A‑194‑07
2007 CAF 264
ratiopharm inc. (appelante)
c.
Wyeth, Wyeth Canada et le ministre de la Santé (intimés)
Répertorié : Wyeth Canada c. ratiopharm inc. (C.A.F.)
Cour d’appel fédérale, juges Nadon, Sharlow et Ryer, J.C.A.—Toronto, 25 juin; Ottawa, 1er août 2007.
Brevets — Appel de la décision par laquelle la Cour fédérale a rejeté la requête que ratiopharm inc. a déposée en vertu de l’art. 6(5)a) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) pour faire rejeter la demande en interdiction présentée par Wyeth et Wyeth Canada (Wyeth) — ratiopharm a allégué que le brevet de Wyeth (le brevet ′778) n’était pas admissible à l’inscription à l’égard de l’« Effexor XR » — Présentation et examen du droit régissant la commercialisation de drogues au Canada — La Cour fédérale a commis une erreur en s’en remettant à la décision du ministre portant que le brevet ′778 pouvait être inscrit — La Cour fédérale aurait dû décider, sur le fondement de la preuve produite dans le cadre de la requête formée sous le régime de l’art. 6(5)a), si le brevet était admissible ou non à l’inscription — La question a fait l’objet d’un examen de novo — Le brevet ′778 était inadmissible à l’inscription, mais il n’aurait pas dû être radié puisque la requête de ratiopharm ne tendait pas à faire rendre une telle ordonnance — Appel accueilli; appel incident accueilli en partie.
Il s’agissait d’un appel de la décision par laquelle la Cour fédérale a rejeté la requête que ratiopharm inc. a déposée en vertu de l’alinéa 6(5)a) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) tendant à faire rejeter la demande présentée par Wyeth et Wyeth Canada (Wyeth) pour obtenir une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à ratiopharm relativement à ses capsules à libération prolongée de chlorhydrate de venlafaxine.
Wyeth est propriétaire du brevet canadien no 2199778 (le brevet ′778), qu’elle a réussi à faire inscrire au registre des brevets au titre de l’« Effexor XR » en se fondant sur six suppléments à la présentation de drogue nouvelle (SPND) qui ont été déposés après la demande de brevet et à l’égard desquels un AC a été délivré. L’ingrédient médicinal de l’« Effexor XR » est le chlorhydrate de venlafaxine. Dans son avis d’allégation, ratiopharm a affirmé que le brevet ′778 était invalide et que son produit générique ne contreferait pas le brevet. Wyeth a introduit une demande en interdiction et ratiopharm a déposé une requête en vue de faire rejeter cette demande au motif que le brevet ′778 n’était pas admissible à l’inscription à l’égard de l’« Effexor XR ». La Cour fédérale a conclu que le brevet ′778 était admissible à l’inscription au titre des deux derniers AC délivrés à Wyeth à l’égard de l’« Effexor XR ». ratiopharm a porté cette décision en appel. Wyeth a interjeté un appel incident au motif que la Cour fédérale aurait dû conclure que le brevet ′778 était valablement inscrit au titre de cinq des AC (ayant admis que le brevet ′778 n’aurait pas dû être inscrit au titre du premier des six AC), et que la Cour fédérale a commis une erreur en ordonnant au ministre de radier le brevet ′778 au titre de quatre de ces AC.
Arrêt : l’appel doit être accueilli; l’appel incident doit être accueilli en partie.
La Cour a passé en revue et expliqué le cadre législatif ainsi que la jurisprudence pertinente.
La requête formée par ratiopharm exigeait que ce soit tranchée, à propos de chaque SPDN, la question de savoir s’il existait un lien suffisant entre ce SPDN, l’AC dont la délivrance en découlait et l’invention brevetée ou les revendications du brevet. Wyeth a admis avec raison que l’inscription au titre du premier AC était irrégulière au motif que l’inscription d’un brevet ne peut se fonder sur un SPDN ayant pour objet le changement du nom du fabricant. En outre, rien ne justifiait la remise en cause de la décision que la Cour fédérale a rendue relativement aux deuxième, troisième et quatrième AC. Pour ce qui est des cinquième et sixième AC, la Cour fédérale a commis une erreur lorsqu’elle a statué que dans les cas où l’on peut raisonnablement débattre des faits et des opinions nécessaires pour établir l’existence d’un lien suffisant entre le brevet qu’on souhaite faire inscrire et le SPDN sur lequel on se fonde à cette fin, la Cour fédérale devrait présumer que le ministre a effectué l’examen factuel qu’exige la loi et devrait s’en remettre à sa décision, à moins que l’inexistence d’un tel lien ne soit manifeste. Toute requête formée sous le régime de l’alinéa 6(5)a) exige du juge qu’il décide, sur le fondement de la preuve produite dans le cadre de cette requête, si le brevet en cause est admissible à l’inscription. Une telle requête doit donner lieu à une décision judiciaire sur le caractère suffisant ou non du lien entre la demande d’inscription d’un brevet déterminé présentée par l’innovateur et la PDN ou le SPDN sur lequel il fonde cette demande. Le fait que le ministre ait conclu à l’admissibilité du brevet à l’inscription n’est pas pertinent.
La question de l’admissibilité du brevet ′778 à l’inscription au titre des deux AC a fait l’objet d’un examen de novo. Il n’existait pas de lien pertinent entre le brevet ′778 et l’AC délivré en réponse au SPDN portant sur une indication modifiée, à savoir le traitement d’entretien du trouble dépressif majeur. Le SPDN à l’égard duquel le deuxième AC a été délivré tendait à obtenir l’autorisation d’ajouter à la monographie de produit certaines déclarations touchant la réduction des nausées. Cependant, la lecture au pied de la lettre des revendications du brevet donnait à penser que la mention de la réduction des nausées ne faisait que décrire l’effet de la libération prolongée de chlorhydrate de venlafaxine dans le corps. En conséquence, l’inscription du brevet ′778 ne pouvait se fonder sur ce SPDN.
Aucun des SPDN que Wyeth a invoqués pour faire inscrire le brevet ′778 ne pouvait fonder cette inscription. La Cour fédérale aurait dû accueillir la requête formée par ratiopharm sous le régime de l’alinéa 6(5)a) du Règlement AC et rejeter la demande en interdiction de Wyeth.
Comme la requête de ratiopharm ne tendait pas à faire rendre une ordonnance enjoignant au ministre de supprimer le brevet ′778 du registre des brevets, Wyeth et le ministre n’ont pas été avisés que la Cour fédérale envisageait de rendre cette ordonnance. La partie de l’ordonnance enjoignant au ministre de radier le brevet ′778 a été annulée.
lois et règlements cités
Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P‑4, art. 44 (mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 42), 55.2 (édicté par L.C. 1993, ch. 2, art. 4; 2001, ch. 10, art. 2).
Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., ch. 870.
Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133, art. 2 « revendication pour le médicament en soi », « revendication pour l’utilisation du médicament », 3 (mod. par DORS/98‑166, art. 2; 2006‑242, art. 2), 4(1) (mod. par DORS/98‑166, art. 3), (2) (mod., idem), (3) (mod., idem), (4) (mod., idem), (5) (mod., idem), 5 (mod., idem, art. 4; 99‑379, art. 2), 6(1) (mod. par DORS/98‑166, art. 5), (5)a) (édicté, idem; 2006‑242, art. 3), 7(1)e) (mod. par DORS/98‑166, art. 6).
jurisprudence citée
décisions appliquées :
Hoffmann‑La Roche Ltée c. Canada (Ministre de la Santé), [2007] 3 R.C.F. 102; 2006 CAF 335; AstraZeneca Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), [2006] 2 R.C.S. 560; 2006 CSC 49.
décisions examinées :
Apotex Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), [1999] A.C.F. no 458 (1re inst.) (QL); conf. par [2001] A.C.F. no 143 (C.A.) (QL); Eli Lilly Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), [2003] 3 C.F. 140; 2003 CAF 24; David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588 (C.A.); Abbott Laboratories c. Canada (Ministre de la Santé), 2004 CAF 154.
décisions citées :
Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), [1998] 2 R.C.S. 193; Bristol‑Myers Squibb Co. c. Canada (Procureur général), [2005] 1 R.C.S. 533; 2005 CSC 26; Apotex Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), [1999] A.C.F. no 1978 (C.A.) (QL); Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235; 2002 CSC 33.
APPEL et APPEL INCIDENT de la décision (2007 CF 340) par laquelle la Cour fédérale a rejeté la requête que ratiopharm inc. a déposée en vertu de l’alinéa 6(5)a) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) pour faire rejeter la demande en interdiction présentée par Wyeth et Wyeth Canada en application du paragraphe 6(1) du Règlement. Appel accueilli; appel incident accueilli en partie.
ont comparu :
Marcus A. Klee et David W. Aitken pour l’appelante.
Anthony George Creber et Marc Richard pour les intimées Wyeth et Wyeth Canada.
David G. Cowie pour l’intimé le ministre de la Santé.
avocats inscrits au dossier :
Osler, Hoskin & Harcourt S.E.N.C.R.L, s.r.l., Ottawa, pour l’appelante.
Gowling Lafleur Henderson s.r.l., Ottawa, pour les intimées Wyeth et Wyeth Canada.
Le sous‑procureur général du Canada pour l’intimé le ministre de la Santé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
[1]La juge Sharlow, J.C.A. : Wyeth et Wyeth Canada (ci‑après collectivement désignées Wyeth) ont demandé à la Cour fédérale, sous le régime du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133 (le Règlement AC), une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité (AC) à ratiopharm inc. sous le régime du Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., ch. 870, relativement à ses capsules à libération prolongée de chlorhydrate de venlafaxine, jusqu’à l’expiration du brevet canadien no 2199778 (le brevet ′778). La question à trancher dans le présent appel est celle de savoir si la demande en interdiction devrait être rejetée sans faire l’objet d’une audience sur le fond, du fait que le brevet ′778 ne serait pas valablement inscrit au registre des brevets que tient le ministre sous le régime du Règlement AC. Pour les motifs dont l’exposé suit, j’ai conclu que le brevet ′778 n’est pas valablement inscrit et que la demande en interdiction devrait être rejetée.
[2]La présente affaire concerne le rapport entre le Règlement AC et le Règlement sur les aliments et drogues. Avant d’analyser les questions explicitement mises en litige dans l’appel et l’appel incident, j’examinerai dans les grandes lignes le régime applicable. Le présent exposé des motifs se divise comme suit * :
* Note de l’arrêtiste : La table des matières a été omise pour des raisons de concision.
Le Règlement sur les aliments et drogues
[3]Le Règlement sur les aliments et drogues prescrit au fabricant qui souhaite commercialiser une drogue nouvelle au Canada (l’innovateur) de déposer auprès du ministre un document appelé « présentation de drogue nouvelle » (PDN). La PDN doit être accompagnée de renseignements propres à permettre au ministre d’établir si la drogue nouvelle remplit les conditions nécessaires d’innocuité et d’efficacité. Normalement, la somme des renseignements communiqués à l’appui de la PDN est considérable et son obtention a coûté très cher à l’innovateur.
[4]S’il estime que la drogue nouvelle proposée remplit les conditions nécessaires d’innocuité et d’efficacité, le ministre en autorise la commercialisation au Canada en délivrant à l’innovateur un AC stipulant, entre autres, ses ingrédients médicinaux, sa marque nominative, sa forme posologique, ses concentrations, sa voie d’administration et ses indications thérapeutiques. Le ministre doit aussi approuver une monographie de produit qui contient des renseignements détaillés sur la drogue à l’intention des praticiens de la santé.
[5]Le Règlement sur les aliments et drogues prescrit à l’innovateur de déposer un supplément à la présentation de drogue nouvelle (SPDN) s’il souhaite faire n’importe quel changement ou à peu près touchant la drogue à l’égard de laquelle on lui a délivré un AC. L’innovateur est tenu de déposer un SPDN si le changement proposé se rapporte à la drogue elle‑même ou à son utilisation (par exemple, s’il s’agit d’une modification de la formulation, de la forme posologique, de la concentration, des indications thérapeutiques ou de la voie d’administration), ou encore s’il veut changer le nom de la drogue ou du fabricant, le conditionnement ou la monographie de produit. Dans certains cas, les changements qu’on veut faire autoriser au moyen du SPDN exigent la production, sur l’innocuité et l’efficacité du produit modifié, d’une somme de renseignements qui, comme celle communiquée à l’appui de la PDN, peut se révéler considérable et coûteuse. D’autres changements, portant par exemple sur le nom de la drogue ou du fabricant, pourront n’exiger qu’une quantité minime de documentation justificative.
[6]Est parfois dit « de fond » le SPDN qui pourrait avoir des effets sur l’innocuité ou l’efficacité de la drogue. De même, on qualifie parfois d’« administratif » le SPDN qui ne laisse pas prévoir de tels effets, par exemple s’il n’a pour objet qu’un changement de nom. La distinction entre les SPDN de fond et les SPDN administratifs est importante pour le ministre aux fins de l’application du Règlement sur les aliments et drogues, mais elle n’est pas particulièrement utile en ce qui concerne l’application du Règlement AC. Je reviendrai plus loin sur cette question.
[7]Lorsqu’il approuve le changement proposé dans le SPDN, le ministre délivre un nouvel AC. En général, celui‑ci est l’instrument en vertu duquel l’innovateur commercialise la drogue une fois apportées les modifications en cause. En ce sens, le nouvel AC englobe toutes les autorisations antérieures prononcées par le ministre.
[8]Le fabricant qui souhaite commercialiser une version générique de la drogue d’un innovateur à l’égard de laquelle un AC a été délivré peut obtenir son propre AC en déposant une présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN), où il compare sa version générique à la drogue de l’innovateur (désignée dans ce contexte « produit de référence canadien »). La présentation du fabricant de génériques est dite « abrégée » parce que sa version générique satisfera aux conditions prescrites d’innocuité et d’efficacité si le ministre estime qu’elle est équivalente au produit de référence canadien sous des rapports déterminés. La production d’une preuve satisfaisante d’équivalence peut se révéler complexe et coûteuse, mais l’est en général moins que l’établisse-ment des renseignements justificatifs qu’on exige de l’innovateur.
Le Règlement AC
[9]Avant 1993, il était possible de produire une version générique d’un médicament breveté pour ensuite entrer en concurrence avec l’innovateur en se prévalant des dispositions relatives à la concession de licence obligatoire de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P‑4. Cependant, le Parlement a décidé en 1993 qu’il convenait de mieux protéger les brevets sur médicaments. Il a apporté à cette fin un certain nombre de modifications à la Loi sur les brevets, dont l’abroga-tion des dispositions relatives à la concession de licence obligatoire. Ces dispositions ont été remplacées par le régime actuellement en vigueur, qui comprend notamment l’article 55.2 [édicté par L.C. 1993, ch. 2, art. 4; 2001, ch. 10, art. 2] de la Loi sur les brevets et le Règlement AC.
[10]Un des objectifs du nouveau régime était d’équilibrer le supplément de protection légale accordé aux brevets sur médicaments par le contrepoids d’une disposition qui permettrait aux fabricants de génériques de faire approuver leurs produits à temps pour entrer en concurrence avec les fabricants de médicaments brevetés dès après l’expiration des brevets en cause. On a atteint cet objectif au moyen de « l’exception relative aux travaux préalables » (aussi appelée « autorisation d’exploitation anticipée ») que prévoit le paragraphe 55.2(1) de la Loi sur les brevets, libellé comme suit :
55.2 (1) Il n’y a pas contrefaçon de brevet lorsque l’utilisation, la fabrication, la construction ou la vente d’une invention brevetée se justifie dans la seule mesure nécessaire à la préparation et à la production du dossier d’information qu’oblige à fournir une loi fédérale, provinciale ou étrangère réglementant la fabrication, la construction, l’utilisation ou la vente d’un produit.
[11]N’était cette disposition, le fabricant de génériques souhaitant produire une version générique d’un médicament breveté pourrait être déclaré coupable de contrefaçon d’une revendication du brevet en cause s’il engageait le processus d’approbation réglementaire de sa version générique avant l’expiration de ce brevet. L’exception relative aux travaux préalables a pour objet de mettre à l’abri de toute plainte en contrefaçon le fabricant de génériques qui utilise l’invention brevetée avant l’expiration du brevet à seule fin de déposer une PADN à temps pour obtenir un AC au moment de cette expiration.
[12]Le paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets, dont le texte suit, confère au gouverneur en conseil le pouvoir de prendre des règlements afin de réduire les risques d’abus de l’exception relative aux travaux préalables.
55.2 [. . .]
(4) Afin d’empêcher la contrefaçon d’un brevet d’invention par l’utilisateur, le fabricant, le constructeur ou le vendeur d’une invention brevetée au sens du paragraphe (1), le gouverneur en conseil peut prendre des règlements, notamment :
a) fixant des conditions complémentaires nécessaires à la délivrance, en vertu de lois fédérales régissant l’exploitation, la fabrication, la construction ou la vente de produits sur lesquels porte un brevet, d’avis, de certificats, de permis ou de tout autre titre à quiconque n’est pas le breveté;
b) concernant la première date, et la manière de la fixer, à laquelle un titre visé à l’alinéa a) peut être délivré à quelqu’un qui n’est pas le breveté et à laquelle elle peut prendre effet;
c) concernant le règlement des litiges entre le breveté, ou l’ancien titulaire du brevet, et le demandeur d’un titre visé à l’alinéa a), quant à la date à laquelle le titre en question peut être délivré ou prendre effet;
d) conférant des droits d’action devant tout tribunal compétent concernant les litiges visés à l’alinéa c), les conclusions qui peuvent être recherchées, la procédure devant ce tribunal et les décisions qui peuvent être rendues;
e) sur toute autre mesure concernant la délivrance d’un titre visé à l’alinéa a) lorsque celle‑ci peut avoir pour effet la contrefaçon de brevet.
[13]Le gouverneur en conseil, en vertu des pouvoirs que lui conférait le paragraphe 55.2(4), a promulgué le Règlement AC en 1993. Ce règlement place le ministre au point de rencontre de ses propres dispositions et du Règlement sur les aliments et drogues en lui prescrivant de tenir un registre public des brevets.
[14]Le registre des brevets est le pivot du Règlement AC. Il s’agit essentiellement d’une liste de brevets relatifs à toute drogue à l’égard de laquelle un AC a été délivré à l’innovateur. Les brevets inscrits sont ceux qui contiennent une revendication pour laquelle l’innovateur recherche le bénéfice du Règlement AC en plus des droits que la Loi sur les brevets confère au propriétaire de brevet ou au preneur de licence.
[15]La procédure relative au registre des brevets peut être résumée comme suit. L’innovateur qui dépose une PDN peut déposer en même temps une liste de brevets à l’égard de la drogue nouvelle qu’il propose. La liste de brevets est un formulaire où l’innovateur doit porter des renseignements déterminés sur un brevet. En déposant la liste de brevets auprès du ministre, l’innovateur se trouve demander que le brevet en cause soit inscrit au registre des brevets à l’égard de la drogue nouvelle une fois que l’AC lui aura été délivré.
[16]Selon la version du Règlement AC en vigueur avant le 5 octobre 2006, la liste de brevets doit identifier la PDN à laquelle elle se rattache (j’examine plus loin cet aspect de l’inscription des brevets dans la section intitulée : « L’admissibilité des brevets à l’inscription »). Elle doit aussi porter les renseignements suivants :
a) la forme posologique, la concentration et la voie d’administration de la drogue;
b) tout brevet canadien que le fabricant de drogues souhaite faire inscrire, dont il est propriétaire ou à l’égard duquel il détient une licence exclusive et qui comporte une « revendication pour le médicament en soi » ou une « revendication pour l’utilisation du médicament » (selon les définitions de l’article 2 du Règlement AC);
c) la date d’expiration du brevet.
(Voir les paragraphes 4(2) [mod. par DORS/98-166, art. 3] et 4(5) [mod., idem] de la version du Règlement AC en vigueur avant le 5 octobre 2006. Les prescriptions relatives au contenu de la liste de brevets ont été changées par les modifications de l’article 4 du Règlement AC (DORS/2006‑242 [article 2]). Ces modifications ne sont pas pertinentes pour le présent appel parce qu’elles ne s’appliquent qu’aux listes de brevets déposées à partir du 6 juin 2006.)
[17]L’article 5 [mod. par DORS/98-166, art. 4; 99-379, art. 2] du Règlement AC oblige le fabricant de génériques qui cite dans sa PADN comme produit de référence canadien une drogue d’innovateur à l’égard de laquelle un ou des brevets sont inscrits à « traiter », comme on dit parfois, ce ou ces brevets, c’est‑à‑dire à produire certains renseignements y afférents avant que le ministre puisse lui délivrer un AC pour son produit générique.
[18]Le fabricant de génériques peut traiter un brevet inscrit en déclarant qu’il ne demande pas la délivrance d’un AC pour sa version générique du produit de référence canadien avant l’expiration de ce brevet. Ou encore, il peut soutenir que le brevet n’est pas valide ou qu’il ne le contreferait pas en utilisant, fabriquant, construisant ou vendant le produit générique. S’il allègue l’invalidité ou l’absence de contrefaçon, le fabricant de génériques doit signifier à l’innovateur un avis d’allégation (AA), accompagné d’un énoncé détaillé du droit et des faits sur lesquels il fonde son allégation.
[19]L’innovateur n’est pas tenu de prendre de mesures en réponse à un AA. Cependant, s’il souhaite contester une allégation d’invalidité ou d’absence de contrefaçon, le paragraphe 6(1) [mod. par DORS/98-166, art. 5] du Règlement AC lui permet de demander à la Cour fédérale, dans les 45 jours, une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un AC à l’égard du produit générique avant l’expiration du brevet.
[20]Une fois qu’une demande en interdiction a été introduite, le ministre se trouve empêché durant 24 mois, en vertu de l’alinéa 7(1)e) [mod., idem, art. 6] du Règlement AC, de délivrer un AC au fabricant de génériques. Cette période de suspension peut être abrégée ou prolongée par une ordonnance de la Cour fédérale, ou prendre fin si la demande en interdiction fait l’objet d’un rejet, d’un retrait ou d’un désistement. La suspension automatique de 24 mois du processus d’approbation de la drogue, parfois désignée « sursis d’origine législative » ou « sursis réglementaire », a été qualifiée de draconienne parce qu’elle a l’effet d’une injonction interlocutoire qui prend effet sans que le breveté ait à établir la contrefaçon, ne serait‑ce que prima facie : Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), [1998] 2 R.C.S. 193, au paragraphe 33 (le juge Iacobucci, s’exprimant au nom de la Cour).
[21]Il convient de noter cet aspect important du Règlement AC que la demande en interdiction ne peut entraîner de décision définitive sur la validité du brevet en cause ou sa contrefaçon. Ce règlement vient en effet s’ajouter au régime d’exécution des brevets de la Loi sur les brevets. Quelle que soit l’issue de la demande en interdiction, l’innovateur conserve le droit de poursuivre en contrefaçon le fabricant de génériques, et il reste loisible à ce dernier d’essayer de faire invalider le brevet. Néanmoins, le Règlement AC a donné lieu à de nombreux litiges parce que les enjeux financiers sont considérables, même quand il s’agit seulement de hâter ou de retarder l’entrée d’un produit générique sur le marché.
L’admissibilité des brevets à l’inscription
[22]Selon le paragraphe 4(1) [mod., idem, art. 3] du Règlement AC, seul le fabricant qui a déposé une PDN relative à une drogue déterminée a le droit de demander l’inscription d’un brevet au registre à l’égard de cette drogue. L’application de cette disposition est assurée par le paragraphe 4(5), qui dispose que la liste de brevets doit indiquer la PDN à laquelle elle se rapporte et la date de dépôt de celle‑ci. En outre, sous le régime du paragraphe 3(3) [mod., idem, art. 2] du Règlement AC, un brevet ne peut être inscrit au registre avant l’approbation par le ministre de la PDN sur laquelle se fonde la demande d’inscription et la délivrance d’un AC pour la drogue en réponse à cette PDN. Par conséquent, chaque inscription de brevet se trouve liée de façon permanente à un AC particulier déposé par l’innovateur et à la PDN qui est à l’origine de sa délivrance, ainsi qu’à la drogue à l’égard de laquelle le brevet est inscrit. C’est pourquoi une inscription de brevet donnée peut être considérée comme faite « au titre » d’un AC déterminé.
[23]La demande d’inscription de brevet est soumise à des conditions temporelles. Le paragraphe 4(3) [mod., idem, art. 3] du Règlement AC dispose que la demande d’inscription de brevet doit se faire au moment du dépôt de la PDN sur laquelle elle se fonde. Le paragraphe 4(4) [mod., idem] prévoit une exception à cette règle : il permet l’inscription d’un brevet délivré après le dépôt de la PDN à deux conditions. Premièrement, le dépôt de la demande de brevet doit avoir précédé celui de la PDN. Deuxièmement, la demande d’inscription du brevet doit être déposée dans les 30 jours suivant la délivrance de celui‑ci.
[24]Il a été statué dans Apotex Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), [1999] A.C.F. no 458 (1re inst.) (QL), conf. par [2001] A.C.F. no 143 (C.A.) (QL), que le SPDN est assimilable à la PDN pour l’application de l’article 4 du Règlement AC. La jurisprudence ultérieure a nuancé cette interprétation. Il est maintenant établi que la demande d’inscription de brevet ne peut se fonder sur un SPDN que si le changement faisant l’objet de ce dernier peut se révéler pertinent pour la contrefaçon hypothétique d’une revendication de brevet relevant du Règlement AC (la jurisprudence applicable est résumée aux paragraphes 14 à 22 de Hoffmann‑La Roche Ltée c. Canada (Ministre de la Santé), [2007] 3 R.C.F. 102 (C.A.F.)). Étant donné les conditions temporelles auxquelles la demande d’inscription de brevet est soumise, on décide la question de savoir si un SPDN déterminé peut fonder l’inscription d’un brevet en fonction des changements qui en font l’objet, indépendamment de tout AC antérieur.
[25]La jurisprudence n’a pas encore réglé tous les cas de figures envisageables de l’inscription d’un brevet sur la base d’un SPDN, et je n’essaierai pas d’en dresser un tableau complet. Chaque affaire doit être décidée en fonction de ses faits particuliers. Qu’il me suffise de noter ici, aux fins d’illustration, qu’un SPDN ayant pour objet un changement des indications thérapeutiques d’une drogue peut servir de base à l’inscription d’un brevet comprenant une revendication pour l’utilisation du médicament que contient cette drogue. Par contre, l’inscription d’un brevet ne peut se fonder sur un SPDN ayant pour objet un changement du nom de la drogue ou du fabricant.
[26]On désigne parfois « changement de fond » dans la jurisprudence la sorte de changement qui doit faire l’objet du SPDN pour que celui‑ci puisse étayer l’inscription d’un brevet. Dans ce contexte, l’expression « de fond » doit se comprendre par rapport à l’invention brevetée ou aux revendications du brevet. Un SPDN valablement qualifié « de fond » pour l’application du Règlement sur les aliments et drogues (parce qu’il vise un changement susceptible d’avoir des effets sur l’innocuité ou l’efficacité de la drogue) ne pourra pas nécessairement fonder l’inscription d’un brevet. De même, la preuve qu’un SPDN donné a coûté cher à rédiger et a exigé une grande quantité de renseignements justificatifs n’établit pas en soi qu’il puisse étayer la demande d’inscription d’un brevet. Par contre, la preuve qu’un SPDN est à bon droit qualifié d’administratif pour l’application du Règlement sur les aliments et drogues donnera à penser qu’il ne peut probablement pas fonder l’inscription d’un brevet.
[27]L’arrêt AstraZeneca Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), [2006] 2 R.C.S. 560, est également instructif concernant les questions que soulève le présent appel. La Cour suprême a conclu dans cet arrêt que le ministre avait eu raison de délivrer un AC à un fabricant de génériques à l’égard de sa copie de la drogue d’un innovateur sans exiger qu’il traitât les brevets inscrits au titre de celle‑ci, au motif que, vu les faits, le fabricant de génériques n’aurait absolument pas pu se prévaloir de l’exception relative aux travaux préalables que prévoit le paragraphe 55.2(1)de la Loi sur les brevets. Dans ce contexte, exiger du fabricant de génériques qu’il traite les brevets inscrits aurait équivalu à étendre le champ d’application du Règlement AC au‑delà de l’objet visé par le législateur. Sur ce point, voir aussi Bristol‑Myers Squibb Co. c. Canada (Procureur général), [2005] 1 R.C.S. 533.
[28]AstraZeneca pourrait justifier la conclusion que le Règlement AC est inapplicable à toute situation ne mettant pas en jeu l’exception relative aux travaux préalables. Il ne s’ensuit pas cependant que, dans le cas où une exploitation anticipée de cette nature est établie, l’innovateur doive automatiquement pouvoir se préva-loir du Règlement AC. La raison en est que celui‑ci n’aide pas l’innovateur à moins que son brevet ne soit valablement inscrit.
[29]Le présent appel porte sur la régularité d’une inscription de brevet. La partie de l’arrêt AstraZeneca la plus pertinente pour cette question est celle où la Cour suprême explique que l’inscription d’un brevet sur la base d’un SPDN est subordonnée à l’existence d’un lien entre le changement faisant l’objet de ce SPDN, l’AC délivré en réponse à ce dernier et le brevet qu’on veut faire inscrire. Je souscris sur ce point aux conclusions du juge de première instance (voir le paragraphe 22 de son exposé des motifs).
[30]Je pense aussi comme le juge de première instance que l’arrêt AstraZeneca infirme en partie le raisonnement sur lequel se fonde l’arrêt de notre Cour dans Eli Lilly Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), [2003] 3 C.F. 140 (C.A.). La partie de ce raisonnement qu’AstraZeneca rend caduque est l’idée qu’un brevet portant une revendication pour le médicament contenu dans une drogue est en général inscrit au titre de cette drogue plutôt qu’au titre d’un AC déterminé délivré en réponse à la PDN ou au SPDN qui fonde l’inscription de ce brevet.
[31]L’affaire Eli Lilly opposait le ministre et l’innovateur Eli Lilly sur la question de savoir si un brevet portant une revendication pour une formulation lactosée du médicament contenu dans le Tazidime pouvait être inscrit au titre de cette drogue même si celle‑ci ne contenait pas de lactose. Aucun fabricant de génériques n’était partie à cette instance, et aucun élément de preuve ne tendait à établir que quiconque se fût effectivement prévalu de l’exception relative aux travaux préalables. Notre Cour a conclu que le brevet devait être inscrit. Cependant, après AstraZeneca, Eli Lilly ne pourrait étayer solidement une demande en interdiction sous le régime du Règlement AC dans le cas où un fabricant de génériques déposerait une PDN comparant son produit générique au Tazidime, étant donné l’absence d’exploitation anticipée de l’invention brevetée. Dans ce cas, une requête en rejet formée sous le régime de l’alinéa 6(5)a) [édicté par DORS/98-166, art. 5] du Règlement AC serait probablement accueillie.
[32]Le 5 octobre 2006, on a modifié le Règlement AC pour confirmer le droit de l’innovateur à inscrire un nouveau brevet sur la base d’un SPDN et pour en régir l’exercice. Mais ces modifications ne sont pas pertinentes pour la présente espèce puisqu’elles ne s’appliquent qu’aux demandes d’inscription de brevet faites à partir du 17 juin 2006 (DORS/2006‑242, articles 2 et 6).
La requête en rejet d’une demande en interdiction dans le cas où le brevet n’est pas admissible à l’inscription
[33]Notre Cour a établi qu’il n’est pas permis à un fabricant de génériques d’obtenir par voie de demande de contrôle judiciaire une ordonnance enjoignant au ministre de radier du registre un brevet qui y est irrégulièrement inscrit : Apotex Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), [1999] A.C.F. no 1978 (C.A.) (QL). Cependant, le Règlement AC prévoit un moyen de faire en sorte que, la demande en interdiction une fois introduite, la Cour ne tienne pas compte dans le cadre de cette demande d’un brevet irrégulièrement inscrit.
[34]Ainsi, le fabricant de génériques peut devoir au départ traiter chaque brevet inscrit à l’égard du produit de référence canadien auquel il compare la version générique qu’il propose, que ce brevet soit ou non valablement inscrit. Si l’AA porte une allégation d’invalidité ou d’absence de contrefaçon, il peut entraîner l’introduction d’une demande en interdiction, de sorte que le sursis réglementaire de 24 mois commence automatiquement à courir. Cependant, le fabricant de génériques peut former, sous le régime de l’alinéa 6(5)a) du Règlement AC, une requête en vue d’obtenir une ordonnance rejetant la demande en interdiction, soit entièrement, soit à l’égard du ou des brevets irrégulièrement inscrits.
[35]L’alinéa 6(5)a) (dans sa version modifiée par DORS/2006‑242 [article 3], en vigueur à compter du 5 octobre 2006) est libellé comme suit :
6. [. . .]
(5) Lors de l’instance relative à la demande visée au paragraphe (1), le tribunal peut, sur requête de la seconde personne, rejeter tout ou partie de la demande si, selon le cas :
a) les brevets en cause ne sont pas admissibles à l’inscription au registre.
(L’« instance relative à la demande visée au paragraphe (1) » est la demande en interdiction, et l’expression « seconde personne » désigne le fabricant de génériques.)
[36]La requête visée à l’alinéa 6(5)a) n’est pas analogue à une requête en jugement sommaire ou à une requête en radiation d’instance et ne relève pas du principe formulé dans David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588 (C.A.), selon lequel une demande ne peut normalement être radiée sur requête avant l’audience. L’objet de l’alinéa 6(5)a) est de faire en sorte que le tribunal s’abstienne de prendre en considération, dans le cadre d’une demande en interdiction, tous brevets qui n’auraient pas dû être inscrits. Cet objet ne peut être rempli que si la requête est formée et instruite avant l’audience de la demande sur le fond.
Les faits
[37]Wyeth est un innovateur. Elle a obtenu en 1994 un AC à l’égard d’une drogue en comprimés appelée « Effexor », pour utilisation comme antidépresseur. L’ingrédient médicinal de l’« Effexor » est le chlorhy-drate de venlafaxine. En 1996, Wyeth a déposé un SPDN en vue d’obtenir un nouvel AC pour changer la forme posologique de sa drogue, qui se présenterait en capsules à libération prolongée sous la marque « Effexor XR ». Le 16 février 1998, le ministre a délivré à Wyeth un AC pour l’« Effexor XR». Wyeth affirme, non contredite en cela par ratiopharm, que l’« Effexor XR » est l’application d’une ou plusieurs des revendica-tions du brevet ′778.
[38]Wyeth est propriétaire du brevet ′778. La demande de ce brevet a été déposée le 12 mars 1997; la date de priorité revendiquée, sur la base d’une demande de brevet déposée aux États‑Unis, était le 25 mars 1996. Le brevet a été délivré le 20 décembre 2005 et expirera 20 ans après la date de dépôt (article 44 [mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 42] de la Loi sur les brevets).
[39]Comme elle a déposé le SPDN relatif à l’« Effexor XR » avant le dépôt de la demande du brevet ′778, Wyeth ne pouvait fonder sur ce SPDN la demande d’inscription du brevet ′778 au titre de l’« Effexor XR ». Cependant, Wyeth a réussi à faire inscrire le brevet ′778 au titre de l’« Effexor XR » en se fondant sur six autres SPDN déposés plus tard. Le tableau qui suit récapitule les renseignements pertinents sur ces inscriptions.
SPDN Date de l’AC Objet
082937 14 mars 2003 Changement du nom du
21 février 2003 fabricant
074443 13 juin 2003 Nouvelle indication : phobie
10 octobre 2001 sociale (trouble d’anxiété
sociale)
088901 10 décembre 2004 Description d’un essai
14 novembre 2003 clinique pour le traitement
du trouble d’anxiété sociale
sur une durée allant jusqu’à
six mois
094252 1er septembre 2005 Nouvelle indication :
22 septembre 2004 médication symptomatique
du trouble panique
070529 25 avril 2003 Indication modifiée :
9 août 2000 traitement d’entretien du
(ou 1er mars 2001) trouble dépressif majeur
083387 13 septembre 2004 Mises à jour de la
25 février 2003 monographie de produit :
réduction des nausées
[40]ratiopharm, producteur de génériques, a déposé une PADN relative au chlorhydrate de venlafaxine en capsules en citant l’« Effexor XR » comme produit de référence canadien. Elle a ensuite formulé, dans un AA en date du 23 décembre 2005, des allégations d’invalidité et d’absence de contrefaçon relativement au brevet ′778. Wyeth a alors introduit une demande en interdiction en vertu du paragraphe 6(1) du Règlement AC. Le seul brevet en litige dans cette instance était le brevet ′778.
[41]Le 18 décembre 2006, ratiopharm a déposé en vertu de l’alinéa 6(5)a) du Règlement AC une requête tendant à faire rejeter la demande en interdiction susdite au motif que le brevet ′778 n’était pas admissible à l’inscription à l’égard de l’« Effexor XR ». Cette requête a été entendue le 26 mars 2007. Wyeth a admis devant la Cour fédérale que, étant donné la jurisprudence récapitulée dans Hoffmann dont nous parlions plus haut, le brevet ′778 n’aurait pas dû être inscrit au titre du premier AC du tableau ci‑dessus (en date du 14 mars 2003). Les cinq autres inscriptions sont restées en litige.
[42]Le juge de première instance a conclu que le brevet ′778 était admissible à l’inscription aux titres du cinquième et du sixième des AC énumérés au tableau ci‑dessus (respectivement en dates du 25 avril 2003 et du 13 septembre 2004), mais pas des deuxième, troisième et quatrième AC (respectivement en dates des 13 juin 2003, 10 décembre 2004 et 1er septembre 2005).
[43]Le juge de première instance a rejeté la requête de ratiopharm par une ordonnance en date du 29 mars 2007 (2007 CF 340), libellée comme suit :
Pour les motifs susmentionnés, LA COUR ORDONNE :
1. La requête est rejetée pour ce qui est des avis de conformité concernant les gélules d’EFFEXOR XR, délivrés le 25 avril 2003 et le 13 septembre 2004.
2. La requête est accueillie en ce qui concerne les avis de conformité des 14 mars 2003, 13 juin 2003, 10 décembre 2004 et 1er septembre 2005, et il est ordonné au ministre de radier l’inscription du brevet canadien no 2,199,778 en ce qui concerne ces avis de conformité.
3. Il n’y aura pas d’adjudication de dépens.
L’appel et l’appel incident
[44]Ratiopharm interjette appel de l’ordonnance du 29 mars 2007 au motif que le juge de première instance a commis une erreur en concluant que les SPDN relatifs aux AC du 25 avril 2003 et du 13 septembre 2004 peuvent fonder l’inscription du brevet ′778 à l’égard de l’« Effexor XR ». Elle soutient que le juge aurait dû accueillir sa requête en rejet de la demande en interdiction. Wyeth affirme quant à elle que, comme le juge a conclu à bon droit que l’inscription du brevet ′778 est valablement fondée sur au moins un SPDN, il a eu raison d’autoriser la continuation de la procédure en interdiction.
[45]Wyeth interjette en outre un appel incident au motif que le juge de première instance aurait dû conclure que le brevet ′778 était valablement inscrit au titre de tous les AC énumérés au tableau ci‑dessus (sauf celui du 14 mars 2003).
[46]Wyeth soutient en outre dans son appel incident que le juge de première instance a commis une erreur en ordonnant au ministre de radier le brevet ′778 au titre des AC des 14 mars 2003, 13 juin 2003, 10 décembre 2004 et 1er septembre 2005. Le ministre et ratiopharm souscrivent à cette prétention de Wyeth.
L’admissibilité du brevet ′778 à l’inscription au titre de l’« Effexor XR »
[47]La requête formée par ratiopharm sous le régime de l’alinéa 6(5)a) du Règlement AC exige que soit tranchée, à propos de chaque SPDN sur la base duquel une inscription a été obtenue, la question de savoir s’il existe un lien suffisant entre ce SPDN, l’AC dont la délivrance en découle et l’invention brevetée ou les revendications du brevet. J’exposerai maintenant les résultats de mon analyse de cette question relativement à chacun des SPDN en cause dans la présente espèce.
1) L’AC en date du 14 mars 2003
[48]Wyeth a admis avec raison devant la Cour fédérale que l’inscription au titre de l’AC du 14 mars 2003 est irrégulière au motif que l’inscription d’un brevet ne peut se fonder sur un SPDN ayant pour objet le changement du nom du fabricant.
2) Les AC en dates des 13 juin 2003, 10 décembre 2004 et 1er septembre 2005
[49]Le juge de première instance a accepté un témoignage non contredit selon lequel le brevet ′778 ne se rapporte en rien à la nouvelle indication concernant la phobie sociale (ou trouble d’anxiété sociale), à la description d’un essai clinique portant sur le traitement du trouble d’anxiété sociale ou à la nouvelle indication relative à la médication symptomatique de ce même trouble (voir le paragraphe 32 de son exposé des motifs). Rien ne justifie la remise en cause de cette constatation. Je souscris à la conclusion du juge selon laquelle le brevet ′778 n’est pas admissible à l’inscription au titre des AC des 13 juin 2003, 10 décembre 2004 et 1er septembre 2005.
3) Les AC en dates des 25 avril 2003 et 13 septembre 2004
[50]Le juge de première instance a conclu que le brevet ′778 était valablement inscrit au titre des AC des 25 avril 2003 et 13 septembre 2004. Il explique, au paragraphe 38 de son exposé des motifs que, dans les cas où l’on peut raisonnablement débattre des faits et des opinions nécessaires pour établir l’existence d’un lien suffisant entre le brevet qu’on souhaite faire inscrire et le SPDN sur lequel on se fonde à cette fin, la Cour fédérale devrait présumer que le ministre a effectué l’examen factuel qu’exige la loi et devrait s’en remettre à sa décision, à moins que l’inexistence d’un tel lien ne soit manifeste.
[51]Le juge de première instance explique au paragraphe 37 de son exposé des motifs comment il a évalué les éléments factuels de la décision du ministre d’inscrire le brevet ′778. Il s’y réfère au paragraphe 21 de l’arrêt Abbott Laboratories c. Canada (Ministre de la Santé), 2004 CAF 154, qui traite la norme de contrôle des décisions judiciaires établie par Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235. Le juge s’est estimé tenu d’appliquer cette norme de contrôle à la décision du ministre d’inscrire le brevet ′778. Comme il ne pouvait conclure, touchant l’inscription du brevet ′778 au titre des AC du 25 avril 2003 et du 13 septembre 2004, que le ministre eût commis une erreur de fait manifeste et dominante en constatant l’existence du lien nécessaire, il a estimé devoir souscrire à cette constatation. Sur ce fondement, il a refusé de prononcer l’inadmissibilité du brevet à l’inscription et a repoussé la requête en rejet de la demande en interdiction.
[52]ratiopharm soutient que le juge de première instance a commis une erreur de droit en s’en remettant aux décisions d’inscription du ministre plutôt que de décider lui‑même la question de savoir si le brevet était admissible à l’inscription. Le ministre souscrit à cette prétention de ratiopharm.
[53]Je me trouve d’accord sur ce point avec ratiopharm et le ministre. À mon sens, le juge de première instance s’est trompé dans son interprétation de l’alinéa 6(5)a) du Règlement AC et, par conséquent, dans sa façon d’aborder la requête de ratiopharm pour ce qui concerne les AC du 25 avril 2003 et du 13 septembre 2004. J’ai déjà cité plus haut l’alinéa 6(5)a), mais j’en reproduis ici le texte pour la commodité du lecteur :
6. [. . .]
(5) Lors de l’instance relative à la demande visée au paragraphe (1), le tribunal peut, sur requête de la seconde personne, rejeter tout ou partie de la demande si, selon le cas :
a) les brevets en cause ne sont pas admissibles à l’inscription au registre.
[54]Toute requête formée sous le régime de l’alinéa 6(5)a) exige du juge qu’il décide, sur le fondement de la preuve produite dans le cadre de cette requête, si le brevet en cause est admissible à l’inscription. La preuve que le ministre a pris en considération pour décider d’autoriser l’inscription du brevet peut être ou non la même que la preuve au dossier de la requête. Les parties peuvent produire ou non devant la Cour fédérale la preuve sur laquelle le ministre a fondé sa décision, et il leur est loisible de présenter des éléments de preuve dont le ministre n’était pas saisi. C’est une erreur que de considérer une telle requête comme analogue à une demande de contrôle judiciaire de la décision d’inscription du ministre, et il est encore plus erroné de l’assimiler à un appel comme si l’inscription du brevet découlait d’une décision judiciaire. Dans le cadre d’une requête formée sous le régime de l’alinéa 6(5)a), le fait que le ministre ait conclu à l’admissibilité du brevet à l’inscription n’est pas pertinent.
[55]Il s’ensuit qu’une requête formée sous le régime de l’alinéa 6(5)a) ne commande l’application d’aucune norme de contrôle. Une telle requête doit donner lieu à une décision judiciaire sur le caractère suffisant ou non du lien entre la demande d’inscription d’un brevet déterminé présentée par l’innovateur et la PDN ou le SPDN sur lequel il fonde cette demande. Lorsque, comme dans la présente espèce, la demande d’inscription de brevet a été faite avant le 17 juin 2006, l’admissibilité à l’inscription est régie par la version de l’article 4 du Règlement AC qui était en vigueur avant le 5 octobre 2006, ainsi que par la jurisprudence applicable, notamment (dans la présente espèce) celle que récapitule l’arrêt Hoffmann, rendu par notre Cour en 2006, ainsi que l’arrêt AstraZeneca de la Cour suprême du Canada. S’il y a lieu, les revendications du brevet doivent faire l’objet d’une interprétation de droit, éclairée au besoin par des opinions d’expert touchant la manière dont la personne du métier comprendrait le brevet.
[56]Les questions de fait de la requête doivent être décidées suivant la norme habituelle de preuve au civil, c’est‑à‑dire la prépondérance de la preuve. Quant à la charge de la preuve, elle pèse, conformément aussi à la règle habituelle, sur le requérant (le fabricant de génériques). Cependant, si l’intimé (l’innovateur) omet de produire des éléments de preuve pertinents dont il est seul à disposer, il peut se révéler possible d’en tirer une inférence défavorable pour lui.
[57]Étant donné ces conclusions, il faut décider s’il convient de renvoyer la requête à la Cour fédérale pour réexamen relativement aux AC du 25 avril 2003 et du 13 septembre 2004, ou si notre Cour devrait examiner de novo la question de l’admissibilité du brevet ′778 à l’inscription au titre de ces AC. Comme l’audience au fond de la demande en interdiction est prévue pour le début de septembre, il me semble préférable du point de vue pratique que notre Cour règle les questions en litige.
[58]Wyeth affirme que ratiopharm, dans le cadre de l’élaboration et du dépôt de sa PADN, a exploité de manière anticipée l’invention faisant l’objet du brevet ′778 ou, autrement dit, a fait usage de l’invention brevetée d’une manière qui contreferait une ou plusieurs des revendications de ce brevet n’eut été le paragraphe 55.2(1) de la Loi sur les brevets. Je supposerai, sans trancher la question, qu’il y a effectivement eu de tels travaux préalables et que, par conséquent, le Règlement AC peut s’appliquer à la présente espèce. L’issue du présent appel reposera seulement sur la régularité de l’inscription du brevet ′778 au titre des AC du 25 avril 2003 et du 13 septembre 2004.
3.A) Le traitement d’entretien
[59]L’AC en date du 25 avril 2003 a été délivré en réponse à un SPDN portant sur une indication modifiée, à savoir le traitement d’entretien du trouble dépressif majeur. Or, les revendications 23 à 30 du brevet ′778 comprennent des revendications de l’utilisation de la formulation à libération prolongée de chlorhydrate de venlafaxine pour le traitement du trouble dépressif majeur. Wyeth fait valoir que le traitement d’entretien est une sous‑catégorie du traitement, de sorte qu’il conviendrait d’interpréter les revendications 23 à 30 du brevet ′778 comme comprenant des revendications du traitement d’entretien du trouble dépressif majeur.
[60]ratiopharm soutient le contraire. Elle étaye sa prétention d’un affidavit du Dr Lon S. Schneider, professeur de psychiatrie, selon qui l’essai clinique pour un véritable traitement d’entretien du trouble dépressif majeur exige de 26 à 52 semaines. Or, si l’exposé du brevet ′778 fait état d’essais cliniques relativement au traitement du trouble dépressif majeur, les durées de ces essais ne sont que de 8 ou 12 semaines. Sur ce fondement, le Dr Schneider émet l’avis que la personne du métier (qu’il définit comme un psychiatre ou un médecin) n’interpréterait ni le brevet dans son ensemble ni aucune de ses revendications comme se rapportant à l’utilisation de la formulation à libération prolongée de chlorhydrate de venlafaxine pour le traitement d’entretien du trouble dépressif majeur. La preuve du Dr Schneider n’a pas été contredite.
[61]Si l’interprétation que le Dr Schneider propose des revendications du brevet est juste, il me semble que, en théorie, il n’existe pas de lien pertinent entre le brevet ′778 et l’AC délivré le 25 avril 2003. La question est donc de savoir s’il y a lieu de retenir l’opinion du Dr Schneider de préférence à l’argument de Wyeth, qui soutient, sans s’appuyer sur des opinions d’expert, que le terme [traduction] « traitement » tel qu’employé dans les revendications d’utilisation devrait être interprété comme englobant le « traitement d’entretien ». Je note que Wyeth doit avoir reçu signification de l’affidavit du Dr Schneider dans le cadre de la requête de ratiopharm et qu’elle avait connaissance de l’opinion de ce spécialiste. L’avocat de Wyeth a contre‑interrogé le Dr Schneider, mais n’a présenté aucun élément de preuve tendant à réfuter son interprétation des revendications du brevet. Vu ces faits, je retiendrai de préférence l’opinion du Dr Schneider. Je conclus donc que le brevet ′778 n’est pas admissible à l’inscription au titre de l’AC délivré le 25 avril 2003.
3.B) La réduction des nausées
[62]L’AC en date du 13 septembre 2004 a été délivré en réponse à un SPDN tendant à obtenir du ministre l’autorisation d’ajouter à la monographie de produit certaines déclarations touchant la réduction des nausées, ainsi que de changer la posologie. Le ministre n’a pas autorisé le changement de posologie, mais il a approuvé la modification de la monographie de produit.
[63]L’AC du 13 septembre 2004 ne comporte de changement ni de la forme posologique ou de la formulation de l’« Effexor XR » ni d’aucune indication thérapeutique de cette drogue. Les capsules d’« Effexor XR » et leur utilisation étaient les mêmes avant et après la délivrance de cet AC. La seule différence est que, après le 13 septembre 2004, Wyeth était autorisée à déclarer dans la monographie de produit que les capsules d’« Effexor XR » à libération prolongée constituaient un progrès par rapport à l’« Effexor » du fait de la réduction de l’incidence des nausées et vomissements.
[64]Les modifications de la monographie de produit autorisées par l’AC du 13 septembre 2004 apparaissent dans la monographie en date du 7 septembre 2004. La monographie précédente porte la date du 4 juin 2003. Les deux comptent 100 pages, la bibliographie non comprise. Il est fait mention des nausées à la page 38 de la monographie du 4 juin 2003 (cahier d’appel, volume 2, page 443), où l’on cite les nausées et les vomissements comme effets indésirables de l’« Effexor » (comprimés à libération immédiate), et les nausées comme effet indésirable de l’« Effexor XR » (capsules à libération prolongée).
[65]Dans la monographie de produit du 7 septembre 2004, les ajouts autorisés par l’AC du 13 septembre 2004 apparaissent dans la section intitulée : [traduction] « Indications et utilisation clinique ». Il s’agit d’une phrase insérée à la page 6 et de deux phrases ajoutées à la page 11 de cette monographie.
[66]La phrase ajoutée à la page 6 s’inscrit dans une section intitulée : [traduction] « Profil pharmacoci-nétique après administration répétée (comprimés de venlafaxine à libération immédiate et capsules de venlafaxine à libération prolongée) ». Deux des neuf alinéas de cette section comparent les comprimés à libération immédiate et les capsules à libération prolongée. Le texte de ces deux alinéas suit. J’y ai souligné la phrase ajoutée en vertu de l’AC du 13 septembre 2004 (cahier d’appel, volume 2, page 304) [voir aussi Monographie : Capsules EFFEXOR XR, à la page 61, en ligne <http://www.wyeth.ca/fr/ products/>] :
Lorsque des doses quotidiennes égales de venlafaxine ont été administrées sous forme de comprimés de venlafaxine à libération immédiate ou de capsules à libération prolongée, l’exposition (surface sous la courbe de concentration, SCC) à la venlafaxine et à l’ODV [l’O-déméthylvenlafaxine, le seul autre métabolite actif important] était similaire pour les deux traitements et la fluctuation des concentrations plasmatiques était légèrement plus faible après l’administration des capsules à libération prolongée. Par conséquent, les capsules EFFEXOR XR donnent lieu à une absorption plus lente, mais au même degré d’absorption (c.-à-d. la SCC) que les comprimés de venlafaxine à libération immédiate.
Les résultats d’essais menés chez des volontaires sains ont indiqué des différences quant au profile [sic.] de tolérabilité gastro-intestinale du médicament selon la forme posologique administrée. En effet, on a observé une diminution de l’incidence et du degré de sévérité de la nausée chez les volontaires sains prenant les capsules EFFEXOR XR comparativement au sujets recevant les comprimés de venlafaxine à libération immédiate.
[67]Le deuxième ajout est inséré dans la section de la monographie relative aux essais cliniques, sous l’intitulé : « Dépression ». Deux des titres de paragraphe apparaissant sous cet intitulé sont : « Comprimés de venlafaxine à libération immédiate » et « Capsules à libération prolongée EFFEXOR XR ». Il n’est pas fait mention des nausées sous le premier de ces deux titres de paragraphe. On trouve sous le deuxième un alinéa décrivant un essai clinique, que nous reproduisons ci‑dessous, en soulignant les deux phrases ajoutées en vertu de l’AC du 13 septembre 2004 (cahier d’appel, volume 2, page 309) [voir aussi les pages 66 et 67 de la Monographie : Capsules EFFEXOR XR] :
Dans l’étude de 12 semaines comparant les comprimés de venlafaxine à libération immédiate pris deux fois par jour aux capsules EFFEXOR XR prises une fois par jour, les capsules EFFEXOR XR ont été significativement plus efficaces que les comprimés aux semaines 8 et 12, dans le traitement de la dépression majeure. Selon l’analyse des données concernant l’innocuité, l’incidence de la nausée survenant pendant le traitement et son degré de gravité au fil du temps étaient plus faibles avec les capsules EFFEXOR XR qu’avec les comprimés de venlafaxine à libération immédiate. De plus, l’incidence des vomissements était moins importante avec EFFEXOR XR qu’avec les comprimés de venlafaxine à libération immédiate.
[68]Wyeth a produit des éléments de preuve tendant à établir que le SPDN par lequel elle a demandé ces modifications à la monographie de produit était un SPDN de fond et non un SPDN administratif. Or ces éléments se rapportent à la qualification du SPDN pour l’application du Règlement sur les aliments et drogues. Comme je l’expliquais plus haut, le fait qu’un SPDN soit de fond au sens où il pourrait avoir des effets sur l’innocuité ou l’efficacité de la drogue (ou, comme en l’occurrence, au sens où il pourrait obliger le ministre à évaluer l’exactitude d’une déclaration qu’on souhaite faire dans une monographie de produit) ne répond pas à la question de savoir si ce SPDN peut fonder une inscription de brevet.
[69]ratiopharm motive sa contestation de l’inscription en cause par le fait que l’AC ne modifie que les déclarations faites au sujet de l’« Effexor XR », sans changer le produit lui‑même en quoi que ce soit. Wyeth fait valoir de son côté que le brevet ′778 contient des revendications portant sur l’utilisation d’une formulation de chlorhydrate de venlafaxine à libération prolongée pour le traitement de la dépression avec réduction des nausées et vomissements, de sorte que l’objet du SPDN visant la modification de la monographie de produit fait partie des revendications du brevet.
[70]L’argument de Wyeth ne me convainc pas parce qu’il est basé sur une interprétation des revendications du brevet qui ne s’appuie sur aucun élément du dossier de la preuve, mis à part le brevet lui‑même. Je ne suis pas disposée à conclure, sur la base de ma propre interprétation du brevet, que celui‑ci ait prévu la réduction des nausées comme élément de l’utilisation revendiquée des capsules à libération prolongée de chlorhydrate de venlafaxine. La lecture au pied de la lettre des revendications du brevet—la seule que permette le dossier—donne à penser que la mention de la réduction des nausées ne fait que décrire l’effet de la libération prolongée de chlorhydrate de venlafaxine dans le corps. En conséquence, je ne puis souscrire à la prétention de Wyeth selon laquelle le SPDN du 25 février 2003 fonderait l’inscription du brevet ′778. Je conclus donc que le brevet ′778 n’est pas admissible à l’inscription au titre de l’AC en date du 13 septembre 2004.
4) Conclusion sur l’admissibilité à l’inscription du brevet ′778
[71]En résumé, je conclus qu’aucun des SPDN que Wyeth a invoqués pour faire inscrire le brevet ′778 ne pouvait fonder cette inscription. Il s’ensuit que la requête formée par ratiopharm sous le régime de l’alinéa 6(5)a) du Règlement AC aurait dû être accueillie et que la demande en interdiction de Wyeth aurait dû être rejetée.
L’ordonnance de radiation du brevet ′778
[72]Wyeth affirme, approuvée en cela par le ministre et ratiopharm, que l’ordonnance du 29 mars 2007 devrait être annulée dans la mesure où elle enjoint au ministre de radier le brevet ′778 du registre relativement à quatre AC. L’ordonnance de radiation concerne l’inscription dont Wyeth admet l’irrégularité et les trois autres inscriptions que le juge de première instance a déclarées irrégulières.
[73]On comprend tout de suite pourquoi le juge de première instance a ordonné la radiation. Ayant conclu à l’irrégularité de certaines inscriptions (en fait l’irrégularité de l’une d’elles a été admise par Wyeth), on voit mal pourquoi il ne s’ensuivrait pas, par voie de conséquence nécessaire, qu’il faille supprimer du registre ces inscriptions irrégulières.
[74]À mon avis, la raison pour laquelle cette mesure de réparation ne peut être prononcée dans la présente espèce est une question de procédure. La requête de ratiopharm ne tendait pas à faire rendre une ordonnance enjoignant au ministre de supprimer le brevet ′778 du registre. Wyeth et le ministre n’ont pas été avisés que le juge de première instance envisageait de rendre cette ordonnance, pas plus qu’ils n’ont eu la possibilité de présenter leurs conclusions sur la question de savoir si elle devrait être rendue. Ce seul motif suffit à justifier l’annulation de la partie de l’ordonnance de la Cour fédérale qui enjoint au ministre de radier le brevet ′778.
[75]Je ne me prononcerai pas sur la question de savoir s’il eût été loisible à ratiopharm de demander une telle ordonnance dans la requête qu’elle a formée sous le régime de l’alinéa 6(5)a) du Règlement AC. Je noterai cependant que le point de savoir si le brevet ′778 reste ou non inscrit pourrait se révéler désormais indifférent à ratiopharm. Cette dernière n’a formé (et ne pouvait former) sa requête en rejet de la demande en interdiction qu’après avoir signifié à Wyeth un AA portant ses allégations d’invalidité et d’absence de contrefaçon. Le maintien de l’inscription du brevet ′778 pourrait ultérieurement représenter un inconvénient pour d’autres fabricants de génériques, mais pas pour ratiopharm.
[76]J’ajouterai que l’article 3 [mod. par DORS/2006-242, art. 2] du Règlement AC confère au ministre le pouvoir discrétionnaire de supprimer du registre tout brevet qui n’y est pas valablement inscrit. Ni la présente instance ni aucun élément du présent exposé des motifs ne limitent ce pouvoir discrétionnaire.
Décision de l’appel
[77]Pour ces motifs, j’accueillerais l’appel, j’annulerais l’ordonnance du 29 mars 2007 et je ferais droit à la requête de ratiopharm en rejet de la demande en interdiction. Je n’accueillerais l’appel incident que relativement à la partie de l’ordonnance susdite qui enjoint au ministre de radier le brevet ′778 du registre. Wyeth devrait être condamnée aux dépens de l’appel et de l’appel incident envers ratiopharm. Je n’adjugerais pas de dépens en faveur du ministre ni contre lui.
Le juge Nadon, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.
Le juge Ryer, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.