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IMM-6078-06

2008 CF 77

Ashley Francisco Rodrigues (demandeur)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)

Répertorié : Rodrigues c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (C.F.)

Cour fédérale, juge Lemieux—Toronto, 7 novembre 2007; Ottawa, 22 janvier 2008.

Citoyenneté et Immigration — Exclusion et renvoi — Renvoi de résidents permanents — Contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a refusé de surseoir à l’exécution de la mesure d’expulsion prise contre le demandeur — Le consultant qui a représenté le demandeur devant la SAI a fait preuve d’incompétence, omettant de produire des preuves sérieuses ou convaincantes, ce qui a entraîné une erreur judiciaire — Demande accueillie.

Pratique — Décision préliminaire sur un point de droit — L’incompétence du consultant devant la SAI n’a été soulevée qu’après le dépôt de la demande de contrôle judiciaire — Le pouvoir discrétionnaire d’entendre la question a été exercé en l’espèce parce qu’il ne causait pas de préjudice au défendeur et la question de la compétence du consultant était cruciale pour trancher la question de savoir s’il y a eu une audience équitable.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté l’appel que le demandeur a formé à l’encontre d’une mesure d’expulsion prise à son encontre par suite de son interdiction de territoire pour grande criminalité en application de l’alinéa 36(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. La SAI a statué qu’il n’y avait pas assez de motifs d’ordre humanitaire justifiant un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi.

Le demandeur a soutenu, à titre de question préliminaire, que la décision visée par les présentes devrait être annulée parce que le consultant en immigration qui l’a représenté devant la SAI était incompétent. Le défendeur a fait valoir que cette question ne pouvait pas être examinée parce qu’elle n’avait pas été soulevée dans la demande d’autorisation du demandeur.

Jugement : la demande doit être accueillie.

Le point de savoir si la Cour autorisera une partie à évoquer une question pour la première fois dans un mémoire additionnel relève de son pouvoir discrétionnaire. En l’espèce, le fait d’entendre la question ne causait pas de préjudice au défendeur, et la compétence du consultant était cruciale pour déterminer si le demandeur avait eu une audience équitable. L’objection préliminaire du défendeur a donc été rejetée.

Lorsqu’on applique le critère que la Cour suprême du Canada a formulé dans l’arrêt R. c. G.D.B., il ressort du dossier de preuve que le consultant a fait preuve d’incompétence dans la manière dont il s’est occupé de l’appel du demandeur devant la SAI. Le consultant a omis de produire des preuves sérieuses ou convaincantes. Plus particulièrement, il n’a pas préparé sa cause avec le demandeur et ses parents, il n’a pas soulevé de questions sur des points cruciaux de l’affaire lorsqu’il a interrogé le demandeur et il n’a pas posé de questions complémentaires après celles du représentant du ministre et de la SAI, il n’a pas assisté à la seconde audience de la SAI et il n’a pas donné suite à certaines observations du défendeur. En conséquence, le demandeur n’a pas eu droit à une véritable audience devant la SAI, ce qui a donné lieu à une erreur judiciaire.

lois et règlements cités

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46.

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 36(1)a), 67(1)c), 68.

jurisprudence citée

décisions appliquées :

R. c. G.D.B., [2000] 1 R.C.S. 520; 2000 CSC 22; Khosa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] 4 R.C.F. 332; 2007 CAF 24; Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748; Al Mansuri c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 22.

décisions examinées :

Ribic c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] D.S.A.I. no 4 (QL); Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84; 2002 CSC 3; Arora c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] A.C.F. no 24 (1re inst.) (QL); Garcia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 645; Benitez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2008] 1 R.C.F. 155; 2007 CAF 199; Stumf c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 148; Shirwa c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 2 C.F. 51 (1re inst.).

décisions citées :

Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), [2007] 1 R.C.S. 350; 2007 CSC 9; Osagie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1368; Gulishvili c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1200; Masood c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1224; Taher c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 991.

DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision ([2006] D.S.A.I. no 1051 (QL)) par laquelle la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté l’appel que le demandeur a formé à l’encontre de la mesure d’expulsion prise contre lui. Demande accueillie.

ont comparu :

Lorne Waldman pour le demandeur

Janet Chisholm pour le défendeur.

avocats inscrits au dossier :

Waldman & Associates, Toronto, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

Le juge Lemieux :

Introduction

[1]      Quatre questions découlent de la présente demande de contrôle judiciaire, qu’a soumise Ashley Francisco Rodrigues (le demandeur), un citoyen de l’Inde âgé de 24 ans et résident permanent du Canada depuis le 22 juin 1997, date à laquelle il est arrivé au pays à l’âge de 14 ans en compagnie de sa famille. Le demandeur cherche à faire annuler la décision datée du 27 octobre 2006 [[2006] D.S.A.I. no 1051 (QL)] par laquelle la Section d’appel de l’immigration (la SAI ou le tribunal) a rejeté son appel concernant une mesure d’expulsion prise à son encontre le 7 avril 2005, en application de l’alinéa 36(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés [L.C. 2001, ch. 27] (la LIPR). Plus précisément, la SAI a refusé de surseoir à l’exécution de la mesure d’expulsion.

[2]      Devant la SAI, M. Rodrigues n’a pas contesté la validité juridique de la mesure d’expulsion le concernant. Son appel devant le tribunal avait trait au pouvoir discrétionnaire, conféré à ce dernier par l’article 68 de la LIPR, de surseoir à la mesure d’expulsion « sur preuve qu’il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales ». Comme nous le verrons, le tribunal a refusé d’exercer sa compétence en matière de motifs d’ordre humanitaire en faveur du demandeur.

[3]      L’alinéa 67(1)c) et le paragraphe 68(1) de la LIPR se lisent comme suit :

67. (1) Il est fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé :

[…]

c) sauf dans le cas de l’appel du ministre, il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

[…]

68. (1) Il est sursis à la mesure de renvoi sur preuve qu’il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

[4]      Les questions soulevées sont les suivantes :

• une question préliminaire soulevée par l’avocate du défendeur, à savoir que la Cour ne devrait pas entendre l’argument du demandeur selon lequel il faudrait annuler la décision du tribunal en raison de l’incompétence de la personne qui le représentait à l’audience tenue par le tribunal. Il s’agissait d’un consultant en immigration dont le procureur du demandeur avait apparemment retenu les services pour les besoins de son appel devant la SAI. Selon l’avocate du défendeur, cette question n’avait pas été soulevée pour examen dans les documents par lesquels le demandeur sollicitait l’autorisation de porter en appel la décision du tribunal;

• à supposer que la Cour décide d’examiner cette question, s’il faut annuler la décision du tribunal à cause de l’incompétence de la personne ayant représenté le demandeur devant le tribunal, compte tenu des décisions suivantes de la Cour suprême du Canada : l’arrêt R. c. G.D.B., [2000] 1 R.C.S. 520, de pair avec le récent arrêt Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), [2007] 1 R.C.S. 350, aux paragraphes 53, 63 et 64;

• si le tribunal a lui-même manqué au principe d’équité procédurale ou de justice naturelle dans la façon dont il a traité les auditions;

• si le tribunal a commis une erreur de droit en omettant de prendre dûment en compte la totalité des éléments de preuve soumis, surtout la preuve concernant les difficultés causées par le retour dans le pays de nationalité.

Les faits

[5]      Le demandeur est né au Koweït en 1983. Il n’a pas la citoyenneté de ce pays-là, mais de l’Inde. Il a immigré au Canada le 22 juin 1997 en compagnie de ses parents. À part le fait d’avoir vécu deux ans dans un pensionnat anglais en Inde, il n’a eu aucun contact avec la culture indienne, n’a en Inde aucun parent ou ami et ne s’exprime pas dans les langues parlées dans ce pays, sauf l’anglais. Il a un frère cadet, qui était âgé de 16 ans à l’époque de l’audition de l’affaire devant la SAI.

[6]      Le 18 janvier 2002 — avant que la LIPR entre en vigueur — le demandeur a été reconnu coupable de deux chefs d’introduction par effraction dans une habitation; il s’agit d’une infraction au Code criminel [L.R.C. (1985), ch. C-46] du Canada punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins 10 ans. Pour cette infraction, il s’est vu infliger une peine d’emprisonnement avec sursis de quatre mois pour chaque chef, de même qu’une période de probation de 12 mois. Cet acte criminel a mené à une enquête sur l’interdiction de territoire, ainsi qu’à la prise d’une mesure d’expulsion en avril 2004.

[7]      L’autre condamnation du demandeur faisait suite à un incident survenu en octobre 2003. Le 19 juin 2006, il a été reconnu coupable de voies de fait graves et de possession d’une arme, une infraction pour laquelle il a été condamné à deux ans moins 40 jours d’emprisonnement. Il a maintenant purgé cette peine et obtenu sa mise en liberté.

La décision du tribunal

[8]      Pour arriver à sa décision, le tribunal a statué qu’il incombait au demandeur d’établir pourquoi il ne fallait pas le renvoyer du Canada. Le tribunal a ajouté qu’en plus de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché, la décision rendue par la SAI dans l’affaire Ribic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [[1985] D.S.A.I. no 4 (QL)], laquelle a été confirmée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84, expose le nombre suivant de facteurs non exhaustifs qu’il faut prendre en considération au moment d’exercer son pouvoir discrétionnaire en matière de motifs d’ordre humanitaire :

a) la gravité de l’infraction ou des infractions à l’origine de l’expulsion;

b) la possibilité de réadaptation ou, de façon subsidiaire, les circonstances du manquement aux conditions d’admissibilité;

c) la période passée au Canada et le degré d’établissement de l’appelant;

d) la famille qu’a l’appelant au pays et les bouleversements que son expulsion occasionnerait pour cette famille;

e) le soutien dont bénéficie l’appelant, non seulement au sein de sa famille, mais également de la collectivité;

f) l’importance des difficultés que causerait à l’appelant le retour de ce dernier dans son pays de nationalité.

[9]      Comme l’a écrit le tribunal [au paragraphe 6], « [l]’importance accordée à chacun de ces facteurs peut varier selon les circonstances de l’affaire. Avant de rendre une décision dans le cadre du présent appel, j’ai examiné tous ces facteurs, l’intérêt supérieur de l’enfant [son frère] touché par la décision et j’ai tenu compte de toutes les circonstances en l’espèce. J’ai également pris en compte tous les témoignages et toutes les preuves documentaires ainsi que les observations des parties ».

[10]   En tranchant l’appel, le tribunal a aussi dit ce qui suit [au paragraphe 8] : « j’ai l’obligation de tenir compte des objectifs de la LIPR, notamment l’objectif de “protéger la santé des Canadiens et de garantir leur sécurité” ». En plus du crime ayant entraîné la mesure d’expulsion, a-t-il ajouté, le demandeur a aussi été condamné pour voies de fait graves et possession d’armes dangereuses, faisant remarquer que ces deux crimes avaient été perpétrés après celui qui avait entraîné la mesure d’expulsion, lors d’un incident au cours duquel plusieurs personnes, dont le demandeur, avaient agressé une personne avec un bâton de baseball et un marteau. La victime avait été hospitalisée, souffrant d’une fracture du crâne. Le tribunal a conclu qu’en raison de la durée de cette peine et du nombre de crimes commis par le demandeur [au paragraphe 8], « la criminalité globale faisant l’objet du présent appel est très grave. La criminalité grave constitue toujours un facteur négatif dans l’équilibre des motifs d’ordre humanitaire […] j’accorde à ce facteur négatif particulier beaucoup de poids ».

[11]   Le tribunal a ensuite analysé le facteur de la réadaptation, déclarant, malgré le remords exprimé par le demandeur à l’audience et les déclarations écrites de ses parents, qu’il n’était pas convaincu que le demandeur progressait vers sa réadaptation et que la situation était particulièrement inquiétante, vu la très grande criminalité en cause. Le tribunal a déclaré, après que le conseil du demandeur eut fait valoir que son client suivait une thérapie [au paragraphe 10] : « on ne m’a présenté aucune preuve concrète à cet effet ». Le tribunal a ensuite fait mention d’un rapport daté du 15 mars 2004 où l’on concluait que le demandeur ne réalisait pas la gravité du crime qui avait entraîné la mesure d’expulsion à son endroit et qu’il n’en acceptait pas la responsabilité. Le tribunal a constaté, tant dans le témoignage et les déclarations du demandeur que dans les déclarations de ses parents [au paragraphe 10], « une tendance de la part de tous à attribuer la criminalité de l’appelant à d’autres, par exemple aux “mauvaises fréquentations”. Je constate qu’il s’agit là d’une indication véritable que personne d’entre eux n’accepte vraiment que l’appelant soit responsable de ses propres crimes. Pour ces raisons, je constate que l’appelant court de sérieux risques de récidiver. »

[12]   Quant au facteur de l’établissement, le tribunal a mentionné qu’il n’était toujours pas persuadé que le demandeur s’était établi au Canada, même s’il étudiait les arts libéraux à l’Université de Toronto. Comme le tribunal l’a écrit [au paragraphe 11], « Il n’est pas au Canada depuis si longtemps, moins de 10 ans, et je n’ai aucune preuve documentaire qui établisse de manière convaincante un historique quelconque de travail ».

[13]   Le tribunal a ensuite conclu que sa décision ne touchait directement l’intérêt d’aucun enfant. Il a fait remarquer que le demandeur avait effectivement un jeune frère de 16 ans, dont il ne subvenait pas aux besoins financiers. Il a mentionné que, au dire du demandeur, l’intérêt supérieur de son frère était touché en ce sens qu’il était pour lui un « modèle ». Comme l’a déclaré le tribunal [au paragraphe 12], « Ma constatation à cet égard est que, compte tenu de l’historique criminel, l’appelant est à mon avis un mauvais modèle. Je constate par conséquent que dans l’intérêt supérieur du frère de l’appelant, il serait plus probablement préférable dans le cadre du présent appel que celui-ci soit rejeté. »

[14]   Le tribunal a conclu que tous les facteurs analysés jusque-là dans ses motifs [au paragraphe 13] « sont négatifs dans la balance qui soupèse les motifs d’ordre humanitaire ». « Par contre », a-t-il ajouté [au paragraphe 14], « je constate plusieurs facteurs positifs importants ». Il a ensuite fait mention du soutien de sa famille ainsi que du fait que ses parents avaient tous les deux produit des déclarations d’appui et s’étaient présentés à l’audience, prêts à témoigner en ce sens. Le tribunal a reconnu qu’il y aurait une perturbation marquée de la famille et qu’il semblait clair, d’après les déclarations des parents et celles du demandeur, qu’il y avait un amour réciproque entre le demandeur, ses parents et son frère. Le tribunal a reconnu aussi que [au paragraphe 17] « [i]l y aurait aussi d’importantes difficultés pour l’appelant ». Le tribunal a accepté que, même s’il était citoyen de l’Inde, le demandeur n’avait pas vécu longtemps dans ce pays. Il a admis le fait que le demandeur n’avait aucun parent en Inde et que l’anglais était la seule langue qu’il connaissait. Cela dit, le tribunal a écrit ceci [au paragraphe 17] : « Cependant, je constate que cette difficulté est quelque peu atténuée par le fait que l’appelant a résidé dans un pensionnat à Madras lorsqu’il était enfant. »

[15]   Avant d’exprimer sa conclusion, le tribunal a déclaré [au paragraphe 18] : « Aucun autre facteur ni aucune autre circonstance n’a été allégué qui mériterait que je l’examine avant de rendre ma décision dans le présent appel. » Sa conclusion est exprimée en ces termes, aux paragraphes 19 et 20 de sa décision :

En soupesant tous les facteurs ci-dessus dans la balance, bien que je constate des facteurs positifs importants, je constate également qu’ils sont moins nombreux que les facteurs négatifs et que leur poids combiné est insuffisant pour contrebalancer l’important poids des facteurs négatifs, particulièrement à la lumière de la dangereuse combinaison de très grande criminalité et du risque important de récidive. Par conséquent, je constate que dans l’ensemble des facteurs d’ordre humanitaire, la balance est toujours négative.

Un sursis à l’expulsion est, de par sa nature, une mesure spéciale. Cependant, je constate que les critères d’ordre humanitaire sont suffisamment négatifs et qu’ils ne méritent aucune mesure spéciale. Si la criminalité dans le cadre du présent appel était moins grave ou que les preuves de réadaptation étaient plus convaincantes, j’aurais pu constater qu’il y avait un équilibre suffisant pour justifier l’attribution d’un sursis. Cependant, avec ces deux facteurs qui penchent du côté négatif comme nous l’avons discuté, le sursis porte manifestement trop de risques pour conclure que cette mesure est appropriée. Par conséquent, je n’accorde pas de sursis à l’expulsion. [Non souligné dans l’original.]

Analyse

a) La norme de contrôle

[16]   Quand la SAI refuse d’accorder un sursis en exerçant son pouvoir discrétionnaire en matière de motifs d’ordre humanitaire, la norme de contrôle qui s’applique à cette décision est celle qui a été récemment fixée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Khosa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] 4 R.C.F. 332, soit la décision raisonnable. Cette norme s’appliquerait à la quatrième question invoquée.

[17]   Une décision est dite déraisonnable si, pour reprendre les propos du juge Iacobucci dans l’arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748 [au paragraphe 56] : « dans l’ensemble, [elle] n’est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé ».

[18]   Les autres questions soulevées en l’espèce, qui ont trait à l’équité, à la compétence et au droit, doivent être évaluées selon la norme de la décision correcte car il n’y a pas lieu de faire montre de déférence envers le tribunal.

b) Analyse et conclusions

Question n o 1 — La question préliminaire

[19]   Je traiterai brièvement de la question préliminaire qu’a soulevée l’avocate du ministre. Cette dernière m’a demandé de ne pas entendre l’argument du demandeur au sujet de l’incompétence du consultant qui l’a représenté devant la SAI parce que cette question n’a pas été soulevée en tant que motif dans la demande d’autorisation que le demandeur a soumise à la Cour. Cette demande d’autorisation a été établie par un avocat, Max Chaudhary. La question de l’incompétence du consultant a été évoquée pour la première fois par Lorne Waldman dans le mémoire additionnel des faits et du droit du demandeur. L’avocate du ministre s’est appuyée sur la décision du juge Gibson dans l’affaire Arora c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] A.C.F. no 24 (1re inst.) (QL), décision que le juge en chef a suivie dans l’affaire Garcia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 645.

[20]   Selon mon interprétation de ces deux décisions, la question de savoir si la Cour autorisera une partie à évoquer une question pour la première fois dans un mémoire additionnel relève de son pouvoir discrétionnaire. Mes collègues ont tous deux déclaré que, dans les circonstances particulières qui leur étaient soumises, il ne convenait pas de le faire.

[21]   Le pouvoir discrétionnaire qu’a la Cour d’entendre une telle question est analogue au pouvoir dont dispose la Cour d’appel fédérale pour ce qui est d’entendre en appel une question soulevée pour la première fois. Dans l’arrêt Benitez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2008] 1 R.C.F. 155 (C.A.F.), le juge Evans a statué qu’un appelant ne peut généralement pas soulever de nouvelles questions en appel car la cour d’appel serait alors contrainte de se prononcer sur une question sans bénéficier de l’opinion du tribunal inférieur. Le rôle d’une cour d’appel se borne généralement à examiner la décision du tribunal inférieur pour déterminer si une erreur en justifie l’annulation. Il a toutefois noté qu’il y a des exceptions, dont, par exemple, la décision de la Cour d’appel fédérale dans Stumf c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 148. Dans cette décision, la Cour d’appel fédérale a mis l’accent sur deux facteurs : l’absence de préjudice pour le ministre et le fait de savoir si la désignation d’un représentant dans le dossier aurait pu influer sur l’issue du litige. La Cour s’est dite convaincue qu’il y avait une absence de préjudice et que l’issue du litige aurait pu en être touchée.

[22]   En l’espèce, la question de la compétence du consultant est cruciale pour déterminer si le demandeur a eu une audience équitable. Par ailleurs, il n’y a pas eu de préjudice pour le ministre; l’avocate de ce dernier a traité en détail de cette question dans son exposé additionnel des arguments. L’avocate n’a pas demandé d’ajournement dans les circonstances en vue de traiter de la question non soulevée dans le cadre de la demande d’autorisation.

[23]   Mon analyse du pouvoir discrétionnaire qu’a la Cour d’entendre des arguments sur un point non soulevé dans la demande d’autorisation d’un demandeur est semblable au raisonnement qu’a exposé la juge Dawson dans la décision Al Mansuri c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 22, où, après avoir conclu que la Cour disposait d’un pouvoir discrétionnaire dans les circonstances, elle a énuméré un certain nombre de facteurs non exhaustifs dont il fallait tenir compte, tout en reconnaissant que la pertinence et l’importance varieront suivant les circonstances de chaque espèce.

[24]   Dans les circonstances, je rejette l’objection préliminaire du ministre et je traiterai de la question de la compétence du consultant.

Question n o 2 — L’incompétence du consultant

[25]   Les deux avocats ont convenu que le critère applicable à l’incompétence du consultant relativement à la question qui m’est soumise a été fixé par le juge Major, pour le compte de la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt R. c. G.D.B., [2000] 1 R.C.S. 520, aux paragraphes 26 à 29 :

La façon d’envisager les allégations de représentation non effective est expliquée dans l’arrêt Strickland c. Washington, 466 U.S. 668 (1984), le juge O’Connor. Cette étude comporte un volet examen du travail de l’avocat et un volet appréciation du préjudice. Pour qu’un appel soit accueilli, il faut démontrer, dans un premier temps, que les actes ou les omissions de l’avocat relevaient de l’incompétence, et, dans un deuxième temps, qu’une erreur judiciaire en a résulté.

L’incompétence est appréciée au moyen de la norme du caractère raisonnable. Le point de départ de l’analyse est la forte présomption que la conduite de l’avocat se situe à l’intérieur du large éventail de l’assistance professionnelle raisonnable. Il incombe à l’appelant de démontrer que les actes ou omissions reprochés à l’avocat ne découlaient pas de l’exercice d’un jugement professionnel raisonnable. La sagesse rétrospective n’a pas sa place dans cette appréciation.

Les erreurs judiciaires peuvent prendre plusieurs formes dans ce contexte. Dans certains cas, le travail de l’avocat peut avoir compromis l’équité procédurale, alors que dans d’autres, c’est la fiabilité de l’issue du procès qui peut avoir été compromise.

Dans les cas où il est clair qu’aucun préjudice n’a été causé, il n’est généralement pas souhaitable que les cours d’appel s’arrêtent à l’examen du travail de l’avocat. L’objet d’une allégation de représentation non effective n’est pas d’attribuer une note au travail ou à la conduite professionnelle de l’avocat. Ce dernier aspect est laissé à l’appréciation de l’organisme d’autoréglementation de la profession. S’il convient de trancher une question de représentation non effective pour cause d’absence de préjudice, c’est ce qu’il faut faire (Strickland, précité, à la p. 697). [Non souligné dans l’original.]

[26]   Dans l’arrêt G.D.B., précité, la Cour suprême est arrivée à la conclusion qu’il n’y avait pas eu d’erreur judiciaire ou de préjudice pour l’appelant déclaré coupable car celui-ci avait été acquitté de l’accusation la plus grave par la décision tactique de son avocat de ne pas utiliser un élément particulier de preuve disculpatoire qui aurait incriminé son témoin principal, la conjointe de l’accusé.

[27]   Dans l’affaire qui m’est soumise, les attributs de l’incompétence du consultant, M. Aaron Vuppal, sont exposés dans l’affidavit de Max Chaudhary daté du 13 septembre 2007, dans l’affidavit du père du demandeur, qui s’est dit surpris que son épouse et lui n’aient pas été appelés à témoigner au soutien de l’appel de son fils, ainsi que dans l’affidavit de Mme Faruk, qui a fait état de l’adhésion de M. Vuppal à la Société canadienne de consultants en immigration (SCCI) et de la révocation ultérieure de son statut le 3 octobre 2006 parce qu’il ne satisfaisait pas aux critères d’adhésion à la SCCI. Aucun des souscripteurs d’affidavit n’a été contre-interrogé.

[28]   M. Chaudhary a énoncé les facteurs suivants qui, dit-il, montrent que le demandeur n’a pas bénéficié d’une audition équitable de son appel devant la SAI :

• la non-communication de preuves documentaires avant ou pendant l’audience tenue le 23 février 2006. La seule communication de documents a consisté en deux déclarations succinctes des parents du demandeur. En particulier, M. Vuppal n’a pas produit de copie des cours que le demandeur avait pris en prison dans le cadre du processus de réadaptation. Il n’a pas produit de copie des cours de gestion de la colère, ni d’aucun autre cours de réadaptation. Il n’a pas obtenu une évaluation psychologique concernant le risque que le demandeur commette d’autres infractions. M. Chaudhary déclare que : [traduction] « [l]a communication de ces documents est une procédure habituelle dans les cas de ce genre et elle est essentielle pour être représenté de façon appropriée par un avocat; il s’agit là d’une mesure que je prendrais habituellement et à laquelle je m’attendrais de la part d’un avocat qui serait à mon service » (non souligné dans l’original). M. Chaudhary déclare avoir discuté de ces questions avec M. Vuppal; il croyait que lui aussi se conformait aux pratiques ordinaires devant la SAI et n’a eu connaissance de cette omission en l’espèce que lorsque l’affaire a été portée à son attention par le nouveau conseil retenu pour le représenter;

• le fait que M. Vuppal, lors de l’interrogatoire principal, n’a posé au demandeur que trois questions :

1) [traduction] « Monsieur, pourriez-vous décrire les sentiments qu’évoquent en vous toutes vos condamnations antérieures? », ce à quoi le demandeur a répondu : [traduction] « Je regrette profondément d’avoir été mêlé à ces histoires. Je suis réellement désolé. »

2) [traduction] « Et êtes-vous […] pourriez-vous nous parler de votre manquement, de la façon dont le manquement est survenu? » Il était question d’un manquement à ses conditions de mise en liberté, c’est-à-dire ne plus fréquenter certaines personnes;

3) [traduction] « Et vous êtes-vous bien comporté si les conditions (inaudible) du tribunal? », ce à quoi le demandeur a répondu : [traduction] « C’est sûr, je ferai n’importe quoi. »

• dans son affidavit, M. Chaudhary déclare que M. Vuppal a omis de poser des questions sur des points cruciaux de l’affaire, dont le fait de savoir si le demandeur s’exposerait à des difficultés s’il retournait en Inde, un pays où il n’a jamais vécu, sauf pendant trois ans durant son enfance, où il vivait au pensionnat. M. Vuppal n’a pas cherché à savoir si le demandeur éprouvait du remords, s’il comprenait pourquoi il avait commis les infractions, s’il saisissait la gravité de ces dernières ou s’il était conscient du tort que ces infractions avaient causé à la société. Il n’a pas analysé les questions relatives aux difficultés que causerait l’expulsion, les difficultés que causerait le fait d’être séparé de ses parents, pas plus qu’aucun des autres points liés aux questions humanitaires dont la SAI était saisie. M. Chaudhary déclare : [traduction] « Cela aussi est loin de représenter ce que je ferais ou ce à quoi je m’attendrais de la part d’un conseil raisonnablement compétent devant la SAI »;

• après que le commissaire de la SAI et l’avocat du ministre eurent interrogé le demandeur, M. Vuppal a déclaré au tribunal qu’il n’avait pas d’autres questions à poser;

• le fait qu’il n’ait pas appelé les parents du demandeur pour étoffer leur déclaration écrite fort succincte qui, selon M. Chaudhary, n’abordait pas des aspects clés des questions qui étaient pertinentes à l’égard de difficultés possibles. M. Chaudhary déclare : [traduction] « Là encore, j’aurais appelé les parents pour qu’ils témoignent en détail des perspectives de réadaptation, ainsi que de l’effet du renvoi sur la famille au pays et sur le demandeur, étant donné que la famille n’a absolument aucun lien ou parent en Inde »;

• l’absence d’arguments pertinents et de fond, d’autant plus qu’il savait que le ministre était d’avis qu’il fallait rejeter l’appel du demandeur, c’est-à-dire ne pas lui accorder de sursis à l’exécution de son renvoi en Inde;

• le fait que M. Vuppal n’a pas assisté à la seconde audience du tribunal, fixée au 6 juin 2006. L’audience du 23 février 2006 avait été ajournée à une date à fixer car, même si le demandeur avait été déclaré coupable de l’accusation de voies de fait graves en octobre 2003, il n’avait pas été condamné à une peine. En outre, une accusation en instance contre lui, pour possession de marijuana, n’avait pas non plus été instruite et tranchée;

• le fait que M. Vuppal ne se soit pas opposé à la procédure consistant à fournir des observations écrites sur la peine imposée à la suite de la condamnation pour voies de fait graves, après avoir insisté au départ pour que l’on tienne une audience sur cette peine de façon à ce que le demandeur puisse témoigner. Dans son affidavit, M. Chaudhary déclare que les observations écrites de M. Vuppal étaient extrêmement faibles et ne faisaient rien pour régler les problèmes liés aux observations antérieures. Il déclare que les observations additionnelles ne traitaient d’aucune des questions cruciales de l’affaire, comme le renvoi en Inde, la réadaptation, le remords ou la probabilité que le demandeur ne commette dorénavant plus d’infractions. M. Chaudhary déclare qu’à son avis ces observations et cette représentation étaient loin de correspondre à ce à quoi l’on serait raisonnablement en droit de s’attendre de la part d’un conseil compétent, et que cela avait eu pour effet de priver le demandeur de son droit à une audience équitable. Il ajoute : [traduction] « En fait, la représentation est à ce point inadéquate qu’à mon avis le demandeur s’est vu privé du droit à une audience équitable. »

[29]   Mon examen du dossier certifié du tribunal révèle un autre attribut d’incompétence : M. Vuppal n’a pas répondu aux observations du ministre concernant la peine imposée à la suite de la condamnation pour voies de fait graves. Les observations du ministre portaient principalement sur la gravité de l’infraction, le préjudice subi par la victime, l’absence de remords du demandeur ainsi que le rôle clé qu’il avait joué dans les voies de fait, ce qui avait amené le ministre à tirer la conclusion fondamentale selon laquelle, pour protéger la société canadienne, il fallait l’expulser. M. Vuppal a également omis de déposer les jugements sur peine des tribunaux criminels à la suite de la condamnation et d’en traiter. (Voir l’analyse de ce point dans l’arrêt G.D.B., précité.)

[30]   L’avocate du ministre a soulevé un certain nombre de points pour montrer que les préoccupations soulevées à propos de la compétence du conseil n’équivalaient pas à un manquement à la justice naturelle. Elle fait valoir que le demandeur, pour obtenir gain de cause, doit établir que la conduite de son représentant était incompétente et que ce fait a occasionné une erreur judiciaire, notant qu’un mécontentement général à l’égard de la qualité de la représentation ou des regrets à propos des stratégies poursuivies en matière de litige ne constituent pas un cas d’incompétence équivalant à un manquement à un principe de justice fondamentale.

[31]   Premièrement, dit-elle, le demandeur conteste essentiellement la stratégie en matière de litige à laquelle il a peut-être souscrit ou non. Son affidavit, fait-elle remarquer, ne dit rien sur la façon dont il a donné instruction à son consultant de procéder et l’on ne sait pas avec certitude si son conseil était incompétent ou si le demandeur tentait de rectifier ses choix antérieurs en matière de litige. C’est là un argument auquel je ne puis souscrire. Il ressort clairement de l’affidavit de M. Chaudhary que celui-ci avait discuté de la stratégie à suivre en matière de litige avec M. Vuppal, et que celui-ci ne l’avait pas exécutée (voir le paragraphe 4 de son affidavit).

[32]   Deuxièmement, selon l’avocate du ministre, M. Vuppal n’a peut-être pas posé beaucoup de questions, mais le tribunal et le représentant du ministre ont comblé les lacunes. Par exemple, le commissaire de la SAI a interrogé le demandeur sur son âge, son lieu de naissance, le nombre d’années où il avait vécu en Inde, la citoyenneté de ses parents, ses antécédents de travail, ses études, ses plans concernant ses études futures, s’il avait reçu des prestations d’aide sociale, la relation qu’il entretenait avec son frère, la capacité qu’il avait de s’exprimer dans les langues parlées en Inde, de même que l’effet qu’aurait son renvoi sur lui ainsi que sur sa famille.

[33]   L’avocate du ministre a soulevé un certain nombre de questions, comme les suivantes : ce qu’il ferait s’il était autorisé à rester au Canada, ses ambitions professionnelles futures, la gravité des infractions, ses remords concernant les voies de fait, les réactions de ses parents aux crimes commis, ainsi que la réaction de son frère.

[34]   L’avocate du ministre déclare que, même si le demandeur a été mal représenté, les lacunes ont toutes été comblées par les questions que lui ont posées le tribunal et le représentant du ministre. À son avis, le demandeur n’a pas établi que l’on avait commis une erreur judiciaire équivalant à un manquement aux principes de justice naturelle.

[35]   La lecture des notes sténographiques montre que l’avocate du ministre a décrit de manière exacte les sujets abordés dans les questions du tribunal et du représentant du ministre. Cependant, à mon avis, ces questions n’ont pas comblé les lacunes suivantes du consultant : 1) ne pas avoir préparé sa cause avec le demandeur et ses parents (il a conversé avec eux pendant moins d’une heure), 2) ne pas avoir traité, lors de l’interrogatoire principal, de tous les sujets pertinents avant que d’autres interrogent le demandeur, de façon à faire valoir ses meilleurs arguments avant que d’autres posent des questions, 3) ne pas avoir posé de questions complémentaires après celles du tribunal et celles du représentant du ministre afin de clarifier ou de souligner des réponses que le demandeur avait données et, en particulier, le rôle qu’il avait joué au cours de l’incident pour lequel il avait été condamné pour voies de fait graves, une condamnation si sérieuse, a conclu le tribunal, que le demandeur récidiverait probablement et que la nécessité de protéger la société canadienne contre ce fait nécessitait son renvoi immédiat du Canada sans la possibilité d’obtenir un sursis assorti de conditions.

[36]   Troisièmement, l’avocate du ministre a fait valoir que ce n’est peut-être pas par omission qu’il n’y a pas eu d’évaluation psychologique de la probabilité de récidive. Selon elle, une telle évaluation n’aurait peut-être pas aidé la cause du demandeur. À mon avis, son argument sur ce point est conjectural.

[37]   Quatrièmement, elle allègue que le fait que M. Vuppal ne se soit pas présenté à l’audience du 6 juin 2006 n’a eu aucune incidence sur la décision du tribunal, car il ressort des notes sténographiques que l’audience avait pour objet de discuter de la peine infligée au demandeur et que, le 6 juin 2006, cette peine n’avait pas été infligée. Elle ajoute que, contrairement à ce que le demandeur affirme, aucune preuve de fond n’a été entendue le 6 juin 2006 et que, après que le jugement sur peine a été prononcé, son consultant a traité de la question dans des observations écrites.

[38]   Ma lecture des notes sténographiques ne concorde pas avec celle de l’avocate du ministre. Je suis d’avis que l’absence de M. Vuppal a porté préjudice au demandeur car, comme l’indiquent les notes sténographiques du 6 juin 2006 :

• le tribunal et le représentant du ministre ont discuté de la question de savoir si, à l’audience tenue en février 2006, le représentant et M. Vuppal avaient fait des observations orales sur le bien-fondé, sauf pour ce qui était de la peine. Après discussion avec le représentant du ministre, le tribunal a conclu que les deux avaient fait des observations de vive voix, sauf en ce qui concerne la peine;

• si l’avocat du ministre a demandé, à l’audience de février 2006, que l’appel du demandeur soit rejeté avant qu’il obtienne les résultats relatifs à la peine concernant l’accusation de voies de fait graves. Le tribunal a conclu que l’avocat du ministre avait demandé le rejet de l’appel;

• une pièce (R-2) a été introduite ce jour-là;

• s’il devait y avoir des observations de vive voix sur la peine ou si des observations écrites suffiraient.

[39]   Je conclus en disant que le dossier de preuve me convainc que le représentant du demandeur a fait preuve d’incompétence dans la manière dont il s’est occupé de l’appel du demandeur devant la SAI et qu’il y a eu erreur judiciaire dans la mesure où l’on pourrait dire que le demandeur n’a pas eu droit à une véritable audience devant la SAI, ce qui a mené au rejet de son appel et l’a donc privé de la possibilité de rester au Canada grâce à un sursis assorti de conditions strictes. À mon avis, le consultant qui le représentait a entièrement omis de produire des preuves sérieuses ou convaincantes qui auraient pu persuader le tribunal, lorsqu’il a mis en balance les facteurs pertinents, qu’un sursis était justifié.

[40]   Ma lecture de la jurisprudence donne à penser que la présente affaire est fort semblable à la décision qu’a rendue le juge Denault dans l’affaire Shirwa c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 2 C.F. 51 (1re inst.), où il a annulé une décision de la Section du statut de réfugié pour cause de représentation incompétente ou négligente de la part d’un consultant en immigration. Il existe d’autres décisions comparables : Osagie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1368; Gulishvili c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1200; Masood c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1224; et Taher c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 991.

Autres questions

[41]   Comme j’ai décidé qu’il convient d’accueillir la présente demande de contrôle judiciaire et de renvoyer l’affaire à un tribunal différemment constitué, il n’est pas nécessaire de décider si le tribunal a commis une erreur sur le fond de l’appel du demandeur en attachant une importance excessive à certains facteurs ou en faisant abstraction d’éléments de preuve.

[42]   Il est en outre inutile de décider si le tribunal lui-même a manqué aux principes d’équité.

JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision du tribunal annulée et l’appel du demandeur renvoyé à un tribunal différemment constitué de la SAI pour nouvel examen. Aucune question certifiée n’a été proposée.

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