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[2017] 1 R.C.F. 56

A-205-15

2016 CAF 134

Obaidullah Siddiqui (appelant)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (intimé)

Répertorié : Siddiqui c. Canada (Citoyenneté et Immigration)

Cour d’appel fédérale, juges Nadon, Rennie et Gleason, J.C.A.—Vancouver, 19 avril; Ottawa, 29 avril 2016.

Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Réfugiés au sens de la Convention et personnes à protéger — Appel d’une décision de la Cour fédérale rejetant la demande de contrôle judiciaire présentée à l’encontre d’une décision rendue par la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada d'accueillir la demande d’ordonnance déposée par l'intimé en vertu de l’art. 108(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés visant à retirer le statut de personne protégée et de résident permanent à l’appelant — La question de savoir si l'on peut appliquer les mêmes, ou presque les mêmes, considérations et précédents ainsi que la même analyse sur le plan juridique tant aux personnes qualifiées de réfugiés au sens de la Convention qu’aux personnes déclarées comme ayant besoin d’une protection à titre de membres de la catégorie de personnes de pays d’accueil a été certifiée — L'appelant, un Afghan, a été accepté aux fins d’une réinstallation au Canada en tant que membre de la catégorie de « personnes de pays d’accueil » et a obtenu le statut de résident permanent à son arrivée au Canada — Il a par la suite obtenu un passeport afghan, s’est rendu en Afghanistan et a utilisé son passeport afghan comme pièce d’identité — L'intimé a ensuite entrepris des procédures visant à retirer à l’appelant sa qualité de réfugié en application de l’art. 108(1)a) de la Loi — Il a été jugé que l’appelant s’était de nouveau réclamé de la protection de l’Afghanistan, et la qualité de réfugié lui a été retirée en application de l'art. 108(2), de même que son statut de résident permanent — Il s'agissait principalement de savoir comment répondre à la question certifiée et de déterminer si la SPR a commis une erreur en omettant de se demander si l’appelant aurait pu perdre l’asile aux termes de l’art. 108(1)e) de la Loi — Une personne de pays d’accueil est un étranger qui se trouve hors du Canada et qui est sélectionné en vue d’une réinstallation au Canada et donc, une « personne en situation semblable » au sens de l'art. 95(1) — L’interprétation de la Loi amène à la conclusion sans équivoque que les dispositions de l’art. 108 relatives à la perte de l’asile s’appliquent à la fois aux réfugiés au sens de la Convention et à la catégorie de personnes de pays d’accueil — L’art. 95 confère une protection à la fois aux réfugiés au sens de la Convention et aux membres de la catégorie de personnes de pays d’accueil — Le législateur a expressément formulé le libellé de l'art. 108 de manière à ce que la perte de l’asile s’applique aux « personnes protégées », sans égard à la manière dont la protection a été obtenue — La SPR n’a commis aucune erreur en omettant de se demander si l'appelant aurait pu perdre l'asile aux termes de l'art. 108(1)e) puisque ce motif n’avait été soulevé ni par l'intimé ni par l’appelant — Appel rejeté.

Il s'agissait d'un appel d’une décision de la Cour fédérale rejetant la demande de contrôle judiciaire présentée à l’encontre d’une décision rendue par la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. Dans cette décision, la SPR a accueilli la demande d’ordonnance déposée par l'intimé en vertu de l’alinéa 108(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, qui visait à retirer le statut de personne protégée et de résident permanent à l’appelant. La question de savoir si l'on peut appliquer les mêmes, ou presque les mêmes, considérations et précédents ainsi que la même analyse sur le plan juridique tant aux personnes qualifiées de réfugiés au sens de la Convention qu’aux personnes déclarées comme ayant besoin d’une protection à titre de membres de la catégorie de personnes de pays d’accueil a été certifiée.

L'appelant, un Afghan, a été accepté aux fins d’une réinstallation au Canada, en tant que membre de la catégorie de « personnes de pays d’accueil » ou de « personnes protégées à titre humanitaire outre-frontières », une catégorie de demandeurs d’asile qui diffère des réfugiés au sens de la Convention et qui relève d’un programme mieux connu sous le nom de programme de réinstallation. Le programme de réinstallation est un programme discrétionnaire qui étend la protection conférée par l’asile aux personnes qui ont besoin d’être protégées, mais qui se trouvent à l’extérieur du Canada. L’appelant a obtenu le statut de résident permanent à son arrivée au Canada. Il a par la suite obtenu un passeport afghan et s’est rendu en Afghanistan à trois reprises sur une période d'environ deux ans. L’appelant a aussi voyagé dans d'autres pays d'Asie en utilisant son passeport afghan, s’en servant notamment comme pièce d’identité pour s’inscrire à l’hôtel. L'intimé a ensuite entrepris des procédures visant à retirer à l’appelant sa qualité de réfugié en application de l’alinéa 108(1)a) de la Loi. Il a été jugé que l’appelant s’était de nouveau réclamé de la protection de l’Afghanistan, et la qualité de réfugié lui a été retirée en application du paragraphe 108(2), de même que son statut de résident permanent.

Lors du contrôle judiciaire, l'appelant a allégué en particulier que l’alinéa 108(1)a) de la Loi ne s’appliquait pas à lui, à titre de membre de la catégorie des personnes protégées à titre humanitaire outre-frontières, et que son statut de résident permanent l’excluait des procédures de perte de l’asile. La Cour fédérale a, entre autres, jugé que l’alinéa 108(1)a) s’appliquait aux réfugiés de la catégorie de personnes de pays d’accueil et que, dès lors qu’un constat de perte de l’asile était rendu, la décision entraînait la perte du statut de résident permanent conformément à l’alinéa 46(1)c.1). Elle a également refusé d’entendre l’argument relatif à l’alinéa 108(1)e), parce que ce motif n’avait pas été soulevé devant la SPR.

Il s'agissait principalement de savoir comment répondre à la question certifiée et de déterminer si la SPR a commis une erreur en omettant de se demander si l’appelant aurait pu perdre l’asile aux termes de l’alinéa 108(1)e).

Arrêt : l’appel doit être rejeté.

Le texte législatif en cause montre en effet que les dispositions relatives à la perte de l’asile, qui sont prévues à l’article 108, ne se limitent pas aux réfugiés au sens de la Convention ni aux personnes à protéger, mais englobent également les « personnes en situation semblable » comme les membres de la catégorie de personnes de pays d’accueil. Une personne de pays d’accueil est un étranger qui se trouve hors du Canada et qui est sélectionné en vue d’une réinstallation au Canada et donc, une « personne en situation semblable » au sens du paragraphe 95(1). En vertu de l’alinéa 95(1)a), la sélection d’une personne aux fins d’une réinstallation au Canada confère à cette personne l’asile. De plus, le paragraphe 95(2) établit clairement que l’article 108 (perte de l’asile) s’applique aux personnes protégées, quel que soit le mécanisme par lequel la personne a obtenu le statut de personne protégée. Le paragraphe 108(2) établit également un lien explicite entre les dispositions relatives à la perte de l’asile et l’article 95, et ne mentionne pas le statut de réfugié au sens de la Convention, mais parle plutôt de l’« asile ». En résumé, l’interprétation de la Loi amène à la conclusion sans équivoque que les dispositions de l’article 108 relatives à la perte de l’asile s’appliquent à la fois aux réfugiés au sens de la Convention et à la catégorie de personnes de pays d’accueil (programme de réinstallation). L’article 95 confère une protection à la fois aux réfugiés au sens de la Convention et aux membres de la catégorie de personnes de pays d’accueil. Ce qui est perdu, en vertu de l’article 108, est la protection conférée par l’article 95, et le législateur a expressément formulé le libellé de cet article de manière à ce que la perte de l’asile s’applique aux « personnes protégées », sans égard à la manière dont la protection a été obtenue. Il n'y a aucune raison pour que le principe applicable pour se réclamer de nouveau de la protection d’un pays et les critères y afférents devraient varier selon la manière dont le statut de personne protégée a initialement été obtenu.

L’argument de l'appelant selon lequel, à titre de membre de la catégorie de personnes de pays d’accueil ayant acquis le statut de résident permanent à son arrivée au Canada, il ne pouvait perdre son statut pour s'être réclamé de nouveau de la protection d'un pays a été examiné. L’alinéa 46(1)c.1) de la Loi dispose expressément qu’une décision prise au titre du paragraphe 108(2) entraîne la perte du statut de résident permanent. L’argument de l’appelant, selon lequel l’alinéa 46(1)c.1) ne s’appliquait pas parce qu’il faisait partie de la catégorie des personnes de pays d’accueil, rendrait cette disposition sans effet.

La SPR n’a commis aucune erreur en omettant de se demander si l'appelant aurait pu perdre l'asile aux termes de l'alinéa 108(1)e) puisque ce motif n’avait été soulevé ni par l'intimé ni par l’appelant.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 12(3), 46(1)c.1), 95, 108, 109(1).

TRAITÉS ET AUTRES INSTRUMENTS CITÉS

Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6.

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Febles c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CSC 68, [2014] 3 R.C.S. 431; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654.

DÉCISIONS CITÉES :

Nsende c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 531, [2009] 1 R.C.F. 49; Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559.

DOCTRINE CITÉE

Citoyenneté et Immigration Canada. Guide de traitement des demandes à l’étranger (OP). Chapitre OP 5 : Sélection et traitement à l’étranger des cas de réfugiés au sens de la Convention outre-frontières et de personnes protégées à titre humanitaire outre-frontières, 13 août 2009, en ligne : <http://www.cic.gc.ca/francais/ressources/guides/op/op05-fra.pdf>.

APPEL d’une décision de la Cour fédérale (2015 CF 329, [2015] 4 R.C.F. 409) rejetant la demande de contrôle judiciaire présentée à l’encontre d’une décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada d'accueillir la demande d’ordonnance de l'intimé en vertu de l’alinéa 108(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés visant à retirer le statut de personne protégée et de résident permanent à l’appelant. Appel rejeté.

ONT COMPARU

Douglas Cannon pour l'appelant.

Helen Park et Brett Nash pour l'intimé.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Elgin, Cannon & Associates, Vancouver, pour l'appelant.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]        Le juge Rennie, J.C.A. : L’appelant interjette appel d’une décision de la Cour fédérale (2015 CF 329, [2015] 4 R.C.F. 409, motifs prononcés par le juge Noël), rejetant la demande de contrôle judiciaire présentée à l’encontre d’une décision rendue par la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (C.I.S.R. [ou la Commission]) du Canada. Dans cette décision, la SPR a accueilli la demande d’ordonnance déposée par le ministre en vertu de l’alinéa 108(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), qui visait à retirer le statut de personne protégée et de résident permanent à l’appelant. Dans sa conclusion, le juge a formulé la question suivante aux fins de certification par la Cour :

[…] [P]eut-on appliquer les mêmes, ou presque les mêmes, considérations et précédents ainsi que la même analyse sur le plan juridique tant aux personnes qualifiées de réfugiés au sens de la Convention qu’aux personnes déclarées comme ayant besoin d’une protection à titre de membres de la catégorie de personnes de pays d’accueil?

[2]        Je répondrais affirmativement à cette question. Il serait toutefois utile de passer brièvement en revue les faits qui sous-tendent cet appel afin de mettre en contexte l’enjeu soulevé par la question certifiée.

[3]        L’appelant est né en Afghanistan. En 2010, il a été accepté aux fins d’une réinstallation au Canada, en tant que membre de la catégorie de « personnes de pays d’accueil » ou de « personnes protégées à titre humanitaire outre-frontières », une catégorie de demandeurs d’asile qui diffère des réfugiés au sens de la Convention et qui relève d’un programme mieux connu sous le nom de programme de réinstallation. Le programme de réinstallation est un programme discrétionnaire qui étend la protection conférée par l’asile aux personnes qui ont besoin d’être protégées mais qui se trouvent à l’extérieur du Canada : voir le Guide de traitement des demandes à l’étranger (OP), chapitre OP 5 : Sélection et traitement à l’étranger des cas de réfugiés au sens de la Convention outre-frontières et de personnes protégées à titre humanitaire outre-frontières, de Citoyenneté et Immigration Canada. L’appelant a obtenu le statut de résident permanent du Canada en janvier 2011.

[4]        En octobre 2011, l’appelant a obtenu un passeport afghan et, entre cette date et la fin de 2013, il s’est rendu en Afghanistan à trois reprises. Le premier voyage (d’une durée de six semaines) a été effectué en 2012; l’appelant était alors accompagné de ses deux fils. En 2013, l’appelant est retourné seul en Afghanistan, cette fois-ci pour une période de neuf semaines. Il s’est rendu en Afghanistan pour une troisième fois en juillet 2013, entre autres pour affaires. Ce séjour de six mois au cours duquel il était accompagné d’un de ses fils avait également pour but d’inscrire son fils à l’école en Afghanistan. L’appelant a aussi voyagé en Chine et en Inde en utilisant son passeport afghan, s’en servant notamment comme pièce d’identité pour s’inscrire à l’hôtel.

[5]        En novembre 2013, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration a entrepris des procédures visant à retirer à l’appelant sa qualité de réfugié en application de l’alinéa 108(1)a) de la LIPR. Cet alinéa est libellé comme suit :

Rejet

108 (1) Est rejetée la demande d’asile et le demandeur n’a pas qualité de réfugié ou de personne à protéger dans tel des cas suivants :

a) il se réclame de nouveau et volontairement de la protection du pays dont il a la nationalité.

[6]        La SPR a accueilli la demande du ministre. La SPR a pris en compte les trois conditions bien établies pour déterminer si un réfugié au sens de la Convention s’est réclamé de nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité, et elle a conclu que les trois conditions s’appliquaient : voir la décision Nsende c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 531, [2009] 1 R.C.F. 49. Il a donc été déterminé que, conformément à l’alinéa 108(1)a), l’appelant s’était de nouveau réclamé de la protection de l’Afghanistan, et la qualité de réfugié lui a été retirée en application du paragraphe 108(2). L’appelant a également perdu son statut de résident permanent.

[7]        L’appelant a présenté à la Cour fédérale une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision rendue par la SPR, en alléguant que l’alinéa 108(1)a) ne s’appliquait pas à lui, à titre de membre de la catégorie des personnes protégées à titre humanitaire outre-frontières, et que le statut de résident permanent qui lui avait été accordé à son arrivée au Canada l’excluait des procédures de perte de l’asile. Il soutenait que la décision de la SPR était erronée, car la Commission a mal interprété son statut, estimant qu’il était un réfugié au sens de la Convention et non un membre de la catégorie de personnes de pays d’accueil. À l’appui de son argumentation, il a fait référence à divers paragraphes de la décision de la SPR dans lesquels la SPR qualifiait l’appelant de réfugié au sens de la Convention, de réfugié ou de personne protégée. Il a insisté sur le fait que la SPR l’avait considéré à tort comme un réfugié au sens de la Convention et que, puisque les dispositions de l’article 108 relatives à la perte de l’asile ne s’appliquent pas à la catégorie des personnes de pays d’accueil, aucun fondement juridique ne justifiait le prononcé d’une ordonnance de constat de perte de l’asile. L’appelant soutenait également que la SPR a commis une erreur en omettant d’examiner l’applicabilité de l’alinéa 108(1)e). Contrairement aux ordonnances de constat de perte de l’asile rendues en application des alinéas 108(1)a) à d), une perte d’asile fondée sur l’alinéa 108(1)e) n’entraîne pas la perte du statut de résident permanent.

[8]        La Cour fédérale a rejeté la demande en déclarant que l’alinéa 108(1)a) s’applique aux réfugiés de la catégorie de personnes de pays d’accueil et que, dès lors qu’un constat de perte de l’asile est rendu, la décision entraîne la perte du statut de résident permanent conformément à l’alinéa 46(1)c.1) qui se lit comme suit :

Résident permanent

46 (1) Emportent perte du statut de résident permanent les faits suivants :

[…]

c.1) la décision prise, en dernier ressort, au titre du paragraphe 108(2) entraînant, sur constat des faits mentionnés à l’un des alinéas 108(1)a) à d), la perte de l’asile.

[9]        La Cour fédérale a également refusé d’entendre l’argument relatif à l’alinéa 108(1)e), parce que ce motif n’avait pas été soulevé devant la SPR.

[10]      L’appelant invoque les mêmes arguments devant la Cour.

[11]      Le rôle de la Cour est d’examiner l’appel d’une demande de contrôle judiciaire et de déterminer si le juge de l’instance inférieure a choisi et appliqué la bonne norme de contrôle : voir l’arrêt Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559. En l’espèce, le juge a conclu à juste titre que la décision de la SPR d’accueillir la demande de perte d’asile de la part du ministre était une question mixte de droit et de fait qui commandait donc l’application de la norme de la décision raisonnable, et que l’interprétation faite par la C.I.S.R. des dispositions pertinentes de la LIPR devait également être examinée en regard de cette norme.

[12]      Les réponses à la contestation judiciaire de la décision reposent sur une interprétation de la loi qui est fondée sur les principes. Si l’on interprète les dispositions pertinentes de la LIPR selon leur sens grammatical et ordinaire, en harmonie avec l’esprit de la Loi, il ne fait aucun doute que les arguments de l’appelant sont sans fondement. Le texte législatif montre en effet que les dispositions relatives à la perte de l’asile, qui sont prévues à l’article 108, ne se limitent pas aux réfugiés au sens de la Convention ni aux personnes à protéger, mais englobent également les « personnes en situation semblable » comme les membres de la catégorie de personnes de pays d’accueil.

[13]      Le point de départ de cette analyse est le paragraphe 12(3) de la LIPR qui se lit comme suit :

12 […]

Réfugiés

(3) La sélection de l’étranger, qu’il soit au Canada ou non, s’effectue, conformément à la tradition humanitaire du Canada à l’égard des personnes déplacées ou persécutées, selon qu’il a la qualité, au titre de la présente loi, de réfugié ou de personne en situation semblable.

[14]      Les personnes de pays d’accueil désignent une catégorie d’étrangers qui se trouvent hors du Canada et qui sont sélectionnés en vue d’une réinstallation au Canada. L’appelant est donc une « personne en situation semblable ». En vertu de l’alinéa 95(1)a), la sélection d’une personne aux fins d’une réinstallation au Canada confère à cette personne l’asile.

Asile

95 (1) L’asile est la protection conférée à toute personne dès lors que, selon le cas :

a) sur constat qu’elle est, à la suite d’une demande de visa, un réfugié au sens de la Convention ou une personne en situation semblable, elle devient soit un résident permanent au titre du visa, soit un résident temporaire au titre d’un permis de séjour délivré en vue de sa protection.

b) la Commission lui reconnaît la qualité de réfugié au sens de la Convention ou celle de personne à protéger. [Je souligne.]

[15]      De plus, le paragraphe 95(2) établit clairement que l’article 108 (perte de l’asile) s’applique aux personnes protégées, quel que soit le mécanisme par lequel la personne a obtenu le statut de personne protégée :

95 […]

Personne protégée

(2) Est appelée personne protégée la personne à qui l’asile est conféré et dont la demande n’est pas ensuite réputée rejetée au titre des paragraphes 108(3), 109(3) ou 114(4).

[16]      Qui plus est, le paragraphe 108(2) établit un lien explicite entre les dispositions relatives à la perte de l’asile et l’article 95. Plus important encore, ce paragraphe ne mentionne pas le statut de réfugié au sens de la Convention, mais parle plutôt de l’« asile » :

108 […]

Perte de l’asile

(2) L’asile visé au paragraphe 95(1) est perdu, à la demande du ministre, sur constat par la Section de protection des réfugiés, de tels des faits mentionnés au paragraphe (1). [Je souligne.]

[17]      En résumé, l’interprétation de la LIPR amène à la conclusion sans équivoque que les dispositions de l’article 108 relatives à la perte de l’asile s’appliquent à la fois aux réfugiés au sens de la Convention et à la catégorie de personnes de pays d’accueil (programme de réinstallation). L’article 95 confère une protection à la fois aux réfugiés au sens de la Convention et aux membres de la catégorie de personnes de pays d’accueil. Ce qui est perdu, en vertu de l’article 108, est la protection conférée par l’article 95, et le législateur a expressément formulé le libellé de cet article de manière à ce que la perte de l’asile s’applique aux « personnes protégées », sans égard à la manière dont la protection a été obtenue.

[18]      Je ne vois aucune raison pour que le principe applicable pour se réclamer de nouveau de la protection d’un pays et les critères y afférents devraient varier selon la manière dont le statut de personne protégée a initialement été obtenu. Il convient de rappeler que toute protection des réfugiés constitue une protection de substitution, la présomption en droit international étant que le pays de nationalité protégera ses ressortissants. Le fait, pour une personne de pays d’accueil, de se réclamer de nouveau de la protection du pays dont elle a la nationalité, est conforme à ce principe.

[19]      Cela a pour effet d’éliminer les principaux arguments de l’appelant et montre également pourquoi la terminologie utilisée par la SPR pour décrire l’appelant n’a aucune importance. En ce qui concerne les ordonnances de constat de perte de l’asile, le paragraphe 12(3) et l’article 95 réunissent de manière efficace les réfugiés au sens de la Convention, les personnes de pays d’accueil ou « personnes en situation semblable » dans une seule catégorie — celle des personnes protégées. Or, comme l’article 108 s’applique aux personnes protégées, le moyen ou l’instrument par lequel la protection a été conférée devient non pertinent.

[20]      Passons maintenant au deuxième argument de l’appelant. L’appelant allègue que le statut de résident permanent lui a été accordé dès son arrivée au Canada parce qu’il faisait partie de la catégorie de personnes de pays d’accueil, ce qui n’est pas le cas en ce qui concerne les réfugiés au sens de la Convention. Le législateur ne pouvait avoir eu l’intention de faire perdre le statut de résident permanent qu’il avait accordé à l’arrivée, parce que la personne se réclamait de nouveau de la protection du pays dont il avait la nationalité. Selon l’appelant, toute mesure entraînant la perte de l’asile doit avoir été prise avant que soit accordé le statut de résident permanent.

[21]      Cependant, rien dans le régime législatif ne soutient pareil argument. De fait, l’alinéa 46(1)c.1) dispose expressément qu’une décision prise au titre du paragraphe 108(2) entraîne la perte du statut de résident permanent. L’argument de l’appelant, selon lequel l’alinéa 46(1)c.1) ne s’appliquait pas parce qu’il faisait partie de la catégorie des personnes de pays d’accueil, rendrait cette disposition sans effet.

[22]      Dans un effort visant à se soustraire au libellé clair de la Loi, l’appelant insiste sur une interprétation restrictive des dispositions relatives à la perte de l’asile, afin d’en exclure les réfugiés appartenant à la catégorie de personnes de pays d’accueil. L’appelant soutient qu’une telle interprétation serait conforme aux objectifs de la LIPR et de la Convention [Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6]. Il est toutefois un principe juridique bien établi selon lequel on ne peut invoquer des principes du droit international pour miner les dispositions expresses du législateur, lorsque le libellé du législateur est sans équivoque, comme c’est le cas en l’espèce. Ainsi que l’indique la Cour suprême dans l’arrêt Febles c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CSC 68, [2014] 3 R.C.S 431, les objectifs généraux, qu’ils soient fondés sur le droit international ou des lois nationales, ne justifient pas une interprétation qui soit sans fondement, ou qui soit incompatible avec le libellé du législateur.

[23]      L’appelant allègue qu’il a perdu le statut de personne protégée lorsque le statut de résident permanent lui a été accordé et que, par conséquent, l’article 108 ne peut s’appliquer.

[24]      Rien dans la loi n’appuie cet argument. Selon l’alinéa 95(1)a), l’asile est conféré « dès lors que » la personne devient un résident permanent. Il est illogique de laisser entendre qu’une personne gagne et perd la protection conférée par l’asile au moment même où elle devient résident permanent. La LIPR prévoit que le statut de personne protégée peut être retiré en vertu de la LIPR selon l’un des deux mécanismes suivants : ordonnance de constat de perte d’asile en vertu du paragraphe 108(2) ou annulation de la décision ayant accueilli la demande d’asile en vertu du paragraphe 109(1).

[25]      Je partage l’argument de l’appelant selon qui la Commission a commis une erreur en omettant de se demander si l’appelant aurait pu perdre l’asile aux termes de l’alinéa 108(1)e).

[26]      La SPR n’a toutefois commis aucune erreur en omettant de tenir compte d’un motif de perte de l’asile qui n’avait été soulevé ni par le ministre ni par l’appelant. De fait, comme l’a souligné le juge, l’appelant s’est opposé devant la SPR à toute référence à l’alinéa 108(1)e). Dans l’arrêt Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654, la Cour note qu’un tribunal jouit du pouvoir discrétionnaire de ne pas se saisir d’une question soulevée pour la première fois dans le cadre du contrôle judiciaire. En l’espèce, l’absence d'éléments de preuve probants et de vues formulées par le tribunal de première instance dans ce dossier milite fortement contre la prise en compte de cette question par la Cour fédérale. Le juge d’instance inférieure n’a commis aucune erreur susceptible de révision en refusant d’examiner la question dans le contexte du contrôle judiciaire.

[27]      Je répondrais affirmativement à la question certifiée et je rejetterais l’appel avec dépens.

Le juge Nadon, J.C.A. : Je suis d’accord.

La juge Gleason, J.C.A. : Je suis d’accord.

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