[2017] 4 R.C.F. 3
IMM-919-15
2016 CF 1385
A. B., C. D. et E. F. (demandeurs)
c.
Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)
Répertorié : A. B. c. Canada (Citoyenneté et Immigration)
Cour fédérale, juge Strickland—Toronto, 19 octobre; Ottawa, 16 décembre 2016.
Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Réfugiés au sens de la Convention et personnes à protéger — Contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada selon laquelle les demandeurs étaient exclus de la protection des réfugiés au terme de l’art. 1(F)b) de la Convention relative au statut des réfugiés des Nations Unies puisque la demanderesse principale a commis le crime grave de droit commun d’enlèvement d’enfant; il a subsidiairement été conclu que la demanderesse n’était généralement pas crédible, n’avait pas démontré une crainte subjective et n’avait pas réfuté la présomption relative à la protection de l’État et, pour ces raisons, la demanderesse et ses deux enfants mineurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ou des personnes à protéger au sens des art. 96 et 97 respectivement de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés — La demanderesse est une femme hongroise d’origine rome — Elle travaillait comme journaliste, militante des droits de la personne et députée du Parlement européen en Hongrie — Elle craignait pour sa sécurité en raison de sa connaissance de l’implication du gouvernement Hongrois dans le meurtre de Roms — La demanderesse et sa famille sont venues au Canada — L’aînée de la demanderesse faisait l’objet d’une procédure de garde contestée en Hongrie — L’enfant a été retournée à son père en Hongrie en vertu d’une ordonnance de la Cour de justice de l’Ontario, et sa demande d’asile au Canada a été retirée — La Section de la protection des réfugiés a conclu, entre autres, qu’il y avait plusieurs motifs de croire que la demanderesse avait commis un enlèvement en contravention avec une ordonnance de garde selon l’art. 282 du Code criminel ou un enlèvement selon l’art. 283 — La conclusion de la Section de la protection des réfugiés selon laquelle la demanderesse aurait commis un crime grave de droit commun en vertu de l’art. 1(F)b) était déraisonnable parce que cette dernière n’a pas appliqué l’arrêt Febles c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) de la Cour suprême du Canada et qu’elle n’a pas tenu compte de la fourchette de détermination de la peine applicable — La conclusion était également déraisonnable parce que l’application par la Section de la protection des réfugiés des critères de la décision Jayasekara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) était déraisonnable — En ce qui concerne les facteurs de l’arrêt Jayasekara, la Section de la protection des réfugiés a brièvement examiné le type de poursuite et a reconnu que les art. 282 et 283 du Code criminel sont des infractions mixtes — En l’espèce, cependant, les peines possibles pour le crime d’enlèvement d’enfants variaient grandement — La Section de la protection des réfugiés a commis une erreur en limitant son évaluation de la gravité du crime — Même lorsqu’une présomption de gravité est liée à un crime au plan international, il est possible de réfuter cette présomption en fonction des critères identifiés — Dans son analyse du bien-fondé de la demande d’asile de la demanderesse, la Section de la protection des réfugiés n’a pas ignoré les éléments de preuve objectifs, concluant que d’autres éléments de preuve crédibles établissaient que la demanderesse et sa famille avaient bénéficié d’une protection adéquate de l’État avant leur départ de la Hongrie — Il n’y a pas eu de manquement au devoir d’équité procédurale envers la demanderesse en l’espèce — Bien que la Section de la protection des réfugiés ait accordé dans ses motifs une grande importance à la conduite de la demanderesse relativement à l’enlèvement de son enfant, ce n’était pas là le seul fondement de ses conclusions et, lus dans leur ensemble, on ne pouvait conclure qu’une personne raisonnable penserait que selon toute vraisemblance, la Section de la protection des réfugiés n’a pas, consciemment ou non, rendu une décision juste, que ce soit en se fondant sur ses conclusions concernant les circonstances entourant l’enlèvement ou autrement — Les motifs de la Section de la protection des réfugiés ne satisfaisaient pas aux exigences très strictes permettant d’établir une crainte raisonnable de partialité — Demande rejetée.
Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada selon laquelle les demandeurs étaient exclus de la protection des réfugiés au terme de l’alinéa 1(F)b) de la Convention relative au statut des réfugiés des Nations Unies puisque la demanderesse principale a commis le crime grave de droit commun d’enlèvement d’enfant. Il a subsidiairement été conclu que la demanderesse n’était généralement pas crédible, n’avait pas démontré une crainte subjective et n’avait pas réfuté la présomption relative à la protection de l’État. Pour ces raisons, la demanderesse et ses deux enfants mineurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ou des personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 respectivement de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. La demanderesse est une femme hongroise d’origine rome qui allègue qu’elle travaillait en particulier comme journaliste en Hongrie et qu’elle couvrait les violations des droits de la personne touchant les Roms. Elle aurait également agi comme députée du Parlement européen pendant plusieurs années, où elle a concentré son travail sur la réforme de l’éducation en Hongrie et sur les questions touchant les enfants roms. Son attention au Parlement européen a commencé à se porter sur la réponse de la Hongrie à l’égard des violences commises envers les Roms, y compris les meurtres en série, et la participation de l’État à ces violences. Elle allègue que pendant son mandat de députée du Parlement européen, elle-même et sa famille ont fait l’objet d’insultes et de menaces quotidiennes et qu’elle a demandé et obtenu une protection policière. Elle a finalement cessé de militer publiquement parce qu’elle craignait les services secrets hongrois. La demanderesse a cru qu’il n’était plus sécuritaire pour elle et sa famille de demeurer en Hongrie puisqu’elle serait arrêtée en raison de sa connaissance de l’implication du gouvernement dans le meurtre de Roms. Elle est venue au Canada avec son mari et ses trois enfants. L’aînée de la demanderesse, issue d’un mariage précédent, faisait l’objet d’une procédure de garde contestée en Hongrie. Un jugement d’une cour de la Hongrie a mis fin à la garde partagée, ordonnant le retour de l’enfant auprès du père et accordant des droits de visite à la demanderesse. L’enfant a par la suite été retournée à son père en Hongrie en vertu d’une ordonnance de la Cour de justice de l’Ontario, et sa demande d’asile au Canada a été retirée. Le défendeur croyait que l’alinéa 1(F)b) de la Convention avait été violé et que la demanderesse était exclue de la protection des réfugiés au Canada puisqu’elle avait commis le crime de droit commun grave d’enlèvement d’enfant avant de venir au Canada.
Dans sa décision, la Section de la protection des réfugiés a conclu, entre autres, qu’il y avait plusieurs motifs de croire que la demanderesse avait commis un crime grave de droit commun à l’extérieur du pays d’asile avant son admission dans ce pays à titre de réfugié, soit le crime prévu à l’article 282 du Code criminel (enlèvement en contravention avec une ordonnance de garde) et, subsidiairement, celui prévu à l’article 283 (enlèvement).
Il s’agissait de savoir si la Section de la protection des réfugiés a commis une erreur en concluant à l’exclusion de la demanderesse en vertu de l’alinéa 1(F)b) de la Convention; si elle a commis une erreur dans son traitement de la preuve; et si elle a failli à son obligation d’équité procédurale ou engendré une crainte raisonnable de partialité.
Jugement : la demande doit être rejetée.
La conclusion de la Section de la protection des réfugiés selon laquelle la demanderesse aurait commis un crime grave de droit commun selon l’alinéa 1(F)b) de la Convention était déraisonnable, premièrement parce que cette dernière n’a pas appliqué l’arrêt Febles c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) de la Cour suprême du Canada et qu’elle n’a pas tenu compte de la fourchette de détermination de la peine applicable, et deuxièmement parce que son application des critères de la décision Jayasekara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) était déraisonnable. En l’espèce, la Section de la protection des réfugiés a directement demandé aux avocats de la demanderesse de lui faire parvenir des observations après l’audience sur l’application de l’arrêt Febles, ce qui a été fait. Cependant, en dépit d’avoir demandé et reçu des observations des parties à ce sujet, la Section de la protection des réfugiés n’a pas entrepris d’analyse en fonction de l’arrêt Febles ni expliqué pourquoi elle avait omis de le faire. Bien que cela ne ressorte pas clairement de ses motifs, il semble que la Section de la protection des réfugiés était d’avis qu’elle n’avait pas à tenir compte des directives de la Cour suprême du Canada relativement au rôle de la fourchette de détermination de la peine pour établir la gravité d’un crime aux fins de l’exclusion en application de l’alinéa 1(F)b) puisque ces directives étaient simplement des suggestions formulées en obiter. Elle semble plutôt avoir déterminé que la norme applicable pour établir s’il y avait des raisons sérieuses de considérer que la demanderesse avait commis un crime grave de droit commun à l’extérieur du Canada avant son admission au pays à titre de réfugiée résidait dans la Convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants (Convention de La Haye) et dans la preuve confirmant que la demanderesse avait illégalement retiré et retenu son enfant de la Hongrie, enfant qui a ensuite été renvoyée à son père au moyen d’une ordonnance prononcée en vertu de la Convention de La Haye par la Cour de justice de l’Ontario. Ces facteurs n’étaient pas déterminants. La Section de la protection des réfugiés a fait défaut d’appliquer l’arrêt Febles et d’évaluer si la règle des dix ans (un crime est un crime grave si une peine maximale d’au moins dix ans aurait pu être imposée si le crime avait été commis au Canada) avait été réfutée. Il s’agissait d’une erreur susceptible de révision.
En ce qui concerne les facteurs de l’arrêt Jayasekara, la Section de la protection des réfugiés a brièvement examiné le type de poursuite et a reconnu que les articles 282 et 283 du Code criminel sont des infractions mixtes. Son analyse du critère du mode de poursuite s’est cependant limitée à ces observations. En l’espèce, les peines possibles pour le crime d’enlèvement d’enfants variaient grandement, pouvant aller de six mois à dix ans d’emprisonnement, ce dont la Section de la protection des réfugiés n’a pas tenu compte. Pour déterminer la gravité du crime, la Section de la protection des réfugiés n’avait pas le loisir de ne pas tenir compte des dispositions applicables du Code criminel décrivant les peines les plus légères applicables aux infractions prévues aux articles 282 et 283 qu’il a invoquées, que la demanderesse ait directement renvoyé à cet article du Code criminel ou non. Bien que la Section de la protection des réfugiés n’ait pas commis d’erreur en concluant qu’il n’est pas nécessaire que des accusations soient portées ou qu’une condamnation soit prononcée pour exclure une personne en vertu de l’alinéa 1(F)b), elle a commis une erreur dans son interprétation du paragraphe 37 de l’arrêt Jayasekara (gravité d’un crime) et, par cette erreur, en limitant son évaluation de la gravité du crime. Le paragraphe 37 de l’arrêt Jayasekara n’appuie pas l’idée que l’existence d’une convention internationale comme la Convention de La Haye est l’unique facteur ou « norme » devant servir à l’évaluation de la gravité. En fait, même lorsqu’une présomption de gravité est liée à un crime au plan international, il est possible de réfuter cette présomption en fonction des critères identifiés.
Concernant le traitement de la preuve par la Section de la protection des réfugiés dans son analyse du bien-fondé de la demande d’asile de la demanderesse, la Section n’a pas ignoré les éléments de preuve objectifs comme la lettre d’Amnistie internationale adressée aux avocats de la demanderesse et ne les a pas non plus rejetés. Au contraire, elle a conclu que d’autres éléments de preuve crédibles établissaient que la demanderesse et sa famille avaient bénéficié d’une protection adéquate de l’État avant leur départ de la Hongrie. Cette conclusion était appuyée par les éléments de preuve qui sont décrits dans la décision motivée de la Section de la protection des réfugiés. De plus, l’omission par la Section de la protection des réfugiés de mentionner certains éléments de la preuve documentaire n’a pas eu pour effet de vicier sa décision, car on a supposé qu’elle a pesé et considéré toute la preuve dont elle était saisie, jusqu’à preuve du contraire. À l’examen de l’ensemble de l’analyse que la Section de la protection des réfugiés a faite de la protection conférée par l’État, y compris la reconnaissance du profil de la demanderesse, la demanderesse n’a pas réussi à réfuter la présomption de protection de l’État au moyen d’éléments de preuve clairs et convaincants.
En ce qui concerne le manquement à l’obligation d’équité procédurale, la Section de la protection des réfugiés a examiné le matériel contenu dans les demandes de la sœur et de la mère de la demanderesse, lesquelles étaient entre les mains d’un autre membre de la Section, à la demande de la demanderesse. Compte tenu de tous les éléments de preuve qui lui avaient été présentés, y compris ses conclusions négatives concernant la crédibilité de la demanderesse, elle leur a accordé peu d’importance, car elle était incapable de conclure que ceux-ci étaient crédibles. Vu les circonstances, il n’y a pas eu de manquement au devoir d’équité procédurale envers la demanderesse.
Quant à la question de l’impression raisonnable de partialité, la demanderesse a affirmé que la décision de la Section de la protection des réfugiés donnait l’impression que ses efforts à défendre les Roms et sa décision d’amener sa fille aînée au Canada ont offensé la Section et l’ont empêchée de rendre une décision objective et impartiale. Selon un examen de la décision, l’allégation de la demanderesse n’était pas fondée et rien ne menait à cette impression. Rien n’appuyait toute suggestion de partialité relativement à cette question, de quelque façon, non plus. Bien que la Section de la protection des réfugiés ait accordé dans ses motifs une grande importance à la conduite de la demanderesse relativement à l’enlèvement de son enfant, conduite qui selon elle minait sa crédibilité, ce n’était pas là le seul fondement de ses conclusions et, lus dans leur ensemble, on ne pouvait conclure qu’une personne raisonnable penserait que selon toute vraisemblance, la Section de la protection des réfugiés n’a pas, consciemment ou non, rendu une décision juste, que ce soit en se fondant sur ses conclusions concernant les circonstances entourant l’enlèvement ou autrement. Les motifs de la Section de la protection des réfugiés ne constituaient donc pas une preuve convaincante ou ne satisfaisaient pas aux exigences très strictes permettant d’établir une crainte raisonnable de partialité.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 57b)(i), 282, 283, 285, 403, 787.
Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7.
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 36(1),(3), 74d), 96, 97, 170e).
Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256, règles 21, 29, 36.
TRAITÉS ET AUTRES INSTRUMENTS CITÉS
Convention des Nations Unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes, 20 décembre 1988, [1990] R.T. Can. no 42.
Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6, art. 1Fb).
Convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, La Haye, 25 octobre 1980, [1983] R.T. Can. no 35.
Convention sur les substances psychotropes, 21 février 1971, [1988] R.T. Can. no 35.
Convention unique sur les stupéfiants de 1961, 30 mars 1961, [1964] R.T. Can. no 30.
Protocole portant amendement de la Convention unique sur les stupéfiants de 1961, 25 mars 1972, [1976] R.T. Can. no 48.
JURISPRUDENCE CITÉE
DÉCISIONS APPLIQUÉES :
Febles c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CSC 68, [2014] 3 R.C.S. 431; Jayasekara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 404, [2009] 4 R.C.F. 164; Jung c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 464; Tabagua c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 709; Hersy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 190; R. c. S. (R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484; Zhu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1139; Zhang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 168, [2014] 4 R.C.F. 290.
DÉCISIONS EXAMINÉES :
G.B. v. V.M., 2012 ONCJ 745 (CanLII); Kovacs c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1473, [2006] 2 R.C.F. 455; R. v. Thrones, 2009 ONCJ 469 (CanLII); Chan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 4 C.F. 390 (C.A.); Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, [2015] 3 R.C.S. 909; Sitnikova c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 464; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Liyanagamage, [1994] A.C.F. no 1637 (C.A.) (QL).
DÉCISIONS CITÉES :
Lai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 125; Moreno c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 298 (C.A.); Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Villalobos c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 60; Roberts c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 632; Liang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 765; Walcott c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 505; Gvozdenovic c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 851; Alhayek c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1126; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339; Yin c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 544; Jadallah c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1240; Gurusamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 990; Malouf c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] 1 C.F. 537 (1re inst.); Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, motifs modifiés, [1998] 1 R.C.S. 1222; Reyes Rivas c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 317; R. v. Mendez (1997), 32 O.R. (3d) 67 (C.A.), 1997 CanLII 432; R. c. Dawson, [1996] 3 R.C.S. 783; Zrig c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CAF 178, [2003] 3 C.F. 761; Botezatu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 917; Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (QL) (C.A.); Abbas c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 911; Vargas c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 484; Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 8667 (C.F. 1re inst.); Voloshyn c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 480; Herrera Andrade c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1490; Huang c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 901 (QL) (1re inst.); Velinova c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 268; Hassan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] A.C.F. no 946 (C.A.) (QL); Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689; Flores Carrillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, [2008] 4 R.C.F. 636; Hinzman c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 171; John c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 915; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Ali, 2016 CF 709; Mantilla Cortes c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 254; Lawal c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 558; Cao c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 315; Jin c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 595; Fatima c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 94; Xi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 174; Commission scolaire francophone du Yukon, district scolaire #23 c. Yukon (Procureure générale), 2015 CSC 25, [2015] 2 R.C.S. 282; Varela c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 FCA 145, [2010] 1 R.C.F. 129; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Zazai, 2004 CAF 89.
DOCTRINE CITÉE
Rapport du Comité sénatorial permanent des droits de la personne. Alerte : Défis et mécanismes internationaux pour faire face à l’enlèvement international d’enfants, juillet 2015.
DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada selon laquelle les demandeurs étaient exclus de la protection des réfugiés au terme de l’alinéa 1(F)b) de la Convention relative au statut des réfugiés des Nations Unies et subsidiairement qu’ils n’étaient pas des réfugiés au sens de la convention ou des personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 respectivement de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Demande rejetée.
ONT COMPARU
Andrew J. Brouwer pour les demandeurs.
Jocelyn Espejo-Clarke pour le défendeur.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Refugee Law Office, Toronto, pour les demandeurs.
Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par
[1] La juge Strickland : Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision du 2 février 2015 de M. John Kivlichan, commissaire (le commissaire) de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. Le commissaire a conclu que les demandeurs sont exclus de la protection des réfugiés au terme de l’alinéa 1Fb) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6, de 1951 (la Convention) puisque la demanderesse principale (ci-après appelé la demanderesse) a commis le crime grave de droit commun d’enlèvement d’enfant. Subsidiairement, le commissaire a conclu que la demanderesse n’était généralement pas crédible, n’a pas démontré une crainte subjective et n’a pas réfuté la présomption relative à la protection de l’État. Pour ces raisons, la demanderesse et ses deux enfants mineurs, de qui elle a été nommée représentante désignée, ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention ou des personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 respectivement de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR).
Ordonnance de confidentialité
[2] Une ordonnance de confidentialité a été rendue dans cette affaire le 12 mars 2015 par la protonotaire Milczynski. Lors de l’audience devant moi, les parties ont convenu que les documents qui avaient été scellés et déposés confidentiellement au dossier de la Cour demeureraient confidentiels. Il a également été convenu que l’audience serait publique, puisque seules des personnes connues des parties étaient présentes, mais que les noms des demandeurs ou d’autres personnes qui pourraient servir à identifier les demandeurs ne seraient pas utilisés pendant les plaidoiries. Puisque les procédures ont été enregistrées, j’ordonne que dans l’éventualité où une tierce partie souhaiterait obtenir une copie des procédures enregistrées, le greffe de la Cour s’assure que tout nom permettant d’identifier une personne qui aurait par mégarde été prononcé au cours de l’audience soit effacé de la copie de l’enregistrement donnée à la tierce partie. À mon avis, il n’est pas nécessaire de prendre d’autres mesures à cet égard. Par ailleurs, si la façon dont les demandeurs ont interprété l’ordonnance de confidentialité ou, plus précisément, si la portée des documents devant être scellés avait été contestée, j’aurais accueilli la requête.
Contexte
[3] La demanderesse est une femme hongroise de 39 ans d’origine rome. Dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) détaillé, elle allègue qu’elle travaillait comme journaliste en Hongrie et qu’elle couvrait les violations des droits de la personne touchant les Roms. Elle aurait ensuite été chercheuse au European Roma Rights Centre (le Centre européen sur les droits des Roms), puis aurait travaillé pour le ministère de l’Éducation hongrois. De 2004 à 2009, elle a agi comme députée du Parlement européen, où elle a concentré son travail parlementaire sur la réforme de l’éducation en Hongrie et plus particulièrement sur la déségrégation des écoles pour les enfants roms.
[4] La demanderesse allègue qu’en 2007, après la création du groupe extrémiste anti-roms appelé la « Garde hongroise », son attention au Parlement européen a commencé à se porter sur la réponse de la Hongrie à l’égard des violences commises envers les Roms, y compris les meurtres en série, et la participation de l’État à ces violences. Elle a pu fournir des éléments de preuve et des rapports de dossiers documentés pour 39 cas. Après un double meurtre ayant eu lieu le 23 février 2009, la demanderesse a tenu une conférence de presse pour demander la mise en place d’une enquête indépendante. Elle allègue que pendant son mandat de députée du Parlement européen, elle-même et sa famille ont fait l’objet d’insultes et de menaces quotidiennes et qu’en février 2009, elle a demandé et obtenu une protection policière pour elle et sa famille jusqu’à la fin de son mandat.
[5] La demanderesse soutient qu’entre le mois de février et d’août 2009, elle a rencontré des ambassadeurs d’autres pays et a demandé d’obtenir leur soutien pour enquêter sur les meurtres de personnes d’origine rome. Le Federal Bureau of Investigation des États-Unis a finalement aidé les enquêteurs hongrois, ce qui a mené à l’arrestation de six personnes en août 2009. La demanderesse allègue qu’elle a été questionnée à plusieurs reprises pendant cette période par le Bureau d’enquête national, qui souhaitait savoir si elle rassemblait le peuple rom pour organiser une potentielle attaque contre les Hongrois.
[6] La demanderesse ajoute que le 29 août 2009, elle a appris que les services secrets hongrois (les services secrets) étaient impliqués dans les meurtres en série perpétrés sur des Roms. Elle a par conséquent demandé de l’aide à un ancien collègue du parti libéral au parlement hongrois. Le 22 septembre 2009, un Groupe de travail visant à faire la lumière sur les faits (le groupe de travail) a été créé au sein du parlement hongrois pour enquêter sur les meurtres. La demanderesse allègue que le groupe de travail lui a fait part de certains éléments de preuve, mais qu’en novembre 2009, le parlement hongrois a ordonné que les renseignements concernant toute implication des services secrets demeurent confidentiels pour une période de 80 ans. Elle affirme qu’on lui a dit que cette mesure était prise afin d’éviter une guerre civile entre gitans et hongrois.
[7] En octobre 2010, la demanderesse s’est rendue à New York et à Washington pour recevoir un prix de l’organisation Human Rights First pour sa défense des droits de la personne. À son retour en Hongrie, elle a cessé de militer publiquement parce qu’elle craignait que la surveillance exercée à son égard par les services secrets mette en danger d’autres militants ou victimes roms. Elle a également vécu une crise émotionnelle.
[8] Le 11 août 2011, la demanderesse a appris que Jozsef Gulyas, un membre du groupe de travail, avait été interrogé par le procureur civil et militaire et qu’il était soupçonné d’avoir commis le crime d’avoir recueilli sans autorisation des renseignements secrets. Après avoir appris cela, la demanderesse a cru qu’il n’était plus sécuritaire pour elle et sa famille de demeurer en Hongrie puisqu’elle serait arrêtée en raison de sa connaissance de l’implication du gouvernement dans le meurtre de Roms.
[9] La demanderesse a acheté des billets pour s’envoler vers le Canada le 25 août 2011. Elle n’a toutefois pu partir à cette date puisque son mari a subi un accident vasculaire cérébral le 22 août 2011. Elle soutient qu’en février 2011, l’association Front Line Defenders for Human Rights basée à Dublin l’a contactée pour l’aviser qu’elle occupait le centième rang d’une liste des 130 défenseurs des droits de la personne étant le plus en danger au monde. La fondation l’a invité à participer à une conférence de cinq jours à Dublin, où elle s’est rendue. Alors qu’elle y était, elle a avisé les organisateurs de sa peur de demeurer en Hongrie. Ces derniers ont accepté de payer les frais d’avion pour qu’elle et sa famille se rendent au Canada.
[10] La demanderesse est arrivée au Canada avec son mari et ses trois enfants le 26 novembre 2011. Au moment de son départ, l’aînée de la demanderesse, issue d’un mariage précédent, faisait l’objet d’une procédure de garde contestée en Hongrie. Le 14 décembre 2011, la 20e, 21e et 23e Cour de district de Budapest a rendu un jugement mettant fin à la garde partagée, ordonnant le retour de l’enfant auprès du père et accordant des droits de visite à la demanderesse.
[11] Le 30 novembre 2012, le père de l’enfant a obtenu une ordonnance de la Cour de justice de l’Ontario [G.B. v. V.M., 2012 ONCJ 745 (CanLII)] en vertu de la Convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, 25 octobre 1980, [1983] R.T. Can. no 35 (la Convention de La Haye), ordonnant de renvoyer l’enfant en Hongrie. L’enfant a été retournée à son père et sa demande d’asile au Canada a été retirée.
[12] La demanderesse fonde sa demande d’asile sur le fait qu’elle a été témoin et a vécu plusieurs formes de discrimination comme enfant rom ayant grandi en Hongrie. Elle ajoute que tout au long de sa carrière, elle a fait face à de la discrimination et à de la persécution en raison de son origine ethnique et de son militantisme pour le peuple rom. Elle a d’ailleurs été menacée alors qu’elle était députée du Parlement européen et a ensuite été victime de deux attaques physiques. La première de ces attaques a eu lieu en août 2009, lorsqu’une femme inconnue l’a insultée pendant 30 minutes alors qu’elle se trouvait dans son véhicule. La femme a donné des coups de pied sur la porte de la voiture et a essayé de l’ouvrir, sans succès. La demanderesse allègue qu’elle a appelé la police, mais qu’elle n’a eu aucune réponse. La seconde attaque s’est déroulée au printemps 2010, alors que la demanderesse a été insultée par une femme dans un supermarché, qui a tenté de la gifler. Elle n’a pas signalé cet incident à la police.
[13] La demanderesse soutient qu’elle craint, si elle et sa famille devaient retourner en Hongrie, d’être mise en danger par les néo-nazis, les services secrets et la police. Elle allègue que les services secrets surveillent ses communications et ses activités depuis plusieurs années et qu’ils savent probablement désormais qu’elle connaît leur implication et l’implication du gouvernement hongrois dans les meurtres en série de Roms. Elle fait valoir qu’elle et sa famille ne sont plus en sécurité nulle part en Hongrie et qu’elle craint être détenue ou même tuée si elle y retourne.
[14] Le ministre a d’abord décidé de ne pas intervenir, car il n’était pas préoccupé ni par l’application de la Convention de La Haye puisque l’enfant avait été renvoyé à son père en Hongrie, ni par l’accusation de libelle diffamatoire portée contre la demanderesse, puisque la période maximale d’emprisonnement pour cette infraction est de cinq ans et qu’il ne s’agit donc pas d’un crime grave au sens du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46 (le Code criminel). Toutefois, le ministre a ensuite demandé d’intervenir conformément à l’alinéa 170e) de la LIPR et la règle 29 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256 (les Règles de la SPR) relativement à la question de la crédibilité et, en vertu de la règle 36 des Règles de la SPR, pour invoquer un document n’ayant pas été divulgué, soit un article de Reuters daté du 16 juin 2013 décrivant une entrevue donnée par la demanderesse concernant sa demande d’asile. Le ministre a subséquemment donné avis qu’en vertu de l’alinéa 170e) de la LIPR, il souhaitait participer à l’audition en raison de sa croyance selon laquelle l’alinéa 1Fb) de la Convention aurait été violé et que la demanderesse était exclue de la protection des réfugiés au Canada puisqu’elle a commis le crime de droit commun grave d’enlèvement d’enfant avant de venir au Canada.
[15] Comme il est décrit en détail dans la décision, plusieurs questions ont été examinées par le commissaire, y compris la demande déposée par la demanderesse s’opposant à l’intervention du ministre, demande ayant été rejetée. La demanderesse et le ministre ont également fait plusieurs observations et divulgations de preuve après l’audience. Les observations comprennent les réponses aux requêtes formulées par le commissaire relativement à la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Febles c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CSC 68, [2014] 3 R.C.S. 431 (Febles) qui traite de la question de l’exclusion dont était saisi le commissaire et de la pertinence de l’article 283 du Code criminel. Comme il en sera question par la suite, la divulgation après l’audience comprenait plusieurs documents liés à la demande d’asile d’un prétendu ancien employé de la demanderesse (l’ancien employé) et de sa famille, ainsi que des membres de la famille rapprochée de la demanderesse qui sont arrivés au Canada en novembre 2014 et qui ont demandé l’asile. Le commissaire a rendu sa décision le 2 février 2015.
Décision faisant l’objet du contrôle
[16] Il s’agit d’une décision de 112 pages et de 531 paragraphes. Par conséquent, la description qui suit est un bref résumé des motifs du commissaire.
[17] L’analyse du commissaire relative à l’exclusion se trouve aux paragraphes 65 à 257 de la décision. Le commissaire a mentionné les dispositions législatives et la jurisprudence relatives à la norme de preuve applicable (Lai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 125) et a souligné que la validité de la clause d’exclusion ne dépend pas de l’accusation ou de la condamnation de la demanderesse pour les actes criminels en question (Moreno c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 298 (C.A.)). Le commissaire a également cité la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Febles. Le commissaire a déclaré qu’il devait d’abord établir [traduction] « s’il existe des motifs graves justifiant de tenir compte de la première partie de l’alinéa 1(F)b) de l’article 98 de la Loi » (au paragraphe 76). C’est donc en ce sens qu’il a examiné la preuve relative à l’enlèvement de l’enfant et l’application de la Convention de La Haye. Le commissaire a tenu compte de l’application de la Convention de La Haye, qui est pertinente à la question de l’exclusion bien que la décision de la Cour de justice de l’Ontario ne liait pas le commissaire (Kovacs c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1473, [2006] 2 R.C.F. 455 (Kovacs), aux paragraphes 9 et 10).
[18] Le commissaire a donc dressé une description très détaillée des faits et des conclusions de la décision de 22 pages de la Cour de justice de l’Ontario et l’a citée abondamment. Il est d’ailleurs pertinent de souligner qu’en 2005, une cour hongroise a rendu une ordonnance accordant la garde partagée de l’enfant, soit la fille adoptive de la demanderesse et de son ex-mari. Cette décision comprenait une disposition permettant aux parents de quitter la Hongrie avec l’enfant pour une période allant jusqu’à deux semaines sans avoir à obtenir le consentement préalable de l’autre parent.
[19] Le commissaire a observé que dans le recours devant la Cour de justice de l’Ontario, le père de l’enfant a démontré en preuve que la demanderesse lui avait dit souhaiter aller travailler à l’étranger et emmener leur fille. Préoccupé par le fait que l’éducation de l’enfant avait déjà subi des contrecoups en raison des déménagements fréquents de la demanderesse, il a emmené sa fille au bureau de tutelle du gouvernement hongrois, où elle a été interrogée et a affirmé qu’elle ne voulait pas quitter la Hongrie et qu’elle souhaitait demeurer avec son père. Le commissaire a noté que la décision de la Cour de justice de l’Ontario a révélé que le 26 septembre 2011, la demanderesse a déposé une plainte à la police hongroise alléguant que le père avait un comportement sexuel inapproprié envers l’enfant, ce qui a déclenché une enquête policière. En octobre 2011, la cour hongroise a nommé un avocat pour l’enfant et un psychologue devant effectuer une évaluation de la famille impliquant l’enfant, les parties et leurs conjoints actuels. L’affaire a été remise au 14 décembre 2011. Toutefois, le 26 novembre 2011, la demanderesse a quitté la Hongrie avec sa fille, lui disant qu’elles partaient en vacances. La cour [hongroise] a appris leur départ avant la fin de l’évaluation le 14 décembre 2011. Elle a donc immédiatement rendu une décision finale annulant la garde partagée antérieure et confiant la garde de l’enfant au père.
[20] Le commissaire a mentionné que la Cour de justice de l’Ontario a reconnu que considérant la disposition de l’ordonnance de garde initiale permettant aux parents de quitter la Hongrie pendant une période allant jusqu’à deux semaines, il semblait que l’enfant n’avait pas été [traduction] « illégalement sortie » de Hongrie, mais qu’il [traduction] « ne peut y avoir de doute qu’elle a été illégalement retenue » (au paragraphe 102). Le commissaire a fait état de l’évaluation de la Cour de justice de l’Ontario sur le risque de préjudice que courrait l’enfant si elle retournait en Hongrie en plus de l’admission de la demanderesse que l’enfant serait en sécurité si elle vivait avec son père et que le risque de préjudice dû à son origine rome était négligeable et pouvait être géré de façon sécuritaire par son père. De plus, la Cour de justice de l’Ontario a observé que la demanderesse n’a pas poursuivi sa prétention relative au comportement sexuel inapproprié du père pendant l’audience devant elle et qu’elle a concédé que le comportement allégué ne pourrait être prouvé selon la prépondérance des probabilités. D’ailleurs, l’examen de la preuve effectué par la Cour de justice de l’Ontario, comprenant le rapport d’un examinateur clinique aidant le bureau d’avocat des enfants ayant interrogé l’enfant, en vient également à cette conclusion.
[21] Le commissaire a conclu qu’il y avait d’importantes préoccupations relatives à la crédibilité générale de la demanderesse découlant de la décision de la Cour de justice de l’Ontario. Par exemple, la demanderesse a menacé sa fille en lui disant qu’elle devrait peut-être retourner en Hongrie parce que, selon ce qu’a révélé l’examinateur clinique, elle n’avait pas [traduction] « dit la bonne chose » (aux paragraphes 135 et 173). Le commissaire a conclu que cette déclaration suggérait que la demanderesse a une propension à tenter de dire la bonne chose plutôt qu’à dire la vérité. De plus, la conclusion de la Cour de justice de l’Ontario selon laquelle la demanderesse a tenté d’induire en erreur son propre enfant afin de tirer avantage de la situation relative à la garde a entaché sa crédibilité et a conduit le commissaire à tirer une conclusion défavorable. Le commissaire a également conclu que la demanderesse a fait de fausses allégations sur son mari à la police et au cours du litige sur la garde de 2011. Le commissaire en a donc conclu qu’elle était prête à faire de fausses représentations ou même à mentir aux forces policières et dans le cadre d’un recours judiciaire afin de gagner sa cause ou d’obtenir tout autre avantage et que sa conduite était gouvernée par le principe de « la fin justifie les moyens ». Le commissaire a poursuivi avec d’autres conclusions défavorables sur la crédibilité et conclut que la demanderesse n’est pas un témoin crédible.
[22] La demanderesse a fait valoir devant le commissaire qu’elle n’a commis aucun crime à l’extérieur du Canada puisqu’en vertu de l’ordonnance de garde alors en vigueur, elle était en droit de faire sortir sa fille de la Hongrie pour une période de deux semaines sans avoir à obtenir le consentement préalable de son ex-mari. Par conséquent, tout crime d’enlèvement d’enfant aurait eu lieu deux semaines après l’arrivée de la demanderesse au Canada et non en Hongrie. Par conséquent, l’alinéa 1Fb) n’est pas applicable. Le commissaire a toutefois conclu que la demanderesse avait reconnu qu’elle avait fait sortir sa fille de Hongrie sans intention de l’y renvoyer après deux semaines, tel que prévu par l’ordonnance de garde, mais plutôt avec l’intention de s’installer au Canada sans que le père n’en soit au courant ou ait donné son consentement. Le commissaire a conclu que « l’acte coupable » de la demanderesse était de retirer l’enfant de Hongrie avec l’intention de priver le père de l’enfant de sa garde et de contrevenir à l’ordonnance de garde en ne renvoyant pas l’enfant en Hongrie. Le commissaire a affirmé qu’il n’était pas contesté que la demanderesse avait un « esprit coupable » ou la mens rea.
[23] Le commissaire a également conclu qu’il y avait plusieurs motifs de croire que la demanderesse avait commis un crime grave de droit commun à l’extérieur du pays d’asile avant son admission dans ce pays à titre de réfugié, soit le crime prévu à l’article 282 du Code criminel : enlèvement en contravention avec une ordonnance de garde. Subsidiairement, elle aurait commis le crime d’enlèvement prévu à l’article 283 du Code criminel, auquel cas le consentement du procureur général pour porter cette accusation n’était pas pertinent à la décision du commissaire. Le commissaire a déclaré que pour conclure à l’application des dispositions d’exclusion de l’alinéa 1Fb), il n’avait qu’à déterminer qu’il y avait présence à la fois de l’acte coupable et de l’esprit coupable. En fonction de ses conclusions de fait antérieures, le commissaire a également conclu que la défense de danger imminent prévue à l’article 285 du Code criminel n’était pas applicable en l’espèce. Il a ensuite cité le paragraphe 62 de l’arrêt Febles et appliqué les critères énumérés dans l’arrêt Jayasekara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 404, [2009] 4 R.C.F. 164 (Jayasekara) (laquelle application sera examinée plus en profondeur dans l’analyse qui suit).
[24] Sur la question de savoir si le crime satisfaisait le critère d’un crime grave de droit commun tel que prévu à l’alinéa 1Fb), le commissaire a affirmé que la Cour de justice de l’Ontario a conclu que la demanderesse avait contrevenu à une importante convention internationale sur l’enlèvement d’enfant. Par conséquent, selon les commentaires retrouvés dans l’arrêt Feble et les critères de l’arrêt Jayasekara, il s’agissait d’un crime suffisamment grave. Le commissaire a affirmé qu’il était convaincu en fonction de l’ensemble de la preuve que le ministre avait démontré qu’il y avait des motifs sérieux permettant d’affirmer que la demanderesse avait commis un crime grave de droit commun avant son arrivée au Canada.
[25] Aux paragraphes 258 à 528 de sa décision, le commissaire analyse le fondement de la demande d’asile. Il y tire de nouvelles conclusions défavorables sur la crédibilité de la demanderesse et conclut que l’ensemble de sa demande manque de crédibilité. Il est également d’avis que la preuve ne démontre pas qu’elle-même ou ses enfants ont été marginalisés ou ont subi de la discrimination en raison de leur origine ethnique. Au contraire, la preuve démontre que la demanderesse a eu du succès en Hongrie. Elle détient un diplôme universitaire, possède des propriétés immobilières à Budapest, a été employée de 1991 à 2009 puis a été nommée à une fonction politique. Sa sœur a déclaré lors d’une entrevue qu’en raison de la position sociale de la famille, elle n’a jamais subi de discrimination. De plus, la Cour de justice de l’Ontario a notamment conclu que la fille de la demanderesse n’avait pas été attaquée ou persécutée et qu’elle avait fréquenté des écoles déségrégarisées. Le commissaire a conclu que ces facteurs suggéraient tous que le risque subi par la demanderesse et ses enfants était limité et qu’ils fournissaient peu d’éléments de preuve convaincants relativement au traitement discriminatoire envers les enfants.
[26] Le commissaire n’a pas retenu l’allégation non soutenue de la demanderesse selon laquelle il y avait une conspiration gouvernementale ou que les services secrets ou autres agents du gouvernement hongrois étaient directement responsables du meurtre de Roms en 2008 et 2009. Il a plutôt accordé plus de poids à la preuve documentaire faisant état d’une opinion contraire et a conclu que l’incompétence policière n’égale pas nécessairement à la complicité ou l’apathie. Le commissaire a également conclu que l’incapacité de la demanderesse à fournir un témoignage convaincant de l’existence de secrets d’État ou de sa connaissance ou possession de ces secrets a nui à sa crédibilité et a miné le bien-fondé de sa crainte alléguée d’être persécutée par l’État hongrois et ses agents. De plus, si elle retournait en Hongrie, elle pourrait parler ouvertement de ses allégations relatives à l’implication du gouvernement dans le meurtre ou les voies de fait commis sur des Roms sans peur de représailles, bien qu’il n’existe pas de preuve crédible au soutien de ces allégations.
[27] Le commissaire a également tiré une conclusion défavorable de la participation continue de la demanderesse à des entrevues avec les médias relativement à sa demande d’asile et à sa connaissance de secrets d’État alors que sa demande et celle de sa famille immédiate n’avaient pas encore été tranchées. Le commissaire a également conclu que la demanderesse a tenté, dans son formulaire de renseignements personnels (FRP) initial, de tromper la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada relativement au statut de la garde de sa fille et que sa conduite à cet égard a entaché sa crédibilité. De même, son formulaire de renseignements personnels ne mentionne pas non plus qu’elle se faisait arrêter quotidiennement par la police, alors qu’elle a soulevé cet argument devant le commissaire. Le commissaire était d’avis que la demanderesse n’a pas fourni d’explications raisonnables justifiant cette omission et en a tiré une conclusion défavorable. En raison de l’ensemble des conclusions sur la crédibilité, le commissaire a conclu que la demanderesse n’a pas fourni suffisamment de preuve crédible concernant son intérêt à quitter la Hongrie. Il n’a pas non plus cru qu’elle craignait les services secrets ni qu’elle venait au Canada en raison d’une crainte véritable et subjective d’être persécutée.
[28] Relativement à la crainte subjective, le commissaire a remarqué que la demanderesse a retardé son départ de Hongrie et a déterminé que le motif invoqué pour ce faire n’était pas raisonnable. De plus, la demanderesse n’a pas tenté d’obtenir l’asile lorsqu’elle s’est rendue aux États-Unis en octobre 2010. En outre, la demanderesse s’est rendue en Irlande en septembre 2011 et, bien qu’elle ne pouvait y demander l’asile, le commissaire a conclu que son retour volontaire en Hongrie est incompatible avec sa crainte alléguée d’être persécutée. Il a donc tiré des conclusions négatives à l’égard de sa crainte subjective et de sa crédibilité.
[29] Le commissaire a également conclu que la demanderesse n’a pas repoussé la présomption de la protection de l’État. Le commissaire a reconnu que la preuve objective était partagée relativement aux efforts faits par la Hongrie pour offrir une protection aux Roms envers la discrimination et qu’il y a eu des échecs locaux à cet égard. Il a également mentionné qu’il avait pesé les commentaires d’un coordonnateur aux réfugiés d’Amnistie internationale et d’un affidavit d’un ancien ministre hongrois de l’Éducation relativement aux risques pesant sur les défenseurs des droits des Roms. Toutefois, le commissaire en est venu à la conclusion que la preuve subjective ne démontrait pas que la demanderesse avait personnellement éprouvé des problèmes graves de discrimination. De plus, la demanderesse a fait état de son manque de confiance envers la police, même si elle a bénéficié de sa protection lorsqu’elle l’a demandée pendant son mandat de députée du Parlement européen, ce qui indique que la police était prête et capable d’offrir de la protection. Considérant son manque général de crédibilité, le commissaire n’a pas reconnu que la protection de la police ne serait pas fournie si demandée après la fin du mandat de députée de la demanderesse. Le commissaire a déclaré qu’en examinant équitablement la preuve objective, il en ressortait que la Hongrie a entrepris d’importantes mesures pour faire face et améliorer le problème de la protection de l’État des minorités souffrant de discrimination, y compris les Roms et qu’elle a continué à affronter l’extrémisme droite. Bien que les résultats ne soient pas parfaits, il y a des signes concrets de plusieurs réussites opérationnelles.
[30] Le commissaire a retenu les deux rapports psychiatriques déposés par la demanderesse, mais leur a accordé peu de poids.
[31] Le commissaire a également fait référence à la demande présentée par le prétendu ancien employé et sa famille pour laquelle la Section de la protection des réfugiés a rejeté une tentative de déposer une lettre de la demanderesse, qui s’identifiait comme étant la directrice de l’organisme [traduction] « Fond du mouvement pour la déségrégation » en Hongrie et déclarant que le demandeur avait été son employé. Le commissaire a demandé et obtenu un témoignage écrit de la demanderesse en réponse aux questions soulevées par la documentation de la demande du prétendu ancien employé, expliquant notamment pourquoi elle n’a pas mentionné ce fait dans son FRP ni n’a fait état de l’attaque ciblée alléguée sur lui et sa famille par des néo-nazis en raison de son association avec la demanderesse et son travail. Le commissaire a rejeté l’explication de l’omission de la demanderesse en la qualifiant de fallacieuse et sans fondement et en a tiré une conclusion défavorable sur la crédibilité. Il a également conclu qu’elle avait sciemment fourni de la preuve corroborante au soutien de la demande d’asile frauduleuse de l’ancien employé allégué et qu’elle était une complice consentante à cet égard. Ce dernier élément a renforcé son opinion sur l’absence générale de crédibilité de la demanderesse.
[32] Le commissaire a également examiné la divulgation après audience déposée par la demanderesse relativement à la demande d’asile déposée par sa mère, sa sœur et les enfants de sa sœur, mais n’a accordé que peu de poids aux affirmations formulées par la sœur de la demanderesse et les autres membres de sa famille dans leur demande d’asile.
[33] Le commissaire a affirmé que même en tenant compte du profil de la demanderesse, il en venant à une conclusion générale d’absence de crédibilité, considérant [traduction] « la foule de conclusions défavorables cumulatives, importantes et remarquables sur la crédibilité » tel que noté dans ses motifs (au paragraphe 528).
Dispositions législatives pertinentes
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27
Définition de réfugié
96 A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :
a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;
b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.
Personne à protéger
97 (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :
a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;
b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :
(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,
(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,
(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,
(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.
[…]
Exclusion par application de la Convention sur les réfugiés
98 La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.
Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. nº 6
Article premier
[…]
F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :
[…]
b) qu’elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admises comme réfugiées;
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46
Enlèvement en contravention avec une ordonnance de garde
282 (1) Quiconque, étant le père, la mère, le tuteur ou une personne ayant la garde ou la charge légale d’une personne âgée de moins de quatorze ans, enlève, entraîne, retient, reçoit, cache ou héberge cette personne contrairement aux dispositions d’une ordonnance rendue par un tribunal au Canada relativement à la garde de cette personne, avec l’intention de priver de la possession de celle-ci le père, la mère, le tuteur ou une autre personne ayant la garde ou la charge légale de cette personne, est coupable :
a) soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de dix ans;
b) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.
Croyance de l’accusé
(2) Lorsqu’un chef d’accusation vise l’infraction prévue au paragraphe (1) et que celle-ci n’est pas prouvée du seul fait que l’accusé ne croyait pas qu’il existait une ordonnance de garde valide, ce dernier peut cependant être reconnu coupable de l’infraction prévue à l’article 283 s’il y a preuve de cette dernière.
Enlèvement
283 (1) Quiconque, étant le père, la mère, le tuteur ou une personne ayant la garde ou la charge légale d’une personne âgée de moins de quatorze ans, enlève, entraîne, retient, reçoit, cache ou héberge cette personne, qu’il y ait ou non une ordonnance rendue par un tribunal au Canada relativement à la garde de cette personne, dans l’intention de priver de la possession de celle-ci le père, la mère, le tuteur ou une autre personne ayant la garde ou la charge légale de cette personne est coupable :
a) soit d’un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de dix ans;
b) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.
Consentement du procureur général
(2) Aucune poursuite ne peut être engagée en vertu du paragraphe (1) sans le consentement du procureur général ou d’un avocat qu’il mandate à cette fin.
Défense
284 Nul ne peut être déclaré coupable d’une infraction prévue aux articles 281 à 283 s’il démontre que le père, la mère, le tuteur ou l’autre personne qui avait la garde ou la charge légale de la personne âgée de moins de quatorze ans en question a consenti aux actes reprochés.
Défense
285 Nul ne peut être déclaré coupable d’une infraction prévue aux articles 280 à 283 si le tribunal est convaincu que les actes reprochés étaient nécessaires pour protéger la jeune personne en question d’un danger imminent ou si l’accusé fuyait pour se protéger d’un tel danger.
Défense irrecevable
286 Dans les procédures portant sur une infraction visée aux articles 280 à 283, ne constitue pas une défense le fait que la jeune personne a consenti aux actes posés par l’accusé ou les a suggérés.
[…]
Peine générale
787 (1) Sauf disposition contraire de la loi, toute personne déclarée coupable d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire est passible d’une amende maximale de cinq mille dollars et d’un emprisonnement maximal de six mois, ou de l’une de ces peines.
Convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, La Haye, 25 octobre 1980, [1983] R.T. Can. no 35
Les États signataires de la présente Convention,
Profondément convaincus que l’intérêt de l’enfant est d’une importance primordiale pour toute question relative à sa garde,
Désirant protéger l’enfant, sur le plan international, contre les effets nuisibles d’un déplacement ou d’un non-retour illicites et établir des procédures en vue de garantir le retour immédiat de l’enfant dans l’État de sa résidence habituelle, ainsi que d’assurer la protection du droit de visite,
Ont résolu de conclure une Convention à cet effet, et sont convenus des dispositions suivantes :
CHAPITRE I – CHAMP D’APPLICATION DE LA CONVENTION
Article premier
La présente Convention a pour objet :
a) d’assurer le retour immédiat des enfants déplacés ou retenus illicitement dans tout État contractant;
b) de faire respecter effectivement dans les autres États contractants les droits de garde et de visite existant dans un État contractant.
Article 2
Les États contractants prennent toutes mesures appropriées pour assurer, dans les limites de leur territoire, la réalisation des objectifs de la Convention. A cet effet, ils doivent recourir à leurs procédures d’urgence.
Article 3
Le déplacement ou le non-retour d’un enfant est considéré comme illicite :
a) lorsqu’il a lieu en violation d’un droit de garde, attribué à une personne, une institution ou tout autre organisme, seul ou conjointement, par le droit de l’État dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour; et
b) que ce droit était exercé de façon effective seul ou conjointement, au moment du déplacement ou du non-retour, ou l’eût été si de tels événements n’étaient survenus.
Le droit de garde visé en a) peut notamment résulter d’une attribution de plein droit, d’une décision judiciaire ou administrative, ou d’un accord en vigueur selon le droit de cet État.
[…]
Article 7
Les Autorités centrales doivent coopérer entre elles et promouvoir une collaboration entre les autorités compétentes dans leurs États respectifs, pour assurer le retour immédiat des enfants et réaliser les autres objectifs de la présente Convention.
En particulier, soit directement, soit avec le concours de tout intermédiaire, elles doivent prendre toutes les mesures appropriées :
a) pour localiser un enfant déplacé ou retenu illicitement;
b) pour prévenir de nouveaux dangers pour l’enfant ou des préjudices pour les parties concernées, en prenant ou faisant prendre des mesures provisoires;
c) pour assurer la remise volontaire de l’enfant ou faciliter une solution amiable;
d) pour échanger, si cela s’avère utile, des informations relatives à la situation sociale de l’enfant;
e) pour fournir des informations générales concernant le droit de leur État relatives à l’application de la Convention;
f) pour introduire ou favoriser l’ouverture d’une procédure judiciaire ou administrative, afin d’obtenir le retour de l’enfant et, le cas échéant, de permettre l’organisation ou l’exercice effectif du droit de visite;
g) pour accorder ou faciliter, le cas échéant, l’obtention de l’assistance judiciaire et juridique, y compris la participation d’un avocat;
h) pour assurer, sur le plan administratif, si nécessaire et opportun, le retour sans danger de l’enfant;
i) pour se tenir mutuellement informées sur le fonctionnement de la Convention et, autant que possible, lever les obstacles éventuellement rencontrés lors de son application.
CHAPITRE III – RETOUR DE L’ENFANT
Article 8
La personne, l’institution ou l’organisme qui prétend qu’un enfant a été déplacé ou retenu en violation d’un droit de garde peut saisir soit l’Autorité centrale de la résidence habituelle de l’enfant, soit celle de tout autre État contractant, pour que celles-ci prêtent leur assistance en vue d’assurer le retour de l’enfant.
Questions en litige
[34] À mon avis, les questions en litige en l’espèce peuvent être formulées comme suit :
i. Le commissaire a-t-il commis une erreur en concluant à l’exclusion de la demanderesse en vertu de l’alinéa 1(F)b) de la Convention?
ii. Le commissaire a-t-il commis une erreur dans son traitement de la preuve?
iii. Est-ce que le commissaire a outrepassé sa compétence ou failli à son obligation d’équité procédurale?
La norme de contrôle
[35] La demanderesse fait valoir que les décisions de la Section de la protection des réfugiés doivent être révisées en fonction de la norme de la décision raisonnable, mais que la norme pour les erreurs de droit est celle de la décision correcte (Dunsmuir c. New Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir)). La demanderesse soutient que toutes les erreurs commises par le commissaire se situent sous le seuil de la décision raisonnable. Le fait pour le commissaire d’avoir outrepassé sa compétence et d’avoir failli à son obligation d’équité procédurale sont des questions susceptibles de contrôle en fonction de la norme de la décision correcte. Le défendeur convient que toutes les questions en litige doivent être examinées selon la norme de la décision raisonnable, à l’exception de la question relative à l’équité procédurale, qui doit être révisée en fonction de la norme de la décision correcte.
[36] La Cour a conclu par le passé que la détermination de l’exclusion découlant de l’alinéa 1(F)b) de la Convention est une question mixte de droit et de faits susceptibles de révision selon la norme de la décision raisonnable (Jayasekara, au paragraphe 14; Villalobos c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 60, au paragraphe 13; Roberts c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 632, au paragraphe 27).
[37] L’évaluation de la preuve de la Section de la protection des réfugiés (SPR) est également révisable selon la norme de la décision raisonnable et est une décision envers laquelle il faut faire preuve de déférence (Liang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 765, au paragraphe 43; Walcott c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 505, au paragraphe 18; Gvozdenovic c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 851, au paragraphe 15; Alhayek c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1126, au paragraphe 49).
[38] Le caractère raisonnable tient à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au paragraphe 47; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 59).
[39] La jurisprudence a établi que les questions d’équité procédurales, y compris les questions visant à déterminer si la SPR a outrepassé sa compétence et les questions touchant la crainte raisonnable de partialité, doivent être révisées en fonction de la norme de la décision correcte (Yin c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 544, aux paragraphes 19 à 21; Jadallah c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1240, au paragraphe 24; Gurusamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 990, au paragraphe 21).
[40] Lorsqu’elle applique cette norme de la décision raisonnable, la Cour de révision n’acquiesce pas au raisonnement du décideur, mais entreprend plutôt sa propre analyse aux termes de laquelle elle décide si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur (Dunsmuir, au paragraphe 50).
Première question en litige : Le commissaire a-t-il commis une erreur en concluant à l’exclusion de la demanderesse en vertu de l’alinéa 1F)b) de la Convention?
Position de la demanderesse
[41] La demanderesse allègue que dans le contexte des exclusions prévues par l’alinéa 1F)b), il appartient au ministre de démontrer qu’il existe « des raisons sérieuses de penser » que la demanderesse a commis un « crime grave de droit commun » et que ce crime a eu lieu à l’extérieur du Canada, avant l’entrée de la demanderesse au pays. Puisqu’aucun de ces éléments n’a été démontré, le commissaire a commis une erreur dans sa conclusion.
[42] Pour déterminer la « gravité » du crime, le commissaire devait suivre les directives données par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Febles. Plus précisément, bien qu’un crime sera généralement considéré comme grave si une peine maximale de dix ans ou plus aurait pu être imposée si le crime avait été commis au Canada (la règle des dix ans) [au paragraphe 62], cette généralisation ne doit pas être interprétée comme étant une présomption rigide impossible à repousser.
[43] De plus, en appliquant l’arrêt Febles, la Cour a conclu qu’un large éventail de peine et que le fait que le crime pour lequel un demandeur a été accusé se situerait au bas de l’échelle des peines constituent des éléments essentiels devant être pris en considération pour déterminer si un crime doit être considéré comme étant un « crime grave de droit commun » (Jung c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 464 (Jung), au paragraphe 48). Le commissaire devait également tenir compte du fait que la peine normalement imposée pour une infraction serait probablement beaucoup moins importante que la peine maximale prévue par la loi (Tabagua c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 709 (Tabagua), aux paragraphes 16 à 20 et 22).
[44] La présente affaire fait intervenir les articles 282 et 283 du Code criminel, qui prévoient tous deux une peine maximale de dix ans d’emprisonnement. La demanderesse fait valoir que les cours imposent rarement les peines maximales dans des affaires d’enlèvement d’enfant (R. v. Thrones, 2009 ONCJ 469 (CanLII) (Thrones), au paragraphe 32) et que le commissaire n’a pas entrepris l’analyse nécessaire visant à déterminer la peine possible, ce qui l’a mené à la conclusion erronée que le crime commis par la demanderesse était un crime grave de droit commun. De plus, le commissaire a agi déraisonnablement en se fondant uniquement sur son avis subjectif de ce qu’est un crime grave alors que la preuve démontre que ce crime aurait entraîné une peine d’emprisonnement entre six mois et deux ans (Hersy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 190 (Hersy), au paragraphe 68).
[45] La demanderesse soutient également que le commissaire n’a pas effectué une analyse objective et impartiale de critères établis dans l’arrêt Jayasekara pour évaluer la gravité du crime.
[46] De plus, l’alinéa 1F)b) se limite aux crimes commis avant l’entrée au Canada (Malouf c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] 1 R.C.F. 537 (1re inst.); Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, aux paragraphes 73 et 74). En l’espèce, la preuve démontre que selon l’ordonnance de garde, la demanderesse pouvait emmener sa fille hors de Hongrie pour une période allant jusqu’à deux semaines sans le consentement du père. Par conséquent, tout acte criminel commis par la demanderesse l’aurait été au Canada et ne s’inscrit donc pas dans la portée de l’alinéa 1F)b), puisqu’il exige que l’acte soit commis à l’extérieur du pays d’asile (Reyes Rivas c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 317).
[47] La demanderesse fait également diverses autres observations, décrites dans ses observations écrites.
Position du défendeur
[48] Le défendeur fait valoir que l’analyse relative à l’exclusion de la demanderesse était raisonnable et que la preuve a démontré que la demanderesse a illégalement retenu l’enfant et perpétré le crime d’enlèvement d’enfant.
[49] Les observations écrites du défendeur décrivent la ratification par le Canada de la Convention de la Haye il y a 36 ans ainsi que le rapport du 25 juillet 2015 du comité sénatorial permanent des droits de la personne, Alerte : Défis et mécanismes internationaux pour faire face à l’enlèvement international d’enfants (le rapport du Sénat) comme représentant la vision du Canada à l’égard de l’enlèvement d’enfants. Le rapport du Sénat n’a pas été présenté au commissaire.
[50] Le défendeur allègue que l’intérêt national fait partie des objectifs de la politique de l’alinéa 1F)b). À cet égard, le défendeur souligne que l’accès à la protection des réfugiés n’est pas absolu. Les clauses d’exclusion ont été intégrées à la Convention de 1951 relative aux réfugiés parce que les États avaient exprimé des préoccupations à l’égard de l’arrivée de criminels de droit commun; c’est pourquoi l’alinéa 1F)b) est entré en vigueur. Le défendeur soutient qu’un objectif de politique semblable est identifié dans l’arrêt Febles, alors que la Cour suprême du Canada affirme que les clauses d’exclusion ne doivent pas être interprétées de façon si restrictive qu’elles ignorent le besoin de contrôle des personnes entrant sur le territoire de l’État signataire. De même, dans la décision Jayasekara, la Cour d’appel fédérale a affirmé qu’il ne faut pas ignorer la perspective de l’État d’accueil lors de la détermination de la gravité du crime. Les traités internationaux dont le Canada est partie sont également des éléments importants de son intérêt national et la Cour a déterminé que la SPR avait décidé à bon droit de traiter la Convention de La Haye comme étant un témoignage de la vision de la communauté internationale relativement à la gravité de l’enlèvement d’enfants (Kovacs, au paragraphe 27). Le défendeur soutient également que l’intérêt national du Canada est de décourager l’enlèvement d’enfants.
[51] Le défendeur ajoute que l’enlèvement d’enfants est un sujet grave (R. v. Mendez (1997), 32 O.R. (3d) 67, 1997 CanLII 432 (C.A.), au paragraphe 28) et une inconduite de la plus grande importance considérant les conséquences qu’il en découle tant pour l’enfant que pour le parent de qui l’enfant est enlevé (R. c. Dawson, [1996] 3 R.C.S. 783, au paragraphe 84).
[52] Le défendeur allègue que la détermination de la peine n’est pas la référence appropriée. En effet, comme il a été reconnu dans la décision Jayasekara, des peines clémentes peuvent être imposées pour des crimes graves. Toutefois, la peine ne diminue pas la gravité du crime (Jayasekara, au paragraphe 41). Le défendeur fait valoir que ni l’arrêt Febles ni les décisions l’ayant suivi n’ont examiné le crime d’enlèvement international d’enfants. De plus, de se fonder sur la détermination de la peine d’un grand nombre d’affaires reposant sur des faits particuliers à l’espèce et devant être distinguées simplifie dangereusement les conséquences de ce que les cours canadiennes ont continuellement reconnu comme étant un crime d’une grande gravité.
[53] Malgré cette observation, le défendeur semble convenir que la règle des dix ans est pertinente aux fins de la détermination de l’exclusion. Toutefois, le fait qu’une personne pourrait recevoir une peine dans la limite inférieure de l’échelle des peines ne réfute pas à première vue la présomption de la règle des dix ans. De plus, de se fonder sur la détermination de la peine alors que la demanderesse n’a ni été accusée ni trouvée coupable demande à la SPR d’agir comme un juge de droit criminel chargé de la détermination de la peine. En l’absence d’un jugement réel ayant été prononcé, le commissaire, en citant le paragraphe 37 de l’arrêt Jayasekara, a tenu compte des normes internationales.
[54] Le défendeur soutient que le crime s’est déroulé à l’extérieur du Canada. Relativement aux éléments du crime, le commissaire a tenu compte à la fois de l’article 282 et de l’article 283 du Code criminel et a noté que la demanderesse a admis lors de son témoignage oral avoir retiré sa fille de Hongrie avec l’intention de la retenir illégalement au Canada, ce que la décision de la Cour de justice de l’Ontario a confirmé. Le commissaire a conclu que lorsque la demanderesse a quitté la Hongrie, elle possédait déjà l’intention nécessaire de commettre le crime d’enlèvement d’enfant et d’induire sa fille en erreur afin de la priver de la garde de son père.
[55] Le défendeur soutient également qu’il appartenait à la demanderesse de réfuter la gravité de l’enlèvement d’enfants; toutefois, elle n’a fourni que peu d’observations sur ces éléments. En fonction de la preuve devant le commissaire, son examen des critères établis dans la décision Jayasekara était raisonnable.
[56] De même, la demanderesse n’a pas fait état de l’article 787 du Code criminel, mais a plutôt simplement fait valoir que si le choix du type de poursuite était un facteur pertinent, alors l’absence d’accusation militait à l’encontre d’une conclusion selon laquelle il s’agissait d’un crime grave. Quoi qu’il en soit, aux termes du paragraphe 36(3) de la LIPR et aux fins de l’administration de la LIPR, une infraction mixte est réputée constituer un acte criminel, et ce, même si la Couronne choisit de poursuivre par voie sommaire.
Analyse
[57] Pour les motifs qui suivent, j’ai conclu que la conclusion du commissaire selon laquelle la demanderesse aurait commis un crime grave de droit commun en vertu de l’alinéa 1F)b) est déraisonnable. Cette conclusion s’explique par deux motifs. Premièrement, le commissaire n’a pas appliqué l’arrêt Febles comme il se doit et n’a pas tenu compte de la fourchette de détermination de la peine applicable. Deuxièmement, son application des critères de la décision Jayasekara était déraisonnable.
Febles et la fourchette de détermination de la peine
[58] Dans l’arrêt Febles, la Cour suprême du Canada a examiné la question de savoir si l’alinéa 1F)b) excluait le demandeur de la protection accordée aux réfugiés en raison des crimes qu’il avait commis avant d’arriver au Canada. Dans cet arrêt, le demandeur a été trouvé coupable aux États-Unis de deux agressions avec une arme meurtrière et a écopé d’une peine d’emprisonnement.
[59] Dans son analyse, la Cour suprême du Canada a examiné l’objectif et les fins de la Convention relative aux réfugiés, ce qui comprend la grande préoccupation de la communauté internationale pour les réfugiés ainsi que son engagement à reconnaître aux réfugiés le plus grand exercice possible de leurs droits et libertés fondamentales. Elle a toutefois rejeté une interprétation étroite des clauses d’exclusion au motif suivant :
Cette approche pose problème, car elle risque de rompre l’équilibre entre le traitement humanitaire des victimes d’oppression et les autres intérêts des pays signataires de la Convention relative aux réfugiés, des intérêts auxquels ils n’ont pas renoncé simplement par l’adoption de certaines dispositions pour venir en aide aux victimes d’oppression. La Convention relative aux réfugiés n’est pas elle-même un principe abstrait mais une entente rédigée en termes précis par certains États souverains qui l’ont négociée en tenant compte de l’intégralité de leurs intérêts. Dans l’arrêt R. (European Roma Rights Centre) c. Immigration Officer at Prague Airport, [2004] UKHL 55, [2005] 2 A.C. 1, la Chambre des lords du Royaume-Uni a affirmé que la Convention relative aux réfugiés [traduction] « représent[e] un compromis entre des intérêts opposés, dans le présent cas entre le besoin d’assurer aux victimes d’oppression un traitement humanitaire, d’une part, et la volonté des États souverains de garder un contrôle sur les personnes qui cherchent à entrer sur leur territoire, d’autre part » (par. 15).
Je suis d’accord avec cet énoncé du double objet de la Convention relative aux réfugiés. S’il ne faut pas élargir la portée des dispositions d’exclusion d’une manière qui serait incompatible avec les vastes objectifs humanitaires de la Convention relative aux réfugiés, il ne faut pas non plus adopter une interprétation trop étroite qui ne tient pas compte du besoin des États contractants de contrôler l’entrée des personnes sur leur territoire. Les objectifs généraux d’un traité ne changent non plus rien au fait que l’objectif d’une clause d’exclusion est justement d’exclure. Bref, les vastes objectifs du traité n’appellent pas une interprétation des clauses d’exclusion qui ne s’appuie pas sur le texte du traité.
[Febles, aux paragraphes 29 et 30]
[60] En ce qui à trait à l’alinéa 1F)b) :
[…] Je conclus que l’article 1Fb) n’a qu’un objectif principal — l’exclusion des personnes qui ont commis un crime grave. Cette exclusion est essentielle à l’équilibre qu’établit la Convention relative aux réfugiés entre l’aide qui permettra aux victimes d’oppression d’entreprendre une nouvelle vie dans un autre pays et la protection des intérêts des pays d’accueil. L’article 1Fb) ne vise pas uniquement les criminels fugitifs; il ne vise pas non plus uniquement un sous-groupe de grands criminels qui sont indignes de la qualité de réfugié au moment où ils la revendiquent. Au contraire, en excluant tous les demandeurs qui ont commis un crime grave de droit commun, l’article 1Fb) exprime l’accord des États contractants selon lequel ces personnes, par définition, seront indignes de l’asile en raison de leur grande criminalité.
[Febles, au paragraphe 35]
[61] La Cour suprême du Canada a conclu que bien que l’exclusion des personnes qui ont commis un crime grave peut appuyer un certain nombre de raisonnements subsidiaires, « son objet est clair, soit d’exclure de l’asile toute personne qui a commis un crime grave à l’étranger » (au paragraphe 36).
[62] La Cour suprême du Canada a affirmé ce qui suit sur la façon d’évaluer la gravité d’un crime :
L’appelant admet que les crimes qu’il a commis étaient « graves » lorsqu’il les a commis, et point n’est besoin d’examiner en quoi consiste un « crime grave » au sens de l’article 1Fb). Toutefois, quelques commentaires à ce sujet peuvent s’avérer utiles.
Dans les arrêts Chan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 (CAF), [2000] 4 C.F. 390 (C.A.), et Jayasekara, la Cour d’appel fédérale s’est dite d’avis que le crime est généralement considéré comme grave lorsqu’une peine maximale d’au moins dix ans d’emprisonnement aurait pu être infligée si le crime avait été commis au Canada. C’est aussi mon avis. Toutefois, il ne faut pas voir dans cette généralisation une présomption rigide qu’il est impossible de réfuter. Lorsqu’une disposition du Code criminel du Canada, L.R.C. 1985, ch. C-46, prévoit un large éventail de peines, qui vont d’une peine relativement légère jusqu’à une peine d’au moins dix ans d’emprisonnement, on ne saurait exclure de façon présomptive un demandeur qui serait condamné au Canada à une peine parmi les plus légères. L’article 1Fb) vise à n’exclure que les personnes qui ont commis des crimes graves. Le HCR a indiqué qu’une présomption de crime grave pourrait découler de la preuve de la perpétration des infractions suivantes : l’homicide, le viol, l’attentat à la pudeur d’un enfant, les coups et blessures, le crime d’incendie, le trafic de drogues et le vol qualifié (Goodwin-Gill et McAdams, p. 179). Il s’agit là d’exemples valables de crimes suffisamment graves pour justifier de façon présomptive l’exclusion de la protection offerte aux réfugiés. Toutefois, je le rappelle, la présomption peut être réfutée dans un cas donné. Toutefois, je le rappelle, la présomption peut être réfutée dans un cas donné. Le fait qu’une peine maximale d’au moins dix ans d’emprisonnement aurait pu être infligée si le crime avait été perpétré au Canada s’avère un guide utile, et les crimes qui, au Canada, rendent leur auteur passible d’une peine maximale d’au moins dix ans seront en général suffisamment graves pour justifier l’exclusion, mais il ne faudrait pas appliquer la règle des dix ans machinalement, sans tenir compte du contexte ou de manière injuste. [Non souligné dans l’original.]
[Febles, aux paragraphes 61 et 62]
[63] Comme l’a souligné la demanderesse, la Cour a appliqué l’arrêt Febles dans la décision Tabagua et a conclu que l’omission de la SPR de traiter de la peine qu’aurait probablement reçu la demanderesse constituait une erreur susceptible de révision. Dans cette décision, la demanderesse avait été condamnée pour un vol à l’étalage commis aux États-Unis avant de demander l’asile au Canada. La SPR a conclu qu’il y avait des motifs sérieux de croire que si la demanderesse avait commis son crime au Canada, elle aurait probablement reçu une peine maximale de dix ans d’emprisonnement. En ce sens, la SPR s’est concentrée non pas sur le vol à l’étalage, mais plutôt sur l’utilisation par la demanderesse d’un passeport fabriqué et d’une fausse identité lors de son arrestation et de sa condamnation pour vol à l’étalage. La Section de la protection des réfugiés a conclu que ces infractions correspondraient aux infractions décrites au sous-alinéa 57(b)i) et aux paragraphes 403(1) et 403(2) du Code criminel, soit d’usage d’un faux passeport et de fraude à l’identité. La SPR a conclu que ces crimes étaient des infractions criminelles et que selon l’infraction, la peine maximale allait de 10 ans à 14 ans d’emprisonnement. Par conséquent, le premier volet du critère établi dans l’arrêt Jayasekara était respecté.
[64] En révisant la décision de la SPR, la juge Gleason [dans la décision Tabagua, au paragraphe 14] a cité le juge de Montigny, qui affirme au paragraphe 32 de la décision Jung qu’avant l’arrêt Febles, les tribunaux ont constamment utilisé « […] la présomption selon laquelle un crime est “grave” au sens de l’alinéa b) de la section F de l’article premier lorsque le crime, s’il avait été commis au Canada, aurait été passible d’une peine d’emprisonnement maximale égale ou supérieure à dix ans … ». Toutefois, la Cour suprême a « sensiblement nuancé cette position » dans l’arrêt Febles, au paragraphe 62 de cette décision.
[65] La juge Gleason a observé que dans la décision Jung, le juge de Montigny a écarté une décision du SPR qui, tout comme la décision devant elle, reposait en grande partie sur le fait que la peine maximale pour les crimes commis était un emprisonnement de dix ans. Le juge de Montigny déclare ceci :
Tout bien considéré, cependant, l’erreur la plus flagrante de la commissaire a été de ne pas avoir pris en considération ce que la Cour suprême tenait pour un facteur crucial dans Febles, à savoir le grand éventail de peines au Canada et le fait que le crime dont le demandeur avait été déclaré coupable entraînerait l’imposition d’une peine parmi les plus légères. Ce facteur était parfaitement pertinent en l’espèce : l’échelle des peines canadiennes pour fraude de plus de 5 000 $ est vaste (de 0 à 14 ans), et le crime du demandeur – fraude de 50 000 $ assortie d’une peine de 10 mois – se trouve à première vue au bas de cette échelle. Le grand éventail de peines et la faible peine purgée par le demandeur (non seulement la peine infligée n’était que de deux ans, mais le demandeur s’est vu accorder un sursis après 165 jours de détention avant procès) constituaient de toute évidence un facteur des plus pertinents pour la détermination de la gravité du crime.
Pour ce motif seulement, la décision de la Commission devrait être annulée et l’affaire renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour réexamen.
[Jung, aux paragraphes 48 et 49]
[66] La juge Gleason a conclu que le raisonnement de la SPR dans l’affaire devant elle soulevait les mêmes problèmes. En effet, en évaluant la gravité du crime, la SPR a uniquement tenu compte de la peine maximale possible et a affirmé à tort que les deux crimes constituaient des actes criminels alors qu’en fait, l’infraction de vol d’identité créée par l’article 403 du Code criminel est plutôt une infraction mixte pour laquelle la Couronne peut choisir de procéder soit par procédure sommaire, soit par mise en accusation.
[67] À cet égard, la juge Gleason a affirmé ce qui suit :
En ce qui a trait à un faux passeport, la peine maximale prévue à l’article 57 du Code criminel est un emprisonnement de 14 ans (pour falsification qui concerne un passeport canadien). Mais comme l’a noté mon collègue le juge Mosley dans la décision Almrei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 1002, 247 ACWS (3d) 650 (au paragraphe 48), « [l]a peine généralement infligée à l’égard de pareilles infractions est généralement bien plus courte, surtout si le délinquant n’a aucun antécédent criminel au Canada ». On pourrait en dire autant de l’infraction de vol d’identité, même lorsqu’on procède par mise en accusation.
En l’espèce, la SPR a omis à la fois de discuter de la peine qui aurait pu être infligée à la demanderesse si elle avait été accusée au Canada, et de noter que la seule preuve d’utilisation réelle du faux passeport par la demanderesse (par opposition à l’utilisation de la fausse identité « Khachirova ») est lorsqu’elle s’en est servi pour obtenir l’admission aux États-Unis. Elle prétend toutefois qu’elle y était obligée pour échapper à son persécuteur. Si on y ajoute foi, cela constituerait un facteur atténuant que la Commission n’a pas apprécié, et qui de plus aurait peut-être atténué la peine si le crime avait été commis au Canada et que la demanderesse en avait été accusée.
Étant donné que la SPR a omis d’effectuer une analyse du type que la Cour suprême rend obligatoire dans l’arrêt Febles, et d’évaluer la gravité du comportement de la demanderesse à la lumière de l’éventail des peines disponibles, il convient d’annuler la décision de la Commission et de la renvoyer pour réexamen, comme il a été fait dans la décision Jung. Contrairement à ce que soutient le défendeur, la nécessité d’une analyse du genre prescrit dans l’arrêt Febles n’est pas diminuée du fait qu’aucune accusation n’a été portée contre la demanderesse, et qu’il n’y a donc eu aucune condamnation. Pour le moins, ces faits porteraient à conclure que les actions de la demanderesse s’inscrivent dans la partie moins grave du spectre, et qu’en conséquence une peine très inférieure au maximum aurait vraisemblablement été imposée si la demanderesse avait commis l’infraction, et été inculpée, au Canada.
La Commission aurait dû examiner les points qui précèdent, et son omission à cet égard rend sa décision déraisonnable. De même que dans la décision Jung, et pour sensiblement les mêmes motifs, il convient d’annuler la décision de la Commission en l’espèce.
[Tabagua, aux paragraphes 19 à 22]
[68] En l’espèce, le commissaire a directement demandé aux avocats de lui faire parvenir des observations après l’audience sur l’application de l’arrêt Febles. Dans sa réponse écrite, la demanderesse a fait valoir que l’arrêt Febles était grandement pertinent à la décision devant être prise par le commissaire. Elle soulève la directive claire de la Cour selon laquelle il ne faut pas appliquer « machinalement, sans tenir compte du contexte ou de manière injuste » la présomption voulant que le crime soit considéré comme grave si une peine d’emprisonnement maximale de dix ans aurait pu être infligée. Elle mentionne également l’avertissement de la Cour, qui affirme qu’on « ne saurait exclure de façon présomptive un demandeur qui serait condamné au Canada à une peine parmi les plus légères » d’une fourchette de peine s’étendant jusqu’à un maximum de dix ans d’emprisonnement (au paragraphe 62). Dans sa réponse, la demanderesse allègue également que l’examen de la peine qui aurait probablement été imposée pour une infraction précise ne constitue pas de la pure spéculation, comme l’a fait valoir le ministre. Elle résume 16 décisions ayant trait à la détermination de la peine dans des cas d’enlèvement parental d’enfants, y compris des affaires faisant intervenir une série de faits beaucoup plus flagrants, ce qui, selon elle, démontre que toute peine imposée se serait nécessairement retrouvée dans la limite inférieure de l’échelle des peines possibles. Elle cite également la décision Thrones, au paragraphe 32 :
[traduction] […] les cours d’appels, tout en déplorant les crimes d’enlèvement d’enfants, imposent des peines qui ne se rapprochent en rien des peines maximales prévues au Code. Par exemple, dans les cas d’enlèvement parental, alors que la peine maximale pour chaque enlèvement est de dix ans, les peines ne s’en approchent que très rarement. [Italiques dans l’original; note en bas de page omise.]
[69] En dépit d’avoir demandé et reçu des observations des parties à ce sujet, le commissaire n’a pas entrepris d’analyse en fonction de l’arrêt Febles ni expliqué pourquoi il avait omis de le faire. Aux paragraphes 72 à 74 de ses motifs, le commissaire résume la décision de la Cour suprême du Canada. Il cite ensuite une partie du paragraphe 26 de cette décision, qui se lit ainsi :
Il est logique que les rédacteurs de la Convention relative aux réfugiés aient voulu que les personnes qui commettent des crimes dans le pays d’accueil soient traitées différemment de celles qui ont commis des crimes en dehors du pays d’accueil avant de demander l’asile. Lorsqu’une personne commet un crime dans le pays d’accueil, ce pays est appelé à avoir recours à son propre système de justice souveraine plutôt qu’à un traité international. Dans le contexte canadien, le législateur a adopté une disposition parallèle et pratiquement identique concernant l’effet de la perpétration d’un crime : l’al. 101(2)a) de la LIPR précise qu’une demande d’asile est irrecevable si le demandeur a fait l’objet d’« une déclaration de culpabilité au Canada pour une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans ». En conséquence, la divergence et le résultat absurde qui en résultent selon M. Febles n’existent tout simplement pas. Quoi qu’il en soit, les préoccupations ne sont pas les mêmes lorsqu’un pays se voit demander d’accepter un demandeur d’asile qui a commis des crimes à l’étranger, et le contexte de l’article 33(2) de la Convention relative aux réfugiés n’est d’aucun secours dans l’exercice d’interprétation en cours. [Italiques dans l’original.]
[70] Apparemment en fonction de cette citation, le commissaire conclut qu’il : [traduction] « convient par conséquent d’appliquer une norme ou une mesure pour d’abord établir s’il y a des motifs sérieux de tenir compte de la première partie de l’alinéa 1Fb) de l’article 98 de la Loi » (au paragraphe 76). Au paragraphe 239 de ses motifs, le commissaire décrit les commentaires de la Cour suprême du Canada au paragraphe 62 de l’arrêt Febles comme étant [traduction] « des suggestions formulées en obiter à propos de l’applicabilité de la disposition sur l’exclusion en vertu de l’alinéa 1(F)b) ». Il cite ensuite le paragraphe 62, sans toutefois le commenter ou tenir compte de son contenu.
[71] Bien que cela ne ressorte pas clairement de ses motifs, il semble que le commissaire était d’avis qu’il n’avait pas à tenir compte des directives de la Cour suprême du Canada relativement au rôle de la fourchette de détermination de la peine pour établir la gravité d’un crime aux fins de l’exclusion en application de l’alinéa 1F)b) puisque ces directives étaient simplement des suggestions formulées en obiter. Il semble plutôt avoir déterminé que la norme applicable pour établir s’il y avait des raisons sérieuses de considérer que la demanderesse avait commis un crime grave de droit commun à l’extérieur du Canada avant son admission au pays à titre de réfugiée résidait dans la Convention de La Haye et dans la preuve confirmant que la demanderesse avait illégalement retiré et retenu son enfant de Hongrie, enfant qui a ensuite été renvoyée à son père au moyen d’une ordonnance prononcée en vertu de la Convention de La Haye par la Cour de justice de l’Ontario. Comme nous le verrons ci-après, je ne suis pas d’avis qu’il s’agissait des facteurs déterminants.
[72] À mon avis, il est significatif que dans l’arrêt Febles, la Cour suprême du Canada a fait mention d’exemples de crimes graves, comme le meurtre et le viol, qu’elle a considéré comme étant suffisamment graves pour justifier une présomption d’exclusion. Elle a cependant également conclu que même lorsque ce type de crimes graves est en jeu, il demeure possible de réfuter la présomption dans des cas particuliers. Par conséquent, le commissaire a fait défaut d’appliquer l’arrêt Febles et d’évaluer si en l’espèce, la règle des dix ans avait été réfutée. Tout comme dans les décisions Jung et Tabagua, il s’agit d’une erreur susceptible de révision.
Critères de l’arrêt Jayasekara
[73] Dans son analyse des critères de l’arrêt Jayasekara, le commissaire a brièvement examiné le type de poursuite et a déclaré qu’aucune accusation n’avait été portée contre la demanderesse en Hongrie et qu’il ne semblait pas que des accusations seraient portées contre elle au Canada. Par ailleurs, bien qu’il ait reconnu dans sa décision que les articles 282 et 283 du Code criminel sont des infractions mixtes, son analyse du critère du mode de poursuite se limite à ces observations.
[74] Le commissaire n’a pas tenu compte du fait qu’en accusant une personne d’enlèvement d’enfant au Canada, la Couronne peut soit procéder par mise en accusation, ce qui entraîne une peine maximale de dix ans d’emprisonnement en application de l’alinéa 282(1)a) ou l’alinéa 283(1)a), soit procéder par voie sommaire. Les alinéas 282(1)b) et 283(1)b) ne prévoient pas de peine minimale pour l’enlèvement d’enfant lorsque la couronne décide de procéder par voie sommaire. Dans ces circonstances, l’article 787 du Code criminel s’applique. Cet article prévoit que la peine maximale pour les infractions par voie sommaire lorsqu’aucune autre peine n’est prévue est un emprisonnement de six mois, une amende de 5 000 $ ou les deux.
[75] Comme la Cour d’appel fédérale l’a énoncé dans l’arrêt Jayasekara, lorsque les infractions sont mixtes, « le choix du mode de poursuite est utile pour évaluer la gravité du crime s’il existe une différence marquée entre la peine prévue pour une infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité et celle prévue pour un geste punissable sur acte d’accusation » (au paragraphe 46). En l’espèce, les peines possibles pour le crime d’enlèvement d’enfants varient grandement, pouvant aller de six mois à dix ans d’emprisonnement, ce dont le commissaire n’a pas tenu compte. En ce qui concerne l’allégation du défendeur selon laquelle la demanderesse n’a pas invoqué l’article 787 du Code criminel, cet argument est sans fondement. À mon avis, pour déterminer la gravité du crime, le commissaire n’avait pas le loisir de ne pas tenir compte des dispositions applicables du Code criminel décrivant les peines les plus légères applicables aux infractions prévues aux articles 282 et 283 qu’il a invoquées, que la demanderesse ait directement renvoyé à cet article du Code criminel ou non.
[76] Le défendeur mentionne l’alinéa 36(3)a) de la LIPR, qui renvoie à l’interdiction de territoire pour grande criminalité en vertu du paragraphe 36(1). Cet article prévoit que lorsqu’une infraction peut être poursuivie par voie sommaire ou par mise en accusation, elle est réputée être une infraction criminelle, et ce, même lorsqu’elle est poursuivie par voie sommaire. Le défendeur n’a pas indiqué de dispositions similaires applicables aux exclusions en vertu de l’alinéa 1F)b).
[77] Le critère suivant de l’arrêt Jayasekara examiné par le commissaire vise la peine imposée. Une fois de plus, il a reconnu qu’aucune peine n’a été imposée à la demanderesse à l’égard de l’enlèvement d’enfant, mais a conclu que l’imposition d’une peine ne constituait pas une règle absolue pour exclure une personne. Le commissaire a déclaré : [traduction] « Comme l’a reconnu la Cour d’appel fédérale au paragraphe 37 de l’arrêt Jayasekara, la gravité d’un crime doit être jugée à partir des normes internationales. La Convention de La Haye constitue l’une des normes internationales importantes » (au paragraphe 248). Ces observations constituent la totalité de l’examen de ce critère par le commissaire.
[78] Bien que le commissaire n’a pas commis d’erreur en concluant qu’il n’est pas nécessaire que des accusations soient portées ou qu’une condamnation soit prononcée pour exclure une personne en vertu de l’alinéa 1F)b) (voir Zrig c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CAF 178, [2003] 3 C.F. 761, au paragraphe 129; Kovacs, au paragraphe 26; Botezatu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 917, au paragraphe 10), à mon avis, il a commis une erreur dans son interprétation du paragraphe 37 de l’arrêt Jayasekara et, par cette erreur, en limitant son évaluation de la gravité du crime.
[79] Dans l’arrêt Jayasekara, la Cour d’appel fédérale a tenu compte des normes applicables à la détermination de la gravité d’un crime. Ainsi, la Cour a déclaré au paragraphe 37 :
Suivant la Note d’information sur l’application des clauses d’exclusion : article 1F de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés publiée par l’UNHCR (le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés), au paragraphe 38, la gravité du crime « doit être mesurée à l’aune des normes internationales et pas simplement suivant l’interprétation qui en est faite dans le pays d’accueil ou le pays d’origine ». Cette façon de voir vise évidemment à éviter les profondes disparités qui peuvent exister entre les États relativement aux mêmes agissements. Ainsi que le juge Branson l’écrit dans la décision Ovcharuk v. Minister for Immigration and Multicultural Affairs, à la page 300, [traduction] « il suffit d’évoquer les régimes dans lesquels des comportements tels que la dissidence politique pacifique, la possession d’alcool et les tenues féminines jugées “indécentes” sont considérés comme étant des actes criminels graves ». [Non souligné dans l’original.]
[80] La Cour a poursuivi son analyse, notant qu’il est important de considérer avec égard les normes internationales, mais que la perspective de l’État d’accueil ne peut être ignorée dans la détermination de la gravité du crime, puisque la protection de l’alinéa 1F)b) est offerte à l’État d’accueil. La Cour conclut ce qui suit :
Je crois que les tribunaux s’entendent pour dire que l’interprétation de la clause d’exclusion de la section Fb) de l’article premier de la Convention exige, en ce qui concerne la gravité du crime, que l’on évalue les éléments constitutifs du crime, le mode de poursuite, la peine prévue, les faits et les circonstances atténuantes et aggravantes sous-jacentes à la déclaration de culpabilité […] En d’autres termes, peu importe la présomption de gravité qui peut s’appliquer à un crime en droit international ou selon la loi de l’État d’accueil, cette présomption peut être réfutée par le jeu des facteurs précités. On ne met toutefois pas en balance des facteurs étrangers aux faits et aux circonstances sous-jacents à la déclaration de culpabilité comme, par exemple, le risque de persécution dans le pays d’origine […] [Non souligné dans l’original.]
[Jayasekara, au paragraphe 44]
[81] Ainsi, à mon avis, le paragraphe 37 n’appuie pas l’idée que l’existence d’une convention internationale comme la Convention de La Haye est l’unique facteur ou « norme » devant servir à l’évaluation de la gravité. En fait, même lorsqu’une présomption de gravité est liée à un crime au plan international, il est possible de réfuter cette présomption en fonction des critères identifiés.
[82] En effet, dans l’arrêt Jayasekara, la Cour d’appel fédérale a noté dans son évaluation de la gravité du crime en l’espèce et de l’application justifiée de la clause d’exclusion que l’appelant avait été trouvé coupable de trafic d’opium aux États-Unis. La preuve qui lui était présentée révélait que le trafic de drogue est traité comme un crime grave pour l’ensemble du spectre international. La Cour a observé qu’en application des trois Conventions internationales relatives aux drogues, soit la Convention unique sur les stupéfiants de 1961, [30 mars 1961, [1964] R.T. Can. no 30] (telle que modifiée par le protocole du 25 mars 1972 [Protocole portant amendement de la Convention unique sur les stupéfiants de 1961, [1976] R.T. Can. no 48]); la Convention sur les substances psychotropes, 21 février 1971, [1988] R.T. Can. no 35 et la Convention des Nations Unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes, 20 décembre 1988, [1990] R.T. Can. no 42, les États signataires ont l’obligation de coordonner des mesures préventives et répressives contre le trafic de drogues, y compris d’implanter des mesures pénales au besoin. Le choix des mesures pénales demeure à la discrétion de l’État membre et peut outrepasser celles prévues à la convention si l’État membre le juge désirable ou nécessaire pour la protection du bien-être et de la santé du public.
[83] La Cour d’appel fédérale a affirmé qu’il ressort des dispositions adoptées que la majorité des États membres définissent et traitent le trafic de drogue comme étant un crime grave. La Cour a effectué une comparaison des peines imposées par différents États et a noté qu’au Canada, une personne qui vend de l’opium peut faire face à un emprisonnement à vie. Elle a conclu qu’il n’y a aucun doute que le Parlement considère le trafic d’opium comme étant un crime grave.
[84] Toutefois, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’en déterminant si l’appelant avait été trouvé coupable d’un crime grave, la SPR a examiné un grand nombre de facteurs : la gravité du crime, la peine imposée aux États-Unis, les faits sous-tendant la condamnation (c’est-à-dire la nature de la substance trafiquée), la conclusion de l’arrêt Chan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 4 C.F. 390 (C.A.) selon lequel un crime est un crime grave de droit commun si une peine maximale d’au moins dix ans aurait pu être imposée si le crime avait été commis au Canada, la gravité objective du trafic d’opium au Canada pouvant entraîner une peine d’emprisonnement à vie et le fait que l’appelant avait contrevenu à son ordonnance de probation et s’était ensuite enfui. La Cour d’appel fédérale a conclu que le juge de première instance n’avait pas commis d’erreur en déterminant qu’il était raisonnable que la SPR en vienne à la conclusion en fonction de ces facteurs que la condamnation de l’appelant aux États-Unis constituait une raison sérieuse de croire qu’il avait commis un crime grave de droit commun à l’extérieur du pays.
[85] Il est important de mentionner que l’existence de conventions internationales visant la coordination entre États pour la prévention et la répression du trafic de drogue n’a pas été considérée comme un critère déterminant de la gravité du crime.
[86] En ce qui concerne la question de l’importance des traités internationaux, le défendeur s’appuie largement sur l’affaire Kovacs. Dans cette affaire, la demanderesse était également une citoyenne de la Hongrie qui demandait la protection du Canada pour elle-même et pour ses enfants. La SPR a conclu que la demanderesse n’était pas crédible et qu’elle n’avait pas droit au statut de réfugié en vertu de l’alinéa 1Fb), parce que des raisons sérieuses permettaient de croire qu’elle avait peut-être commis, à l’extérieur du Canada, un crime grave de droit commun, à savoir un enlèvement d’enfant. Le paragraphe [27] dans la décision Kovacs sur lequel s’appuie la demanderesse se lit comme suit :
Les demandeurs soutiennent aussi que la Commission a eu tort de s’appuyer sur l’arrêt Chan, pour la définition de crime grave de droit commun. Selon eux, cet arrêt affirme uniquement que les crimes commis à l’extérieur du Canada n’entraînent pas l’exclusion lorsque la peine a déjà été purgée, à moins que le demandeur d’asile n’ait été déclaré un danger pour le public. À mon avis, les demandeurs se sont mépris sur l’utilisation faite la Commission de l’arrêt Chan. La Commission, lorsqu’elle a cité cet arrêt dans sa décision, examinait si l’enlèvement d’un enfant était un « crime grave de droit commun ». Dans son analyse, elle a signalé que, suivant l’arrêt Chan, une peine d’emprisonnement minimal de 10 ans permettait de conclure qu’il s’agissait d’un crime grave. La Commission a également vu dans l’existence de la Convention de La Haye la démonstration que la communauté internationale considérait l’enlèvement international comme une affaire sérieuse. Selon moi, la Commission n’a pas commis d’erreur dans son utilisation de l’arrêt Chan ni dans son examen de la question de savoir si l’enlèvement international d’un enfant constitue un crime grave de droit commun. [Non souligné dans l’original.]
[87] À mon avis, l’affaire Kovacs reconnaît que l’existence de la Convention de La Haye est un facteur à prendre en considération au moment de déterminer si l’enlèvement d’un enfant constitue un crime grave aux fins de l’alinéa 1Fb). Cependant, cette décision ne permet pas de conclure que c’est là le seul facteur à prendre en considération, que son existence donne lieu à une présomption irréfutable que l’enlèvement d’un enfant constitue, dans chaque cas, un crime grave dans le contexte de l’analyse de l’alinéa 1Fb), ni qu’il s’agit du principal facteur à prendre en considération. Évidemment, l’affaire Kovacs précède l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Febles. En outre, même s’il est vrai que l’affaire Febles portait sur des condamnations pour agression avec une arme meurtrière et non sur un enlèvement d’enfant, à mon avis, cette distinction n’est pas pertinente. Comme il est mentionné ci-dessus, la Cour suprême du Canada a admis qu’un homicide, une agression sexuelle, un attentat à la pudeur d’un enfant, les coups et blessures, le crime d’incendie, le trafic des drogues et le vol qualifié constituent de bons exemples de crimes suffisamment graves pour justifier de façon présomptive l’exclusion de la protection offerte aux réfugiés. Pourtant, même lorsqu’il s’agit de traiter des crimes présumés graves, la présomption peut être réfutée dans certains cas et, pour cette raison, il ne faut pas appliquer la règle des dix ans machinalement, sans tenir compte du contexte ou de manière injuste. En conséquence, si l’enlèvement d’un enfant constitue également un crime présumé grave, ce que je pense, la présomption peut être réfutée.
[88] Je ne partage pas l’argument du défendeur voulant, qu’en vertu de l’affaire Febles, il ne soit pas justifié dans la présente instance de soumettre la peine à une analyse alors qu’aucune condamnation n’a encore été prononcée et que l’exécution d’une telle analyse soit « spéculative » et outrepasse la compétence de la SPR, puisque la SPR n’est pas un juge chargé de déterminer la peine. Comme l’a déclaré la juge Gleason dans la décision Tabagua, la nécessité d’une analyse du genre prescrit dans l’arrêt Febles n’est pas diminuée du fait qu’aucune accusation n’a été portée contre la demanderesse, et qu’il n’y a donc eu aucune condamnation. Pour le moins, ces faits porteraient à conclure que les actions de la demanderesse s’inscrivent dans la partie moins grave du spectre, et qu’en conséquence une peine très inférieure au maximum aurait vraisemblablement été imposée si la demanderesse avait commis l’infraction, et avait été inculpée, au Canada (Tabagua, au paragraphe 21).
[89] En outre, la Cour a conclu que le fait de ne pas tenir compte de la jurisprudence, comme l’a fait la Commission dans la présente instance, est déraisonnable; d’ailleurs, dans l’affaire Hersy, elle a soutenu ceci [au paragraphe 71] :
En fin de compte, plutôt que d’examiner des cas semblables comme guide de la façon dont le demandeur serait traité au Canada du point de vue de la détermination de la peine, la Commission se fie tout simplement à sa propre notion subjective de ce qui est grave au Canada sans aucune preuve objective pour l’étayer.
[90] À mon avis, le fait de ne pas avoir appliqué la décision Febles, d’une part, et les erreurs dans l’analyse des facteurs inhérents à la décision Jayasekara, d’autre part, constituent des motifs plus que suffisants pour conclure que l’analyse du commissaire relativement à l’exclusion était déraisonnable. Par conséquent, je ne me pencherai pas sur l’affirmation de la demanderesse voulant que, parce que l’enlèvement de l’enfant s’est produit au Canada, après l’expiration de la période de deux semaines pendant lesquelles elle avait l’autorisation, en vertu d’une ordonnance de garde, de quitter la Hongrie sans le consentement du père, l’alinéa 1Fb) ne s’applique pas.
Deuxième question en litige : Le commissaire a-t-il commis une erreur dans son traitement de la preuve?
[91] Subsidiairement à cette analyse d’exclusion, le commissaire a également soumis la demande du statut de réfugié de la demanderesse à une analyse fondée sur ses mérites.
Position de la demanderesse
[92] La demanderesse soutient que, peu importe les conclusions du commissaire concernant sa crédibilité, son témoignage renfermait suffisamment d’éléments de preuve fiables présentés par des tiers et autres sources de preuve objective pour étayer sa crainte bien fondée de persécution en raison de ses activités de défense des droits des Roms, profil que le commissaire a accepté. La demanderesse soutient que le commissaire a commis une erreur ne prenant pas la preuve offerte en considération comme il devait le faire.
[93] En particulier, le commissaire disposait de rapports d’experts confirmant le risque particulier auquel sont exposés les défenseurs des droits des Roms, notamment une lettre d’Amnistie internationale et un affidavit d’un expert, Aladar Horvath, un défenseur des droits des Roms hautement respecté. De plus, le commissaire avait en sa possession la décision de la Cour de justice de l’Ontario dans laquelle l’ex-conjoint de la demanderesse reconnaissait que celle-ci avait fait l’objet de menaces et de persécution pendant de nombreuses années en raison de son militantisme, ainsi que des copies de menaces proférées en ligne et de commentaires racistes au sujet de la demanderesse. La demanderesse soutient que cet élément de preuve a été ignoré ou déraisonnablement rejeté.
[94] En ce qui concerne le traitement des demandes des autres demandeurs, la demanderesse reconnaît que la règle 21 des Règles de la SPR permet au commissaire de divulguer et de prendre en considération l’information d’une autre demande, si celle-ci porte sur des questions de fait ou de l’information pertinente d’une manière quelconque. La demanderesse concède également que les dossiers du présumé ancien employé et de sa famille, ainsi que ceux de sa sœur et de sa mère sont pertinents pour sa propre demande, mais elle soutient que le commissaire a erré en droit et a tiré des conclusions déraisonnables ou abusives de cette information.
[95] La demanderesse affirme que le commissaire a déterminé, sans tenir d’audience, que la demande du présumé ancien employé était frauduleuse et que la demanderesse était une complice consentante à cette fraude. Le traitement de ces témoignages était abusif et déraisonnable et l’équité procédurale exigeait qu’il fasse part de ses préoccupations à la demanderesse et au présumé ancien employé avant de tirer ses conclusions très préjudiciables sur la crédibilité.
[96] La demanderesse soutient également que le commissaire a rendu des décisions concernant la crédibilité des demandes soumises par sa sœur et sa mère, lesquelles étaient toujours en instance devant un autre commissaire et, par conséquent, outrepassaient sa compétence. En outre, le fait de se prononcer sur la crédibilité de leurs demandes sans donner aux demanderesses la possibilité d’être entendues constituait un manquement à son devoir d’équité procédurale envers elles.
Position du défendeur
[97] Le défendeur soutient que la demanderesse n’a pas réfuté la présomption de protection de l’État à l’aide d’une preuve claire et convaincante. À son avis, le commissaire a examiné le témoignage de la demanderesse et les documents concernant les conditions dans le pays. La preuve a démontré que la demanderesse avait obtenu la protection de la police, notamment une protection 24 heures par jour, entre février et juillet 2009. Lorsque la protection de la police a pris fin, lors des deux occasions où elle a allégué avoir été ciblée, elle a signalé un incident à la police et elle a déclaré dans son témoignage qu’elle n’était pas en danger immédiat à ce moment, car elle était en sécurité dans son véhicule. À la suite de second incident, elle a décidé de ne pas déposer de rapport. Exception faite de ces deux incidents qui ont été perpétrés par deux femmes dans la soixantaine, la demanderesse n’a signalé aucun autre incident ni aucune autre attaque jusqu’en 2011; dans son témoignage, elle a déclaré qu’elle avait bénéficié d’une certaine protection grâce au pouvoir des médias.
[98] Le commissaire a également pris en considération la preuve offerte par Aladar Horvath et la lettre d’Amnistie internationale; son traitement de ces éléments de preuve était raisonnable. En particulier, le commissaire a expliqué que la preuve d’un manque de protection de l’État pour les défenseurs des droits des Roms dans la lettre d’Amnistie internationale a été réfutée parce que la demanderesse est parvenue à obtenir la protection de l’État. En outre, il a mentionné que l’affidavit d’Aladar Horvath avait été rédigé en août 2013 avant les condamnations et la détermination des peines infligées aux auteurs des meurtres en série survenus en août 2009.
[99] Le défendeur soutient que le commissaire a agi de manière raisonnable en s’appuyant sur l’information contenue dans les demandes de statut de réfugié de la mère et de la sœur de la demanderesse. De plus, c’est la demanderesse elle-même qui a initialement fourni des observations après l’audience sur ces demandes et, lorsque le commissaire a par la suite divulgué ces documents additionnels, la demanderesse a été invitée à faire d’autres commentaires concernant lesdites observations, mais elle ne l’a pas fait.
[100] Le défendeur soutient, contrairement à l’argument de la demanderesse, que le commissaire n’a ni explicitement conclu que les membres de la famille de la demanderesse n’étaient pas crédibles, ni déclaré que les affirmations de ces personnes étaient fausses. Le commissaire a simplement mentionné qu’il n’était pas en mesure de rendre une décision dans un sens ou dans l’autre. Il n’existe pas non plus de preuve que ces observations ont influé sur le résultat de ces demandes.
[101] En outre, le commissaire a agi de manière raisonnable en s’appuyant sur l’information contenue dans la demande du présumé ancien employé. Le commissaire a divulgué les documents à la demanderesse et il lui a demandé et obtenu ses observations en réponse. Il était loisible au commissaire d’interroger la demanderesse sur les raisons pour lesquelles elle n’avait pas mentionné le présumé ancien employé dans ses formulaires de demande et au moment de l’audience. Le défendeur estime que l’allégation de la demanderesse voulant que le commissaire ait manqué à son obligation d’équité procédurale en n’informant pas la demanderesse et le présumé ancien employé de ses préoccupations avant de tirer des conclusions négatives concernant leur crédibilité n’est pas fondée. En outre, la conclusion du commissaire voulant que la preuve corroborante fournie par la demanderesse pour étayer la demande frauduleuse du présumé ancien employé reposait sur les renseignements meilleurs dont il disposait au moment où il a pris sa décision.
[102] Quoi qu’il en soit, même si les observations du commissaire concernant la crédibilité de la demande du présumé ancien employé étaient importantes pour le traitement de sa demande, de telles conclusions concernant la demande de la demanderesse n’auraient pas été contraignantes pour le commissaire saisi de la demande du présumé ancien employé.
Analyse
i) Profil
[103] À titre préliminaire, je souligne que la SPR et ses commissaires sont les mieux placés pour évaluer la crédibilité et qu’il convient de leur accorder beaucoup de déférence (Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (C.A.) (QL), au paragraphe 4; Abbas c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 911, au paragraphe 22; Vargas c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 484, au paragraphe 10). Dans sa décision motivée, le commissaire a cité de nombreuses constatations défavorables et tiré des conclusions négatives relativement à la crédibilité; cependant, dans la présente instance, la demanderesse n’a pas sérieusement contesté ces conclusions. À mon avis, même s’il était loisible à la demanderesse de contester certaines de ces conclusions, le commissaire a tiré la vaste majorité d’entre elles en s’appuyant sur les éléments de preuve qui lui avaient été fournis. Pour sa part, la demanderesse soutient que, même si sa propre crédibilité devait être mise en doute, elle avait déposé suffisamment d’éléments de preuve fiables provenant de tiers et d’autres sources d’éléments de preuve objective pour étayer sa crainte de persécution à cause de ses activités de défense des droits des Roms et que, pour cette raison, elle n’obtiendrait pas une protection adéquate de l’État. La demanderesse soutient que le commissaire a commis une erreur ne prenant pas la preuve offerte en considération comme il devait le faire.
[104] À cet égard, elle cite la lettre de référence d’Amnistie internationale datée du 21 février 2013 qui est adressée à son avocat. La lettre indique clairement que son objet est de présenter un aperçu de la situation entourant les droits de la personne en Hongrie. Le dernier paragraphe de la lettre se lit comme suit :
[traduction] Dans le contexte de la discrimination et de la violence dont font constamment l’objet les Roms en Hongrie, le caractère adéquat de la protection accordée par les autorités de l’État aux personnes qui se portent à la défense des droits des Roms suscite d’importantes préoccupations. Il n’est pas inhabituel pour les organisateurs au sein de la communauté rome et ses porte-parole, ainsi que pour les membres de leurs familles d’être la cible d’individus et de groupes d’autodéfense. Leurs attaques peuvent s’étendre à la propriété ou revêtir la forme d’agressions physiques, de menaces de mort ou de harcèlement continu. Les autorités de l’État ne donnent pas systématiquement suite à ces plaintes. Amnistie internationale est d’avis que la nature cumulative d’actions préjudiciables ou de menaces, jumelées au manque de mesures pour assurer leur sécurité, peut constituer de la persécution dans certains cas.
[105] Contrairement à ce que soutient la demanderesse, le commissaire n’a pas ignoré cet élément de preuve; au contraire, il a spécifiquement indiqué qu’il l’avait soupesé. Il ne l’a pas non plus rejeté. Au contraire, il a conclu que d’autres éléments de preuve crédibles établissaient que la demanderesse et sa famille avaient bénéficié d’une protection adéquate de l’État avant leur départ de la Hongrie. Cette conclusion est appuyée par les éléments de preuve qui sont décrits dans la décision motivée du commissaire. En conséquence, la situation de la demanderesse ne correspondait pas à celle décrite dans la lettre d’Amnistie internationale.
[106] De même, le commissaire a tenu compte de l’affidavit de M. Bálint Magyar, anciennement ministre de l’Éducation en Hongrie, lequel décrit le risque particulier auquel fait face la demanderesse en raison de son profil de défenseuse des droits des Roms. Le commissaire a cité un extrait de cet affidavit, lequel se lit comme suit : [traduction] « les activités de défense des droits de la personne comportent davantage de risques lorsque des Roms sont en cause, plutôt que des personnes d’une autre ethnie » (au paragraphe 445). Cependant, il a conclu que cela ne signifie pas que la protection de l’État n’aurait pas été accordée si la demanderesse en avait fait la demande (je constate que les parties considèrent que cette référence du commissaire est extraite de l’affidavit d’Aladar Horvath).
[107] La demanderesse conteste également l’autre commentaire du commissaire voulant que l’affidavit de M. Magyar ait été rédigé avant la condamnation, en août 2013, des auteurs des meurtres de Roms en 2009 et elle allègue que ce commentaire ne tient pas compte des actions du tribunal de Hongrie lors de la condamnation des auteurs de ces meurtres et de l’établissement de leur peine. Elle soutient que les arrestations n’ont pas éliminé les risques auxquels étaient exposés les défenseurs des droits des Roms. Il se peut qu’il en ait été ainsi; cependant, il était loisible au commissaire d’examiner l’affidavit dans le contexte global de son analyse de la protection conférée par l’État.
[108] Dans sa déclaration sous serment du 26 janvier 2012, Aladar Horvath, un important défenseur des droits des Roms selon le commissaire, a parlé des conditions actuelles des Roms en Hongrie, mais il n’a pas abordé le risque auquel peuvent être confrontés les défenseurs des droits des Roms, en général, et la demanderesse, en particulier. Lorsque je l’envisage sous l’angle de la protection conférée par l’État, je ne trouve aucune erreur de la part du commissaire dans le traitement de cet élément de preuve.
[109] La demanderesse accorde aussi beaucoup d’importance au fait que, lors de l’audience de la Cour de justice de l’Ontario, son ex-conjoint a « confirmé » que pendant des années la demanderesse avait fait l’objet de menaces et de persécution en raison de son militantisme, mais que le commissaire ne s’est pas arrêté à ce fait. À cet égard, la demanderesse réfère la Cour au paragraphe 56 de la décision de la Cour de justice de l’Ontario :
[traduction] L’[ex-conjoint] de la demanderesse soutient que le défendeur [la demanderesse aux présentes] fait l’objet de menaces et de persécution en raison de son militantisme depuis au moins dix ans; qu’elle a toléré et géré ce risque; et que son seul motif pour quitter la Hongrie (et enlevé E. du même coup) est d’ordre économique. Depuis qu’elle a perdu son siège au Parlement européen, elle est incapable de trouver un emploi qui lui convienne.
[110] J’aimerais mentionner que, dans ce paragraphe, la Cour de justice de l’Ontario récapitule l’argument de l’ex-conjoint de la demanderesse; elle ne cite pas d’éléments de preuve à l’appui de cet argument. De plus, le commissaire a cité le paragraphe 56 de la décision de la Cour de justice de l’Ontario une première fois au paragraphe 109, puis de nouveau au paragraphe 386 de sa décision motivée. Le commissaire a passé en revue la preuve offerte par la demanderesse même, dans son FRP et dans son témoignage au cours de l’audience, relativement aux menaces qu’elle a subies pendant son mandat de membre du Parlement européen, alors qu’elle jouissait continuellement de la protection de la police, et par la suite, mais il n’a pas conclu qu’elle obtiendrait une protection adéquate de l’État si elle en faisait la demande. À mon avis, la déclaration de l’ex-conjoint de la demanderesse faite dans le contexte de l’audience de la Cour de justice de l’Ontario n’était qu’un élément de preuve devant être soupesé dans le cadre de l’analyse de la protection de l’État. Le commissaire était au courant, mais il ne s’agissait pas d’un élément de preuve contradictoire essentiel, et l’omission par le commissaire de le traiter spécifiquement dans son examen du risque auquel était exposée la demanderesse en tant que défenseuse des droits des Roms n’a pas pour effet de rendre sa décision déraisonnable (Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 8667 (C.F. 1re inst.), aux paragraphes 16 et 17; Voloshyn c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 480, au paragraphe 25; Herrera Andrade c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1490, au paragraphe 9), particulièrement en raison du même argument voulant que la demanderesse fût capable de gérer le risque.
[111] À mon avis, dans la présente instance, la demanderesse s’oppose essentiellement à l’importance qui a été accordée à la preuve documentaire, question dont le règlement relève de la SPR (Huang c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 901 (1re inst.) (QL), au paragraphe 14). De plus, l’omission par l’agent de mentionner certains éléments de la preuve documentaire n’a pas pour effet de vicier sa décision, car on suppose qu’il a pesé et considéré toute la preuve dont il était saisi, jusqu’à preuve du contraire (Velinova c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 268, au paragraphe 21; Hassan c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] A.C.F. no 946 (C.A.) (QL), au paragraphe 3).
[112] Bref, je ne suis pas convaincue que le commissaire ait erré dans son traitement des éléments de preuve. Plus important encore, à l’examen de l’ensemble de l’analyse que le commissaire a faite de la protection conférée par l’État, y compris la reconnaissance du profil de la demanderesse, je conviens avec le défendeur que la demanderesse n’a pas réussi à réfuter la présomption de protection de l’État au moyen d’éléments de preuve clairs et convaincants (Canada (Procureur général) c. Ward), [1993] 2 R.C.S. 689, [aux pages 730 et 731] au paragraphe 59; Flores Carrillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, [2008] 4 R.C.F. 636, au paragraphe 38; Hinzman c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 171, au paragraphe 57).
ii) Rapports psychiatriques
[113] Même si elle ne l’a pas soulevé dans ses observations écrites au moment de sa comparution devant moi, la demanderesse soutient que le commissaire ne lui a pas fait part de ses préoccupations concernant deux rapports psychiatriques qu’elle avait soumis et, que s’appuyant sur l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, [2015] 3 R.C.S. 909 (Kanthasamy), il les a indûment ignorés. Le défendeur, qui n’avait pas réellement été avisé à l’avance de cette question, a soutenu que l’arrêt Kanthasamy ne s’appliquait pas et pouvait se distinguer en fonction des faits. Il a soutenu qu’il ne s’agissait pas d’une situation où la crédibilité n’était pas en jeu, comme dans la décision John c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 915, mais qu’elle s’apparentait davantage à la décision Sitnikova c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 464 (Sitnikova), où le commissaire avait conclu que l’histoire sur laquelle reposait le rapport psychologique n’était pas crédible et, en conséquence, il y avait accordé moins d’importance.
[114] J’aimerais tout d’abord mentionner que la décision du commissaire a été émise le 2 février 2015, tandis que l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Kanthasamy est daté du 10 décembre 2015. Par conséquent, on ne pouvait pas s’attendre à ce que le commissaire oriente son analyse des rapports psychiatriques sur le contexte de cet arrêt.
[115] Le rapport de la Dre Thirlwell, une psychiatre, est daté du 13 août 2012 (rapport Thirlwell) et celui du Dr Kumar, un psychiatre au Humber River Hospital, du 10 septembre 2013 (rapport Kumar). Le commissaire a accordé peu d’importance à ces rapports, voire aucune.
[116] Quant au rapport du Dr Kumar, le commissaire a conclu qu’il portait spécifiquement sur l’angoisse que ressentait la demanderesse à la veille de la reprise de l’audience et qu’il ne renfermait aucune information spécifique détaillée au-delà des généralités. Je ne relève aucune erreur dans cette conclusion. Ce rapport est en fait une lettre de deux paragraphes que le Dr Kumar a adressée « à qui de droit ». Ce rapport indique que le Dr Kumar traite la demanderesse pour une dépression et de l’anxiété depuis mars 2013, mais rien d’autres sur ce point. La lettre indique également que la demanderesse s’était présentée au bureau à la date indiquée dans la lettre dans un état d’anxiété grave, qu’elle attribuait à des changements récents qui avaient été apportés à l’audience relative à sa demande d’asile devant avoir lieu le lendemain et pour laquelle elle n’était absolument pas préparée et encore moins psychologiquement prête à faire face. Le Dr Kumar a déclaré qu’il ne croyait pas qu’elle était dans un état mental pour témoigner et il a ajouté qu’il serait à la fois humain et prudent de reporter l’audience. Compte tenu de cette lettre et du désir de traiter la demanderesse de manière équitable, l’audience a été reportée au 26 novembre 2013.
[117] À mon avis, la lettre a peu de valeur probante, voire aucune, et le commissaire n’a pas commis d’erreur en y accordant peu d’importance, voire aucune.
[118] Le rapport de la Dre Thirlwell, adressé à l’avocat de la demanderesse, indique que celui-ci a demandé à la demanderesse de se soumettre à une évaluation afin de déterminer son état de fonctionnement psychologique et émotionnel et les effets nocifs potentiels de son renvoi du Canada. Les 15 premières pages de ce rapport de 20 pages sont essentiellement le récit des antécédents de la demanderesse tels qu’elle les a présentés à la Dre Thirlwell. S’appuyant sur ce récit, la psychiatre a conclu que le stress émotionnel et psychologique causé par la situation dans laquelle elle se trouvait en Hongrie avait amené la demanderesse à développer des symptômes de dépression grave et de trouble de stress post-traumatique complexe, assortis de crises manifestes d’angoisse et de panique. Elle recommandait que la demanderesse se soumette à un traitement psychothérapeutique pour le trouble de stress post-traumatique et à une thérapie cognitivo-comportementale pour la dépression et l’angoisse. Son pronostic de rétablissement complet était bon, à condition qu’elle habite dans un environnement sûr et sécuritaire, qu’elle se soumette à un traitement et qu’elle ne soit pas exposée à d’autres traumatismes. Toutefois, un retour en Hongrie l’exposerait à d’autres traumatismes et précipiterait certainement une réapparition des symptômes de dépression profonde et de trouble de stress post-traumatique, ce qui causerait des dommages psychologiques et émotionnels irréversibles.
[119] Le commissaire a déclaré que le rapport de la Dre Thirlwell était fondé sur ce que la demanderesse lui avait déclaré et sur une seule consultation. En raison de sa conclusion que la demanderesse n’était pas crédible, eu regard de certains aspects majeurs de sa demande sur lesquels reposaient les faits du rapport, il a également accordé peu de valeur probante à ce rapport. Le commissaire a également mentionné des omissions et des incohérences entre le contexte factuel dans le rapport de la Dre Thirlwell et les éléments de preuve qui lui avaient été soumis et il a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que la demanderesse avait consulté la psychiatre uniquement aux fins de sa demande de statut de réfugié et, plus directement, pour appuyer une demande de sursis de l’ordonnance de renvoi de son conjoint, renvoi qui était prévu pour le lendemain. Il a mentionné que, même si elle était arrivée au Canada en novembre 2011, la demanderesse n’avait consulté la Dre Thirlwell qu’en août 2012.
[120] Le rôle de la Cour n’est pas de réévaluer la preuve présentée ni de changer la décision (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Ali, 2016 CF 709, au paragraphe 30; Mantilla Cortes c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 254, au paragraphe 15). Ici, le commissaire a évalué le rapport et y a accordé peu d’importance, parce que celui-ci reposait sur le contexte factuel décrit par la demanderesse qui n’avait pas été jugée crédible. Il a informé la demanderesse de ses préoccupations à son sujet et, en conséquence, à mon avis et dans ces circonstances, il n’était pas tenu de les présenter également à la demanderesse dans le contexte spécifique de la situation entourant le rapport de la Dre Thirlwell. En outre, la Cour a déjà établi que les conclusions de la SPR quant à la crédibilité peuvent s’étendre à tous les éléments de preuve pertinents, y compris les éléments de preuve documentaire (Lawal c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 558, au paragraphe 22; Cao c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 315, au paragraphe 20).
[121] En fait, cette affaire présente des similitudes avec la décision Sitnikova. Dans cette affaire, dans le contexte d’une décision pour motifs d’ordre humanitaire, la demanderesse avait soumis une évaluation psychologique qui faisait état d’un trouble de stress post-traumatique, complexe, ainsi que d’une dépression accompagnée d’anxiété et d’idées suicidaires. Il avait également été établi que la demanderesse devait recevoir un traitement par antidépresseurs et suivre une thérapie cognitivo-comportementale et une thérapie interpersonnelle. Il avait été conclu que la demanderesse aurait des séquelles affectives et psychologiques irréversibles si elle retournait en Russie, et qu’elle présentait un risque grave de suicide. Le commissaire avait accordé peu d’importance au rapport et la demanderesse, s’appuyant sur la décision Kanthasamy (aux paragraphes 47 et 48), avait déclaré que, ce faisant, il avait commis une erreur. Le juge Zinn n’était pas de cet avis :
La présente affaire se distingue de l’affaire Kanthasamy du fait que, contrairement à l’agente dans cette affaire, l’agente en l’espèce ne semblait pas accepter le diagnostic psychologique.
En d’autres mots, l’agente n’a pas contesté le jugement clinique du Dr Thirlwell; elle a simplement conclu que le récit sur lequel son diagnostic était fondé n’était pas crédible, et que le comportement subséquent de la demanderesse n’était pas celui d’une personne gravement malade et ayant besoin du traitement [traduction] « requis » selon le Dr Thirlwell. Il ne s’agit pas d’une évaluation déraisonnable de la valeur probante du rapport.
[Sitnikova, aux paragraphes 36 et 37]
[122] De même, dans la présente instance, compte tenu des conclusions négatives concernant la crédibilité, je ne peux pas conclure que l’évaluation par le commissaire de l’importance qu’il fallait accorder au rapport de la Dre Thirlwell était déraisonnable.
Troisième question en litige : Est-ce que le commissaire a outrepassé sa compétence ou failli à son obligation d’équité procédurale?
i) Demandes de la sœur et de la mère de la demanderesse
[123] En ce qui concerne les demandes de sa sœur et de sa mère, la demanderesse ne conteste pas l’examen qu’a fait le commissaire du matériel contenu dans leurs demandes. En fait, c’est la demanderesse qui a soulevé ces deux demandes par voie de divulgation postérieure à l’audience, au cours de laquelle elle a déclaré que sa sœur, les enfants de sa sœur et sa mère avaient présenté des demandes de statut de réfugié après avoir reçu des menaces écrites. En outre, elle a divulgué l’information contenue dans la demande de sa sœur. Elle ne conteste pas non plus l’importance accordée aux documents, admettant que cela relevait du pouvoir du commissaire. Cependant, elle affirme que le commissaire a considérablement outrepassé les paramètres visant la décision raisonnable et sa compétence en concluant qu’aucune des allégations faites par sa sœur et sa mère n’était crédible, et ce, sans avoir procédé à une audience et en dépit du fait que leurs demandes étaient toujours en instance devant un autre commissaire de la SPR. La demanderesse fait valoir que, même si le commissaire a agi dans les limites de sa compétence, il y a eu un manquement à l’équité procédurale envers sa sœur et sa mère et qu’il en résulte un tort, car le commissaire de la SPR qui est saisi des demandes de sa sœur et de sa mère peut, en appliquant la règle 21 [des Règles de la SPR], consulter son dossier et s’appuyer sur la conclusion du commissaire à l’effet que les demandes de sa sœur et de sa mère n’étaient pas crédibles.
[124] Je constate que, dans cette décision, le commissaire décrit en détail les éléments de preuve contenus dans les demandes de la sœur et de la mère de la demanderesse. Il mentionne également que [traduction] « Ce tribunal n’est pas celui qui tranchera les demandes de » la sœur, des enfants de la sœur et de la mère de la demanderesse (au paragraphe 511). Au contraire, il précise que son mandat consiste à examiner les éléments de preuve qui lui sont présentés et à déterminer la pertinence de ces demandes pour la demande de la demanderesse (au paragraphe 512). La demanderesse soutient que les demandes étaient pertinentes pour la sienne, car elles démontraient l’intérêt que continuaient à lui manifester les agents de persécution en Hongrie et l’incapacité ou le manque de volonté de la police à lui fournir une protection adéquate. Dans ce contexte, le commissaire a déclaré que, si la sœur de la demanderesse et les autres membres de sa famille vivaient en paix et en sécurité à Budapest jusqu’en avril 2014, il [traduction] « fallait se demander » si tous choisiraient alors de déménager à un endroit qui, selon le témoignage de la demanderesse, était associé le plus étroitement à elle et à son domicile à Budapest, surtout à la lumière de son allégation continue d’une crainte bien fondée de persécution de la part des néo-nazis, entre autres, à Budapest. Sur ce point, il a conclu [au paragraphe 522] que :
[traduction] À mon avis, il est tout simplement invraisemblable que, si l’une ou l’autre des affirmations de l’un ou l’autre de ces demandeurs était vraie, que n’importe quel membre de la famille [de la demanderesse] choisirait de déménager dans cette maison.
[125] En terminant, il a déclaré [au paragraphe 525] :
[traduction] Pour les raisons qui précèdent, j’ai accordé peu d’importance, voire aucune, aux allégations faites par [la sœur de la demanderesse] ou les autres membres de la famille dans ces nouvelles demandes de statut de réfugié. Vu les éléments de preuve qui ont été présentés à ce tribunal, y compris les allégations négatives mentionnées, je ne peux pas conclure que ces nouvelles allégations par ou au sujet de [la sœur de la demanderesse] constituent des éléments de preuve crédibles ou dignes de confiance […]
[126] Même si le libellé choisi par le commissaire dans ce paragraphe manque de précision, il avait déjà mentionné qu’il n’était pas le décideur dans le cas des demandes de la sœur et de la mère de la demanderesse et qu’il les examinait dans le contexte de leur pertinence pour la demande de la demanderesse. Vu sous cet angle, je ne suis pas d’accord avec l’observation de la demanderesse voulant que le commissaire ait « conclu » qu’aucune des allégations présentées par sa sœur et sa mère n’était crédible. Au contraire, compte tenu de tous les éléments de preuve qui lui avaient été présentés, y compris ses conclusions négatives concernant la crédibilité de la demanderesse, il leur a accordé peu d’importance car il était incapable de conclure que ceux-ci étaient crédibles.
[127] Quoi qu’il en soit, même si le décideur qui doit se pencher sur les demandes de la sœur et de la mère de la demanderesse devait passer en revue la décision du commissaire, dans la mesure où le commissaire a décrit ses préoccupations concernant les éléments de preuve offerts dans le contexte de l’évaluation de la demande de la demanderesse, ce décideur serait en mesure de porter ces préoccupations à l’attention de ces demandeurs. Je ne vois aucune raison pour laquelle l’allégation de la demanderesse voulant que le commissaire ait privé ces demandeurs de l’équité procédurale en ne les informant pas de ses préoccupations concernant leur témoignage lors de l’audience de la demanderesse. À mon avis, vu les circonstances, il n’y a pas eu de manquement au devoir d’équité procédurale envers la demanderesse.
ii) Demandes d’asile d’un ancien employé
[128] En ce qui concerne la demande d’asile du prétendu ancien employé, lorsque la SPR a entendu cette demande, une lettre de la demanderesse attestant du travail du prétendu ancien employé auprès d’elle n’avait pu être admise en preuve. La SPR a rejeté les demandes, tirant une conclusion défavorable du défaut de produire la lettre et a conclu que, de fait, le prétendu ancien employé n’avait pas été à l’emploi de la demanderesse. Elle a également tiré une conclusion défavorable du défaut de la famille d’expliquer pourquoi une attaque subie en 2009 n’avait pas été mentionnée au point d’entrée, et la SPR a conclu que les membres de la famille disposaient d’une protection adéquate de l’État en Hongrie. Elle a rejeté leur demande en février 2011, et l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire de cette décision a été refusée en juin 2011. En août 2012, la Cour a rejeté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’encontre du refus de la SPR de rouvrir la demande du fait de l’incompétence de leur avocat qui a omis de déposer la lettre de la demanderesse. Toutefois, le juge Russell a conclu que, étant donné que la lettre traitait des activités et du profil du prétendu ancien employé en Hongrie, elle était pertinente aux fins d’une analyse de la protection de l’État … Par conséquent, si elle a été injustement écartée, les conclusions sur la protection de l’État ne sauraient tenir. La famille a également déposé une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire et une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR), lesquelles ont été rejetées en janvier 2014. Comme des procédures disciplinaires avaient été entreprises contre son ancien avocat, la famille a demandé que sa demande pour des considérations d’ordre humanitaire et sa demande d’ERAR soient rouvertes, mais les deux requêtes ont été rejetées par un agent principal d’immigration en mars 2014. Le même mois, la famille a demandé à faire annuler la décision de lui refuser l’autorisation d’un contrôle judiciaire de la décision originale de la SPR, en raison de l’inconduite de son ancien avocat. La requête a été rejetée parce que la famille n’avait pas complété sa demande.
[129] En conséquence, et conformément à ce qu’avance le défendeur, lorsque le commissaire a rendu sa décision le 2 février 2015, la demande du prétendu ancien employé avait été rejetée. Par la suite, le 2 mars 2015, le Barreau du Haut-Canada a reconnu coupable d’inconduite professionnelle l’ancien avocat du prétendu ancien employé. La famille a alors déposé une demande de contrôle judiciaire à l’encontre des décisions prises antérieurement concernant la demande d’ERAR et la demande pour considérations d’ordre humanitaire. En mai 2015, la Cour a annulé les décisions concernant la demande d’ERAR et la demande pour considérations d’ordre humanitaire, au motif qu’elles reposaient grandement sur la décision de la SPR, par laquelle elle écartait la lettre de la demanderesse.
[130] Toutefois, à mon avis, la question importante en l’espèce, comme l’a soulevé le commissaire, concernait l’omission dans le témoignage de la demanderesse de toute référence à son prétendu ancien employé. À cet égard, le commissaire a souligné que le prétendu ancien employé avait affirmé avoir travaillé au bureau de la demanderesse entre 2004 et 2009, et été notamment chargé d’enquêter relativement aux plaintes des Roms de Hongrie et aux abus dont ils ont été victimes, et que lui-même et les membres de sa famille avaient été victimes d’attaques et avaient vécu de la persécution en Hongrie en raison de ce travail. Le commissaire a reconnu que l’ancien employé avait tenté de déposer une lettre de la demanderesse appuyant leur demande, laquelle a été rejetée.
[131] Le commissaire a souligné que dans la lettre refusée fournie par la demanderesse, cette dernière s’identifiait comme l’actuelle directrice de l’organisme « Fund of Movement for Desegregation » (Fonds du mouvement pour la déségrégation) et affirmait que le prétendu ancien employé avait travaillé pour elle entre 2004 et 2009. Le commissaire a souligné que la demanderesse n’avait pas fait mention de son travail au sein de cet organisme dans son FRP. Il a également souligné qu’on avait fait référence à la demanderesse dans un article de magazine paru le 26 septembre 2014, portant sur la famille du prétendu ancien employé et décrivant la participation du prétendu ancien employé dans le travail de la demanderesse et la demande d’asile de la famille au Canada. Le 12 novembre 2014, le commissaire a écrit à l’avocat de la demanderesse pour lui communiquer des documents concernant la demande du prétendu ancien employé devant le commissaire et devant la Cour, la lettre de la demanderesse et l’article de magazine. Le commissaire a demandé une preuve écrite supplémentaire de la part de la demanderesse concernant sa relation avec le prétendu ancien employé. Son affidavit en réponse daté du 17 novembre 2014 a été reçu le 3 décembre 2014. Le commissaire a souligné que la demanderesse avait témoigné que le prétendu ancien employé avait travaillé pour elle en Hongrie, et qu’elle était au courant de l’attaque alléguée contre lui et sa famille menée par des néo-nazis. Toutefois, il n’a été aucunement fait mention du prétendu ancien employé ou de ses problèmes dans le FRP de la demanderesse. Dans son affidavit, elle donne comme explication à cela que bien qu’elle n’ait pas nommé le prétendu ancien employé par son nom, elle a bel et bien affirmé au paragraphe 43 de son exposé circonstancié que les membres de sa famille et ses collègues recevaient quotidiennement des insultes et des menaces durant son mandat comme députée du Parlement européen. Elle a affirmé qu’elle n’avait pas fourni plus de détails au sujet du prétendu ancien employé dans son FRP parce que sa situation ne constituait pas un facteur important justifiant sa décision de venir au Canada deux ans plus tard. Alors que sa demande à lui dépendait largement de sa relation avec elle, sa demande à elle ne dépendait pas de sa relation avec lui. De plus, au moment où elle est arrivée au Canada et a préparé son FRP, sa demande avait déjà été rejetée par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, la Cour fédérale et un agent d’ERAR. Elle a donné la même explication pour justifier qu’elle n’ait pas fait mention de son nom au moment de l’audition.
[132] Le commissaire n’a pas accepté cette explication. Il a conclu que la demanderesse avait été représentée par un avocat expérimenté et que les consignes du FRP demandaient de décrire tous les événements significatifs ainsi que les mesures prises contre elle et sa famille, de même que contre des personnes qui étaient dans la même situation. En outre, l’allusion dans son FRP aux menaces et insultes reçues par des collègues ne pouvait être assimilée aux allégations du prétendu ancien employé selon lesquelles il a été victime d’un guet-apens orchestré par quatre hommes masqués qui ont percuté sa voiture avec leur jeep et l’ont attaqué lui et sa femme, et qui s’en seraient pris à sa fille de 18 mois s’il n’avait pas tenté de la protéger en se couchant sur elle pendant qu’on le frappait. Le commissaire a souligné que le prétendu ancien employé affirmait qu’il avait été ciblé précisément en raison de son association avec la demanderesse et son travail. Le commissaire a conclu ce qui suit [aux paragraphes 499 à 504] :
[traduction] Je rejette l’explication [de la demanderesse] concernant cette omission. Je conclus que cette explication n’était pas crédible ni digne de confiance. Si une quelconque partie du témoignage [de l’ancien employé] était vraie, je me serais attendu à ce qu’elle s’en souvienne et l’utilise pour appuyer sa propre demande d’asile et celles de ses enfants. Elle est bien au fait des règles de droit, dans la mesure où elle a fait des recherches sur le droit canadien en matière de réfugiés avant d’arriver ici.
Je remarque également qu’on a tiré, dans la décision relative à la demande [de l’ancien employé], une conclusion défavorable en matière de crédibilité parce que les notes de la demande d’asile de son épouse adressée à Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) ne parlaient pas de l’attaque physique dont elle a fait mention dans son dernier témoignage, et que les notes de CIC indiquaient qu’il n’y avait pas eu de sang versé.
Je conclus, selon une prépondérance des probabilités, qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles et dignes de confiance confirmant que l’attaque alléguée d’août 2009 contre [l’ancien employé] et sa famille, menée par des néo-nazis, ait jamais eut lieu.
De plus, je conclus qu’il est singulièrement peu probable, en supposant que cette attaque ait vraiment eu lieu, qu’une personne bien informée et au fait du droit, comme la demanderesse adulte […], n’en ait pas fait mention dans son FRP à titre d’exemple important d’une personne dans la même situation.
Le tribunal tire une conclusion défavorable concernant la crédibilité [de la demanderesse]. Je conclus qu’elle a fourni des éléments de preuve corroborants, y compris son certificat et son curriculum vitae — pour appuyer la demande d’asile frauduleuse [de l’ancien employé] —, qu’elle savait ou aurait dû savoir frauduleuse. Elle a reconnu dans son affidavit qu’elle continue à soutenir les efforts de ce dernier pour demeurer au Canada en donnant des entrevues confidentielles aux médias. Je conclus, selon une prépondérance des probabilités, qu’elle a été une complice consentante dans la tentative faite par [l’ancien employé] et sa famille de présenter une fausse demande d’asile.
Je conclus que cela vient appuyer davantage ma conclusion selon laquelle elle manque en général de crédibilité.
[133] Ainsi, l’inquiétude du commissaire concernait une omission importante dans le FRP de la demanderesse et son témoignage oral. Il a souligné de manière raisonnable que si le prétendu ancien employé avait travaillé pour la demanderesse, et qu’en raison de son travail avait été attaqué par des néo-nazis, et que si la demanderesse, comme elle l’a reconnu dans son affidavit, était au courant de l’attaque et que sa famille avait décidé de quitter la Hongrie à cause de cette attaque, il s’agissait alors d’une information importante qui soutenait sa demande d’asile. Le commissaire n’était pas non plus obligé d’accepter l’explication de la demanderesse relative à l’omission (Jin c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 595, au paragraphe 11; Fatima c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 94, au paragraphe 6). Je ne peux affirmer que sa conclusion, et l’inférence négative qu’il en a tirée en matière de crédibilité, étaient déraisonnables.
[134] En ce qui concerne l’équité procédurale, le commissaire a transmis les documents à la demanderesse, a posé des questions précises en lui demandant notamment pour quelle raison elle n’avait pas fait mention du prétendu ancien employé dans son FRP ou à l’audition, et lui a fourni l’occasion de répondre, ce qu’elle a fait par affidavit. À mon avis, la demanderesse n’a pas été privée de l’équité procédurale à cet égard.
[135] En ce qui concerne l’argument de la demanderesse selon lequel l’équité procédurale exigeait que les préoccupations du commissaire soient transmises au prétendu ancien employé avant qu’il ne tire ses conclusions hautement préjudiciables quant à la crédibilité, il ne paraît pas fondé. Le commissaire ne jugeait pas la demande d’asile du prétendu ancien employé qui, au moment de rendre sa décision, avait déjà été rejetée.
[136] En ce qui concerne la conclusion du commissaire selon laquelle la demanderesse était une [traduction] « complice consentante » de la tentative faite par le prétendu ancien employé et sa famille de présenter une demande d’asile [traduction] « frauduleuse », il était superflu de tirer une telle conclusion, à la lumière des nombreuses conclusions négatives précédentes en matière de crédibilité. Il a aussi omis de reconnaître qu’en février 2015, la question de l’incompétence de l’avocat dans le dossier des demandes d’asile de la famille était encore d’actualité; il semble qu’il ait été au courant de ce problème, puisqu’il souligne que dans l’article de magazine du 23 septembre 2014, on raconte que la famille attendait pour témoigner contre son ancien avocat devant le Barreau du Haut-Canada (au paragraphe 488). Toutefois, étant donné le statut de la demande d’asile du prétendu ancien employé au moment où le commissaire a rendu sa décision, je ne peux conclure qu’il s’agit là d’une erreur abusive ou susceptible de révision. Cela dit, et comme il est précisé ci-dessous, la question de savoir si les motifs invoqués par le commissaire ont pu donner lieu à une crainte raisonnable de partialité est préoccupante.
Crainte raisonnable de partialité
Position de la demanderesse
[137] La demanderesse affirme que la décision du commissaire montre une profonde hostilité à son égard et donne lieu à une crainte raisonnable de partialité. L’extraordinaire litanie de conclusions négatives tirées quant à la crédibilité, non seulement contre la demanderesse, mais également contre les personnes ayant des liens avec elle, les erreurs qui caractérisent la décision faisant l’objet de l’examen, ainsi que le langage utilisé par le commissaire le prouvent. La demanderesse affirme que la décision du commissaire donne l’impression que ses efforts à défendre les Roms et sa décision d’amener sa fille aînée au Canada ont offensé le commissaire et l’ont empêché de rendre une décision objective et impartiale.
Position du défendeur
[138] Selon le défendeur, le fait que la demanderesse ait omis de soulever les allégations de partialité au moment de l’audition devant le commissaire l’empêche de soulever cette question en contrôle judiciaire. En outre, les allégations de partialité de la demanderesse ne sont que l’expression de son insatisfaction à l’égard de la conclusion du commissaire, selon laquelle elle a tendance à exagérer et à embellir son témoignage. Le défendeur affirme que la demanderesse n’a fourni aucun élément de preuve concret pour étayer ses allégations de partialité.
Analyse
[139] Même s’il est vrai que les allégations de crainte raisonnable de partialité doivent être soulevées à la première occasion et que le fait de ne pas le faire entraînera une renonciation implicite au droit d’invoquer ces allégations ultérieurement, l’allégation de partialité découle, en l’espèce, des motifs écrits fournis par le commissaire. Par conséquent, la question de la renonciation ne se pose pas (Xi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 174, aux paragraphes 28, et 31 à 33).
[140] La Cour suprême du Canada a décrit le test applicable à la crainte raisonnable de partialité dans l’arrêt R. c. S. (R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484 (SRD) [aux paragraphes 31, 104 à 106] :
Le test applicable à la crainte raisonnable de partialité a été énoncé par le juge de Grandpré dans Committee for Justice and Liberty c. Office national de l’énergie, [1978] 1 R.C.S. 369. Bien qu’il ait été dissident, le test qu’il a formulé a été adopté par la majorité et a été constamment repris par notre Cour au cours des deux décennies subséquentes : voir par exemple Valente c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 673; R. c. Lippé, [1991] 2 R.C.S. 114; Ruffo c. Conseil de la magistrature, [1995] 4 R.C.S. 267. Le juge de Grandpré a déclaré, aux pp. 394 et 395 :
… la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. […] [C]e critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? »
Toutefois, les motifs de crainte doivent être sérieux et je […] refuse d’admettre que le critère doit être celui d’« une personne de nature scrupuleuse ou tatillonne ».
[…]
Dans l’arrêt Valente c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 673, à la p. 685, le juge Le Dain a conclu que la notion d’impartialité désigne « un état d’esprit ou une attitude du tribunal vis-à-vis des points en litige et des parties dans une instance donnée ». Il a ajouté : « [l]e terme “impartial » […] connote une absence de préjugé, réel ou apparent ». Voir également R. c. Généreux, [1992] 1 R.C.S. 259, à la p. 283. Dans un sens plus positif, l’impartialité peut être décrite — peut-être de façon quelque peu inexacte — comme l’état d’esprit de l’arbitre désintéressé eu égard au résultat et susceptible d’être persuadé par la preuve et les arguments soumis.
Par contraste, la partialité dénote un état d’esprit prédisposé de quelque manière à un certain résultat ou fermé sur certaines questions. Le juge Scalia a fourni une explication intéressante de cette notion dans Liteky c. U.S., 114 S.Ct. 1147 (1994), à la p. 1155 :
[traduction] Les termes [partialité ou préjugé] connotent une disposition ou une opinion favorable ou défavorable qui, pour une raison ou une autre, est erronée ou inappropriée, soit parce qu’elle est injustifiée ou qu’elle repose sur des connaissances que le sujet ne devrait pas posséder (par exemple, dans un procès criminel, le juré qui devient partial ou est de parti pris après avoir reçu des éléments de preuve inadmissibles concernant les activités criminelles antérieures du défendeur), ou parce qu’elle est excessive (par exemple, le juré dans un procès criminel qui est si offusqué par la preuve des activités criminelles antérieures du défendeur, légalement admise, qu’il votera la culpabilité quels que soient les faits). [En italique dans l’original.]
Le juge Scalia a pris soin de souligner que ce ne sont pas toutes les dispositions favorables ou défavorables qui justifieront qu’on parle de partialité ou de préjugé. Ainsi, on ne saurait prétendre que ceux qui condamnent Hitler sont partiaux ou ont un parti pris. Cette disposition défavorable est objectivement justifiable — en d’autres termes, elle n’est pas « erronée ou inappropriée » : Liteky, précité, à la p. 1155.
Ces principes sont exposés de manière similaire dans R. c. Bertram, [1989] O.J. No. 2123 (H.C.), où le juge Watt a fait observer ceci, aux pp. 51 et 52 :
[traduction] Dans la langue courante, le terme partialité désigne une tendance, une inclination ou une prédisposition conduisant à privilégier une partie plutôt qu’une autre ou un résultat particulier. Dans le domaine des procédures judiciaires, c’est la prédisposition à trancher une question ou une affaire d’une certaine façon qui ne permet pas au juge d’être parfaitement ouvert à la persuasion. La partialité est un état d’esprit qui infléchit le jugement et rend l’officier judiciaire inapte à exercer ses fonctions impartialement dans une affaire donnée.
Voir également R. c. Stark, [1994] O.J. No. 406 (Div. gén.), au par. 64; Gushman, précité, au par. 29.
[141] Il incombe à la demanderesse d’établir que les actions ou les motifs du commissaire prouvaient une partialité réelle ou apparente (SRD, au paragraphe 114). La norme à respecter à cet égard est rigoureuse. Comme l’a indiqué le juge Shore dans l’affaire Zhu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1139, au paragraphe 2 :
Le demandeur qui allègue la partialité doit satisfaire à une norme très rigoureuse. Il doit fournir une « preuve convaincante » démontrant qu’un aspect de la conduite d’un commissaire de la Section de la protection des réfugiés [SPR] suscite une crainte raisonnable de partialité (R c RDS, [1997] 3 RCS 484, aux paragraphes 116 et 117). La Cour d’appel fédérale a affirmé dans l’arrêt Arthur c Canada (Canada (Procureur général)), 2001 CAF 223, qu’une allégation de partialité ne peut être faite à la légère :
[8] […] Une allégation de partialité, surtout la partialité actuelle et non simplement appréhendée, portée à l’encontre d’un tribunal, est une allégation sérieuse. Elle met en doute l’intégrité du tribunal et des membres qui ont participé à la décision attaquée. Elle ne peut être faite à la légère. Elle ne peut reposer sur de simples soupçons, de pures conjectures, des insinuations ou encore de simples impressions d’un demandeur ou de son procureur. Elle doit être étayée par des preuves concrètes qui font ressortir un comportement dérogatoire à la norme. […] [Souligné dans l’original.]
(Voir également Commission scolaire francophone du Yukon, district scolaire #23 c. Yukon (Procureure générale), 2015 CSC 25, [2015] 2 R.C.S. 282, aux paragraphes 20 à 26).
[142] La demanderesse prétend que la combinaison des nombreuses erreurs du commissaire dans sa décision et de l’extraordinaire litanie d’allégations négatives quant à la crédibilité avancées contre elle et contre toute personne en lien avec elle donne ouverture à une crainte raisonnable de partialité. Plus précisément, elle affirme qu’un examen de la décision laisse la nette impression que les efforts de la demanderesse pour défendre les Roms et sa malheureuse décision d’amener sa fille avec elle au Canada lorsqu’elle a présenté sa revendication du statut de réfugié (contrairement à l’ordonnance de garde) ont tellement offensé le commissaire qu’il ne pouvait rendre une décision objective et impartiale concernant sa demande d’asile. La demanderesse affirme que la décision du commissaire est remplie de termes et de conclusions qui laissent croire fortement à l’existence d’une profonde hostilité à l’égard de la demanderesse.
[143] La demanderesse ne fournit qu’un seul exemple de cela tiré de la décision [aux paragraphes 406 et 407] :
[traduction] De plus, je conclus que la référence au risque d’un nouvel Holocauste pour les Roms de Hongrie dans le témoignage [de la demanderesse] est une autre preuve de sa tendance à embellir et à exagérer. L’Holocauste se caractérisait par un programme hautement organisé de génocide à une échelle industrielle, en vertu duquel plus de 10 millions de personnes ont été tuées sous le régime nazi en Europe. Son but était d’éliminer les Juifs d’Europe, les Roms, les homosexuels, les Slaves, les untermenschen ou les personnes souffrant d’incapacités physiques ou mentales, et les opposants au Troisième Reich.
Je ne partage pas le point de vue [de la demanderesse] voulant que la situation des Roms en Hongrie, que ce soit lorsqu’elle a quitté le pays en 2011 ou encore en 2015, soit comparable aux atrocités du Troisième Reich, ni même au climat de dégradation qui prévalait dans l’Allemagne des années 1930.
[144] Ce commentaire a été fait alors que le commissaire se penchait sur le défaut par la demanderesse de revendiquer le statut de réfugié lorsqu’elle a visité les États-Unis en 2010. Dans ses motifs, il a indiqué que lors de l’audience, il avait demandé pour quelle raison la demanderesse était retournée en Hongrie au lieu de présenter une demande d’asile aux États-Unis, compte tenu de ses allégations au sujet de ses craintes en Hongrie. Elle a répondu qu’elle ne pouvait laisser ses gens mourir dans un pays, et que c’était [traduction] « [s]a supposée mission », et a ajouté [traduction] : « Il reste un faible espoir que je puisse continuer à arrêter le nouvel Holocauste ». Elle a ajouté qu’elle avait discuté d’une possible demande d’asile avec un conseiller à l’ambassade des États-Unis à Budapest et qu’on l’avait informée que même s’il était probable que sa demande puisse être acceptée, elle ne pourrait parler des secrets d’État hongrois ou défendre la cause des droits de la personne, parce que les États-Unis ne voulaient pas soulever de problèmes diplomatiques, et qu’elle serait donc censurée. Elle a affirmé qu’elle n’avait pas demandé conseil pendant son séjour aux États-Unis parce qu’elle ne connaissait aucun avocat spécialisé en immigration, qu’elle avait un horaire chargé, et qu’elle n’avait pas le courage de remettre en question ce que lui avait dit le conseiller à l’ambassade des États-Unis à Budapest. Le commissaire a fourni ses raisons expliquant pourquoi il ne considérait pas crédibles ses explications concernant le fait qu’elle n’ait pas demandé asile, conclusion que n’a pas contestée la demanderesse, et a tiré une conclusion négative quant à sa crédibilité et à sa crainte subjective. C’est à ce moment qu’il a ajouté le commentaire mentionné plus haut concernant l’Holocauste. À mon avis, même s’il est trop éditorial, ce commentaire traduisait la conclusion que tirait le commissaire, selon laquelle la référence à l’Holocauste constituait une autre preuve de la tendance qu’avait la demanderesse à embellir, à exagérer, conclusion que confirme le dossier.
[145] Cela dit, j’ai examiné la décision dans son ensemble afin de voir si une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, en arriverait à la conclusion que selon toute vraisemblance le commissaire, consciemment ou non, n’a pas rendu ou ne pouvait pas rendre une décision juste. À cet égard, j’ai également lu les transcriptions de chaque journée d’audience.
[146] À la suite de cela, j’ai la conviction que l’affirmation de la demanderesse selon laquelle le commissaire a été offensé par le fait qu’elle défende les droits des Roms n’est pas fondée. La demanderesse ne fait référence à aucun point dans les motifs pour soutenir cette allégation. Après avoir examiné la décision et lu la transcription de l’audience, je ne trouve rien qui mènerait à cette impression. De plus, la transcription ne contient rien qui viendrait appuyer toute suggestion de partialité relativement à cette question, de quelque façon.
[147] Toutefois, en ce qui concerne les motifs du commissaire, j’ai été interpelée par l’importance qu’il accorde à la conduite de la demanderesse en lien avec l’enlèvement de son enfant de Hongrie, et les nombreuses références souvent inutiles à cette conduite. Plus particulièrement, je m’interroge à savoir si la désapprobation exprimée par le commissaire relativement aux actes de la demanderesse en lien avec l’enlèvement, actes qui selon la décision de la Cour de justice de l’Ontario et les motifs du commissaire ne méritent aucune éloge, a influé dans l’ensemble sur sa décision. J’ai également été troublée par l’usage que fait le commissaire de termes très forts lorsqu’il décrit la conduite de la demanderesse.
[148] Le commissaire a accordé une importance considérable et répétée aux actes de la demanderesse concernant l’enlèvement, notamment à ses allégations relatives au comportement sexuel inapproprié de son ex-mari, allégations qui selon la Cour de justice de l’Ontario ne pouvaient être établies selon une prépondérance des probabilités et étaient fausses selon le commissaire, ainsi qu’à ses tentatives en vue de tromper et d’influencer indûment l’enfant afin d’obtenir un avantage au point de vue de la garde, comme l’ont conclu la Cour de justice de l’Ontario et le commissaire. Toutefois, à cet égard, il a également abordé des questions connexes soulevées pour la première fois par la demanderesse à l’audition. Par exemple, la demanderesse a soutenu que l’enquêteur clinique du Bureau de l’avocat des enfants nommé par la Cour de justice de l’Ontario s’était secrètement rendu en Hongrie et avait rendu visite à son ex-mari, ce qui selon le commissaire traduisait une collusion et une partialité. Le commissaire a conclu qu’il n’y avait pas de preuve que cette allégation avait été soulevée devant la Cour de justice de l’Ontario, contrairement à ce qu’on pourrait raisonnablement s’attendre. À cet égard, il a conclu qu’il y avait peu de limites à ce que la demanderesse était prête à dire concernant l’enquêteur du Bureau de l’avocat des enfants et la conduite de son ex-mari, et que dans l’ensemble, son témoignage sur l’enlèvement sapait l’idée qu’il se faisait de la crédibilité générale de la demanderesse.
[149] Dans son analyse des facteurs d’inclusion, le commissaire a poursuivi et tiré d’autres conclusions négatives quant à la crédibilité, qui n’étaient pas fondées sur la conduite de la demanderesse dans le retrait de son enfant de Hongrie, conclusions qui une fois de plus n’ont pas été contestées par la demanderesse.
[150] Par exemple, il a également examiné l’allégation de la demanderesse présentée durant l’instance devant la Cour de justice de l’Ontario, selon laquelle elle ressentait une grande crainte de persécution de la part de néo-nazis depuis qu’elle vivait au Canada. Son explication sur ce point était qu’un journaliste hongrois vivant aux États-Unis, dont le nom lui échappait, lui avait dit en février 2012 que l’essentiel de l’organisation néo-nazie hongroise se trouvait à Toronto. Le commissaire a souligné que rien ne corroborait cela, et que malgré le fait que la demanderesse ait prétendu vivre au Canada dans l’anonymat, elle avait donné des entrevues à la presse, qui l’avait citée, avait utilisé sa photo ou avait fait référence aux demandes d’asile auxquelles elle participait, comme celles de la famille du prétendu ancien employé. Le commissaire a conclu que cette crainte des néo-nazis au Canada était spéculative et prouvait une fois de plus que la demanderesse avait une [traduction] « profonde propension » à faire des déclarations trompeuses, à embellir ou à exagérer.
[151] Il ne fait aucun doute que le commissaire a accordé dans ses motifs une grande importance à la conduite de la demanderesse relativement à l’enlèvement de son enfant, conduite qui selon lui minait sa crédibilité. Toutefois, ce n’était pas là le seul fondement de ses conclusions et, lorsque je les lis dans leur ensemble, je ne peux conclure qu’une personne raisonnable penserait que selon toute vraisemblance, le commissaire n’a pas, consciemment ou non, rendu une décision juste, que ce soit en se fondant sur ses conclusions concernant les circonstances entourant l’enlèvement ou autrement. Et en fonction de la preuve de la demanderesse dans son ensemble, il n’était pas déraisonnable pour lui de conclure qu’elle n’était pas crédible et qu’elle avait tendance à embellir dans le but d’étayer ses positions. Même s’il ne fait aucun doute que le commissaire pouvait et aurait dû le dire d’une manière plus neutre, en adoptant un ton semblable à celui de la Cour de justice de l’Ontario, et qu’il pouvait et aurait dû s’en tenir aux conclusions nécessaires à sa décision, je ne suis pas convaincue en bout de ligne, mais non sans émettre une réserve, que ses motifs constituent une preuve convaincante ou satisfont aux exigences très strictes permettant d’établir une crainte raisonnable de partialité.
Question à certifier
[152] La demanderesse a demandé que, dans l’éventualité où sa demande serait rejetée, les questions suivantes soient certifiées :
i. Est-ce que l’existence d’un traité multilatéral sur les aspects civils de l’enlèvement international d’un enfant fait de l’enlèvement parental d’un enfant un crime présumé grave aux fins d’exclusion, aux termes de l’alinéa 1Fb) de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés?
ii. Est-ce que l’alinéa 1Fb) de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés s’applique si l’actus reus du crime survient après l’entrée au Canada à titre de demandeur d’asile, dans le cas où le mens rea existait avant l’entrée?
iii. Est-ce qu’une personne peut être exclue pour enlèvement d’enfant en vertu de l’alinéa 1Fb) de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés si l’intention de la personne en amenant l’enfant au Canada était de revendiquer le statut de réfugié?
[153] Le défendeur a proposé la question suivante à examiner :
Pour décider s’il faut refuser à une partie le statut de réfugié en se fondant sur un acte pour lequel elle n’a été ni accusée ni condamnée, dans quelle mesure le décideur est-il autorisé à utiliser la décision Kovacs c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1473 (au paragraphe 27), afin de modifier l’application du raisonnement de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Febles c. Canada (Citoyenneté et Immigration, 2014 CSC 68 (au paragraphe 62), dans le but de traiter de la participation du Canada à des conventions internationales portant sur le sujet de l’acte répréhensible en tant que considération contextuelle pertinente dans l’évaluation de la « gravité » de l’acte commis à l’extérieur du Canada?
[154] Conformément à l’alinéa 74d) de la LIPR, un appel ne peut être lancé auprès de la Cour d’appel fédérale que si le juge, en rendant sa décision, certifie que l’affaire soulève une question grave de portée générale et énonce celle-ci. Le critère à appliquer au moment de déterminer si une question sied à une certification est énoncé dans l’arrêt Zhang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 168, [2014] 4 R.C.F. 290 [au paragraphe 9] :
Il est de droit constant que, pour être certifiée, une question doit i) être déterminante quant à l’issue de l’appel, ii) transcender les intérêts des parties au litige et porter sur des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale. En corollaire, la question doit avoir été soulevée et examinée dans la décision de la cour d’instance inférieure, et elle doit découler de l’affaire, et non des motifs du juge (Liyanagamage c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1637 (C.A.) (QL), au paragraphe 4; Zazai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 89, aux paragraphes 11 et 12; Varela c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 145, [2010] 1 R.C.F. 129, aux paragraphes 28, 29 et 32).
(Voir aussi Varela c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 145, [2010] 1 R.C.F. 129, aux paragraphes 28 à 30; Zazai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 89, au paragraphe 11).
[155] Comme j’ai jugé que l’analyse faite par le commissaire de la demande d’asile de la demanderesse est raisonnable, les questions proposées ne sont pas déterminantes quant à l’issue de l’appel en l’espèce. Comme l’a affirmé la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Liyanagamage, [1994] A.C.F. no 1637 (C.A.) (QL), aux paragraphes 4 à 6, le processus de certification ne saurait être utilisé comme un moyen d’obtenir, de la Cour d’appel, des jugements déclaratoires à l’égard de questions qu’il n’est pas nécessaire de trancher pour régler l’affaire, et il ne doit pas être assimilé au processus de renvoi établi par la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7. Par conséquent, je refuse de certifier une question.
JUGEMENT
LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :
1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
2. Compte tenu de l’ordonnance de confidentialité, si un tiers demande une copie de l’enregistrement audio de l’audition de la présente affaire, le greffe devra, avant de fournir cette copie, s’assurer que les noms de toutes les personnes mentionnées par inadvertance durant l’audition sont effacés de l’enregistrement.