IMM-1278-16
2017 CF 54
Rajesh Babu Karunanithi (demandeur)
c.
Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)
Répertorié : Karunanithi c. Canada (Citoyenneté et Immigration)
Cour fédérale, juge Southcott—Toronto, 6 décembre 2016; Ottawa, 16 janvier 2017.
Citoyenneté et Immigration — Exclusion et renvoi — Personnes interdites de territoire — Contrôle judiciaire à l’encontre de la décision rendue par un agent d’Immigration, Citoyenneté et Réfugiés Canada (ICRC) de refuser la demande de visa de résident permanent en tant que travailleur qualifié présentée par le demandeur — L’ancienne épouse du demandeur a la garde de leur fils en vertu d’une ordonnance de divorce — L’agent a déterminé que le demandeur ne répondait pas aux exigences pour immigrer au Canada en raison de l’interdiction de territoire qui frappait son fils — L’agent a conclu entre autres que le demandeur n’avait pas présenté les résultats médicaux de son fils à sa charge et qu’il n’avait produit aucune preuve selon laquelle la mère avait la garde exclusive de l’enfant à charge ou qu’il avait déployé tous les efforts raisonnables pour le soumettre à une visite médicale — Il s’agissait de savoir si l’agent a commis une erreur en faisant entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’importer l’exigence relative à la « garde exclusive » et s’il a rendu une décision déraisonnable en ce qui concerne l’ordonnance de divorce — Les motifs invoqués par l’agent ne témoignaient pas d’une entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire — Les références de l’agent afin de déterminer si la mère a la garde exclusive de l’enfant constituaient une conclusion logique à ce que le demandeur devait démontrer pour profiter de l’exception à l’admissibilité prévue à l’art. 23b)(iii) du Règlement — Toutefois, l’agent a rendu une décision déraisonnable en ce qui concerne l’ordonnance de divorce — Il s’est fié indûment au fait que le terme « garde exclusive » n’est pas utilisé dans l’ordonnance de divorce — L’agent avait l’obligation de tenir compte des modalités de l’ordonnance de divorce et de mener une analyse en vue de déterminer si cette ordonnance avait comme effet de ne pas conférer la garde au demandeur — En l’espèce, des questions ont été soulevées à savoir si le libellé de l’art. 23b)(iii) a comme effet d’exiger à un étranger qui montre qu’il n’a pas la garde d’un enfant à charge à aussi montrer qu’il n’est pas habilité à agir au nom de l’enfant d’une autre façon — L’art. 23b)(iii) ne crée pas de critère à deux volets — Le demandeur ne devait que montrer qu’il n’avait pas la garde de son fils — Cette conclusion est soutenue par l’utilisation de la conjonction disjonctive « ou » dans l’art. 23b)(iii) — La conclusion de l’agent (selon laquelle le demandeur ne s’était pas raisonnablement efforcé de soumettre son fils à une visite médicale) est liée à un pouvoir discrétionnaire résiduel — Toutefois, si le demandeur répondait au critère réglementaire pour une exemption à l’exigence de soumettre son fils à une visite médicale, l’agent n’avait pas à songer à exercer son pouvoir discrétionnaire pour accepter le traitement de la demande — Demande accueillie.
Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision rendue par un agent (l’agent) d’Immigration, Citoyenneté et Réfugiés Canada (ICRC) de refuser la demande de visa de résident permanent en tant que travailleur qualifié présentée par le demandeur.
Le demandeur, un citoyen indien, a reçu une ordonnance de divorce qui indiquait que son ancienne épouse aurait la garde de leur fils. Le demandeur a par la suite trouvé un emploi au Canada et son fils ne l’a pas accompagné. ICRC a demandé à obtenir la preuve que son fils a été soumis à une visite médicale ou, si cela était impossible, de présenter une lettre et des documents à l’appui afin d’expliquer la situation. Le demandeur a opté pour la deuxième option et a présenté une lettre. L’agent a déterminé que le demandeur ne répondait pas aux exigences pour immigrer au Canada en raison de l’interdiction de territoire qui frappait son fils. L’agent a conclu entre autres que le demandeur n’avait pas présenté les résultats médicaux de son fils à sa charge et qu’il n’avait produit aucune preuve selon laquelle la mère avait la garde exclusive de l’enfant à charge ou qu’il avait déployé tous les efforts raisonnables pour le soumettre à une visite médicale.
Il s’agissait principalement de savoir si l’agent a commis une erreur en faisant entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’importer l’exigence relative à la « garde exclusive » et s’il a rendu une décision déraisonnable en ce qui concerne l’ordonnance de divorce.
Jugement : la demande doit être accueillie.
Les motifs invoqués par l’agent, qui s’appuyait sur les lignes directrices applicables, ne témoignaient pas d’une entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire. Les références de l’agent afin de déterminer si la mère a la garde exclusive de l’enfant constituent une conclusion logique à ce que le demandeur devait démontrer pour profiter de l’exception à l’admissibilité prévue au sous-alinéa 23b)(iii) du Règlement. Un étranger doit démontrer qu’il n’a pas la garde d’un enfant à sa charge. Pour ce faire, il est habituellement tenu de montrer qu’une autre personne et qu’elle seule a la garde de l’enfant.
Toutefois, l’agent a rendu une décision déraisonnable en ce qui concerne l’ordonnance de divorce. En particulier, l’agent n’a pas fait d’analyse pour déterminer si les éléments de preuve montraient que l’ex-épouse du demandeur a la garde exclusive de leur fils, faisant en sorte que le demandeur n’en a pas la garde. L’agent s’est fié indûment au fait que le terme « garde exclusive » n’est pas utilisé dans l’ordonnance de divorce. L’agent avait l’obligation de tenir compte des modalités de l’ordonnance de divorce et de mener une analyse en vue de déterminer si cette ordonnance avait comme effet de ne pas conférer la garde au demandeur. En l’espèce, les arguments des parties ont amené à se demander si le libellé du sous-alinéa 23b)(iii) a comme effet d’exiger à un étranger qui montre qu’il n’a pas la garde d’un enfant à charge à aussi montrer qu’il n’est pas habilité à agir au nom de l’enfant d’une autre façon. Il ne faut pas interpréter le sous-alinéa 23b)(iii) de la sorte, au sens où l’on crée un critère à deux volets. Le sous-alinéa 23b)(iii) porte plutôt sur le contrôle d’un étranger à l’égard de son enfant et reconnaît que ce contrôle peut prendre la forme d’une détermination de la garde ou qu’il peut être conféré par une ordonnance judiciaire différente, par un accord ou par l’effet de la loi. Le demandeur ne devait que montrer qu’il n’avait pas la garde de son fils. Il n’était pas aussi tenu de montrer qu’il s’était efforcé de soumettre son fils à une visite médicale. Cette conclusion est conforme à la jurisprudence de la Cour et est soutenue par l’utilisation de la conjonction disjonctive « ou » dans ce paragraphe. La conclusion de l’agent (selon laquelle le demandeur ne s’était pas raisonnablement efforcé de soumettre son fils à une visite médicale) n’est pas liée aux exigences prévues au sous-alinéa 23b)(iii) du Règlement, mais plutôt à un pouvoir discrétionnaire résiduel de ne pas refuser la demande pour des motifs de non-conformité. C’est ce pouvoir discrétionnaire qui semble constituer le fondement de l’analyse de l’agent afin de déterminer si le demandeur avait déployé tous les efforts raisonnables possibles pour soumettre son fils à une visite médicale. Toutefois, si le demandeur répondait au critère réglementaire pour une exemption à l’exigence de soumettre son fils à une visite médicale, l’agent n’avait pas à songer à exercer son pouvoir discrétionnaire pour accepter le traitement de la demande.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 11(1), 16(1),(1.1),(2), 25(1), 42(1)a), 50a).
Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, art. 23, 30(1)a).
JURISPRUDENCE CITÉE
DÉCISIONS APPLIQUÉES :
Ahumada Rojas c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1303; Gordon c. Canada (Procureur général), 2016 CF 643; Rarama c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 60; Donovan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 359.
DÉCISIONS EXAMINÉES :
Alexander c. Canada (Solliciteur général), 2005 CF 1147, [2006] 2 R.C.F. 681; Anderson c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 495.
DÉCISIONS CITÉES :
Thamotharem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 198, [2008] 1 R.C.F. 385; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Stemijon Investments Ltd. c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 299; JP Morgan Asset Management (Canada) Inc. c. Canada (Revenu national), 2013 CAF 250, [2014] 2 R.C.F. 557; Lee c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1152; Singh Bajwa c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 864.
DOCTRINE CITÉE
Citoyenneté et Immigration. Guide opérationnel : Traitement des demandes au Canada, chapitre IP 8 « Catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada ».
Citoyenneté et Immigration. Guide opérationnel : Traitement des demandes à l’étranger, chapitre OP 24 « Traitement à l’étranger des membres de la famille de demandeurs de résidence permanente au Canada ».
DEMANDE de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision rendue par un agent d’Immigration, Citoyenneté et Réfugiés Canada de refuser la demande de visa de résident permanent en tant que travailleur qualifié présentée par le demandeur. Demande accueillie.
ONT COMPARU
Cheryl Robinson pour le demandeur.
Negar Hashemi pour le défendeur.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Desloges Law Group Professional Corporation, Toronto, pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par
Le juge Southcott :
I. Aperçu
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision rendue par un agent (l’agent) d’Immigration, Citoyenneté et Réfugiés Canada (ICRC) de refuser la demande de visa de résident permanent en tant que travailleur qualifié présenté par le demandeur. Ce refus se fondait sur l’inadmissibilité du demandeur au motif que l’un des membres de sa famille était interdit de territoire, parce que le demandeur n’avait pas soumis son fils à une visite médicale.
[2] Comme il est expliqué de façon plus approfondie ci-dessous, cette demande est accueillie, parce que l’agent n’a pas analysé le contenu de l’ordonnance de divorce du demandeur afin de déterminer si les obligations et les droits y étant conférés conféraient au demandeur la garde de son fils.
II. Faits
[3] Le demandeur est Rajesh Babu Karunanithi, un citoyen indien qui a épousé Indhu Kasirajan en décembre 2002, avec qui il a eu un fils, Smaran Rajesh, le 4 avril 2004. Sa femme et lui se sont séparés pendant la grossesse et Smaran est né après que Mme Kasirajan ait quitté le foyer conjugal. M. Karunanithi, qui habite avec sa mère, n’a eu que très peu de contacts avec son fils depuis sa naissance. En juillet 2011, le couple a divorcé par consentement mutuel en Inde et a reçu une ordonnance de divorce du tribunal de la famille de Chennai.
[4] En janvier 2012, M. Karunanithi est arrivé au Canada afin d’occuper un emploi d’analyste de systèmes informatiques. Son ex-épouse et son fils ne l’ont pas accompagné. En raison de son emploi continu, M. Karunanithi a créé un profil en ligne d’Entrée express; ICRC lui a envoyé une invitation à présenter une demande de résidence permanente en tant que travailleur fédéral qualifié.
[5] Le 28 août 2015, M. Karunanithi a présenté sa demande de résidence permanente; le 25 janvier 2016, ICRC lui a envoyé une lettre dans laquelle il demandait à obtenir la preuve que son fils avait été soumis à une visite médicale ou, si cela était impossible, de présenter une lettre et des documents à l’appui afin d’expliquer la situation. M. Karunanithi a présenté une réponse, le 28 janvier 2016, qui comprenait une lettre dans laquelle il exposait sa situation familiale. Il y indiquait aussi qu’il comprenait qu’à défaut de soumettre son enfant à charge qui ne l’accompagnait pas à une visite médicale, il serait dans l’impossibilité de le parrainer à l’avenir. Il a aussi présenté une copie de l’ordonnance de divorce délivrée par le tribunal de la famille, qui présentait les modalités de la garde et d’autres dispositions relatives à son fils.
[6] L’ordonnance de divorce indiquait particulièrement que Mme Kasirajan aurait la garde de l’enfant et que M. Karunanithi aurait des droits de visite d’au moins deux heures par mois. M. Karunanithi doit aussi verser un paiement alimentaire pour l’enfant jusqu’à ce qu’il soit majeur, tandis que Mme Kasirajan contrôle les opérations dans le compte bancaire de leur fils. M. Karunanithi a le droit de donner des cadeaux à son fils de son gré, à des occasions particulières comme les fêtes d’anniversaire et les jours de festival.
[7] Dans une décision datée du 11 mars 2016, l’agent a déterminé que M. Karunanithi ne répondait pas aux exigences pour immigrer au Canada en raison de l’interdiction de territoire qui frappait son fils. Dans la décision, il faisait référence à l’alinéa 30(1)a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement), qui exige aux étrangers et aux membres de leur famille, qu’ils accompagnent ou non, de se soumettre à une visite médicale, et à l’alinéa 42(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), qui prévoit qu’un étranger est inadmissible au motif d’une interdiction de territoire frappant tout membre de sa famille qui l’accompagne ou, dans les cas réglementaires, ne l’accompagne pas.
[8] L’agent a conclu que M. Karunanithi n’avait pas présenté les résultats médicaux de son fils à sa charge et qu’il n’avait produit aucune preuve selon laquelle la mère avait la garde exclusive de l’enfant à charge ou qu’il avait déployé tous les efforts raisonnables pour le soumettre à une visite médicale. L’agent a indiqué qu’il ne suffisait pas à M. Karunanithi d’affirmer que sa personne à charge ne l’accompagne pas au Canada ou que la mère refuse de le soumettre à une visite médicale.
[9] L’agent a indiqué qu’il incombait au demandeur de produire suffisamment d’éléments de preuve à l’appui pour convaincre un agent d’immigration qu’il lui est impossible de soumettre sa personne à charge à une visite médicale et qu’il a déployé tous les efforts raisonnables pour le faire. L’agent a aussi indiqué que M. Karunanithi aurait pu demander à obtenir un recours auprès du système judiciaire, vu ses droits et ses obligations juridiques à l’égard de sa personne à charge.
[10] Dans les notes du Système mondial de gestion des cas (SMGC) faisant partie des motifs de la décision, l’agent a fait remarquer qu’il n’est pas indiqué, dans la requête en divorce que c’est la mère qui avait la garde exclusive. En outre, hormis sa déclaration, M. Karunanithi n’avait pas présenté de document indiquant qu’il avait tenté de soumettre son fils à une visite médicale. L’agent n’était pas convaincu, vu le contact entre M. Karunanithi et son ex-épouse et son droit de visite à l’égard de son fils, qu’il avait déployé tous les efforts raisonnables pour tenter de soumettre l’enfant à une visite médicale. L’agent a donc conclu que M. Karunanithi ne répondait pas aux exigences prévues dans la Loi et dans le Règlement et a refusé sa demande de visa en tant que résident permanent.
III. Questions en litige
[11] Le demandeur demande à la Cour de trancher les questions suivantes :
A. L’agent a-t-il commis une erreur en faisant entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’importer l’exigence relative à la « garde exclusive »?
B. L’agent a-t-il rendu une décision déraisonnable en ce qui concerne l’ordonnance de divorce?
C. L’agent a-t-il agi déraisonnablement en supposant que le demandeur pouvait demander à obtenir un recours par l’intermédiaire du système judiciaire?
[12] Le défendeur, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre), fait valoir qu’une seule question est soulevée en l’espèce : il faut déterminer si la décision rendue par l’agent était raisonnable.
[13] Comme il est indiqué ci-dessous, la même norme de contrôle ne s’applique pas à toutes les questions présentées par le demandeur. J’adopte donc, en tant que cadre optimal d’analyse des arguments des parties, les questions telles qu’elles ont été formulées par le demandeur.
IV. Norme de contrôle
[14] M. Karunanithi soutient que les questions entourant l’entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire sont susceptibles de révision selon la norme de la décision correcte (voir l’arrêt Thamotharem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 198, [2008] 1 R.C.F. 385 (Thamotharem), au paragraphe 33) et qu’autrement, les décisions rendues par des agents d’ICRC de refuser des demandes de résidence permanente selon l’évaluation des documents sur la garde ou des efforts déployés pour planifier une visite médicale sont susceptibles de révision selon la norme de la décision raisonnable (voir la décision Ahumada Rojas c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1303).
[15] La juge Mactavish, dans la décision qu’elle a rendue récemment dans Gordon c. Canada (Procureur Général), 2016 CF 643, aux paragraphes 25 à 28, a expliqué qu’une certaine confusion entoure la norme de contrôle applicable à l’entrave alléguée à l’exercice du pouvoir discrétionnaire. L’entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire a toujours été considérée comme une question d’équité procédurale, susceptible de révision selon la norme de la décision correcte (voir Thamotharem). Toutefois, la Cour d’appel fédérale a posé comme principe qu’après l’arrêt Dunsmuir [Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190], il convient de réviser les questions entourant l’entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire selon la norme de la décision raisonnable, puisqu’il s’agit d’un type d’erreur important. La Cour d’appel fédérale a aussi affirmé que l’entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire se trouve toujours à l’extérieur des issues possibles acceptables et qu’elle est donc, en soi, déraisonnable (voir l’arrêt Stemijon Investments Ltd. c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 229 (Stemijon Investments), aux paragraphes 23 à 25). La juge Mactavish a donc affirmé, au paragraphe 28, que l’entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire est une erreur susceptible de révision en vertu de l’une ou de l’autre des normes de contrôle, et l’issue sera la même, soit l’annulation de la décision (voir JP Morgan Asset Management (Canada) Inc. c. Canada (Revenu national), 2013 CAF 250, [2014] 2 R.C.F. 557, aux paragraphes 71 à 73; voir aussi Stemijon Investments, au paragraphe 23).
[16] J’adopte cette approche à l’égard de la norme de contrôle applicable à la question entourant l’entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire et je suis de l’avis du demandeur, tout comme le ministre, que la décision rendue par l’agent est autrement susceptible de révision selon la norme de la décision raisonnable.
V. Discussions
A. Dispositions législatives
[17] Voici les dispositions législatives et réglementaires pertinentes en l’espèce :
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27
Visa et documents
11 (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.
[…]
Obligation du demandeur
16 (1) L’auteur d’une demande au titre de la présente loi doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées lors du contrôle, donner les renseignements et tous éléments de preuve pertinents et présenter les visa et documents requis.
Obligation de se soumettre au contrôle
(1.1) L’auteur d’une demande au titre de la présente loi doit, à la demande de l’agent, se soumettre au contrôle.
Éléments de prévue
(2) S’agissant de l’étranger, les éléments de preuve pertinents visent notamment la photographie et la dactyloscopie et, sous réserve des règlements, il est tenu de se soumettre à une visite médicale.
[…]
Inadmissibilité familiale
42 (1) Emportent, sauf pour le résident permanent ou une personne protégée, interdiction de territoire pour inadmissibilité familiale les faits suivants :
a) l’interdiction de territoire frappant tout membre de sa famille qui l’accompagne ou qui, dans les cas réglementaires, ne l’accompagne pas.
Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227
Cas réglementaires : membres de la famille
23 Pour l’application de l’alinéa 42(1)a) de la Loi, l’interdiction de territoire frappant le membre de la famille de l’étranger qui ne l’accompagne pas emporte interdiction de territoire de l’étranger pour inadmissibilité familiale si :
a) l’étranger est un résident temporaire ou a fait une demande de statut de résident temporaire, de visa de résident permanent ou de séjour au Canada à titre de résident temporaire ou de résident permanent;
b) le membre de la famille en cause est, selon le cas :
(i) l’époux de l’étranger, sauf si la relation entre celui-ci et l’étranger est terminée, en droit ou en fait,
(ii) le conjoint de fait de l’étranger,
(iii) l’enfant à charge de l’étranger, pourvu que celui-ci ou un membre de la famille qui accompagne celui-ci en ait la garde ou soit habilité à agir en son nom en vertu d’une ordonnance judiciaire ou d’un accord écrit ou par l’effet de la loi.
[…]
Visite médicale non requise
30 (1) Pour l’application du paragraphe 16(2) de la Loi, les étrangers ci-après ne sont pas tenus de se soumettre à la visite médicale :
a) tout étranger autre que les étrangers suivants :
i) sous réserve de l’alinéa g), l’étranger qui demande un visa de résident permanent ou qui demande à séjourner au Canada à titre de résident permanent ainsi que les membres de sa famille, qu’ils l’accompagnent ou non.
[18] Lorsqu’un étranger présente une demande pour être admis au Canada, le paragraphe 11(1) de la Loi prévoit la tenue d’un examen et d’une évaluation par un agent d’immigration afin de déterminer son admissibilité. En vertu des paragraphes 16(1), (1.1) et (2) de la Loi ensemble, un étranger qui présente une telle demande doit se soumettre à une visite médicale. Le sous-alinéa 30(1)a)(i) du Règlement prévoit quant à lui que les membres de la famille d’un étranger qui présente une demande de résidence permanente doivent se soumettre à une visite médicale, qu’ils l’accompagnent ou non. Cette exigence se fonde sur l’interdiction de territoire possible. En vertu de l’alinéa 42(1)a) de la Loi, un étranger est interdit de territoire si une interdiction de territoire frappe tout membre de sa famille qui l’accompagne ou qui, dans les cas réglementaires, ne l’accompagne pas. Les circonstances réglementaires où un étranger est interdit de territoire en raison de l’interdiction de territoire qui frappe un membre de sa famille qui ne l’accompagne pas sont établies à l’article 23 du Règlement. La disposition en jeu en l’espèce est l’alinéa 23b)(iii), qui prévoit qu’un étranger est interdit de territoire si un membre de sa famille frappé d’une interdiction de territoire qui ne l’accompagne pas est :
23 […]
b) […]
(iii) l’enfant à charge de l’étranger, pourvu que celui-ci ou un membre de la famille qui accompagne celui-ci en ait la garde ou soit habilité à agir en son nom en vertu d’une ordonnance judiciaire ou d’un accord écrit ou par l’effet de la loi.
B. L’agent a-t-il commis une erreur en faisant entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire lorsqu’il a importé l’exigence relative à la « garde exclusive »?
[19] M. Karunanithi fait référence à l’observation de l’agent selon laquelle il n’est pas indiqué, dans la requête en divorce, que c’est la mère qui a la garde exclusive de l’enfant. Il fait valoir que l’agent a refusé sa demande en s’appuyant sur les lignes directrices indiquées dans la publication d’ICRC intitulée Guide opérationnel : Traitement des demandes à l’étranger, chapitre OP 24 « Traitement à l’étranger des membres de la famille de demandeurs de résidence permanente au Canada » (OP 24). Dans la section 7.8 d’OP 24, il est question de l’exigence relative à l’examen des personnes à charge, et on indique ce qui suit : « Les seules exceptions à cette exigence concernent le cas des époux ou conjoints de fait séparés, des anciens époux ou conjoints de fait et des enfants sous la garde d’une autre personne, laquelle peut être le conjoint ou conjoint de fait séparé ou l’ancien conjoint ou conjoint fait ».
[20] M. Karunanithi soutient que ni la Loi ni le Règlement n’exige expressément qu’un enfant à charge soit sous la « garde exclusive » d’une autre personne pour que l’exception à l’interdiction de territoire s’applique. L’article 23 du Règlement prévoit seulement que l’étranger ne doit pas avoir la garde de l’enfant à sa charge qui ne l’accompagne pas ou être habilité à agir en son nom. M. Karunanithi fait valoir qu’il est clairement indiqué, dans l’ordonnance de divorce, que l’enfant se trouve sous la garde de sa mère et qu’il n’a qu’un droit de visite. Il fait valoir que l’agent, même s’il reconnaît ces faits, invoque comme principal motif pour rejeter l’ordonnance de divorce en tant que preuve que M. Karunanithi n’a pas la garde de son fils à charge ou qu’il n’est pas habilité à agir en son nom le fait qu’elle n’indique pas que la mère en a la garde exclusive.
[21] M. Karunanithi avance comme argument que l’agent a ainsi fait entrave à l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, en appliquant les lignes directrices de la publication OP 24 comme si elles avaient force de loi, sans tenir compte des faits particuliers de l’affaire. Il s’appuie sur la jurisprudence trouvée dans la décision Lee c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1152, au paragraphe 29; et l’arrêt Thamotharem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 198 [précité], aux paragraphes 62 et 78; et Singh Bajwa c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 864, aux paragraphes 44 et 45.
[22] Je ne suis pas d’accord avec le fait que les motifs invoqués par l’agent, qui s’appuyait sur les lignes directrices applicables, témoignaient d’une entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire. Plutôt, comme le fait valoir le ministre, les références de l’agent afin de déterminer si la mère a la garde exclusive de l’enfant constituent une conclusion logique à ce que M. Karunanithi devait démontrer pour profiter de l’exception à l’inadmissibilité prévue au sous-alinéa 23(b)(iii) du Règlement. Un étranger doit démontrer qu’il n’a pas la garde d’un enfant à sa charge. Pour ce faire, il est habituellement tenu de montrer qu’une autre personne ou que d’autres personnes et qu’elles seules ont la garde de l’enfant. Je conclus donc que l’analyse de l’agent ne montre pas une entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire en se fondant de manière inappropriée sur les lignes directrices de la publication OP 24.
C. L’agent a-t-il rendu une décision déraisonnable en ce qui concerne l’ordonnance de divorce?
[23] Ma décision d’accueillir cette demande de contrôle judiciaire est néanmoins liée à l’analyse de l’agent, ou plutôt à l’absence d’analyse, afin de déterminer si les éléments de preuve montrent que l’ex-épouse de M. Karunanithi a la garde exclusive de leur fils, faisant en sorte que M. Karunanithi n’en a pas la garde.
[24] Dans sa lettre datée du 11 mars 2016, dans laquelle il présentait sa décision de refuser la demande de M. Karunanithi, l’agent indique que le demandeur n’a pas présenté de preuve selon laquelle la mère a la garde exclusive de sa personne à charge. On trouve les motifs invoqués par l’agent pour parvenir à cette conclusion dans les notes du SMGC. Parmi les motifs invoqués, notons le fait qu’il est indiqué, dans l’ordonnance de divorce, que l’enfant se trouvera sous la garde de sa mère et que M. Karunanithi aura le droit de le visiter pendant au moins une ou deux heures par mois, à des endroits précisés, et le fait qu’il n’est pas indiqué dans l’ordonnance de divorce que la mère a la garde exclusive. L’agent renvoie à tort à ce document comme une requête en divorce plutôt qu’une ordonnance de divorce. Je suis d’accord avec le ministre sur l’importance minime de cette erreur factuelle, puisque l’agent semble reconnaître dans ses motifs que ce document a comme effet de conférer des droits et des obligations juridiques. Les motifs ne présentent toutefois aucune analyse de l’effet de ces droits et obligations, en tenant compte de la question de l’identité de la personne ayant la garde du fils de M. Karunanithi.
[25] Le ministre s’appuie sur la décision rendue dans Alexander c. Canada (Solliciteur général), 2005 CF 1147, [2006] 2 R.C.F. 681 (Alexander), au paragraphe 40, où l’on décrit le sens du terme « garde » comme un « faisceau de droits et d’obligations », qui ne prescrit pas nécessairement la cohabitation du parent avec l’enfant. La garde comprend « le droit à la garde physique et au contrôle de l’enfant, le droit de contrôler le lieu de résidence de l’enfant, de châtier l’enfant, de prendre des décisions sur l’éducation de l’enfant, d’élever l’enfant dans une religion particulière ou sans religion et de prendre des décisions sur les soins et les traitements médicaux ». Le ministre reconnaît que la décision dans l’affaire Alexander a été rendue dans un contexte différent, où la demanderesse prétendait que l’ordonnance de garde à l’égard de ses enfants que lui avait conférée une cour supérieure serait enfreinte par son renvoi du Canada, ce qui aurait automatiquement donné lieu à un sursis de la mesure de renvoi en vertu de l’alinéa 50a) de la Loi. Le ministre s’appuie toutefois sur la décision Alexander pour étayer sa position selon laquelle l’agent a rendu une décision raisonnable, parce que M. Karunanithi avait toujours des droits et des obligations à l’égard de son fils, même s’il n’en avait pas le contrôle physique.
[26] J’accepte le fait que l’analyse menée en vue de déterminer si un parent a la garde d’un enfant peut tenir compte de divers facteurs, y compris ceux exposés dans la décision Alexander. Toutefois, mon problème avec la décision rendue par l’agent, selon laquelle M. Karunanithi n’avait fourni aucune preuve que c’est son ex-épouse qui avait la garde exclusive de son fils réside dans l’absence d’analyse en ce qui concerne l’ordonnance de divorce. L’agent semble compter beaucoup sur le fait qu’il n’est pas expressément indiqué dans l’ordonnance de divorce que c’est la mère qui a la garde exclusive. Même si je n’ai pas conclu que cette analyse représentait une entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire en fonction des lignes directrices présentées dans la publication OP 24, je conclus tout de même que l’agent semble s’être fié indûment au fait que le terme « garde exclusive » n’était pas utilisé dans l’ordonnance de divorce.
[27] Il est effectivement indiqué, dans l’ordonnance de divorce, que [traduction] « l’enfant se trouvera sous la garde du deuxième requérant », en faisant référence à sa mère; toutefois, elle ne confère aucunement une garde semblable à M. Karunanithi. Je ne conclus pas nécessairement de là que l’ordonnance de divorce accorde la garde exclusive à la mère, de sorte que M. Karunanithi n’a donc pas la garde et qu’il profite donc de l’effet du sous-alinéa 23b)(iii) du Règlement. Je reconnais que l’ordonnance lui confère bel et bien certains droits. Je conclus toutefois que l’agent avait l’obligation de tenir compte des modalités de l’ordonnance de divorce et de mener une analyse en vue de déterminer si cette ordonnance avait comme effet de ne pas conférer la garde à M. Karunanithi. Je conclus que l’absence d’une telle analyse rend la décision prise par l’agent déraisonnable, surtout dans le contexte où l’ordonnance de divorce indique que c’est son ex-épouse qui a la garde.
[28] Pour parvenir à cette conclusion, j’ai tenu compte des arguments exposés par les parties sur l’importance du fait que de l’agent a aussi conclu que M. Karunanithi n’avait pas déployé tous les efforts raisonnables pour soumettre son fils à une visite médicale. M. Karunanithi est d’avis qu’il n’avait qu’à montrer qu’il n’avait pas la garde de son fils et que, s’il répondait à cette exigence, il n’était pas tenu d’obtenir un recours en s’adressant aux tribunaux en Inde ou de déployer des efforts pour soumettre son fils à une visite médicale. Le ministre fait valoir qu’en vertu du sous-alinéa 23b)(iii) du Règlement, un étranger est interdit de territoire en raison de l’interdiction de territoire frappant un enfant qui ne l’accompagne pas, dans les cas où l’étranger a la garde de l’enfant, mais aussi lorsqu’il est habilité à agir au nom de l’enfant en vertu d’une ordonnance judiciaire d’un accord écrit ou par l’effet de la loi.
[29] Ces arguments amènent à se demander si le libellé du sous-alinéa 23b)(iii), lié à l’habilitation d’agir au nom de l’enfant, a comme effet d’exiger à un étranger qui montre qu’il n’a pas la garde d’un enfant à charge à aussi montrer qu’il n’est pas habilité à agir au nom de l’enfant d’une autre façon. Je conclus qu’il ne faut pas interpréter le sous-alinéa 23b)(iii) de la sorte, au sens où l’on crée un critère à deux volets. Le sous-alinéa 23b)(iii) porte sur le contrôle d’un étranger à l’égard de son enfant et reconnaît que ce contrôle peut prendre la forme d’une détermination de la garde ou qu’il peut être conféré par une ordonnance judiciaire différente, par un accord ou par l’effet de la loi.
[30] Cette interprétation est conforme à la jurisprudence à laquelle les parties ont renvoyé la Cour en l’espèce. Les deux parties se sont appuyées sur la décision rendue par la juge Strickland dans Rarama c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 60 (Rarama), qui portait sur un ensemble de circonstances propres aux Philippines, le pays dont la demanderesse dans cette affaire était résidente. La demanderesse avait produit une déclaration solennelle, dans laquelle elle avait juré que sa fille se trouvait sous la garde exclusive de son ex-époux. En concluant que l’agent d’immigration avait commis une erreur en refusant d’accepter la déclaration solennelle en tant que preuve de la garde de la fille de la demanderesse, la juge Strickland a mentionné l’information présentée dans un manuel de Citoyenneté et d’Immigration, selon laquelle il est difficile de conclure des ententes de garde aux Philippines, parce que la séparation légale et le divorce sont interdits dans ce pays.
[31] L’importance de l’affaire Rarama en l’espèce provient de la conclusion à laquelle la juge Strickland est parvenu, au paragraphe 30 de la décision, selon laquelle « après avoir reçu la déclaration solennelle, l’agent n’avait plus de motif d’exiger que la fille de la demanderesse se soumette à une visite médicale ». Il était donc « déraisonnable pour l’agent de continuer d’exiger de la part de la demanderesse une preuve d’examen médicale et de lui refuser l’exemption au motif qu’elle avait refusé de se conformer ». Ce raisonnement soutient la position de M. Karunanithi selon laquelle il ne devait que montrer qu’il n’avait pas la garde de son fils et qu’il n’était pas aussi tenu de montrer qu’il s’était efforcé de soumettre son fils à une visite médicale.
[32] Cette conclusion selon laquelle il ne faut pas interpréter que le sous-alinéa 23b)(iii) crée un critère à deux volets est conforme au fonctionnement de cet article dans la décision Ahumada Rojas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1303 [précitée]. Au paragraphe 15, le juge Zinn a expliqué que le sous-alinéa 23b)(iii) du Règlement interdit de territoire un étranger si, en vertu d’une ordonnance judiciaire, d’un accord écrit, ou par l’effet de la loi, il ou elle a la garde des enfants à charge qui ne l’accompagnent pas et qu’il n’est pas confirmé que ceux-ci sont admissibles.
[33] Je souligne aussi l’analyse suivante menée par le juge Russell au paragraphe 28 de la décision Donovan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 359 (Donovan) :
Le demandeur n’a pas produit de documents visant à établir qu’il n’avait pas la garde ou qu’il n’était pas « habilité à agir en son nom [celui de l’enfant] en vertu d’une ordonnance judiciaire ou d’un accord écrit ou par l’effet de la loi », au sens de l’alinéa 23b)(iii) du Règlement. Par conséquent, l’agent a correctement et raisonnablement conclu qu’un contrôle du fils était nécessaire, au titre du sous-alinéa 72(1)e)(i) du Règlement. [Non souligné dans l’original.]
[34] L’utilisation de la conjonction disjonctive « ou » dans ce paragraphe soutient de nouveau la conclusion selon laquelle, si un demandeur montre qu’il ou qu’elle n’a pas la garde d’un enfant à charge, il n’est pas obligé de montrer l’absence d’une ordonnance judiciaire, d’un accord écrit ou de la loi applicable qui l’habilite à agir au nom de l’enfant. Le fait que je conclus que la conclusion de l’agent selon laquelle M. Karunanithi ne s’était pas raisonnablement efforcé de soumettre son fils à une visite médicale n’est pas liée aux exigences prévues au sous-alinéa 23b)(iii) du Règlement, mais plutôt à un pouvoir discrétionnaire résiduel, auquel on fait référence dans les lignes directrices et la jurisprudence applicables.
[35] À titre d’exemple, dans la décision Donovan, nonobstant le fait que le demandeur n’avait pas montré qu’une exemption en vertu du sous-alinéa 23b)(iii) du Règlement était offerte, le juge Russell a répondu à l’argument du demandeur selon lequel l’agent d’immigration aurait dû lui accorder l’avantage de ce pouvoir discrétionnaire parce qu’il s’était raisonnablement efforcé de soumettre son fils à une visite médicale. Aux paragraphes 29 à 31 de la décision Donovan, la Cour a cité l’extrait d’un manuel intitulé Guide opérationnel : Traitement des demandes au Canada, chapitre IP 8, « Catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada », où l’on indique que les agents déterminent au cas par cas si une demande doit être traitée ou pas, même si tous les membres de la famille n’ont pas été soumis à une visite médicale, dans le cas où le demandeur a fait tout ce qui était en son pouvoir pour les soumettre à une visite médicale, sans succès. Le juge Russell soulève la question de la légalité de ce pouvoir discrétionnaire apparent de ne pas refuser une demande pour non-conformité; il souligne aussi que ce pouvoir est valide et qu’il n’est pas contesté dans l’affaire dont il est saisi.
[36] Pendant l’audience tenue en l’espèce, le ministre était d’avis que ce pouvoir discrétionnaire provenait du paragraphe 25(1) de la Loi. En faisait référence à la décision rendue dans Anderson c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 495, où le juge Diner a mené une analyse, au paragraphe 21, en vue de déterminer si le demandeur avait déployé des efforts suffisants afin de montrer qu’il serait impossible de soumettre ses enfants à une visite médicale, le ministre avait désigné le paragraphe 25(1) comme fondement à cette analyse. M. Karunanithi n’a fait référence qu’aux lignes directrices en tant que source du pouvoir discrétionnaire.
[37] À l’instar de la décision Donovan, la Cour n’est pas appelée à déterminer la validité de ce pouvoir discrétionnaire en l’espèce. C’est toutefois ce pouvoir discrétionnaire qui semble constituer le fondement de l’analyse de l’agent afin de déterminer si M. Karunanithi avait déployé tous les efforts raisonnables possibles pour soumettre son fils à une visite médicale. C’est ce qui se dégage clairement de la manière dont cette partie de la décision est encadrée. L’agent affirme que M. Karunanithi n’a pas présenté de preuve selon laquelle c’est la mère qui a la garde exclusive de sa personne à charge ou selon laquelle il a déployé tous les efforts raisonnables possibles pour le soumettre à une visite médicale. Dans ce contexte, l’utilisation de la conjonction disjonctive « ou » indique que, même en l’absence de preuves satisfaisantes de la garde, selon l’agent, la demande présentée par M. Karunanithi aurait pu être accueillie s’il avait montré qu’il avait déployé des efforts raisonnables pour soumettre son fils à une visite médicale. On voit ici que l’agent songe à exercer un pouvoir discrétionnaire de ne pas refuser la demande pour des motifs de non-conformité.
[38] Toutefois, comme l’indique l’analyse précitée dans la décision Rarama, si M. Karunanithi avait montré qu’il n’a pas la garde de son fils, il n’était pas tenu non plus de montrer qu’il avait déployé des efforts pour soumettre son fils à une visite médicale. Autrement dit, s’il avait répondu au critère réglementaire pour une exemption à l’exigence de soumettre son fils à une visite médicale, l’agent n’aurait pas eu à songer à exercer son pouvoir discrétionnaire pour accepter le traitement de la demande. Par conséquent, l’analyse menée par l’agent sur les efforts déployés par M. Karunanithi n’a aucune incidence sur ma décision d’accueillir la présente demande de contrôle judiciaire. Après avoir conclu ci-dessus que l’agent a commis une erreur en ne menant pas une analyse pour déterminer si l’ordonnance de divorce a comme effet de ne pas accorder la garde à M. Karunanithi, la décision doit être annulée.
D. L’agent a-t-il agi déraisonnablement en supposant que le demandeur pouvait demander à obtenir un recours par l’intermédiaire du système judiciaire?
[39] Après avoir décidé, pour les motifs susmentionnés, d’accueillir la présente demande de contrôle judiciaire, il n’est pas nécessaire d’étudier cette question.
VI. Questions certifiées
[40] M. Karunanithi a présenté deux questions à certifier. Les voici légèrement reformulées :
A. Afin d’être admissible à l’exemption de l’interdiction de territoire pour motifs d’ordre médical et de l’examen prévue au sous-alinéa 23b)(iii) du Règlement, l’étranger doit-il montrer que l’enfant à charge qui ne l’accompagne pas est sous la garde exclusive d’un autre parent?
B. Afin d’être admissible à l’exemption de l’interdiction de territoire pour motifs d’ordre médical et de l’examen prévue au sous-alinéa 23b)(iii) du Règlement, l’étranger doit-il prouver qu’il n’a pas la garde et qu’il a déployé des efforts raisonnables pour soumettre l’enfant à charge qui ne l’accompagne pas à une visite médicale?
[41] Le ministre s’oppose à la certification, en faisant valoir que la loi et la jurisprudence applicables répondent déjà à ces questions, ce qui signifie qu’il ne s’agit pas de question de grande importance. Je suis de l’avis du ministre et, étant donné que M. Karunanithi l’a emporté dans la présente demande de contrôle judiciaire, je refuse de certifier l’une ou l’autre des questions.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et que l’affaire est renvoyée à un autre agent d’immigration pour nouvel examen. Aucune question n’est certifiée aux fins de l’appel.