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A‑142‑06

2007 CAF 75

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (appelants)

c.

Maria Bonnie Arias Garcia, Roberto Salgado‑Arias et Rodolfo Valdes‑Arias (alias Rodolfo Arias‑Garcia) (intimés)

Répertorié : Garcia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (C.A.F.)

Cour d’appel fédérale, juges Desjardins, Noël et Pelletier, J.C.A.—Montréal, 7 février; Ottawa, 16 mars 2007.

Citoyenneté et Immigration  —  Exclusion et renvoi  —  Renvoi de réfugiés  —   Appel de la décision de la Cour fédérale accueillant la demande de contrôle judiciaire de la décision refusant de surseoir à la mesure de renvoi prise contre l’enfant Rodolfo, l’intimé  —  Il s’agissait de savoir si la décision de la Cour d’appel du Québec, qui a rejeté la requête du père pour le retour de Rodolfo au Mexique, pouvait avoir pour effet d’empêcher directement et indéfiniment l’exécution de la mesure de renvoi L’art. 50a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés précise qu’il y a sursis de la mesure de renvoi si une décision judiciaire a pour effet direct d’empêcher l’exécution de la mesure de renvoi  —  La décision de la Cour d’appel n’avait pas pour effet direct d’empêcher l’exécution de la mesure de renvoi parce qu’elle ne comportait pas de disposition expresse qui était incompatible ou inconciliable avec le renvoi  —  Distinction entre le jugement et l’arrêt —  Appel accueilli.

 Il s’agissait d’un appel de la décision de la Cour fédérale accueillant la demande de contrôle judiciaire de la décision refusant de surseoir à la mesure de renvoi prise contre l’enfant Rodolfo, l’intimé. Rodolfo a fait l’objet d’un jugement de la Cour d’appel du Québec, qui a rejeté la requête du père pour son retour immédiat au Mexique. En citant un extrait du jugement de la Cour d’appel, la Cour fédérale a statué que le retour de Rodolfo au Mexique ne devrait pas avoir lieu puisqu’il s’était «  intégré dans son nouveau milieu ». Elle a aussi déclaré que l’agent de renvoi ne pouvait refuser le sursis temporaire prévu à l’alinéa 50a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR) puisque la décision de la Cour d’appel du Québec avait un effet direct sur la mesure de renvoi.

La question certifiée à trancher était celle de savoir si le jugement d’un tribunal provincial refusant d’ordonner le retour d’un enfant en conformité avec la Convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants et la Loi sur les aspects civils de l’enlèvement international et interprovincial d’enfants du Québec pouvait avoir pour effet d’empêcher directement et indéfiniment l’exécution d’une mesure de renvoi qui a pris effet conformément à la LIPR.

 Arrêt : l’appel doit être accueilli.

 L’alinéa 50a) de la LIPR précise qu’il y a sursis de la mesure de renvoi si « une décision judiciaire a pour effet direct d’en empêcher l’exécution ». La décision de la Cour d’appel du Québec n’avait pas pour « effet direct » d’empêcher l’exécution de la mesure de renvoi. Pour qu’une décision ait pour effet direct d’empêcher l’exécution d’une mesure de renvoi, il faut qu’une disposition expresse soit incompatible ou inconciliable avec le renvoi. La conclusion de la Cour d’appel du Québec selon laquelle Rodolfo ne devait pas être renvoyé parce qu’il s’était intégré dans son nouveau milieu faisait partie des motifs du jugement des juges majoritaires et non de l’arrêt lui‑même. Le rejet de la requête du père était une décision judiciaire qui ne comportait aucune ordonnance spécifique. Cette décision ne pouvait pas être incompatible ou inconciliable avec la mesure de renvoi. La Cour a donc répondu par la négative à la question certifiée.

lois et règlements cités

Convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, La Haye, 25 octobre 1980, [1983] R.T. Can. no 35, art. 12.

Loi sur les aspects civils de l’enlèvement international et interprovincial d’enfants, L.R.Q., ch. A‑23.01, art. 20.

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 36(1), 42b), 48, 50a).

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227, art. 224(2).

jurisprudence citée

décision appliquée :

Alexander c. Canada (Solliciteur général), [2006] 2 R.C.F. 681; 2005 CF 1147; conf. par 2006 CAF 386.

décisions examinées :

M.B.G.A. v. R.V.M., [2004] R.D.F. 500 (C.A. Qué.); Perez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1317; Cuskic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 C.F. 3 (C.A.); Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817.

décision citée :

Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235; 2002 CSC 33.

 APPEL de la décision de la Cour fédérale ([2006] 4 R.C.F. 455; 2006 CF 311) accueillant la demande de contrôle judiciaire de la décision refusant de surseoir à la mesure de renvoi prise contre Rodolfo, l’intimé. Appel accueilli.

ont comparu :

Ian Demers pour les appelants.

Jean El Masri pour les intimés.

avocats inscrits au dossier :

Le sous‑procureur général du Canada pour les appelants.

El Masri Dugal, Montréal, pour les intimés.

Voici les motifs du jugement rendus en français par

[1]La juge Desjardins, J.C.A. : Mme Maria Bonnie Arias Garcia, son fils Roberto Salgado‑Arias, ainsi que son second fils Rodolfo Valdes‑Garcia (alias Rodolfo Arias‑Garcia), deux enfants mineurs, font l’objet d’une mesure de renvoi exécutoire depuis le 19 janvier 2005. Par l’effet du paragraphe 224(2) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227, cette mesure est maintenant devenue une mesure d’expulsion. Mme Arias Garcia est une personne visée au paragraphe 36(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), et ses enfants sont interdits de territoire pour inadmissibilité familiale en vertu de l’alinéa 42b) de la Loi.

[2]Bien qu’ils soient tous trois désignés intimés dans l’intitulé de cause, l’enfant Rodolfo est la seule personne qui soit l’intimé.

[3]Rodolfo a fait l’objet d’un jugement de la Cour d’appel du Québec, rendu le 8 juin 2004 [M.B.G.A. c. R.V.M., [2004] R.D.F. 500], suite à une requête du père pour son retour immédiat au Mexique. Cette requête fut présentée en vertu de la Loi sur les aspects civils de l’enlèvement international et interprovincial d’enfants, L.R.Q., ch. A‑23.01, laquelle loi met en vigueur la Convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants [25 octobre 1980, [1983] R.T. Can. no 35] (la Convention de La Haye). La Cour d’appel du Québec rejeta la requête du père.

[4]Un jugement mexicain, en date du 6 octobre 2004, prononça le divorce entre les deux parents. La garde de Rodolfo fut confiée à la mère et l’autorité parentale fut confiée aux deux parents.

[5]Le 26 mai 2005, une agente préposée à l’examen des risques avant renvoi  (ERAR) rendit une décision négative à l’encontre de la demande d’ERAR présentée par Mme Arias Garcia aux motifs qu’il n’y a pas de risque personnel pour elle et ses enfants au Mexique et que la protection de l’État leur est disponible. La demande de contrôle judiciaire de cette décision fut rejetée le 9 mars 2006 (D.A., page 272).

[6]Une demande de sursis de la mesure de renvoi fut présentée en vertu de l’alinéa 50a) de la Loi. Elle fut rejetée le 17 juin 2005.

[7]L’exécution de cette mesure de renvoi fut suspendue jusqu’à la disposition finale de la demande de contrôle judiciaire de la décision du 17 juin 2005 présentée à la Cour fédérale du Canada.

[8]La demande de contrôle judiciaire fut accueillie : [2006] 4 R.C.F. 455 (C.F.).  La juge Tremblay‑Lamer s’inspira des facteurs jurisprudentiels élaborés dans l’affaire Alexander c. Canada (Solliciteur général), [2006] 2 R.C.F. 681 (C.F.) (Alexander) (appel rejeté, la question étant devenue théorique (2006 CAF 386); repris dans Perez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1317). Elle prit note de l’arrêt Cuskic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 C.F. 3 (C.A.), puis elle affirma, au paragraphe 33 :

C’est en me guidant sur ces facteurs que j’ai conduit la présente analyse. En l’espèce, la Cour d’appel du Québec a décidé de façon non équivoque quant à moi que le retour de l’enfant Rodolfo au Mexique ne devrait pas avoir lieu puisqu’il s’était intégré dans son nouveau milieu. Je reproduis intégralement la conclusion de la juge Louise Mailhot, au paragraphe 41 :

Je conclus que la preuve démontre l’intégration de l’enfant dans son nouveau milieu et je propose, pour ces raisons, d’accueillir l’appel, de casser le jugement de première instance et de rejeter la requête pour retour immédiat de l’enfant Rodolfo au Mexique, chaque partie payant ses frais.

[9]La juge Tremblay‑Lamer conclut, aux paragraphes 48 et 49 :

En résumé, l’agent de renvoi ne pouvait refuser le sursis temporaire prévu à l’alinéa 50a) puisque la décision judiciaire avait un effet direct sur la mesure de renvoi. Le jugement de la Cour d’appel a cependant une portée restreinte. Il ne peut être interprété comme ayant pour effet d’accorder un statut de résident permanent à Rodolfo, statut qui devra être accordé ou non par l’autorité compétente.

Quant à la mère, le fait que l’enfant Rodolfo puisse bénéficier du sursis statutaire n’empêche pas son renvoi puisque l’intérêt supérieur de l’enfant ne fait pas absolument obstacle au renvoi de son parent se trouvant illégalement au Canada (Legault). Comme le suggère la juge Dawson dans Alexander, la garde parentale n’impose pas la garde physique de l’enfant à tout moment mais le droit de contrôler son lieu de résidence. La mère confrontée au renvoi peut s’adresser à la Cour d’appel pour obtenir une modification de son ordonnance afin de permettre le retour de Rodolfo au Mexique ou prendre des dispositions pour le laisser au Canada.

[10]Elle certifia la question suivante, au paragraphe 52 :

Le jugement d’un tribunal provincial refusant d’ordonner le  retour d’un enfant en conformité avec la Convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, [1989] R.T. Can. no 35, et l’art. 20 de la Loi sur les aspects civils de l’enlèvement interprovincial et international  d’enfants, L.R.Q., ch. A‑23.01 « LACEE »  peut‑il avoir pour effet d’empêcher directement et indéfiniment  l’exécution d’une mesure de renvoi qui a pris  effet  conformément  à   la   Loi  sur  l’immigration et   la   protection  des   réfugiés,   L.C.   2001,   ch.   27 « LIPR »?

ANALYSE

[11]Puisqu’il s’agit essentiellement d’une question de droit, la première juge devait la décider correctement. La norme de contrôle que nous devons appliquer est donc celle de la décision correcte : Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235, au paragraphe 8.

[12]L’alinéa 50a) de la Loi prévoit ce qui suit :

50. Il y a sursis de la mesure de renvoi dans les cas suivants :

a) une décision judiciaire a pour effet direct d’en empêcher l’exécution, le ministre ayant toutefois le droit de présenter ses observations à l’instance;  [Je souligne.]

[13]L’alinéa 50a) est une exception à l’article 48 qui prévoit qu’une mesure de renvoi est appliquée dès que les conditions le permettent.

[14]L’arrêt de la Cour d’appel du Québec, dans ses éléments pertinents, se lit comme suit, aux paragraphes 3 à 5 :

Pour les motifs de la juge Mailhot auxquels souscrit le juge en chef Robert.

ACCUEILLE l’appel;

CASSE le jugement de première instance et REJETTE la requête pour retour immédiat de l’enfant  R [. . .] au Mexique, chaque partie payant ses frais.

[15]La juge Tremblay‑Lamer ne pouvait conclure que la décision de la Cour d’appel du Québec était une décision judiciaire qui avait pour « effet direct » d’empêcher l’exécution de la mesure de renvoi, selon l’alinéa 50a) de la Loi.

[16]Pour qu’une décision judiciaire ait pour « effet direct » d’empêcher l’exécution d’une mesure de renvoi, il faut qu’une disposition expresse de l’ordonnance soit incompatible ou inconciliable avec le renvoi de la personne visée. Ainsi, je suis d’accord sur ce point avec le paragraphe 34 de l’affaire Alexander citée plus haut.

[17]La première juge s’est méprise sur la portée de la décision de la Cour d’appel du Québec lorsqu’elle affirme que « la Cour d’appel du Québec a décidé de façon non équivoque quant à moi que le retour de l’enfant Rodolfo au Mexique ne devrait pas avoir lieu puisqu’il s’était intégré dans son nouveau milieu » (paragraphe 33 de ses motifs).

[18]La conclusion de la Cour d’appel du Québec à l’effet que l’enfant Rodolfo s’était intégré dans son nouveau milieu fait partie des motifs du jugement des juges majoritaires et non de l’arrêt lui‑même. Cette conclusion fut tirée lors de l’analyse de la question de savoir s’il y avait lieu de retourner immédiatement l’enfant au Mexique plutôt que de le maintenir dans son nouveau milieu, compte tenu du fait qu’il s’était écoulé plus d’un an entre le moment du déplacement illicite de l’enfant et la demande de retour (article 20 de la Loi sur les aspects civils de l’enlèvement international et interprovincial d’enfants et article 12 de la Convention de La Haye).

[19]Les motifs invoqués par les juges majoritaires pour rejeter la demande du père ne font qu’expliquer l’arrêt de la Cour d’appel. Le rejet de la requête du père est une décision judiciaire qui ne comporte aucune ordonnance spécifique. Cette décision ne peut donc être inconciliable ou incompatible avec la mesure de renvoi.

[20]L’intimé soumet que conformément à l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, l’intérêt de l’enfant doit être pris en considération pour les fins de l’interprétation ou de l’application de l’alinéa 50a) de la Loi.

[21]Il est certain, comme l’a noté la juge Tremblay‑Lamer, que le jugement de la Cour d’appel du Québec ne peut être interprété comme ayant pour effet d’accorder un statut de résident permanent à Rodolfo (paragraphe 48 de ses motifs). L’effet du jugement fut de rejeter la demande de retour immédiat de Rodolfo au Mexique. Ainsi, Rodolfo demeurait sous la garde de sa mère et en compagnie de son frère. Il pouvait continuer de fréquenter le milieu scolaire auquel il s’était familiarisé. Si l’opinion minoritaire de la Cour d’appel avait prévalue (juge Morin), l’enfant Rodolfo aurait été séparé de sa mère et de son frère et aurait dû quitter le Canada immédiatement pour le Mexique.

[22]Interpréter l’alinéa 50a), comme nous invite à le faire l’intimé, c’est‑à‑dire en accordant à l’enfant un droit de séjour au Canada, aurait pour effet de séparer la jeune famille, en maintenant Rodolfo au Canada alors que sa mère et son frère Roberto sont l’objet d’une mesure d’expulsion. Mais surtout, cette interprétation donnerait au jugement de la Cour d’appel du Québec une portée qu’il n’a pas.

[23]J’accueillerais cet appel, j’infirmerais la décision de la première juge et je rejetterais la demande de contrôle judiciaire.

[24]Je répondrais par la négative à la question certifiée suivante [au paragraphe 52] :

Le jugement d’un tribunal provincial refusant d’ordonner le retour d’un enfant en conformité avec la Convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, [1989] R.T. Can. no 35, et l’art. 20 de la Loi sur les aspects civils de l’enlèvement interprovincial et international d’enfants, L.R.Q., ch. A‑23.01 « LACEE »  peut‑il avoir pour effet d’empêcher directement et indéfiniment l’exécution d’une mesure de renvoi qui a pris effet conformément à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 « LIPR »?

Non.

[25]L’intimé nous a demandé, si nous accueillons l’appel, de surseoir pendant une période de 60 jours à l’exécution de la mesure d’expulsion. Il appartient à l’agente de renvoi de traiter d’une telle demande et non à la Cour.

Le juge Noël, J.C.A.:  Je suis d’accord.

Le juge Pelletier, J.C.A.:  Je suis d’accord.

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