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2008 CF 223

T-1750-05

Société canadienne des postes (demanderesse)

c.

Alliance de la fonction publique du Canada et Commission canadienne des droits de la personne (défenderesses)

T-1989-05

Alliance de la fonction publique du Canada (demanderesse)

c.

Société canadienne des postes et Commission canadienne des droits de la personne (défenderesses)

Répertorié : Société canadienne des postes c. Alliance de la fonction publique du Canada (C.F.)

Cour fédérale, juge Kelen—Ottawa, 5, 9, 13, 21, 22 novembre 2007; 16, 17, 18 janvier et 21 février 2008.

              Droits de la personne — Demandes de contrôle judiciaire de la décision du Tribunal canadien des droits de la personne faisant droit à une plainte de discrimination salariale déposée en 1983 à la Commission canadienne des droits de la personne — Le Tribunal a conclu que Postes Canada violait l’art. 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP) en rémunérant plus généreusement ses employés du groupe des Opérations postales (PO), à prédominance masculine, que ses employés du groupe Commis aux écritures et règlements (CR), à prédominance féminine, pour un travail de valeur égale (la demande de Postes Canada), et a réduit de 50 p. 100 les dommages-intérêts accordés (la demande de l’Alliance de la fonction publique du Canada (l’AFPC)) — 1) La conclusion du Tribunal que l’application de l’Ordonnance de 1986 sur la parité salariale n’était pas rétroactive parce que le concept de discrimination systémique est de nature continue était raisonnable — 2) Afin d’établir l’existence d’une discrimination, le Tribunal doit être convaincu selon la prépondérance des probabilités que les éléments de preuve sont fiables — Le Tribunal a mal appliqué la norme de preuve en l’espèce en prenant en compte un principe qui s’applique au quantum des dommages-intérêts — Sa conclusion selon laquelle la preuve relative aux renseignements sur les emplois était « raisonnablement fiable » au niveau de la « sous-fourchette inférieure de la fiabilité raisonnable » était moins probante que la conclusion selon laquelle les renseignements sur les emplois étaient fiables selon la prépondérance des probabilités — 3) Bien que le Tribunal ait analysé les éléments de preuve concernant le caractère approprié du groupe PO comme groupe de comparaison, il était déraisonnable pour le Tribunal de méconnaître le plus grand groupe de femmes chez Postes Canada qui travaillaient comme trieuses de courrier au sein du groupe PO;  ces femmes étaient les employées syndiquées les mieux payées chez Postes Canada — La demande de Postes Canada a été accueillie — 4) Dès lors qu’un plaignant établit l’existence d’une discrimination à première vue en vertu de l’art. 11 de la LCDP, une présomption réfutable de discrimination fondée sur le sexe existe — Cette « présomption légale » ne se posait pas en l’espèce parce que le choix de groupes de comparaison effectué par le Tribunal était déraisonnable et la mauvaise norme de preuve avait été appliquée pour déterminer l’existence d’une discrimination salariale — 5) La décision du Tribunal d’accorder des dommages-intérêts était incorrecte et déraisonnable puisqu’il n’avait pas conclu convenablement que la plainte de discrimination salariale avait été établie selon la prépondérance des probabilités — La demande de l’AFPC a été rejetée.

              Interprétation des lois — Contrôle judiciaire de la décision du Tribunal canadien des droits de la personne établissant que Postes Canada violait l’art. 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne en rémunérant plus généreusement ses employés du groupe des Opérations postales (PO), à prédominance masculine, que ses employés du groupe Commis aux écritures et règlements (CR), à prédominance féminine, pour un travail de valeur égale — L’intention du législateur était que l’art. 11 fasse l’objet d’une interprétation large et libérale — L’art. 11 énonce le principe de l’équité salariale, en laissant une marge de manœuvre considérable à la Commission canadienne des droits de la personne et au Tribunal pour ce qui est de décider comment mettre ce principe en application dans le contexte d’une affaire donnée.

              Il s’agissait de demandes de contrôle judiciaire d’une décision du Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) faisant droit à une plainte de discrimination salariale déposée en 1983 par certaines employées de la Société canadienne des postes. Le Tribunal a conclu que Postes Canada violait l’article 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la LCDP) en rémunérant plus généreusement ses employés du groupe des Opérations postales (PO), qui est à prédominance masculine, que ses employés du groupe Commis aux écritures et règlements (CR), qui est à prédominance féminine, et ce, pour un travail de valeur égale (la demande T-1750-05 ou la demande de Postes Canada), et a réduit de 50 p. 100 les dommages-intérêts accordés aux employés du groupe CR, à prédominance féminine (la demande T-1989-05 ou la demande de l’Alliance de la fonction publique du Canada (l’AFPC)).

              Le 24 août 1983, l’AFPC a déposé la plainte à la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) et la plainte a été renvoyée au Tribunal en 1992. Les audiences du Tribunal se sont déroulées entre 1992 et 2003. Cinq conclusions ont été formulées : 1) l’application de l’Ordonnance de 1986 sur la parité salariale (l’OPS de 1986) n’était pas rétroactive étant donné que les faits présentés dans la plainte étaient de nature « continue », c.-à-d. une allégation de « discrimination salariale systémique continue » qui s’est poursuivie pendant une longue période de temps. Quoi qu’il en soit, l’OPS de 1986 était essentiellement une codification de pratiques déjà suivies par la Commission au moment où la plainte a été déposée en 1983. 2) Pour que la discrimination alléguée par l’AFPC soit établie, les éléments de preuve sur lesquels s’appuyaient l’AFPC et la Commission devaient être « raisonnablement fiables ». 3) Il y a preuve à première vue de discrimination seulement si le groupe de plaignants prouve l’existence de quatre éléments essentiels, notamment que le groupe de plaignants et le groupe de comparaison sont tous deux composés majoritairement de membres de sexes opposés et sont employés dans le même établissement. Ces deux éléments essentiels étaient réunis parce que le groupe de plaignants (le groupe CR) était à prédominance féminine et le groupe de comparaison (le groupe PO) était à prédominance masculine. 4) L’article 11 de la LCDP crée une présomption selon laquelle un écart salarial est causé par une discrimination systémique fondée sur le sexe, et cette présomption peut seulement être réfutée par un des facteurs de la liste figurant à l’article 16 de l’OPS de 1986. 5) Les dommages-intérêts octroyés devraient être réduits de 50 p. 100 pour tenir compte de divers « éléments d’incertitude » à la fois dans les renseignements sur les emplois et dans les formes de rémunération non salariale.

              Les questions en litige en l’espèce étaient celles de savoir si le Tribunal 1) avait erré lorsqu’il a conclu que l’OPS de 1986 s’appliquait à la plainte de l’AFPC bien que la plainte initiale ait été formulée en 1983, soit trois ans avant la mise en œuvre de l’OPS de 1986; 2) avait appliqué une norme de preuve incorrecte pour établir si l’allégation de discrimination était fondée; 3) avait erré en concluant que le groupe PO était un groupe de comparaison approprié; 4) avait erré en statuant que dès lors qu’une disparité salariale est établie, l’article 11 de la LCDP pose une présomption de discrimination systémique  fondée sur le sexe; et 5) avait erré en concluant que les dommages-intérêts octroyés à l’AFPC pouvaient être réduits de 50 p. 100.

              Jugement : la demande de Postes Canada doit être accueillie et la demande de l’AFPC doit être rejetée.

              1) Bien que le droit concernant la rétroactivité soit clair (c.-à-d. que les règlements et ordonnances ne peuvent pas être appliqués rétroactivement), la question n’est pas toujours claire de savoir quand l’application d’une loi est rétroactive, notamment lorsque les événements en cause ne se situent pas clairement dans le passé. La situation factuelle dont l’AFPC et la Commission alléguait qu’elle était  « continue » en était une de discrimination systémique alléguée, qui s’étend sur une certaine période. La Cour d’appel fédérale a reconnu que le concept de discrimination systémique est de nature continue. Par conséquent, la conclusion du Tribunal à cet égard était raisonnable. En outre, le Tribunal a conclu à juste titre que l’application de l’OPS de 1986 ne porterait pas atteinte au droit acquis de Postes Canada d’invoquer les moyens de défense dont elle pouvait se prévaloir en vertu des Ordonnances sur l’égalité de rémunération (les OER) de 1978 puisque Postes Canada ne possédait aucun droit acquis semblable. Quoi qu’il en soit, une preuve claire démontrait que l’OPS de 1986 ne faisait que codifier certaines des pratiques et procédures de la Commission qui avaient déjà cours à la date où la plainte a été déposée en 1983. Qui plus est, l’intention du législateur était que l’article 11 et la LCDP fassent l’objet d’une interprétation large et libérale qui favorisait leurs objectifs. Par conséquent, même si le Tribunal a erré en appliquant l’OPS de 1986 à une plainte de 1983, cette erreur n’avait aucune conséquence pratique puisque les pratiques et procédures établies à la Commission en 1983, qui n’étaient pas illégales, s’appliquaient à la plainte. La conclusion du Tribunal à cet égard était donc raisonnable.

              2) La Cour fédérale a statué que bien que le Tribunal doive être libre d’employer les outils et les éléments de preuve qui lui sont présentés pour déterminer si la discrimination a été prouvée, cette « méthode souple » ne signifie pas que le fardeau ou la norme de preuve peut être minimisé afin d’établir l’existence d’une discrimination. Le Tribunal doit tout de même être convaincu selon la prépondérance des probabilités que ces éléments de preuve sont fiables. La Cour d’appel fédérale a expliqué, dans l’arrêt Alliance de la fonction publique du Canada c. Canada (Ministère de la Défense nationale), l’existence d’un processus en deux étapes pour faire la preuve du bien-fondé d’une plainte devant le Tribunal. Dans un premier temps, le plaignant doit établir, selon la prépondérance des probabilités, une discrimination salariale au sens de l’article 11 de la LCDP. Ensuite, il faut déterminer les dommages-intérêts à accorder au titre de la rémunération non gagnée. La norme de la prépondérance des probabilités appliquée dans les affaires civiles vise la responsabilité, pas les dommages. Le Tribunal a mal appliqué la norme de preuve qu’il a correctement reconnue comme étant la prépondérance des probabilités en prenant en compte un principe qui s’applique au quantum des dommages-intérêts. Le Tribunal a aussi commis une erreur de droit en appliquant une norme de preuve confuse, inventée et inédite relativement à la fiabilité des renseignements sur les emplois afin de conclure à la responsabilité. Sa conclusion selon laquelle la preuve relative aux renseignements sur les emplois était  « raisonnablement fiable » au niveau de la « sous-fourchette inférieure de la fiabilité raisonnable », une fourchette d’acceptabilité obscure que le Tribunal a inventée, était moins probante que la conclusion selon laquelle les renseignements sur les emplois étaient fiables selon la prépondérance des probabilités. Cette conclusion était confirmée indirectement par la décision du Tribunal de réduire les dommages-intérêts de 50 p. 100 parce qu’il était incertain de la fiabilité des éléments de preuve relatifs aux renseignements sur les emplois. En droit, le Tribunal ne peut pas décider d’accorder à la plaignante seulement 50  p. 100 de ses dommages-intérêts s’il n’est pas convaincu que la preuve relative à la responsabilité était probablement fiable. En concluant que les valeurs d’emploi devaient être « raisonnablement fiables », le Tribunal a appliqué une norme qui ressemblait davantage à celle qui s’appliquait à la simple décision de renvoyer une affaire devant le Tribunal — à savoir une « justification raisonnable » — qui est un seuil moins élevé que la prépondérance des probabilités. En conséquence, le Tribunal a appliqué déraisonnablement et incorrectement la mauvaise norme de preuve à des faits pertinents d’une importance vitale. Les éléments de preuve relatifs aux postes du groupe CR et aux emplois du groupe PO n’étaient pas fiables selon la prépondérance des probabilités pour prouver une discrimination salariale entre le groupe des plaignants et le groupe de comparaison.

              3) L’article 11 ne fait qu’énoncer le principe de l’équité salariale, en laissant une marge de manœuvre considérable à la Commission et au Tribunal pour ce qui est de décider comment mettre ce principe en application dans le contexte d’une affaire donnée. Les plaintes de discrimination systémique devraient être évaluées au cas par cas, et les tribunaux devraient faire preuve de souplesse lorsqu’il s’agit d’évaluer quel type d’élément de preuve ou de méthode est suffisant pour établir le bien-fondé de ce genre de plainte. Par conséquent, il était raisonnable pour le Tribunal d’utiliser les éléments de preuve dont il disposait pour déterminer si la preuve d’un cas de discrimination systémique avait été faite, y compris, au besoin, les éléments de preuve composés de renseignements « génériques » sur l’emploi. De même, il n’était pas obligatoire que le groupe de comparaison soit fondé sur une analyse à l’échelle du système de tous les emplois à prédominance masculine au sein d’un établissement comme Postes Canada.  Bien que le Tribunal ait analysé les éléments de preuve concernant le caractère approprié du groupe PO comme un groupe de comparaison, il était déraisonnable pour le Tribunal de méconnaître le fait que le plus grand groupe de femmes chez Postes Canada était les 10 000 femmes qui travaillaient comme « trieuses de courrier » au sein du groupe PO, et que ces 10 000 femmes étaient les employées syndiquées les mieux payées chez Postes Canada. En fait, il était déraisonnable de les avoir considérées comme des hommes pour l’application de l’article 11, et cela était contraire à l’article 11 et illogique.

              4) Il est clair d’après la LCDP et la jurisprudence pertinente, notamment la décision que la Cour fédérale a rendue dans Canada (Procureur général) c. Alliance de la fonction publique du Canada, que dès lors qu’une plainte établit l’existence d’une discrimination à première vue sous le régime de l’article 11, cette disposition crée une présomption réfutable de discrimination fondée sur le sexe. Cependant, parce que le choix de groupes de comparaison effectué par le Tribunal était déraisonnable et que la mauvaise norme de preuve a été appliquée pour déterminer l’existence d’une discrimination salariale, aucune discrimination à première vue n’a été établie. En conséquence, la question d’une « présomption légale » de discrimination fondée sur le sexe ne se posait pas.

              5) La décision du Tribunal d’accorder des dommages- intérêts était incorrecte et déraisonnable puisque le Tribunal n’avait pas conclu convenablement que la plainte de discrimination salariale avait été établie selon la prépondérance des probabilités. Par conséquent, il fallait rejeter la demande de contrôle judiciaire, présentée par l’AFPC, de la décision du Tribunal de réduire son adjudication de dommages-intérêts de 50 p. 100.

              Enfin, l’audience devant le Tribunal d’une durée de 11 ans choquait la conscience publique au regard de ce qui est raisonnable et responsable. Pour cette raison, le Tribunal a manqué à son obligation au titre de l’article 53 de la LCDP de rejeter la plainte après avoir reconnu que les éléments de preuve n’étayaient pas la plainte. Il a aussi manqué à son obligation d’accorder aux parties une audience équitable, soit une audience où une partie sait ce qu’on lui reproche et a l’occasion d’y répondre dans un délai raisonnable. Une audience sans discipline ni échéanciers retarde la justice et constitue un déni de justice.

              lois et règlements cités

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].

Déclaration canadienne des droits, L.R.C. (1985), appendice III, art. 2e).

Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, art. 11, 27(2) (mod. par L.C. 1998, ch. 9, art. 20), (3) (mod., idem), 53 (mod., idem, art. 27).

Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 43.

Loi d’interprétation, S.R.C. 1970, ch. I-23, art. 35.

Ordonnance de 1986 sur la parité salariale, DORS/86-1082, art. 1 à 19.

Ordonnances sur l’égalité de rémunération, TR/78-155, art. 1, 2, 3, 4 (mod. par TR/82-2).

              jurisprudence citée

décisions appliquées :

Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226; 2003 CSC 19; Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554; Canada (Procureur général) c. Alliance de la fonction publique du Canada, [2000] 1 C.F. 146 (1re inst.); Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247; 2003 CSC 20; Bell Canada c. Association canadienne des employés de téléphone, [2003] 1 R.C.S. 884; (2003), 257 R.N.-B. (2e) 207; 2003 CSC 36; Benner c. Canada (Secrétaire d’État), [1997] 1 R.C.S. 358; Alliance de la fonction publique du Canada c. Canada (Ministère de la Défense nationale), [1996] 3 C.F. 789 (C.A.); Canada (Commission des droits de la personne) c. Lignes aériennes Canadien International Ltée, [2006] 1 R.C.S. 3; 2006 CSC 1; Commission ontarienne des droits de la personne et O’Malley c. Simpsons‑Sears Ltd. et autres,  [1985] 2 R.C.S. 536; Gee c. Canada (Ministre du Revenu national), 2002 CAF 4.

décision différenciée :

Canada (Procureur général) c. Morgan, [1992] 2 C.F. 401 (C.A.).

décisions examinées :

Gustavson Drilling (1964) Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1977] 1 R.C.S. 271; Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne),  [1987] 1 R.C.S. 1114; Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, [1999] 1 C.F. 113 (C.A.); Zurich Insurance Co. c. Ontario (Commission des droits de la personne), [1992] 2 R.C.S. 321; Klym v. Bell Canada (Ontario & Quebec), no T-09869 (CCDP, 1984).

décisions citées :

Lincoln c. Bay Ferries Ltd., 2004 CAF 204; Morris c. Canada (Forces armées canadiennes), 2005 CAF 154.

                     doctrine citée

Commission canadienne des droits de la personne. « Note d’information sur l’ordonnance proposée — l’égalité de rémunération pour des fonctions équivalentes », La Commission : mars 1985.

Maxwell on the Interpretation of Statutes, 12th ed. by P. St. J. Langan. London: Sweet & Maxwell, 1969.

Sullivan, Ruth. Driedger on the Construction of Statutes, 3rd ed. Toronto: Butterworths, 1994.

Sullivan, Ruth. Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4th ed. Toronto: Butterworths, 2002.

Waddams, S. M. The Law of Damages, looseleaf ed., Toronto: Canada Law Book Inc., 2006.

              DEMANDES de contrôle judiciaire de la décision (2005 TCDP 39) du Tribunal canadien des droits de la personne faisant droit à une plainte de discrimination salariale déposée en 1983 et 1) établissant que Postes Canada violait l’article 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne en rémunérant plus généreusement ses employés du groupe des Opérations postales, qui est à prédominance masculine, que ses employés du groupe Commis aux écritures et règlements, qui est à prédominance féminine, et ce, pour un travail de valeur égale (la demande T-1750-05), et 2) réduisant de 50 p. 100 les dommages-intérêts accordés aux employés du groupe CR, à prédominance féminine (la demande T-1989-05). La demande visée par l’affaire T-1750-05 est accueillie et la demande visée par l’affaire T-1989-05 est rejetée.

                     ont comparu :

Roy L. Heenan, c.r. et Robert W. Grant pour la demanderesse/défenderesse la Société canadienne des postes.

James G. Cameron, David Yazbeck et Kim Patenaude-LePage pour la défenderesse/ demanderesse l’Alliance de la fonction publique du Canada.

Philippe Dufresne et Karen E. Ceilidh Snider pour la défenderesse la Commission canadienne des droits de la personne.

                     avocats inscrits au dossier :

Heenan Blaikie S.E.N.C.R.L., SRL, Ottawa, pour la demanderesse/défenderesse la Société canadienne des postes.

Raven, Cameron, Ballantyne & Yazbeck LLP/s.r.l., Ottawa, pour la défenderesse/demanderesse l’Alliance de la fonction publique du Canada.

Commission canadienne des droits de la personne, Ottawa, pour la défenderesse la Commission canadienne des droits de la personne.

              Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

              Le juge Kelen :

INTRODUCTION

[1]         Il s’agit de deux demandes de contrôle judiciaire d’une décision du Tribunal canadien des droits de la personne [Alliance de la Fonction publique du Canada c. Société canadienne des postes, 2005 TCDP 39] (le Tribunal) faisant droit à une plainte de discrimination salariale déposée en 1983 par certaines employées de Postes Canada. Le Tribunal a conclu que Postes Canada violait l’article 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (la LCDP) en rémunérant plus généreusement ses employés du groupe Opérations postales (PO), lequel est à prédominance masculine, que ses employés du groupe Commis aux écritures et aux règlements (CR), lequel est à prédominance féminine, et ce, pour un travail de valeur égale. L’Alliance de la fonction publique du Canada (AFPC), le syndicat qui représente les employées de sexe féminin, estime qu’avec les intérêts, le montant de l’indemnité exigée de Postes Canada pour remédier à cette discrimination salariale est de 300 millions de dollars.

[2]         La première demande, correspondant au dossier T-1750-05, est la demande de contrôle judiciaire formulée par Postes Canada à l’encontre de la décision faisant droit à la plainte de discrimination salariale contre Postes Canada. La deuxième demande, correspondant au dossier T-1989-05, est la demande de contrôle judiciaire formulée par l’AFPC à l’encontre de la décision de réduire de 50 p. 100 les dommages-intérêts accordés aux employés du groupe CR, à prédominance féminine.

TABLE DES MATIÈRES

Paragraphe

I. LES FAITS...................................................................... 3

A) La plainte................................................................. 3

B) Aperçu des procédures................................... 5

C) Enquête de la Commission au sujet de la

     plainte........................................................................ 6

D) L’audience du Tribunal — 1992-2003..... 20

E) La décision attaquée..................................... 26

II. QUESTIONS EN LITIGE.......................................... 36

III. LOIS ET RÈGLEMENTS PERTINENTS............. 37

IV. NORMES DE CONTRÔLE..................................... 38

V. ANALYSE.................................................................... 48

      1re question : Le Tribunal a-t-il erré en appliquant rétroactivement l’OPS de 1986 de la Commission à une plainte déposée en 1983, plutôt que l’ordonnance qui était encore en vigueur au moment de la plainte ?                 48

      2e question : Le Tribunal a-t-il erré en appliquant une norme de preuve incorrecte que le Tribunal aurait inventée?                    106

      3e question : Le Tribunal a-t-il erré en concluant que le groupe PO était un groupe de comparaison approprié au regard de cette plainte?...................................................................................................................................         166

      4e question : Le Tribunal a-t-il erré en statuant que dès lors qu’une disparité salariale relative à des fonctions équivalentes est établie, l’article 11 de la LCDP pose une présomption légale de discrimination fondée sur le sexe qui peut seulement être réfutée par un des motifs énumérés à l’article 16 de l’OPS de 1986?.................         212

      5e question : Le Tribunal a-t-il erré en concluant que les dommages- intérêts pouvaient être réduits de 50 p. 100 pour tenir compte de certains éléments d’incertitude touchant les renseignements sur les emplois et les formes de rémunération non salariale?........................................................................................................................         233

      DURÉE DE L’AUDIENCE........................................ 256

VI.  CONCLUSION.......................................................... 267

VII. DÉPENS.................................................................... 276

I. LES FAITS

A) La plainte

[3]         Les procédures dans cette affaire ont été à la fois longues et complexes. Le 24 août 1983, l’AFPC a déposé une plainte à la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission), dans laquelle elle alléguait que Postes Canada avait violé l’article 11 de la LCDP en rémunérant plus généreusement ses employés du groupe PO, à prédominance masculine, que ses employés du groupe CR, à prédominance féminine. La plainte contenait l’allégation suivante :

[traduction] […] la Société canadienne des postes, à titre d’employeur, a contrevenu à l’article 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne en rémunérant plus généreusement les employés du Groupe des opérations postales, lequel est à prédominance masculine, que les employés du Groupe commis aux écritures et règlements, lequel est à prédominance féminine, et ce, pour un travail de valeur égale. Les taux de rémunération du Groupe des opérations postales, à prédominance masculine, peuvent être jusqu’à 58,9 p. 100 plus élevés que ceux du Groupe commis aux écritures et règlements, à prédominance féminine, et ce, pour un travail de valeur égale. Il est allégué que la composition des deux groupes quant au sexe a occasionné de la discrimination sur le plan salarial contre le Groupe commis aux écritures et règlements, et ce, en contravention de l’article 11.

[4]         À titre de mesure de redressement relativement à cette discrimination alléguée, l’AFPC exigeait que tous les employés compris dans le groupe CR reçoivent des salaires égaux à ceux des employés du groupe PO, avec intérêts, et que cette mesure de redressement soit applicable rétroactivement depuis le 16 octobre 1981, soit la date à laquelle Postes Canada avait été établie en tant que société d’État. À l’audience, les parties ont convenu que les dates pertinentes aux fins de la détermination de l’indemnité allaient du 24 août 1982, soit un an avant la plainte, jusqu’au 2 juin 2002.

B) Aperçu des procédures

[5]         Voici un aperçu des différentes étapes de cette longue affaire :

1) 24 août 1983 — l’AFPC dépose sa plainte auprès de la Commission;

2) 1984-1991 — La Commission mène une enquête au sujet de la plainte de l’AFPC en recueillant des renseignements pertinents au sujet des postes et en réalisant des évaluations de postes;

3) 24 janvier 1992 — La Commission publie son « Rapport d’enquête final » et recommande que la plainte soit renvoyée au Tribunal pour être instruite;

4) 25 novembre 1992 au 27 août 2003 — Le Tribunal instruit la plainte au cours de 415 jours d’audition;

5) 7 octobre 2005 — le Tribunal publie sa décision de 273 pages.

C) Enquête de la Commission au sujet de la plainte

Introduction

[6]           L’enquête de la Commission au sujet de la plainte de l’AFPC a duré huit ans, entre 1984 et 1992. Comme l’affirme le Tribunal, au paragraphe 5 de sa décision, les plaintes déposées en vertu de l’article 11 de la LCDP confèrent à la Commission le pouvoir de recueillir des « données pertinentes quant à un poste » :

              Dans le cas d’une plainte déposée en vertu de l’article 11 de la Loi [LCDP], le pouvoir de la Commission de conduire son enquête comprend le pouvoir de recueillir des données pertinentes quant à un poste. La Commission peut demander des renseignements à l’intimé comme des listes d’employés, des descriptions de poste et des données relatives à un poste, notamment des commentaires de la part du personnel de supervision et de la part du personnel de gestion ainsi que des entrevues réalisées auprès d’employés. Elle peut même demander à se rendre sur place et procéder à des observations.

[7]         En rapport avec la plainte de 1983 de l’AFPC, la Commission espérait pouvoir se servir d’un système d’évaluation des postes élaboré conjointement par l’AFPC et Postes Canada. Le système d’évaluation, appelé « System One », était « destiné à être utilisé par les employés représentés par les unités de négociation de l’Alliance dans l’ensemble de Postes Canada » : décision du Tribunal, au paragraphe 367. La Commission a cependant renoncé à employer System One après que l’élaboration de ce système eut été retardée par des divergences d’opinions entre les parties. L’AFPC s’est par la suite retirée de l’élaboration du système, et les parties ont fini par conclure que System One n’était pas un système d’évaluation approprié parce qu’il ne pouvait pas être employé pour évaluer le groupe de comparaison PO, qui était représenté par d’autres unités de négociation.

[8]         En conséquence, en octobre 1985, la Commission a commencé à élaborer une « Feuille de données sur l’emploi », un questionnaire qu’elle comptait employer pour recueillir des données actuelles concernant tant les postes représentés par la plaignante que les postes de comparaison. Une fois compilées, ces données serviraient de fondement aux évaluations subséquentes de la Commission.

Collecte de renseignements sur les emplois du groupe CR par la Commission en 1986

[9]         Les principales sources de renseignements relatifs aux postes que la Commission comptait employer pour évaluer les postes du groupe CR se composaient de listes successives d’employés fournies par Postes Canada et de la « Feuille de données sur l’emploi » de la Commission, qui devait être remplie par un échantillonnage d’employés provenant de ces listes.

[10]       La Commission a opté pour un échantillonnage au hasard d’employés du groupe CR parce qu’elle croyait qu’« un recensement complet de la population totale des CR, laquelle comptait environ 2 300 titulaires de postes CR, serait irréalisable en termes de temps et d’argent » : décision du Tribunal, au paragraphe 369. L’échantillon qu’envisageait la Commission au départ se composait de 355 postes du groupe CR. Au cours de l’été 1986, la Commission a reçu 194 « Feuilles de données sur l’emploi » remplies en entier et utilisables d’employés du groupe CR, et ces questionnaires remplis devaient constituer le fondement de l’évaluation du groupe CR par la Commission.

[11]       En même temps, la Commission a aussi élaboré un « Guide d’entrevue » qui visait à « orienter l’enquêteur de la Commission durant les entrevues de suivi qui devaient être effectuées auprès des titulaires de postes afin de clarifier les réponses données sur les Feuilles de données sur l’emploi » : décision du Tribunal, au paragraphe 370. En décembre 1986, la Commission avait effectué toutes les entrevues.

[12]       D’avril à septembre 1987, le personnel de la Commission a évalué l’échantillon de 194 postes du groupe CR au moyen des données recueillies en 1986. Cependant, comme le Tribunal l’explique, au paragraphe 17 de sa décision, ces évaluations ont par la suite été mises de côté et n’ont pas été employées dans le cadre du processus d’enquête final.

Collecte de renseignements sur les postes du groupe PO par la Commission en 1991

[13]       Au départ, la Commission avait prévu employer la même « Feuille de données sur l’emploi » et le même « Guide d’entrevue » employés relativement au groupe CR pour recueillir et analyser des renseignements sur l’emploi relatifs au groupe de comparaison PO. Cependant, la collecte de renseignements sur l’emploi relativement aux postes du groupe PO s’est avérée extrêmement difficile pour plusieurs raisons. Comme le Tribunal l’a expliqué, au paragraphe 18 :

              Il en a résulté, entre la fin de 1987 et le milieu de 1991, une longue correspondance ainsi que des réunions et des discussions prolongées entre la Commission et Postes Canada concernant l’échantillonnage du groupe de comparaison PO et la cueillette de données sur l’emploi auprès de ce même groupe. La Commission n’a pas réussi à obtenir la coopération des syndicats compétents du groupe de comparaison pour recueillir ces renseignements. Toutefois, Postes Canada a émis des doutes quant à la taille de l’échantillon envisagé des postes de comparaison PO et a refusé que les employés PO remplissent la Feuille de données sur l’emploi durant les heures de travail.

[14]       Compte tenu de son incapacité à s’entendre avec Postes Canada sur la taille des échantillons et sur les instruments de collecte de données quant aux postes du groupe de comparaison PO, la Commission a décidé en 1991 de fonder son évaluation du groupe PO sur 10 emplois « génériques » PO, qui ne comprenaient aucun poste réel, mais « représentaient les dix fonctions les plus homogènes effectuées par les titulaires d’emplois PO » : décision du Tribunal, au paragraphe 375. Une bonne part des renseignements qui avaient été employés pour créer les 10 emplois « génériques » PO étaient tirés des « particularités de l’emploi » que Postes Canada avait fournies à la Commission.

[15]       En créant les 10 emplois « génériques » PO, la Commission a laissé tombé les superviseurs PO parce qu’elle croyait qu’il serait difficile de faire cadrer bon nombre des postes de supervision avec les descriptions de l’emploi « sans un échantillonnage de titulaires de poste et sans l’utilisation d’une Feuille de données sur l’emploi » : décision du Tribunal, au paragraphe 376. Cette décision a entraîné une incompatibilité entre les 10 emplois « génériques » PO et l’échantillon CR, qui comprenait les superviseurs au niveau CR-5.

Évaluation par la Commission en 1991 des renseignements recueillis au sujet des emplois

[16]       En septembre 1991, on a demandé à l’agent responsable de l’enquête de la Commission de réduire l’échantillon initial de 194 postes du groupe CR à un nombre plus facile à gérer afin d’accélérer le processus d’évaluation. Après avoir étudié la situation, le nombre de postes du groupe CR a été ramené à 93, et ceci est devenu le nouvel échantillon que la Commission a employé dans ses évaluations de 1991.

[17]       La Commission a évalué les renseignements sur l’emploi relatifs aux 93 postes du groupe CR et aux 10 emplois « génériques » PO au moyen du plan d’évaluation des emplois Hay XYZ, lequel est disponible sur le marché (le plan Hay). Le plan Hay est reconnu comme outil d’évaluation et de comparaison d’emplois aux fins d’analyses relatives à l’équité salariale comme celles entreprises par la Commission. Pour son évaluation des 93 postes du groupe CR, la Commission s’est fiée aux renseignements recueillis au moyen des « Fiches de renseignement sur l’emploi » en 1986, de même qu’aux résultats d’entrevues, aux descriptions d’emploi et aux organigrammes. Pour ce qui concerne les 10 emplois « génériques » PO, la Commission s’est fiée aux particularités de l’emploi compilées à partir de renseignements fournis par Postes Canada en 1990 et en 1991, ainsi qu’à des descriptions de l’emploi et des profils d’emploi.

[18]       La Commission a terminé ses évaluations des postes en novembre 1991. Le 16 décembre 1991, la Commission a publié une ébauche de « Rapport d’enquête », et elle a demandé aux parties de présenter toute observation au sujet de l’ébauche au plus tard le 6 janvier 1992. Les deux parties ont présenté des observations à la fin de janvier 1992, mais aucune de ces observations n’a été incluse dans le « Rapport final d’enquête de la Commission », daté du 24 janvier 1992.

Conclusion de la Commission et renvoi par la Commission au Tribunal en 1992

[19]       Dans son « Rapport final d’enquête », la Commission a conclu qu’il y avait une « différence salariale démontrable lorsque l’on compare les salaires et les valeurs des emplois dans les groupes à prédominance masculine et féminine nommés par la plaignante » et a recommandé que la plainte soit renvoyée au Tribunal pour être instruite. Après avoir examiné cette recommandation, et eu égard à l’ensemble des circonstances entourant la plainte, le 16 mars 1992, les commissaires ont renvoyé la plainte au Tribunal, qui allait assigner l’affaire à une formation spécifique pour instruction. Le 1er mai 1992, une formation a été constituée et, le 25 novembre 1992, le tribunal a commencé ses audiences qui allaient durer plus d’une décennie, jusqu’au 27 août 2003.

D) L’audience du Tribunal — 1992-2003

[20]    Après que le Tribunal eut commencé à recevoir des éléments de preuve à la fin de 1992, l’AFPC a embauché une équipe d’évaluateurs professionnels d’emplois (l’équipe professionnelle) afin de « faire un examen spécialisé des évaluations réalisées en 1991 par la Commission […] et afin de faire des évaluations indépendantes » : décision du Tribunal, au paragraphe 382. L’équipe professionnelle était composée de trois personnes : le Dr Bernard Ingster; Mme Judith Davidson-Palmer; et le Dr Martin G. Wolf, qui était le porte-parole du groupe, et que le Tribunal a qualifié d’expert du processus Hay en matière d’évaluation des emplois et du processus Hay en matière de rémunération. L’AFPC a demandé à l’équipe professionnelle d’« appliquer la méthode Hay quant à la nature du travail, et ce, conformément aux “meilleures pratiques” des experts-conseils de niveau supérieur de Hay, lesquels sont considérés comme étant des experts quant à l’utilisation du processus » : décision du Tribunal, au paragraphe 384 [note de bas de page omise].

[21]       En bout de ligne, lorsqu’il est devenu évident que les renseignements relatifs aux emplois et les évaluations d’emplois de 1991 de la Commission présentaient de graves lacunes ou, pour reprendre l’expression du Dr Wolf, étaient « abominables », l’AFPC s’est fondée sur les évaluations de l’équipe professionnelle pour tenter d’étayer la plainte.

[22]       L’analyse de l’équipe professionnelle a été réalisée en deux phases. Au cours de la première, de mai à juin 1993, l’équipe professionnelle a réévalué les 93 postes du groupe CR et les 10 emplois « génériques » PO qui constituaient le fondement du « Rapport final d’enquête » de la Commission. Au cours de la deuxième phase, en novembre et décembre 1994, l’équipe professionnelle a évalué 101 postes CR supplémentaires, ce chiffre représentant « le solde restant de l’échantillon initial de 1987 de la Commission, lequel était composé de 194 postes » : décision du Tribunal, au paragraphe 385.

[23]       Au cours de la phase 1 de son enquête, l’équipe professionnelle a effectué des entrevues téléphoniques avec plusieurs employés de l’échantillon du groupe CR de 1986 de la Commission. L’un des buts principaux visés par ces entrevues téléphoniques était d’obtenir des renseignements additionnels sur l’environnement de travail du poste occupé par chacune des personnes interrogées, parce que, de l’avis de l’équipe, « le facteur des conditions de travail était l’aspect le moins bien documenté dans la Feuille de données sur l’emploi de 1986 ainsi que dans d’autres documents dont disposait l’Équipe » : décision du Tribunal, au paragraphe 390. L’équipe professionnelle a ensuite évalué les résultats des entrevues et d’autres renseignements relatifs aux postes CR et PO en mai et juin 1993.

[24]       Au cours de la phase 2 de son enquête, l’équipe professionnelle a effectué d’autres entrevues téléphoniques pour tenter d’obtenir des renseignements additionnels concernant le reste des postes CR de l’échantillon initial de 1986 de la Commission. Des évaluations de ces postes CR restants ont été réalisées en novembre et décembre 1994.

[25]       Dans son rapport final, l’équipe professionnelle a conclu qu’il existait un écart salarial important entre les employés du groupe CR à prédominance féminine et les employés du groupe PO à prédominance masculine, pour un travail de valeur égale. Le Dr Wolf a affirmé dans son témoignage devant le Tribunal que malgré de nombreuses lacunes dans les renseignements disponibles sur les emplois, il croyait que les renseignements étaient « adéquats », et il estimait que la méthode employée par l’équipe professionnelle était fiable et que les résultats de ses évaluations étaient valides.

E) La décision attaquée

[26]       Le 7 octobre 2005, environ 27 mois après la clôture de l’audience, le Tribunal a publié sa décision de 273 pages. Au cours de l’audience, qui s’est étalée sur près de 11 ans et a pris 415 journées d’audience, le Tribunal a entendu des témoignages de témoins experts et ordinaires, et a reçu plus de 1 000 pièces, dont des rapports d’experts, des vidéos, des manuels de formation et des éléments de preuve matérielle. La transcription de l’audience fait plus de 46 000 pages. Il convient également de noter que la décision a été rendue par deux membres de la formation seulement, puisque le président du Tribunal, Benjamin Shecter, a démissionné en juin 2004, après la clôture de l’audience.

[27]       Dans sa décision, le Tribunal a formulé cinq conclusions qui sont pertinentes au regard des présentes demandes.

1r  e   conclusion : Application rétroactive de l’ordonnance sur la parité salariale

[28]       Le Tribunal a statué que les lignes directrices sur la parité salariale qui s’appliquaient à la plainte de l’AFPC étaient celles de l’Ordonnance de 1986 sur la parité salariale, DORS/86-1082 (l’OPS de 1986), malgré le fait que la plainte initiale avait été déposée en 1983, trois ans avant l’entrée en vigueur de l’OPS de 1986. Bien que toutes les parties aient convenu que l’OPS de 1986 ne pouvait pas s’appliquer rétroactivement, le Tribunal a conclu que son application dépendait de la nature de la situation factuelle dont il était saisi. En l’espèce, et en s’appuyant sur l’ouvrage du professeur Ruth Sullivan dans Driedger on the Construction of Statutes, 3e éd. (Toronto : Butterworths, 1994), le Tribunal a statué qu’étant donné que les faits qui lui étaient présentés étaient de nature « continue », l’OPS de 1986 s’appliquait à la plainte, et son application n’était pas rétroactive.

2 e  conclusion : Norme de preuve quant à la fiabilité des éléments de preuve de l’AFPC et de la Commission

[29]       Le Tribunal a statué qu’un des éléments à prouver pour établir qu’il y avait discrimination salariale systémique consistait à démontrer que le groupe professionnel de la plaignante et le groupe professionnel de comparaison exécutaient des fonctions équivalentes. Le Tribunal a affirmé que tel serait le cas uniquement si le travail avait été « évalu[é] de façon fiable sur le fondement du dosage de qualifications, d’efforts et de responsabilités nécessaire pour leur exécution, compte tenu des conditions de travail » : décision du Tribunal, au paragraphe 257, no 3. En outre, le Tribunal a statué, au paragraphe 69, que la preuve relative à la valeur du travail devait satisfaire à la norme civile de preuve, soit la prépondérance des probabilités.

[30]       Pour en arriver à sa décision, le Tribunal a évalué la fiabilité du système d’évaluation des emplois utilisé, la méthode suivie et les renseignements sur l’emploi et les sources sur lesquels les évaluations se fondaient. Malgré de nombreux problèmes relevés quant à la fiabilité de chacun des « faits importants » susmentionnés, le Tribunal est parvenu aux conclusions suivantes :

1)  selon la prépondérance des probabilités, le plan Hay, utilisé par l’équipe professionnelle pour réaliser ses évaluations, était une méthode « acceptable » qui « permettra[it] de traiter les questions soulevées dans la présente plainte en matière de “parité salariale” d’une manière raisonnablement fiable » : décision du Tribunal, au paragraphe 571;

2) « selon toute vraisemblance », le processus d’évaluation que l’équipe professionnelle avait utilisé était « raisonnablement fiable » : décision du Tribunal, au paragraphe 593;

3) les renseignements sur les emplois utilisés par l’équipe professionnelle « étaient raisonnablement fiables, bien que situés au niveau de la “sous-fourchette inférieure de la fiabilité raisonnable” » : décision du Tribunal, au paragraphe 700.

[31]       Postes Canada soutient que les conclusions du Tribunal dénaturent la norme civile de preuve en [traduction] « inventant et en appliquant une norme inédite de “sous-fourchettes inférieures de la fiabilité raisonnable” ». Postes Canada soutient aussi que le Tribunal a élaboré cette norme pour pouvoir conclure à sa responsabilité malgré une preuve qu’elle a reconnue comme lacunaire, et plutôt que de conclure que la preuve de discrimination n’avait pas été faite, le Tribunal a cherché à tenir compte de ces lacunes en réduisant les dommages-intérêts de 50 p. 100; une question que soulève l’AFPC dans sa demande de contrôle judiciaire dans le dossier T-1989-05.

3 e  conclusion : Caractère approprié du groupe professionnel de comparaison

[32]       En s’appuyant sur la définition de la prédominance de tel ou tel sexe dans l’OPS de 1986, le Tribunal a conclu que le groupe CR était à prédominance féminine et que le groupe PO était à prédominance masculine, et il a accepté le choix de groupes de comparaison fait par l’AFPC.

4 e  conclusion : Présomption légale de discrimination fondée sur le sexe

[33]       Le Tribunal a statué que l’article 11 de la LCDP créait une présomption selon laquelle un écart salarial est causé par une discrimination systémique fondée sur le sexe, et que cette présomption peut seulement être réfutée par un des facteurs de la liste exhaustive figurant à l’article 16 de l’OPS de 1986. Postes Canada soutient que même si une telle présomption existe, les facteurs que l’employeur peut invoquer pour réfuter cette présomption ne devraient pas se limiter à ceux énumérés dans l’OPS de 1986.

5 e  conclusion : Réduction des dommages-intérêts par le Tribunal

[34]       Enfin, bien qu’il eut conclu que les éléments de preuve présentés par l’AFPC et la Commission étaient suffisants pour établir le bien-fondé de la plainte de discrimination, le Tribunal a estimé que les dommages-intérêts devraient être réduits de 50 p. 100 pour tenir compte de divers « éléments d’incertitude » à la fois dans les renseignements sur les emplois utilisés par la Commission et par l’équipe professionnelle et dans les formes de rémunération non salariale. Comme l’a affirmé le Tribunal, au paragraphe 944 :

              Reconnaissant ces éléments d’incertitude dans l’état des renseignements sur l’emploi et dans les documents sur les formes de rémunération indirecte, le Tribunal conclut qu’il ne peut pas accepter, en totalité, l’écart de rémunération établie par l’Alliance et endossée par la Commission.

[35]       En conséquence, le Tribunal a conclu, au paragraphe 949 que :

[…] la proposition définitive d’adjudication au titre de la perte de salaire pour chaque employé CR admissible […] devrait être réduite de 50 p. 100 en conformité avec l’état de « fiabilité raisonnable inférieure » des renseignements sur l’emploi pertinents et des formes de rémunération indirecte.

II. QUESTIONS EN LITIGE

[36]       Comme indiqué ci-dessus, il y a cinq questions en litige à examiner dans les présentes demandes :

1) le Tribunal a-t-il erré en appliquant rétroactivement l’OPS de 1986 de la Commission à une plainte déposée en 1983, plutôt que l’ordonnance qui était en vigueur à l’époque;

2) le Tribunal a-t-il erré en appliquant une norme de preuve incorrecte que le Tribunal aurait inventée;

3) le Tribunal a-t-il erré en concluant que le groupe PO était un groupe de comparaison approprié au regard de cette plainte;

4) le Tribunal a-t-il erré en statuant que dès lors qu’une disparité salariale relative à des fonctions équivalentes est établie, l’article 11 de la LCDP pose une présomption légale de discrimination fondée sur le sexe qui peut seulement être réfutée par un des motifs énumérés à l’article 16 de l’OPS de 1986;

5) le Tribunal a-t-il erré en concluant que les dommages-intérêts pouvaient être réduits de 50 p. 100 pour tenir compte de certains éléments d’incertitude touchant les renseignements sur les emplois et les formes de rémunération non salariale.

III. LOIS ET RÈGLEMENTS PERTINENTS

[37]       Les lois et règlements pertinents au regard des présentes demandes sont la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (LCDP), les Ordonnances sur l’égalité de rémunération, TR/78-155 (les OER de 1978) et l’Ordonnance de 1986 sur la parité salariale, DORS/86-1082 (l’OPS de 1986). Les dispositions pertinentes ont été jointes à la fin du présent jugement à l’annexe A .

IV. NORMES DE CONTRÔLE

[38]       Dans Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, la Cour suprême a affirmé la primauté de la méthode pragmatique et fonctionnelle pour déterminer la norme de contrôle appropriée. La Cour a statué que la norme appropriée était déterminée au moyen d’une analyse de quatre facteurs, à savoir :

1) la présence ou l’absence dans la loi d’une clause privative ou d’un droit d’appel;

2) l’expertise du tribunal relativement à celle de la cour de révision sur la question en litige;

3) l’objet de la loi et de la disposition particulière;

4) la nature de la question — c.-à-d. de droit, de fait ou mixte de fait et de droit.

[39]       Pour ce qui concerne le premier facteur, la LCDP ne comporte pas de clause privative et ne prévoit pas de droit d’appel. Ce facteur est donc traité comme neutre, c’est-à-dire qu’il n’appelle ni une plus grande ni une moins grande retenue à l’égard de la décision du Tribunal.

[40]       Pour ce qui concerne le deuxième facteur (l’expertise du Tribunal), le juge La Forest de la Cour suprême, dans des motifs concordants dans Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554, a fait l’affirmation suivante à la page 585 :

[…] L’expertise supérieure d’un tribunal des droits de la personne porte sur l’appréciation des faits et sur les décisions dans un contexte de droits de la personne. Cette expertise ne s’étend pas aux questions générales de droit comme celle qui est soulevée en l’espèce. Ces questions relèvent de la compétence des cours de justice et font appel à des concepts d’interprétation des lois et à un raisonnement juridique général, qui sont censés relever de la compétence des cours de justice.  Ces dernières ne peuvent renoncer à ce rôle en faveur du tribunal administratif.

[41]       Dans Canada (Procureur général) c. Alliance de la fonction publique du Canada, [2000] 1 C.F. 146 (1re inst.) (AFPC), le juge Evans a aussi reconnu l’« expertise importante » du Tribunal quant à ses conclusions de fait, affirmant au paragraphe 86 :

              Ces observations s’appliquent naturellement aux membres du tribunal dont la décision fait l’objet de la demande de contrôle en l’espèce. Je souligne toutefois que le tribunal a tenu au-delà de 250 jours d’audience, dont plusieurs ressemblaient à des séminaires de formation dirigés par les témoins experts au bénéfice des parties et du tribunal, et qu’il a étudié plusieurs volumes de preuves documentaires et a vécu avec la présente affaire pendant sept ans. On peut raisonnablement en conclure que les membres du tribunal avaient vraisemblablement une meilleure compréhension des problèmes liés à la mise en pratique du principe de l’équité salariale dans la fonction publique fédérale que celle qu’un juge pourrait probablement acquérir, même au fil d’une audience de huit jours et demi sur une demande de contrôle judiciaire.

En conséquence, la Cour fera preuve d’une retenue considérable à l’égard des conclusions de fait du Tribunal.

[42]       Le troisième facteur, soit la nature de la loi et des dispositions en cause, porte aussi à croire qu’il y a lieu de faire preuve de retenue à l’égard de la décision du Tribunal. Le juge Evans a clairement indiqué dans AFPC, précité, au paragraphe 53, que la LCDP est une loi quasi constitutionnelle dont les dispositions « doivent être interprétées de façon large et libérale de manière à favoriser leurs objets sous-jacents. » En outre, l’interprétation de l’article 11 de la LCDP, en particulier, qui établit le principe de l’équité salariale sans traiter de sa mise en œuvre, laisse « beaucoup de latitude à la Commission et au Tribunal » pour décider de la manière dont le principe doit être mis en pratique dans un contexte d’emploi : AFPC, au paragraphe 76. Comme le juge Evans l’a affirmé, aux paragraphes 83 et 84 dans AFPC :

              Pour revenir à l’article 11, je ne peux pas conclure qu’en édictant le principe de l’égalité de rémunération pour fonctions équivalentes, le Parlement avait l’intention d’établir de ce fait un cadre définitionnel si précis que son application dans tout contexte donné plonge inévitablement le tribunal dans des questions d’interprétation de la loi et, par conséquent, dans des questions de droit, qui sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire.

              Le fait que la mise en œuvre d’une disposition législative fasse appel à une série de connaissances techniques beaucoup plus étendues que celles que possèdent les cours de justice constitue une indication claire qu’elle comporte plus que des questions de droit de portée générale, qu’un raisonnement juridique et que des valeurs quasi constitutionnelles.

[43]       Le quatrième facteur est la nature de la question ou des questions dont la Cour est saisie. La Cour d’appel fédérale a conclu ce qui suit relativement aux différentes questions tranchées par un tribunal en vertu de la LCDP : à l’égard des questions de droit, il n’y a lieu de faire preuve d’aucune retenue; à l’égard des questions de fait, il y a lieu de faire preuve d’une grande retenue; et à l’égard des questions mixtes de droit et de fait, il y a lieu de faire preuve d’une certaine retenue : Lincoln c. Bay Ferries Ltd., 2004 CAF 204; Morris c. Canada (Forces armées canadiennes), 2005 CAF 154.

[44]    En l’espèce, la première question est une question mixte de fait et de droit, puisque le Tribunal doit qualifier la situation factuelle particulière et ensuite appliquer l’ordonnance appropriée à la situation. La deuxième question est aussi une question mixte de fait et de droit, puisque la Cour doit déterminer, eu égard aux faits, si le Tribunal a appliqué la bonne norme de preuve aux éléments de preuve pertinents pour déterminer si l’on avait prouvé à première vue qu’il y avait discrimination. La troisième question est une question mixte de fait et de droit puisque le Tribunal doit examiner les éléments de preuve qui lui ont été présentés en appliquant les principes relatifs au choix d’un groupe de comparaison qui sont énoncés dans l’ordonnance applicable. La quatrième question en est une d’interprétation des lois, et il s’agit clairement d’une question de droit. La cinquième et dernière question est une question mixte de droit et de fait, puisque la LCDP confère un vaste pouvoir discrétionnaire au Tribunal relativement aux dommages-intérêts, et puisqu’une telle adjudication dépend dans une large mesure des faits de l’espèce. Cependant, la décision du Tribunal comporte un élément juridique, puisque le Tribunal doit interpréter et appliquer la norme juridique de preuve à la responsabilité avant d’évaluer les dommages.

[45]       En suivant la méthode pragmatique et fonctionnelle dictée par la Cour suprême dans Dr Q, précité, je conclus que :

1) la question de savoir si le Tribunal a erré en appliquant rétroactivement l’OPS de 1986 de la Commission à une plainte déposée en 1983 sera examinée selon la norme de la décision raisonnable simpliciter;

2) la question de savoir si le Tribunal a erré en appliquant une norme de preuve incorrecte sera examinée selon la norme de la décision raisonnable simpliciter. Cependant, les conclusions de fait du Tribunal relativement à cette question seront écartées seulement si elles sont manifestement déraisonnables;

3) la question de savoir si le Tribunal a erré en concluant que le groupe PO pouvait constituer un groupe de comparaison approprié sera examinée selon le critère de la décision raisonnable simpliciter;

4) la question de savoir si le Tribunal a erré en statuant que, dès lors qu’une disparité salariale est établie, l’article 11 de la LCDP pose une présomption de discrimination fondée sur le sexe qui peut seulement être réfutée par un des motifs énumérés à l’article 16 de l’OPS de 1986 sera examinée selon la norme de la décision correcte;

5) la question de savoir si le Tribunal a erré en réduisant de 50 p. 100 les dommages-intérêts accordés pour tenir compte d’éléments d’incertitude touchant les éléments de preuve sera examinée selon la norme du caractère raisonnable simpliciter.

[46]       Dans Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, la Cour suprême a interprété les normes du caractère raisonnable simpliciter et du caractère manifestement déraisonnable. Le juge Iaccobucci, s’exprimant au nom de la Cour aux paragraphes 48 et 49, a affirmé qu’en vertu de la norme du caractère raisonnable simpliciter, une cour de révision devait confirmer une décision administrative si les motifs étayaient adéquatement la conclusion finale :

              Lorsque l’analyse pragmatique et fonctionnelle mène à la conclusion que la norme appropriée est la décision raisonnable simpliciter, la cour ne doit pas intervenir à moins que la partie qui demande le contrôle ait démontré que la décision est déraisonnable (voir Southam, [[1997] 1 R.C.S. 748], par. 61).  Dans Southam, par. 56, la Cour décrit de la manière suivante la norme de la décision raisonnable simpliciter :

              Est déraisonnable la décision qui, dans l’ensemble, n’est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé. En conséquence, la cour qui contrôle une conclusion en regard de la norme de la décision raisonnable doit se demander s’il existe quelque motif étayant cette conclusion. […]

              Cela indique que la norme de la décision raisonnable exige que la cour siégeant en contrôle judiciaire reste près des motifs donnés par le tribunal et « se demande » si l’un ou l’autre de ces motifs étaye convenablement la décision.  La déférence judiciaire demande non pas la soumission mais une attention respectueuse à ces motifs.[…] [Souligné dans l’original.]

[47]       La norme du caractère manifestement déraisonnable exige cependant que la cour de révision fasse preuve d’une retenue encore plus grande. Comme l’a affirmé le juge Iaccobucci, au paragraphe 52 dans Ryan :

                La norme de la décision raisonnable simpliciter est aussi très différente de la norme de la décision manifestement déraisonnable qui exige une déférence plus grande.  Dans Southam, précité, par. 57, la Cour explique que la différence entre une décision déraisonnable et une décision manifestement déraisonnable réside « dans le caractère flagrant ou évident du défaut ».  Autrement dit, dès qu’un défaut manifestement déraisonnable a été relevé, il peut être expliqué simplement et facilement, de façon à écarter toute possibilité réelle de douter que la décision est viciée.  La décision manifestement déraisonnable a été décrite comme étant « clairement irrationnelle » ou « de toute évidence non conforme à la raison » […] Une décision qui est manifestement déraisonnable est à ce point viciée qu’aucun degré de déférence judiciaire ne peut justifier de la maintenir.

V. ANALYSE

1r e   question : Le Tribunal a-t-il erré en appliquant rétroactivement l’OPS de 1986 de la Commission à une plainte déposée en 1983, plutôt que l’ordonnance qui était encore en vigueur au moment de la plainte?

Index relatif à la 1 r       e   question

Sujet                                                               No de paragraphe

Décision du Tribunal                                                             55

Position de Postes Canada                                                     63

Position de l’AFPC                                                               75

Position de la Commission                                                    85

Conclusion de la Cour                                                           89

Les ordonnances

[48]       La LCDP a été proclamée en vigueur le 1er mars 1978. L’article 11 de la LCDP énonce les principes généraux concernant la pratique discriminatoire consistant à payer des salaires différents aux employés de sexe masculin et de sexe féminin qui exécutent des fonctions équivalentes. Le paragraphe 27(2) [mod. par L.C. 1998, ch. 9, art. 20] confère à la Commission le pouvoir de prendre des ordonnances aux fins de l’application de la LCDP.

[49]       Les OER de 1978 étaient l’ensemble initial de lignes directrices édictées par la Commission en vertu de la LCDP. Les OER de 1978 définissent les quatre critères du paragraphe 11(2) de la LCDP pour évaluer des fonctions (qualifications, efforts, responsabilités, conditions de travail), et les facteurs « raisonnables » justifiant le paiement de salaires différents à des employés de sexe masculin et féminin.

[50]       Le 18 novembre 1986, la Commission a pris l’OPS de 1986. Comme l’indique la Note explicative accompagnant sa publication, celle-ci visait à :

              […] préciser

              a) les modalités d’application de l’article 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne;

              b) les facteurs reconnus raisonnables pour justifier la disparité salariale entre les hommes et les femmes qui exécutent, dans le même établissement, des fonctions équivalentes.

[51]       L’OPS de 1986 est plus étoffée que celle de 1978. Entre autres ajouts, l’OPS de 1986 :

1) augmente le nombre de facteurs raisonnables qui justifient le paiement de salaires différents aux hommes et aux femmes en vertu du paragraphe 11(3) de la LCDP (énoncés à l’article 16 de l’OPS de 1986);

2) précise quand des employés travaillent dans un même établissement pour l’application de l’article 11 (article 10 [de l’OPS de 1986]);

3) prévoit expressément le recours à des groupes de comparaison indirecte pour évaluer l’équivalence des fonctions lorsqu’aucun groupe de comparaison directe n’est disponible (article 15 [de l’OPS de 1986]);

4) indique à quelles conditions la méthode d’évaluation de l’employeur peut être utilisée (article 9 [de l’OPS de 1986]);

5) énonce des critères pour déterminer si un groupe de comparaison est à prédominance masculine ou féminine en fonction d’une échelle graduée de prédominance (articles 13 et 14 [de l’OPS de 1986]).

[52]       La plainte en l’espèce a été déposée par l’AFPC le 24 août 1983. Le Tribunal a statué que l’ordonnance applicable était l’OPS de 1986. Au paragraphe 167 de sa décision, le Tribunal a affirmé :

              Par conséquent, le Tribunal conclut que l’OPS de 1986 est applicable aux questions qui doivent être tranchées dans la plainte actuelle. La question de la rétroactivité de cette ordonnance ne s’applique pas à la présente plainte, laquelle a été déposée en vertu de l’article 11 de la Loi [LCDP]. Les faits impliqués sont des faits en cours ou continus et, à ce titre, ne soulèvent aucune préoccupation quant à la rétroactivité. De plus, le Tribunal estime qu’il n’y a aucune violation des droits acquis de Postes Canada en raison du caractère applicable de l’OPS de 1986.

Les parties conviennent qu’il ne peut pas y avoir d’application rétroactive de l’Ordonnance

[53]       Les principes juridiques concernant la présomption de non-rétroactivité ne sont pas contestés. Le Tribunal et les parties conviennent que l’OPS de 1986 est assimilable à un règlement : voir l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Bell Canada c. Association canadienne des employés de téléphone, [2003] 1 R.C.S. 884. Dans cette affaire, la Cour a jugé qu’il y avait une présomption à l’encontre de l’application rétroactive de l’OPS de 1986, ainsi que des autres ordonnances prises par la Commission. Comme la Cour l’a affirmé, au paragraphe 47 :

[…] les ordonnances prises par la Commission, comme toute mesure législative subordonnée, sont assujetties à la présomption d’absence d’effet rétroactif.  Étant donné que la Loi ne contient pas de termes précis qui traduiraient l’intention de renoncer à cette présomption, aucune ordonnance ne peut s’appliquer rétroactivement.  Il s’agit là d’un empêchement majeur à toute tentative d’influencer l’issue d’une affaire en cours d’instance devant le Tribunal par la prise d’une nouvelle ordonnance.

En conséquence, si la Cour juge que le Tribunal a appliqué l’OPS de 1986 rétroactivement, alors le Tribunal a erré.

[54]       La Cour suprême du Canada a défini la rétroactivité dans Benner c. Canada (Secrétaire d’État), [1997] 1 R.C.S. 358, au paragraphe 39 :

              Les mots « rétroactivité » et « rétrospectivité », bien que fréquemment utilisés dans le domaine de l’interprétation des lois, peuvent porter à confusion. E. A. Driedger, dans « Statutes: Retroactive Retrospective Reflections » (1978), 56 R. du B. can. 264, aux pp. 268 et 269, en a proposé des définitions concises, que j’estime utiles.  Voici ces définitions :

                                [traduction] Une loi rétroactive est une loi dont l’application s’applique à une époque antérieure à son adoption.  Une loi rétrospective ne dispose qu’à l’égard de l’avenir.  Elle vise l’avenir, mais elle impose de nouvelles conséquences à l’égard d’événements passés.  Une loi rétroactive agit à l’égard du passé.  Une loi rétrospective agit pour l’avenir, mais elle jette aussi un regard vers le passé en ce sens qu’elle attache de nouvelles conséquences à l’avenir à l’égard d’un événement qui a eu lieu avant l’adoption de la loi.  Une loi rétroactive modifie la loi par rapport à ce qu’elle était; une loi rétrospective rend la loi différente de ce qu’elle serait autrement à l’égard d’un événement antérieur. [En italique dans l’original.]

La décision du Tribunal d’appliquer l’OPS de 1986

i) Faits continus

[55]       Le Tribunal a statué qu’il convenait d’appliquer l’OPS de 1986, et non les OER de 1978, à la plainte de 1983 de l’AFPC. Selon le Tribunal, l’application de l’OPS de 1986 n’était pas rétroactive puisque les faits énoncés dans la plainte étaient de nature « continue ». Pour parvenir à cette conclusion, le Tribunal a invoqué le texte du professeur Ruth Sullivan dans Driedger on the Construction of Statutes, 3e éd. (Toronto : Butterworths, 1994). En citant les pages 514 et 515 du texte du professeur Sullivan, le Tribunal affirme, au paragraphe 140 de sa décision :

              La situation des faits dans le temps, selon le modèle du professeur Sullivan, consiste à déterminer si la situation factuelle est éphémère, continue ou successive. Sullivan définit ces choix :

              [traduction] […] La situation factuelle éphémère consiste en des faits qui commencent et qui se terminent dans une courte période de temps, comme des actes ou des évènements. Les faits sont terminés et font partie du passé aussitôt que les actes ou les évènements se terminent; les conséquences juridiques se rattachant à la situation factuelle sont fixées à compter de ce moment.

[…]

              La situation factuelle continue consiste en un ou plusieurs faits qui se déroulent pendant une certaine période de temps. Un fait continu peut être une situation, un statut ou une relation qui peut perdurer. Lorsqu’aucune limite de temps n’est mentionnée, une situation factuelle continue se poursuit et ne fait pas partie du passé tant que la situation factuelle elle-même — la situation, l’état ou la relation — n’a pas pris fin.

[…]

              La situation factuelle successive consiste en des faits, éphémères ou continus, qui se produisent à des moments distincts. […] Une situation factuelle, définie en termes de faits successifs, n’est pas terminée et ne fait pas partie du passé tant que le dernier fait de la série, éphémère ou continu, n’est pas terminé. [Caractère gras omis; note de bas de page omise.]

[56]       En s’appuyant sur ces définitions, le Tribunal a conclu que l’allégation en cause en était une de [au paragraphe 141] « discrimination salariale systémique continue » qui, de par sa nature même, continuait pendant une longue période de temps. En conséquence, le Tribunal a statué que l’application de l’OPS de 1986 n’était pas rétroactive puisqu’elle s’appliquait à des faits allégués de nature « continue » ou « permanente ». Le Tribunal a statué, aux paragraphes 142 à 145 de sa décision :

              L’application d’une mesure législative, qu’il s’agisse d’une loi ou d’une mesure législative subordonnée, à des faits continus ou à des faits en progrès, n’est pas rétroactive selon le professeur Sullivan parce que [traduction] « […] pour employer les mots du juge Dickson dans l’arrêt Gustavson Drilling, on ne cherche pas à s’immiscer dans le passé et à modifier le droit ou les droits d’une personne à compter d’une date antérieure ».

              Le professeur Sullivan poursuit en affirmant :

              [traduction] La loi qui s’applique à des faits en cours est censée avoir un effet immédiat. Son application est générale et immédiate : “immédiate” en ce sens que la nouvelle règle s’applique à partir de l’entrée en vigueur et déloge la règle qui était autrefois applicable aux faits pertinents, et “générale” en ce sens que la nouvelle règle s’applique à tous les faits pertinents, en cours de même que nouveaux.

              Bien que Postes Canada a prétendu que l’utilisation de l’OPS de 1986 pour interpréter l’article 11 de la [LCDP] pour une plainte qui remonte à 1983 équivaudrait à appliquer cette ordonnance rétroactivement, le Tribunal estime que l’on ne traite pas en l’espèce de la rétroactivité de l’OPS de 1986. On traite de ce que le professeur Sullivan a appelé une situation factuelle continue. Lorsque l’OPS de 1986 est entrée en vigueur elle s’est appliquée immédiatement et généralement à tous les faits en cours qui avaient commencé dans le passé et qui se sont poursuivis dans le présent et dans l’avenir. Cela comprenait tous les faits en cause dans la prétendue discrimination salariale systémique.

              Par conséquent, le Tribunal conclut que l’OPS de 1986 ne s’applique pas rétroactivement en l’espèce mais s’applique à une situation en cours et continue sans être injuste envers Postes Canada, ni sans lui faire subir un préjudice. [Notes de bas de page omises.]

ii) Droits acquis

[57]       Le Tribunal a aussi examiné la question de savoir si l’application de l’OPS de 1986 porterait atteinte « aux droits acquis de Postes Canada d’invoquer les moyens de défense dont elle pouvait se prévaloir à la date à laquelle la plainte a été déposée en 1983 » : décision du Tribunal, au paragraphe 151. Pour parvenir à sa décision, le Tribunal a d’abord noté qu’il n’existe pas de définition concrète d’un droit acquis, puisqu’il s’agit du résultat d’une analyse factuelle qui dépend des faits de chaque espèce. Au paragraphe 155 de sa décision, le Tribunal a cité le texte du professeur Sullivan, qui affirme à la page 537 :

              [traduction] Pour évaluer la force probante de la présomption voulant qu’on ne puisse porter atteinte aux droits acquis, il faut avant tout évaluer le degré d’injustice que l’atteinte entraînerait dans des cas particuliers. Lorsque la restriction ou l’abolition d’un droit semble particulièrement arbitraire ou injuste, les cours de justice exigent une preuve convaincante que le législateur prévoyait et désirait ce résultat. Lorsque l’ingérence est moins préoccupante, la présomption est facilement repoussée. [Note de bas de page omise.]

[58]       Pour apprécier le degré d’injustice que subirait Postes Canada si l’OPS de 1986 était appliquée à la plainte de l’AFPC, le Tribunal a commencé par examiner l’évolution de la plainte entre 1983 et 1986. Comme l’a affirmé le Tribunal, aux paragraphes 158 et 159 :

              En 1986, malgré que peu de chose ait été accompli entre les parties dans l’enquête sur la plainte, l’ensemble des parties se sont tenues mutuellement informé du travail qui se faisait et qui avait une incidence sur la plainte. Par exemple, Postes Canada et l’Alliance ont continué de travailler à l’élaboration de System One comme outil d’évaluation des postes occupés par les employés du groupe commis aux écritures et aux règlements à Postes Canada. La Commission a été informée de ce travail.

              De plus, durant cette période, Postes Canada et l’Alliance ont participé activement aux efforts faits par la Commission en vue d’obtenir des données pour son processus d’évaluation des emplois. En fait, on avait commencé à faire des entrevues d’employés du groupe CR juste avant l’entrée en vigueur de l’OPS de 1986 en novembre de cette même année.

[59]       Le Tribunal a ensuite conclu que Postes Canada ne subirait aucune injustice si l’OPS de 1986 était appliquée à la plainte. Comme l’a affirmé le Tribunal, aux paragraphes 161 et 163 :

              L’OPS de 1986 est entrée en vigueur le 18 novembre 1986, bien avant que la Commission ait renvoyé la présente plainte pour audience au Tribunal canadien des droits de la personne le 16 mars 1992. La Commission avait joué un rôle dans les discussions entre les parties tout au long du stade de l’enquête sur la plainte. Plusieurs des sujets discutés par les parties avant 1986 ont éventuellement fait partie de l’OPS de 1986, comme par exemple la question des groupes professionnels et des méthodes d’évaluation des postes, y compris le critère permettant d’établir l’équivalence des fonctions.

[…]

              Un préjudice ou une injustice réelle se produirait si, comme la Cour suprême l’a mentionné, l’ordonnance qui était pertinente à une plainte déjà renvoyée pour audience par un tribunal a été promulguée après le renvoi de la plainte à ce tribunal. Même dans le cas de plaintes déposées en vertu de l’article 11 de la [LCDP], la Commission pourrait, par promulgation d’ordonnances durant la vie d’un tribunal, en influencer leurs issues. Ce n’est pas ce qui s’est produit en l’espèce.

Codification de pratiques antérieures

[60]       Le Tribunal a aussi statué, au paragraphe 162, que l’OPS de 1986 était essentiellement une codification de pratiques déjà suivies par la Commission au moment où la plainte avait été déposée en 1983 :

              Par conséquent, toutes les parties intéressées ont bien compris la plainte telle qu’elle a été initialement rédigée. Bien que l’OPS de 1986 représente un changement important par rapport à l’OER de 1978, sa mise en application n’a fait que codifier un certain nombre des procédures de la Commission avec lesquelles les parties avaient eu affaire depuis la date du dépôt de la plainte. Le libellé même de la plainte, illustre la nature historique de ces procédures car il parle de groupes professionnels à prédominance féminine ou masculine et de salaires versés aux employés appartenant à ces groupes. Ces procédures ne font pas partie de la Loi ni de l’OER de 1978. Elles font toutefois partie de l’OPS de 1986.

[61]       Enfin, le Tribunal a affirmé que si l’application de l’OPS de 1986 constituait une quelconque injustice à l’égard de Postes Canada, cette injustice était compensée par le « plus grand bien » que favorisait la promulgation de l’OPS de 1986. Comme l’a affirmé le Tribunal, au paragraphe 165, l’OPS de 1986 était une « tentative de précision grandement nécessaire quant à l’interprétation de l’article 11 de la [LCDP], et ce, sans injustice à l’égard de l’une ou l’autre partie ».

[62]       En conséquence, le Tribunal a conclu au paragraphe 166 :

              Par conséquent, le Tribunal ne comprend pas en quoi l’introduction de l’OPS de 1986 après la présentation de la plainte à la [Commission] a été une source d’injustice ou de préjudice pour Postes Canada, une violation de ses droits acquis ou en quoi elle a exercé une influence indue sur l’issue de la plainte dont le Tribunal est saisi.

Position de Postes Canada quant à la décision du Tribunal d’appliquer l’OPS de 1986

[63]       À l’audience, Postes Canada a soulevé de nombreux arguments contestant la décision du Tribunal d’appliquer l’OPS de 1986. Premièrement, Postes Canada soutient que les lignes directrices qu’il convient d’appliquer à la plainte de l’AFPC sont celles qui étaient en vigueur au moment où la plainte a été déposée en 1983, à savoir les OER de 1978 telles que modifiées en 1982 [TR/82-2]. Postes Canada soutient que le dépôt de la plainte en 1983 a « cristallisé » les droits des parties de telle sorte que l’application de l’OPS équivaut à une application rétroactive qui, selon l’arrêt de la Cour suprême dans Bell Canada, précité, viole la présomption de non-rétroactivité.

[64]       Au soutien de sa position, Postes Canada invoque l’article 43 de la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, qui traite des effets de l’abrogation d’un texte légal. Postes Canada invoque en particulier les alinéas 43 c) et e), qui énoncent :

              43. L’abrogation, en tout ou en partie, n’a pas pour conséquence :

[…]

              c) de porter atteinte aux droits ou avantages acquis, aux obligations contractées ou aux responsabilités encourues sous le régime du texte abrogé;

[…]

              e)  d’influer sur les enquêtes, procédures judiciaires ou recours relatifs aux droits, obligations, avantages, responsabilités ou sanctions mentionnés aux alinéas c) et d).

Les enquêtes, procédures ou recours visés à l’alinéa e) peuvent être engagés et se poursuivre, et les sanctions infligées, comme si le texte n’avait pas été abrogé.

[65]       Postes Canada soutient que le mot « accruing » [« encourues »] à l’alinéa 43c) revêt une « importance vitale » en l’espèce, parce qu’il indique que toute procédure en cours au moment de l’abrogation du texte doit se poursuivre sous le régime de l’ancien texte abrogé; dans ce cas-ci, les OER de 1978.

[66]       En conséquence, Postes Canada soutient que le Tribunal a eu tort de se fier à la qualification et à la définition de « situation factuelle continue » du professeur Sullivan, puisque l’on n’a pas affaire à une situation factuelle en cours une fois qu’une plainte a été déposée. Postes Canada soutient que si l’AFPC avait voulu que l’OPS de 1986 régisse sa plainte, elle aurait dû déposer une nouvelle plainte en 1986 après que cette ordonnance a été promulguée.

[67]       Au soutien de sa prétention, Postes Canada cite P. St. J. Langan dans Maxwell on the Interpretation of Statutes, 12e éd. (Londres : Sweet & Maxwell, 1969), où il est écrit aux pages 220 et 221 :

              [traduction] En général, lorsque le droit substantif est modifié au cours d’une instance, les droits des parties sont déterminés selon le droit tel qu’il existait au moment où l’instance a débuté, à moins qu’il ressorte clairement de la nouvelle loi que le législateur a voulu modifier ces droits.

Postes Canada cite également le professeur Sullivan elle-même, lorsqu’elle affirme aux pages 553 et 554 de la 4e édition de son texte (Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4e éd. (Toronto : Butterworths, 2002)) :

[traduction] Il est évident que retourner dans le passé et déclarer que la loi est différente de ce qu’elle était constitue une grave atteinte à la primauté du droit. Comme le souligne Raz, le principe fondamental sur lequel repose la primauté du droit est la connaissance préalable de la loi. Peu importe à quel point une loi rétroactive peut être raisonnable ou bénéfique, elle est foncièrement arbitraire pour ceux qui ne pouvaient pas en connaître la teneur lorsqu’ils ont agi ou fait leurs plans. Et lorsqu’une loi rétroactive entraîne une perte ou un désavantage pour ceux qui se sont fiés à la loi antérieure, elle est injuste en plus d’être arbitraire.

[68]       Deuxièmement, Postes Canada conteste la conclusion du Tribunal selon laquelle l’OPS de 1986 s’applique à la plainte puisque son application était pour « le plus grand bien » et n’était préjudiciable à ni l’une ni l’autre des parties. Postes Canada soutient qu’il y a de nombreuses différences entre les OER de 1978 et l’OPS de 1986, et que ces différences ont influé défavorablement sur les moyens que Postes Canada pouvait invoquer pour se défendre contre la plainte. Ainsi, Postes Canada souligne les différences suivantes entre les deux ordonnances :

OER de 1978

1) Ne fait aucune mention de « groupes professionnels ».

2) Ne fait aucune mention de la « prédominance de membres d’un sexe » dans les plaintes collectives et, par conséquent, ne fournit aucune définition de la « prédominance de membres d’un sexe ».

3) N’énonce aucune présomption permettant de considérer différents groupes professionnels comme un seul.

4) Ne comporte aucune disposition autorisant les plaintes fondées sur des comparaisons de fonctions qui ne sont pas équivalentes.

OPS de 1986

1) Le paragraphe 11(1) énonce que lorsqu’une plainte est déposée par un individu, la composition du « groupe professionnel » selon le sexe est prise en considération avant qu’il soit déterminé si la situation constitue un acte discriminatoire fondé sur le sexe.

2) L’article 12 énonce que dans le contexte de plaintes collectives, le groupe de plaignants et le groupe de comparaison doivent être « majoritairement » composés de membres de sexes opposés. L’article 13 prévoit ensuite une échelle graduée de prédominance en fonction de la taille du « groupe professionnel ».

3) L’article 14 énonce que si une plainte mentionne d’« autres groupes professionnels », les différents groupes sont « considérés comme un seul groupe. »

4) Le paragraphe 15(1) permet les comparaisons « indirectes » lorsqu’aucune comparaison directe n’est possible. Le paragraphe 15(2) énonce que la « courbe des salaires » du groupe de comparaison est utilisée pour les comparaisons de rajustements salariaux en vertu du paragraphe 15(1).

[69]       Étant donné ces différences, Postes Canada soutient que l’application de l’OPS de 1986 par le Tribunal lui a été préjudiciable. En particulier, Postes Canada énumère quatre moyens de défense dont elle estime qu’elle aurait pu se prévaloir si le Tribunal avait appliqué les OER de 1978 à la plainte de l’AFPC, comme il aurait dû le faire selon Postes Canada. Ces quatre moyens de défense sont les suivants :

1) les OER de 1978 n’auraient pas permis une comparaison entre des groupes professionnels [traduction] « définis arbitrairement », composés « majoritairement » de membres de sexes opposés, mais aurait plutôt exigé des comparaisons entre [traduction] « des hommes et des femmes pris individuellement »;

2) les OER de 1978 ne permettaient pas le recours aux comparaisons indirectes — c.-à-d. le degré de séparation entre les emplois — lorsqu’il n’existait aucune comparaison directe;

3) les OER de 1978 ne comportaient aucune présomption selon laquelle une disparité salariale entre employés de sexe masculin et féminin résultait d’une discrimination systémique fondée sur le sexe;

4) le libellé des OER de 1978 relatif au traitement des « responsabilités nécessaires [pour l’exécution des fonctions] » a été sensiblement modifié dans l’OPS de 1986.

[70]       À l’audience, Postes Canada a concentré sa plaidoirie principalement sur le premier moyen de défense allégué mentionné ci-dessus. Selon Postes Canada, si le Tribunal avait appliqué les OER de 1978 à la plainte de 1983 de l’AFPC, cette ordonnance aurait exigé une comparaison entre des hommes et des femmes pris individuellement plutôt qu’une comparaison entre des groupes professionnels à prédominance masculine et féminine. L’argument de Postes Canada se fonde sur l’hypothèse que puisque les OER de 1978 ne disent rien au sujet de l’utilisation de groupes professionnels comme base de comparaison, la plainte aurait fait l’objet d’une enquête conformément au paragraphe 11(1) de la LCDP, qui énonce que constitue un acte discriminatoire le fait pour l’employeur de pratiquer la disparité salariale entre les hommes et les femmes qui exécutent, dans le même établissement, des fonctions équivalentes.

[71]       Postes Canada soutient en outre qu’en recourant à des groupes professionnels à prédominance masculine et féminine en vertu de l’OPS de 1986, l’AFPC et la Commission ont réussi à « masquer », et ce faisant à exclure de la comparaison, un des plus importants groupes d’employés de sexe féminin chez Postes Canada, soit le niveau PO-4. Postes Canada a soutenu qu’une comparaison entre le groupe CR et le niveau PO-4 était important pour plusieurs raisons :

1) le niveau PO-4 était le plus grand groupe d’employés de sexe féminin chez Postes Canada, comptant environ 8 100 à 9 800 personnes entre les années 1983 et 1992;

2) les fonctions du niveau PO-4 étaient traditionnel- lement considérées comme des « fonctions féminines » d’après le témoin expert de la Commission en matière d’équité salariale;

3) le taux de salaire du niveau PO-4 servait de référence pour tout le groupe PO; une fois qu’il était négocié, tous les autres salaires du groupe PO étaient établis par rapport au niveau PO-4;

4) les salaires des facteurs — principalement des hommes — étaient inférieurs à ceux du niveau PO-4 à compter de l’époque où l’AFPC a déposé sa plainte;

5) le niveau PO-4 était très bien rémunéré, et certains employés de ce niveau exécutaient des fonctions très semblables à celles exécutées par le groupe CR.

[72]       En conséquence, Postes Canada a soutenu que si l’on avait fait des comparaisons conformément aux OER de 1978, aucun échantillon d’employés de sexe féminin n’aurait été représentatif s’il n’avait pas inclus des employés de sexe féminin du niveau PO-4. En outre, Postes Canada soutient qu’une comparaison tenant compte des employées de sexe féminin du niveau PO-4 aurait miné la plainte, puisque le taux de salaire élevé des employées de niveau PO-4 de sexe féminin aurait établi qu’aucune « discrimination systémique continue » n’avait cours chez Postes Canada lorsque l’AFPC a déposé sa plainte en 1983.

[73]       Le troisième argument soulevé par Postes Canada à l’audience était que la qualification par le Tribunal d’un écart salarial continu de 1982 à 2002 comme d’un « fait continu » reposait sur des renseignements inexacts. D’après Postes Canada, le Tribunal a présumé que les salaires communiqués au témoin expert de l’AFPC, le Dr Wolf, étaient exacts alors qu’en fait, ils étaient inexacts. Postes Canada a soutenu que les salaires communiqués au Dr Wolf étaient surévalués de sorte que, s’ils avaient été exacts, le Tribunal n’aurait pas pu établir l’existence d’une discrimination salariale systémique. Au soutien de son argument selon lequel l’équipe professionnelle n’avait pas vérifié les salaires de façon indépendante, Postes Canada cite le paragraphe 705 de la décision du Tribunal :

              En comparant les valeurs des évaluations des postes CR et des emplois PO avec les taux de rémunération horaire des postes CR et des emplois PO, l’Équipe professionnelle a déclaré dans son rapport […] qu’elle avait fait ces comparaisons pour chacune des trois années suivantes : 1983, l’année où la plainte a été déposée; 1989, l’année que la Commission a utilisée pour son analyse de rémunération, et, 1995, l’année où le rapport de l’équipe professionnelle a été déposé. Les taux de rémunération horaires ont été fournis par l’[AFPC] et ont été présumés justes. Le taux le plus élevé a été utilisé dans tous les cas. [Non souligné dans l’original.]

[74]       Enfin, Postes Canada a contesté la conclusion du Tribunal selon laquelle il y avait lieu d’appliquer l’OPS de 1986 parce que sa promulgation « n’a fait que codifier » certaines des pratiques et procédures que la Commission suivait déjà en 1983 lorsque la plainte a été déposée. Pour prouver qu’en réalité, ce n’était pas le cas, Postes Canada a invoqué une décision de 1984 de la Commission rejetant une plainte contre Bell Canada. Dans cette affaire (Klym v. Bell Canada (Ontario & Québec), dossier no T-09869), la Commission a affirmé ce qui suit :

[traduction] Lors de l’évaluation de toute plainte déposée en vertu de l’art. 11, il est essentiel qu’il soit démontré que toute disparité salariale est attribuable à de la discrimination fondée sur le sexe. Si la disparité dans les tailles du groupe de plaignant et du groupe de comparaison pose un problème, un problème plus sérieux se pose lorsque la taille du groupe de comparaison est comparée à celle de la population totale des emplois occupés majoritairement par des hommes. L’article 11 exige que l’employeur paie des salaires égaux aux employés de sexe masculin et de sexe féminin qui exécutent des fonctions équivalentes. La plaignante demande à la Commission d’examiner les différences entre certains employés de sexe féminin et certains employés de sexe masculin. Étant donné qu’il y a probablement d’autres employés qui exécutent des fonctions équivalentes à celles des deux groupes nommés dans la plainte. […] Pour traiter la plainte, il faut présumer que les groupes qui y sont nommés soit sont les seuls qui exécutent des fonctions équivalentes, soit constituent un échantillon représentatif des employés de sexe masculin et de sexe féminin de Bell Canada. Bien que l’on puisse soutenir que, du seul fait de leur nombre important, les opératrices sont représentatives des employés de sexe féminin, MM III ne peut pas être considéré comme représentatif des groupes à prédominance masculine. […]

Selon Postes Canada, cette affirmation prouve que : 1) avant l’entrée en vigueur de l’OPS de 1986, la Commission fondait son analyse sur des hommes et des femmes pris individuellement plutôt que sur des groupes professionnels; et 2) sous le régime des OER de 1978, la Commission ne soutenait pas qu’il existait une présomption de discrimination fondée sur le sexe — deux éléments qui ont été intégrés à l’OPS de 1986. Pour reprendre les mots de l’avocat de Postes Canada, l’affaire Klym détruit le « mythe » voulant que l’OPS de 1983 ait codifié des « pratiques et procédures » qui étaient appliquées en 1983.

La position de l’AFPC quant à la décision du Tribunal d’appliquer l’OPS de 1986

[75]       L’AFPC, en revanche, a soutenu devant la Cour qu’il y avait des éléments de preuve importants sur lesquels le Tribunal pouvait fonder sa conclusion que l’OPS de 1986 ne faisait que codifier bon nombre de pratiques et de procédures que la Commission suivait déjà lorsque l’AFPC a déposé sa plainte en 1983. À cet égard, elle invoque notamment le libellé de la plainte elle-même, qui parle de groupes professionnels [traduction] « à prédominance masculine » et [traduction] « à prédominance féminine » par opposition à de vrais employés de sexe masculin et de sexe féminin. Selon l’AFPC, le fait que la Commission ait accepté le libellé de la plainte démontre avec force que la Commission permettait les comparaisons fondées sur des groupes professionnels avant la promulgation de l’OPS de 1986. Cette position est confortée, selon l’AFPC, par le fait que l’avocat de Postes Canada n’a soulevé aucune objection à l’égard du libellé de la plainte de l’AFPC lorsqu’elle a été déposée en 1983. Ce fait est important puisque cet individu a aussi agi comme avocat pour la Commission de 1978 à 1987, et il pouvait donc être considéré comme étant bien au fait des pratiques et procédures de la Commission avant la promulgation de l’OPS de 1986.

[76]       L’AFPC invoque aussi le témoignage de M. Paul Durber, directeur de la Direction de la parité salariale à la Commission, qui a affirmé dans son témoignage devant le Tribunal,  la page 2775 de la transcription, que plusieurs des éléments intégrés à l’OPS de 1983 avaient été adoptés antérieurement par la Commission à titre de politiques :

[traduction] Q. M. Durber, vous nous avez parlé de plusieurs nouvelles dispositions ou changements ou modifications. Je me demande si vous pourriez nous dire quelle était l’ampleur de ces changements à la lumière de la politique et/ou de la pratique de la Commission à l’époque.

R. Certainement, plusieurs de ces pratiques avaient été suivies auparavant soit dans des affaires spécifiques ou dans le contexte d’initiatives de promotion/de sensibilisation de la Commission. Je pense que les plus importantes parmi elles sont les pratiques qu’elle avait suivies dans des affaires spécifiques.

[77]       Plus précisément, en réponse à une question concernant la pratique de la Commission antérieure à 1986 consistant à comparer des groupes professionnels « à prédominance masculine » et « à prédominance féminine » par opposition à de vrais hommes et femmes, M. Durber a formulé l’observation suivante aux pages 2762 et 2763 [de la transcription] :

[traduction] D’après mes souvenirs, la cause des techniciens d’hôpital en est une qui a été rejetée sur le fondement de la prédominance de membres d’un sexe. Une autre que je venais juste d’oublier — je pense que c’était dans le secteur de la téléphonie — où la Commission a examiné la question de la prédominance importante. Nous y viendrons. C’était supérieur à 50 p. 100 plus un. Cette ligne directrice particulière codifie une part de cette pratique antérieure consistant à aller sensiblement au-dessus de 50 p. 100 plus un et la rend plus précise.  [Non souligné dans l’original.]

[78]       Toujours au soutien de l’argument de la codification, l’AFPC et la Commission ont cité un document intitulé « Note d’information sur l’ordonnance proposée — l’égalité de rémunération pour des fonctions équivalentes », publié par la Commission en mars 1985. Selon l’AFPC, le document, qui expose bon nombre des principes qui ont ensuite été intégrés à l’OPS de 1986, fournit une preuve cohérente indiquant que certaines des lignes directrices étaient déjà suivies par la Commission, bien qu’à titre de politiques. Par exemple, l’AFPC cite la pratique consistant à faire des comparaisons indirectes lorsqu’aucune comparaison directe n’est possible; une pratique dont Postes Canada a soutenu qu’elle n’était pas permise en vertu des OER de 1978. Comme l’énonce le document, à la page 7 :

Le paragraphe 1 du projet d’ordonnance pose l’exigence de la composition majoritaire du groupe selon le sexe et précise qu’il faut tenir compte de la composition selon le sexe du groupe auquel appartient un individu afin d’établir s’il y a eu discrimination fondée sur le sexe. Aux paragraphes 2 et 3 est énoncé le concept de la comparaison indirecte d’employés qui sont membres de groupes.

La comparaison indirecte fait déjà partie des pratiques de la Commission et elle constitue un pas vers l’équivalence et l’équité salariale au sens où on entend ces expressions aux États-Unis.  [Non souligné dans l’original.]

[79]       Le témoignage de M. Durber étaye aussi le point de vue selon lequel les comparaisons indirectes faisaient partie de la pratique de la Commission avant d’être officiellement intégrées à l’OPS de 1986. En réponse à une question au sujet du contenu et du contexte de l’article 15, M. Durber a affirmé dans son témoignage, à la page 2764 de la transcription :

[traduction] L’article 15 revient à ce dont nous avons parlé plus tôt en rapport avec la note d’information, c’est-à-dire l’utilisation de comparaisons indirectes et de courbes des salaires. Je suis certain que nous allons en traiter plus en détail. Une des conséquences, tel que je le lis, de l’article 15 est qu’autant que possible, on devrait faire des comparaisons directes. En un sens, on s’efforce de ne pas trop s’écarter dans les comparaisons indirectes sauf en cas de nécessité. Mais néanmoins, ce que fait cette disposition, c’est qu’elle permet plus de souplesse dans les situations quelque peu plus complexes. J’ajouterais aussi qu’elle fait écho aux pratiques existantes de la Commission comme nous le verrons dans les affaires, en particulier l’affaire de la bibliothéconomie au sein de la fonction publique fédérale.

Q. C’était la pratique suivie avant cette ordonnance?

R. Oui, 1980 en fait […]

[80]       L’AFPC défend aussi l’application de l’OPS de 1986 au motif que Postes Canada a invoqué cette application à l’étape de l’enquête relative à la plainte. Dans une lettre datée du 28 mai 1985 de K. Cox (directeur national, Rémunération et avantages, Postes Canada) à Ted Ulch (Section de la rémunération égale pour des fonctions équivalentes de la Commission), Postes Canada semblait s’appuyer sur les lignes directrices proposées de la Commission comme justification pour demander que l’on utilise System One pour évaluer la plainte. Dans cette lettre, on peut lire, à la page 4 :

[traduction] Conformément aux lignes directrices (politique) de la Commission des droits de la personne (CDP) à l’effet de régler les plaintes d’équité salariale au moyen des systèmes existants de l’employeur s’ils sont objectifs et exempts de toute partialité, Postes Canada s’attendrait à ce que la CDP utilise System I puisqu’il peut être démontré qu’il est objectif et exempt de toute partialité, comme en fait foi un examen du projet de système […]

[81]       En conséquence, compte tenu de ces éléments de preuve, l’AFPC soutient qu’il était raisonnable pour le Tribunal de conclure que l’OPS de 1986 ne faisait que codifier des pratiques et procédures déjà en usage à la Commission au moment où l’AFPC a déposé sa plainte en 1983.

[82]       L’AFPC a aussi contesté l’invocation de l’affaire Klym, précitée, par Postes Canada comme preuve qu’avant l’entrée en vigueur de l’OPS de 1986, la Commission concentrait son analyse sur de vrais hommes et femmes par opposition à des comparaisons entre des groupes professionnels à prédominance masculine et à prédominance féminine. En contestant l’argument de Postes Canada, l’AFPC attire l’attention sur le libellé des plaintes en cause dans l’affaire Klym, qui, selon l’AFPC, était très semblable au libellé de la plainte de 1983 de l’AFPC. Par exemple, l’AFPC soutient que la deuxième plainte déposée dans l’affaire Klym mentionne clairement des groupes professionnels à prédominance masculine et à prédominance féminine et non de vrais hommes et femmes comme le prétend Postes Canada. Selon l’AFPC, cette preuve étaye la prétention selon laquelle l’OPS de 1986 n’a fait que codifier des pratiques et procédures que la Commission appliquait déjà.

[83]       Quant à l’argument de Postes Canada selon lequel l’application de l’OPS de 1986 a porté atteinte à des droits qu’elle avait acquis en vertu des OER de 1978, l’AFPC a plaidé devant la Cour que Postes Canada n’avait pas réussi à établir l’existence de droits en vertu des OER de 1978 auxquels l’application de l’OPS de 1986 avait porté atteinte. Comme indiqué plus haut, Postes Canada a souligné plusieurs différences entre les OER de 1978 et l’OPS de 1986, et le Tribunal a conclu, au paragraphe 162 de sa décision, que l’OPS de 1986 représentait un « changement important » par rapport aux OER de 1978. Cependant, l’AFPC a soutenu que ces changements ne prouvaient pas que Postes Canada avait des droits acquis en vertu des OER de 1978, puisque ces ordonnances étaient silencieuses sur bon nombre des points soulevés, et ne prévoyaient pas expressément l’application d’une procédure ou d’une politique différente.

[84]       En outre, l’AFPC a soutenu que même si les OER de 1978 ou l’objet étaient silencieuses quant à l’utilisation de groupes professionnels, il n’est pas dans l’esprit ou l’objet de l’article 11 d’appliquer une interprétation spécifique ou directe du libellé de cette disposition, comme le propose Postes Canada. L’AFPC avance qu’une telle interprétation va à l’encontre de l’intention du législateur, qui a édicté l’article 11 pour poser le « principe » de l’équité salariale, en laissant à la Commission et au Tribunal le soin de l’interpréter aux fins de son application. En conséquence, l’AFPC soutient qu’il était raisonnable pour le Tribunal de parvenir à la conclusion suivante, au paragraphe 166 de sa décision :

              Par conséquent, le Tribunal ne comprend pas en quoi l’introduction de l’OPS de 1986 après la présentation de la plainte à la [Commission] a été une source d’injustice ou de préjudice pour Postes Canada, une violation de ses droits acquis ou en quoi elle a exercé une influence indue sur l’issue de la plainte dont le Tribunal est saisi.

La position de la Commission concernant la décision du Tribunal d’appliquer l’OPS de 1986

[85]       Dans sa présentation devant la Cour, la Commission a aussi contesté plusieurs des arguments soulevés par Postes Canada. En particulier, la Commission s’est objectée à l’argument de Postes Canada selon lequel le dépôt de la plainte de l’AFPC en 1983 avait « cristallisé » les droits des parties sous le régime des OER de 1978. Comme indiqué plus haut, Postes Canada a soutenu que l’emploi du mot « accruing » [« encourues »] à l’alinéa 43c) de la Loi d’interprétation signifie que toute instance en cours au moment de l’abrogation d’un texte doit continuer en fonction de l’ancien texte abrogé. La Commission soutient cependant que l’application de l’OPS de 1986 en l’espèce exige une analyse en deux étapes. À la première étape, quant à la question de la « rétroactivité pure », la Commission a affirmé que la seule question à trancher était celle de savoir si l’on avait affaire à des faits continus. Si l’existence de faits continus est avérée, comme l’allèguent la Commission et l’AFPC, alors l’OPS de 1986 peut s’appliquer à la plainte immédiatement et de manière générale au moment de l’entrée en vigueur. Cependant, l’application de l’OPS de 1986 peut tout de même s’avérer impossible si une telle application porte atteinte à des droits que Postes Canada avait acquis auparavant en vertu des OER de 1978.

[86]       En conséquence, en s’appuyant sur la qualification ci-dessus, la Commission a soutenu que le dépôt de la plainte « cristalliserait » le droit applicable seulement s’il existait des droits acquis au moment où la plainte a été déposée. En l’espèce, la Commission soutient que, puisque Postes Canada n’a pas réussi à démontrer l’existence de droits acquis en vertu des OER de 1978, la décision du Tribunal d’appliquer l’OPS de 1986 était raisonnable. En outre, la Commission soutient que la qualification de « situation factuelle continue » par le Tribunal est pertinente en l’espèce puisqu’elle détermine, sous réserve de tout droit acquis de Postes Canada, si l’OPS de 1986 peut s’appliquer immédiatement et de manière générale à la plainte au moment de la promulgation en 1986.

[87]       La Commission a soutenu que l’interprétation que faisait Postes Canada de l’effet de l’article 43 était incorrecte, et que cet article n’était qu’une codification législative de l’argument des droits acquis. Au soutien de sa position, la Commission cite le professeur Sullivan qui, dans la troisième édition de son texte, explique le rapport entre l’article 43 et le concept de droit acquis. Comme l’affirme le professeur Sullivan, à la page 528 :

              [traduction] Il y a un rapport évident entre les circonstances dans lesquelles la survie est permise en vertu de la Loi d’interprétation et la présomption de common law contre l’atteinte aux droits acquis. Dans la Loi fédérale, l’alinéa 43c) dispose que l’abrogation ne porte pas atteinte aux droits ou aux avantages « acquis » sous le régime du texte abrogé. En vertu de la présomption de common law, les droits acquis sont protégés contre les atteintes par un nouveau texte. Ces protections se font écho et doivent s’interpréter ensemble.

              Cependant, pour tenter de déterminer ce qui est un droit acquis ou, de manière plus générale, quels intérêts devraient être protégés contre l’application immédiate de la nouvelle loi, les tribunaux trouvent peu de secours dans le libellé archaïque des lois d’interprétation. Que l’on procède à l’analyse dans le contexte de la Loi ou de la common law, il faut apprécier les motifs pour lesquels il est parfois indiqué de retarder l’application d’un nouveau texte ou de continuer d’appliquer une loi abrogée.

[88]       La Commission a affirmé que sa position trouvait aussi appui dans les motifs de la Cour suprême du Canada dans Gustavson Drilling (1964) Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1977] 1 R.C.S. 271, aux pages 283 et 284, où le juge Dickson [tel était alors son titre] a affirmé, au sujet du prédécesseur de l’article 43 [Loi d’interprétation, S.R.C. 1970, ch. I-23, art. 35] :

Cet article représente simplement la consécration législative de la présomption de droit commun relative aux droits acquis telle qu’elle existe à l’égard de l’abrogation des dispositions législatives et, selon moi, cet article n’ajoute rien à l’argumentation de l’appelante. Cette dernière doit toujours démontrer qu’elle possède un droit ou un privilège né ou acquis sous le régime du texte législatif avant son abrogation, ce qu’elle ne peut faire.

En conséquence, la Commission a soutenu que d’après l’interprétation de la Cour suprême dans Gustavson Drilling, la plainte de 1983 de l’AFPC ne « cristalliserait » les droits des parties sous le régime des OER 1978 que si Postes Canada pouvait démontrer qu’elle possédait des droits acquis au moment où la plainte a été déposée. C’est cette question que j’examinerai maintenant.

Conclusion de la Cour concernant l’application de l’OPS de 1986

i) Faits continus

[89]       Bien que le droit concernant la rétroactivité soit clair, en pratique, la question n’est pas toujours claire de savoir quand l’application d’une loi est rétroactive. Lorsqu’une situation factuelle consiste en un événement, ou une série d’événements, qui sont tous survenus avant que la loi soit promulguée, il est clair que l’application d’une nouvelle loi à cette situation serait rétroactive.

[90]       Cependant, la Cour suprême du Canada a clairement indiqué que dans les cas où les événements en cause ne se situent pas clairement dans le passé, l’analyse est plus complexe, et la réponse n’est pas nécessairement claire. Par conséquent, conformément à l’arrêt de la Cour dans Benner, précité, au paragraphe 46, une analyse de la situation au cas par cas est nécessaire. Même si l’affaire Benner concernait l’application de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]], l’analyse de la Cour suprême a porté sur la question de l’application de lois dans le temps et sur la question de savoir quand une situation factuelle prend fin; de sorte que cet arrêt est pertinent au regard de la présente analyse. Dans Benner, la Cour suprême a approuvé le type d’analyse employée par le professeur Sullivan concernant la nature d’une situation factuelle, en statuant, au paragraphe 42 :

              Pour analyser l’application de la Charte relativement à des faits survenus avant son entrée en vigueur, il est important de se demander si les faits en cause constituent un événement précis et isolé ou s’ils décrivent un statut ou une caractéristique en cours.  Comme l’a écrit Driedger, dans Construction of Statutes (2e éd. 1983), à la p. 192 :

                                [traduction] Ces faits passés peuvent décrire soit un statut ou une caractéristique, soit un événement.  On avance que, dans le cas où la situation factuelle en cause constitue un statut ou une caractéristique (le fait d’être quelque chose), on n’attribue aucun effet rétrospectif à un texte de loi lorsqu’il est appliqué à des personnes ou à des choses qui ont acquis ce statut ou cette caractéristique avant l’édiction du texte en question, pourvu qu’elles possèdent toujours le statut ou la caractéristique au moment de l’entrée en vigueur du texte; par contre, dans le cas où la situation factuelle est un événement (le fait que quelque chose survienne ou le fait de devenir quelque chose), on attribuerait un effet rétrospectif au texte de loi s’il était appliqué pour imposer une nouvelle obligation, peine ou incapacité par suite d’un événement survenu avant son édiction.

[91]       En l’espèce, la situation factuelle dont l’AFPC et la Commission allèguent qu’elle est « continue » en est une de discrimination systémique alléguée qui, par sa nature même, s’étend sur une certaine période. Postes Canada prétend cependant que la discrimination systémique en soi n’est pas un fait continu. Elle soutient que l’écart salarial allégué entre 1982 et 2002 a été créé par une série de différentes conventions collectives, que l’adoption de ces différentes conventions collectives était des événements indépendants, et qu’il n’y a eu, en conséquence, aucun fait continu.

[92]       La Cour n’admet pas une telle interprétation. À mon avis, le simple fait que les conventions collectives aient changé au fil du temps ne signifie pas qu’elles ne peuvent pas être considérées comme des faits « continus ». En outre, le concept de discrimination systémique, dont je traiterai plus loin, a été reconnu de manière générale par la Cour d’appel fédérale comme étant de nature continue. Dans Alliance de la fonction publique du Canada c. Canada (Ministère de la Défense nationale), [1996] 3 C.F. 789 (C.A.), le juge Hugessen a affirmé, au paragraphe 16 :

La discrimination systémique est un phénomène continu qui a des origines profondes dans l’histoire et dans les attitudes sociétales. Elle ne peut être isolée sous forme d’acte ou de déclaration unique. Par sa nature même, elle s’étend sur une certaine période.  [Non souligné dans l’original.]

[93]       Une telle interprétation a été reconnue par le Tribunal en l’espèce lorsqu’après avoir examiné la définition de discrimination systémique énoncée par le juge en chef Dickson dans Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1987] 1 R.C.S. 1114, le Tribunal a conclu, au paragraphe 135 : « La discrimination qui est alléguée dans la plainte est donc, par définition, en cours. »

[94]       Le Tribunal a ensuite poursuivi son analyse de la question de savoir s’il avait affaire à une « situation factuelle continue », en s’appuyant directement sur l’ouvrage du professeur Sullivan. Aux paragraphes 144 et 145, le Tribunal a conclu :

              Bien que Postes Canada a prétendu que l’utilisation de l’OPS de 1986 pour interpréter l’article 11 de la Loi pour une plainte qui remonte à 1983 équivaudrait à appliquer cette ordonnance rétroactivement, le Tribunal estime que l’on ne traite pas en l’espèce de la rétroactivité de l’OPS de 1986. On traite de ce que le professeur Sullivan a appelé une situation factuelle continue. Lorsque l’OPS de 1986 est entrée en vigueur elle s’est appliquée immédiatement et généralement à tous les faits en cours qui avaient commencé dans le passé et qui se sont poursuivis dans le présent et dans l’avenir. Cela comprenait tous les faits en cause dans la prétendue discrimination salariale systémique.

              Par conséquent, le Tribunal conclut que l’OPS de 1986 ne s’applique pas rétroactivement en l’espèce mais s’applique à une situation en cours et continue sans être injuste envers Postes Canada, ni sans lui faire subir un préjudice.   [Non souligné dans l’original.]

[95]       À mon avis, la conclusion du Tribunal à cet égard est raisonnable.

[96]       À l’audience, Postes Canada a soutenu que la Cour devrait tenir compte du fait que les observations de la Commission s’appuyaient sur la troisième édition du texte du professeur Sullivan, publié en 1994, par opposition à la quatrième édition, qui a été publiée en 2002. Postes Canada a soutenu que ces deux éditions différaient sensiblement l’une de l’autre, et que de nombreux passages invoqués par la Commission avaient été soit supprimés, soit complètement réécrits dans la quatrième édition. La Cour est d’avis que bien que la quatrième édition soit peut-être plus claire en ce qui concerne l’application de la loi dans le temps, elle n’est pas sensiblement différente de la troisième édition, que le Tribunal a utilisée et que la Commission a invoquée dans ses observations. Le principal argument soulevé par la Commission — à savoir que l’article 43 de la Loi d’interprétation codifie le principe de common law des droits acquis — est toujours présent dans la quatrième édition du texte du professeur Sullivan (à la page 568), et n’a pas été sensiblement modifié par rapport à la version antérieure. En outre, le passage se trouve toujours dans des développements sur la survie de textes abrogés, juste avant une analyse plus approfondie des droits acquis.

ii) Droits acquis

[97]       Puisque j’ai conclu qu’il était raisonnable pour le Tribunal de conclure que la discrimination systémique alléguée constituait une situation factuelle continue au sens où l’entend le professeur Sullivan, la question se pose maintenant de savoir si Postes Canada avait des droits acquis en vertu des OER de 1978 qui empêcheraient que l’OPS de 1986 soit appliquée à la plainte immédiatement et de manière générale au moment de son entrée en vigueur.

[98]       À mon avis, Postes Canada ne possédait aucun droit semblable, de sorte que l’OPS de 1986 pouvait être appliquée immédiatement et de manière générale au moment de sa promulgation. La Cour admet la conclusion du Tribunal selon laquelle il n’existait aucun droit acquis et, par conséquent, l’application de l’OPS de 1986 n’a porté atteinte à aucun droit acquis. Les moyens de défense allégués invoqués par Postes Canada sont simplement des arguments qu’elle aurait pu soulever sur le fondement de son interprétation de la LCDP; ils ne sont pas des moyens de défense prévus par la loi contre la plainte de l’AFPC.

iii) Codification de pratiques antérieures

[99]       Cependant, si je fais erreur, et si le dépôt de la plainte de l’AFPC en 1983 a effectivement « cristallisé » les droits des parties sous le régime des OER de 1978, je dois néanmoins conclure que l’erreur du Tribunal en appliquant l’OPS de 1986 n’a pas eu pour effet de vicier sa décision à cet égard. Pour parvenir à cette conclusion, je m’appuie sur la conclusion du Tribunal au paragraphe 161 selon laquelle la promulgation de l’OPS de 1986 n’a fait que codifier certaines des « pratiques et procédures » de la Commission qui avaient déjà cours à la date où la plainte a été déposée en 1983.

[100]     Le seul élément de preuve produit par Postes Canada pour démontrer que la Commission n’appliquait pas ces pratiques et procédures en 1983 est l’affaire Klym de 1984, précitée, dans laquelle Postes Canada allègue que l’on a comparé les salaires payés à de vrais hommes et femmes, par opposition à ceux payés à des groupes professionnels à prédominance masculine et à prédominance féminine.

[101]     La Cour juge, comme conclusion de droit, que les OER de 1978 n’étaient pas un code exhaustif ou exclusif des pratiques que la Commission devait suivre pour examiner une plainte en matière d’équité salariale. En fait, il est évident que les OER de 1978 ne se voulaient pas un code de pratiques et procédures complet pour la Commission. À sa lecture même, les OER de 1978 sont très brèves. En outre, il n’y a aucune disposition législative énonçant ni que la Commission ne peut pas adopter des pratiques et des procédures en sus de celles prévues aux OER de 1978, ni que de telles pratiques ou procédures seraient illégales. Bien qu’elles n’aient peut-être pas force de loi à titre d’« ordonnances », elles ne sont pas non plus des pratiques et procédures illégales.

[102]     Comme mentionné plus haut, la seule preuve citée par Postes Canada pour démontrer que ces pratiques et procédures n’étaient pas suivies en 1983 est l’affaire Klym de 1984. Le fait que dans une affaire en 1984 on n’ait pas suivi la pratique et la procédure consistant à utiliser des groupes professionnels ne signifie pas qu’en 1983, à l’époque où la présente plainte en matière d’équité salariale a été déposée, l’utilisation de groupes professionnels n’était pas une pratique et une procédure que la Commission utilisait aussi pour mettre en application l’article 11 de la LCDP. En outre, l’AFPC et la Commission ont présenté à la Cour des éléments de preuve démontrant clairement que la Commission suivait ces pratiques et procédures en 1983. Ces éléments de preuve comprennent :

1) le libellé de la plainte, qui parle de groupes professionnels « à prédominance masculine » et « à prédominance féminine », par opposition à de vrais employés de sexe masculin et de sexe féminin;

2) le témoignage de M. Paul Durber, directeur de la Direction de la parité salariale à la Commission, qui cite des cas concrets illustrant que l’OPS de 1986 n’a fait que codifier des pratiques déjà en usage à la Commission en 1983;

3) la « Note d’information sur l’ordonnance proposée — l’égalité de rémunération pour des fonctions équivalentes », qui énonçait clairement que la Commission avait recours à des comparaisons indirectes, encore qu’à titre de politique, avant la promulgation de l’OPS de 1986.

En conséquence, compte tenu de ces éléments de preuve, la Cour conclut que la conclusion du Tribunal était raisonnable au vu des éléments de preuve dont il disposait.

[103]     En outre, la prétention de Postes Canada selon laquelle les OER de 1978 et l’article 11 de la LCDP exigent une comparaison entre de vrais hommes et femmes n’est pas compatible avec l’intention du législateur selon laquelle l’article 11 et la LCDP doivent faire l’objet d’une interprétation large et libérale qui favorise, plutôt que de contrecarrer, leurs objectifs. Une telle interprétation étroite a été jugée inappropriée par le juge Evans dans AFPC, précité, où il a affirmé, aux paragraphes 237 à 240 :

              J’estime que la position défendue par le procureur général en l’espèce comporte deux failles quant à la façon dont elle est structurée. Premièrement, sa démarche relativement à l’interprétation de la [LCDP] et de l’[OPS de 1986] est trop abstraite : elle ne s’appuie pas suffisamment sur les réalités factuelles du contexte de l’emploi en cause, sur le témoignage de la batterie de témoins experts qui ont assisté la Commission et le tribunal ni sur les lois analogues en vigueur dans d’autres ressorts.

              Le procureur général a tenté de transformer en questions de droit général et d’interprétation des lois certains aspects de l’application d’une mesure législative prise par le Parlement pour édicter le principe de l’égalité de rémunération pour fonctions équivalentes, alors qu’il convient plutôt de les envisager comme des questions factuelles, techniques ou discrétionnaires, ou comme des questions mixtes de fait et de droit, confiées à des organismes spécialisés responsables de l’administration de la loi.

              Deuxièmement, l’argumentation du procureur général était fondée sur l’interprétation la plus étroite possible de la [LCDP], y compris de la définition du problème visé par l’article 11 et des mesures que le tribunal était autorisé à prendre, en vertu de la loi, pour y remédier. Elle ne tenait compte que pour la forme des avertissements servis par la Cour suprême du Canada selon lesquels la législation en matière de droits de la personne doit, de par sa nature quasi constitutionnelle, recevoir une interprétation large et libérale.

              Le procureur général a trop souvent semblé considérer les dispositions pertinentes de la Loi comme un carcan qui limite le tribunal, plutôt que comme un outil qui aide les organismes spécialisés à appliquer une solution aux problèmes, existant de longue date, de disparité salariale systémique découlant de la ségrégation des emplois selon le sexe et de la sous-évaluation du travail des femmes. [Non souligné dans l’original.]

[104]     À la lumière de ces conclusions, même si le Tribunal a erré en appliquant l’OPS de 1986 à une plainte de 1983, cette erreur n’a aucune conséquence pratique puisque les pratiques et procédures établies à la Commission en 1983 s’appliquent à la plainte, et ces pratiques et procédures, qui ont par la suite été codifiées dans l’OPS de 1986, n’étaient pas illégales en 1983.

[105]     En conséquence, la Cour conclut qu’il était raisonnable pour le Tribunal de conclure :

1) que dès son entrée en vigueur, l’OPS de 1986 s’appliquait immédiatement et de manière générale à la plainte de 1983 de l’AFPC;

2) que l’application de l’OPS de 1986 n’a eu aucune incidence sur aucun droit acquis de Postes Canada, puisque Postes Canada ne possédait aucun droit acquis semblable en vertu des OER de 1978;

3) même si l’on devait juger à l’avenir que l’application de l’OPS de 1986 était rétroactive, il est néanmoins raisonnable de conclure que cette application n’a eu aucune incidence pratique puisque le Tribunal n’a fait qu’appliquer des pratiques et procédures que la Commission appliquait à l’époque où la plainte a été déposée en 1983.

2 e  question : Le Tribunal a-t-il erré en appliquant une norme de preuve incorrecte que le Tribunal aurait inventée?

Index relatif à la 2 e  question

Sujet                                                               No de paragraphe

Décision du Tribunal                                                           118

Position de Postes Canada                                                   142

Position de l’AFPC                                                             146

Position de la Commission                                                  151

Conclusion de la Cour                                                         152

Interprétation téléologique de la LCDP en ce qui concerne la discrimination salariale

[106]     En tant que loi relative aux droits de la personne, la LCDP est une loi quasi constitutionnelle. En conséquence, elle doit recevoir une « interprétation large, téléologique et libérale » qui réalise son application et son objet essentiel, l’élimination de la discrimination. En outre, dans le contexte d’une affaire relative à l’équité salariale, la LCDP a pour but de corriger les problèmes profondément enracinés reliés à la discrimination systémique fondée sur le sexe. Comme l’a affirmé la Cour suprême du Canada dans Canada (Commission des droits de la personne). c. Lignes aériennes Canadien International Ltée, [2006] 1 R.C.S. 3, au paragraphe 15, citant son arrêt précédent dans Bell Canada, précité, au paragraphe 26 :

              Une interprétation stricte pourrait neutraliser les lois sur les droits de la personne et en contrecarrer la réalisation des objectifs mêmes.  En examinant, dans Bell Canada, les aspects de la fonction d’un tribunal des droits de la personne, la Cour a, par la voix de la juge en chef McLachlin et du juge Bastarache, mis en garde contre ce danger :

                                En répondant à cette question, nous devons tenir compte non seulement de la fonction juridictionnelle du Tribunal, mais aussi du contexte plus large dans lequel le Tribunal exerce ses activités.  Le Tribunal fait partie d’un régime législatif visant à identifier les pratiques discriminatoires et à y remédier.  À ce titre, l’objectif plus général qui sous-tend sa fonction juridictionnelle consiste à veiller à la mise en oeuvre de la politique gouvernementale en matière de discrimination.  Il est crucial, pour atteindre cet objectif plus général, que toute ambiguïté dans la Loi soit interprétée par le Tribunal d’une manière qui favorise plutôt que de contrecarrer la réalisation des objectifs de la Loi. [par. 26] [Non souligné dans l’original.]

[107]     La Cour suprême a décrit l’objet de l’article 11 de la LCDP, au paragraphe 17 :

              L’objet de l’art. 11 de la Loi est de déceler des cas de discrimination salariale et d’y porter remède.  Ce but en guide l’interprétation. Comme le juge Evans l’a affirmé dans [PSAC, précité], au par. 199 :

              [A]ucune interprétation de l’article 11 ne peut faire abstraction du fait qu’il vise principalement à remédier au problème de l’écart salarial défavorable aux femmes résultant de la ségrégation des emplois fondée sur le sexe et de la sous-évaluation systémique des tâches habituellement exécutées par des femmes.

[108]     Ce point de vue a été développé par le juge Hugessen, de la Cour d’appel fédérale, lorsqu’il a affirmé dans Ministère de la Défense nationale, précité, au paragraphe 16 :

La discrimination systémique est un phénomène continu qui a des origines profondes dans l’histoire et dans les attitudes sociétales. Elle ne peut être isolée sous forme d’acte ou de déclaration unique. Par sa nature même, elle s’étend sur une certaine période. C’est ce qui est survenu en l’espèce. Le plan de classification des emplois mentionné par l’avocat de l’employeur et qui est à la base de l’inégalité salariale existait depuis 1986.

Une interprétation téléologique ne minimise pas la norme de preuve applicable à la discrimination salariale

[109]     La nature de la loi et l’objectif plus général qui sous-tend l’adjudication du Tribunal est d’assurer la mise en oeuvre de la politique gouvernementale sur la discrimination. Cependant, cela ne signifie pas que l’on peut méconnaître ou minimiser la norme légale ou le fardeau de preuve afin de pouvoir conclure à de la discrimination. Cela serait contraire à l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits, L.R.C. (1985), appendice III, qui garantit aux parties une audition impartiale selon les principes de justice fondamentale.

[110]     Dans les affaires de discrimination, le plaignant doit s’acquitter du fardeau en démontrant l’existence à première vue d’un cas de discrimination. Comme l’a affirmé la Cour suprême du Canada dans Commission ontarienne des droits de la personne et O’Malley c. Simpsons-Sears Ltd. et autres, [1985] 2 R.C.S. 536, à la page 558 :

Suivant la règle bien établie en matière civile, ce fardeau incombe au demandeur. Celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver. Donc, selon la règle énoncée dans l’arrêt Etobicoke quant au fardeau de la preuve, savoir faire une preuve suffisante jusqu’à preuve contraire de l’existence d’un cas de discrimination, je ne vois aucune raison pour laquelle cela ne devrait pas s’appliquer dans les cas de discrimination par suite d’un effet préjudiciable. Dans les instances devant un tribunal des droits de la personne, le plaignant doit faire une preuve suffisante jusqu’à preuve contraire qu’il y a discrimination. Dans ce contexte, la preuve suffisante jusqu’à preuve contraire est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l’absence de réplique de l’employeur intimé.

[111]     En l’espèce, le Tribunal affirme continuellement que pour que la discrimination alléguée soit établie, les éléments de preuve sur lesquels s’appuient l’AFPC et la Commission doivent être « raisonnablement fiables ». Par exemple, le Tribunal affirme, au sujet des renseignements relatifs aux emplois recueillis par la Commission et évalués par l’équipe professionnelle, au paragraphe 596 :

              Comme il a déjà été souligné au paragraphe [413], la norme généralement admise dans l’industrie de l’évaluation des emplois, laquelle norme était connue par l’ensemble des témoins experts, consiste à obtenir, dans la mesure du possible, des renseignements sur les emplois qui sont précis, cohérents et complets. Compte tenu de la décision du Tribunal d’appliquer en l’espèce la norme de fiabilité du « caractère raisonnable » […], une précision raisonnable, une cohérence raisonnable et une intégralité raisonnable sont donc exigées.  [Non souligné dans l’original.]

[112]     En conséquence, la question à trancher est celle de savoir comment cette norme du « caractère raisonnable » peut être réconciliée avec la norme légale de preuve qui, selon toutes les parties, doit s’appliquer dans une affaire relative à l’équité salariale, à savoir la norme civile de preuve, ou une vraisemblance selon la prépondérance des probabilités.

[113]     J’estime que le point de départ d’une telle analyse vient de l’affaire AFPC, précitée. Dans cette affaire, le juge Evans, alors membre de la Section de première instance de la Cour fédérale, a reconnu l’importance d’une interprétation large et téléologique de l’article 11 de la LCDP, affirmant, au paragraphe 79 :

              En bref, j’estime que la bonne interprétation de l’article 11 est que le Parlement avait l’intention de conférer aux organismes créés pour appliquer la Loi une marge de manœuvre pour décider, à la lumière de chaque affaire et avec l’aide de l’expertise technique disponible, comment appliquer le principe, inscrit dans la loi, de l’égalité de rémunération pour fonctions équivalentes dans un cadre d’emploi donné.

[114]     Le juge Evans indique clairement que les affaires dont le Tribunal est saisi devraient être examinées au cas par cas avec l’aide de l’« expertise technique » et des éléments de preuve disponibles relativement à la situation donnée. Le Tribunal devrait être libre d’employer les outils et les éléments de preuve qui lui sont présentés pour déterminer si la discrimination a été prouvée. Cependant, cette [traduction] « méthode souple » ne signifie pas que le fardeau ou la norme de preuve peut être minimisé afin d’établir l’existence d’une discrimination. Bien que le Tribunal soit encouragé à faire preuve de souplesse au plan de l’admissibilité des éléments de preuve, le Tribunal doit tout de même être convaincu selon la prépondérance des probabilités que ces éléments de preuve sont fiables. Il ne devrait y avoir aucune confusion entre la « souplesse » au plan de l’admission d’éléments de preuve et l’obligation pour le plaignant de démontrer que ces éléments de preuve sont vraisemblablement fiables. Admettre une preuve « souple » n’autorise pas le Tribunal à permettre une norme civile de preuve souple.

[115]     La Cour d’appel fédérale a traité expressément de la norme de preuve à appliquer dans Ministère de la Défense nationale, précité, où le juge Hugessen a affirmé, au paragraphe 33 :

              Le fardeau qui incombe à un plaignant devant un Tribunal des droits de la personne ne peut, à mon avis, être plus exigeant que la norme de la prépondérance des probabilités appliquée habituellement dans les affaires civiles. Cette norme se situe loin de la certitude et signifie simplement que le plaignant doit démontrer que ses prétentions sont plus probables qu’improbables. La partie opposée ne peut faire valoir valablement en défense que les choses pourraient [souligné dans l’original] avoir été différentes, car il en est presque toujours ainsi lorsque le fardeau de la preuve en matière civile s’applique. S’il est probable qu’une chose s’est produite d’une certaine façon, par définition, il demeure possible qu’elle se soit produite d’une façon complètement différente. [Non souligné dans l’original.]

[116]     Le juge Hugessen a expliqué l’existence d’un processus en deux étapes pour faire la preuve du bien-fondé d’une plainte devant le Tribunal. En un premier temps, le plaignant doit établir, selon la prépondérance des probabilités, une discrimination salariale au sens de l’article 11 de la LCDP. Une fois que cette preuve est faite, et que l’on sait que le groupe au nom duquel la plainte est formulée a subi un dommage, la deuxième étape consiste à déterminer les dommages- intérêts à accorder au titre de la rémunération non gagnée. Relativement à la deuxième étape, le juge Hugessen a statué, au paragraphe 44 qu’« il est bien établi que la Cour, sachant que la partie demanderesse a subi des dommages, ne peut refuser d’accorder réparation uniquement parce que le montant précis des dommages est difficile ou impossible à établir ».

[117]     Dans Ministère de la Défense nationale, la question de la responsabilité était admise par l’employeur, de sorte que le Tribunal était saisi, selon le juge Hugessen [au paragraphe 41], d’« une demande pure et simple de dommages-intérêts pour perte de salaire ». En l’espèce, la question de la responsabilité, c.-à-d. la question de savoir si l’AFPC s’est acquittée du fardeau qui lui incombait de prouver l’existence d’une discrimination salariale, était en litige devant le Tribunal tout comme elle l’est devant cette Cour.

Analyse de la norme de preuve par le Tribunal

[118]     Le Tribunal a commencé son analyse de la question de savoir si les éléments de preuve présentés par l’AFPC et la Commission avaient satisfait à la norme de preuve en décrivant les éléments qui doivent être établis à cette fin. Le Tribunal a affirmé que sous le régime de l’article 11 de la LCDP dans le contexte d’une plainte en matière d’équité salariale, le plaignant devait prouver quatre « éléments essentiels » selon la prépondérance des probabilités. Ces éléments, décrits au paragraphe 257 de la décision, sont les suivants :

1) le groupe professionnel plaignant est composé majoritairement de membres appartenant au même sexe et le groupe professionnel de comparaison est composé majoritairement de membres de l’autre sexe;

2) les deux groupes professionnels qui sont comparés sont composés d’employés qui travaillent dans le même établissement;

3) la valeur du travail comparé a été évaluée de façon fiable sur le fondement du dosage de qualifications, d’efforts et de responsabilités nécessaire pour leur exécution, compte tenu des conditions de travail;

4) une comparaison faite entre les salaires versés démontre qu’il existe un « écart salarial » entre le groupe professionnel à prédominance féminine et le groupe professionnel à prédominance masculine.

[119]     À l’audience, les parties ont convenu que la question de savoir si le Tribunal avait appliqué la bonne norme de preuve touchait le troisième élément mentionné ci-dessus. En rapport avec le troisième élément — c.-à-d. si la valeur du travail comparé a été évaluée de façon fiable sur le fondement du dosage de qualifications, d’efforts et de responsabilités nécessaire pour leur exécution, compte tenu des conditions de travail — le Tribunal a affirmé que toutes les parties reconnaissaient l’importance de disposer d’évaluations des emplois fondées sur des renseignements fiables sur les emplois.

[120]     Après avoir examiné les renseignements recueillis sur les emplois et la méthodologie employés par la Commission en 1987 et en 1991, et employés par l’équipe professionnelle dans le cadre de ses évaluations des emplois en 1993/1994 et de ses entrevues additionnelles en 1997 et 2000, le Tribunal a entrepris son analyse, au paragraphe 408. L’analyse du Tribunal porte à confusion parce que malgré sa conclusion formulée auparavant (au paragraphe 355) selon laquelle « le processus d’évaluation doit être fiable dans son ensemble, et ce, selon la prépondérance des probabilités », le Tribunal commence, au paragraphe 408, par poser la question suivante :

              Quelle norme de fiabilité le Tribunal devrait-il utiliser? Bien que les trois parties dans la présente plainte aient toutes convenu qu’elles ne cherchent pas la perfection en soi, il est nécessaire d’établir ce qui constitue une norme de fiabilité acceptable dans le contexte de la présente situation relative à la « parité salariale ».

[121]     Après avoir passé en revue les motifs du juge Evans dans AFPC, précité, et du juge Hugessen dans Ministère de la Défense nationale, précité, le Tribunal conclut, au paragraphe 412 :

              Ces décisions appuient le choix de la norme de la décision raisonnable car il n’existe pas de norme de fiabilité absolue. L’application d’une telle norme dépendra en grande partie du contexte de la situation à l’étude. La question, compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’affaire dont le Tribunal est saisi, consiste à savoir si, selon toute vraisemblance, les renseignements sur l’emploi, compte tenu de leurs diverses sources, le système d’évaluation, le processus utilisé et les évaluations qui en ont résulté, malgré leurs lacunes, sont-ils suffisamment adéquats pour que l’on puisse en arriver à une conclusion juste et raisonnable, quant à savoir, en vertu de l’article 11 de la [LCDP], s’il existait une différence entre les salaires des employés du groupe plaignant et les salaires des employés du groupe de comparaison pour l’exécution de fonctions équivalentes?  [Non souligné dans l’original.]

Cette norme de preuve n’est pas claire. « Selon toute vraisemblance » évoque la prépondérance des probabilités, mais l’emploi de l’expression « suffisamment adéquats pour que l’on puisse en arriver à une conclusion juste et raisonnable » porte à confusion.

Trois faits pertinents

[122]     À l’audience, les parties ont cerné trois faits pertinents au regard de l’évaluation des fonctions comparées :

1) la fiabilité des renseignements sur les emplois appartenant aux groupes professionnels comparés, y compris les sources d’où provenaient ces renseignements sur les emplois;

2) la fiabilité de la méthodologie d’évaluation employée pour réaliser les évaluations;

3) la fiabilité du processus d’évaluation réalisé lui-même.

Après avoir soigneusement examiné les observations des parties relativement à ces trois faits pertinents, la Cour concentrera son analyse relative à la norme de preuve sur le premier fait pertinent.

Premier fait pertinent : l’analyse des renseignements sur les emplois par le Tribunal

[123]     Le Tribunal affirme que les trois parties ont convenu de l’« importance vitale » d’utiliser des renseignements et des données fiables dans le cadre d’un exercice d’évaluation d’emplois semblable à celui entrepris par l’équipe professionnelle. Le Tribunal a statué, au paragraphe 597 de sa décision :

              Par conséquent, des renseignements et des données sur les emplois raisonnablement fiables sont un élément essentiel de l’évaluation des emplois en tant que concept, compte tenu de sa dépendance intrinsèque à un jugement humain subjectif. Les décisions des évaluateurs qui utilisent des renseignements sur les emplois raisonnablement précis, cohérents et complets devraient, naturellement, et en fait, logiquement, produire des résultats plus réalistes et plus acceptables que les décisions des évaluateurs qui utilisent des renseignements douteux ou erronés.

[124]     Le Tribunal a divisé en deux étapes son analyse de la preuve des renseignements relatifs aux emplois :

1) Les faits I, qui se composaient des sources de renseignements factuels sur les emplois et des renseignements et des données sur les emplois qui avaient été obtenus à partir de ces sources et existaient avant la date à laquelle l’équipe professionnelle a entrepris son travail pour le compte de l’AFPC;

2) Les faits II, qui se composaient des données et des éléments de preuve supplémentaires pertinents auxquels l’équipe professionnelle a eu accès après qu’elle eut commencé son travail.

[125]     Les renseignements sur les emplois composant les faits I comprenaient : la « Feuille de données sur l’emploi » élaborée par la Commission sans aide professionnelle; le « Guide d’entrevue » conçu par des employés de la Commission; les descriptions d’emplois et les organigrammes fournis par Postes Canada et les particularités du poste PO élaborées par la Commission. En outre, le Tribunal a trouvé quatre faits additionnels se rapportant à ces renseignements relatifs aux emplois, dont il estimait qu’ils avaient une incidence sur la fiabilité des éléments de preuve. Ces faits étaient les suivants : l’incertitude entourant les « divers calculs non professionnels de la taille de l’échantillon CR »; 2) le fait que la « Feuille de données sur l’emploi » et le « Guide d’entrevue » avaient été conçus en fonction du système d’évaluation inachevé System One; 3) le fait que les données sur l’emploi avaient été recueillies à des moments différents; et 4) l’« incompatibilité apparente » entre les renseignements sur l’emploi recueillis relativement aux postes du groupe CR et les « particularités » d’emploi compilées par la Commission quant aux 10 emplois « génériques » PO.

[126]     Les renseignements relatifs aux emplois composant les faits II comprenaient : de la documentation Hay provenant de l’organisation Hay; les « Énoncés de justification » de la Commission, qui exposaient les motifs qui sous-tendaient ses évaluations d’emplois de 1991; un document élaboré par la Commission qui comportait des descriptions des connaissances et habiletés, de la résolution de problèmes, de la responsabilité et des conditions de travail afférents à 10 postes « génériques » PO; des documents relatifs au groupe CR découverts plus tard, dont plusieurs descriptions d’emploi manquantes; et de « nombreux éléments de preuve » qui ont été soumis au Tribunal entre 1995 et 2000.

[127]     Après avoir énuméré les renseignements inclus dans les catégories les faits I et les faits II, et après avoir décrit la position de chaque partie relativement à la qualité des renseignements sur les emplois, le Tribunal a comparé les renseignements sur les emplois utilisés par l’équipe professionnelle avec ceux que l’on s’attendrait habituellement à voir utilisés dans le secteur de l’évaluation d’emplois. Le Tribunal a statué, au paragraphe 662, que les éléments de preuve étaient lacunaires, désuets et incomplets :

              Les lacunes, déjà bien documentées ci-dessus, figurant dans les descriptions des emplois, que l’Équipe professionnelle en est venue à considérer comme étant ses documents de première source quant aux postes CR sont, peut-être, l’une des meilleures illustrations d’un manque général de précision, de cohérence et d’intégralité. M. Wolf, lui-même, a reconnu l’existence des nombreuses lacunes, notamment des descriptions de poste CR périmées, incomplètes, non officielles, voire même manquantes.

[128]     Le Tribunal a ensuite évoqué de nombreuses autres questions « d’incohérence et de manque d’exhaustivité » entourant les renseignements relatifs aux emplois, de même que des lacunes découlant de la « différence appréciable » entre les dates auxquelles les renseignements avaient été recueillis. Le Tribunal a affirmé, aux paragraphes 664 à 666 :

              Même la Commission a fait la mise en garde suivante quant à l’utilisation des descriptions d’emploi dans son livret sur la mise en œuvre de la parité salariale :

              […] les descriptions de tâches ne doivent pas être utilisées ou traitées comme source exclusive ou même principale de données, puisqu’elles reproduisent souvent les stéréotypes et qu’elles ne reflètent pas toujours fidèlement le travail exécuté (paragraphe [358]).

              Une incohérence s’est également produite dans l’utilisation du Guide d’entrevue quant aux titulaires de poste CR. Un certain nombre de modifications dans sa conception initiale, proposées par un représentant de l’[AFPC], ont été acceptées par la Commission après que l’on eut déjà commencé les entrevues, ce qui a entraîné la présence dans le système de deux versions du Guide.

              Des questions d’incohérence et de manque d’exhaustivité ont également été soulevées lors des témoignages quant à l’échantillon CR, lequel comprenait les superviseurs de niveau CR 5, alors que le sous-groupe des superviseurs PO avait été retiré des emplois PO « génériques » par la Commission. De même, on a fait part d’un manque de cohérence quant à la différence appréciable qui existait quant aux dates de collecte des renseignements — 1986 pour les postes CR et 1990/1991 pour les emplois PO « génériques ». M. Willis, par exemple, a mentionné que l’ensemble des données en cause dans l’évaluation des emplois devraient, idéalement, être recueillies durant la même période et aussi près que possible de la date d’exécution des évaluations des emplois. Il a estimé que cela était important en raison du fait que les emplois avaient tendance à changer avec le temps.

[129]     L’analyse et les conclusions du Tribunal concernant la fiabilité des renseignements sur l’emploi utilisés en l’espèce sont exposées aux pages 190 à 197 de la décision du Tribunal.

[130]     Au paragraphe 672 de sa décision, le Tribunal a admis en toute franchise que son évaluation consistant à pondérer les éléments de preuve sur ce point s’était révélée « un défi de taille ».

[131]     Au paragraphe 673, le Tribunal a statué qu’il faisait peu de doute que les renseignements sur les emplois utilisés pour réaliser les évaluations « n’ont pas satisfait à la norme à laquelle on est normalement en droit de s’attendre dans le cadre d’une étude conjointe employeur-employé en matière de “parité salariale” ». Après avoir dit cela, le Tribunal a poursuivi en demandant :

[…] les renseignements sur les emplois étaient-ils « suffisants », selon la prépondérance des probabilités, pour produire des pointages raisonnablement fiables quant aux emplois/postes qui, à leur tour, pouvaient être utilisés pour établir s’il y avait oui ou non un écart de rémunération?

[132]     À ce stade-ci, la Cour note que le Tribunal semble être sur le point d’appliquer la prépondérance des probabilités comme norme de preuve applicable pour établir l’élément essentiel des fonctions équivalentes.

[133]     Puis le Tribunal, compte tenu des problèmes liés à l’échantillon du groupe CR, invoque un principe du droit en matière de dommages-intérêts relativement à la question de savoir si les renseignements sur les emplois étaient « raisonnablement fiables ». En particulier, le Tribunal affirme que la difficulté à déterminer le montant des dommages-intérêts ne peut jamais dégager l’auteur du dommage de son obligation d’indemnisation. Le principe est exposé dans l’ouvrage du professeur S. M. Waddams dans The Law of Damages, feuilles mobiles (Toronto : Canada Law Book, 2006), où il explique, aux pages 13-1 et 13-2 :

              [traduction] C’est à la partie demanderesse qu’incombe le fardeau général de la preuve et l’obligation de prouver la perte visée par sa demande d’indemnisation.

[…]

              Par contre, en droit anglo-canadien, peut-être en raison du déclin du recours à un jury, les tribunaux ont statué de façon constante que dans les cas où la partie demanderesse établit qu’une perte a probablement été subie, la difficulté d’en déterminer le montant ne peut jamais permettre à l’auteur du préjudice de se soustraire au paiement de dommages-intérêts. Si ce montant est difficile à estimer, le tribunal doit simplement faire de son mieux à partir des éléments dont il dispose; évidemment, si la partie demanderesse n’a pas produit une preuve dont on aurait pu s’attendre qu’elle soit produite si la demande était bien fondée, son omission sera interprétée en sa défaveur. [Non souligné dans l’original.]

La Cour note que ce principe, de même que le passage précité, ont été cités par la Cour d’appel fédérale dans Ministère de la Défense nationale, précité, où le juge Hugessen a affirmé, au paragraphe 44 :

              À mon avis, il est bien établi que la Cour, sachant que la partie demanderesse a subi des dommages, ne peut refuser d’accorder réparation uniquement parce que le montant précis des dommages est difficile ou impossible à établir. Le juge doit faire de son mieux à l’aide des éléments dont il dispose.

[134]     Lorsqu’il cite l’ouvrage du professeur Waddams, le Tribunal reconnaît que, bien que le passage ne se rapporte pas directement à la question dont il est saisi, il peut être utile pour répondre à la « question de savoir si oui ou non les renseignements sur les emplois étaient raisonnablement fiables » : décision du Tribunal, au paragraphe 679. Le Tribunal poursuit, au paragraphe 680 :

              Bien que l’extrait susmentionné ait trait au droit de la responsabilité civile délictuelle, le Tribunal estime qu’il porte sur une approche qui est peut-être semblable à ce que le Tribunal estime être le spectre de la fiabilité raisonnable. […]

[135]     En admettant le point de vue selon lequel un décideur doit « faire de son mieux à partir des éléments dont il dispose », le Tribunal adopte une analyse fondée sur l’idée d’un spectre, qu’il estime « pertinente quant à [sa décision] concernant la fiabilité raisonnable des documents utilisés dans le cadre de la réalisation des évaluations dont il est question dans la présente plainte » : décision du Tribunal, au paragraphe 682. Dans le cadre de ce « spectre de caractères raisonnables », le Tribunal pose la question suivante, au paragraphe 683 :

Bien que, il se peut que les renseignements sur les emplois ne rencontrent pas le degré de fiabilité qui est normalement exigé dans une situation de « parité salariale », « sont-ils adéquats » […] pour la présente situation? Subsidiairement, les renseignements sur les emplois […] doivent-ils être rejetés comme n’ayant aucune valeur et sans aucun fondement […]?

[136]     Le Tribunal accentue ensuite l’ambigüité entourant l’application de la norme de preuve, au paragraphe 689, lorsqu’il affirme :

              Le Tribunal doit avouer que naviguer au travers des renseignements sur les emplois par les détroits de la « fiabilité raisonnable » n’a pas été un exercice de tout repos.

[137]     Après avoir dit cela, le Tribunal conclut :

[…] le Tribunal conclut que les renseignements sur les emplois qui étaient entre les mains de l’Équipe professionnelle, étaient, selon toute vraisemblance, « raisonnablement fiables » ou « adéquats » comme l’Équipe les a décrits, et ce, malgré certaines imperfections.

[138]     Au paragraphe 690, le Tribunal affirme que l’aspect le plus exigeant de cette cause a été l’analyse et la vérification de la « fiabilité raisonnable » des renseignements sur l’emploi. Le Tribunal a entendu le témoignage d’expert du Dr Wolf, un membre de l’équipe professionnelle, qui a témoigné devant le Tribunal pendant 49 jours; sept jours d’interrogatoire principal et 42 jours de contre-interrogatoire. Le Dr Wolf a affirmé que l’équipe professionnelle avait, au sujet des emplois qu’elle avait évalués, une compréhension « adéquate mais pas nécessairement idéale ». Après avoir consulté des dictionnaires, le Tribunal a statué qu’« adéquat » signifiait « suffisant », mais « suffisant » a ensuite été défini comme « adéquat ». Le Tribunal s’est ensuite demandé comment « adéquat » se comparait à la définition de « raisonnablement fiable ». Après d’autres consultations de dictionnaires, le Tribunal a statué, au paragraphe 693 :

              Des renseignements sur les emplois « raisonnablement fiables » peuvent donc être interprétés comme étant des renseignements sur les emplois qui sont constamment relativement fiables ou dans lesquel[]s on peut avoir une confiance modérée.

[139]     Le Tribunal a conclu qu’« adéquat » et « raisonnablement fiable » s’équivalaient. C’est à ce stade que le Tribunal invente une « fourchette d’acceptabilité » obscure relativement à la signification de la fiabilité « raisonnable » ou « adéquate ». Le Tribunal trouve « utile » de raisonner en fonction de trois « sous-fourchettes de fiabilité raisonnable » possibles. Le Tribunal appelle respectivement ces trois « sous-fourchettes » « fiabilité raisonnable supérieure », « fiabilité raisonnable médiane » et « fiabilité raisonnable inférieure ».  Au paragraphe 696, le Tribunal conclut ce qui suit :

1) la première sous-fourchette représente les « percentiles supérieurs » de la fourchette;

2) la deuxième sous-fourchette représente le « percentile mitoyen »;

3) la troisième sous-fourchette représente les « percentiles inférieurs ».

[140]     Le Tribunal a affirmé, au paragraphe 696, que l’équité envers toutes les parties dans une cause de parité salariale serait probablement atteinte lorsque la qualité des renseignements sur les emplois cadrait bien à l’intérieur de la sous-fourchette « fiabilité raisonnable supérieure ». Le Tribunal rajoute à la confusion entourant la question lorsqu’il affirme, au paragraphe 698 :

              Par conséquent, bien que les trois sous-fourchettes satisfassent au critère de la « fiabilité raisonnable », la sous-fourchette supérieure satisfait davantage au critère et devrait, selon le Tribunal, être le premier choix dans une situation relative à la « parité salariale ».

[141]     Après avoir laissé l’impression que ces éléments de preuve n’établissaient pas convenablement, selon la prépondérance des probabilités, que les fonctions comparées étaient équivalentes, le Tribunal conclut, au paragraphe 700 :

              En conséquence, le Tribunal a conclu que, comme il a été précisé au paragraphe [689], selon toute vraisemblance, les renseignements sur les emplois utilisés par l’Équipe professionnelle lorsqu’elle a effectué ses évaluations des postes/emplois CR et PO pertinents en l’espèce, étaient raisonnablement fiables, bien que situés au niveau de la « sous-fourchette inférieure de la fiabilité raisonnable ».

Position de Postes Canada

[142]     À l’audience devant la Cour, Postes Canada a soulevé plusieurs arguments contestant l’application de la norme de preuve par le Tribunal. Tout d’abord, Postes Canada a soutenu qu’en concluant que l’allégation de discrimination avait été prouvée, le Tribunal avait erré en substituant à la norme civile de preuve, la prépondérance des probabilités, une norme moins exigeante qu’elle avait inventée de toutes pièces. Postes Canada a cité des passages de la décision où le Tribunal a employé les termes suivants pour justifier sa conclusion : « suffisamment adéquats pour que l’on puisse en arriver à une conclusion juste et raisonnable » (au paragraphe 412); « selon toute vraisemblance […] raisonnablement fiable » (au paragraphe 593); et « raisonnablement fiables, bien que situés au niveau de la “sous-fourchette inférieure de la fiabilité raisonnable” » (au paragraphe 700).

[143]     Postes Canada a soutenu qu’une preuve additionnelle de l’erreur du Tribunal concernant la norme de preuve ressortait de son traitement du principe évoqué par le professeur Waddams selon lequel le juge des faits doit faire de son mieux pour évaluer l’ampleur des dommages, et que la difficulté à le faire ne constitue pas une excuse pour ne pas accorder de dommages-intérêts. Postes Canada soutient que l’analyse du Tribunal confond à tort la question de la responsabilité et la question des dommages. C’est seulement une fois que la responsabilité est établie selon la prépondérance des probabilités que l’on peut s’interroger sur la nature et l’étendue des dommages. En outre, c’est seulement dans le contexte de cette appréciation des dommages que le juge des faits doit « faire de son mieux à partir des éléments dont il dispose ». De telles considérations ne peuvent pas servir de justification pour assouplir la norme de preuve par rapport à ce qu’exige la loi; en l’espèce, la norme civile de la prépondérance des probabilités.

[144]     Postes Canada a soutenu que l’on retrouvait un excellent exemple de la manière dont le Tribunal avait transformé le critère applicable à la discrimination, au paragraphe 683. Dans ce paragraphe, le Tribunal affirme :

              Compte tenu des circonstances de la présente cause et de la nature réparatrice des lois sur les droits de la personne, laquelle nature appelle une interprétation large, libérale et à caractère final, le Tribunal conclut qu’une approche large et libérale comparable, qui fait appel à l’analogie du spectre, convient à une décision relative à la fiabilité raisonnable de renseignements sur les emplois. Bien que, il se peut que les renseignements sur les emplois ne rencontrent pas le degré de fiabilité qui est normalement exigé dans une situation de « parité salariale », « sont-ils adéquats », comme le prétend M. Wolf, pour la présente situation? Subsidiairement, les renseignements sur les emplois utilisés par l’équipe professionnelle, avec leurs diverses lacunes, doivent-ils être rejetés comme n’ayant aucune valeur et sans aucun fondement, comme le veut l’opinion de M. Willis?

Postes Canada soutient qu’il s’agit là d’un excellent exemple des erreurs du Tribunal pour deux raisons. Premièrement, Postes Canada prétend que parce que la LCDP et l’OPS doivent recevoir une « interprétation large, libérale et à caractère final », il ne s’ensuit pas que le Tribunal peut appliquer une telle interprétation à la pondération des éléments de preuve, ou qu’il peut s’en servir pour assouplir la norme de preuve. Deuxièmement, Postes Canada soutient que si les renseignements sur les emplois ne sont pas adéquats, il ne s’ensuit pas qu’ils n’ont aucune valeur, mais simplement qu’ils ne sont pas suffisants pour établir que les fonctions qui sont comparées sont équivalentes. Il s’agit là d’un exemple de situation où, selon Postes Canada, le Tribunal n’a pas simplement employé les mauvais termes, mais a « complètement » et « fondamentalement » transformé le critère à appliquer.

[145]     En conséquence, Postes Canada soutient que bien que le Tribunal ait évoqué (aux paragraphes 69 et 257) la norme de preuve qu’il convenait d’appliquer à un cas de discrimination salariale comme celui-ci, nulle part dans sa décision le Tribunal n’applique-t-il correctement ce critère. Au lieu de cela, Postes Canada soutient que le Tribunal emploie continuellement des termes différents et des normes différentes dans son analyse; des normes qui ne font rien de plus qu’éroder le critère que le Tribunal a évoqué au départ comme étant applicable.

Position de l’AFPC

[146]     L’AFPC a répondu aux observations de Postes Canada dans le cadre d’un argument à deux volets selon lequel la décision du Tribunal était raisonnable. Premièrement, l’AFPC a soutenu que le Tribunal avait bien identifié et appliqué la norme de preuve applicable à la question dont il était saisi. Selon l’AFPC, il ressort clairement de l’analyse du Tribunal que celui-ci a correctement identifié la norme qu’il convenait d’appliquer au paragraphe 69, qu’il a énuméré (au paragraphe 257) les quatre éléments qui devaient être démontrés pour satisfaire à cette norme, puis qu’il a procédé à une analyse et un examen complet des éléments de preuve dont il disposait, lequel examen témoigne d’une [traduction] « plus grande transparence dans le processus décisionnel » que ce à quoi on s’attendrait normalement d’un tribunal inférieur.

[147]     En réponse à la prétention de Postes Canada selon laquelle le Tribunal n’a jamais répondu à une des questions essentielles dont il était saisi — c.-à-d. si les fonctions qui étaient comparées étaient équivalentes — l’AFPC a cité les conclusions suivantes du Tribunal, aux paragraphes 798 et 801 :

              Le Tribunal a déjà conclu que, selon toute vraisemblance, l’utilisation par l’Équipe professionnelle compétente du plan Hay, du processus ainsi que des renseignements sur l’emploi, lesquels sont raisonnablement fiables, aurait comme résultat que des valeurs d’évaluation des emplois raisonnablement fiables seraient attribuées au travail exécuté par les employés CR et par les employés PO (paragraphe [703]). En déterminant la valeur du travail exécuté par ces employés, l’Équipe professionnelle a appliqué le dosage de qualifications, d’effort et de responsabilité nécessaires pour leur exécution, compte tenu des conditions de travail, conformément aux exigences du paragraphe 11(2) de la [LCDP].

[…]

              Le Tribunal accepte que la preuve de l’Équipe profession- nelle, qu’il s’agisse du témoignage de vive voix de M. Wolf ou qu’il s’agisse des rapports présentés par l’Équipe au Tribunal, suffit, selon la prépondérance des probabilités, à démontrer l’existence d’un écart de rémunération lorsque, à Postes Canada, le travail exécuté par le groupe des CR à prédominance féminine est comparé au travail de valeur égale exécuté par le groupe des PO à prédominance masculine. [Non souligné dans l’original.]

[148]     L’AFPC a soutenu que le Tribunal n’outrepassait pas son mandat en examinant les éléments de preuve comme il l’a fait, puisqu’il est possible que les différents « faits pertinents » aient des degrés de fiabilité variables en autant que la preuve, prise dans son ensemble, satisfasse à la norme de preuve. Selon l’AFPC, la décision du Tribunal est complète au plan de l’appréciation des différents « faits pertinents », puis de la prise en compte de cette appréciation pour parvenir à sa conclusion, au paragraphe 801.

[149]     ................................................................................... Le deuxième aspect de l’argument de l’AFPC concerne la fiabilité des renseignements sur les emplois recueillis par la Commission et l’équipe professionnelle. L’AFPC a soutenu que bon nombre des conclusions du Tribunal concernant les renseignements sur les emplois et leurs sources étaient essentiellement des conclusions de fait à l’égard desquelles la Cour doit faire preuve d’une grande retenue. L’argument de l’AFPC repose sur cinq conclusions de fait essentielles tirées par le Tribunal :

1) seule l’équipe professionnelle a lu tous les documents utilisés aux fins des évaluations des emplois en 1993 et aux fins de l’examen des éléments de preuve en 2000;

2) seule l’équipe professionnelle a utilisé les renseignements sur les emplois pour évaluer les emplois;

3) le Tribunal a estimé que le Dr Wolf était un témoin plus crédible et mieux renseigné que tous les experts de Postes Canada;

4) selon le Dr Wolf, les renseignements sur l’emploi étaient au moins adéquats et, plus tard, meilleurs que ceux se rapportant aux emplois du groupe PO;

5) le Tribunal lui-même a conclu que les renseignements sur l’emploi étaient fiables, bien que situés au niveau de la « sous-fourchette inférieure de la fiabilité raisonnable ».

[150]     À l’audience, l’AFPC a présenté les 10 « éléments de référence » suivants, pertinents au regard de la présente espèce :

1) il existe un écart salarial entre les femmes et les hommes à cause d’une discrimination systémique;

2) une bonne part de l’écart salarial résulte a) d’une ségrégation professionnelle et b) de la sous-évaluation du travail des femmes;

3) l’article 11 de la LCDP vise à corriger la partie de l’écart salarial entre hommes et femmes qui est discriminatoire. Une interprétation correcte de l’article 11 prend en compte les réalités de la ségrégation professionnelle et de la sous-évaluation du travail des femmes;

4) le gouvernement fédéral a admis qu’il y avait de la discrimination au sens de l’article 11 et a fait des paiements volontaires à trois groupes professionnels à prédominance féminine dans le secteur public;

5) même après ces paiements unilatéraux, il a été jugé que le gouvernement fédéral faisait de la discrimination contraire à l’article 11;

6) la plainte en l’espèce, déposée en 1983, aurait été incluse dans la plainte contre le Conseil du Trésor — tranchée dans AFPC, précité — si Postes Canada n’était pas devenue une société d’État en octobre 1981;

7) jusqu’en 1981, Postes Canada faisait partie du gouvernement fédéral. Les groupes professionnels étaient identiques à l’échelle de la fonction publique, à l’exception du groupe des opérations postales, qui était propre au ministère des Postes. Ces groupes professionnels ont été maintenus jusqu’en 1988;

8) en 1994, deux ans après le début des audiences et quatre ans après les paiements unilatéraux faits par le gouvernement fédéral, Postes Canada a augmenté la rémunération du groupe CR d’environ 15 % tandis que les augmentations générales étaient limitées à 2,5 %;

9) en 2002, Postes Canada a adopté un nouveau plan d’évaluation des emplois, elle a augmenté la rémunération des employés du groupe CR et a mis fin à leur réclamation de dommages-intérêts pour l’avenir en vertu de l’article 11;

10) la décision du Tribunal traite seulement de la question de l’écart salarial au regard de l’article 11 de 1982 à 2002 pour quelque 2 000 individus.

[151]     La Commission appuie la position de l’AFPC.

La conclusion de la Cour pour ce qui concerne la norme de preuve

[152]     Ces « éléments de référence » constituent des éléments d’arrière-plan, qui portent à croire qu’environ 2 000 employés du groupe CR chez Postes Canada, les plaignants dans la présente affaire d’équité salariale, appartenaient au groupe professionnel CR employé par le gouvernement fédéral avant que Postes Canada devienne une société d’État en 1981. Ces éléments de référence, pris dans leur ensemble, indiquent que l’on aurait jugé qu’environ 2 000 employés du groupe CR chez Postes Canada étaient victimes de discrimination de la part du gouvernement fédéral si Postes Canada n’était pas devenue une société d’État. En outre, le fait que ces employés du groupe CR aient reçu une importante augmentation salariale en 1994, deux ans après le début de l’audience du Tribunal, puis une autre augmentation de leur rémunération en 2002 — qui a débouché sur une entente entre Postes Canada et l’AFPC selon laquelle la réclamation au titre de la discrimination continue serait abandonnée quant à l’avenir — porte à croire que les employés du groupe CR chez Postes Canada ne recevaient pas une juste rémunération. Bien que ces éléments de référence portent à croire qu’il a existé un écart salarial contraire à l’article 11 entre 1982 et 2002 pour environ 2 000 employés du groupe CR chez Postes Canada, ce n’est pas là-dessus que le Tribunal a fondé sa décision. Et c’est cette décision qui fait ici l’objet d’un contrôle judiciaire. Ces éléments de référence constituent des éléments de preuve circonstancielle que le Tribunal n’a pas pondérés ni mentionnés dans sa décision. La Cour ne considère pas que ces éléments de référence sont pertinents au regard de la question de la norme de preuve.

[153]     Pour ce qui est de la question dont la Cour est effectivement saisie, à savoir si le Tribunal a erré en appliquant une norme de preuve plus souple que ce qu’exige la loi, la Cour doit examiner les éléments de preuve présentés et les développements exposés par le Tribunal pour parvenir à sa conclusion.

[154]     Pour ce qui est de la norme de preuve qu’il convient d’appliquer à une plainte en matière d’équité salariale, le juge Hugessen, à titre de membre de la Cour d’appel fédéral, a clairement indiqué que le plaignant doit démontrer que sa position est plus probable qu’improbable. Le fardeau qui lui incombe correspond à la norme ordinairement applicable en matière civile, soit celle de la prépondérance des probabilités.  Ce fardeau s’applique à la responsabilité, et non aux dommages. Le Tribunal, en appliquant la norme de preuve qu’il a correctement reconnue comme étant la prépondérance des probabilités, aux paragraphes 69 et 257, a ensuite mal appliqué cette norme en prenant en compte un principe qui s’applique au quantum des dommages- intérêts. Un tel principe ne s’applique pas du tout en rapport avec la question de la responsabilité.

[155]     Les renseignements sur les emplois utilisés pour réaliser des évaluations des emplois des postes des groupes CR et PO pertinents en l’espèce doivent être jugés fiables. La Cour reconnaît que la preuve dans les affaires d’équité salariale est difficile et exige une démarche souple au cas par cas dans le cadre de l’examen des questions qui se posent sous le régime de la LCDP. Cependant, ces considérations ne libèrent pas le plaignant du fardeau de prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y avait des différences de salaire pour des fonctions équivalentes entre le groupe de plaignants et le groupe de comparaison au sens de l’article 11 de la LCDP.

[156]     Le Tribunal a erré en droit en appliquant une norme de preuve confuse, inventée et inédite relativement à la fiabilité des renseignements sur les emplois afin de conclure à la responsabilité de Postes Canada. Une preuve relative aux renseignements sur les emplois qui, selon le Tribunal, était « raisonnablement fiable » au niveau de la « sous-fourchette inférieure de la fiabilité raisonnable » est moins probante qu’une preuve fiable selon la prépondérance des probabilités.

[157]     La conclusion de la Cour selon laquelle le Tribunal n’a pas conclu que les renseignements sur les emplois étaient fiables selon la prépondérance des probabilités est confirmée indirectement par la décision du Tribunal de réduire les dommages-intérêts de 50 p. 100. Le Tribunal a décidé de réduire les dommages- intérêts de 50 p. 100 parce que les « renseignements sur l’emploi » utilisés pour déterminer l’écart salarial et la rémunération non salariale satisfaisaient seulement à la norme de la « fiabilité raisonnable inférieure » de la fourchette de responsabilité. Le Tribunal a statué, aux paragraphes 948 et 949 :

              Suite à l’analyse spectrale qui a été effectuée quant à ces deux éléments de l’incertitude, le Tribunal conclut qu’un écart de rémunération fondé sur une preuve de « fiabilité raisonnable supérieure » devrait, logiquement, donner lieu à une adjudication à 100 p. 100 de la perte de salaire, une conclusion fondée sur une « fiabilité raisonnable moyenne » à une adjudication de 75 p. 100, et une conclusion fondée sur une « fiabilité raisonnable inférieure » à une adjudication de 50 p. 100 ou moins.

              Par conséquent, le Tribunal conclut que la proposition définitive d’adjudication au titre de la perte de salaire pour chaque employé CR admissible, peu importe la méthode utilisée, devrait être réduite de 50 p. 100 en conformité avec l’état de « fiabilité raisonnable inférieure » des renseignements sur l’emploi pertinents et des formes de rémunération indirecte.

[158]     Cette conclusion démontre que le Tribunal était tellement incertain de la fiabilité des éléments de preuve relatifs aux renseignements sur les emplois qu’il a seulement accordé à la plaignante 50 p. 100 de ses dommages-intérêts. En droit, le Tribunal ne peut pas décider d’accorder à la plaignante seulement 50 p. 100 de ses dommages-intérêts s’il n’est pas convaincu que la preuve relative à la responsabilité était probablement fiable. Une partie ne peut pas être à moitié responsable — à moitié responsable signifie que la preuve était moins que probable. En réduisant l’adjudication de dommages-intérêts de 50 p. 100, le Tribunal confirme indirectement qu’il ne pensait pas que les éléments de preuve étaient fiables selon la prépondérance des probabilités. Au terme de l’audience, si la preuve relative à la responsabilité est également partagée, il n’y a pas prépondérance de la preuve en faveur de la partie plaignante, et la plainte doit être rejetée.

[159]     Dans leurs plaidoiries devant la Cour, l’AFPC et la Commission ont signalé que le Tribunal avait tiré une conclusion finale, au paragraphe 801, quant à savoir si les valeurs des emplois produites en preuve étaient fiables selon la prépondérance des probabilités. Bien que le Tribunal ait pu affirmer une telle conclusion, la Cour ne peut pas faire fi de la façon dont le Tribunal a traité la norme de preuve tout au long de son analyse.

[160]     Par exemple, au paragraphe 703, le Tribunal énonce la question dont il est saisi — à savoir si les faits pertinents sont « raisonnablement fiables » :

              Par conséquent, le Tribunal conclut que, selon toute vraisemblance, le processus Hay ainsi que les renseignements sur les emplois raisonnablement fiables susmentionnés, entre les mains d’évaluateurs compétents, comme l’étaient les membres de l’Équipe professionnelle, permettraient l’attribution de valeurs d’évaluation des emplois raisonnablement fiables aux travaux exécutés par les employés CR et par les employés PO.

En concluant que les faits pertinents doivent produire des évaluations d’emplois « raisonnablement fiables », le Tribunal applique une norme de preuve moins exigeante que la prépondérance des probabilités.

[161]  Dans Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, [1999] 1 C.F. 113, la Cour d’appel fédérale a traité d’« une justification raisonnable » en rapport avec la norme de preuve à satisfaire pour que la Commission renvoie une plainte devant le Tribunal. Comme l’a affirmé le juge Décary, au paragraphe 35 :

              Il est établi en droit que, lorsqu’elle décide de déférer ou non une plainte à un tribunal à des fins d’enquête en vertu des articles 44 et 49 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, la Commission exerce des « fonctions d’administration et d’examen préalable » […] et ne se prononce pas sur son bien-fondé. […] Il suffit la Commission soit « convaincue [que] compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle-ci est justifié » (paragraphes 44(3) et 49(1)). Il s’agit d’un seuil peu élevé et les faits de l’espèce font en sorte que la Commission pouvait, à tort ou à raison, en venir à la conclusion qu’il y avait « une justification raisonnable pour passer à l’étape suivante » […] [Non souligné dans l’original.]

En formulant une telle conclusion, la Cour d’appel fédérale a statué [au paragraphe 35] qu’une « justification raisonnable » est un « seuil peu élevé », et moins élevé que le seuil de la prépondérance des probabilités. Au paragraphe 36, la Cour d’appel fédérale affirme que « justification raisonnable » signifie simplement « suffisantes pour laisser voir la possibilité que de la discrimination contraire à l’article 11 avait eu lieu ». Comme l’a affirmé le juge Décary :

              Les conclusions de l’étude mixte, en plus des conclusions auxquelles en est arrivée la Commission elle-même, étaient suffisantes pour laisser voir la possibilité que de la discrimination contraire à l’article 11 avait eu lieu. Rien de plus n’est demandé à cette étape préliminaire.

[162]     En concluant que les valeurs d’emploi doivent être « raisonnablement fiables », le Tribunal applique une norme qui ressemble davantage à celle qui s’applique à la simple décision de renvoyer une affaire devant le Tribunal — à savoir, une « justification raisonnable » — dont le juge Décary a conclu qu’il s’agissait d’un seuil peu élevé, et d’un seuil moins élevé que la prépondérance des probabilités, qui est la norme applicable lorsqu’un Tribunal statue sur le fond d’une affaire.

[163]     L’empressement du Tribunal à trouver une discrimination salariale ressort à l’évidence de son adoption d’une norme de preuve moins élevée, dont même le Tribunal a candidement reconnu qu’elle était insatisfaisante et inacceptable pour la plupart des affaires d’équité salariale. Pour compenser les faiblesses dans la fiabilité des éléments de preuve, le Tribunal a contrebalancé son insatisfaction par rapport à la fiabilité de la preuve en réduisant le quantum des dommages-intérêts de 50 p. 100.

[164]     En conséquence, la Cour conclut que le Tribunal a appliqué déraisonnablement et incorrectement la mauvaise norme de preuve à des faits pertinents d’une importance vitale. Les éléments de preuve relatifs aux postes du groupe CR et aux emplois du groupe PO n’étaient pas fiables selon la prépondérance des probabilités pour prouver une discrimination salariale entre le groupe des plaignants et le groupe de comparaison.

[165]     Pour le cas où la Cour se tromperait sur ce point, la Cour tranchera les questions subsistantes.

3e   question : Le Tribunal a-t-il erré en concluant que le groupe PO était un groupe de comparaison approprié au regard de cette plainte?

Index relatif à la 3e   question

Sujet                                                                                                                            No de paragraphe

Décision du Tribunal                                                           166

Position de Postes Canada                                                   172

Position de l’AFPC                                                             188

Position de la Commission                                                  196

Conclusion de la Cour                                                         198

Décision du Tribunal d’accepter le choix de groupes de comparaison de l’AFPC

[166]     Le paragraphe 11(1) de la LCDP énonce que le fait pour un employeur de pratiquer la disparité salariale entre des hommes et des femmes qui sont employés dans le même établissement et qui exécutent des fonctions équivalentes constitue un acte discriminatoire. Le Tribunal s’est appuyé sur l’article 11 pour conclure qu’il y avait preuve à première vue de discrimination seulement si le groupe de plaignants prouvait l’existence de quatre éléments essentiels. Le Tribunal a décrit ces éléments, au paragraphe 257 de sa décision, en précisant que le groupe de plaignants et le groupe de comparaison devaient tous deux être composés majoritairement de membres de sexes opposés et devaient être employés dans le même établissement.

[167]     En décidant si le groupe PO, que l’AFPC a choisi comme groupe de comparaison, était approprié aux fins d’une analyse en matière d’équité salariale, le Tribunal s’est concentré sur le premier élément essentiel, à savoir, si le groupe CR et le groupe PO étaient composés majoritairement de membres de sexes opposés. Après avoir brièvement exposé l’historique de chacun des groupes professionnels en question, le Tribunal a affirmé, aux paragraphes 265 et 266 :

              Le groupe plaignant a fait savoir à la Commission, et a exprimé cet avis dans le libellé de la plainte elle-même, qu’il était un groupe à prédominance féminine. Le groupe choisi comme groupe de comparaison a été présenté par le plaignant comme étant un groupe à prédominance masculine. En 1983, plus de 80 p. 100 du Groupe CR était composé d’employés de sexe féminin et un peu plus de 75 p. 100 du Groupe PO était composé d’employés de sexe masculin. Au moment du renvoi de la plainte au Tribunal en 1992, le Groupe CR était toujours à prédominance féminine dans une proportion de plus de 83 p. 100 et le Groupe PO […] était toujours à prédominance masculine dans une proportion d’un peu plus de 71 p. 100.

              L’[AFPC] et la Commission prétendent que ces pourcentages suffisent pour classer le groupe plaignant comme étant composé d’employés à prédominance féminine et le groupe de comparaison comme étant composé d’employés à prédominance masculine. [Note de bas de page omise.]

[168]     Devant le Tribunal, Postes Canada a soutenu que la prédominance masculine générale du groupe PO était illusoire, parce qu’elle « masquait » le fait que le plus important sous-groupe du groupe PO, soit le niveau PO-4 [traduction] « [avait] toujours été essentiellement neutre quant à sa composition en femmes et en hommes et devrait être plutôt considéré comme étant représentatif du groupe PO dans son ensemble » : décision du Tribunal, au paragraphe 269. Postes Canada a soutenu que prendre le groupe PO comme un tout méconnaissait le fait que le niveau PO-4 était devenu la catégorie la plus critique et la plus représentative de travailleurs du groupe PO. Après avoir examiné cet argument, le Tribunal a conclu, aux paragraphes 271 et 272 :

               Le Tribunal n’accepte pas cet argument. Le système de classification des postes du gouvernement fédéral est fondé sur le concept de groupes d’employés, liés ensemble par des catégories de classes de poste. […] Qu’un syndicat à Postes Canada, représentant de nombreux ou l’ensemble des membres du Groupe PO puisse avoir décidé de tenter de créer une situation où les niveaux de classification n’ont essentiellement rien à voir avec les différences salariales ne peut pas changer le concept historique qui constitue le fondement des groupes et niveaux eux-mêmes. […]

              Par conséquent, le Tribunal accepte que le groupe professionnel plaignant, les CR, et le groupe de comparaison, les PO, soient respectivement représentatifs d’un groupe à prédominance féminine et d’un groupe à prédominance masculine parce que chacun comprend plus de 500 membres et parce que chacun comprend au moins 55 p. 100 d’employés de sexe féminin (les CR plaignants) et des employés de sexe masculin (les PO le comparateur). Cette conclusion est fondée sur l’OPS de 1986 qui mentionne l’importance de la taille de chaque groupe et du pourcentage nécessaire d’hommes ou de femmes dans chaque groupe professionnel d’une certaine taille qui fera en sorte que le groupe sera présumé être à prédominance masculine ou à prédominance féminine.

[169]     Après avoir conclu que le groupe PO était composé majoritairement d’hommes, le Tribunal a examiné la question de savoir si le choix du groupe PO par l’AFPC constituait une « sélection aléatoire ». La définition de « sélection aléatoire » par le Tribunal se fondait sur le témoignage de M. Norman Willis, un des témoins experts de Postes Canada, que le Tribunal a qualifié d’expert en matière d’équité salariale et d’évaluation d’emplois. Le Tribunal a affirmé, au paragraphe 276 :

La « sélection aléatoire » dans des situations de « parité salariale » prévoit un scénario dans lequel le groupe plaignant choisit un groupe de comparaison qui, bien qu’il ne comprenne que peu de membres, représente le groupe le mieux rémunéré parmi les groupes de comparaison disponibles. Bien que, naturellement, la rémunération constitue l’un des aspects naturels du choix, […], le choix d’un groupe en fonction uniquement de sa caractéristique de rémunération élevée, si l’on compare avec le groupe plaignant, n’est pas un point de départ acceptable pour faire une comparaison légitime en matière de « parité salariale ». Cela fausserait les résultats de l’évaluation et de la comparaison au profit du groupe plaignant. Permettre l’utilisation d’un groupe de comparaison « choisi aléatoirement » créerait un bouleversement au sein d’un établissement, car il y aurait inévitablement des comparaisons ultérieures entre le groupe plaignant originel et les autres travailleurs. [Souligné dans l’original.]

[170]     Après avoir examiné la preuve relative à la question de savoir si le choix du groupe PO par l’AFPC constituait une « sélection aléatoire », le Tribunal a tiré les conclusions suivantes, aux paragraphes 281 à 283 :

              Le Tribunal accepte que le groupe professionnel le plus important au sein de l’organisme, un groupe représentant environ 80 p. 100 de l’effectif total de Postes Canada, était un groupe approprié comme choix de groupe de comparaison. Il semblait être un groupe professionnel à prédominance masculine selon l’OPS. La connaissance additionnelle que certains membres du Groupe PO effectuaient du travail qui, dans certains cas du moins, étaient semblable au travail effectué par le groupe plaignant a ajouté à la pertinence du choix.

              De plus, la preuve indique que peu d’autres groupes de comparaison auraient pu être choisis. Au moment de l’émission de la plainte, les groupes professionnels Manœuvres et hommes de métier et Services divers — les deux groupes étant apparemment à prédominance masculine, selon l’OPS — représentaient un faible pourcentage des employés de Postes Canada. En outre, il n’existe aucune preuve que l’on ait constaté que le travail effectué par les membres de ces groupes était semblable à celui des membres du groupe CR plaignant.

              Par conséquent, le Tribunal conclut que le groupe plaignant, un groupe professionnel à prédominance féminine et que le groupe de comparaison, un groupe professionnel à prédominance masculine, sont désignés de façon appropriée en vertu de l’article 11 de la [LCDP] et de l’OPS de 1986 comme groupes représentatifs pour la comparaison des fonctions généralement exécutées par des femmes et des fonctions généralement exécutées par des hommes. Par conséquent, le premier critère nécessaire à l’établissement d’une preuve prima facie en vertu de l’article 11 de la [LCDP] a été rencontré. [Non souligné dans l’original.]

[171]     En outre, le Tribunal a admis que les 10 emplois « génériques » PO constituaient un fondement satisfaisant pour les renseignements sur l’emploi au sein du groupe de comparaison PO. Au paragraphe 475, le Tribunal a expliqué que l’équipe professionnelle disposait de « nombreux éléments de preuve et documents […] quant aux fonctions et quant aux activités des travailleurs PO », même si ce n’était que sous forme d’emplois « génériques ». Les renseignements sur l’emploi comme tels n’ont pas pu être recueillis parce que Postes Canada refusait que les employés du groupe PO remplissent la « Feuille de données sur l’emploi » pendant leurs heures de travail, et le syndicat des employés du groupe PO, le Syndicat des travailleurs et travailleuses des Postes, a refusé que les employés remplissent la « Feuille de données sur l’emploi » après le travail à moins d’être rémunérés pour le faire. Pour ces motifs, le Tribunal a admis les renseignements sur l’emploi relatifs aux 10 emplois « génériques » PO aux fins de la réalisation des évaluations en matière d’équité salariale.

Position de Postes Canada

[172]     Postes Canada soutient que le Tribunal a commis deux « erreurs graves » en concluant que le groupe PO était un groupe de comparaison approprié au regard de la plainte de l’AFPC. Premièrement, Postes Canada soutient que l’admission du groupe PO par le Tribunal était une erreur parce que la décision de l’AFPC de comparer les salaires et les valeurs des fonctions du groupe CR et du groupe PO était une sélection manipulatrice qui était fondamentalement incompatible avec les exigences relatives à la preuve d’une plainte systémique.

[173]     Au soutien de sa position, Postes Canada invoque l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Lignes aériennes Canadien International, précité, qui, selon Postes Canada, établit une méthode préconisée relativement aux allégations de discrimination systémique sous le régime de la LCDP. Dans Lignes aériennes Canadien International, la Cour suprême a été appelée à interpréter le sens du mot « établissement » à l’article 10 de l’OPS de 1986, et elle a statué qu’« établissement » ne devrait pas être limité par des aspects géographiques ou régionaux ou par l’existence de conventions collectives divergentes. Comme l’ont affirmé les juges LeBel et Abella, aux paragraphes 35 et 36 :

              Il s’agit donc là de la principale précision apportée par l’art. 10 de l’Ordonnance : sans égard aux différences régionales ou géographiques ou aux divergences entre les conventions collectives, on peut conclure, selon l’art. 11 de la Loi, que les employés visés par la même politique en matière de salaires et de personnel font partie du même établissement.

[…]

              En raison de cette interprétation de « établissement », il faut donc déterminer si l’employeur a effectivement mis en place une politique commune. La recherche de la « même politique en matière de personnel et de salaires » consiste en un examen factuel de la question de savoir s’il existe un ensemble commun de principes ou une ligne de conduite générale adoptée par l’employeur à l’égard de ses relations employeur- employés, y compris la négociation collective. [Non souligné dans l’original.]

[174]     En s’appuyant sur cette analyse, Postes Canada soutient qu’une plainte systémique, comme celle en l’espèce, exige un examen de l’ensemble du système plutôt que d’une partie limitée, « sélectionnée aléatoirement », du système dont on allègue qu’il est discriminatoire. Le Tribunal a expressément statué que la plainte en était une de discrimination systémique (au paragraphe 133), et conclu que Postes Canada avait pratiqué une discrimination systémique (au paragraphe 991).

[175]     Postes Canada soutient que cette position est aussi étayée par les faits dans AFPC, précité, où un échantillon professionnel représentatif de tous les emplois détenus par des hommes au sein de l’établissement avait été établi avant que l’on entreprenne des évaluations d’emplois. En réponse à la proposition de l’employeur de réduire le nombre d’employés de sexe masculin du groupe de comparaison, le juge Evans a affirmé, aux paragraphes 117 et 118 :

La discrimination en cause en l’espèce est de nature systémique, c’est-à-dire qu’elle résulte de l’application au fil du temps de politiques et de pratiques salariales qui tendaient soit à ignorer, soit à sous-évaluer les fonctions généralement exécutées par des femmes.

              Pour comprendre l’importance d’une telle discrimination dans un contexte d’emploi particulier, il est important de pouvoir examiner de la façon la plus détaillée possible l’incidence, sur le salaire des hommes et sur celui des femmes, des pratiques et politiques de l’employeur en matière de rémunération. [ Non souligné dans l’original.]

En conséquence, Postes Canada soutient que la seule façon de prouver un cas de discrimination systémique consiste à examiner la tendance discriminatoire au sein de l’ensemble de l’établissement, et que le Tribunal a erré en acceptant le choix du groupe de comparaison effectué par l’AFPC puisque le groupe PO, malgré qu’il représente 80 p. 100 de l’ensemble des employés de Postes Canada, constituait un sous-ensemble soigneusement sélectionné et hautement rémunéré de l’ensemble du système. En ce sens, [traduction] « l’AFPC n’a pris que ce qu’il y avait de meilleur ».

[176] Postes Canada a aussi soutenu qu’environ 2 500 employés du groupe Manœuvres et hommes de métier (GL) et du groupe Services divers (GS) auraient dû être comparés au groupe CR parce que les valeurs de leurs fonctions respectives se recoupaient, et parce que les groupes GL et GS étaient majoritairement composés d’hommes au sens de l’OPS de 1986. En conséquence, Postes Canada dit que l’AFPC a « sélectionné aléatoirement » le groupe de comparaison qui lui convenait aux fins de sa cause. Inversement, si les groupes GL et GS avaient été comparés au groupe CR, on aurait constaté que les emplois occupés par des hommes et dont les valeurs de fonctions recoupaient celles du groupe CR étaient rémunérés à un taux inférieur à ceux du groupe CR.

[177]     Postes Canada a aussi soutenu que le plus grand groupe d’employés de sexe féminin au sein de l’organisation était celui des « trieurs de courrier » de niveau PO-4 du groupe PO, et qu’il était « irrationnel » de comparer les salaires des 10 000 « trieurs de courrier » de sexe féminin du groupe PO avec ceux versés aux 1 700 employés de sexe féminin du groupe CR, puis d’employer cette comparaison pour conclure à une discrimination salariale systémique contre les employés de sexe féminin de Postes Canada. En outre, en « balayant » ces 10 000 femmes dans le groupe PO, et en utilisant le groupe PO comme groupe de comparaison à prédominance masculine, l’AFPC et la Commission voudraient que le Tribunal et la Cour fassent semblant que ces 10 000 femmes sont des hommes aux fins de la plainte de l’AFPC.

[178]     Le niveau PO-4 était composé de 10 000 femmes et de 10 000 hommes qui, ensemble, travaillaient comme « trieurs de courrier » à Postes Canada. Ces employés étaient les employés syndiqués les mieux payés chez Postes Canada — ils étaient mieux payés que les « facteurs ». En 1983, le groupe CR comptait 1 700 femmes, à comparer à 10 000 femmes travaillant comme « trieuses de courrier » au niveau PO-4. En simplifiant, le groupe PO se composait de 20 000 employés travaillant dans les établissements de Postes Canada comme « trieurs de courrier » et de 20 000 employés travaillant à l’extérieur des établissements de Postes Canada comme « facteurs ».

[179]     ................................................................................... Postes Canada cite le jugement de la Cour fédérale dans AFPC, précité, où le juge Evans a statué que la Commission et le Tribunal devaient prendre en compte l’existence de la sous-représentation des femmes dans des postes mieux rémunérés lorsqu’ils examinaient une plainte de discrimination salariale contre les femmes sous le régime de l’article 11. Le juge Evans a statué, au paragraphe 97 :

              À mon avis, lorsqu’ils statuent sur une plainte fondée sur l’article 11, il relève tout à fait du mandat de la Commission et du tribunal de prendre en considération la sous-représentation des femmes dans des emplois mieux rémunérés.

[180]    Postes Canada soutient qu’en prenant en compte la sous-représentation de femmes dans des postes mieux rémunérés, la Commission et le Tribunal auraient dû tenir compte de la juste représentation des femmes dans des postes mieux rémunérés chez Postes Canada, comme en témoignaient notamment les 10 000 femmes travaillant comme « trieuses de courrier » au niveau PO-4 du groupe PO.

[181]     Le juge Evans a aussi statué que l’interprétation de la LCDP ne devait pas se faire dans l’abstrait, mais devait plutôt se fonder sur les réalités factuelles du contexte de travail à l’étude. Au paragraphe 237, le juge Evans a affirmé :

              J’estime que la position défendue par le procureur général en l’espèce comporte deux failles quant à la façon dont elle est structurée. Premièrement, sa démarche relativement à l’interprétation de la [LCDP] et de l’[OPS de 1986] est trop abstraite : elle ne s’appuie pas suffisamment sur les réalités factuelles du contexte de l’emploi en cause […]

[182]     La réalité factuelle chez Postes Canada est que 10 000 femmes travaillant comme « trieuses de courrier » au sein du groupe PO représentent, avec les 10 000 « trieurs de courrier » de sexe masculin, les employés syndiqués les mieux payés chez Postes Canada; mieux payés que les facteurs, et mieux payés que les 1 700 femmes travaillant comme CR.

[183]     Postes Canada a soutenu qu’il était illogique et irréaliste au plan factuel de conclure qu’il y avait de la discrimination salariale systémique contre les femmes chez Postes Canada alors que le plus grand groupe de femmes correspondait en fait aux employés les mieux payés. Postes Canada soutient qu’ignorer ce fait mène à une conclusion illogique contraire à l’objet de l’article 11 de la LCDP. Le paragraphe 11(1) de la LCDP vise à corriger la discrimination salariale systémique contre les femmes en comparant les salaires réels payés aux employés de sexe masculin et de sexe féminin au sein du même établissement qui exécutent des tâches équivalentes. En admettant le groupe PO comme un groupe de comparaison à prédominance masculine, le Tribunal traite les 10 000 femmes comme si elles étaient des hommes, et il se sert de leurs salaires pour conclure à l’existence d’une discrimination salariale à l’encontre des employés de sexe féminin du groupe CR.

[184]     Selon Postes Canada, la deuxième « erreur grave » que le Tribunal a commise en choisissant le groupe PO comme groupe de comparaison approprié tient au fait que l’évaluation du groupe PO s’est fondé sur 10 emplois « génériques » PO qu’aucun employé chez Postes Canada n’a jamais occupé. Postes Canada soutient que la décision d’admettre les 10 emplois « génériques » PO constituait une erreur de droit pour deux raisons :

1) la décision viole le paragraphe 11(1) de la LCDP, qui exige une comparaison et une évaluation de « fonctions réelles » exécutées par des [traduction] « employés réels de Postes Canada »;

2) le recours à des « emplois théoriques » comme les 10 emplois « génériques » PO crée une incohérence contraire aux normes d’évaluation d’emplois.

[185]     En rapport avec le premier argument, Postes Canada soutient que l’article 11 exige [traduction] « clairement et sans équivoque » que les « fonctions » exécutées par le groupe de plaignants de sexe féminin soient comparées aux « fonctions » exécutées par le groupe de comparaison à prédominance masculine afin de déterminer si les fonctions sont équivalentes. Postes Canada soutient qu’un tel libellé évoque les fonctions d’employés réels, et ne peut pas s’interpréter comme évoquant [traduction] « l’évaluation de descriptions d’emploi généralisées ou de groupes de différents types de fonctions ». Postes Canada soutient que cette position est aussi étayée par le paragraphe 11(7) de la LCDP, qui énonce que pour l’application de l’article 11, « “salaire” s’entend de toute forme de rémunération payable à un individu en contrepartie de son travail » [soulignement ajouté]; un libellé qui donne à entendre que la rémunération est payable à des employés réels, et non à des employés fictifs occupant des emplois théoriques.

[186]     ................................................................................... Postes Canada soutient aussi qu’il n’est ni sensé ni indiqué d’évaluer des emplois généralisés englobant différentes tâches et responsabilités. Les experts affirment plutôt qu’un emploi doit décrire un seul type de fonctions exécutées par tous les employés qui occupent un emploi donné, et que les données sur l’emploi doivent rendre compte des fonctions effectivement exécutées, et non de tâches théoriques. En conséquence, Postes Canada soutient qu’en se fiant aux 10 emplois « génériques » PO de la Commission, le Tribunal a commis une erreur parce que cela a empêché une identification exacte des emplois, et a rendu impossible une évaluation exacte, complète et cohérente des fonctions exécutées par les employés de Postes Canada.

[187]     En conséquence, Postes Canada a soutenu que le groupe PO n’était pas un groupe de comparaison approprié pour les motifs exposés ci-dessus.

Position de l’AFPC

[188]     L’AFPC a soutenu tout d’abord que la conclusion du Tribunal concernant le groupe de comparaison approprié était une conclusion de fait assujettie à la norme de contrôle de la décision manifestement déraisonnable. Il s’agit d’une détermination factuelle fondée sur le témoignage de plusieurs témoins, dont les témoins experts Durber, Armstrong et Willis, et le témoin ordinaire Jones de l’AFPC. Le Tribunal devait apprécier ces témoignages pour décider si le groupe PO constituait un groupe de comparaison approprié. Dans Lignes aériennes Canadien International, précité, la Cour suprême a statué, au paragraphe 42 :

La recherche et l’appréciation des éléments de comparaison appropriés font partie des fonctions essentielles de la Commission et du Tribunal.

Par exemple, est-ce que l’inclusion des femmes au niveau PO-4 rend le choix du groupe PO inapproprié?

[189]     Le raisonnement sur lequel le Tribunal s’est appuyé pour décider que le groupe PO était un groupe de comparaison à prédominance masculine approprié est exposé sous la rubrique « Décision du Tribunal d’accepter le choix de groupes de comparaison de l’AFPC ». Le Tribunal a fait le raisonnement suivant :

1) en 1983, le groupe PO était composé à 75 % d’hommes, en 1992, il était composé à 71 % d’hommes, et ces pourcentages étaient suffisants pour le qualifier de groupe à prédominance masculine (décision du Tribunal, aux paragraphes 255 et 256);

2) le groupe PO est un groupe d’employés ayant en commun d’être regroupés au sein de la même catégorie d’emploi selon le régime de classification des emplois de Postes Canada (décision du Tribunal, au paragraphe 271);

3) certains membres du groupe PO exécutaient des fonctions qui, au moins dans certains cas, étaient semblables aux fonctions exécutées par le groupe CR (décision du Tribunal, au paragraphe 281);

4) les éléments de preuve indiquent qu’il y avait peu d’autres groupes de comparaison qui auraient pu être choisis. Les groupes GL et GS, tous deux à prédominance masculine, représentaient seulement un faible pourcentage des employés de Postes Canada, et il n’y avait aucun élément de preuve indiquant que les fonctions exécutées par ces deux groupes étaient semblables à celles d’aucun membre du groupe CR (décision du Tribunal, au paragraphe 282);

5) on dénombrait 43 099 postes du groupe PO en 1992, composé de 20 510 postes internes PO, dont 18 020 étaient des postes de « trieurs de courrier » de niveau PO-4, et 19 820 postes externes PO, qui comprenaient 17 549 « facteurs ». Le reste du groupe PO était composé de superviseurs PO, qui totalisaient 2 768 employés et que les parties avaient convenu d’exclure de la comparaison.

[190]     L’AFPC soutient qu’après avoir examiné l’ensemble des éléments de preuve, notamment :

1) le témoignage de M. Norman Willis, un témoin expert en matière d’équité salariale et d’évaluation des emplois pour Postes Canada, selon lequel le choix du groupe PO était une « sélection aléatoire » parce qu’il s’agissait d’un groupe professionnel aux salaires relativement élevés par rapport au groupe CR;

2) le témoignage de M. Paul Durber, directeur de l’équité salariale à la Commission, et expert en matière d’équité salariale, selon lequel le groupe PO était un groupe de comparaison approprié en raison de son caractère généralement homogène et de sa taille importante;

3) le témoignage de M. Chris Jones, le représentant de l’AFPC, selon lequel le groupe PO a été choisi en raison des ressemblances entre les tâches et responsabilités de certains emplois CR et PO, tels que celui de « commis au service à la clientèle » du groupe CR et celui de « commis au guichet » du groupe PO,

le Tribunal a conclu que le groupe PO était un groupe de comparaison approprié pour les motifs suivants :

1) il était le plus grand groupe professionnel chez Postes Canada;

2) il représentait 80 p. 100 de l’ensemble des employés de Postes Canada;

3) il était majoritairement composé d’hommes;

4) certains membres du groupe PO exécutaient des fonctions qui étaient semblables aux fonctions exécutées par le groupe CR;

5) d’autres groupes de comparaison envisageables tels que les groupes GL et GS, qui étaient majoritairement composés d’hommes, ne représentaient qu’un faible pourcentage des employés de Postes Canada;

6) il n’y avait aucun élément de preuve indiquant que les fonctions exécutées par les employés des groupes GL et GS étaient semblables à celles exécutées par le groupe CR plaignant.

En conséquence, le Tribunal a conclu que le groupe PO était un groupe de comparaison approprié pour l’application de l’article 11 de la LCDP et de l’OPS de 1986, puisqu’il constituait un groupe représentatif aux fins de la comparaison entre des fonctions généralement exécutées par des hommes et les fonctions généralement exécutées par le groupe CR plaignant : décision du Tribunal, au paragraphe 283.

[191]     Dans ses observations, l’AFPC a contesté les arguments de Postes Canada selon lesquels le Tribunal devait analyser l’ensemble de l’établissement dans le cas d’une plainte systémique. L’AFPC a affirmé qu’un tel argument constituait une application erronée de l’analyse de la Cour suprême dans Lignes aériennes Canadien International, précité, puisque cette affaire portait uniquement sur la définition appropriée d’« établissement » à l’article 11 de la LCDP et à l’article 10 de l’OPS de 1986. La Cour ne dit nulle part dans son analyse que la Commission ou le Tribunal doit utiliser un groupe de comparaison composé de tous les emplois occupés par des membres du sexe opposé au sein d’un établissement donné.

[192]     En outre, dans Lignes aériennes Canadien International, la Cour suprême a statué, au paragraphe 14, que le groupe de comparaison approprié devait se trouver au sein de l’établissement et, au paragraphe 42, que la fonction essentielle du Tribunal est de rechercher et d’appliquer des éléments de comparaison appropriés au sein de l’établissement.

[193]     De plus, l’AFPC soutient que l’argument de Postes Canada à cet égard mine l’intention du législateur, qui n’a jamais envisagé la comparaison de tous et chacun des emplois à prédominance masculine au sein d’un établissement. Le texte de la LCDP étaye cette position, puisqu’il est silencieux quant à l’exigence d’une étude à l’échelle de l’établissement. En outre, l’AFPC affirme que les articles 12 à 15 de l’OPS de 1986 prévoient expressément les plaintes relatives aux pratiques salariales d’un employeur à l’égard de différents groupes au sein de l’établissement. Selon l’AFPC, ce fait contredit directement l’argument de Postes Canada selon lequel il faut procéder à une étude à l’échelle de l’établissement dans le cas de plaintes de discrimination systémique sous le régime de l’article 11 de la LCDP. Pour ce qui concerne la question de savoir si les groupes GL et GS étaient des groupes de comparaison appropriés, le Tribunal a affirmé que ces deux groupes ne représentaient qu’un faible pourcentage de l’ensemble des employés de Postes Canada (2 p. 100) à comparer au groupe PO, qui en représente 80 p. 100. En outre, les fonctions des groupes GL et GS ne sont pas semblables aux fonctions du groupe CR.

[194]     En rapport avec l’allégation de Postes Canada selon laquelle le recours à des emplois théoriques du groupe PO constituait une erreur, l’AFPC soutient qu’une telle prétention n’a aucun fondement juridique puisque des considérations générales relatives à l’équité salariale et les éléments de preuve produits justifient que le Tribunal se soit fié aux 10 emplois « génériques » PO. L’AFPC soutient que l’objectif ultime d’une analyse en matière d’équité salariale est de déterminer comment un employeur rémunère les fonctions exécutées par des hommes par opposition à celles exécutées par des femmes. En conséquence, l’AFPC soutient qu’en autant que les fonctions sont évaluées en conformité avec les critères énoncés au paragraphe 11(2) de la LCDP — soit en fonction des qualifications, des efforts, des responsabilités et des conditions de travail —, il n’y a aucune raison pour laquelle des fonctions masculines et féminines ne peuvent pas être évaluées au moyen de données d’emploi composites par opposition à des données relatives à des emplois réels.

[195]     En outre, l’AFPC soutient qu’en l’espèce, c’est le refus de Postes Canada de collaborer tout au long de la phase de l’enquête qui a obligé la Commission à recourir à la création et l’utilisation des 10 emplois « génériques » PO. L’AFPC soutient que la Commission voulait recueillir des renseignements sur l’emploi relativement au groupe PO de la même manière que pour le groupe CR, mais que cela s’est avéré impossible à cause du refus de Postes Canada de collaborer au processus.

Position de la Commission

[196]     La Commission a aussi contesté plusieurs arguments formulés par Postes Canada. En rapport avec l’allégation de Postes Canada selon laquelle le choix de groupes de comparaison par l’AFPC constituait une « sélection aléatoire » visant à tenter de manipuler les valeurs de fonctions qui en résulteraient, la Commission soutient que le choix de l’AFPC n’était pas une « sélection aléatoire » pour deux raisons. Premièrement, la Commission soutient que, tandis qu’une « sélection aléatoire » mène souvent à la sélection d’un petit groupe de comparaison hautement rémunéré, le groupe PO n’est pas petit du tout, puisqu’il représente environ 80 p. 100 de tous les employés de Postes Canada. Deuxièmement, la Commission soutient que les éléments de preuve ont démontré que le choix de l’AFPC n’avait rien de la manipulation, puisque le groupe CR et le groupe PO étaient des catégories d’emploi établies de longue date au sein de la fonction publique fédérale, avant que Postes Canada devienne une société d’État.

[197]     La Commission a aussi soutenu, à l’instar de l’AFPC, que ni la LCDP ni l’OPS de 1986 n’exigeaient un examen de l’« ensemble de l’établissement » dans les cas de discrimination systémique. La Commission cite l’arrêt de la Cour suprême dans Lignes aériennes Canadien International, précité, au soutien de sa position selon laquelle l’objectif dans le contexte d’une plainte systémique est de trouver des « éléments de comparaison appropriés », et non de procéder à une analyse à l’échelle de l’établissement. Comme l’a affirmé la Cour, au paragraphe 14 :

Il s’agit plus particulièrement de l’interprétation du mot « établissement » à l’art. 11 de la [LCDP] et à l’art. 10 de l’Ordonnance. Une interprétation correcte permettra de dégager les éléments de comparaison appropriés. Étant donné la nature de ses principes et objectifs, la parité salariale ne peut être réalisée sans éléments de comparaison appropriés. [Non souligné dans l’original.]

En conséquence, la Commission soutient qu’étant donné que la LCDP repose sur un système de plaintes et qu’il y a un risque de manque de coopération de la part de l’employeur, l’exigence de mener une analyse en matière d’équité salariale à l’échelle de l’établissement irait à l’encontre de l’objet de l’article 11.

Conclusions de la Cour concernant le caractère approprié du groupe de comparaison

[198]     Une étude réalisée conjointement par l’employeur et le syndicat et portant sur tous les emplois à prédominance masculine et à prédominance féminine chez Postes Canada aurait constitué la meilleure façon de traiter la plainte de discrimination systémique de l’AFPC, mais une telle étude n’est pas obligatoire suivant une interprétation franche de la LCDP, de l’OPS et de la jurisprudence.

[199]     L’article 11 de la LCDP affirme qu’une discrimination systémique suppose l’existence d’une disparité entre les salaires payés à des hommes et des femmes qui sont employés dans le même établissement et qui exécutent des fonctions équivalentes. J’ai déjà conclu, en me ralliant à l’analyse du juge Evans dans AFPC, précité, que l’article 11 ne fait qu’énoncer le principe de l’équité salariale, en laissant une marge de manœuvre considérable à la Commission et au Tribunal pour ce qui est de décider comment mettre ce principe en application dans le contexte d’une affaire donnée.

[200]     Les plaintes de discrimination systémique devraient être évaluées au cas par cas, et tous les tribunaux, qu’ils soient judiciaires ou administratifs, devraient faire preuve de souplesse lorsqu’il s’agit d’évaluer quel type d’élément de preuve ou de méthode est suffisant pour établir le bien-fondé de ce genre de plainte. Bien que j’aie déjà statué qu’une démarche au cas par cas n’élimine pas l’exigence de démontrer le bien-fondé de la plainte selon la norme civile de preuve, il s’ensuit qu’il était raisonnable pour le Tribunal d’utiliser les éléments de preuve dont il disposait pour déterminer si la preuve d’un cas de discrimination systémique avait été faite, y compris, au besoin, les éléments de preuve composés de renseignements « génériques » sur l’emploi.

[201]     La Cour suprême a approuvé l’adoption d’une méthode souple dans son arrêt dans Lignes aériennes Canadien International, précité, où la Cour a affirmé, au paragraphe 14, que l’interprétation correcte d’« établissement » permettait l’identification convenable d’« éléments de comparaison appropriés ». Je conviens avec la Commission et l’AFPC qu’il n’est pas obligatoire que le groupe de comparaison soit fondé sur une analyse à l’échelle du système de tous les emplois à prédominance masculine au sein d’un établissement comme Postes Canada.

[202]     Les faits de la présente espèce font ressortir l’importance de la souplesse dans le traitement des plaintes systémiques. Dans AFPC, précité, les parties avaient collaboré ensemble dans le cadre d’une initiative conjointe entre l’employeur et le syndicat, ce qui avait permis de réaliser une évaluation des pratiques salariales dans l’ensemble de l’établissement avant que le Tribunal soit appelé à déterminer s’il y avait de la discrimination systémique.

[203]     Les faits démontrent clairement qu’il n’y a pas eu d’effort conjoint semblable de la part de l’AFPC et de Postes Canada en l’espèce. Comme je l’ai noté plus haut, en l’espèce, les parties n’ont pas réussi à s’entendre sur un système d’évaluation conjoint, comme en témoigne la rupture des négociations relativement à l’élaboration de System One. De plus, les actes de Postes Canada ont aussi compromis les efforts de collaboration, puisque Postes Canada a refusé de permettre aux employés de remplir la « Feuille de données sur l’emploi » de la Commission pendant leurs heures de travail. Les efforts de la Commission ont été minés en outre par le syndicat représentant les employés du groupe PO, qui a refusé de permettre à ses membres de participer à du [traduction] « travail non rémunéré après le travail » aux fins de remplir la « Feuille de données sur le travail ». Ces contraintes ont empêché la Commission de réaliser son objectif initial de recueillir des renseignements sur l’emploi relativement aux employés du groupe PO de la même manière que pour le groupe CR.

[204]     Cependant, comme le Tribunal l’a conclu, au paragraphe 1002 :

[…] on peut également prétendre que la Commission n’était pas complètement libre de toute responsabilité que, elle a pu également contribuer à cette tortuosité par la manière selon laquelle elle a géré l’étape de l’enquête de la plainte.

La Cour est d’accord avec ce commentaire, et elle note que Postes Canada était tout à fait disposée à collaborer au début de l’enquête, mais que la Commission voulait mener son enquête au sujet de la plainte sans la participation de Postes Canada. Le Tribunal a statué en outre, au paragraphe 1002, que l’AFPC :

[…] a contribué à cette tortuosité en ne voyant pas, lors de l’étape de formation de la plainte, à ce que les formes de rémunération indirecte […] soient inclus[es] dans les calculs de rémunération.

En conséquence, le Tribunal n’a pas adressé de blâme à Postes Canada, et la Cour admet sa conclusion de fait à cet égard.

[205]     Dans AFPC, précité, le juge Evans a statué que le sens de « groupe professionnel » était une question d’interprétation des lois qui était assujettie à la norme de contrôle de la décision correcte. Le juge Evans a statué, au paragraphe 174 :

           Étant donné que le sens de l’expression « groupe professionnel » figurant dans l’Ordonnance est une question d’interprétation des lois, je dois déterminer, selon la norme de la décision correcte, si le tribunal a commis une erreur en tirant la conclusion à laquelle il est parvenu.

[206]     La Cour convient avec le juge Evans, qui a siégé comme juge de première instance dans AFPC, que la signification de « groupe professionnel » est une question de droit et que la norme de contrôle est celle de la décision correcte. Cependant, la Cour estime que le choix du groupe de comparaison approprié est une question mixte de fait et de droit, et qu’il convient de la contrôler selon la norme de la décision raisonnable simpliciter.

[207]     Bien que le Tribunal ait analysé les éléments de preuve concernant le caractère approprié du groupe PO comme groupe de comparaison, la Cour estime qu’il était déraisonnable pour le Tribunal de méconnaître le fait que le plus grand groupe de femmes chez Postes Canada était les 10 000 femmes qui travaillaient comme « trieuses de courrier » au sein du groupe PO, et que ces 10 000 femmes étaient les employées syndiquées les mieux payées chez Postes Canada. La Cour trouve déraisonnable de choisir un groupe de comparaison qui masque les 10 000 femmes, et qui a pour effet de les considérer comme des hommes pour l’application de l’article 11. Cela est à la fois contraire à l’objet de l’article 11 et illogique. De plus, il est évident qu’il n’y avait pas de discrimination salariale systémique à l’encontre des femmes employées chez Postes Canada puisque le plus grand groupe de femmes chez Postes Canada était le mieux payé de tous les employés syndiqués.

[208]     La Cour tient dûment compte de la mise en garde formulée par la Cour suprême du Canada dans Lignes aériennes Canadien International, précité, selon laquelle une interprétation stricte de la LCDP pourrait neutraliser les lois sur les droits de la personne et en contrecarrer la réalisation des objectifs mêmes. L’objectif plus général qui sous-tend l’adjudication du Tribunal est d’assurer la mise en œuvre de la politique gouvernementale sur la discrimination salariale, et de veiller à ce que toute ambigüité dans la LCDP soit interprétée d’une manière qui favorise la réalisation des objectifs de cette loi plutôt que de les contrecarrer. Dans Lignes aériennes Canadien International, la Cour a affirmé, au paragraphe 17 :

              L’objet de l’art. 11 de la [LCDP] est de déceler des cas de discrimination salariale et d’y porter remède.  Ce but en guide l’interprétation.

La Cour suprême a ensuite cité les propos du juge Evans dans AFPC, lorsqu’il affirmait, au paragraphe 199 :

[…] aucune interprétation de l’article 11 ne peut faire abstraction du fait qu’il vise principalement à remédier au problème de l’écart salarial défavorable aux femmes résultant de la ségrégation des emplois fondée sur le sexe et de la sous-évaluation systémique des tâches habituellement exécutées par des femmes.

[209]    En l’espèce, je suis convaincu que le Tribunal, en interprétant « groupe professionnel » de manière à inclure le plus grand groupe de femmes travaillant chez Postes Canada et de manière à les traiter effectivement comme des hommes à des fins de comparaison, méconnaît le fait que, chez Postes Canada, il n’existait :

1) ni d’écart salarial qui désavantageait 10 000 employés de sexe féminin par suite d’une ségrégation des emplois fondée sur le sexe;

2) ni de sous-évaluation systémique des tâches habituellement exécutées par des femmes.

La Cour ne peut pas méconnaître le fait qu’un des plus grands groupes d’employés chez Postes Canada est ce groupe de 10 000 femmes travaillant comme « trieuses de courrier », et qu’historiquement, celles-ci ont été les employées les mieux payées chez Postes Canada. Cela démontre qu’il n’y avait pas de discrimination salariale systémique à l’encontre des employés de sexe féminin chez Postes Canada.

[210]     Si l’AFPC a raison de prétendre que la norme de contrôle applicable est celle de la décision manifestement déraisonnable, la Cour estime, comme conclusion de fait, que le choix de l’ensemble du groupe PO, y compris les 10 000 employés de sexe féminin, est clairement irrationnel et, par conséquent, manifestement déraisonnable, en plus d’être simplement déraisonnable.

[211]     Pour le cas où la Cour se tromperait sur ce point, la Cour tranchera les questions subsistantes.

4 e  question : Le Tribunal a-t-il erré en statuant que dès lors qu’une disparité salariale relative à des fonctions équivalentes est établie, l’article 11 de la LCDP pose une présomption légale de discrimination fondée sur le sexe qui peut seulement être réfutée par un des motifs énumérés à l’article 16 de l’OPS de 1986?

Index relatif à la 4 e  question

Sujet                                                               No de paragraphe

Décision du Tribunal                                                           216

Position de Postes Canada                                                   219

Position de l’AFPC                                                             223

Position de la Commission                                                  226

Conclusion de la Cour                                                         227

La LCDP et les ordonnances

[212]     Le paragraphe 27(2) de la LCDP habilite la Commission à prendre des ordonnances. Le paragraphe 11(4) énonce que la Commission peut reconnaître par ordonnance des « facteurs raisonnables » justifiant une disparité salariale entre des employés de sexe masculin et de sexe féminin exécutant des fonctions équivalentes. Les « facteurs raisonnables » constituent des moyens de défense qu’un employeur peut invoquer en réponse à une plainte en matière d’équité salariale.

[213]     Des « facteurs raisonnables » ont d’abord été inclus au paragraphe 4(1) des OER de 1978. Une liste similaire, quoique plus étendue, de 10 facteurs raisonnables a été incluse à l’article 16 de l’OPS de 1986.

[214]     Dans AFPC, précité, le juge Evans a traité de l’effet voulu de l’article 11 de la LCDP et de l’article 16 de l’OPS de 1986, en affirmant, au paragraphe 150 :

Par conséquent, dès que l’auteur de la plainte a prouvé qu’il existe une disparité salariale entre les hommes et les femmes qui exécutent des fonctions équivalentes, il est établi que cette disparité contrevient à l’article 11, sous réserve uniquement de la preuve faite par l’employeur que cette disparité est fondée sur un « facteur reconnu comme raisonnable » par l’article 16 de l’Ordonnance. [Non souligné dans l’original.]

[215]     Le juge Evans a poursuivi, au paragraphe 152, en affirmant que l’effet combiné des deux dispositions créait une présomption légale de discrimination fondée sur le sexe qui pouvait être réfutée uniquement par les « facteurs raisonnables » justifiant un tel traitement :

              On peut donc croire que le paragraphe 11(1) a remédié au problème de la preuve en édictant une présomption selon laquelle, lorsque les femmes et les hommes reçoivent un salaire différent pour exécuter des fonctions équivalentes, cet écart est fondé sur le sexe, à moins qu’il puisse être attribué à un facteur que la Commission a reconnu comme motif raisonnable dans une ordonnance.

La décision du Tribunal concernant l’existence d’une présomption légale

[216]     Le Tribunal a appliqué l’analyse du juge Evans dans AFPC, précité, et a conclu que l’article 11 de la LCDP créait une présomption réfutable selon laquelle la disparité salariale entre employés de sexe masculin et de sexe féminin exécutant des fonctions équivalentes était le résultat d’une discrimination fondée sur le sexe. S’appuyant sur cette conclusion, le Tribunal a affirmé que la « véritable question » consistait à savoir si l’article 16 de l’OPS de 1986 était exhaustif, c.-à-d. que la présomption pouvait seulement être réfutée par un des « facteurs raisonnables » énumérés à l’article 16, ou si d’autres facteurs non énumérés dans l’OPS pouvaient être invoqués pour réfuter la présomption.

[217]     Après avoir récapitulé les positions de l’AFPC, de Postes Canada et de la Commission, le Tribunal a affirmé, au paragraphe 248 :

              Le Tribunal accepte que l’article 11 de la [LCDP] traite principalement d’une pratique discriminatoire particulière mieux connue sous le nom de discrimination systémique. Ce type de discrimination a souvent été, historiquement, la conséquence de politiques et de pratiques de recrutement et d’embauche qui intrinsèquement, mais pas nécessairement intentionnellement, ont eu pour conséquence que les femmes étaient moins rémunérées que les hommes pour des fonctions comparables. Le concept de « un salaire égal pour un travail de valeur égale » est, par conséquent, une tentative de régler le problème de la discrimination systémique en mesurant la valeur du travail effectué par des hommes et des femmes.

[218]     Après avoir cité à nouveau le juge Evans dans AFPC, précité, le Tribunal a conclu, aux paragraphes 252 et 253:

              Le Tribunal souligne que la décision susmentionnée de la Cour suprême du Canada [dans Bell Canada, précité] appuie le point de vue que l’intention du législateur était d’ajouter des précisions à la [LCDP] en termes du pouvoir de prendre des ordonnances qui, de l’avis du Tribunal, sont compatibles avec une approche « fermée » à l’établissement de « facteurs raisonnables ». En outre, une liste fermée de « facteurs raisonnables » serait, de l’avis du Tribunal, également compatible avec le principe d’interprétation limitative des défenses dans les causes de droits de la personne.

              Par conséquent, le Tribunal conclut que la présomption édictée par le paragraphe 11(1) de la [LCDP], bien qu’elle soit réfutable, en est une qui ne peut être réfutée que par des « facteurs raisonnables » reconnus, le cas échéant, par la Commission, conformément aux paragraphes 11(4) et 27(2) de la [LCDP].

Position de Postes Canada

[219]     Postes Canada soutient que le Tribunal a méconnu d’importants éléments de preuve indiquant qu’il n’existait pas d’écart salarial important fondé sur le sexe entre les employés de sexe masculin et les employés de sexe féminin chez Postes Canada. À cet égard, Postes Canada invoque les éléments de preuve indiquant que le plus grand groupe d’employés de sexe féminin chez Postes Canada, soit les employées de niveau PO-4, était mieux rémunéré que le plus grand groupe d’employés de sexe masculin, soit ceux du groupe PO-EXT 1 (les facteurs), malgré le fait que ces employées exécutaient des [traduction] « fonctions traditionnellement confiées à des femmes ».

[220]     Postes Canada affirme que pour qu’il y ait de la discrimination systémique, les salaires payés aux employés de groupes professionnels à prédominance féminine, ou affectées à des fonctions considérées comme du [traduction] « travail de femme », doivent inévitablement être inférieurs aux salaires payés aux employés de groupe professionnels à prédominance masculine, ou affectés à des fonctions considérées comme du [traduction] « travail d’homme ». Cependant, Postes Canada soutient qu’une comparaison entre le niveau PO-4 et les facteurs démontre qu’il n’existait aucun écart salarial semblable et qu’en fait, les employés exécutant des [traduction] « fonctions traditionnellement confiées à des femmes » étaient mieux payés que les employés exécutant du « travail d’homme ».

[221]     En conséquence, Postes Canada soutient que le Tribunal a tenté de justifier ses conclusions en méconnaissant les femmes employées au niveau PO-4, et en permettant à l’AFPC d’éclipser ces employées artificiellement grâce à son choix manipulateur de groupes de comparaison. Dans la mesure où le Tribunal a tenté de justifier sa décision en méconnaissant le niveau PO-4 et en tenant compte uniquement du groupe PO pris dans son ensemble, Postes Canada soutient que le Tribunal a erré. (Cet argument est le même qu’à l’égard de la 3e question.)

[222 ]    Postes Canada soutient que, bien que les facteurs raisonnables énumérés à l’article 16 de l’OPS de 1986 — et établis par la Commission en vertu du paragraphe 11(4) de la LCDP — permettent d’opposer une défense complète à une plainte formulée en vertu de l’article 11, ils s’appliquent seulement dans les cas où le paragraphe 11(1) de la LCDP aurait autrement été violé. Par conséquent, Postes Canada soutient qu’elle aurait dû être admise à se défendre contre la plainte de l’AFPC en soutenant qu’il n’y avait eu aucune violation du paragraphe 11(1), même si ce moyen de défense n’était pas énuméré parmi les « facteurs raisonnables ».

Position de l’AFPC

[223]     L’AFPC soutient que la prétention de Postes Canada doit être rejetée puisqu’elle n’est pas compatible avec la méthode appropriée d’interprétation des lois relatives aux droits de la personne. L’AFPC soutient qu’étant donné l’objectif général des lois relatives aux droits de la personne, qui consiste à offrir une protection contre la discrimination, les moyens de défense opposables à de telles allégations doivent être [traduction] « définis clairement et interprétés restrictivement ». L’AFPC soutient que la prétention de Postes Canada selon laquelle la liste de « facteurs raisonnables » n’est pas exhaustive entre directement en conflit avec l’intention du législateur, et elle soutient que considérer cette liste comme exhaustive s’accorde davantage avec le principe selon lequel les moyens de défense dans le domaine des droits de la personne doivent s’interpréter restrictivement.

[224]     Pour ce motif, l’AFPC soutient que le Tribunal a interprété correctement le raisonnement du juge Evans dans AFPC, précité, selon lequel à moins qu’elle soit justifiée par un des « facteurs raisonnables » énumérés à l’article 16 de l’OPS de 1986, une disparité salariale entre employés de sexe masculin et employés de sexe féminin exécutant des fonctions équivalentes sera attribuée à de la discrimination fondée sur le sexe.

[225]     En outre, l’AFPC soutient que le fait pour Postes Canada d’invoquer le niveau PO-4 pour tenter d’établir qu’il n’y avait pas de discrimination fondée sur le sexe au moment de la plainte en l’espèce équivaut à une interprétation erronée de l’article 11 de la LCDP, et repose sur une conception erronée de la causalité dans le contexte des plaintes en matière d’équité salariale. L’AFPC soutient que le Tribunal a eu raison de rejeter les éléments de preuve de Postes Canada concernant le niveau PO-4.

Position de la Commission

[226]     La Commission soutient que l’argument de Postes Canada est erroné, et que l’existence d’une présomption ressort clairement du libellé du paragraphe 11(1) de la LCDP. La Commission affirme que le Tribunal a eu raison d’appliquer le raisonnement du juge Evans dans AFPC, précité, puisque ce jugement fixe le droit quant à l’existence d’une présomption.

Conclusion de la Cour quant à savoir si l’article 11 édicte une présomption réfutable

[227]     Il est clair d’après la LCDP et la jurisprudence pertinente que dès lors qu’une plainte établit l’existence d’une discrimination à première vue sous le régime de l’article 11 — c.-à-d. que la plainte établit, selon la prépondérance des probabilités, l’existence d’une disparité salariale entre employés de sexe masculin et employés de sexe féminin, que ces employés travaillent dans le même établissement et qu’ils exécutent des fonctions équivalentes — l’article 11 crée une présomption réfutable de discrimination fondée sur le sexe.

[228]     En conséquence, pour ce motif, j’admets le raisonnement du juge Evans (qui était juge de première instance à l’époque), dans AFPC, précité, et je conclus que la démonstration de l’existence d’un cas de discrimination systémique sous le régime de l’article 11 de la LCDP fait naître une présomption selon laquelle cette discrimination est fondée sur le sexe. Cette conclusion ayant été tirée, la prochaine question à examiner est celle de savoir si la présomption peut seulement être réfutée en invoquant l’un ou l’autre des « facteurs raisonnables » qu’autorise le paragraphe 11(4) de la LCDP et qu’énumère l’article 16 de l’OPS de 1986.

[229]     L’AFPC soutient qu’une méthode d’interpréta- tion convenable à l’égard des lois relatives aux droits de la personne exige que les moyens de défense opposables aux allégations formulées sous le régime de ces lois soient interprétés restrictivement. Au soutien de sa position, l’AFPC cite la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Zurich Insurance Co. c. Ontario (Commission des droits de la personne), [1992] 2 R.C.S. 321, où le juge Sopinka a affirmé, à la page 339 :

              Dans l’examen de l’interprétation d’une loi sur les droits de la personne, il faut respecter certains principes spéciaux.  Les lois sur les droits de la personne se classent parmi les lois les plus prééminentes.  Notre Cour a affirmé qu’une telle loi est « d’une nature spéciale.  Elle n’est pas vraiment de nature constitutionnelle, mais elle est certainement d’une nature qui sort de l’ordinaire » […] Une des raisons pour lesquelles nous avons ainsi décrit les lois sur les droits de la personne c’est qu’elles constituent souvent le dernier recours de la personne désavantagée et de la personne privée de ses droits de représentation.  Comme les lois sur les droits de la personne sont le dernier recours des membres les plus vulnérables de la société, les exceptions doivent s’interpréter restrictivement […]

En conséquence, l’AFPC soutient que pour respecter ces principes, il faut adopter une interprétation restrictive de l’article 16 de l’OPS de 1986 et considérer que cette disposition est exhaustive, comme l’a fait le Tribunal à juste titre.

[230]     Bien que Postes Canada soutienne qu’elle devrait être admise à démontrer que la discrimination en cause résulte d’autres facteurs que ceux énumérés à l’article 16, en réalité, les éléments de preuve produits par Postes Canada se rapportent à la question de savoir si un cas de discrimination à première vue a été prouvé, et non à la question de savoir s’il existe une justification raisonnable à un tel traitement.

[231]     Les éléments de preuve concernant le niveau PO-4 et l’omission d’emplois à prédominance masculine moins bien rémunérés appartenant à d’autres unités de négociation de l’AFPC se rapportent à la question du groupe de comparaison approprié. Or, la Cour a déjà conclu relativement à la 3e   question que le choix de groupes de comparaison effectué par le Tribunal était déraisonnable, et pour ce motif, ainsi qu’en raison de la question de la norme de preuve, aucune discrimination à première vue n’a été établie. En conséquence, la question d’une « présomption légale » de discrimination fondée sur le sexe ne se pose pas.

LA DEMANDE DE L’AFPC

Introduction

[232]     La dernière question à trancher découle de la demande de contrôle judiciaire de l’AFPC dans le dossier no T-1989-05, et elle concerne la décision du Tribunal de réduire son adjudication de dommages-intérêts de 50 p. 100.

5 e  question : Le Tribunal a-t-il erré en concluant que les dommages-intérêts pouvaient être réduits de 50 p. 100 pour tenir compte de certains éléments d’incertitude touchant les renseignements sur les emplois et les formes de rémunération non salariale?

Index relatif à la 5 e  question

Sujet                                                               No de paragraphe

Décision du Tribunal                                                           236

Position de Postes Canada                                                   240

Position de l’AFPC                                                             244

Position de la Commission                                                  246

Conclusion de la Cour                                                         249

La LCDP et le pouvoir du Tribunal d’accorder des dommages-intérêts

[233]     Le paragraphe 53(2) de la LCDP confère au Tribunal de vastes pouvoirs réparateurs lorsqu’il conclut à l’existence de cas de discrimination sous le régime de l’article 11. L’alinéa 53(2)c) affirme que le Tribunal a le pouvoir d’ordonner à un employeur d’indemniser les victimes de discrimination « de la totalité, ou de la fraction des pertes de salaire » que ces individus ont encourues, et « des dépenses entraînées par l’acte [discriminatoire] ».

[234]     Dans Ministère de la Défense nationale, précité, le juge Hugessen a commenté le sens de cette disposition, en affirmant au paragraphe 20 :

              Selon moi, cette disposition confère simplement et explicitement le pouvoir d’ordonner le paiement à une victime des pertes de salaire qu’elle a subies en raison d’un acte discriminatoire. Pareille ordonnance est nécessairement axée sur le passé et résulte de la réponse donnée à la question suivante : « Quelle est la rémunération dont cette victime a été privée en conséquence de l’acte discriminatoire? »

[235]     Dans Canada (Procureur général) c. Morgan, [1992] 2 C.F. 401 (C.A.), le juge Marceau a statué, à la page 414, que l’objet d’un octroi de dommages-intérêts dans le contexte d’une plainte en matière d’équité salariale, ou des droits de la personne en général, est le même que l’objet d’un octroi de dommages-intérêts en vertu du droit de la responsabilité civile délictuelle :

Dans les deux cas, le principe est le même : la partie lésée doit être remise dans la position où elle aurait été si le tort ne s’était pas produit. Tout autre but entraînerait un enrichissement sans cause et un appauvrissement injustifié parallèle.

La décision du Tribunal de réduire le montant des dommages-intérêts accordés

[236]     Le Tribunal a pris en compte les affirmations du juge Hugessen et du juge Marceau pour parvenir à sa décision. En particulier, le Tribunal s’est appuyé sur l’affirmation du juge Hugessen dans la décision Ministère de la Défense nationale, précité, selon laquelle un décideur ne peut pas refuser d’accorder des dommages-intérêts au seul motif que la preuve du montant précis des dommages s’avère difficile à établir. Le juge Hugessen affirme en effet, au paragraphe 44, que l’individu « doit faire de son mieux à l’aide des éléments dont il dispose ».

[237]     En s’appuyant sur cette affirmation, le Tribunal a affirmé, au paragraphe 940 de sa décision :

              Alors que la présence de l’incertitude lorsqu’il est question d’établir l’importance des dommages-intérêts ne devrait pas, ne doit pas en fait, empêcher le Tribunal d’accorder des dommages-intérêts, cette incertitude peut, néanmoins, entraîner une réduction, très significative dans certaines circonstances, de la valeur du montant des dommages-intérêts.

[238]     En l’espèce, le Tribunal a trouvé qu’il y avait des incertitudes dans les renseignements sur l’emploi utilisés par l’équipe professionnelle lorsqu’elle a évalué les postes du groupe CR et les emplois du groupe PO, ainsi que dans les formes non salariales de rémunération. Le Tribunal a évalué la nature de cette incertitude, aux paragraphes 941 à 944 :

              Compte tenu de la classification faite par le Tribunal des renseignements sur l’emploi utilisés dans le cadre de l’évaluation des postes CR et des emplois PO comme étant d’« une fiabilité raisonnable inférieure » […], le Tribunal conclut qu’il existe un degré important d’incertitude. Cette incertitude découle de la classification la plus basse dans la « fourchette d’acceptabilité », laquelle l’emporte sur une évaluation des dommages occasionnés par une perte de salaire pour un montant auquel on pourrait s’attendre si les renseignements sur l’emploi avaient été classés comme étant d’une « fiabilité raisonnable supérieure » — le niveau le plus souhaitable pour une cause en matière de « parité salariale ».

              Un autre élément semblable d’incertitude découle de la classification, par le Tribunal, des formes de rémunération indirecte comme étant de « fiabilité raisonnable inférieure » (paragraphe [927]).

              Si ont [sic] tient compte de ces éléments d’incertitude qui ont une incidence sur l’aspect très important de l’appréciation de l’ampleur de l’écart de rémunération, le Tribunal croit que, selon toute vraisemblance, si les renseignements sur l’emploi et les formes de rémunération indirecte avaient été d’une « fiabilité raisonnable supérieure », l’écart de rémunération aurait été plus conforme à la réalité […]

              Reconnaissant ces éléments d’incertitude dans l’état des renseignements sur l’emploi et dans les documents sur les formes de rémunération indirecte, le Tribunal conclut qu’il ne peut pas accepter, en totalité, l’écart de rémunération établie [sic] par l’[AFPC] et endossée [sic] par la Commission.

[239]     Après avoir conclu que les incertitudes dans les renseignements sur l’emploi et les formes non salariales de rémunération empêchaient une indemnisation intégrale, le Tribunal s’est ensuite interrogé quant à savoir qu’est-ce qui constituerait selon lui un montant de dommages-intérêts approprié eu égard aux circonstances de l’espèce. Le Tribunal a évoqué son « analyse fondée sur un spectre » et a statué, aux paragraphes 948 et 949, que les dommages-intérêts devraient être réduits de 50 p. 100 parce que les renseignements sur l’emploi satisfaisaient seulement à la norme de preuve de la « fiabilité raisonnable inférieure » :

              Suite à l’analyse spectrale qui a été effectuée quant à ces deux éléments de l’incertitude, le Tribunal conclut qu’un écart de rémunération fondé sur une preuve de « fiabilité raisonnable supérieure » devrait, logiquement, donner lieu à une adjudication à 100 p. 100 de la perte de salaire, une conclusion fondée sur une « fiabilité raisonnable moyenne » à une adjudication de 75 p. 100, et une conclusion fondée sur une « fiabilité raisonnable inférieure » à une adjudication de 50 p. 100 ou moins.

              Par conséquent, le Tribunal conclut que la proposition définitive d’adjudication au titre de la perte de salaire pour chaque employé CR admissible, peu importe la méthode utilisée, devrait être réduite de 50 p. 100 en conformité avec l’état de « fiabilité raisonnable inférieure » des renseignements sur l’emploi pertinents et des formes de rémunération indirecte.

Position de l’AFPC concernant la réduction des dommages

[240]     L’AFPC soutient que le Tribunal a erré en réduisant les dommages-intérêts accordés de 50 p. 100 pour tenir compte d’« incertitudes » dans les renseignements sur l’emploi et les formes non salariales de rémunération. Après avoir conclu que les éléments de preuve étaient suffisants pour établir le bien-fondé de la plainte selon la prépondérance des probabilités, le Tribunal n’avait pas le droit de réduire le montant des dommages-intérêts accordés parce qu’il croyait que les renseignements utilisés pour établir la disparité salariale n’étaient pas plus que raisonnablement fiables. Une telle conclusion revient à exiger une preuve certaine, une chose qui, selon l’AFPC, est à peu près impossible dans les cas de discrimination systémique, et que la Cour d’appel fédérale a expressément rejetée dans Ministère de la Défense nationale, précité.

[241]     L’AFPC soutient que dans Ministère de la Défense nationale, précité, le juge Hugessen a affirmé que la preuve du bien-fondé d’une plainte de discrimination systémique n’exige pas la certitude, mais doit simplement être faite selon la prépondérance des probabilités. En conséquence, l’AFPC soutient qu’après que le Tribunal eut conclu que le bien-fondé de la plainte avait été établi selon la prépondérance des probabilités, il n’y avait aucun fondement juridique l’autorisant à réduire de 50 p. 100 les dommages-intérêts.

[242]     L’AFPC soutient que le Tribunal a haussé le seuil au plan de la norme de preuve lorsqu’il a exigé que les renseignements sur l’emploi et les formes non salariales de rémunération satisfassent à la norme de la « fiabilité raisonnable supérieure » pour donner lieu à une adjudication de 100 p. 100 des dommages, à la norme de la « fiabilité raisonnable moyenne » pour donner lieu à une adjudication de 75 p. 100, et que puisque les éléments de preuve satisfaisaient seulement à la norme de la « fiabilité raisonnable inférieure », la plaignante avait seulement droit à une adjudication de 50 p. 100 des dommages ou moins.

[243]     L’AFPC soutient que la norme de contrôle que la Cour doit appliquer à cette question est celle de la décision correcte, puisque la question de savoir si, lorsqu’une partie prouve une discrimination salariale selon la prépondérance des probabilités, cette partie a droit à 100 p. 100 des salaires perdus, constitue une question de droit. L’AFPC soutient que la norme de la « fiabilité raisonnable inférieure » est équivalente à la prépondérance des probabilités.

Position de Postes Canada

[244]     La prétention principale de Postes Canada à l’égard de cette question est que la décision du Tribunal de réduire le montant des dommages-intérêts accordés est une question théorique, puisque sa conclusion à la responsabilité de Postes Canada s’est fondé sur l’emploi d’une norme de preuve — des fourchettes de fiabilité raisonnable — qui était moins exigeante que la norme exigée par la loi — la norme civile de preuve, une vraisemblance selon la prépondérance des probabilités. En conséquence, Postes Canada soutient que la conclusion du Tribunal quant à la responsabilité de Postes Canada devrait être annulée, faisant ainsi de la conclusion du Tribunal quant aux dommages-intérêts une question théorique.

[245]     Subsidiairement, Postes Canada soutient que la conclusion du Tribunal quant aux dommages-intérêts devrait être confirmée comme étant bien fondée, puisque la LCDP confère au Tribunal un vaste pouvoir discrétionnaire pour ce qui est de concevoir des réparations, et elle n’impose aucune formule rigide quant aux modalités d’exercice de ce pouvoir discrétionnaire. En conséquence, Postes Canada soutient que le Tribunal a correctement appliqué l’analyse de la Cour fédérale du Canada dans Morgan, précité, et que la conclusion du Tribunal en bout de ligne était raisonnable eu égard aux éléments de preuve dont il disposait.

Position de la Commission

[246]     La Commission soutient aussi que c’est à bon droit que le Tribunal a réduit le montant des dommages-intérêts accordés de 50 p. 100, et que cette Cour ne devrait pas modifier cette conclusion. La Commission s’appuie sur l’arrêt de la Cour fédérale dans Morgan, précité, où le juge Marceau a affirmé, aux pages 412 et 413, que les dommages-intérêts peuvent être réduits pour tenir compte de l’incertitude relative aux dommages :

              Il m’est difficile d’accepter la conclusion du tribunal d’appel entérinée par mon collègue qu’il suffisait d’examiner le résultat probable du processus de recrutement pour conclure qu’il s’agissait de la perte d’un emploi plutôt que de la perte d’une simple possibilité d’emploi. La Cour n’a pas à se pencher sur la preuve d’un fait antérieur qui, dans une cour civile, se fait par prépondérance des probabilités. La Cour n’a pas non plus à examiner le lien entre un résultat particulier et sa cause éventuelle. Il me semble qu’il ne faut pas confondre la preuve d’une perte véritable et de son lien avec l’acte discriminatoire avec la preuve de l’ampleur de la perte. Pour démontrer l’existence du préjudice donnant droit à l’indemnité, il n’était pas nécessaire de démontrer que, n’eût été l’acte discriminatoire, le plaignant aurait certainement obtenu le poste. De plus, aux fins d’établir le préjudice, point n’est besoin de démontrer la probabilité de celui-ci. À mon avis, la preuve d’une possibilité, pourvu qu’elle soit sérieuse, suffit à démontrer l’existence du préjudice. Par contre, pour connaître l’ampleur du préjudice et les dommages-intérêts qu’il entraîne, il m’apparaît impossible de rejeter des éléments de preuve démontrant que, de toute manière, le poste aurait pu être refusé. La présence de cet élément d’incertitude empêcherait le tribunal d’accorder les dommages-intérêts qu’il accorderait en l’absence de celui-ci. L’indemnité fixée par le tribunal serait réduite en fonction du degré d’incertitude. [Souligné dans l’original.]

[247]     Selon la Commission, cette affirmation justifie la décision du Tribunal de réduire le montant des dommages-intérêts accordés, puisqu’elle établit que la nature, l’étendue et la valeur d’une perte peuvent être prises en compte dans le contexte d’une appréciation des dommages-intérêts qu’il convient d’accorder. La Commission affirme que la décision du Tribunal suivait cette jurisprudence, et qu’elle n’était donc pas déraisonnable.

[248]     En outre, la Commission a soutenu qu’étant donné le vaste pouvoir discrétionnaire du Tribunal en matière d’indemnisation en vertu de l’alinéa 53(2)c) de la LCDP, son exercice de ce pouvoir discrétionnaire devrait seulement être infirmé s’il s’avère manifestement déraisonnable. Cependant, la Commission convient qu’une conclusion bien fondée quant à la responsabilité est une condition préalable à l’octroi de dommages- intérêts. En conséquence, si la Cour conclut que le Tribunal a erré en concluant qu’un cas de discrimination à première vue avait été établi, la décision du Tribunal concernant les dommages-intérêts est théorique.

Conclusions de la Cour concernant les dommages- intérêts

[249]     Lorsqu’elle a tranché la question de la norme de preuve en l’espèce (2e question, ci-dessus), la Cour a statué, au paragraphe 156 [des présents motifs] :

Une preuve relative aux renseignements sur les emplois qui, selon le Tribunal, était « raisonnablement fiable » au niveau de la « sous-fourchette inférieure de la fiabilité raisonnable » est moins probante qu’une preuve fiable selon la prépondérance des probabilités.

La Cour a statué en outre, au paragraphe 162 [des présents motifs], que la conclusion selon laquelle les valeurs de fonction étaient « raisonnablement fiables » se rapprochait davantage de ce qui était exigé pour qu’une affaire soit renvoyée de la Commission au Tribunal — à savoir, une « justification raisonnable », dont la Cour d’appel fédérale a dit qu’il s’agissait d’un seuil peu élevé, et moins élevé que la prépondérance des probabilités.

[250]     L’impression de la Cour selon laquelle le Tribunal n’a pas appliqué la bonne norme est renforcée par la conclusion du Tribunal, au paragraphe 697 :

[…] l’équité envers l’ensemble des parties dans une cause de « parité salariale » serait probablement atteinte lorsque la qualité des renseignements sur les emplois visés cadrait bien à l’intérieur de la sous-fourchette « fiabilité raisonnable supérieure ».

Cet élément de preuve est plus précis. Au paragraphe 698, le Tribunal a statué :

              Par conséquent, bien que les trois sous-fourchettes satisfassent au critère de la « fiabilité raisonnable », la sous-fourchette supérieure satisfait davantage au critère et devrait, selon le Tribunal, être le premier choix dans une situation relative à la « parité salariale ».

[251]     Cette affirmation peut seulement signifier que la norme de la « fiabilité raisonnable supérieure » équivaut à la prépondérance des probabilités, puisque le Tribunal a reconnu que la prépondérance des probabilités était la norme légale appropriée pour prouver la discrimination salariale sous le régime de l’article 11 de la LCDP. Par conséquent, la Cour ne peut pas accepter la prétention de l’AFPC selon laquelle le Tribunal a conclu que les renseignements sur l’emploi étaient fiables selon la prépondérance de la preuve. Le Tribunal leur a reconnu une valeur probante moindre. Un élément de preuve « raisonnablement faible » selon la prépondérance des probabilités est moins probant qu’un élément de preuve « fiable » selon la prépondérance des probabilités. « Raisonnablement fiable » est quelque chose de moins que fiable.

[252]     Si les renseignements sur l’emploi ne sont pas fiables, alors les valeurs de fonctions qui en résultent ne sont pas fiables. En l’absence de valeurs d’emplois fiables, le Tribunal ne peut pas comparer convenablement les valeurs des fonctions de deux groupes professionnels selon la prépondérance des probabilités.

[253]     En outre, je ne suis pas d’accord avec la position de la Commission concernant la réduction par le Tribunal du montant des dommages-intérêts accordés. Dans Morgan, précité, le juge Marceau a clairement statué que des incertitudes peuvent être prises en compte « pour connaître l’ampleur du préjudice » subi par l’individu ou le groupe victime de discrimination. Ce raisonnement diffère sensiblement de celui en l’espèce, où la décision du Tribunal de réduire les dommages-intérêts de 50 p. 100 n’a pas été prise en raison d’incertitudes quant à l’ampleur du préjudice subi. En effet, la justification du Tribunal pour réduire les dommages-intérêts était que les renseignements sur l’emploi utilisés pour établir « une rémunération égale pour des fonctions égales » satisfaisaient seulement à la norme de la « fiabilité raisonnable inférieure », ce qui correspond à un seuil moins élevé que la norme habituellement exigée quant à la preuve de la responsabilité.

[254]     Comme mentionné précédemment, le juge Hugessen a traité de la distinction entre la preuve de la responsabilité et la preuve des dommages dans Ministre de la Défense nationale, précité, où il a décrit un procédé en deux étapes pour prouver une plainte devant le Tribunal. En premier lieu, le plaignant doit prouver l’existence d’un acte discriminatoire selon la norme civile de preuve habituelle. C’est seulement après que cette preuve a été faite, et que l’on sait que le groupe de plaignants a subi un dommage, que l’on peut procéder à une évaluation de l’ampleur des dommages-intérêts qui devraient être accordés au titre de la perte de salaires. En l’espèce, le Tribunal confond ces deux démarches, et omet de reconnaître que des évaluations différentes sont requises à chaque stade de l’analyse.

[255]     Je conclus que la décision du Tribunal d’accorder des dommages-intérêts est incorrecte et déraisonnable puisque le Tribunal n’a pas conclu convenablement que la plainte de discrimination salariale avait été établie selon la prépondérance des probabilités. L’argument de l’AFPC selon lequel le Tribunal a erré est tributaire de sa prétention selon laquelle la plainte a été établie en conformité avec la norme civile de preuve. Par conséquent, la demande de l’AFPC doit être rejetée.

DURÉE DE L’AUDIENCE

[256]     La Cour serait négligente si elle ne commentait pas la durée de l’audience du Tribunal en l’espèce.

[257]     Le Tribunal trouve répréhensible et déraisonnable :

1) qu’une plainte en matière d’équité salariale de cette nature ait pu durer près de 25 ans depuis le moment où la plainte a été déposée jusqu’à ce qu’elle soit entendue dans le cadre d’un contrôle judiciaire devant la Cour;

2) que l’audience du Tribunal se soit étalée sur 10 ans et 11 mois;

3) que le Tribunal ait délibéré pendant 2 ans et 3 mois.

La longue audience devant le Tribunal rappelle le procès dans le roman de Charles Dickens La Maison d’Âpre-Vent concernant la succession Jarndyce. Jarndyce v. Jarndyce était une cause relative à un important héritage, qui s’est prolongée pendant plusieurs générations. Le procès s’est finalement conclu après que les frais juridiques eurent englouti tout l’héritage. Dickens a écrit au chapitre 1 :

[traduction] […] Parmi les intéressés dans cette affaire, au cours de l’instance, d’innombrables enfants sont nés, d’innombrables jeunes gens se sont mariés, d’innombrables vieilles gens sont décédés. […] Le petit demandeur ou défendeur à qui l’on avait promis un cheval à bascule lorsque l’affaire Jarndyce v. Jarndyce serait réglée a grandi, a possédé un vrai cheval, et s’en est allé au petit trot vers l’autre monde. […]

[258]     La Cour fédérale exerce des contrôles judiciaires d’audiences de tribunaux fédéraux. L’audience devant le Tribunal d’une durée de près de 11 ans choque la conscience publique au regard de ce qui est raisonnable et responsable. Bon nombre des plaignantes originales travaillant comme employées du groupe CR chez Postes Canada en 1983 sont peut-être décédées, ou à tout le moins n’ont plus besoin d’un salaire égal pour subvenir à leurs besoins dans les années 1980. L’audience a manqué de la discipline que l’on exige d’une cour de justice. Le Tribunal doit contrôler le nombre de témoins et la durée des contre-interrogatoires.

[259]     L’AFPC a expliqué les raisons d’une instance aussi longue. En plus du grand nombre de témoins experts et de témoins ordinaires appelés pour présenter des éléments de preuve devant le Tribunal, l’AFPC a énuméré des « facteurs systémiques » qui avaient contribué à la longueur de l’audience. Ces facteurs comprenaient les suivants :

1) la procédure du Tribunal n’est pas régie par les mêmes contraintes que les procès civils en matière de temps et de preuve;

2) Postes Canada a dû changer d’avocat à mi-chemin au cours de l’audience du Tribunal après que son ancien avocat eut été nommé à la Cour supérieure de justice de l’Ontario;

3) Le président du Tribunal n’était pas disponible pour des audiences trois mois par année pour des motifs d’ordre personnel;

4) Les parties ne travaillaient pas dans le contexte d’une étude conjointe en matière d’équité salariale, de sorte que bon nombre des questions normalement discutées devant un comité d’évaluation étaient soumises et plaidées devant le Tribunal lui-même;

5) Postes Canada a contre-interrogé les témoins de l’AFPC et de la Commission pendant 121 jours, et elle n’a pas collaboré en fournissant les renseignements requis de l’employeur concernant les fonctions objet de comparaisons.

[260]     Postes Canada a soutenu que si l’audience du Tribunal avait duré si longtemps, c’est parce qu’il n’y avait aucune discipline. Postes Canada a décrit l’audience comme un [traduction] « cirque incessant » sans aucune forme, primauté du droit ou contraintes de temps. Postes Canada a affirmé que le Tribunal avait siégé pendant 416 jours sur 11,25 ans, soit en moyenne 37 jours d’audience par année et 3,5 heures par séance.

[261]     La Commission a expliqué la longueur de l’audience comme suit :

• Le Tribunal fixait des dates d’audience à raison d’une ou deux semaines par mois, en faisant relâche pendant trois mois en hiver et deux mois en été.

• En outre, le calendrier a été suspendu pour permettre au nouvel avocat (de Postes Canada) de se familiariser avec le dossier.

• Tous ces facteurs ont contribué à expliquer pourquoi 414 jours d’audience […] se sont étalés sur 10 ans.

[262]     Au cours de la première année d’audience devant le Tribunal, les éléments de preuve sur le fondement desquels la Commission avait renvoyé la plainte de l’AFPC au Tribunal ont été jugés déficients et sans valeur. À ce stade, toutes les parties et le Tribunal ont reconnu que les éléments de preuve n’étayaient pas la plainte. Le Tribunal a l’obligation légale, s’il juge que la plainte à laquelle se rapporte l’instruction est non fondée, de rejeter la plainte en vertu du paragraphe 53(1) [mod. par L.C. 1998, ch. 9, art. 27] de la LCDP. Le paragraphe 53(1) de la LCDP dispose :

              53. (1) À l’issue de l’instruction, le membre instructeur rejette la plainte qu’il juge non fondée.

[263]     Cependant, en l’espèce, le Tribunal a permis à l’AFPC d’engager deux nouveaux experts pour recueillir de nouveau éléments de preuve pour tenter d’étayer la plainte. La collecte d’éléments de preuve s’est ensuite déroulée sur plusieurs années, et chaque fois que les éléments de preuve ont été jugés déficients, l’audience a été prorogée pour permettre de corriger ou d’étoffer les éléments de preuve déficients.

[264]     À mon avis, le Tribunal a manqué à son obligation en vertu de l’article 53 [mod., idem], et a manqué à son obligation d’accorder aux parties une audience équitable. Une audience équitable n’est pas un processus permanent. Une audience équitable en est une où une partie sait ce qu’on lui reproche et a l’occasion d’y répondre dans un délai raisonnable. À ce stade, le Tribunal a l’obligation de trancher l’affaire.

[265]     Une audience sans discipline ni échéanciers retarde la justice et constitue un déni de justice. Justice différée est justice refusée. Une telle évaluation du processus du Tribunal a aussi été faite par le témoin principal de l’AFPC, le Dr Martin Wolf de l’équipe professionnelle, qui a affirmé dans son témoignage devant le Tribunal, à la page 41,459 de la transcription :

[traduction] Regardez cette affaire. Elle dure depuis au moins neuf ans maintenant et elle est toujours en cours, et vous ne parviendrez jamais à une solution qui pourra sembler parfaitement équitable aux yeux de tout le monde parce que c’est impossible.

[266]     Aucune des parties n’a évoqué la durée de l’audience comme motif de contrôle. En conséquence, la Cour n’a pas à s’étendre davantage sur ce sujet.

VI. CONCLUSION

[267]     La présente affaire concerne deux demandes de contrôle judiciaire de la décision du Tribunal canadien des droits de la personne faisant droit à une plainte de 1983 de discrimination salariale déposée par certains employés de sexe féminin de Postes Canada. Le Tribunal a conclu que Postes Canada avait violé l’article 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne en rémunérant ses employés du groupe Opérations postales (PO) à prédominance masculine plus généreusement que ses employées du groupe Commis aux écritures et aux règlements (CR) pour des fonctions équivalentes. L’AFPC, le syndicat représentant les employées de sexe féminin, estime qu’avec intérêts, le montant de l’indemnité exigée de Postes Canada pour corriger la discrimination salariale est de 300 millions de dollars.

[268]     L’affaire soulève cinq questions, que la Cour a tranchées comme suit :

1 r e   question : Le Tribunal a-t-il erré en appliquant rétroactivement l’OPS de 1986 de la Commission à une plainte déposée en 1983, plutôt que l’ordonnance qui était en vigueur à l’époque?

[269]     Le Tribunal a appliqué raisonnablement l’Ordonnance sur la parité salariale de 1986 de la Commission à la plainte déposée en 1983. L’application de l’OPS de 1986 n’était pas rétroactive puisque l’ordonnance était appliquée à des faits de nature « continue ». En outre, la Cour a admis la conclusion du Tribunal selon laquelle l’application de l’OPS de 1986 n’avait aucune incidence sur aucun droit acquis de Postes Canada. En tout état de cause, la Cour a conclu que la promulgation de l’OPS de 1986 n’avait fait que codifier certaines « pratiques et procédures » de la Commission qui étaient déjà suivies à la date où la plainte avait été déposée en 1983.

2 e question : Le Tribunal a-t-il erré en appliquant une norme de preuve incorrecte que le Tribunal aurait inventée?

[270]     Ce plaignant avait le fardeau de la norme civile de preuve quant à la responsabilité, soit la prépondérance des probabilités. Le Tribunal a mal appliqué cette norme en prenant en compte un principe qui s’applique au quantum des dommages. En statuant que les renseignements sur l’emploi étaient « raisonnablement fiables » au niveau de la « sous-fourchette inférieure de la fiabilité raisonnable », le Tribunal a admis ces éléments de preuve selon un seuil inférieur à celui de la prépondérance des probabilités. Ceci est confirmé indirectement par la décision du Tribunal de réduire les dommages-intérêts de 50 p. 100 parce que les « renseignements sur l’emploi » utilisés pour déterminer l’écart salarial satisfaisaient seulement à la norme de la « fiabilité raisonnable inférieure » de l’« échelle de fiabilité ». Le Tribunal a appliqué une norme applicable au simple renvoi d’un cas de la Commission au Tribunal — à savoir une « justification raisonnable », au sujet de laquelle la Cour d’appel fédérale a conclu qu’elle correspondait à un seuil peu élevé, et qui correspond à un seuil moins élevé que celui de la prépondérance des probabilités.

3 e  question : Le Tribunal a-t-il erré en concluant que le groupe PO était un groupe de comparaison approprié au regard de cette plainte?

[271]     La Cour conclut que le Tribunal a méconnu déraisonnablement le fait que le plus grand groupe de femmes chez Postes Canada était les 10 000 femmes travaillant comme « trieuses de courrier » au sein du groupe PO, et que ces 10 000 femmes étaient les employés syndiqués les mieux payés chez Postes Canada. La Cour juge déraisonnable que le Tribunal ait choisi un groupe de comparaison qui masquait les 10 000 femmes, et qui avait pour effet de les considérer comme des hommes pour l’application de l’article 11 de la LCDP.

4e  question : Le Tribunal a-t-il erré en statuant que dès lors qu’une disparité salariale relative à des fonctions équivalentes est établie, l’article 11 de la LCDP pose une présomption légale de discrimination fondée sur le sexe qui peut seulement être réfutée pour un des motifs énumérés à l’article 16 de l’OPS de 1986?

[272]     Dès lors qu’une plainte établit l’existence d’un acte discriminatoire à première vue sous le régime de l’article 11 de la LCDP — c.-à-d. que le plaignant établit, selon la prépondérance des probabilités, l’existence d’un écart salarial entre les employés de sexe masculin et de sexe féminin, que ces employés travaillent dans le même établissement et qu’ils exécutent des fonctions équivalentes, l’article 11 fait naître une présomption réfutable de discrimination fondée sur le sexe. Cette présomption peut seulement être réfutée en invoquant un des « facteurs raisonnables » prévus au paragraphe 11(4) de la LCDP et énumérés à l’article 16 de l’OPS de 1986. Cependant, en l’espèce, puisque le choix du groupe de comparaison par le Tribunal était déraisonnable et puisque le Tribunal a appliqué la mauvaise norme de preuve, aucune discrimination à première vue n’a été établie, de sorte que la question d’une « présomption légale » de discrimination fondée sur le sexe ne s’est pas posée.

5 e  question : Le Tribunal a-t-il erré en concluant que les dommages-intérêts pouvaient être réduits de 50 p. 100 pour tenir compte de certains éléments d’incertitude touchant les renseignements sur les emplois et les formes de rémunération non salariale?

[273]     La Cour a jugé que la décision du Tribunal d’accorder des dommages-intérêts était incorrecte et déraisonnable puisque le Tribunal n’avait pas conclu convenablement que le bien-fondé de la plainte de discrimination salariale avait été établi selon la prépondérance des probabilités. La prétention de l’AFPC selon laquelle le Tribunal a erré en réduisant les dommages-intérêts de 50 p. 100 repose sur une prémisse erronée et doit donc être rejetée.

Durée de l’audience

[274]     La durée de l’audience du Tribunal (11 ans) était répréhensible et déraisonnable. Elle choque la conscience publique. Le Tribunal a l’obligation légale, s’il juge que la plainte à laquelle se rapporte l’instruction n’est pas bien fondée, de rejeter la plainte en vertu du paragraphe 53(1) de la LCDP, et de ne pas accorder un délai illimité au plaignant pour recueillir de nouveaux éléments de preuve. Une audience sans discipline ni échéanciers retarde la justice et constitue un déni de justice. Puisqu’aucune des parties n’a soulevé la durée de l’audience comme motif de contrôle, la Cour n’a formulé aucune conclusion à cet égard.

[275]     Pour ces motifs, la Cour a fait droit à la demande de contrôle judiciaire de Postes Canada en renvoyant la plainte de discrimination salariale au Tribunal avec comme instruction de rejeter la plainte au motif qu’elle n’est pas bien fondée selon la norme légale de preuve.

VII. DÉPENS

[276]     Les dépens ne suivent pas toujours le sort de la cause. Dans Gee c. Canada (Ministre du Revenu national), 2002 CAF 4, aucuns dépens n’ont été adjugés à l’encontre d’une intimée perdante qui avait dû assumer le coût du litige en partie à cause du manque de clarté de la décision de la Commission des droits de la personne. En l’espèce, les parties ont dû assumer le coût du litige dans une large mesure à cause du manque de clarté de la décision du Tribunal à l’égard de la norme légale de preuve. La Cour ne juge pas indiqué d’adjuger des dépens contre l’AFPC et la Commission dans ces demandes.

JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1. il est fait droit à la demande de contrôle judiciaire de Postes Canada dans le dossier T-1750-05, la décision du Tribunal datée du 7 octobre 2005 est annulée, et la plainte est renvoyée au Tribunal avec comme instruction que la plainte soit rejetée parce qu’elle n’est pas bien fondée selon la norme légale de preuve;

2. la demande de contrôle judiciaire de l’AFPC dans le dossier T-1989-05 est rejetée;

3.  il n’y a aucune adjudication des dépens dans ni l’une ni l’autre des demandes.

ANNEXE A

Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6

              11. (1) Constitue un acte discriminatoire le fait pour l’employeur d’instaurer ou de pratiquer la disparité salariale entre les hommes et les femmes qui exécutent, dans le même établissement, des fonctions équivalentes.

              (2) Le critère permettant d’établir l’équivalence des fonctions exécutées par des salariés dans le même établissement est le dosage de qualifications, d’efforts et de responsabilités nécessaire pour leur exécution, compte tenu des conditions de travail.

              (3) Les établissements distincts qu’un employeur aménage ou maintient dans le but principal de justifier une disparité salariale entre hommes et femmes sont réputés, pour l’application du présent article, ne constituer qu’un seul et même établissement.

              (4) Ne constitue pas un acte discriminatoire au sens du paragraphe (1) la disparité salariale entre hommes et femmes fondée sur un facteur reconnu comme raisonnable par une ordonnance de la Commission canadienne des droits de la personne en vertu du paragraphe 27(2).

              (5) Des considérations fondées sur le sexe ne sauraient motiver la disparité salariale.

              (6) Il est interdit à l’employeur de procéder à des diminutions salariales pour mettre fin aux actes discriminatoires visés au présent article.

              (7) Pour l’application du présent article, « salaire » s’entend de toute forme de rémunération payable à un individu en contrepartie de son travail et, notamment :

         a) des traitements, commissions, indemnités de vacances ou de licenciement et des primes;

         b) de la juste valeur des prestations en repas, loyers, logement et hébergement;

         c) des rétributions en nature;

         d) des cotisations de l’employeur aux caisses ou régimes de pension, aux régimes d’assurance contre l’invalidité prolongée et aux régimes d’assurance-maladie de toute nature;

         e) des autres avantages reçus directement ou indirectement de l’employeur.

[…]

              27. […]

              (2) Dans une catégorie de cas donnés, la Commission peut, sur demande ou de sa propre initiative, décider de préciser, par ordonnance, les limites et les modalités de l’application de la présente loi.

              (3) Les ordonnances prises en vertu du paragraphe (2) lient, jusqu’à ce qu’elles soient abrogées ou modifiées, la Commission et le membre instructeur désigné en vertu du paragraphe 49(2) lors du règlement des plaintes déposées conformément à la partie III.

[…]

              53. (1) À l’issue de l’instruction, le membre instructeur rejette la plainte qu’il juge non fondée.

              (2) À l’issue de l’instruction, le membre instructeur qui juge la plainte fondée, peut, sous réserve de l’article 54, ordonner, selon les circonstances, à la personne trouvée coupable d’un acte discriminatoire :

         a) de mettre fin à l’acte et de prendre, en consultation avec la Commission relativement à leurs objectifs généraux, des mesures de redressement ou des mesures destinées à prévenir des actes semblables, notamment :

          (i) d’adopter un programme, un plan ou un arrangement visés au paragraphe 16(1),

          (ii) de présenter une demande d’approbation et de mettre en œuvre un programme prévus à l’article 17;

         b) d’accorder à la victime, dès que les circonstances le permettent, les droits, chances ou avantages dont l’acte l’a privée;

         c) d’indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction des pertes de salaire et des dépenses entraînées par l’acte;

         d) d’indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction des frais supplémentaires occasionnés par le recours à d’autres biens, services, installations ou moyens d’hébergement, et des dépenses entraînées par l’acte;

         e) d’indemniser jusqu’à concurrence de 20 000 $ la victime qui a souffert un préjudice moral.

              (3) Outre les pouvoirs que lui confère le paragraphe (2), le membre instructeur peut ordonner à l’auteur d’un acte discriminatoire de payer à la victime une indemnité maximale de 20 000 $, s’il en vient à la conclusion que l’acte a été délibéré ou inconsidéré.

              (4) Sous réserve des règles visées à l’article 48.9, le membre instructeur peut accorder des intérêts sur l’indemnité au taux et pour la période qu’il estime justifiés.

Ordonnances sur l’égalité de rémunération, TR/78-155

Titre abrégé

              1. Ordonnances sur l’égalité de rémunération.

Interprétation

              2. « Loi », la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Ordonnances

              3. Les paragraphes 11(1) et 11(2) de la Loi s’appliquent dans tous les cas où le travail exécuté par les employés d’un même établissement est évalué en vue de déterminer si ces employés replissent des fonctions équivalentes,

         a) les qualifications requises pour l’exécution du travail d’un employé comprennent les aptitudes physiques ou intellectuelles nécessaires à l’exécution de ce travail et acquises par l’expérience, la formation, les études ou attribuables à l’habilité naturelle; la nature et l’importance de ces qualifications chez les employés qui travaillent dans le même établissement doivent être évaluées sans tenir compte de la manière dont elles ont été acquises;

         b) l’effort requis pour l’exécution du travail d’un employé comprend tout effort physique ou intellectuel normalement nécessaire à ce travail; lorsqu’on compare les fonctions des employés d’un même établissement à cet égard,

          (i) l’effort déployé par un employé peut être équivalent à celui déployé par un autre employé, que ces efforts soient exercés de la même façon ou non et

          (ii) l’effort nécessaire à l’exécution du travail d’un employé ne doit pas normalement être considéré comme différent sous prétexte que l’employé accomplit de temps à autre une tâche exigeant un effort supplémentaire;

         c) les responsabilités liées à l’exécution du travail d’un employé doivent être évaluées en déterminant dans quelle mesure l’employeur compte sur l’employé pour accomplir son travail, compte tenu de l’importance des exigences du poste et de toutes les ressources techniques, financières et humaines dont l’employé a la responsabilité;

         d) les conditions dans lesquelles l’employé exécute ses fonctions comprennent le bruit, la chaleur, le froid, l’isolement, le danger physique, les risques pour la santé, le stress et toutes les autres conditions liées à l’environnement physique et au climat psychologique; elles ne comprennent pas cependant l’obligation de faire des heures supplémentaires ou de travailler par postes lorsque l’employé reçoit une prime à cet égard.

              4. (1) Aux fins du paragraphe 11(3) de la Loi, les facteurs reconnus raisonnables pour justifier une disparité salariale entre les hommes et les femmes qui travaillent dans le même établissement et remplissent des fonctions équivalentes sont,

         a) la rémunération fondée sur le rendement, lorsque les employés sont assujettis à un tel régime et font l’objet d’une évaluation dans ce sens après que cette condition ait été portée à leur connaissance;

         b) l’ancienneté, lorsqu’un régime salarial stipule que les employés ont droit à des augmentations statuaires fondées sur leurs états de service;

         c) la surévaluation des postes, lorsque le poste d’un employé a été réévalué et déclassé et que l’employé reçoit un traitement intérimaire ou que ses augmentations ont été bloquées jusqu’à ce que le traitement du poste ainsi déclassé devienne équivalent ou supérieur au traitement de l’employé en question;

         d) l’affectation comportant des tâches allégées, lorsqu’un employeur verse temporairement à un employé un traitement supérieur à la valeur du travail exécuté pendant que l’employé se remet d’une blessure ou d’une maladie;

         e) le mode de rémunération en cas de rétrogradation, lorsqu’un employeur attribue à un employé des fonctions moins importantes, à cause

          (i) d’un rendement insuffisant attribuable à une diminution de l’aptitude à exécuter le travail, une complexité de plus en plus grande du travail, ou des problèmes de santé une incapacité partielle ou toute autre cause indépendante de la volonté de l’employé, ou

          (ii) un surplus de main-d’œuvre nécessitant la réaffectation de l’employé à un poste d’un niveau inférieur,

         et que l’employeur continue de verser à l’employé le même salaire que s’il ne l’avait pas réaffecté à un poste moins important;

         f) la méthode de réduction graduelle du salaire, lorsque le salaire d’un employé fait l’objet d’une réduction graduelle à cause de l’un des motifs mentionnés au sous-alinéa e)(i);

         g) l’affectation temporaire à des fins de formation, lorsque, dans le cadre d’un programme de perfectionnement, un employé est temporairement affecté à un poste et reçoit un traitement différent de celui des titulaires permanents; ces programmes de perfectionnement doivent être accessibles tant aux femmes qu’aux hommes et leur fournir d’égales possibilités d’avancement.

         h) l’existence dans l’établissement d’une pénurie de main-d’œuvre à l’intérieur d’une classification donnée, lorsque l’employeur peut démontrer que la rémunération versée à un groupe d’employés appartenant à cette classification est supérieure

          (i) à la rémunération versée à un groupe d’employés qui appartient à cette classification et qui a déposé une plainte en vertu du paragraphe 32(1) de la Loi portant sur cette rémunération supérieure, et

          (ii) à la rémunération versée à un groupe d’employés qui appartient à cette classification et qui est du même sexe que le groupe à qui la rémunération supérieure est versée; et

         i) une modification des tâches dans le travail d’un groupe d’employés appartenant à une classification donnée qui entraîne le déclassement de postes et le versement par l’employeur au groupe de la rémunération qu’il lui aurait versé s’il n’y avait pas eu de déclassement, lorsque l’employeur peut démontrer

          (i) que la rémunération de toute personne engagée pour exécuter le travail d’un employé qui appartient à ce groupe n’est pas égale ou supérieure à celle versée à un employé de ce groupe avant la modification,

          (ii) la rémunération versée au groupe est supérieure

      (A) à la rémunération versée à un groupe d’employés qui appartient à cette classification et qui a déposé une plainte en vertu du paragraphe 32(1) de la Loi portant sur cette rémunération supérieure, et

      (B) à la rémunération versée à un groupe d’employés qui appartient à cette classification et qui est du même sexe que le groupe à qui la rémunération supérieure est versée.

              (2) Les facteurs mentionnés au paragraphe (1) sont considérés comme raisonnables et justifient une disparité salariale, s’ils sont appliqués rigoureusement et d’une manière équitable dans le calcul et le paiement des salaires des hommes et des femmes qui travaillent dans le même établissement et exécutent des fonctions équivalentes.

Ordonnance de 1986 sur la parité salariale, DORS/86-1082

Titre abrégé

              1. Ordonnance de 1986 sur la parité salariale.

Définitions

              2. La définition qui suit s’applique à la « Loi » La Loi canadienne sur les droits de la personne.

Équivalence des fonctions

Qualifications

              3. Pour l’application du paragraphe 11(2) de la Loi, les qualifications comprennent les aptitudes physiques et intellectuelles acquises par l’expérience, la formation ou les études ou attribuables à l’habileté naturelle.

              4. Il est fait abstraction, lors de la comparaison des qualifications de différents employés, de la façon dont celles-ci ont été acquises.

Efforts

              5. Pour l’application du paragraphe 11(2) de la Loi, les efforts comprennent l’effort intellectuel et l’effort physique.

              6. Pour l’application de l’article 5, l’effort intellectuel et l’effort physique peuvent être comparés.

Responsabilités

              7. Pour l’application du paragraphe 11(2) de la Loi, les responsabilités comprennent les responsabilités de l’employé sur le plan des ressources techniques, financières et humaines.

Conditions de travail

              8. (1) Pour l’application du paragraphe 11(2) de la Loi, les conditions de travail comprennent les conditions liées à l’environnement physique et au climat psychologique au sein de l’établissement, notamment le bruit, la température, l’isolement, les dangers matériels, les risques pour la santé et le stress.

              (2) Pour l’application du paragraphe 11(2) de la Loi, il est fait abstraction, dans l’évaluation des conditions de travail, de l’obligation de travailler des heures supplémentaires ou par poste lorsque l’employé reçoit une prime pour ce travail.

Méthode d’évaluation

              9. Lorsque l’employeur a recours à une méthode d’évaluation pour établir l’équivalence des fonctions exécutées par des employés dans le même établissement, cette méthode est utilisée dans les enquêtes portant sur les plaintes dénonçant une situation de disparité salariale si elle :

         a)  est exempte de toute partialité fondée sur le sexe;

         b) permet de mesurer la valeur relative des fonctions de tous les emplois dans l’établissement; et

         c) permet d’évaluer les qualifications, les efforts, les responsabilités et les conditions de travail visés aux articles 3 à 8.

Employés d’un établissement

              10. Pour l’application de l’article 11 de la Loi, les employés d’un établissement comprennent, indépendamment des conventions collectives, tous les employés au service de l’employeur qui sont visés par la même politique en matière de personnel et de salaires, que celle-ci soit ou non administrée par un service central.

Plaintes individuelles

              11. (1) Lorsqu’une plainte dénonçant une situation de disparité salariale est déposée par un individu qui fait partie d’un groupe professionnel identifiable, ou est déposée au nom de cet individu, la composition du groupe selon le sexe est prise en considération avant qu’il soit déterminé si la situation constitue un acte discriminatoire fondé sur le sexe.

              (2) Si une comparaison peut être établie avec au moins deux autres employés exécutant des fonctions équivalentes à celle du plaignant visé au paragraphe (1), le salaire moyen pondéré versé à ces employés doit être utilisé dans le calcul du rajustement qui doit être apporté au salaire du plaignant.

Plaintes collectives

              12. Lorsqu’une plainte dénonçant une situation de disparité salariale est déposée par un groupe professionnel identifiable ou en son nom, ce groupe doit être composé majoritairement de membres d’un sexe et le groupe auquel il est comparé doit être composé majoritairement de membres de l’autre sexe.

              13. Pour l’application de l’article 12, un groupe professionnel est composé majoritairement de membres d’un sexe si, dans l’année précédant la date du dépôt de la plainte, le nombre de membres de ce sexe représentait au moins :

         a) 70 pour cent du groupe professionnel, dans le cas d’un groupe comptant moins de 100 membres;

         b) 60 pour cent du groupe professionnel, dans le cas d’un groupe comptant de 100 à 500 membres;

         c) 55 pour cent du groupe professionnel, dans le cas d’un groupe comptant plus de 500 membres.

              14. Si le groupe professionnel ayant déposé la plainte est comparé à plusieurs autres groupes professionnels, ceux-ci sont considérés comme un seul groupe.

              15. (1) Pour l’application de l’article 11 de la Loi, lorsque la plainte déposée dénonce une situation de disparité salariale entre un groupe professionnel et un autre groupe professionnel et qu’une comparaison directe de ces deux groupes ne peut être faite quant à l’équivalence des fonctions et aux salaires des employés, une comparaison indirecte de ces éléments peut être faite.

              (2) Pour la comparaison des salaires des employés des groupes professionnels visés au paragraphe (1), la courbe des salaires du groupe professionnel mentionné en second lieu doit être utilisée pour établir l’écart, s’il y a lieu, entre les salaires des employés du groupe professionnel en faveur de qui la plainte est déposée et de l’autre groupe professionnel.

Facteurs reconnus responsables

              16. Pour l’application du paragraphe 11(3) de la Loi, les facteurs suivants sont reconnus raisonnables pour justifier la disparité salariale entre les hommes et les femmes qui exécutent dans le même établissement des fonctions équivalentes :

         a) les appréciations du rendement, dans les cas où les employés sont soumis à un régime d’appréciation du rendement qui a été porté à leur connaissance;

         b) l’ancienneté, dans les cas où les employés sont soumis à un régime salarial qui prévoit des augmentations périodiques fondées sur les états de service auprès de l’employeur;

         c) la surévaluation d’un poste, dans les cas où le poste d’un employé est réévalué et déclassé et où son salaire demeure fixe pour une période limitée ou ses augmentations salariales sont bloquées jusqu’à ce que le salaire propre au poste déclassé soit égal ou supérieur au salaire de l’empoyé;

         d) l’affectation de réadaptation, dans les cas où l’employeur verse à un employé un salaire supérieur à la valeur du travail qu’il excécute pendant qu’il se remet momentanément d’une blessure ou d’une maladie;

         e) la rétrogradation, dans les cas où l’employeur, tout en maintenant le salaire d’un employé, le réaffecte à un poste d’un niveau inférieur, soit à cause du rendement insuffisant de l’employé attribuable à l’accroissement de la complexité du travail, à des problèmes de santé, à une incapacité partielle ou à toute autre cause indépendante de la volonté de l’employé, soit à cause d’un surplus de main-d’œuvre au sein de l’établissement de l’employeur;

         f) la réduction graduelle du salaire, dans les cas où celle-ci est effectuée pour l’un des motifs mentionnés à l’alinéa e);

         g) l’affectation temporaire à des fins de formation, dans les cas où, dans le cadre d’un programme de perfectionnement des employés qui est accessible tant aux hommes qu’aux femmes et leur offre des chances égales d’avancement, un employé est affecté temporairement à un poste et reçoit un salaire différent de celui du titulaire permanent;

         h) la pénurie de main-d’œuvre dans une catégorie d’emploi particulière au sein de l’établissement de l’employeur;

         i) la reclassification d’un poste à un niveau inférieur, dans les cas où le titulaire continue à recevoir un salaire selon les taux de l’ancienne classification;

         j) les variations salariales régionales, dans les cas où le régime salarial applicable aux employés prévoit des variations de salaire pour un même travail selon la région où est situé le lieu de travail.

              17. L’employeur qui entend justifier une disparité salariale en invoquant l’un des facteurs énumérés à l’article 16 doit prouver que ce facteur est appliqué de façon uniforme et équitable dans le calcul et le versement des salaires des hommes et des femmes qui exécutent, dans le même établissement, des fonctions équivalentes.

              18. Outre les exigences de l’article 17, l’employeur qui entend justifier une disparité salariale en invoquant le facteur visé à l’alinéa 16h) doit prouver qu’une disparité salariale existe entre le groupe d’employés appartenant à la classification touchée par la pénurie et un autre groupe d’employés qui exécute des fonctions équivalentes et est composé majoritairement d’employés du même sexe que le groupe mentionné en premier lieu.

              19. Outre les exigences de l’article 17, l’employeur qui entend justifier une disparité salariale en invoquant le facteur visé à l’alinéa 16i) doit prouver ce qui suit :

         a) depuis la reclassification, aucun nouveau titulaire n’a reçu un salaire selon les taux de l’ancienne classification;

         b) une disparité salariale existe entre les employés recevant un salaire selon les taux de l’ancienne classification et un autre groupe d’employés qui exécute des fonctions équivalentes et est composé majoritairement d’employés du même sexe que le groupe mentionné en premier lieu.

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