer à une communication forcée, comme le privilège entre avocat et client. Nous traitons ici du privilège en tant que liberté de s’opposer à une communication forcée, et non pas de la question de savoir si les renseignements protégés sont admissibles dans une cour de justice. Ce dernier point est traité au paragraphe 34(5) de la LEE.
[43]Comme il n’y a pas, dans notre régime juridique, d’argument plus important en faveur de la communication que la nécessité de rendre justice (ou de prévenir une injustice) (voir, par exemple, R. c. McClure, [2001] 1 R.C.S. 445, aux paragraphes 46 et 47), le pouvoir de s’opposer à une communication forcée dans des poursuites judiciaires semblerait impliquer le pouvoir de s’opposer à une communication forcée dans tout autre contexte. D’où l’argument selon lequel la communication privilégiée n’est pas assujettie à la communication forcée au sens de la LAI.
[44]Cet argument serait difficile à réfuter si ce n’était de l’article 24 de la LAI, qui soustrait à la communication les renseignements décrits dans les dispositions législatives énumérées à l’annexe II de la LAI. Les recueils des lois fédérales renferment 32 lois qui créent un privilège d’origine législative, dans le sens de l’immunité contre la communication forcée, par opposition à l’immunité à l’égard d’une responsabilité comme dans la législation sur la diffamation. Sur ces 32 lois, 19 sont énumérées à l’annexe II. Il est difficile de ne pas en venir à la conclusion que le législateur avait l’intention d’assujettir les 13 autres, notamment l’article 34 de la LEE, à la LAI.
[45]Si tel est le cas, comme je conclus que cela doit être, les renseignements dont disposait le gouvernement peuvent être communiqués en vertu de la LAI, à moins qu’ils ne bénéficient d’une exception prévue dans la Loi, ou à moins que la disposition en vertu de laquelle ils sont créés ou communiqués figure à l’annexe II, et les garanties législatives de confidentialité (y compris le privilège prévu par la loi) ne servent qu’un but très limité. Ces garanties n’exemptent pas les communi-cations de l’opération de la LAI, bien qu’elles puissent servir d’indices législatifs de la manière dont doivent être traitées ces communications au regard de la LAI.
[46]Par conséquent, il n’y a pas de raison de modifier la décision du juge des requêtes sur ce point.
Les renseignements de la CIBC sont‑ils visés par les exceptions à la communication énoncées aux alinéas 20(1)b) ou 20(1)c) ou aux articles 16 ou 19 de la LAI?
[47]La CIBC a fait valoir que ses renseignements contenus dans le rapport final étaient visés par l’exception prévue à l’alinéa 20(1)b) (des renseigne-ments commerciaux confidentiels), à l’alinéa 20(1)c) (des renseignements dont la divulgation risquerait de nuire à la compétitivité d’une partie), à l’article 16 (des renseignements dont la divulgation risquerait de nuire au déroulement d’enquêtes licites) et à l’article 19 (des renseignements personnels). Les deux derniers cas peuvent être traités de façon assez sommaire.
[48]L’article 16 de la LAI dispose, pour l’essentiel, comme suit :
16. (1) Le responsable d’une institution fédérale peut refuser la communication de documents :
[. . .]
c) contenant des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de nuire aux activités destinées à faire respecter les lois fédérales ou provinciales ou au déroulement d’enquêtes licites, notamment :
[. . .]
(iii) des renseignements obtenus ou préparés au cours d’une enquête;
[49]La CIBC soutient que la communication de ses renseignements contenus dans le rapport final aura un effet très négatif sur les vérifications ultérieures faites en vertu de la LEE parce que les employeurs et les employés sauront que leurs renseignements pourraient être rendus publics en application de la LAI.
[50]L’article 16 est une exception discrétionnaire. Pour avoir gain de cause, la CIBC devrait démontrer que la Commission a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon déraisonnable. Les enquêtes qui souffriront de cet effet très négatif sont celles qui sont entreprises par la Commission. Si la Commission ne craint pas cet effet, on ne voit pas pourquoi la CIBC devrait en avoir peur. La Cour ne dispose d’aucun élément qui lui permette de statuer que la manière dont la Commission a exercé son pouvoir discrétionnaire était déraisonnable.
[51]Le juge des requêtes a traité de ce point en concluant que la CIBC n’avait pas établi qu’elle avait des motifs raisonnables de croire que « la communi-cation du rapport final nuirait aux vérifications futures de la conformité à l’équité en matière d’emploi » : voir le paragraphe 66. Même si je ne me serais pas exprimé de la même manière, j’en viens à la même conclusion.
[52]L’article 19 traite des renseignements personnels et est rédigé dans les termes suivants :
19. (1) Sous réserve du paragraphe (2), le responsable d’une institution fédérale est tenu de refuser la communication de documents contenant les renseignements personnels visés à l’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.
[53]L’article 3 [mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 144, ann. VII, no 47(F)] de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P‑21, définit les renseignements personnels comme suit :
3. [. . .]
« renseignements personnels » Les renseignements, quels que soient leur forme et leur support, concernant un individu identifiable, notamment :
a) les renseignements relatifs à sa race, à son origine nationale ou ethnique, à sa couleur, à sa religion, à son âge ou à sa situation de famille;
b) les renseignements relatifs à son éducation, à son dossier médical, à son casier judiciaire, à ses antécédents professionnels ou à des opérations financières auxquelles il a participé;
c) tout numéro ou symbole, ou toute autre indication identificatrice, qui lui est propre;
d) son adresse, ses empreintes digitales ou son groupe sanguin;
e) ses opinions ou ses idées personnelles, à l’exclusion de celles qui portent sur un autre individu ou sur une proposition de subvention, de récompense ou de prix à octroyer à un autre individu par une institution fédérale, ou subdivision de celle‑ci visée par règlement;
f) toute correspondance de nature, implicitement ou explicitement, privée ou confidentielle envoyée par lui à une institution fédérale, ainsi que les réponses de l’institution dans la mesure où elles révèlent le contenu de la correspondance de l’expéditeur;
g) les idées ou opinions d’autrui sur lui;
h) les idées ou opinions d’un autre individu qui portent sur une proposition de subvention, de récompense ou de prix à lui octroyer par une institution, ou subdivision de celle‑ci, visée à l’alinéa e), à l’exclusion du nom de cet autre individu si ce nom est mentionné avec les idées ou opinions;
i) son nom lorsque celui‑ci est mentionné avec d’autres renseignements personnels le concernant ou lorsque la seule divulgation du nom révélerait des renseignements à son sujet;
toutefois, il demeure entendu que, pour l’application des articles 7, 8 et 26, et de l’article 19 de la Loi sur l’accès à l’information, les renseignements personnels ne comprennent pas les renseignements concernant :
j) un cadre ou employé, actuel ou ancien, d’une institution fédérale et portant sur son poste ou ses fonctions, notamment :
(i) le fait même qu’il est ou a été employé par l’institution,
(ii) son titre et les adresse et numéro de téléphone de son lieu de travail,
(iii) la classification, l’éventail des salaires et les attributions de son poste,
(iv) son nom lorsque celui‑ci figure sur un document qu’il a établi au cours de son emploi,
(v) les idées et opinions personnelles qu’il a exprimées au cours de son emploi;
k) un individu qui, au titre d’un contrat, assure ou a assuré la prestation de services à une institution fédérale et portant sur la nature de la prestation, notamment les conditions du contrat, le nom de l’individu ainsi que les idées et opinions personnelles qu’il a exprimées au cours de la prestation;
l) des avantages financiers facultatifs, notamment la délivrance d’un permis ou d’une licence accordés à un individu, y compris le nom de celui‑ci et la nature précise de ces avantages;
m) un individu décédé depuis plus de vingt ans.
[54]La CIBC a fait valoir que l’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels exige que les observations faites par un petit groupe de cadres supérieurs qui sont membres d’une minorité visible restent confidentielles au motif que les renseignements contenus dans le rapport final et les connaissances partagées par les employés de la CIBC révéleraient l’identité de ces personnes. La CIBC se préoccupait également de la divulgation de l’identité de certaines personnes faisant partie de certains groupes énumérés à l’annexe A du rapport final.
[55]Le juge des requêtes a cité l’arrêt de la Cour suprême dans Dagg c. Canada (Ministre des Finances), [1997] 2 R.C.S. 403, à la page 426, à l’appui de la proposition selon laquelle les renseignements personnels sont des renseignements au sujet d’un individu identifiable. Il s’est dit d’avis que rien dans le rapport final ne pouvait raisonnablement mener à l’identification des personnes en question, ou de leurs opinions individuelles concernant les différentes questions soulevées dans le rapport. Il s’agissait d’une conclusion de fait, ou de déductions à tirer des faits, qui exigent de la cour de révision la plus grande déférence. Rien ne nous a été soumis qui justifierait de modifier les conclusions du juge des requêtes sur ce point.
[56]Les deux principaux motifs d’opposition formulés par la CIBC sont les alinéas 20(1)b) et 20(1)c) de la LAI. L’article 20 est rédigé comme suit :
20. (1) Le responsable d’une institution fédérale est tenu, sous réserve des autres dispositions du présent article, de refuser la communication de documents contenant :
a) des secrets industriels de tiers;
b) des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques fournis à une institution fédérale par un tiers, qui sont de nature confidentielle et qui sont traités comme tels de façon constante par ce tiers;
c) des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de causer des pertes ou profits financiers appréciables à un tiers ou de nuire à sa compétitivité;
d) des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement d’entraver des négociations menées par un tiers en vue de contrats ou à d’autres fins.
[57]Le juge des requêtes a reconnu que les renseignements de la CIBC étaient des renseignements commerciaux, mais il n’a pas été convaincu qu’ils étaient confidentiels. Il a soigneusement analysé les renseignements contenus dans le rapport final et les a comparés aux renseignements disponibles dans les rapports annuels exigés par la LEE et que la CIBC dépose en vertu de la Loi sur les banques, L.C. 1991, ch. 46. Le juge a conclu que le genre de renseignements communiqués dans les rapports annuels était généralement le même genre de renseignements qui se retrouvaient dans le rapport final, à quelques exceptions près. Dans les cas où des renseignements précis n’étaient pas disponibles dans les rapports annuels, le juge des requêtes s’est demandé si la CIBC avait une attente raisonnable de confidentialité.
[58]Le juge des requêtes a rejeté la prétention de la CIBC selon laquelle elle pouvait raisonnablement s’attendre à ce que le rapport final ne soit pas communiqué. Il l’a fait en statuant que la LAI a préséance sur les dispositions de l’article 34 de la LEE et que, de toute façon, la Commission avait précisément informé la CIBC qu’elle était assujettie à la LAI de sorte que la Commission pouvait, sur demande, être tenue de communiquer tous les renseignements qui n’étaient pas exemptés par la LAI.
[59]Finalement, le juge des requêtes a analysé l’argument de la CIBC selon lequel l’intérêt du public serait mieux servi par la non‑divulgation des renseignements que par leur communication, en ce sens que les employés auraient davantage confiance en la confidentialité des documents partagés dans l’applica-tion de programmes d’équité en matière d’emploi, et que cela favoriserait l’échange complet et franc d’informa-tions entre les employeurs et la Commission. Le juge des requêtes a conclu qu’il n’y avait pas de fondement factuel à l’affirmation selon laquelle les employés considéreraient que leur confiance serait trahie si des données d’emploi globales étaient rendues publiques. Le juge des requêtes a estimé peu probable que des employeurs responsables ne collaboreraient pas avec la Commission à cause de la simple possibilité que des renseignements sur l’équité en matière d’emploi soient rendus publics. De l’avis du juge, « le public a tout à gagner à ce que les mesures déployées par les employeurs pour respecter les exigences qui leur sont imposées par la LEE soient transparentes » : voir les motifs de l’ordonnance, au paragraphe 90.
[60]La CIBC conteste les conclusions du juge des requêtes quant à la nature confidentielle des renseigne-ments en question, de même que sur l’attente raisonnable qu’elle avait que les renseignements ne seraient pas divulgués.
[61]J’ai déjà indiqué qu’à mon avis les renseignements contenus dans le rapport final étaient des renseignements fournis par la CIBC dans le cadre de la vérification, et qu’il ne s’agissait pas de renseignements provenant de documents publics. Le juge des requêtes a comparé le rapport final au rapport annuel de 2002 que la CIBC a fourni conformément à la LEE et a conclu que les renseignements qui figuraient dans ce rapport se rapprochaient beaucoup de ceux figurant dans le rapport final. Malheureusement, ce n’est pas là le critère qu’il faut appliquer. Dans la décision Air Atonabee Ltd. c. Canada (Ministre des Transports), [1989] A.C.F. no 453 (1re inst.) (QL), le critère applicable à la confidentialité a été décrit dans les termes suivants : « le contenu du document est tel que les renseignements qu’il contient ne peuvent être obtenus de sources auxquelles le public a autrement accès » (non souligné dans l’original) : voir Air Atonabee Ltd., au paragraphe 42. Ainsi donc, le critère n’est pas de savoir si des renseignements du même genre sont à la disposition du grand public, mais bien de savoir si des renseignements précis le sont. Par conséquent, le juge des requêtes a commis une erreur de droit en appliquant le mauvais critère pour décider si les renseignements en question étaient confidentiels.
[62]L’élément suivant du critère consiste à déterminer s’il existe un fondement objectif permettant de soutenir que les renseignements ont été communiqués dans l’attente qu’ils resteraient confidentiels. Les motifs du juge des requêtes pour conclure qu’il n’y avait pas de fondement raisonnable à l’attente de la CIBC que ces renseignements resteraient confidentiels posent problè-me. Le premier motif donné, c’est‑à‑dire le fait que l’article 4 de la LAI a préséance sur l’article 34 de la LEE, appelle une conclusion de droit qui n’est pas nécessairement évidente. Comme on l’a noté précédem-ment, une communication privilégiée est une communi-cation qui peut échapper à la divulgation forcée devant une cour de justice. Le fait qu’une telle communication puisse être dévoilée à quiconque est assez curieux pour en faire la demande en vertu de la LAI ne va pas de soi. Le fait que la CIBC se soit trompée sur l’effet de l’article 34 ne signifie pas que ses opinions étaient déraisonnables.
[63]Le deuxième motif fourni, à savoir que la Commission a informé la CIBC de son opinion selon laquelle elle pourrait être tenue de communiquer les renseignements, est, peu convaincant. L’opinion de la CIBC concernant ses droits et obligations en vertu de la LAI ne devient pas déraisonnable simplement parce que la Commission a une vue différente de ses propres obligations en vertu de la Loi. L’opinion de la Commission quant aux exigences de la LAI n’a pas plus de poids que l’opinion de la CIBC. Bien que la Commission, comme toutes les institutions fédérales, soit tenue de respecter la lettre et l’esprit de la LAI, il est, je dois l’avouer, surprenant qu’elle adopte une position sur la communication qui aille si clairement à l’encontre des assurances de confidentialité contenues dans la LEE.
[64]Le caractère raisonnable d’une décision est fonction des motifs donnés pour la justifier (Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, au paragraphe 49) :
Cela indique que la norme de la décision raisonnable exige que la cour siégeant en contrôle judiciaire reste près des motifs donnés par le tribunal et « se demande » si l’un ou l’autre de ces motifs étaye convenablement la décision.
[65]À mon avis, la conclusion du juge des requêtes sur cette question est déraisonnable : les motifs donnés pour la justifier n’étayent pas suffisamment sa conclusion sur cet élément important du critère relatif à l’application de l’exception que l’on retrouve à l’alinéa 20(1)b) de la LAI.
[66]Le dernier élément du critère relatif à l’application de l’exception qui se trouve à l’alinéa 20(1)b) de la LAI est l’intérêt du public à la communication des renseignements. Cette condition a été énoncée de la façon suivante dans Air Atonabee Ltd. (au paragraphe 41) :
c) les renseignements doivent être communiqués, que ce soit parce que la loi l’exige ou parce qu’ils sont fournis gratuitement, dans le cadre d’une relation de confiance entre l’administration et la personne qui les fournit ou dans le cadre d’une relation qui n’est pas contraire à l’intérêt public, et la communication des renseignements confidentiels doit favoriser cette relation dans l’intérêt du public.
[67]Le juge des requêtes a conclu que le public avait intérêt à connaître les progrès réalisés par les employeurs en vue de respecter leurs obligations en vertu de la LEE. Il a également conclu que « la relation entre la demanderesse et le défendeur n’est pas exceptionnelle au point de justifier que l’on traite le Rapport final comme un document confidentiel » : voir les motifs de l’ordonnance, au paragraphe 92.
[68]L’exigence relative à l’intérêt public a pour but d’assurer que l’exception ne joue qu’en faveur de l’intérêt public. Cette exigence n’appelle pas une pondération de l’intérêt public entre la communication et la non‑communication. Si la relation n’est pas contraire à l’intérêt public, et si cette relation peut être favorisée par l’assurance que les communications échangées entre les parties dans cette relation resteront confidentielles, alors il est indiqué de ne pas les divulguer. Le juge des requêtes a commis une erreur en appliquant un critère comparatif alors qu’il n’y avait pas lieu de le faire.
[69]Il ne fait aucun doute que la relation confidentielle entre la Commission et le sujet d’une vérification de la conformité de l’équité en matière d’emploi est d’intérêt public. L’article 34 de la LEE énonce de façon très claire que la confidentialité de cette relation doit être préservée. Je conclus que le juge des requêtes a commis une erreur de droit en appliquant le mauvais critère pour ce qui est de l’aspect relatif à l’intérêt public dans l’exception qui se trouve à l’alinéa 20(1)b) de la LAI. L’application du critère adéquat nous amène à conclure que cet élément est présent.
[70]Pour finir, je suis d’avis que le juge des requêtes a commis une erreur en concluant que les renseignements contenus dans le rapport final n’échappaient pas à la communication en tant que renseignements commerciaux confidentiels aux termes de l’alinéa 20(1)b) de la LAI et que, par conséquent, l’appel devrait être accueilli. Toutefois, par souci d’exhaustivité, je vais traiter des autres motifs d’appel.
[71]Le juge des requêtes a rejeté la preuve de la CIBC relative à l’alinéa 20(1)c) de la LAI, qui traite de l’effet de la divulgation des renseignements sur la compétitivité de la CIBC, en la qualifiant de « spéculative ». En très grande partie, cette preuve tente de démontrer que les concurrents de la CIBC pourront, en lisant le rapport final, profiter de l’expérience de la CIBC et des sommes considérables qu’elle a versées à des consultants pour l’aider à mettre en œuvre ses programmes d’équité en matière d’emploi. La CIBC allègue qu’elle perdra tout avantage concurrentiel pour le recrutement et le perfectionnement des employés appartenant à des groupes minoritaires si les renseignements contenus dans le rapport final sont communiqués.
[72]Les conclusions du juge des requêtes sur cet aspect de l’affaire sont des conclusions mixtes de fait et de droit qui appellent une déférence considérable. Bien que la CIBC s’appuie sur le témoignage non contesté et non contredit de M. Proszowski, le juge des requêtes a traité ce témoignage comme se composant de simples conclusions non étayées par une quelconque justification. Il était certainement loisible au juge d’en venir à cette évaluation de la qualité de la preuve qui lui était présentée.
[73]La CIBC allègue également que le juge a appliqué le mauvais critère juridique, c’est‑à‑dire la probabilité d’un préjudice plutôt que la possibilité d’un préjudice (« subirait » plutôt que « pourrait subir » des pertes importantes). À mon avis, la CIBC s’appuie trop sur le mot « subirait » qui figure dans le résumé des conclusions du juge des requêtes (au paragraphe 116) :
À mon avis, la preuve fournie par la demanderesse n’établit pas qu’elle subirait des pertes financières importantes ou qu’il y a raisonnablement lieu de s’attendre à ce que cela nuise à sa compétitivité si le Rapport final est communiqué.
[74]La lecture des motifs du juge des requêtes fait clairement ressortir qu’il répondait à l’allégation suivante de M. Proszowski dans son affidavit :
[traduction]
79. La communication des renseignements visés par l’exception nuirait vraisemblablement à la compétitivité de la CIBC du fait que :
a) ses concurrentes seraient informées . . .
b) ses concurrentes seraient informées . . .
c) ses concurrentes adopteraient vraisemblablement . . .
[75]Les mots utilisés par le juge des requêtes reflètent simplement les arguments qui lui ont été présentés. Par conséquent, je ne vois rien de déraison-nable dans ses conclusions sur ce point.
La Commission a‑t‑elle enfreint les principes de justice fondamentale quand elle a fourni des motifs erronés pour justifier son refus de communiquer le rapport provisoire, induisant ainsi la CIBC en erreur quant aux observations qu’elle devait présenter pour s’opposer à la communication du rapport final?
[76]La CIBC soulève une objection au sujet de la modification des motifs sur lesquels la Commission s’est fondée pour refuser de communiquer le rapport provisoire après que la CIBC lui eut présenté des observations concernant la communication du rapport final. Si elle avait connu les motifs sur lesquels la Commission s’est finalement appuyée, elle aurait formulé ses observations de manière à répondre à ces préoccupations. La CIBC prétend qu’une audience équitable lui a été refusée, ce qui prive la Commission de sa compétence.
[77]Bien qu’à mon avis l’argument de la CIBC soit exagéré, je dois dire que la modification par la Commission des motifs justifiant son refus de communiquer le rapport provisoire est surprenante et assez troublante. J’ai de la difficulté à concevoir comment on peut confondre un refus se fondant sur des renseignements commerciaux confidentiels et un refus se fondant sur un obstacle à une enquête licite. Les préoccupations soulevées par la Commission à l’époque ne mentionnaient nullement une interférence possible avec son enquête et étaient axées sur la nature confidentielle des renseignements. Je crois qu’il est peu probable que la personne qui a pris la décision initiale ait eu l’intention de prendre une décision autre que celle qui a été prise. Cette décision ne peut par la suite être retirée et traitée comme inopérante quand, a posteriori, de meilleurs motifs viennent à l’esprit du décideur, motifs qui, soit dit en passant, ne s’opposent pas à la communication du rapport final.
[78]Cela dit, la CIBC n’a jamais été trompée quant au fardeau dont elle devait s’acquitter. La demande de communication du rapport final était une demande distincte, sujette à une évaluation distincte. La CIBC peut très bien s’être sentie rassurée du fait que la communication du rapport provisoire avait été refusée au motif qu’il renfermait des renseignements confidentiels commerciaux, mais il est inconcevable qu’elle n’eut pas soulevé cet argument de toute façon. Si elle avait d’autres arguments meilleurs à faire valoir et qu’elle ne l’a pas fait, cela ne peut être attribué qu’à des considérations stratégiques qui, même si elles ne sont pas futiles, ne sont pas importantes au point de constituer un déni de justice naturelle.
[79]Je suis d’avis de ne pas modifier cet aspect de la décision du juge des requêtes.
La CIBC devrait‑elle payer les dépens de la Commission?
[80]L’article 53 de la LAI énonce ce qui suit :
53. (1) Sous réserve du paragraphe (2), les frais et dépens sont laissés à l’appréciation de la Cour et suivent, sauf ordonnance contraire de la Cour, le sort du principal.
(2) Dans les cas où elle estime que l’objet des recours visés aux articles 41 et 42 a soulevé un principe important et nouveau quant à la présente loi, la Cour accorde les frais et dépens à la personne qui a exercé le recours devant elle, même si cette personne a été déboutée de son recours.
[81]Compte tenu de ma conclusion selon laquelle l’appel devrait être accueilli, cette question est maintenant théorique. Les dépens suivront le sort du principal.
La position de l’Association des banquiers canadiens
[82]Je ne me propose pas de réexaminer les questions qui sont communes à la CIBC et à l’ABC. La question soulevée par l’ABC qui se rapporte précisément à l’industrie bancaire est l’application de la LAI aux renseignements que les banques, qui ne sont pas assujetties à la LAI, fournissent aux organismes fédéraux de réglementation. L’ABC se préoccupe de la possibilité que ces renseignements soient communiqués au public par suite de la conclusion du juge des requêtes selon laquelle la CIBC n’avait fourni aucun motif raisonnable pour justifier son attente, basée sur le privilège créé par l’article 34 de la LEE, que les renseignements qu’elle a fournis à la Commission demeureraient confidentiels.
[83]L’ABC cite plusieurs dispositions législatives qui imposent une obligation de confidentialité à ces organismes fédéraux de réglementation. Par exemple, l’article 636 [mod. par L.C. 1999, ch. 28, art. 41; 2007, ch. 6, art. 103] de la Loi sur les banques, L.C. 1991, ch. 46, précise que tous les renseignements obtenus par le surintendant dans le cadre de l’application de la Loi sur les banques sont confidentiels et doivent être traités comme tels. Des dispositions semblables figurent dans la Loi sur le Bureau du surintendant des institutions financières, L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 18 (paragra-phe 22(1) [mod. par L.C. 2001, ch. 9, art. 472]), de même que dans la Loi sur l’Agence de la consommation en matière financière du Canada, L.C. 2001, ch. 9 (art. 17), et la Loi sur la Société d’assurance‑dépôts du Canada, L.R.C. (1985), ch. C‑3 (article 45.2 [édicté par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 18, art. 68; L.C. 2001, ch. 9, art. 214]). L’ABC soutient qu’il est essentiel que les communications faites aux organismes de réglementation financière demeurent confidentielles. Si l’alinéa 20(1)b) est interprété de façon que ces dispositions législatives ne suffisent pas à justifier de la part des banques une attente raisonnable que les renseignements qu’ils fournissent à ces organismes de réglementation demeureront confidentiels, alors il pourrait en résulter de graves préjudices.
[84]Ma conclusion selon laquelle la CIBC avait un motif raisonnable de croire que l’information qu’elle avait fournie à la Commission demeurerait confidentielle tranche essentiellement la question soulevée par l’ABC. Néanmoins, il est utile de répéter que, tout comme le privilège prévu à l’article 34 n’empêche pas l’applica-tion de l’article 4 de la LAI, il en est de même de toute garantie de confidentialité prévue dans la loi. Aucune des dispositions législatives auxquelles l’ABC nous a référés ne se trouve dans l’annexe II, ce qui signifie que toute demande de non‑divulgation doit se fonder sur l’une des exceptions prévues dans la LAI. La nature des renseignements fournis aux organismes de réglementation et les circonstances dans lesquelles ils ont été fournis sont pertinentes en égard à la demande d’exception. Une garantie de confidentialité prévue par la Loi n’est pas, en elle‑même, un fondement suffisant pour justifier une demande d’exception fondée sur l’alinéa 20(1)b) de la LAI.
[85]Cela dit, une garantie de confidentialité (ou un privilège) prévue par la loi peut répondre à un objectif plus limité, soit celui de constituer un fondement objectif à l’attente que les renseignements en question demeureront confidentiels. Losqu’une loi exige la communication de renseignements commerciaux confidentiels à un organisme fédéral de réglementation et qu’elle offre des assurances de confidentialité, il serait inique de prétendre que le législateur n’avait pas l’intention que la personne ou l’entité qui fournit les renseignements s’appuient sur ces assurances. Le législateur ne fait pas preuve de mauvaise foi dans ses rapports avec les Canadiens.
Dispositif
[86]Je suis d’avis d’accueillir l’appel et de renvoyer la décision de communiquer le rapport final à la Commission avec comme directive de traiter cette demande en tenant compte du fait que le rapport final renferme des renseignements commerciaux confidentiels qui ont été traités de façon constante d’une manière confidentielle par la CIBC, comme le prévoit l’alinéa 20(1)b) de la LAI. La CIBC a droit aux dépens devant la présente Cour et devant la Cour fédérale. L’ABC paiera ses propres frais.
Le juge Décary, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.
Le juge Nadon, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.