T-209-06
T-210-06
2008 CF 11
Pfizer Canada Inc. et Parke, Davis & Company LLC (demanderesses)
c.
Le ministre de la Santé et Novopharm Limitée (défendeurs)
Répertorié : Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (C.F.)
Cour fédérale, juge Hughes—Toronto, 17 et 18 décembre 2007; Ottawa, 2 janvier 2008.
o
Il s’agissait de demandes faites en vertu du en vue d’empêcher le ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à Novopharm lui permettant de vendre ses versions génériques de l’« Accupril » et de l’« Accuretic » de Pfizer au Canada. Le médicament en cause, soit le quinapril, est utilisé pour traiter l’hypertension. Novopharm Limitée a signifié à Pfizer Canada Inc. deux avis d’allégation faisant valoir que le brevet inscrit relativement aux médicaments, soit le brevet canadien n o 1341330 (le brevet '330), était invalide en raison de la portée excessive des revendications et de l’absence d’une prédiction valable.
Dans un litige antérieur relatif au brevet '330 et à un divisionnaire de celui-ci intenté en vertu du Règlement AC et mettant en cause un autre fabricant de médicaments génériques, la Cour d’appel fédérale a annulé la décision de première instance portant que les revendications du brevet étaient de portée excessive. Elle a aussi désapprouvé l’interprétation donnée au brevet '330, particulièrement aux revendications 3 à 5, par la Cour fédérale et a interprété le brevet '330 revendiqué comme englobant tous les stéréo- isomères du composé décrit dans les revendications.
Les questions litigieuses étaient celles de savoir : 1) à qui incombait le fardeau d’établir l’invalidité du brevet '330 dans le cadre des instances portant sur des avis de conformité; 2) si le brevet '330 était invalide parce que la portée des revendications était plus large que l’invention ou la divulgation ou parce qu’il y avait absence de prédiction valable; et 3) quel était l’incidence de l’instance antérieure contestant la validité du brevet '330.
: les demandes doivent être accueillies.
1) La personne qui soulève des motifs pour faire valoir l’invalidité (la seconde personne) peut produire une preuve pour étayer les motifs à l’égard desquels a été liée contestation. La personne qui sollicite une ordonnance d’interdiction (la première personne) peut se fier sur la présomption de validité ou présenter sa propre preuve. La Cour doit apprécier la preuve et trancher la question selon la norme habituelle de la prépondérance des probabilités. Si la preuve produite par la seconde personne n’est pas concluante ou pertinente, la présomption prévaudra. Si la preuve s’équivaut (ce qui est rare), la première personne n’aura pas réussi à démontrer l’absence de fondement de l’allégation d’invalidité et n’aura pas droit à l’ordonnance d’interdiction.
2) Il faut établir un équilibre lorsque des instances multiples, où la validité d’un même brevet continue d’être contestée alors qu’une même contestation par une société générique a été rejetée dans une instance antérieure, ont été instituées par différentes sociétés génériques. Cet équilibre porterait sur l’existence possible de meilleurs éléments de preuve ou d’un argument juridique plus valable présentés postérieurement par une société générique tout en gardant à l’esprit que les ressources de la Cour de même que celles de tiers ne devraient pas être gaspillées par des instances répétées. Même si un breveté ou une société générique se voit empêcher de reporter en justice une affaire qui met en cause le Règlement AC, il n’y a pas atteinte au droit fondamental d’intenter une action en matière de contrefaçon ou de validité. Le Règlement AC prévoit un processus administratif supplémentaire lié à la protection de la santé publique. Dans certaines circonstances, il serait interdit au ministre de délivrer un avis de conformité à une société pharmaceutique générique demanderesse. Par conséquent, la Cour s’est penchée sur la question de la validité du brevet '330 en gardant à l’esprit qu’il y avait déjà eu une instance qui portait sur un avis de conformité et qu’il était toujours possible, comme solution de rechange, d’intenter une action.
3) Deux restrictions fondamentales s’appliquent à la portée du monopole auquel l’inventeur peut valablement prétendre. D’abord, la portée du monopole ne peut excéder celle de l’invention qui a été faite et, ensuite, la portée du monopole ne peut excéder celle de l’invention telle qu’elle a été décrite dans le mémoire descriptif. Dans les deux cas, une comparaison s’impose avec les revendications en cause afin d’établir si la « portée » de la revendication est ou non plus large que ce que l’inventeur ou les inventeurs ont véritablement créé ou que ce que prévoit la divulgation. Novopharm a affirmé que la Cour d’appel fédérale a commis une erreur de droit en faisant référence à d’autres brevets pour interpréter le brevet '330. Bien qu’on ne puisse parfaitement discerner l’incidence véritable pour la Cour d’appel fédérale de l’existence d’autres « brevets délivrés à l’égard d’autres inhibiteurs de l’ECA » il suffit, dans le cadre d’une instance portant sur un avis de conformité, de conclure qu’une cour supérieure a bien examiné la question de l’interprétation du brevet '330 et tiré une conclusion motivée. De même, il n’y avait pas de « meilleur élément de preuve » faisant en sorte qu’il soit indiqué de réexaminer la conclusion de la Cour d’appel fédérale sur la question des « revendications de plus large portée » dans l’instance antérieure.
Dans l’instance antérieure relative au brevet '330, la Cour d’appel fédérale a pris en considération les « connaissances de l’inventeur sur certains autres composés » ainsi que les connaissances qu’auraient les personnes douées d’habilités moyennes pour établir qu’il y avait un fondement valable pour prédire que tous les composés revendiqués auraient une utilité. Elle n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a statué que l’allégation d’invalidité des revendications du brevet '330 n’était pas justifiée.
lois et règlements cités
, L.R.C. (1985), ch. P-4.
, DORS/93-133, art. 6(2)
,DORS/98-106, règle 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2), tarif B, colonne III.
jurisprudence citée
décisions appliquées :
, [2008] 1 R.C.F. 174; 2007 CAF 163; , 2007 CAF 153; , [1966] R.C.É. 91; (1965), 50 C.P.R. 220; conf. par [1966] R.C.S. 604; (1966), 50 C.P.R. 246; , [2002] 4 R.C.S. 153; 2002 CSC 77.
décisions examinées :
, 2005 CF 1205; inf. par 2007 CAF 209; , [2008] 1 R.C.F. 477; 2007 CF 81; , [2008] 2 R.C.F. 758; 2007 CF 596; conf. par 2007 CAF 359; , 2007 CF 971; , [2003] 4 C.F. 95; 2003 CAF 138; , 2002 CAF 440; , 2007 CF 538.
décisions citées :
, 2004 CF 204; conf. par [2005] 2 R.C.F. 269; 2004 CAF 393; , [2000] 2 R.C.S. 1067; 2000 CSC 67; , [1991] A.C.F. no 124 (C.A.) (QL).
DEMANDES faites en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) en vue d’empêcher le ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à Novopharm lui permettant de vendre au Canada ses versions génériques de l’« Accupril » et de l’« Accuretic » inscrits dans le brevet canadien no 1341330 de Pfizer.
ont comparu :
Andrew M. Shaughnessy, Andrew E. Bernstein, et Alisse D. Houweling pour les demanderesses.
Jonathan Stainsby, Lesley Caswell et Keya Dasgupta pour la défenderesse Novopharm Limitée.
Personne n’a comparu pour le défendeur le ministre de la Santé.
avocats inscrits au dossier :
Torys LLP, Toronto, pour les demanderesses.
Heenan Blaikie, Toronto, pour la défenderesse Novopharm Limitée.
Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur le ministre de la Santé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par
[1] Le juge Hughes : Deux demandes sont examinées dans la présente instance, toutes deux faites en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, en sa version modifiée (le Règlement AC). Le médicament visé en l’espèce est communément désigné le quinapril; on s’en sert pour traiter l’hypertension. Les demanderesses, parfois désignées des fabricants de médicaments de marque, vendent des médicaments, dont le quinapril sous l’appellation « Accupril » au Canada, et ce qui comprend le quinapril en association avec l’hydrochlorothiazide sous l’appellation « Accuretic ». La défenderesse Novopharm Limitée désire vendre sa version générique de ces médicaments et, conformément au Règlement AC, a signifié à la demanderesse Pfizer Canada Inc. deux avis d’allégation faisant valoir que le brevet inscrit par Pfizer relativement aux médicaments, le brevet canadien n° 1341330 (le brevet '330), était invalide pour divers motifs. Cela a conduit les demanderesses à introduire les deux présentes instances en vue d’empêcher le ministre de la Santé défendeur de délivrer à Novopharm un avis de conformité [AC] lui permettant de vendre ses versions génériques des médicaments au Canada.
[2] Pour les motifs que je vais exposer, j’accueille les demandes d’interdiction avec dépens.
LES AVIS D’ALLÉGATION
[3] Le 23 décembre 2005, Novopharm a signifié deux avis d’allégation à Pfizer Canada Inc. en application du Règlement AC. Les deux avis sont fondamentalement identiques, sauf que l’un d’eux vise un médicament qui ne contient comme ingrédient actif que du quinapril, selon diverses posologies. Pfizer vend ce médicament sous l’appellation « Accupril ». L’autre avis vise un médicament qui contient à la fois du quinapril et de l’hydrochlorothiazide, selon diverses posologies. Pfizer vend ce second médicament sous l’appellation « Accuretic ». Les deux médicaments sont utilisés pour traiter l’hypertension humaine; ce sont des inhibiteurs de l’enzime de conversion de l’angiotensine, communément désignés des inhibiteurs de l’ECA.
[4] Dans ses avis d’allégation, Novopharm met uniquement en cause, pour divers motifs, la validité du brevet '330. La question de la contrefaçon n’y est pas soulevée. Par ordonnance datée du 13 mars 2006, la Cour a joint les deux demandes présentées par Pfizer, soit une à l’égard de chacun des avis d’allégation. Par conséquent, l’une et l’autre parties ont présenté une même argumentation à l’égard de l’une et l’autre demandes, qu’on a instruites ensemble. Des motifs communs et un seul jugement sont prononcés.
LE CONTEXTE—ÉLÉMENT DE CHIMIE
[5] Un bref exposé des questions de chimie en jeu, plus particulièrement de stéréochimie, est requis. La classe de composés décrite dans le brevet '330 se définirait selon une formule générale — la formule I — énoncée comme suit à la première page du brevet :
[6] Cette formule représente une classe de composés souvent décrite comme consistant en une tête polaire constituée d’une structure cyclique du côté droit et, du côté gauche, d’une chaîne latérale, la longue structure. La tête polaire représentée dans la formule I provient d’une molécule désignée tétrahydroisoquinoline, ou THIQ.
[7] Bien que les molécules ne puissent être représentées sur du papier qu’en deux dimensions, elles sont en réalité tridimensionnelles. Les éléments tridimensionnels de la molécule ayant un intérêt en l’espèce sont chacun marqués d’un astérisque dans la formule I. Aux trois astérisques correspondent ce qu’on désigne des centres chiraux, qui identifient des atomes de carbone ayant des liaisons avec quatre différents groupes d’atomes. Selon un plan tridimensionnel, il y a deux façons distinctes pour un même atome de carbone d’être lié à quatre différents groupes. C’est ce qu’on désigne des configurations. Le nombre de configurations possibles pour une molécule donnée est défini par la formule 2 n, n représentant le nombre de centres chiraux. On a affaire à trois centres chiraux en l’espèce, de sorte que le nombre de configurations possibles est 23 ou 8. Les scientifiques utilisent parfois l’expression « stéréo-isomère » pour décrire le lien existant entre des composés liés à de mêmes atomes mais ayant des configurations spatiales différentes. En l’espèce, il y a un nombre possible de huit stéréo-isomères.
[8] Les molécules aux configurations spatiales différentes étant dotées de propriétés chimiques différentes, il s’avère souvent important de discerner laquelle des configurations un chimiste vise dans un diagramme donné. Pour cette raison, les chimistes ont adopté diverses conventions permettant de distinguer différentes configurations spatiales. Une convention commune consiste à utiliser les sigles R ou S pour identifier la façon dont un atome de carbone donné est lié aux quatre groupes. Les composés décrits dans la formule I comptant trois pareils atomes de carbone, on attribuera pour chaque atome un sigle R ou S. L’ensemble de la molécule sera identifiée par trois lettres, chacune correspondant à l’un des astérisques, ou des centres chiraux, soit par exemple R,R,R, S,S,S, R,S,S, S,R,S, et ainsi de suite. Il y a huit combinaisons possibles de trois lettres pour les composés identifiés dans la formule I. Chacun des huit composés peut être qualifié de stéréo-isomère des sept autres composés. Ce qu’on devra examiner dans la présente affaire, c’est si les inventeurs ont fait ou non une invention, si le brevet divulgue les huit possibles stéréo-isomères ou le seul stéréo-isomère S,S,S et si l’on revendique les huit possibles stéréo-isomères ou le seul stéréo-isomère S,S,S dans les revendications.
LITIGE ANTÉRIEUR RELATIF AU BREVET '330
[9] Il y a déjà eu litige, en application du Règlement AC, relativement au brevet '330. Novopharm n’était pas partie à ce litige; Apotex, un autre fabricant de médicaments génériques, ou société générique, était en cause.
[10] Ce litige a été engagé par Pfizer Canada Inc., Warner-Lambert Company LLC et Parke, Davis & Company LLC en réponse à la signification d’un avis d’allégation par Apotex, par lequel cette dernière contestait la validité du brevet '330; était également alléguée la contrefaçon d’un autre brevet, le brevet canadien no 1331615 (le brevet '615), divisionnaire du brevet '330. En l’espèce, les allégations de Novopharm n’ont trait qu’à la validité du brevet '330, et la question de la contrefaçon soulevée dans l’instance précédente est ici sans importance.
[11] L’affaire Apotex (T-1633-03) a été instruite par la juge Heneghan de la Cour. La juge Heneghan a statué (motifs révisés prononcés le 28 septembre 2005; décision répertoriée [Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé)] 2005 CF 1205) que Pfizer et les autres demanderesses n’avaient pas démontré qu’étaient sans fondement les allégations d’invalidité, mettant en cause la portée excessive des revendications et la non-contrefaçon du brevet '615. La demande en vue d’obtenir une interdiction a par conséquent été rejetée.
[12] Il y a eu appel de la décision, et la Cour d’appel fédérale (décision rendue le 31 mai 2007 et répertoriée [Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé)] 2007 CAF 209) a annulé la décision de première instance, accueilli l’appel et enjoint qu’une ordonnance d’interdiction empêche Apotex de se voir délivrer un avis de conformité à l’égard de son médicament générique quinapril.
[13] Les questions suivantes ont été soulevées dans les allégations d’invalidité du brevet '330 et tranchées par la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale dans l’affaire antérieure, Apotex :
a) L’absence d’utilité — tant l’utilité réelle qu’une prédiction valable d’utilité
La juge de première instance a statué que n’étaient pas fondées les allégations d’Apotex du fait que, bien qu’une réelle utilité n’ait pas été démontrée pour certains composés, il y avait bien un fondement valable à la prédiction d’utilité de ce qu’on revendiquait dans les revendications 3 à 5 du brevet '330 (paragraphes 68 à 82). La Cour d’appel fédérale a souscrit à cette conclusion (paragraphes 150 à 154).
b) L’antériorité
La juge de première instance a conclu qu’Apotex n’avait pas mis son allégation d’antériorité « en jeu » et que celle-ci n’était pas étayée par une preuve suffisante (paragraphes 83 à 88). La Cour d’appel fédérale a confirmé la conclusion de la juge de première instance (paragraphes 135 à 140).
c) L’évidence
La juge de première instance a statué que l’invention antérieure citée par Apotex ne démontrait pas l’évidence de l’invention, et que Pfizer s’était pour sa part acquittée de son fardeau de démontrer l’absence de fondement de cette allégation (paragraphes 89 à 98). La Cour d’appel fédérale a confirmé la conclusion de la juge de première instance (paragraphes 129 à 134).
d) Les revendications ont une portée plus large que l’invention ou la divulgation
C’est pour ce motif que la juge de première instance a conclu que Pfizer n’avait pas réussi à démontrer que l’allégation n’était pas fondée, et a donc rejeté la demande (paragraphes 99 à 108). La juge a déclaré (paragraphe 107) :
À mon avis, il faut apprécier ces arguments en lien avec l’interprétation du brevet. Comme j’ai conclu que les revendications trois (3) et cinq (5) doivent être interprétées de manière à inclure les composés utiles pour réduire l’hypertension, et compte tenu de la preuve d’expert selon laquelle la configuration S est la configuration optimale pour un degré élevé d’inhibition de l’ECA menant à la réduction de l’hypertension, je conclus que les revendications englobant tous les stéréo-isomères possibles ont une portée excessive.
La Cour d’appel fédérale a infirmé la décision de la juge de première instance à cet égard (paragraphes 101 à 128), et a déclaré ce qui suit (paragraphes 126 et 127) :
Toutefois, compte tenu de la preuve soumise à la Cour, l’invention de Pfizer peut être décrite comme englobant tous les stéréo-isomères du quinapril. D’après l’état de la technique, tous les stéréo-isomères étaient envisagés par l’inventeur, comme l’ont démontré l’emploi d’une formule de Markish et le fait que les brevets délivrés à l’égard d’autres inhibiteurs de l’ECA revendiquaient et divulguaient tous les stéréo-isomères. Le libellé des revendications et la preuve d’expert semblent indiquer que tous les stéréo-isomères du quinapril sont revendiqués dans le brevet. En fait, la juge de première instance, dans son introduction concernant le brevet '330, écrit que « . . . [l]es composés ont trois centres chiraux et tous les stéréo-isomères qui partagent cette même structure, c’est-à-dire les stéréo-isomères à la fois de configurations S et R sont visés par les revendications » (motifs de la juge Heneghan, paragraphe 9).
À mon avis, une personne versée dans l’art lirait les deux paragraphes de la divulgation que j’ai reproduits au paragraphe 120 des présents motifs comme divulguant que l’invention inclut tous les stéréo-isomères. Le lecteur versé dans l’art serait convaincu, en particulier en raison de l’affirmation claire dans le deuxième paragraphe, que [traduction] « . . . tous les isomères optiques et les diastéréo-isomères et leurs mélanges sont visés par cette invention ». En conséquence, un lecteur versé dans l’art comprendrait, selon moi, que les revendications 3 et 5, bien qu’elles ne parlent pas de la configuration stéréochimique, incluent tous les stéréo-isomères. Ainsi, étant donné que l’invention englobe clairement tous les stéréo- isomères et que le brevet revendique tous les stéréo-isomères, on ne peut dire que le brevet revendique davantage que ce qui a été inventé.
e) Double brevet
La juge de première instance a conclu que Pfizer avait démontré que les revendications en cause du brevet '330 n’étaient pas invalides en raison d’un double brevet du fait de la délivrance d’un brevet antérieur (le brevet '615) (paragraphes 109 à 115). La Cour d’appel a entériné la conclusion de la juge de première instance (paragraphes 141 à 149).
LES INSTANCES PORTANT SUR DES AVIS DE CONFORMITÉ MULTIPLES
[14] Dans une autre décision, Sanofi-Aventis Canada Inc. c. Novopharm Ltée, [2008] 1 R.C.F. 174, au paragraphe 50, la Cour d’appel fédérale a mis en garde contre les instances liées à des avis d’allégation multiples une fois rendue une décision définitive à l’égard d’un brevet particulier. La Cour d’appel a reconnu toutefois qu’un fabricant de médicaments génériques différent pouvait contester la validité d’un même brevet s’il disposait « de meilleurs éléments de preuve ou d’un argument juridique plus valable ». La Cour doit alors mettre en équilibre l’effet d’une instance sur l’administration de la justice et l’iniquité que l’on cause sà une partie en l’empêchant de faire valoir ses arguments. Le juge Sexton a déclaré ce qui suit sur cette question, au paragraphe 50 :
Enfin, Sanofi-Aventis et Scheringsoutiennent qu’en l’espèce, une conclusion d’abus de procédure serait source d’iniquité. Elles affirment que, bien qu’il soit interdit aux premières personnes de se défendre contre les allégations que font des fabricants ultérieurs après que l’on a conclu que l’allégation identique faite par un fabricant antérieur est justifiée, les fabricants ultérieurs sont autorisés à répéter les allégations déjà faites antérieurement par d’autres fabricants, et ce, même s’il a été conclu que les allégations antérieures étaient injustifiées. Cependant, il n’y aucune iniquité dans ce scénario. Toutes les parties sont tenues de respecter la même norme : chacune est tenue de présenter tous ses arguments, ainsi que tous les éléments de preuve pertinents, en première instance. Cela empêche l’innovateur de débattre à nouveau une question déjà tranchée dans une instance à laquelle il était partie, en s’appuyant sur des éléments de preuve additionnels qu’il avait décidé de ne pas produire à l’instance antérieure. De la même façon, les fabricants de médicaments génériques doivent faire valoir à la première occasion la totalité de leurs arguments. Les avis d’allégations multiples délivrés par le même fabricant en rapport avec un médicament particulier et alléguant l’invalidité d’un brevet particulier sont généralement interdits, même si l’on invoque des motifs d’invalidité différents dans chaque cas. Cependant, dans le cas où un fabricant particulier a formulé une allégation mais a omis de présenter les arguments requis pour montrer que l’allégation en question était justifiée, il serait injuste d’empêcher un fabricant ultérieur, disposant de meilleurs éléments de preuve ou d’un argument juridique plus valable, de l’introduire. Cette situation peut donner lieu à un résultat contradictoire, mais cette préoccupation cède le pas au risque de faire preuve d’iniquité à l’endroit du fabricant à qui l’on interdit de faire valoir ses arguments juste parce que la démarche d’un autre fabricant était inadéquate. Il est nécessaire dans chaque cas de mettre en équilibre l’effet d’une instance sur l’administration de la justice et l’iniquité que l’on cause à une partie en l’empêchant de faire valoir ses arguments.
[15] J’ai examiné la question d’une décision rendue antérieurement par la Cour à l’égard d’un brevet dans une instance portant sur un avis de conformité dans Eli Lilly Canada Inc. c. Novopharm Ltée, [2008] 2 R.C.F. 758 (C.F.). L’un des problèmes alors examiné, qui se pose également en l’espèce, vient de ce que le dossier de l’instance antérieure ne figure pas au dossier dans la présente instance. Ainsi, pour déterminer si l’on dispose dans la présente instance « de meilleurs éléments de preuve ou d’un argument juridique plus valable » que dans l’instance antérieure, la Cour ne peut recourir qu’à l’exposé des motifs dans l’instance antérieure. Dans Eli Lilly, j’ai ainsi déclaré sur le sujet, aux paragraphes 62 et 99 :
Selon la jurisprudence,notre Cour peut donc, à son gré, étudier l’exposé des motifs donné par la juge Gauthier dans l’instance et établir si le fabricant de génériques a présenté, touchant la validité du brevet '113, « de meilleurs éléments de preuve » ou « un argument juridique plus valable » dans la présente espèce que dans ladite instance. Si tel est le cas, elle doit examiner ces meilleurs moyens de preuve et de droit. Si la Cour constate l’absence de tels moyens plus valables, ce serait un abus de procédure que de permettre un nouvel examen de l’affaire. Le terme « abus » dans ce contexte ne signifie pas du tout que le deuxième fabricant de génériques ait commis un acte répréhensible : tel n’est pas le cas. Ce n’est que quelques jours avant l’audience de la présente espèce qu’il aurait pu avoir connaissance de la publication prochaine de la décision de l’instance . Le terme « abus » signifie plutôt ici que le fait d’examiner l’affaire la deuxième fois (c’est-à-dire dans la présente espèce) constituerait un gaspillage des ressources de la Cour et risquerait de donner lieu à des résultats contradictoires. Le deuxième examen ne doit avoir pour objet que le point de savoir si le fabricant de génériques dispose de « meilleurs éléments de preuve » ou de moyens de droit « plus valables », lesquels, si l’on en constate l’existence, doivent être examinés . Évidemment, si le fabricant de génériques avance contre la validité du brevet un argument qu’on n’a pas fait valoir dans l’instance , la Cour l’examinera aussi
[. . .]
Par conséquent, il m’incombe dans la présente espèce de trancher les questions suivantes à propos de chacun des arguments avancés par Novopharm à l’appui de la thèse de l’invalidité :
1. Cet argument est-il nouveau et différent? (Dans l’affirmative, il sera examiné ab initio.)
2. Si l’argument en question a déjà été examiné par la juge Gauthier, suis-je saisi dans la présente espèce de « meilleurs » éléments de preuve ou de moyens de droit « plus valables » que ceux que révèle son exposé des motifs, de telle sorte que je pourrais m’écarter de ses conclusions?
[16] Avant de laisser la question de l’instance antérieure, il nous faut considérer celle de l’interprétation du brevet '330 et des revendications 3, 4 et 5 en cause. Les mêmes revendications sont en cause en l’espèce. Or, une fois qu’un brevet a été interprété dans une instance, particulièrement s’il l’a été par la Cour d’appel fédérale, des arguments solides devront être présentés pour que la Cour parvienne à une conclusion différente dans une nouvelle instance (se reporter par exemple à la décision Cie Pharmaceutique Procter & Gamble Canada, Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2004 CF 204, au paragraphe 19; confirmée par [2005] 2 R.C.F. 269 (C.A.F.)).
[17] Dans l’instance antérieure (2007 CAF 209), la Cour d’appel fédérale a désapprouvé l’interprétation donnée au brevet, particulièrement aux revendications 3 à 5, par la juge de première instance. La Cour d’appel a interprété l’invention revendiquée comme englobant tous les stéréo-isomères, et déclaré ce qui suit, aux paragraphes 120, 126 et 127 :
Il est donc nécessaire d’examiner la divulgation dans le brevet '330 et d’évaluer la façon dont les revendications devraient être lues à la lumière de cette divulgation. Plusieurs passages du brevet '330 nous éclairent sur l’invention revendiquée. Premièrement, le résumé précise que l’invention a trait à des agents antihypertenseurs :
[traduction] Les composés de l’invention, leurs sels et les compositions pharmaceutiques qui en découlent sont utiles comme agents antihypertenseurs.
Ailleurs dans la divulgation on mentionne l’utilisation de l’invention pour le traitement de l’hypertension :
[traduction] Les composés de la présente invention interviennent dans la séquence rénine—[] angiotensine I—[] angiotensine II en inhibant l’enzyme de conversion de l’angiotensine I et en réduisant ou en éliminant la formation de la substance vasopressive, l’angiotensine II, et sont donc utiles pour atténuer ou soulager l’hypertension. Ainsi, en administrant une composition qui contient un ou une combinaison des composés de la formule I ou de leurs sels pharmaceutiquement acceptables, l’hypertension chez les mammifères qui en souffre est atténuée [. . .]
[. . .] Les composés de l’invention peuvent être utilisés pour abaisser la pression sanguine dans des compositions comme des comprimés, des capsules ou des élixirs pour administration orale ou des solutions ou suspensions stériles pour administration parentérale. (brevet '330, par. 6, 9).
[. . .]
Toutefois, compte tenu de la preuve soumise à la Cour, l’invention de Pfizer peut être décrite comme englobant tous les stéréo-isomères du quinapril. D’après l’état de la technique, tous les stéréo-isomères étaient envisagés par l’inventeur, comme l’ont démontré l’emploi d’une formule de Markish et le fait que les brevets délivrés à l’égard d’autres inhibiteurs de l’ECA revendiquaient et divulguaient tous les stéréo- isomères. Le libellé des revendications et la preuve d’expert semblent indiquer que tous les stéréo-isomères du quinapril sont revendiqués dans le brevet. En fait, la juge de première instance, dans son introduction concernant le brevet '330, écrit que « . . . [l]es composés ont trois centres chiraux et tous les stéréo-isomères qui partagent cette même structure, c’est-à-dire les stéréo-isomères à la fois de configurations S et R sont visés par les revendications » (motifs de la juge Heneghan, paragraphe 9).
À mon avis, une personne versée dans l’art lirait les deux paragraphes de la divulgation que j’ai reproduits au paragraphe 120 des présents motifs comme divulguant que l’invention inclut tous les stéréo-isomères. Le lecteur versé dans l’art serait convaincu, en particulier en raison de l’affirmation claire dans le deuxième paragraphe, que [traduction] « . . . tous les isomères optiques et les diastéréo-isomères et leurs mélanges sont visés par cette invention ». En conséquence, un lecteur versé dans l’art comprendrait, selon moi, que les revendications 3 et 5, bien qu’elles ne parlent pas de la configuration stéréochimique, incluent tous les stéréo-isomères. Ainsi, étant donné que l’invention englobe clairement tous les stéréo-isomères et que le brevet revendique tous les stéréo-isomères, on ne peut dire que le brevet revendique davantage que ce qui a été inventé.
[18] Gardant à l’esprit cette interprétation donnée par la Cour d’appel, j’aborderai maintenant la question de l’interprétation des revendications 3, 4 et 5 du brevet '330.
INTERPRÉTATION
[19] L’interprétation du brevet par la Cour, particulièrement des revendications en cause, doit précéder l’examen des questions de validité et de contrefaçon (Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067, au paragraphe 43).
[20] Les parties ont convenu que seules les revendications 3, 4 (dans la mesure où elle découle de la 3) et 5 étaient en cause en l’espèce. Les parties ont en outre convenu, en conformité avec l’interprétation donnée aux revendications 3, 4 et 5 par la Cour d’appel fédérale dans l’instance antérieure tel qu’il a été mentionné, que les revendications englobent tous les stéréo-isomères du composé décrit dans les revendications.
[21] Ces revendications 3, 4 (dans la mesure où elle découle de la 3) et 5 se lisent comme suit :
[traduction]
3. Un dérivé acylé de l’acide 1,2,3,4- tétrahydroisoquinoline-3-carboxylique de formule générale IIa :
où R2 est un H, un -CH3 ou un -C2H5, et un sel d’addition acide pharmaceutiquement acceptable ou une forme solvatée de ce dernier.
4. Une composition pharmaceutique renfermant un dérivé acylé de l’acide 1,2,3,4-tétrahydroisoquinoline-3- carboxylique de formule générale II, telle que définie dans la revendication 2 ou de formule générale IIa telle que définie dans la revendication 3, ou un sel pharmaceutiquement acceptable ou une forme solvatée de ce dernier, ainsi qu’un excipient acceptable du point de vue pharmaceutique.
5. Un composé de formule générale A :
où :
Ra est :
soit un atome d’hydrogène;
soit un alkyle en C1-4;
Rb est :
soit un atome d’hydrogène;
soit un alkyle en C1-4;
et les sels pharmaceutiquement acceptables correspondants.
[22] Ainsi, pour l’interprétation de la revendication 3 : elle se rapporte au composé tel que décrit, c’est-à-dire une classe de composés, sous toutes ses formes stéréo-isomères, en plus d’un sel d’addition acide pharmaceutiquement acceptable ou d’une forme solvatée de ce sel.
[23] La revendication 4 englobe la revendication 3 dans son entier, en plus d’un excipient acceptable du point de vue pharmaceutique.
[24] La revendication 5 se rapporte à un composé décrit, c’est-à-dire une classe de composés, sous toutes ses formes stéréo-isomères, ainsi qu’aux sels pharmaceutiquement acceptables de ce composé. Le composé décrit aux revendications 3 et 4 est similaire, du point de vue de sa structure, au composé visé par la revendication 5; les dessins des molécules sont simplement orientés différemment.
[25] Le composé précisément en litige, soit le quinapril, peut être représenté comme suit :
D’un point de vue stéréochimique, il s’agit de l’isomère S,S,S.
[26] Le quinapril fait partie des composés décrits aux revendications 3, 4 et 5. Le médicament contenu dans l’« Accupril » est un sel pharmaceutiquement acceptable du quinapril au sens de la revendication 5, plus précisément du chlorhydrate de quinapril.
LES QUESTIONS SOULEVÉES EN L’ESPÈCE
[27] On doit louer le travail accompli par les avocats des parties, depuis la conférence préalable à l’instruction, en vue de réunir les documents requis pour l’audience et de délimiter les questions à trancher par la Cour. Les avocats de Novopharm ont en outre informé la Cour, par lettre datée du 27 novembre 2007, que leur cliente ne mettrait plus de l’avant les questions de l’évidence et du double brevet dans le cadre des présentes demandes. Pour leur part, les avocats de Pfizer ont informé la Cour, par lettre datée du 12 décembre 2007, que leur cliente laissait tomber la question de savoir si Novopharm est une « seconde personne » au sens du Règlement AC. Par conséquent, les questions qu’il reste à trancher sont les suivantes :
1. Le fardeau de la preuve
a) Quel est le critère approprié?
b) À l’égard de quelles questions convient-il d’appliquer le fardeau de la preuve?
2. Les revendications ont une portée plus large que l’invention ou la divulgation
a) Dispose-t-on « d’éléments de preuve additionnels » ou « d’un argument juridique plus valable » qui permettrait à la Cour de s’écarter de la décision rendue dans l’affaire Apotex?
b) La question de la trop large portée des revendications est-elle une question de droit, de fait ou mixte de droit et de fait?
c) En l’espèce, l’argument de la trop large portée est-il de nature technique? Dans l’affirmative, quelle en est l’incidence sur l’analyse de la Cour?
d) Comment convient-il d’interpréter les revendications? (Les parties conviennent que les revendications englobent tous les stéréo-isomères.)
e) Comment convient-il d’interpréter l’invention divulguée dans le brevet '330?
i) Dans quelle mesure peut-on recourir à une preuve extrinsèque pour interpréter le mémoire descriptif d’un brevet?
ii) Dans quelle mesure la Cour devrait-elle prendre en considération le témoignage du rédacteur du brevet et pour le compte des inventeurs quant à la nature de l’invention?
iii) Quelle usage (s’il en est) la Cour pourrait ou devrait-elle faire d’autres brevets relatifs à des inhibiteurs de l’ECA pour correctement interpréter l’invention?
f) Les revendications ont-elles une portée plus large que l’invention ou la divulgation?
3. La prédiction valable
a) Disposet-on « d’éléments de preuve additionnels » ou « d’un argument juridique plus valable » qui permettrait à la Cour de s’écarter de la décision rendue dans l’affaire Apotex?
i) Les témoignages d’Hoefle, de Blankley et de Klutchko diffèrentils d’une manière quelconque dans la présente affaire?
ii) Dans l’affirmative, diffèrent-ils d’une manière permettant à la Cour de s’écarter des décisions antérieures?
b) Satisfait-on au critère concernant l’absence de prédiction valable?
i) Quelle est la date appropriée pour évaluer s’il y a prévision valable?
ii) La question de la prédiction valable en est-elle une de droit, de fait ou mixte de fait et de droit?
iii) En ce qui concerne le critère de la prédiction valable, la Cour doit-elle s’en tenir à ce que les inventeurs pensaient véritablement, ou doit-elle prendre en compte ce que, selon les experts, les inventeurs auraient pu prédire en fonction de ce que ces derniers savaient à l’époque en cause?
iv) Les éléments du critère de la prédiction valable sont-ils subjectifs ou objectifs?
v) Des éléments de fait permettaient-ils de prédire que les composés revendiqués seraient actifs en tant qu’inhibiteurs de l’ECA et antihypertenseurs? Cela nécessitera notamment l’examen des éléments qui suivent :
A) Novopharm soutient que certains éléments de fait sur lesquels Pfizer se fonde (des données publiées) sont causés par contamination. Pfizer prétend que cela dépasse la portée de l’avis d’allégation de Novopharm.
B) Novopharm soutient que certains éléments de fait sur lesquels s’appuie Pfizer (soit que tous les composés possèdent une activité dans la gamme posologique énoncée au brevet, pourvu qu’ils soient dans certains cas administrés à dose très élevée par voie intraveineuse) sont sans fondement, puisque les doses administrées par voie intraveineuse mentionnées sont d’un niveau irréaliste. De nouveau, Pfizer prétend que cela dépasse la portée de l’avis d’allégation de Novopharm.
vi) Un raisonnement clair permettait-il de prédire que les composés revendiqués seraient actifs en tant qu’inhibiteurs de l’ECA et antihypertenseurs?
vii) Y a-t-il divulgation suffisante à l’égard du brevet '330?
A) Quel est l’effet du dernier paragraphe de la page 3 du brevet '330?
LE FARDEAU DE LA PREUVE
[28] La question du fardeau de la preuve, particulièrement à l’égard des questions de validité concernant un brevet, continue d’être soulevée par les parties dans les instances relatives aux avis de conformité.
[29] Je me suis penché sur cette question dans la décision G.D. Searle & Co. c. Novopharm Ltd., [2008] 1 R.C.F. 477 (C.F.), et j’en suis venu à la conclusion suivante au paragraphe 39 :
La question de la charge de la preuve dans les instances relatives aux AC où sont soulevées des questions de validité a fait l’objet d’un examen approfondi dans les décisions suivantes : , 2006 CF 220, aux paragraphes 6 à 12; , 2006 CF 1558, aux paragraphes 85 à 94; et ., 2007 CF 26, aux paragraphes 5 à 12. Le défendeur (le fabricant de génériques) doit mettre les allégations d’invalidité en jeu. Le demandeur peut répondre en faisant valoir la présomption de validité. Le demandeur se trouverait sérieusement désavantagé dans le cas où il ne produirait pas de preuve touchant la validité alors que le défendeur le ferait. Une fois la preuve produite, c’est au demandeur qu’incombe la charge ultime d’établir que les allégations d’invalidité ne sont pas fondées.
[30] Dans Abbott Laboratories c. Canada (Ministre de la Santé), 2007 CAF 153, une décision unanime de la Cour d’appel fédérale, la juge Sharlow — les juges Malone et Ryer souscrivant à ses motifs — a examiné la question et a statué qu’il incombait au requérant sollicitant une ordonnance d’interdiction de démontrer le bien-fondé de sa demande. Le requérant peut alors faire valoir la présomption de validité mais, si le dossier contient la moindre preuve susceptible de réfuter cette présomption, la Cour doit apprécier cette preuve. La juge Sharlow a ainsi déclaré, aux paragraphes 9 et 10 :
Il ne fait désormais plus aucun doute qu’il incombe au requérant qui sollicite une ordonnance d’interdiction en vertu du Règlement de démontrer le bien-fondé de sa demande. Abbott estime que, dans la présente affaire, le juge n’a pas correctement appliqué ce principe, compte tenu de la présomption de validité prévue au paragraphe 43(2) de la , L.R.C. (1985), ch. P-4, dont voici le texte :
43. (2) Une fois délivré, le brevet est, sauf preuve contraire, valide et acquis au breveté ou à ses représentants légaux pour la période mentionnée aux articles 44 ou 45.
[. . .]
43. (2)
Je considère que le juge n’a pas commis l’erreur qu’on lui reproche. La formulation de la présomption prévue au paragraphe 43(2) est plutôt faible (, [2002] 4 R.C.S. 153, le juge Binnie, au paragraphe 43). Cette présomption n’est donc pas concluante pour une demande d’interdiction présentée en vertu du Règlement si, comme c’est le cas en l’espèce, le dossier contient la moindre preuve susceptible, si elle est admise, de réfuter la présomption en question (voir (1972), 8 C.P.R. (2d) 6 (C.F. 1re inst.), à la page 14, et (2000), 6 C.P.R. (4th) 285, au paragraphe 9).
[31] Une autre formation de la Cour d’appel, constituée des juges Linden, Nadon et Sexton, s’est plus tard penchée elle aussi sur la question du fardeau de la preuve, sans faire mention toutefois de la décision rendue dans l’arrêt Abbott, précité. Il s’agit de la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’instance antérieure mettant en cause le quinapril et Apotex, qu’on doit prendre en considération en tenant compte de ce que le juge Sexton a déclaré dans l’arrêt Sanofi-Aventis sur les instances liées à des avis de conformité multiples. Dans cette affaire, à ce qu’il semble, l’arrêt Abbott n’avait pas été porté à l’attention de la formation. S’exprimant au nom de la Cour, le juge Nadon a passé en revue une partie de la jurisprudence sur le fardeau de la preuve aux paragraphes 101 à 111 de l’arrêt Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2007 CAF 209, pour conclure comme suit aux paragraphes 109 et 110 :
Ainsi,la première personne au sens du Règlement a la charge générale de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que les allégations d’invalidité contenues dans l’avis d’allégation de la seconde personne ne sont pas fondées. Bien que la charge initiale incombe à la première personne, en raison de la présomption de validité d’un brevet énoncée à l’article 45 de la Loi antérieure à 1989, elle peut s’en acquitter simplement en prouvant l’existence du brevet. Il incombe alors à la seconde personne de présenter des éléments de preuve concernant l’invalidité et de mettre « en jeu » les allégations d’invalidité contenues dans l’avis d’allégation. Pour ce faire, la seconde personne doit présenter une preuve qui n’est pas clairement inapte à étayer ses allégations d’invalidité. En conséquence, non seulement la seconde personne doit présenter un avis d’allégation contenant un fondement factuel et juridique suffisant pour étayer ses allégations, mais elle doit également présenter une preuve d’invalidité au procès.
Une fois que la seconde personne a présenté une preuve suffisante, selon la prépondérance des probabilités, la première personne doit, également selon la prépondérance des probabilités, réfuter les allégations de l’avis d’allégation. Comme l’a expliqué ma collègue la juge Sharlow, dans l’arrêt , précité, au paragraphe 9 de ses motifs :
L’application de la présomption légale en présence d’une preuve de l’invalidité dépend de la force de cette preuve. Si celle-ci démontre selon la probabilité la plus forte que le brevet est invalide, la présomption est réfutée et n’est plus pertinente [. . .]
[32] À mon avis, la décision de chacune des deux formations de la Cour d’appel fédérale n’est pas substantiellement divergente. Le juge Mosley de la Cour a concilié ces deux décisions dans les motifs qu’il a énoncés dans Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc., 2007 CF 971 (aux paragraphes 44 à 51). Certains éléments, formulés comme suit, sont requis lorsque sont soulevées des questions de validité d’un brevet :
1. La seconde personne peut, dans son avis d’allégation, soulever un ou plusieurs motifs pour faire valoir l’invalidité.
2. La première personne peut, dans son avis de demande déposé auprès de la Cour, lier contestation à l’égard d’un ou de plusieurs de ces motifs.
3. La seconde personne peut produire une preuve pendant l’instance devant la Cour pour étayer les motifs à l’égard desquels a été liée contestation.
4. La première personne peut, à ses risques, se fier simplement sur la présomption de validité prévue par la Loi sur les brevets [L.R.C. (1985), ch. P-4] ou, si elle est plus prudente, présenter sa propre preuve quant aux motifs d’invalidité mis en cause.
5. La Cour apprécie la preuve. Si la première personne se fie uniquement sur la présomption, la Cour va malgré cela apprécier la solidité de la preuve produite par la seconde personne. Si cette preuve n’est pas concluante ni pertinente, la présomption prévaudra. Si les deux parties produisent une preuve, la Cour appréciera la preuve et tranchera la question selon la norme habituelle de la prépondérance des probabilités.
6. Si la preuve de l’une et l’autre partie s’équivaut à l’étape 5 (ce qui est rare), le requérant (la première personne) n’aura pas réussi à démontrer l’absence de fondement de l’allégation d’invalidité et n’aura pas droit à la délivrance de l’ordonnance d’interdiction sollicitée.
[33] S’il s’agissait d’une action ordinaire, par exemple une action en contrefaçon de brevet où est soulevée la question de la validité, c’est à la personne contestant la validité qu’incomberait le fardeau et elle devrait alors présenter une preuve pour étayer l’allégation d’invalidité. Le breveté peut s’appuyer sur la présomption, mais uniquement dans la mesure où la partie qui conteste n’a pas présenté une preuve digne de foi pour étayer son allégation. La Cour, en fin de compte, doit apprécier la preuve selon la norme de preuve civile habituelle ( Diversified Products Corp. c. Tye-Sil Corp., [1991] A.C.F. no 124 (C.A.) (QL), aux pages 12 à 18 [de QL]). Ainsi, c’est seulement dans le (rare) cas où la Cour conclut à l’équivalence de la preuve de l’une et l’autre partie que la question de la présomption se poserait dans une affaire ordinaire, et la personne qui conteste la validité, comme c’est à elle qu’incombe le fardeau de la preuve, serait déboutée.
LA VALIDITÉ DU BREVET '330
1) L’incidence de l’instance antérieure
[34] Novopharm a contesté, en application du Règlement AC, la validité du brevet '330 au moyen des avis d’allégation qu’elle a signifiés à Pfizer. Cette dernière a réagi en engageant la présente instance, qui vise à interdire au ministre de la Santé de délivrer un AC à Novopharm. Cet avis, s’il était délivré sans aucune autre restriction, permettrait à Novopharm de vendre au Canada des versions génériques des médicaments quinapril de Pfizer. On m’a avisé que d’autres restrictions existent, en la forme d’autres instances concernant un autre brevet, mais cela n’est pas pertinent en l’espèce.
[35] Novopharm a réduit à deux ses motifs de contestation de la validité du brevet '330 : 1) revendications de portée plus large que l’invention; 2) absence de prédiction valable. Comme on l’a dit, une autre société générique, Apotex, a déjà contesté dans l’instance antérieure la validité des mêmes revendications en cause du brevet '330. Pfizer avait alors réussi à convaincre la Cour d’appel fédérale que n’étaient pas fondées les assertions d’Apotex quant à l’invalidité pour ces motifs.
[36] Par conséquent, en vertu du paragraphe 6(2) du Règlement AC, la Cour a pris une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un AC à Apotex. D’autres questions étaient soulevées dans l’instance antérieure, toutes tranchées en défaveur d’Apotex, mais elles sont sans pertinence en l’espèce.
[37] Dans l’arrêt Sanofi-Aventis, la Cour d’appel fédérale a mis en garde contre l’institution par différentes sociétés génériques d’instances multiples, où la validité d’un même brevet continue d’être contestée alors qu’une même contestation par une société générique a été rejetée dans une instance antérieure. La Cour d’appel a déclaré qu’il était nécessaire d’établir un équilibre entre, d’un côté, l’existence possible de meilleurs éléments de preuve ou d’un argument juridique plus valable présentés postérieurement par une société générique, ce qui rendrait l’interdiction d’évoquer ces éléments injuste et, d’un autre côté, le fait que les ressources de la Cour de même que celles, notamment, du ministre administrant le Règlement AC ne devraient pas être gaspillées par des instances répétées, même si la présentation de la preuve et l’argumentation sont en l’occurrence très habiles.
[38] La Cour est envahie d’instances portant sur un avis de conformité et, au rythme où vont actuellement les choses, près de trois instances sont engagées pour chacune qui est tranchée par la Cour. Selon le Règlement AC, l’instance doit être tranchée par la Cour dans les 24 mois suivant son institution, sauf si les parties consentent à une prorogation du délai. Rarement un tel consentement est-il accordé, sauf peut-être pour une prorogation de quelques semaines. La Cour accepte de relever ce défi. Toutefois, lorsqu’on soulève de nouveau essentiellement les mêmes questions que celles déjà tranchées, la Cour doit se demander sérieusement s’il ne s’agit pas là d’un gaspillage superflu de ses ressources.
[39] Les parties ne sont pas sans recours. L’instance portant sur un avis de conformité fournit au titulaire de brevet, ou à son représentant, l’occasion d’obtenir l’équivalent d’une injonction permanente pendant la durée de validité du brevet s’il a gain de cause, ou à tout le moins une injonction temporaire de 24 mois simplement en engageant l’instance. Pour sa part, la société générique obtient l’accès à des données sur des questions comme la sécurité et l’efficacité précédemment soumises par le breveté (ou son représentant) au ministre. Toutefois, quelle que soit l’issue de l’instance portant sur un avis de conformité, sauf si la jurisprudence ou le principe de l’autorité de la chose jugée y fait obstacle, le breveté peut toujours intenter une action en contrefaçon du ou des brevets, et la société générique peut toujours engager une poursuite pour contester la validité de ceux-ci. Et même si un breveté ou une société générique se voit empêcher de porter ou de reporter en justice une affaire qui met en cause le Règlement AC, il n’y a pas atteinte au droit fondamental d’intenter une action en matière de contrefaçon ou de validité. Une partie peut devoir changer sa stratégie, mais il n’y a pas atteinte à ses droits fondamentaux.
[40] Le Règlement AC prévoit un processus administratif supplémentaire lié à la protection de la santé publique. On y prévoit des recours visant le ministre en des circonstances uniques, recours permettant notamment de lui interdire de délivrer un AC à une société pharmaceutique générique demanderesse. Deux arrêts de la Cour d’appel fédérale peuvent nous éclairer à cet égard. L’un d’eux est l’arrêt Pfizer Canada Inc. c. Canada (Procureur général), [2003] 4 C.F. 95 (C.A.F.), où le juge Strayer a déclaré ce qui suit au paragraphe 26 :
Le Règlement prévoit au contraire un processus administratif supplémentaire lié à la protection de la santé publique et créé, d’une part, pour faciliter la mise au point et la préparation de drogues génériques à une période précédant la délivrance d’un AC où leur vente constituerait encore une violation d’un brevet en vigueur et, d’autre part, pour conférer aux brevetés une protection additionnelle : en faisant une simple demande d’interdiction, les brevetés peuvent habituellement empêcher la délivrance d’un AC à l’égard d’un produit générique pour une durée de 24 mois.
[41] L’autre arrêt est Novartis A.G. c. Apotex Inc., 2002 CAF 440, où le juge Strayer, une fois encore, s’exprimant au nom de la Cour d’appel, a également déclaré ce qui suit au paragraphe 9 :
Je crois que les principes fondamentaux qui s’appliquent sont ceux qui ont été formulés par le juge Isaac dans l’arrêt et qui ont été approuvés et suivis par une autre formation collégiale de notre Cour dans l’affaire il y a moins d’un an. Le principe fondamental est que la procédure extraordinaire prévue par le Règlement vise un objectif d’ordre public, celui de permettre à la Section de première instance d’empêcher un fonctionnaire de délivrer un avis de conformité, conçu pour la protection de la santé du public, si le breveté réussit à démontrer que les brevets qu’énumère un fabriquant de médicaments génériques dans l’avis d’allégation qu’il présente en vue d’obtenir un avis de conformité, appartiennent à la « première personne » demanderesse et que les revendications pertinentes ne sont pas invalides et qu’elles seraient contrefaites. Il s’agit là d’une conclusion que la Cour est appelée à tirer dans le but bien précis de décider si le ministre peut ou non délivrer un avis de conformité : personne ne songerait qu’il s’agit là d’un mécanisme permettant à la Cour de rendre des décisions ayant l’autorité de la chose jugée au sujet de la portée ou de la validité des brevets. Ainsi que le juge Isaac l’a déclaré au paragraphe 25 de l’arrêt :
[25] Il convient de souligner qu’une décision de la présente Cour portant que les appels sont théoriques ne signifie pas que les appelantes n’ont pas de recours. Elles peuvent engager des actions en contrefaçon, si elles sont conseillées en ce sens et que les faits justifient ce recours. La Cour d’appel fédérale a indiqué très clairement que les demandes fondées sur l’article 6 n’ont pas pour effet de trancher les droits du titulaire de brevet. Dans l’arrêt précité, p. 319, le juge Hugessen a rejeté l’idée d’assimiler une demande d’interdiction à une action :
La procédure engagée n’est pas une action et ne vise qu’à faire interdire la délivrance d’un avis de conformité sous le régime du . Manifestement, elle ne constitue pas « une action en contrefaçon de brevet » .
Dans ces circonstances, il est inutile de mentionner que toute décision que la présente Cour rendra en l’espèce pourrait servir à contester accessoirement un jugement prononcé dans une action en contrefaçon.
Ainsi que le juge Isaac l’a souligné dans l’arrêt à la page 252, aux termes du paragraphe 7(4) du Règlement, le délai de suspension automatique qui frappe la délivrance de l’avis de conformité expire notamment lorsque la demande est « rejetée par le tribunal ». Suivant la Cour, il faut entendre par « tribunal » « [. . .] la Section de première instance de la Cour fédérale », compte tenu du caractère exceptionnel et autonome du Règlement ( , (1996), 70 C.P.R. (3d) 206)). L’expression en question ne signifie pas « rejetée par la Cour d’appel fédérale ».
[42] Ainsi, bien qu’il soit reconnu qu’une seconde société générique est une personne différente de la première société générique, et que les deux instances sont distinctes, les autres éléments en cause sont les mêmes. Le breveté, la « première personne », est le même, le brevet est le même, le ministre est le même et le recours sollicité, l’interdiction adressée au ministre, est également le même. Il n’est pas essentiel que les parties ou leurs ayants droit soient les mêmes dans les deux instances, même en suivant la stricte doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée. Je renvoie encore à des motifs du juge Strayer (maintenant juge suppléant), cette fois dans la décision Estenson c. Canada (Procureur général), 2007 CF 538, aux paragraphes 19 à 24 :
Il est bien établi que pour que la préclusion découlant d’une question déjà tranchée empêche de nouvelles procédures pour juger une question :
i) la même question doit avoir été décidée dans une procédure antérieure;
ii) la décision rendue dans la procédure antérieure doit être finale;
iii) les parties à la décision antérieure ou leurs ayants droit doivent être les mêmes que les parties engagées dans l’affaire où la préclusion est soulevée ou leurs ayants droit.
(Voir, par exemple, , [1975] 2 R.C.S. 248, au paragraphe 254; , [2001] 2 R.C.S. 460, aux paragraphes 54 à 61.)
Si l’on examine tout d’abord la deuxième condition, je pense qu’il est indubitable que la décision du président de la Commission de révision, prise en vertu de la ,est finale. Cette loi ne prévoit pas de droit d’appel et le délai pour demander un contrôle judiciaire est depuis longtemps expiré.
Il est plus difficile de trancher si la question dont la Commission de révision était saisie est la même que celle qui serait soumise à un arbitre au sujet de l’accréditation du demandeur en vertu de l’EAV. Certes, les questions de droit sont différentes. La première concerne une violation possible de l’alinéa 69(1)) du , alors que la deuxième intéressera, essentiellement une rupture de contrat concernant l’entente d’accréditation du demandeur. Cependant, il suffit pour qu’il y ait préclusion découlant d’une question déjà tranchée qu’il y ait dans les deux cas une question déterminante pour l’issue de l’affaire qui soit essentiellement pareille dans tous ses aspects importants. Voir (1994), 68 O.A.C. 284, aux paragraphes 31, 32, 88, 89. Même si le cadre législatif est différent et pourrait empêcher la préclusion fondée sur la cause d’action, il y a en l’espèce une détermination de fait qui est également applicable aux deux affaires. La question de fait essentielle pour conclure à la responsabilité du demandeur ou de M. Tebrinke est la suivante : la tête PTM découverte à l’usine de Tyson provenait-elle d’un animal faisant partie du lot que le demandeur a certifié et que M. Tebrinke a exporté aux ÉtatsUnis? À moins d’une réponse affirmative à cette question, aucun des deux ne peut être tenu responsable : ni M. Tebrinke en vertu du , ni le demandeur en vertu de l’entente qui l’oblige à délivrer des certificats exacts.
La question à laquelle il est le plus difficile de répondre est la troisième, c’est-à-dire s’agit-il dans les deux cas des mêmes parties ou de leurs ayants droit? Je dois d’abord dire qu’à mon avis, ce critère devrait être appliqué avec plus de rigueur à la personne qui doit subir l’effet préjudiciable de la préclusion. En l’espèce, cette partie est la même dans les deux cas et il s’agit de l’ACIA. Certes, dans la présente affaire, la partie qui souhaite invoquer la préclusion n’était pas personnellement partie à la procédure dans l’affaire , dans laquelle il a été déterminé que M. Tebrinke n’était pas coupable. Je conclus, cependant, qu’à ces fins, le demandeur et M. Tebrinke étaient des ayants droit. J’estime qu’il faut faire preuve de souplesse lorsqu’on identifie les personnes qui sont des ayants droit à ces fins. Dans leur ouvrage intitulé , (Butterworth’s, Second Edition, ont dit au paragraphe 19.86 :
[traduction] Il est impossible d’être catégorique quant à l’étendue de l’intérêt qui crée un lien de droit connexe. D’après la jurisprudence, « il doit y avoir un degré d’identification suffisant entre les deux personnes de manière à ce qu’il soit juste de statuer que la décision à laquelle une des personnes était partie devrait s’appliquer dans la procédure à laquelle l’autre personne est partie ».
Un des précédents cités dans l’ouvrage est la décision , [1977] 3 All E.R. 54, au paragraphe 60. Cet extrait de l’ouvrage intitulé a été cité et approuvé par le juge Binnie de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt , précité, au paragraphe 60. Dans l’arrêt , précité, un employé ayant été congédié a intenté une action en vertu de la de l’Ontario pour recouvrer son indemnité de départ; il a en outre intenté une action en dommages-intérêts pour congédiement déguisé devant la Cour supérieure. Il a finalement été statué en vertu de la que l’employé n’avait pas droit de réclamer une indemnité de départ. Il a été jugé que cette décision entraînait la préclusion découlant d’une question déjà tranchée de sorte que l’employé ne pouvait pas intenter une action pour réclamer une indemnité de départ. En appel, la Cour d’appel de l’Ontario, tout en confirmant la décision du juge de première instance, a souligné que, les parties aux deux procédures n’étaient pas les mêmes : dans l’action intentée en vertu de la , les parties étaient l’employeur et un agent du bureau des normes d’emploi, alors que dans l’action devant la Cour supérieure, les parties étaient l’employé et l’employeur. Il a néanmoins été jugé qu’il y avait des intérêts communs entre l’employé et l’agent du bureau des normes d’emploi et qu’ils avaient donc des intérêts connexes : voir, plus particulièrement, les paragraphes 34 et 88. En l’espèce, le demandeur et M. Tebrinke partageaient un intérêt identique, celui de contester l’allégation selon laquelle la vache en cause faisait partie du lot certifié par le demandeur et exporté par l’éleveur. Ils ont tous les deux participé à l’exportation des bovins autorisés. Le demandeur a témoigné pour le compte de M. Tebrinke et le président de la Commission de révision a accordé beaucoup de poids à sa déposition. L’ACIA ayant eu la possibilité de prouver d’où provenait la tête de la vache PTM et n’ayant pas réussi à le faire dans le cadre de l’affaire Tebrinke, elle ne devrait pas avoir la possibilité de soulever la même question de fait, même s’il s’agit d’un cadre juridique différent.
Je conclus donc qu’il est interdit à l’ACIA d’engager de nouvelles procédures contre le demandeur relativement à cet animal précis. Comme l’ACIA a eu la possibilité d’engager de nouvelles procédures jusqu’au moment où la décision a été rendue dans l’affaire le 2 novembre 2006, ce qui a entraîné la préclusion, j’ordonnerai l’annulation de la suspension prononcée le 3 avril 2006, à partir du 2 novembre 2006, ainsi que l’arrêt de toutes les autres procédures notifiées au demandeur par l’ACIA par voie d’une lettre datée du 3 avril 2006 concernant l’animal portant l’étiquette numéro 271 629 357.
[43] Ainsi, dans une instance portant sur un avis de conformité, particulièrement dans celle qui nous occupe, il est parfaitement légitime de se demander si une société générique puise indûment dans les ressources de la Cour et de celles du ministre lorsqu’elle soulève essentiellement les mêmes questions qu’une autre société générique dans une instance antérieure, qui n’avait alors pas obtenu gain de cause. La Cour doit se rappeler à ce sujet que la société générique peut toujours intenter une procédure pour contester de la manière habituelle la validité du brevet. La Cour garde également à l’esprit que, si une question différente devait être posée dans une instance ultérieure quant à la validité, cette question serait alors examinée, comme ce fut le cas, par exemple, dans la décision Eli Lilly, dont j’ai déjà traité.
[44] Ainsi lorsque la même question, celle de la validité, est en litige, et que sont évoqués les mêmes éléments, en l’occurrence « les revendications de portée plus large » et « la prédiction valable », la Cour se penchera sur ceux-ci tout en gardant à l’esprit qu’il y a déjà eu une instance portant sur un avis de conformité et qu’on pourra toujours, comme solution de rechange, sans les restrictions du principe de l’autorité de la chose jugée, intenter une action avec pleine communication préalable et possibilité pour la Cour d’observer directement les témoins.
2) Les revendications de plus large portée
[45] La règle de droit établissant si la validité d’une revendication dans un brevet peut être contestée pour portée excessive a été énoncée clairement et succinctement par le juge Thurlow (alors juge de la Cour de l’Échiquier) dans l’arrêt Farbwerke Hoechst Aktiengesellschaft Vormals Meister Lucius & Bruning v. Commissioner of Patents, [1966] R.C.É. 91 (confirmé par [1966] R.C.S. 604), qui a déclaré ce qui suit à la page 106 :
[traduction] La portée du monopole auquel peut valablement prétendre l’inventeur est restreinte de deux manières fondamentales. La portée du monopole ne peut excéder celle, premièrement, de l’invention qu’il a faite et, deuxièmement, celle de l’invention tel qu’elle a été décrite dans le mémoire descriptif.
[46] La première restriction constitue une question de fait : quelle invention l’inventeur a-t-il créée? La seconde, une question d’interprétation du brevet afin de discerner ce qui y est dit. Dans les deux cas, une comparaison s’impose avec les revendications en cause afin d’établir si la « portée » de la revendication est ou non plus large que ce que l’inventeur ou les inventeurs ont véritablement créé ou que ce que prévoit la divulgation. Lorsqu’on ne peut disposer du témoignage du ou des inventeurs et que la preuve secondaire telle que des blocs-notes, des mémoires et le témoignage de collègues ne peut être obtenue ou s’avère insatisfaisante si elle l’est, il est raisonnable de présumer que la divulgation du brevet coïncide avec ce que le ou les inventeurs ont inventé.
[47] C’est à la Cour, non aux experts ou aux inventeurs, qu’il revient d’interpréter la divulgation du brevet ainsi que les revendications. Les experts peuvent éclairer la Cour sur le sens de mots et d’expressions de même que sur certaines questions scientifiques et le contexte pertinent. La Cour doit toutefois veiller à ne pas laisser les experts la supplanter dans son rôle. L’interprétation ne doit pas donner lieu à un combat d’experts; il s’agit plutôt d’une obligation incombant à la Cour. Comme je l’ai déclaré dans Eli Lilly (appel rejeté en raison de son caractère théorique, 2007 CAF 359), aux paragraphes 103 et 104 :
Dans une instance relative à un brevet, la première chose à faire est d’interpréter celui-ci (,[2000] 2 R.C.S. 1067, au paragraphe 43). Cette règle s’applique non seulement aux revendications, mais aussi, s’il y a lieu, à l’ensemble du brevet ( , [1976] 1 R.C.S. 555, à la page 563; et , [1934] R.C.S. 570, à la page 572).
L’interprétation appartient au seul tribunal ( et).Le rôle de l’expert, s’il est besoin d’experts, se limite à aider le tribunal à se mettre à la place de la personne versée dans l’art à l’époque pertinente (, 2006 CAF 275, au paragraphe 11). La Cour d’appel fédérale a expliqué dans les termes suivants la nature du rôle de l’expert au paragraphe 33 de l’arrêt , [1996] 3 C.F. 751 (C.A.) :
Il est reconnu en droit que le rôle d’interprétation d’une revendication de brevet appartient exclusivement au juge de première instance. Selon la stricte théorie du droit, les témoins experts, les personnes versées dans l’art, ont pour tâche de fournir au juge la connaissance technique nécessaire pour interpréter un brevet comme s’il était lui-même une personne versée dans l’art. Lorsque les experts ne s’entendent pas, c’est au juge de première instance qu’il appartient de trancher de façon définitive. [Note en fin de texte omise.]
[48] Dans l’instance antérieure relative au brevet '330 (2007 CAF 209), la Cour d’appel fédérale a interprété les mêmes revendications que celles en cause en l’espèce et, comme je l’ai déjà dit, elle a conclu qu’il faut les interpréter comme englobant tous les stéréo-isomères des composés. Les parties à la présente instance sont d’accord avec cette interprétation. La Cour d’appel fédérale a en outre interprété la divulgation (le mémoire descriptif). Elle en avait l’obligation du point de vue juridique. S’exprimant au nom de la Cour d’appel, le juge Nadon a conclu comme suit, tel que le résument les paragraphes 126 et 127 :
Toutefois, compte tenu de la preuve soumise à la Cour, l’invention de Pfizer peut être décrite comme englobant tous les stéréo-isomères du quinapril. D’après l’état de la technique, tous les stéréo-isomères étaient envisagés par l’inventeur, comme l’ont démontré l’emploi d’une formule de Markish et le fait que les brevets delivrés à l’égard d’autres inhibiteurs de l’ECA revendiquaient et divulguaient tous les stéréo-isomères. Le libellé des revendications et la preuve d’expert semblent indiquer que tous les stéréo-isomères du quinapril sont revendiqués dans le brevet. En fait, la juge de première instance, dans son introduction concernant le brevet '330, écrit que « [. . .] [l]es composés ont trois centres chiraux et tous les stéréo-isomères qui partagent cette même structure, c’est-à-dire les stéréo-isomères à la fois de configurations S et R sont visés par les revendications » (motifs de la juge Heneghan, paragraphe 9).
À mon avis, une personne versée dans l’art lirait les deux paragraphes de la divulgation que j’ai reproduits au paragraphe 120 des présents motifs comme divulguant que l’invention inclut tous les stéréo-isomères. Le lecteur versé dans l’art serait convaincu, en particulier en raison de l’affirmation claire dans le deuxième paragraphe, que [traduction] « [. . .] tous les isomères optiques et les diastéréo-isomères et leurs mélanges sont visés par cette invention ». En conséquence, un lecteur versé dans l’art comprendrait, selon moi, que les revendications 3 et 5, bien qu’elles ne parlent pas de la configuration stéréochimique, incluent tous les stéréo-isomères. Ainsi, étant donné que l’invention englobe clairement tous les stéréo- isomères et que le brevet revendique tous les stéréo-isomères, on ne peut dire que le brevet revendique davantage que ce qui a été inventé.
[49] Les avocats de Novopharm soutiennent que deux éléments évoqués en l’espèce ne l’étaient pas dans l’instance antérieure. Le premier est que, du point de vue juridique, la Cour d’appel fédérale a commis une erreur en faisant référence à d’autres brevets pour interpréter le brevet '330. Selon les avocats de Novopharm, le passage suivant du paragraphe 126, précité, permet de le constater :
[. . .] et le fait que les brevets délivrés à l’égard d’autres inhibiteurs de l’ECA revendiquaient et divulguaient tous les stéréo-isomères.
[50] Il est bien exact de dire qu’on ne peut interpréter un brevet au regard d’une preuve extrinsèque (se reporter, par ex., à Whirlpool Corp., au paragraphe 49, no f). Il convient également à la Cour de tenir compte du contexte des mots énoncés dans le brevet et du sens qui leur est donné (par ex., Whirlpool, précité, au paragraphe 49, no d). Bien qu’on ne puisse parfaitement discerner l’incidence véritable pour la Cour d’appel de l’existence d’autres « brevets délivrés à l’égard d’autres inhibiteurs de l’ECA », quels qu’ils puissent être, il suffit pour la Cour, dans le cadre d’une instance portant sur un avis de conformité, de conclure qu’une cour supérieure a bien examiné la question de l’interprétation du brevet et tiré une conclusion motivée.
[51] Le second élément qui, selon Novopharm est aussi évoqué pour la première fois en l’espèce, a trait à la preuve, et en particulier au témoignage des inventeurs eux-mêmes, quant au second volet du critère énoncé par le juge Thurlow dans l’arrêt Farbwerke Hoechst, soit la question de savoir si les revendications ont une plus large portée que ce que les inventeurs ont véritablement inventé. Les inventeurs désignés du brevet '330 sont Milton L. Hoefle et Sylvester Klutchko. Les deux inventeurs ont déposé des affidavits à titre de témoins des faits dans le cadre de la présente instance, et tous deux ont été contre-interrogés. Le Dr Clifton Blankley, le chimiste qui a rédigé de sa main la première ébauche de l’éventuel brevet '330, a également déposé un affidavit en l’instance et été contre-interrogé. Le Dr Blankley n’est ni un avocat ni un agent de brevets; il a témoigné à titre de témoin des faits.
[52] La juge Heneghan, juge de première instance dans la procédure antérieure relative au brevet '330 (2005 CF 1205, aux paragraphes 18 à 43) a dressé avec soin la liste des témoins lors de l’instance dont elle était saisie et a notamment précisé s’ils avaient été contre-interrogés. Elle a mentionné au paragraphe 22 que tant M. Hoefle que M. Klutchko avaient déposé des affidavits, mais pas qu’ils avaient été contre-interrogés. Comme elle avait pris soin de le préciser lorsque d’autres témoins avaient été contre-interrogés, il est raisonnable de conclure que ni M. Hoefle ni M. Klutchko n’ont été contre-interrogés lors de l’instance antérieure. La juge Heneghan a déclaré au paragraphe 21 que le D r Blankley avait déposé un affidavit et été contre-interrogé.
[53] Les avocats de Novopharm dans la présente instance soutiennent qu’on dispose en l’espèce de « meilleurs éléments de preuve » que lors de l’instance antérieure, soit le contre-interrogatoire de M. Hoefle, qui révèle que l’invention fonctionnait uniquement avec des composés de la configuration S,S,S et non pas les huit stéréo-isomères possibles. Ainsi, selon les avocats de Novopharm, l’invention revendiquée, visant l’ensemble des stéréo-isomères, est de plus large portée que ce que les inventeurs ont véritablement inventé, à savoir le seul stéréo-isomère S,S,S. Des extraits révélateurs du contre-interrogatoire de M. Hoefle figurent aux pages 38 à 40 de la transcription (les pages 567 à 569 du dossier de la demande) :
[traduction]
Q. Et vous dites à la phrase qui commence à la cinquième ligne du haut que l’on a notamment établi qu’il y avait une classe de composés ayant une utilité commune, c’est-a-dire l’invention ayant fait par la suite l’objet du brevet '330. Le voyez-vous?
R. Oui.
Q. Encore une fois, je sais que ces mots ne sont pas de vous, mais à quelle classe de composés ayant une utilité commune faites-vous ici allusion?
R. Nous faisons allusion aux dérivés de la tétrahydroisoquinoline de Merck. En d’autres termes, nous n’étions intéressés qu’à un composé, soit le dérivé de la tétrahydroisoquinoline. Nous en avons examiné d’autres, comme les diméthoxys substitués, mais, vous savez, nous n’y avons vu aucun avantage.
Q. Bien.
R. — ce sont là les composés faits à ce moment-là et dont nous avions connaissance.
Q. Et ces —
R. C’est ce qui était inclus dans le brevet.
Q. Et c’est ça qui vous intéressait?
R. Oui.
Q. Et cela incluait uniquement les composés avec le noyau THIQ de configuration S, est-ce exact?
R. Pour ce qui est des composés que nous avons fait, cet énoncé est exact. Pour ce qui est de la façon dont le brevet est rédigé, je ne suis pas certain. Je veux dire le — vous savez.
Q. Votre invention n’était pas un THIQ de configuration R, c’est bien ça?
R. Non, ce n’en était pas un. Nous étions — notre invention était l’analogue de Merck. Autant que nous le sachions, c’était le S,S,S de bout en bout.
Q. Parce que c’est ce que vous jugiez nécessaire pour l’activité, exact?
R. Exact.
[54] Les avocats de Pfizer, pour leur part, soutiennent qu’il faut examiner le témoignage de M. Hoefle dans son ensemble, et qu’un tableau différent s’en dégage alors, à savoir que, pendant que les inventeurs travaillaient aux composés S,S,S, ils concevaient également d’autres éléments. À titre d’exemple typique des passages cités par les avocats de Pfizer, il y a la réponse donnée par M. Hoefle lors de son contre-interrogatoire et figurant aux pages 24 et 25 de la transcription (pages 553 et 554 du dossier de la demande) :
[traduction]
Q. Ça va. Au paragraphe 17, à la septième ligne du bas, il y a une phrase qui commence par « Ainsi ». Vous la voyez?
R. Je l’ai.
Q. Ainsi, je croyais comprendre que le nouveau composé que M. Klutchko et moi-même avions conçu aurait aussi une configuration S à chacun de ses trois centres chiraux. Vous voyez cela?
R. Oui.
Q. Et c’est exact?
R. Oui.
Q. C’était le composé que vous aviez conçu, est-ce exact?
R. Bien, en fait nous avions conçu plus que cela. Ce qui importe, c’est que nous pouvions supposer de manière éclairée, en fonction des antécédents et des publications sur le sujet, que le composé le plus actif de cette série serait celui ayant la configuration S,S,S.
[55] Le témoignage de M. Hoefle n’est pas concluant quant à savoir ce que les inventeurs ont précisément inventé, soit le seul stéréo-isomère S,S,S, soit les huit stéréo-isomères. Il serait de loin préférable d’observer M. Hoefle pendant qu’il témoigne en cour plutôt que de tirer une conclusion en fonction d’une déposition qui, peut-on soutenir, pourrait être interprétée de l’une ou l’autre manière. On ne peut ainsi dire que cet élément de preuve en est véritablement un « meilleur » présenté dans le cadre de l’instance portant sur un avis de conformité que ne l’était la preuve prise en compte par les cours dans l’instance antérieure.
[56] Le seul autre inventeur désigné, M. Klutchko, n’a pas été interrogé à ce sujet. Si Novopharm avait estimé important de le faire pour en arriver à un « meilleur » élément de preuve, elle aurait dû interroger M. Klutchko en ce sens. Elle ne l’a pas fait. Le témoignage présenté par le Dr Blankley en l’espèce n’aide pas à régler cette question.
[57] En conséquence, on ne dispose pas en l’instance d’un meilleur « élément de preuve » faisant en sorte qu’il soit indiqué pour la Cour de réexaminer la conclusion de la Cour d’appel fédérale dans l’instance antérieure. Comme je l’ai dit, la Cour ne modifiera pas, dans le cadre de l’instance sur l’avis de conformité, les conclusions de droit de la Cour d’appel fédérale.
[58] Par conséquent, pour ce qui est de la question des « revendications de plus large portée », rien ne permet de réexaminer la conclusion tirée par la Cour d’appel fédérale, soit qu’il n’y a pas de fondement permettant de contester la validité des revendications du brevet '330 eu égard au Règlement AC. Il ne sera donc pas nécessaire de se pencher sur la liste détaillée de questions soulevées par les parties, outre celles que la Cour a ici examinées.
3) La prédiction valable
[59] La Cour d’appel fédérale a examiné la question de la prévision valable dans l’instance antérieure, aux paragraphes 150 à 154 de sa décision (2007 CAF 209), sous la rubrique intitulée « Absence d’utilité » :
Bien que la juge Heneghan ait conclu que Pfizer n’avait pas démontré l’utilité à la date de l’invention, elle a néanmoins conclu que le brevet était valide en raison de la règle de la prédiction valable.
Apotex fait valoir que la juge Heneghan s’est trompée lorsqu’elle a conclu que l’utilité des composés revendiqués dans le brevet '330 avait été valablement prédite à la date pertinente du 3 octobre 1980 (la date de priorité). D’après Apotex, comme il n’existait pas d’éléments de preuve établissant que l’un ou l’autre des composés revendiqués avaient été testés à cette date, la prédiction d’utilité n’était pas valable. Je ne puis accepter cet argument.
Pour étayer son argument selon lequel quelques tests doivent être effectués avant de conclure à la validité de l’utilité d’une invention, Apotex invoque la décision rendue par la Cour fédérale dans l’affaire . (1998), 145 F.T.R. 161. Toutefois, en appel, la Cour suprême (dans [2002] 4 R.C.S. 153) a interprété différemment la règle de la prédiction valable. À son avis, pour qu’une prédiction soit valable, « [. . .] la prédiction doit avoir un fondement factuel » (paragraphe 70). Bien que dans deux arrêts antérieurs de la Cour suprême « [. . .] les composés testés constituaient le fondement factuel », dans l’arrêt , précité, la Cour suprême a estimé que « d’autres faits peuvent suffire selon la nature de l’invention » (paragraphe 70). En conséquence, le test n’est pas une exigence absolue pour un brevet fondé sur la prédiction valable. En outre, dans une affaire comme celle dont est saisie la Cour où il existe d’abondantes données sur l’utilité de composés connexes tels que le captopril, l’énapril et le composé de Tanabe, il existait des éléments de preuve sur lesquels la juge pouvait se fonder pour conclure qu’il y avait un fondement factuel pour prédire l’utilité de l’invention divulguée dans le brevet '330.
En tout cas, Pfizer invoque, avec raison à mon avis, l’arrêt récent , 2006 CAF 64, où la Cour a statué que la date pertinente pour évaluer la validité d’une prédiction était la date de dépôt au Canada, soit le 30 septembre 1981 dans cette affaire. Contrairement à l’avis d’allégation d’Apotex et à la conclusion de la juge Heneghan, la date pertinente n’est pas la date de priorité qui, en l’espèce, est le 3 octobre 1980. En outre, dans son avis d’allégation daté du 24 juillet 2003, Apotex mentionne des tests de quinapril qui ont démontré que le composé baissait la pression artérielle chez les rats. Les résultats de ces test ont été reçus le 8 septembre 1980, bien avant la date du dépôt au Canada. Par conséquent, même si quelques tests étaient requis pour établir une prédiction valable, ces tests ont été effectués dans la présente affaire.
La question de la prédiction valable est une question mixte de fait et de droit à l’égard de laquelle des éléments de preuves ont été présentés. En particulier, M. Wasley et M. Anderson ont témoigné qu’une personne douée d’habiletés moyennes dans l’art aurait un fondement valable pour prédire que tous les composées revendiqués auraient une utilité en raison des brevets sur le captopril, de la divulgation et de l’application de l’énalapril, du brevet de Tanabe et des connaissances de l’inventeur sur certains autres composés. On ne peut pas dire que la juge a commis une erreur manifeste et dominante lorsqu’elle a tiré sa conclusion à cet égard.
[60] Selon les avocats de Novopharm, la Cour d’appel fédérale a commis une erreur de droit en posant la mauvaise question. Ils soutiennent que c’est à tort que la Cour d’appel a déterminé si une « personne versée dans l’art » comme M. Wasley ou M. Anderson aurait eu un fondement valable pour prédire que tous les stéréo-isomères auraient une utilité. La question qu’il convenait plutôt d’examiner selon ces avocats, c’est si, comme question de fait, les inventeurs eux-mêmes disposaient d’un fondement factuel valable pour faire une telle prédiction.
[61] Toutes les parties s’entendent pour dire que la décision AZT de la Cour suprême du Canada (Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., [2002] 4 R.C.S. 153) est celle qui fait autorité en matière de « prédiction valable ». Une question a plus tard été soulevée, quant à savoir à quelle date il convient d’examiner si une prédiction valable aurait pu être faite : la date de priorité ou la date de dépôt au Canada. Il n’est pas nécessaire de trancher ce débat en l’espèce, puisque la preuve est alors la même, que l’une ou l’autre date soit à privilégier.
[62] Dans l’affaire AZT, la Cour suprême a énoncé, particulièrement au paragraphe 70, un critère tripartite à utiliser pour examiner la question de la prédiction valable : 1) un fondement factuel pour la prédiction, 2) un raisonnement clair et « valable » des inventeurs et 3) une divulgation suffisante. Plus précisément, le juge Binnie, s’exprimant au nom de la Cour, a déclaré ce qui suit, au paragraphe 70 :
La règle de la prédiction valable comporte trois éléments. Premièrement, comme c’est le cas en l’espèce, la prédiction doit avoir un fondement factuel. Dans les arrêts et , les composés testés constituaient le fondement factuel, mais d’autres faits peuvent suffire selon la nature de l’invention. Deuxièmement, à la date de la demande de brevet, l’inventeur doit avoir un raisonnement clair et « valable » qui permette d’inférer du fondement factuel le résultat souhaité. Dans les arrêts et , le raisonnement reposait sur la connaissance de l’« architecture des composés chimiques » (, p. 1119), mais là encore, d’autres raisonnements peuvent être légitimes selon l’objet de l’invention. Troisièmement, il doit y avoir divulgation suffisante. Normalement, la divulgation est suffisante si le mémoire descriptif explique d’une manière complète, claire et exacte la nature de l’invention et la façon de la mettre en pratique : H. G. Fox, (4e éd. 1969), p. 167. En général, il n’est pas nécessaire que l’inventeur fournisse une explication théorique de la l’invention fonctionne. Le lecteur pragmatique est uniquement intéressé de savoir que l’invention fonctionne et comment la mettre en pratique. Dans ce type d’affaire, toutefois, la prédiction valable est, jusqu’à un certain point, la contrepartie que le demandeur offre pour le monopole conféré par le brevet. Il n’y a pas lieu en l’espèce de se prononcer sur la divulgation particulière requise à ce sujet, parce que les faits sous-jacents (les données résultant des tests) et le raisonnement (l’effet bloquant sur l’élongation de la chaîne) étaient effectivement divulgués et que cette divulgation n’est pas devenue un sujet de controverse entre les parties. En conséquence, je ne m’y attarderai pas davantage.
[63] Il importe de se rappeler dans quel contexte est survenue l’affaire AZT. Le brevet avait trait à une nouvelle utilisation d’un composé déjà connu. La question se posant quant à la prédiction valable était de savoir si, à la date pertinente, un fondement approprié permettait à l’inventeur de faire une prédiction valable relativement à cette nouvelle utilisation. À cet égard, le juge Binnie a déclaré ce qui suit, au paragraphe 52 :
Il est important de rappeler qu’en ce qui concerne l’AZT la seule contribution de Glaxo/Wellcome a consisté à en découvrir une nouvelle utilisation. Le composé lui-même n’était pas nouveau. Le Dr Jerome Horwitz en avait décrit la composition chimique 20 ans plus tôt. Glaxo/Wellcome revendiquait une utilité jusqu’alors inconnue, mais si elle n’avait pas démontré cette utilité par des essais ou une prédiction valable au moment de la demande de brevet, elle n’aurait rien eu d’autre à offrir à la population que des vœux pieux en échange de la monopolisation, pendant une période de 17 ans (à l’époque), d’un secteur de recherche susceptible de devenir profitable. Comme l’a fait observer le juge en chef Jackett dans l’arrêt , [1979] A.C.F. no 405 (QL) (C.A.), par. 16 :
Par définition une « invention » comprend un « procédé présentant le caractère de la nouveauté et de l’utilité ». Un nouveau procédé ne constitue pas une invention, à moins qu’il ne soit utile au sens pratique. À mon avis, ce n’est pas connaître une « invention », que de connaître un procédé sans connaître son utilité.
[64] Le juge Binnie a également traité du fondement factuel d’une conclusion de prédiction valable, aux paragraphes 65 et 69 :
Cependant, lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, le juge de première instance reconnaît, à la lumière de la preuve, que les inventeurs , en réalité, prédire valablement qu’un composé déjà connu (l’AZT) aurait une utilité jusqu’alors inattendue dans le traitement et la prophylaxie du VIH/sida, leur divulgation de « l’invention » constitue alors (et alors seulement) une véritable contrepartie pour les avantages monopolistiques qu’ils sollicitent.
[. . .]
En toute déférence, j’estime que le législateur a voulu obtenir plus que des spéculations en échange du monopole que confère un brevet (question qui sera approfondie plus loin). Par ailleurs, je ne crois pas, en toute déférence, que la règle de la prédiction valable ait seulement la portée étroite que lui a attribuée le juge de première instance. Dès qu’on reconnaît que, dans des circonstances appropriées, il est possible de prédire l’utilité avant d’avoir effectué des tests complets (sur des composés chimiques ou d’autres composés non testés), il semble n’y avoir, en principe, aucune raison de ne pas appliquer la règle de façon plus générale, compte tenu évidemment de la preuve d’expert. Il n’y a pas de doute qu’il faut se garder d’appliquer la règle de la prédiction valable de manière abusive et de la diluer au point d’inclure les vœux pieux ou les simples spéculations. La population a droit à un solide enseignement en contrepartie des droits conférés par un brevet.
[65] Chaque affaire est fonction des faits d’espèce, comme l’a déclaré le juge Binnie au paragraphe 71 :
Il vaut la peine de répéter que la question de savoir si la prédiction est valable est une question de fait. Il faut présenter, comme on l’a fait en l’espèce, une preuve de ce qui était connu ou inconnu à la date de priorité. Tout dépendra, dans chaque cas, des particularités de la discipline en cause. En l’espèce, les conclusions de fait nécessaires à l’application de la règle de la « prédiction valable » ont été tirées et j’estime que les appelantes n’ont pas démontré l’existence d’une erreur dominante ou manifeste.
[66] À cet égard, la Cour d’appel fédérale ne s’est pas penchée sur la mauvaise question dans l’instance antérieure relative au brevet '330 (se reporter au paragraphe 154 de la décision (2007 CAF 209) :
La question de la prédiction valable est une question mixte de fait et de droit à l’égard de laquelle des éléments de preuves ont été présentés. En particulier, M. Wasley et M. Anderson ont témoigné qu’une personne douée d’habiletés moyennes dans l’art aurait un fondement valable pour prédire que tous les composées revendiqués auraient une utilité en raison des brevets sur le captopril, de la divulgation et de l’application de l’énalapril, du brevet de Tanabe et des connaissances de l’inventeur sur certains autres composés. On ne peut pas dire que la juge a commis une erreur manifeste et dominante lorsqu’elle a tiré sa conclusion à cet égard.
[67] La question de la prédiction valable est une question mixte de fait et de droit. La Cour d’appel a pris en compte « les connaissances de l’inventeur sur certains autres composés » ainsi que les connaissances qu’auraient les personnes douées d’habiletés moyennes. Aucune erreur de droit n’a été commise qui permettrait à la Cour, dans le cadre d’une instance portant sur un avis de conformité, de ne pas adhérer à la conclusion de la Cour d’appel fédérale selon laquelle n’était pas fondée l’allégation d’invalidité des revendications du brevet '330. Il n’existe aucune raison d’examiner de manière plus détaillée la liste des questions soulevées en l’espèce par les parties.
CONCLUSION
[68] En conclusion, dans le cadre de l’instance portant sur un avis de conformité on n’a pas démontré qu’il existait un meilleur élément de preuve ou une meilleure argumentation à l’égard des mêmes questions liées à l’invalidité que celles soulevées par une autre société générique dans une instance antérieure concernant les revendications du brevet '330. Par conséquent, les demandes de Pfizer visant à obtenir la délivrance d’une ordonnance d’interdiction seront accueillies avec dépens.
LES DÉPENS
[69] Pfizer a droit à ses dépens et débours. Ni l’une ni l’autre partie n’a demandé que les dépens soient taxés selon une valeur autre que la valeur moyenne par défaut de la colonne III [du tarif B des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, r. 1 (mod. par DORS/ 2004-283, art. 2)]. Je conclus que c’est là le niveau de taxation approprié en l’espèce. À l’audience, tant Pfizer que Novopharm étaient représentées par trois avocats en toge. Pfizer peut demander que soient taxés les dépens pour un avocat principal et un avocat en second. Pfizer peut également demander que soient taxés les dépens pour ses avocats ayant effectué un contre-interrogatoire, soit pour un avocat principal et un avocat en second, le cas échéant. Pour ce qui est d’assister au contre- interrogatoire par Novopharm d’un témoin de Pfizer, les dépens d’un seul avocat de cette dernière — au taux d’un avocat principal — peuvent être taxés.
[70] La question des honoraires des experts pose toujours problème. Seulement cinq experts peuvent témoigner sans autorisation de la Cour. En l’espèce, Pfizer avait six experts, mais ne disposait d’aucune autorisation. La Cour ne peut accorder que les honoraires de cinq experts; Pfizer a souvent renvoyé à M. Maycock dans son argumentation, et les honoraires de ce dernier sont ainsi accordés. La Cour peut seulement accorder les honoraires de quatre autres experts, au choix de Pfizer.
[71] Les honoraires exigés par les experts doivent être étudiés avec soin. Ils doivent être raisonnables et ne pas dépasser les honoraires demandés pour la même période par l’avocat principal de Pfizer. La Cour ne peut rien accorder pour tout avocat à l’interne de Pfizer, ou dont celle-ci aura retenu les services, à moins qu’il ne s’agisse alors d’un avocat inscrit au dossier. Il faudra également étudier avec soin les frais de photocopie; mis à part les documents communiqués à la Cour et à l’autre partie, les frais pourront être accordés pour un maximum de trois copies. Si Pfizer a fait appel à un service interne de photocopie, on pourra alors demander la taxation des frais de photocopies véritablement engagés. Si Pfizer a plutôt fait appel à un service externe, elle pourra alors demander les frais raisonnables véritablement engagés. La Cour considérera raisonnables les frais de déplacement engagés par un avocat présent à l’audience ou lors d’un contre-interrogatoire.
[72] Les demandes T-209-06 et T-210-06 ayant été instruites ensemble, les dépens et débours ne seront pas accordés en double, sauf si Pfizer peut démontrer qu’ils ont bel et bien été engagés en double.
JUGEMENT
Pour les motifs qui précèdent,
LA COUR STATUE que :
1. La demande T-209-06 et la demande T-210-06 sont accueillies.
2. Il est interdit au ministre de la Santé défendeur de délivrer un avis de conformité à la défenderesse Novopharm Limitée à l’égard de ses demandes relatives au chlorhydrate de quinapril et à l’hydrochlorothiazine en cause dans la présente instance, du moins jusqu’à la délivrance du brevet canadien 1341330.
3. Les demanderesses ont droit à leurs dépens et débours, lesquels seront taxés conformément aux motifs formulés.