Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

A‑435‑06

2007 CAF 346

Ministre du Revenu national (appelant)

c.

Chambre immobilière du Grand Montréal (intimée)

Répertorié: M.R.N. c. Chambre immobilière du Grand Montréal (C.A.F.)

Cour d’appel fédérale, juges Létourneau, Pelletier et Trudel, J.C.A.—Montréal, 9 octobre; Ottawa, 2 novembre 2007.

Impôt sur le revenu — Pratique — Appel de la décision de la Cour fédérale annulant une ordonnance ex parte délivrée en vertu de l’art. 231.2(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu [Loi], autorisant le M.R.N. à exiger de l’intimée qu’elle fournisse des renseignements et documents concernant un groupe de contribuables non désignés nommément — L’Agence des douanes et du revenu du Canada cherchait à vérifier si les agents immobiliers et courtiers agréés membres de l’intimée qui demeuraient ou faisaient affaire sur le territoire de la Montérégie/Rive‑Sud respectaient la Loi — En vertu de l’art. 231.2(3) de la Loi, l’ordonnance ex parte sera émise si la personne ou le groupe visé par la demande d’autorisation est identifiable et si la fourniture ou la production est exigée pour vérifier le respect des devoirs et obligations imposés par la Loi — 1) La Cour fédérale a conclu à juste titre que le groupe visé par la requête du demandeur était identifiable en vertu de l’art. 231.2(3)a) de la Loi parce que la vérification portait sur le groupe formé des agents et courtiers immobiliers domiciliés ou pratiquant sur le territoire desservi par le bureau de la Montérégie/Rive‑Sud de l’Agence du revenu du Canada — 2) Le critère en vertu de l’art. 231.2(3) est celui de savoir si la Cour fédérale est convaincue que les renseignements ou documents concernant des personnes non désignées nommément sont exigés pour vérifier le respect de la Loi —  Comme les conditions énoncées aux art. 231.2(3)c) et d) pour obtenir l’autorisation ont été abrogées, le législateur avait l’intention d’alléger le fardeau de preuve du M.R.N. — La Cour fédérale a commis une erreur en concluant que le M.R.N. devait démontrer que des personnes déterminées faisaient l’objet d’une « enquête sérieuse et véritable » pour être autorisé à procéder — Cette conclusion perpétuait à tort le raisonnement formulé dans des affaires qui ont été tranchées avant l’abrogation des art. 231.2(3)c) et d) — À la lumière de l’art. 231.2(3)b) de la Loi, la demande ex parte sera accordée si la Cour fédérale est convaincue que les renseignements ou documents sont requis dans le cadre d’une vérification fiscale entreprise de bonne foi —  La preuve démontrait que le M.R.N. s’est conformé aux prescriptions de l’art. 231.2 — Appel accueilli.

Interprétation des lois — Art. 231.2(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu (Loi) — Appel de la décision de la Cour fédérale annulant une ordonnance ex parte délivrée en vertu de l’art. 231.2(3) de la Loi, autorisant le M.R.N. à exiger de l’intimée qu’elle fournisse des renseignements et documents concernant un groupe de contribuables non désignés nommément — Examen du contexte — Les art. 231.1(1) et 231.2(1) de la Loi sont destinés à être utilisés « pour l’application et l’exécution de la Loi » — L’art. 231.2 fait référence aux pouvoirs de vérification du M.R.N. par opposition à ses pouvoirs d’enquête — En abolissant les art. 231.2(3)c) et d) de la Loi, le législateur a permis une certaine forme de recherche à l’aveuglette, avec l’autorisation de la Cour et aux conditions prescrites par la Loi, dans le but de rendre l’accès aux renseignements plus facile au M.R.N. — Le point de vue restrictif adopté par la Cour fédérale à l’égard de l’art. 231.2 ne convenait pas.

Il s’agissait d’un appel de la décision de la Cour fédérale qui avait pour effet d’annuler une ordonnance ex parte délivrée en vertu du paragraphe 231.2(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la Loi), autorisant le M.R.N. à exiger de l’intimée qu’elle fournisse des renseignements et documents concernant un groupe de contribuables non désignés nommément. Dans le cadre de l’opération d’un service inter‑agence, l’intimée recueille divers renseignements sur ses membres et sur les propriétés qu’ils vendent. L’Agence des douanes et du revenu du Canada cherchait à vérifier si les agents immobiliers et courtiers agréés qui demeuraient ou faisaient affaire sur le territoire de la Montérégie/Rive‑Sud avaient dûment rempli leurs déclarations d’impôt et s’ils y avaient rapporté les commissions gagnées. Le M.R.N. a demandé l’autorisation judiciaire du paragraphe 231.2(3) de la Loi, qui précise que l’ordonnance ex parte sera émise si la personne ou le groupe visé est identifiable et si la fourniture ou la production est exigée pour vérifier le respect des devoirs et obligations imposés par la Loi. La Cour fédérale a réaffirmé sa conclusion première que le groupe auquel le M.R.N. réfère dans sa requête ex parte constitue un groupe identifiable au sens de l’alinéa 231.2(3)a), mais elle a annulé son ordonnance antérieure et a conclu que le ministre n’avait pas établi que la demande de renseignements visait à établir si tous et chacun des membres de l’intimée avaient respecté la Loi en déclarant tous leurs revenus. Les questions litigieuses étaient celles de savoir si la Cour fédérale avait commis une erreur en concluant 1) dans le premier jugement, que le groupe était identifiable et 2) qu’il n’y avait pas d’« enquête sérieuse et véritable » sur les agents immobiliers et courtiers agréés dont il était question dans la demande de renseignements.

Arrêt : l’appel doit être accueilli.

1) La Cour fédérale a conclu à juste titre que le groupe visé par la requête était identifiable en vertu de l’alinéa 231.2(3)a) de la Loi. La vérification portait sur le groupe formé des agents et courtiers immobiliers domiciliés ou pratiquant sur le territoire desservi par le Bureau des services fiscaux de la Montérégie/Rive‑Sud de l’Agence du revenu du Canada.

2) La Cour fédérale a statué que l’enquête sérieuse et véritable est une qualification préalable à l’autorisation judiciaire du paragraphe 231.2(3) de la Loi, mais cette disposition ne mentionne pas l’expression « enquête sérieuse et véritable ». Le critère approprié pour l’examen d’une demande sous le paragraphe 231.2(3) est celui de savoir si la Cour fédérale est convaincue que les renseignements ou documents concernant une ou plus d’une personne non désignées nommément (formant un groupe identifiable) sont exigés pour vérifier le respect de la Loi. Avant 1996, le paragraphe 231.2(3) de la Loi exigeait que la demande d’autorisation soit soutenue par une dénonciation sous serment dont les affirmations répondaient aux quatre conditions qui y étaient énoncées. Les exigences des alinéas c) et d), soit les motifs raisonnables de croire que la Loi n’a pas été respectée et l’impossibilité d’obtenir l’information plus facilement par d’autres moyens, ont été abrogées en 1996. La Cour fédérale a commis une erreur en concluant que le M.R.N. devait démontrer que tous et chacun des membres de l’intimée faisaient l’objet d’une « enquête sérieuse et véritable ». Cette conclusion perpétuait le raisonnement formulé dans Canadian Bank of Commerce v. Attorney General of Canada, [1962] R.C.S. 729 et James Richardson & Sons, Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1984] R.C.S. 614, sans tenir compte du fait que la législation pertinente différait. Le retrait des conditions c) et d) montre l’intention du législateur d’alléger le fardeau de preuve du M.R.N. puisque ce dernier n’a plus à établir qu’il a des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise ou à démontrer qu’il ne peut trouver plus aisément l’information recherchée. Bien qu’une interprétation stricte du paragraphe 231.2(3) soit nécessaire, celle‑ci ne doit pas avoir pour effet d’insérer une condition supplémentaire ou d’insérer de nouveau les conditions des anciens alinéas 231.2(3)c) et d).

Les paragraphes 231.1(1) et 231.2(1) précisent expressément qu’ils sont destinés à être utilisés « pour l’application et l’exécution » de la Loi. L’article 231.2 fait référence aux pouvoirs de vérification du M.R.N. par opposition à ses pouvoirs d’enquête. En l’espèce, il y avait une vérification fiscale au sens de la Loi. Le fait que le M.R.N. en était au début de sa vérification n’empêchait aucunement l’application de l’alinéa 231.2(3)b). En abolissant les alinéas c) et d) du paragraphe 231.2(3), le législateur a permis une certaine forme de recherche à l’aveuglette, avec l’autorisation de la Cour et aux conditions prescrites par la Loi, le tout dans le but de rendre l’accès aux renseignements plus facile au M.R.N. Le point de vue restrictif adopté par la Cour fédérale en l’instance, qui était justifié par l’ampleur de l’ancienne disposition, ne convenait pas.

À la lumière de l’alinéa 231.2(3)b), la demande d’autorisation judiciaire ex parte du M.R.N. sera accordée si la Cour fédérale est convaincue que les renseignements ou documents sont requis dans le cadre d’une vérification fiscale entreprise de bonne foi. En l’espèce, l’avis de demande du M.R.N. et la preuve par affidavit produite à l’appui démontraient que la vérification fiscale a été entreprise de bonne foi, qu’elle avait un fondement factuel véritable et qu’elle visait à s’assurer du respect de la Loi. Le M.R.N. s’est conformé aux prescriptions de l’article 231.2.

lois et règlements cités

Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, art. 231.1(1) (édicté par L.C. 1994, ch. 21, art. 107), 231.2 (mod. par L.C. 1996, ch. 21, art. 58;  2000, ch. 30, art. 176).

Loi de l’impôt sur le revenu, S.C. 1970‑71‑72, ch. 63, art. 221, 231(mod. par S.C. 1986, ch. 6, art. 121), 231.2 (édicté, idem), 233 (mod. par S.C. 1979, ch. 5, art. 65).

jurisprudence citée

décisions différenciées:

Canadian Bank of Commerce v. Attorney General of Canada, [1962] R.C.S. 729; (1962), 35 D.L.R. (2d) 49; 62 DTC 1236; James Richardson & Sons, Ltd. c. Ministre du Revenu national et autres, [1984] 1 R.C.S. 614; Artistic Ideas Inc. c. Canada (Agence des douanes et du revenu), 2005 CAF 68; Fédération des Caisses Populaires Desjardins de Québec v. Minister of National Revenue, [1997] 2 C.T.C. 159 (C.S. Qué.).

décisions examinées:

M.R.N. c. Sand Exploration Ltd., [1995] 3 C.F. 44 (1re inst.); Église orthodoxe grecque de tous les saints c. Canada (Ministre du Revenu national—M.R.N.), 2006 CF 374; R. c. Jarvis, [2002] 3 R.C.S. 757; 2002 CSC 73.

décisions citées:

Canada (Ministre du Revenu national—M.R.N.) c. National Foundation for Christian Leadership, 2004 CF 1753; conf. par 2005 CAF 246; R. c. McKinlay Transport Ltd., [1990] 1 R.C.S. 627; R. c. Lucas, [1998] 1 R.C.S. 439; Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29; Thomson Newspapers Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1990] 1 R.C.S. 425; Bisaillon c. Canada, [1999] A.C.F. no 1477 (C.A.) (QL).

doctrine citée

Agence du revenu du Canada. Circulaire d’information en matière d’impôt sur le revenu IC71‑14R3 « La vérification fiscale », 18 juin 1984.

Côté, Pierre‑André. Interprétation des lois, 3e éd. Montréal : Thémis, 1999.

Sherman, David M., dir. La Loi du Praticien, Loi de l’impôt sur le revenu, 16e éd. Toronto : Thomson Carswell, 2007.

APPEL de la décision de la Cour fédérale (2006 DTC 6597; 2006 CF 1069) qui a pour effet d’annuler une ordonnance ex parte délivrée en vertu du paragraphe 231.2(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu, autorisant le M.R.N. à exiger de l’intimée qu’elle fournisse des renseignements et documents concernant un groupe de contribuables non désignés nommément. Appel accueilli.

ont comparu:

Pierre Lamothe et Maria‑Grazia Bittichesu pour l’appelant.

Simon Grégoire et François Morin pour l’intimée.

avocats inscrits au dossier:

Le sous‑procureur général du Canada pour l’appelant.

Borden Ladner Gervais s.r.l., s.e.n.c.r.l., Montréal, pour l’intimée.

Voici les motifs du jugement rendus en français par

La juge Trudel, J.C.A. :

Les faits et la procédure

[1]Le ministre du Revenu national (M.R.N.) interjette appel d’une décision de l’honorable Johanne Gauthier (la juge) rendue le 6 septembre 2006 [2006 DTC 6597 (C.F.)]. Cette décision a pour effet d’annuler une ordonnance antérieure du 28 juin 2005 émise ex parte en vertu du paragraphe 231.2(3) [art. 231.2(3)c) (abrogé par L.C. 1996, ch. 21, art. 58), d) (abrogé, idem)] de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1 (la Loi). Cette ordonnance autorisait le M.R.N. à exiger de la Chambre immobilière du Grand Montréal (la CIGM) qu’elle fournisse des renseignements et documents concernant un groupe de contribuables non désignés nommément.

[2]La CIGM est un organisme à but non lucratif qui a pour mission première de promouvoir et protéger les intérêts professionnels de ses membres. Dans le cadre de l’opération d’un service inter‑agence, elle recueille divers renseignements sur ses membres et sur les propriétés qu’ils vendent.

[3]À l’automne 2004, l’Agence des douanes et du revenu du Canada (l’ADRC), desservant le territoire de la Montérégie/Rive‑Sud, entreprend de vérifier si les agents immobiliers et courtiers agréés y demeurant ou y faisant affaires se conforment à la Loi et la respectent. Cette vérification vise à déterminer, entre autres choses, si ces agents et courtiers ont dûment rempli leurs déclarations d’impôt et s’ils y ont rapporté les commissions gagnées.

[4]Afin d’effectuer cette vérification visant l’application et l’exécution de la Loi, le M.R.N. requiert l’autorisation judiciaire du paragraphe 231.2(3). L’article 231.2 énonce [art. 231.2(1) (mod. par L.C. 2000, ch. 30, art. 176), (6) (mod. par L.C. 1996, ch. 21, art. 58)] :

231.2 (1) Malgré les autres dispositions de la présente loi, le ministre peut, sous réserve du paragraphe (2) et, pour l’application et l’exécution de la présente loi, y compris la perception d’un montant payable par une personne en vertu de la présente loi, par avis signifié à personne ou envoyé par courrier recommandé ou certifié, exiger d’une personne, dans le délai raisonnable que précise l’avis :

a) qu’elle fournisse tout renseignement ou tout renseignement supplémentaire, y compris une déclaration de revenu ou une déclaration supplémentaire;

b) qu’elle produise des documents.

(2) Le ministre ne peut exiger de quiconque — appelé « tiers » au présent article — la fourniture de renseignements ou production de documents prévue au paragraphe (1) concernant une ou plusieurs personnes non désignées nommément, sans y être au préalable autorisé par un juge en vertu du paragraphe (3).

(3) Sur requête ex parte du ministre, un juge peut, aux conditions qu’il estime indiquées, autoriser le ministre à exiger d’un tiers la fourniture de renseignements ou production de documents prévue au paragraphe (1) concernant une personne non désignée nommément ou plus d’une personne non désignée nommément — appelée « groupe » au présent article —, s’il est convaincu, sur dénonciation sous serment, de ce qui suit :

a) cette personne ou ce groupe est identifiable;

b) la fourniture ou la production est exigée pour vérifier si cette personne ou les personnes de ce groupe ont respecté quelque devoir ou obligation prévu par la présente loi;

c) et d) [Abrogés, 1996, ch. 21, art. 58(1)]

(4) L’autorisation accordée en vertu du paragraphe (3) doit être jointe à l’avis visé au paragraphe (1).

(5) Le tiers à qui un avis est signifié ou envoyé conformément au paragraphe (1) peut, dans les 15 jours suivant la date de signification ou d’envoi, demander au juge qui a accordé l’autorisation prévue au paragraphe (3) ou, en cas d’incapacité de ce juge, à un autre juge du même tribunal de réviser l’autorisation.

(6) À l’audition de la requête prévue au paragraphe (5), le juge peut annuler l’autorisation accordée antérieurement s’il n’est pas convaincu de l’existence des conditions prévues aux alinéas (3)a) et b). Il peut la confirmer ou la modifier s’il est convaincu de leur existence.

[5]Il ressort de la lecture de cette disposition que l’ordonnance ex parte sera émise si la personne ou le groupe visé est identifiable et si la fourniture ou la production est exigée pour vérifier le respect des devoirs et obligations imposés par la Loi.

[6]Dans l’ordonnance sous étude, la juge réaffirme sa conclusion première que le groupe auquel le M.R.N. réfère dans sa requête ex parte constitue un groupe identifiable au sens de l’alinéa 231.2(3)a). Par ailleurs, elle annule son ordonnance antérieure et conclut que le « Ministre n’a pas établi qu’à ce stade‑ci du projet, la demande de renseignements vise à établir si tous et chacun des membres de la CIGM (agents et courtiers immobiliers) ont respecté la loi en déclarant tous leurs revenus » : au paragraphe 58 de l’ordonnance.

Les questions en litige

[7]L’analyse de l’article 231.2 de la Loi et son application aux faits de l’espèce sont au cœur du débat, comme en témoignent les prétentions des parties. Le M.R.N. soutient que le premier jugement est entaché d’une erreur en ce que la juge conclut à l’absence d’une « enquête véritable et sérieuse » sur les agents et courtiers ciblés par la demande de renseignements. De son côté, la CIGM trouve erreur dans la conclusion portant sur le caractère identifiable du groupe visé.

[8]Je propose donc d’examiner chacune de ces questions en commençant par la prétention de la CIGM.

Le groupe identifiable


[9]La juge a eu raison de conclure, sous l’alinéa 231.2(3)a) de la Loi, que le groupe visé par la requête est identifiable.

[10]La CIGM prétend qu’un groupe est identifiable lorsque les personnes composant celui‑ci posent ensemble des gestes précis dans la poursuite d’un but commun, ce qui ne serait pas le cas, en l’instance, « puisqu’il n’existe aucune raison de croire qu’elles ont un lien en commun en rapport avec l’application de la Loi » : mémoire de l’intimée, au paragraphe 52. La CIGM réfère aux décisions dans : Canada (Ministre du Revenu national—M.R.N.) c. National Foundation for Christian Leadership, 2004 CF 1753 (appel rejeté : 2005 CAF 246) (Christian Leadership); Artistic Ideas Inc. c. Canada (Agence des douanes et du revenu), 2005 CAF 68 (Artistic Ideas); M.R.N. c. Sand Exploration Ltd., [1995] 3 C.F. 44 (1re inst.) (Sand Exploration) ; et Fédération des Caisses Populaires Desjardins de Québec v. Minister of National Revenue, [1997] 2 C.T.C. 159 (C.S. Qué.), (Fédération des Caisses).

[11]Ces jugements ne sont d’aucun secours, en l’espèce, et ne peuvent appuyer la thèse de la CIGM sur la notion du « groupe identifiable ». Il faut en lire les motifs avec prudence en se situant dans le contexte particulier de la législation en vigueur au moment de leur diffusion puisque l’article 231.2 de la Loi a été substantiellement amendé en 1996 [L.C. 1996, ch. 21; art. 58]. Il ne faut pas, non plus, ignorer les autres dispositions législatives sur lesquelles ils se fondent.

[12]Ainsi, dans Fédération des Caisses, le M.R.N. procédait à une identification arbitraire effectuée à partir de la nature des transactions et non des auteurs de ces transactions, en l’occurrence, les particuliers ou les corporations ayant transité des sommes d’argent à l’extérieur du Canada par l’entremise de la Fédération ou de l’une de ses caisses affiliées pour une période donnée. Cette décision commandait l’analyse de l’article 231.2 avant qu’il ne soit modifié.

[13]Dans l’arrêt Artistic Ideas, notre Cour a permis au M.R.N. d’obtenir le nom d’organismes de bienfaisance impliqués dans des opérations « achat et vente successifs d’œuvres d’art » sous le paragraphe 231.2(1) et non sous les paragraphes (2) et (3). La Cour statuait qu’aucune preuve n’indiquait que le M.R.N. souhaitait obtenir le nom des organismes de bienfaisance pour vérifier s’ils se conformaient à la Loi. En effet, leur nom était alors nécessaire seulement pour l’enquête effectuée par le M.R.N. sur le tiers Artistic Ideas.

[14]Les arrêts Sand Exploration et Christian Leadership n’appuient pas davantage la prétention de la CIGM, à savoir que la poursuite d’un but commun est un prérequis pour qu’un groupe soit identifiable.

[15]Enfin, la CIGM prétend qu’il ne peut s’agir d’un groupe identifiable puisque le groupe visé compte près de 2 000 personnes : mémoire de l’intimé, au paragraphe 52. Cet argument n’est pas convaincant. Dans Église orthodoxe grecque de tous les saints c. Canada (Ministre du Revenu national—M.R.N.), 2006 CF 374, au moins 1 300 donateurs formaient le groupe identifiable au sens de la Loi.

[16]En l’instance, la vérification porte sur le groupe formé des agents et courtiers immobiliers domiciliés ou pratiquant sur le territoire desservi par le Bureau des services fiscaux de la Montérégie/Rive‑Sud de l’Agence du revenu du Canada. La juge Gauthier a conclu à juste titre qu’il s’agissait d’un groupe identifiable pour les fins de l’article 231.2 de la Loi.

[17]Je passe maintenant aux arguments portant sur la notion d’enquête sérieuse et véritable.

L’enquête sérieuse et véritable

[18]La juge a retenu la prétention de la CIGM, soit l’absence d’une enquête sérieuse et véritable de la part du M.R.N. à l’égard d’une ou des personnes du groupe visé. Elle a fait de cette enquête sérieuse et véritable une qualification préalable à l’autorisation judiciaire du paragraphe 231.2(3) de la Loi.

[19]La juge suggère que toute nouvelle demande d’autorisation du M.R.N. devra préciser « qu’une véritable vérification est en cours à l’égard de tous et chacun des membres de ce groupe et pas seulement une enquête ou projet visant à sélectionner les membres du groupe qui devront plus tard faire l’objet d’une vérification » : au paragraphe 59 de l’ordonnance. En conséquence, elle est insatisfaite de la preuve jugeant que le M.R.N. n’a entrepris qu’un projet de vérification, et annule son ordonnance antérieure en concluant à l’absence d’une enquête véritable et sérieuse.

[20]La disposition législative sous étude ne mentionne pas l’expression « enquête sérieuse et véritable ». Cette notion, qui émane de l’affaire  Canadian Bank of Commerce v.  Attorney General of Canada, [1962] R.C.S. 729 (Canadian Bank of Commerce) et, qui découlait alors d’une simple admission des parties (à la page 733), a depuis été reprise et plaidée tel un principe de droit consacré.

[21]Je suis d’avis que « l’enquête sérieuse et véritable » n’est pas le critère approprié pour l’examen d’une demande sous le paragraphe 231.2(3) de la Loi. La question à se poser n’est pas celle de savoir si le M.R.N. a entrepris une enquête sérieuse et véritable, et encore moins sur chacune des personnes non désignées nommément du groupe. La question est plutôt la suivante : le juge des requêtes est‑il convaincu que les renseignements ou documents concernant une ou plus d’une personne non désignées nommément (formant un groupe identifiable), sont exigés pour vérifier le respect de la Loi?

Les arrêts Richardson et Canadian Bank of Commerce

[22]Au fil des ans, la disposition sous étude a fait l’objet d’amendements législatifs que l’on ne peut ignorer dans l’analyse des arrêts cités par les parties au soutien de leurs prétentions. Je m’attarderai plus longuement à l’affaire James Richardson & Sons Ltd. c. Ministre du Revenu national et autres, [1984] 1 R.C.S. 614, (Richardson), citée avec Canadian Bank of Commerce, comme l’arrêt de principe sur la notion d’enquête sérieuse et véritable.

[23]Dans Richardson, la Cour suprême du Canada examinait les faits à la lumière de l’article 231 [avant la modification de 1986] de la Loi de l’impôt sur le revenu, S.C. 1970‑71‑72, ch. 63, dont les parties pertinentes se lisaient alors comme suit :

231. […]

(3) Pour toute fin relative à l’application ou à l’exécution de la présente loi, le Ministre peut, par lettre recommandée ou par demande à personne exiger de toute personne :

a) tout renseignement ou tout renseignement supplémentaire, y compris une déclaration de revenu ou une déclaration supplémentaire, ou

b) la production ou la production sous serment de livres, lettres, comptes, factures, états (financiers ou autres) ou autres documents,

within such reasonable time as may be stipulated therein.

dans le délai raisonnable qui peut y être fixé.

(4) Lorsque le Ministre a des motifs raisonnables pour croire qu’une infraction à cette loi ou à un règlement a été commise ou sera probablement commise, il peut, avec l’agrément d’un juge d’une cour supérieure ou d’une cour du comté, agrément que le juge est investi par ce paragraphe, du pouvoir de donner sur la présentation d’une demande ex parte, autoriser par écrit tout fonctionnaire du ministère du Revenu national ainsi que tout membre de la Gendarmerie royale du Canada ou tout autre agent de la paix à l’assistance desquels il fait appel et toute autre personne qui peut y être nommée, à entrer et à chercher, usant de la force s’il le faut, dans tout bâtiment, contenant ou endroit en vue de découvrir les documents, livres, registres, pièces ou choses qui peuvent servir de preuve au sujet de l’infraction de toute disposition de la présente loi ou d’un règlement et à saisir et à emporter ces documents, livres, registres, pièces ou choses et à les retenir jusqu’à ce qu’ils soient produits devant la cour.

(5) Une demande faite à un juge en vertu du paragraphe (4) sera appuyée d’une preuve fournie sous serment et établissant la véracité des faits sur lesquels est fondée la demande. [Je souligne.]

L’article référait à la commission d’une infraction et permettait d’entrer et de chercher des éléments de preuve de cette infraction.

[24]Dans cette affaire, le M.R.N. avait jugé nécessaire de vérifier si les négociants en denrées à terme se conformaient à la Loi. Pour ce faire, il avait demandé à Richardson de fournir les états mensuels des opérations à terme de ses clients afin de pouvoir traiter ces renseignements à titre d’essai. Richardson avait fourni ces renseignements en indiquant les numéros de compte des clients sans qu’il soit possible de les identifier. Le M.R.N. avait demandé des renseignements additionnels, dont la liste complète des clients et des renseignements personnels les concernant. Richardson avait refusé alléguant, entre autres, que les demandes du M.R.N. visaient à obtenir « des déclarations renfermant des renseignements en ce qui concerne […] [un] genre de renseignements » [à la page 621] requis relativement aux cotisations. Il ajoutait que ces demandes étaient plutôt visées par l’alinéa 221(1)d) et l’article 233 [mod. par S.C. 1979, ch. 5, art. 65] de la Loi de l’impôt sur le revenu qui prévoyaient :

221. (1) Le gouverneur en conseil peut établir des règlements

[. . .]

d) enjoignant à toute catégorie de personnes de faire des déclarations renfermant des renseignements en ce qui concerne tout genre de renseignements requis relativement aux cotisations sous le régime de la présente loi,

[. . .]

233. Qu’elle ait produit ou non une déclaration renfermant des renseignements requise par un règlement établi selon l’alinéa 221(1)d), toute personne doit, sur demande émanant du Ministre faite par signification à personne ou par poste recommandée, produire auprès du Ministre la déclaration prescrite renfermant les renseignements qu’indique la demande, dans le délai raisonnable que celle‑ci peut fixer.

[25] Richardson a eu gain de cause devant la Cour suprême du Canada qui a affirmé que la portée de l’ancien paragraphe 231(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu se limitait aux cas où le M.R.N. menait une enquête réelle et sérieuse sur l’assujettissement à l’impôt d’une ou plusieurs personnes précises et qu’il ne s’étendait pas à une enquête sur une catégorie de personnes. Le M.R.N. était alors invité à se prévaloir de [l’ancien] alinéa 221(1)d) pour « obtenir un règlement enjoignant à tous ces négociants de déclarer les opérations qu’ils ont conclues dans leur commerce de denrées à terme » (à la page 625).

[26]L’arrêt Richardson doit être lu et appliqué avec prudence. Dans Artistic Ideas, la Cour d’appel fédérale, sous la plume du juge Rothstein [tel était alors son titre], adopte une position réservée quant aux arrêts Richardson et Canadian Bank of Commerce. Le juge Rothstein écrit (au paragraphe 9) :

Ces arrêts sont antérieurs aux paragraphes 231.2(2) et (3), dont l’adoption semble cependant avoir été motivée, à tout le moins en partie, par l’arrêt Richardson. Bien que ces arrêts fournissent des renseignements généraux utiles, les dispositions législatives applicables ont changé depuis qu’ils ont été rendus.

[27]En effet, le paragraphe 231.2(1), tel qu’il se lit maintenant, est l’ancien paragraphe 231(3) [abrogé et remplacé par S.C. 1986, ch. 6, art. 121] auquel le législateur a ajouté, en 1986, les termes « [n]onobstant les autres dispositions de la présente loi » et « sous réserve du paragraphe (2) » [à l’article 231.2]. Cette modification apportée à l’article 231.2 ne changeait pas substantiellement le texte législatif antérieur.

[28]Au même moment, le législateur ajoutait les paragraphes 231.2(2) à (6), ce qui, en 1995, amenait le juge Rothstein, siégeant alors à la Cour fédérale, Section de première instance, à constater que la procédure imposée par les paragraphes 231.2(2) et (3) de la Loi réglait la « question des effets néfastes » décrits dans l’affaire Richardson (Sand Exploration [aux pages 51 et 52]).

[29]Je ne crois pas que Richardson et Canadian Bank of Commerce constituent un obstacle à la prétention du M.R.N. en l’espèce. Dans Richardson, comme je l’ai souligné plus tôt, le M.R.N. demandait des informations pour les traiter à l’essai. Par ailleurs, le jugement rendu dans Canadian Bank of Commerce était fondé sur le fait, reconnu par les parties, que la demande dans cette affaire était faite de bonne foi et qu’elle portait sur une enquête véritable et sérieuse visant des personnes déterminées. Le juge Cartwright écrit en page 738 :

[traduction] […] personne ne semble contester le fait :  (i) que la demande adressée à l’appelante se rapporte à une enquête véritable et sérieuse portant sur l’assujettissement à l’impôt d’une seule ou de plusieurs personnes déterminees […] [Je souligne.]

[30]Respectueusement, et contrairement à la juge Wilson qui écrit pour la Cour dans Richardson, je ne crois pas que le juge Cartwright ait ainsi « affirmé clairement que son jugement se fondait sur l’existence de cette condition essentielle » (à la page 624), c’est‑à‑dire que la demande doive porter sur une enquête véritable et sérieuse.

[31] Mais il y a plus. Avant 1996, le paragraphe 231.2(3) de la Loi exigeait que la demande d’autorisation soit soutenue par une dénonciation sous serment dont les affirmations répondaient aux quatre conditions suivantes :

231.2  […]

(3) [...]

a) cette personne ou ce groupe est identifiable;

b) la fourniture ou la production est exigée pour vérifier si cette personne ou les personnes de ce groupe ont respecté quelque devoir ou obligation prévu par la présente loi;

c) il est raisonnable de s’attendre — pour n’importe quel motif, notamment des renseignements (statistiques ou autres) ou l’expérience antérieure, concernant ce groupe ou toute autre personne — à ce que cette personne ou une personne de ce groupe n’ait pas fourni les renseignements exigés ou ne les fournisse vraisemblablement pas ou n’ait pas respecté par ailleurs la présente loi ou ne la respecte vraisemblablement pas;

d) il n’est pas possible d’obtenir plus facilement les renseignements ou les documents.

[32]Par la suite, en 1996, les exigences des alinéas c) et d) du paragraphe (3), soit les motifs raisonnables de croire que la Loi n’a pas été respectée et l’impossibilité d’obtenir l’information plus facilement par d’autres moyens, étaient abrogées.

L’article 231.2 de la Loi en vigueur

[33]Selon la juge, le M.R.N. devait démontrer que tous et chacun des membres de la CIGM ciblés par la demande faisaient l’objet d’une enquête sérieuse et véritable. Sinon, il s’agissait d’une recherche à l’aveuglette proscrite par Richardson. Je ne suis pas d’accord. Cette conclusion perpétue le raisonnement dans Canadian Bank of Commerce et Richardson sans distinction eu égard aux faits de l’espèce et à la disposition législative présentement en vigueur.

[34]De façon générale, les pouvoirs d’enquête et de vérification du M.R.N. dans la Loi sont la contrepartie d’un régime fiscal d’auto‑déclaration et d’autocotisation dont le succès repose sur l’honnêteté et l’intégrité des contribuables (R. c. McKinlay Transport Ltd., [1990] 1 R.C.S. 627).

[35]Il est reconnu que les pouvoirs de vérification prévus à l’article 231.2 de la Loi sont une mesure attentatoire au droit de protection des renseignements privés et doivent s’interpréter restrictivement (Sand Exploration, à la page 52).

:

[36]Ces principes généraux ne sont pas remis en question, mais il faut, tout de même, donner un sens aux modifications législatives. Commentant les documents budgétaires de 1995, le fiscaliste David M. Sherman écrit [à la page 1589] quant aux conditions des alinéas c) et d) (La Loi du praticien, Loi de l’impôt sur le revenu, 16e éd. (Toronto : Thomson Carswell, 2007)) :

Ces restrictions [231.2(3)c) et d)], qui compliquent l’accès de l’ARDC à des renseignements opportuns pour vérifier le respect de la Loi, sont abolies. Cette mesure proposée ajoutera à la capacité de l’ARDC de vérifier le respect du régime d’autocotisation relativement aux transactions à l’égard desquelles la divulgation de renseignements n’est pas requise.

[37]Je crois que le retrait des conditions c) et d) du  paragraphe 231.2(3) montre l’intention du législateur d’alléger le fardeau de preuve du M.R.N. dans le sens suggéré par le fiscaliste Sherman, puisque le M.R.N. n’a plus à établir qu’il a des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise ou à démontrer qu’il ne peut trouver plus aisément l’information recherchée.

[38]Tout en reconnaissant l’exigence d’une interprétation stricte, celle‑ci ne doit pas avoir pour effet, comme c’est le cas si l’on retient la prétention de l’intimée, d’ajouter au texte en y insérant une condition supplémentaire, soit celle pour le M.R.N. de prouver qu’il effectue une enquête sérieuse et véritable à l’endroit des personnes non désignées nommément visées par sa demande. Il ne faut pas non plus interpréter la disposition de sorte d’y insérer, de nouveau, les conditions des alinéas c) et d).

[39]L’article 231.2 de la Loi doit être interprété en tenant compte de tous ses éléments, y incluant les rubriques et intertitres qui font aussi partie de la loi (Pierre‑André Côté, Interprétations des lois, 3e éd. (Montréal: Thémis, 1999), a la page 79 ; R. c. Lucas, [1998] 1 R.C.S. 439, à la page 463). Les rubriques peuvent être utiles en permettant de situer une disposition dans la structure générale du texte et en permettant de préciser l’objectif du législateur.

[40]Alors, qu’en est‑il de l’article 231.2 de la Loi ? Il se trouve dans la partie XV de la Loi, intitulée « Application et exécution » sous la rubrique « Généralités ». Comme ils le prévoient expressément, les paragraphes 231.1(1) [édicté par L.C. 1994, ch. 21, art. 107] et 231.2(1) sont destinés à être utilisés « pour l’application et l’exécution » de la Loi.

[41]Cette expression générale introductive à la disposition sous étude permet une mise en contexte de l’article 231.2 de la Loi qui fait appel aux pouvoirs de vérification du M.R.N., par opposition à ses pouvoirs d’enquête. Il est possible, nous rappelle la Cour suprême du Canada dans R. c. Jarvis, [2002] 3 R.C.S. 757, à la page 761, « d’établir une distinction entre les pouvoirs de vérification et les pouvoirs d’enquête » sous le régime de la Loi.

[42]Les politiques et l’interprétation administratives, bien que non contraignantes, revêtent aussi une certaine importance en cas de doute sur le sens de la législation (Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29). En l’instance, l’intimée s’appuie sur la Circulaire d’information en matière d’impôt sur le revenu IC71‑14R3, intitulée « La vérification fiscale », pour établir que le « projet de vérification » qui concerne certains membres de la CIGM, n’est pas une vérification au sens de la Loi.

[43]Cet argument est sans fondement. D’une part, je conclus qu’il y a, en l’instance, une vérification fiscale au sens de la Loi. D’autre part, la circulaire explique le rôle, les politiques et les méthodes de la vérification fiscale, dont les projets de vérification qui ne sont que l’un des moyens auquel le M.R.N. peut avoir recours dans son processus de « prélèvement des données pour vérification » .

[44]En l’instance, le M.R.N. demande à l’intimée de lui fournir une liste de ses membres, pour un secteur géographique donné, afin d’en comparer les données à celles qu’il possède déjà. Le fait que le M.R.N. en soit au début de sa vérification n’empêche aucunement l’application de l’alinéa 231.2(3)b). Il est évident que le M.R.N. ne peut prétendre que tous et chacun des membres font déjà l’objet d’une « enquête sérieuse et véritable », ce que lui reproche la juge : ces membres ne sont pas encore désignés nommément. Imposer une telle exigence au M.R.N. enlève toute utilité pratique aux paragraphes 231.2(2) et (3) de la Loi qui permettent, sous autorisation judiciaire, le contrôle fiscal de la sincérité d’une déclaration de revenus.

[45]Quoi qu’en dise la CIGM, il me semble qu’en abolissant les alinéas c) et d) du paragraphe 231.2(3), le législateur a permis une certaine forme de recherche à l’aveuglette, avec l’autorisation du Tribunal et aux conditions prescrites par la Loi, le tout dans le but de rendre l’accès aux renseignements plus facile au M.R.N. Il me semble que le point de vue restrictif adopté par la juge, en l’instance, ne convient pas à la disposition sous étude. Ce point de vue, emprunté à Richardson, était justifié par l’ampleur de l’ancienne disposition qui, interprétée trop libéralement, aurait ouvert la porte à des abus de la part du fisc (Sand Exploration).

Le critère d’analyse applicable

[46]En dépit des sanctions pénales qu’elle comporte, la Loi est essentiellement et principalement de nature réglementaire et administrative. Les pouvoirs de vérification du M.R.N., incluant les pouvoirs décrits au paragraphe 231.2(3), sont nécessaires pour réaliser les objectifs de la Loi et en assurer le respect (McKinley; Thomson Newspapers Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1990] 1 R.C.S. 425).

[47]Le M.R.N. doit, dans un système d’impôt fondé sur le principe de l’auto‑déclaration et de l’auto–cotisation, pouvoir disposer de larges pouvoirs de vérification des déclarations des contribuables et d’examen des documents qui ont pu servir à préparer ces déclarations (Bisaillon c. Canada, [1999] A.C.F. no 1477 (C.A.F.)).

[48]Il s’ensuit de ma lecture de l’alinéa 231.2(3)b) que la requête ex parte du M.R.N. sera accordée si le juge des requêtes est convaincu que la fourniture des renseignements ou la production des documents sont exigées dans le cadre d’une vérification fiscale faite de bonne foi. Cette bonne foi est garante de l’exercice judicieux, par le M.R.N., de son pouvoir de vérification conformément à l’article 231.2 de la Loi, pour en assurer l’application et l’exécution.

[49]Ayant ainsi défini le critère applicable à une demande d’autorisation judiciaire formulée sous le paragraphe 231.2(3), je suis d’opinion qu’il ressort de l’avis de demande ex parte du M.R.N., supporté par la dénonciation assermentée de la vérificatrice Christiane E. Joly, que la vérification fiscale, en l’espèce, a été entreprise de bonne foi, qu’elle a un fondement factuel véritable et qu’elle vise à s’assurer du respect de la Loi.

[50]En l’espèce, le M.R.N. a reçu des documents de la CIGM en mars 2005, lors de la vérification d’un agent immobilier membre de cet organisme. Venait, quelques mois plus tard, la demande ex parte sous étude visant certains membres de la CIGM non désignés nommément. L’affidavit souscrit au soutien de la demande mentionne expressément l’objectif visé : « déterminer si les courtiers ayant gagné des revenus de commissions suite à la vente d’immeubles, ont respecté tous les devoirs et obligations prévus par la Loi (dossier d’appel, à la page 39). Le M.R.N. s’est donc conformé aux prescriptions de la Loi, et plus spécifiquement aux exigences de l’article 231.2.

[51]Enfin, à l’audition, et dans l’éventualité où la Cour devait conclure en faveur du M.R.N., les procureurs ont mentionné avoir conclu une entente sur les modalités d’échange des documents et des renseignements devant être fournis. Le M.R.N. en souhaite l’homologation. La Cour ne peut faire suite à cette demande puisque l’entente n’a pas été déposée et que les parties n’ont fait aucune représentation quant à son contenu.

[52]En conséquence, je propose d’accueillir l’appel et d’annuler l’ordonnance rendue par la Cour fédérale le 6 septembre 2006 avec dépens devant les deux cours.

Le juge Létourneau, J.C.A. : Je suis d’accord.

Le juge Pelletier, J.C.A. : Je suis d’accord.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.