[2017] 3 R.C.F. 179
T-2205-14
2016 CF 1272
Michelle Good (demanderesse)
c.
Le procureur général du Canada, le chef Stewart Jr. Baptiste et les conseillers Lux Benson, Sabrina Baptiste, Ryan Bugler, Mandy Culhand, Larry Wullunee, Henry Gardipy, Gary Nicotine et Clint Wuttunee de la Première Nation Red Pheasant (défendeurs)
Répertorié : Good c. Canada (Procureur général)
Cour fédérale, juge Russell—Saskatoon, 14 septembre; Ottawa, 15 novembre 2016.
Peuples autochtones — Élections — Contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision rendue par le directeur général de la Direction générale des politiques et de la coordination, représentant le ministre des Affaires autochtones et Développement du Nord Canada (maintenant connu sous le nom d’Affaires autochtones et du Nord Canada), par laquelle l’appel interjeté par la demanderesse concernant l’élection de mars 2014 de la Première Nation Red Pheasant a été rejeté — La demanderesse est membre de la Première Nation Red Pheasant — En déposant l’appel, la demanderesse a invoqué deux motifs : la mauvaise conduite du président d’élection et la manœuvre corruptrice sous la forme d’achat de votes par le candidat pour le conseiller et le chef — La directrice qui travaillait à la Direction des politiques et de la mise en œuvre de la gouvernance au ministère des Affaires autochtones et Développement du Nord Canada (la déléguée) a examiné l’appel et en a recommandé le rejet — C’est une divergence d’opinions fondamentale au sujet de l’applicabilité de l’art. 79 de la Loi sur les Indiens à l’appel de la demanderesse concernant l’élection de 2014 qui se trouvait au cœur du litige — Il s’agissait de savoir si la déléguée a commis une erreur de droit entraînant un déni de l’équité procédurale en exigeant de la demanderesse une norme de preuve supérieure à celle établie dans les art. 79a) et b) de la Loi et les art. 12 à 14 du Règlement sur les élections au sein des bandes d’Indiens; si la déléguée a refusé l’équité procédurale à la demanderesse en omettant de nommer un enquêteur une fois que l’apparence de corruption a été établie; et si, étant donné qu’une élection subséquente a eu lieu en mars 2016, la demande était une demande théorique — La déléguée a jugé suffisant de traiter l’ensemble de la cause en vertu de l’art. 79 de la Loi, qui décrit le pouvoir du gouverneur en conseil de rejeter l’élection du chef ou d’un des conseillers d’une bande sur le rapport du ministre — La déléguée et les autres personnes œuvrant à l’Unité des élections des Affaires autochtones et du Nord Canada ne sont pas le gouverneur en conseil, et aucun rapport n’a été fait au gouverneur en conseil en l’espèce; par conséquent, l’art. 79 de la Loi n’a jamais été en cause — L’Unité des élections a modifié de façon importante la nature même du processus d’appels; elle a en fait négligé les art. 13 et 14 du Règlement — La décision de l’Unité des élections de contourner simplement l’art. 14 du Règlement et d’appliquer l’art. 79 de la Loi en l’espèce ne pouvait être raisonnable, car elle faisait en sorte qu’il était beaucoup plus difficile pour les appelants de faire évaluer leurs appels de la façon dont le Parlement l’entendait — Le traitement des éléments de preuve contradictoires par la déléguée l’a menée à certaines conclusions entièrement déraisonnables — Néanmoins, selon les faits de l’espèce, aucune enquête n’était nécessaire sur la plainte de la demanderesse selon laquelle le président d’élection a omis de poster les bulletins de vote aux électeurs en temps opportun; aucune preuve n’indiquait que cette omission aurait pu porter atteinte au résultat de l’élection de 2014 — En ce qui concerne les allégations d’achat de votes, la demanderesse a établi que ce traitement était fondé sur une erreur de droit, la déléguée ayant omis d’évaluer la preuve conformément à l’art. 14 du Règlement et qu’il était déraisonnable dans ses conclusions et inéquitable sur le plan procédural — En ce qui concerne le caractère théorique de la demande, une controverse subsistait quant aux dispositions législatives et aux règlements qui s’appliquent aux appels en matière électorale; le contexte contradictoire subsistait et cette demande a été pleinement débattue par les parties concernées par les conclusions — Cependant, la Cour ne pouvait substituer sa propre décision à la décision faisant l’objet d’une révision — Par conséquent, il était inutile d’annuler la décision et d’exiger un nouvel examen alors qu’une élection a eu lieu en 2016 — Demande accueillie en partie.
Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision rendue par le directeur général de la Direction générale des politiques et de la coordination, représentant le ministre des Affaires autochtones et Développement du Nord Canada (maintenant connu sous le nom d’Affaires autochtones et du Nord Canada), par laquelle l’appel interjeté par la demanderesse concernant l’élection de mars 2014 de la Première Nation Red Pheasant a été rejeté.
La demanderesse est membre de la Première Nation Red Pheasant. Elle a interjeté appel de l’élection de mars 2014 en invoquant deux motifs : mauvaise conduite de la part du président d’élection (soit en omettant de poster les bulletins de vote des membres hors réserve en temps opportun) et une manœuvre corruptrice sous la forme d’achat de votes par le candidat pour un conseiller en particulier et pour le chef. En septembre 2014, la directrice, Direction des politiques et de la mise en œuvre de la gouvernance au ministère des Affaires autochtones et Développement du Nord Canada (la déléguée) a recommandé le rejet de l’appel de la demanderesse et cette recommandation a été approuvée. Dans sa recommandation, la déléguée a exposé toutes les allégations soulevées par la demanderesse dans son appel. Pour chaque allégation, la déléguée a énuméré les dispositions pertinentes du Règlement sur les élections au sein des bandes d’Indiens (le Règlement) et de la Loi sur les Indiens en particulier et a également examiné les réponses à l’appel. La déléguée a rejeté la première allégation selon laquelle le président d’élection aurait omis de poster les bulletins de vote aux électeurs au motif que les éléments de preuve étaient insuffisants pour conclure à une violation de la Loi ou du Règlement qui aurait porté atteinte au résultat de l’élection. En ce qui a trait à l’allégation selon laquelle des votes ont été achetés, la déléguée a conclu que les éléments de preuve étaient insuffisants pour acquitter le fardeau de la preuve concernant les deux personnes faisant l’objet de l’allégation.
C’est une divergence d’opinions fondamentale au sujet de l’applicabilité de l’article 79 de la Loi à l’appel de la demanderesse concernant l’élection de 2014 qui se trouvait au cœur du litige. La demanderesse a affirmé qu’en examinant son appel concernant l’élection de 2014, la déléguée a ignoré les articles 13 et 14 du Règlement et a appliqué à tort l’article 79 de la Loi à la preuve présentée par la demanderesse et à la preuve faisant l’objet du litige présentée en réponse par le président d’élection et le chef.
Il s’agissait principalement de savoir si la déléguée a commis une erreur de droit entraînant un déni de l’équité procédurale en exigeant de la demanderesse une norme de preuve supérieure à celle établie dans les alinéas 79a) et b) de la Loi et les articles 12 à 14 du Règlement; si la déléguée a refusé l’équité procédurale à la demanderesse en omettant de nommer un enquêteur une fois que l’apparence de corruption a été établie; et si, étant donné qu’une élection subséquente a eu lieu en mars 2016, la demande était une demande théorique.
Jugement : la demande doit être accueillie en partie.
Il ne fait aucun doute que la déléguée a appliqué l’article 79 de la Loi au moment de déterminer si l’appel devait être rejeté ou aller de l’avant. La question en litige en l’espèce était que la déléguée, en examinant l’appel et en émettant ses recommandations, a jugé suffisant de traiter l’ensemble de la cause en vertu de l’article 79 de la Loi et a omis d’utiliser la norme applicable à la collecte de la preuve dans son rapport. L’article 79 décrit le pouvoir du gouverneur en conseil de rejeter l’élection du chef ou d’un des conseillers d’une bande sur le rapport du ministre. La déléguée et les autres personnes œuvrant à l’Unité des élections des Affaires autochtones et du Nord Canada (AANC) ne sont pas le gouverneur en conseil, et aucun rapport n’a été fait au gouverneur en conseil en l’espèce. Par conséquent, l’article 79 de la Loi n’a jamais été en cause. La déléguée a décidé d’omettre de mener une enquête en vertu de l’article 13 du Règlement et de rejeter l’appel sans faire un rapport au gouverneur en conseil. Cette approche de traitement des appels d’élection en vertu de la Loi représente une pratique établie au sein de l’Unité des élections d’AANC. Bien que le processus d’appel ait été simplifié pour en assurer la gestion, en appliquant directement l’article 79 de la Loi ou en confondant l’article 79 de la Loi et l’article 14 du Règlement, l’Unité des élections a modifié de façon importante la nature même du processus d’appels et a en fait négligé les articles 13 et 14 du Règlement. Les décisions relatives à la politique interne ne peuvent être utilisées de la sorte pour modifier la loi. La décision de l’Unité des élections de contourner simplement l’article 14 du Règlement et d’appliquer l’article 79 de la Loi de la façon dont elle a été prise en l’espèce ne pouvait être raisonnable, car en réalité, elle fait en sorte qu’il est beaucoup plus difficile pour les appelants de faire évaluer leurs appels de la façon dont le Parlement a indiqué qu’ils doivent être évalués.
De plus, le refus de la déléguée de demander une enquête sur les éléments de preuve contradictoires et sa décision de recourir plutôt au critère de la prépondérance des probabilités pour les éléments de preuve présentés l’ont menée à certaines conclusions entièrement déraisonnables qui ont retardé toute évaluation réelle de la présence de manœuvres corruptrices sous la forme d’achat de votes. Toutefois, selon les faits en l’espèce, aucune enquête n’était nécessaire sur la plainte de la demanderesse selon laquelle le président d’élection a omis de poster les bulletins de vote aux électeurs en temps opportun, les empêchant de les remplir et de les retourner à temps pour qu’ils soient comptabilisés. Même si la demanderesse n’a pas reçu son bulletin de vote en temps opportun, aucune preuve, même en vertu de l’alinéa 14b) du Règlement, n’indiquait que cette omission aurait pu porter atteinte au résultat de l’élection de 2014. La conclusion de la déléguée concernant les allégations sur les bulletins, soit que la preuve était insuffisante pour conclure à une violation de la Loi ou du Règlement qui aurait porté atteinte au résultat de l’élection, et son rejet de la demande, étaient raisonnables. La preuve était insuffisante pour démontrer, en vertu de l’alinéa 14b) du Règlement, qu’il y avait lieu de croire même à une apparence de violation qui aurait pu porter atteinte au résultat de l’élection de 2014. Toutefois, en plus d’avoir appliqué l’article 79 de la Loi à la preuve en l’espèce sur la question des bulletins de vote, la déléguée a également jugé nécessaire de se reporter au Règlement et d’établir que la preuve était insuffisante pour conclure à une violation du Règlement qui aurait porté atteinte au résultat de l’élection. Par conséquent, elle semblait parfaitement consciente qu’il était nécessaire de satisfaire au Règlement. À ce titre, elle a traité le Règlement comme elle le devait, alors il n’y avait aucune erreur de droit ou de caractère déraisonnable dans sa décision concernant la plainte de la demanderesse selon laquelle les électeurs n’ont pas reçu les bulletins de vote.
En ce qui concerne les allégations d’achat de votes, selon lesquelles plus particulièrement le chef en question avait participé à une manœuvre corruptrice d’achat de votes lors de l’élection de 2014, la déléguée n’a pas précisé directement la norme de preuve qu’elle a appliquée en l’espèce. Toutefois, elle a confirmé que les renseignements présentés en appel étaient évalués selon la norme de preuve civile. Il a semblé également, de par la décision même, que la déléguée n’a pas établi s’il y avait lieu de croire qu’il y a eu manœuvre corruptrice en vertu de l’alinéa 14b) du Règlement, mais qu’elle a évalué la preuve selon le paragraphe 79(1) de la Loi. La déléguée a contourné l’alinéa 14b) du Règlement et évalué cette question comme si elle était gouverneur en conseil en vertu de l’article 79 de la Loi, et a ensuite négligé les articles 13 et 14 du Règlement. La déléguée n’a pas expliqué pourquoi elle estimait être en mesure de rendre une décision sur la question sans mener aucune forme d’enquête sur les éléments contradictoires de la preuve qui lui était présentée, mais elle a plutôt entrepris un processus d’évaluation discutable qui était déraisonnable. En conclusion, la demanderesse a établi que le traitement des allégations d’achat de votes par la déléguée était fondé sur une erreur de droit, la déléguée ayant omis d’évaluer la preuve conformément à l’article 14 du Règlement; il était déraisonnable dans ses conclusions étant donné la preuve qui lui a été présentée et son omission de vérifier les simples allégations et de mener une enquête sur les éléments de preuve directement contradictoires; et il était inéquitable sur le plan procédural parce que l’omission d’effectuer des vérifications et de mener une enquête ne donnait pas l’occasion aux témoins de remédier aux préoccupations avant de tirer des conclusions négatives s’appuyant sur la crédibilité pour rejeter l’appel.
Enfin, en ce qui concerne le caractère théorique de la demande, en l’espèce, une controverse a subsisté quant aux dispositions législatives et aux règlements qui s’appliquent aux appels en matière électorale, même si une nouvelle élection s’est tenue depuis celle de 2014. Le contexte contradictoire subsistait et cette demande a été pleinement débattue par les parties concernées par les conclusions. Les conséquences collatérales étaient également importantes en raison du nombre d’appels que doit traiter annuellement l’Unité des élections. Néanmoins, la Cour ne pouvait substituer sa propre décision à la décision faisant l’objet d’une révision et il était inutile d’annuler la décision et d’exiger un nouvel examen alors qu’une élection a eu lieu en 2016.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18, 18.1.
Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5, art. 74, 75, 76, 77, 78, 79, 80.
Règlement sur les élections au sein des bandes d’Indiens, C.R.C., ch. 952, art. 12, 13, 14.
JURISPRUDENCE CITÉE
DÉCISIONS APPLIQUÉES :
Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339; Hudson c. Canada (Affaires indiennes et du Nord canadien), 2007 CF 203; Keeper c. Canada, 2011 CF 307; Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342.
DÉCISIONS EXAMINÉES :
Dedam c. Canada (Procureur général), 2012 CF 1073; Woodhouse c. Canada (Affaires autochtones et du Nord canadien), 2013 CF 1055.
DÉCISIONS CITÉES :
Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559; Paz Ospina c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 681; Rally c. Telus Communications Inc., 2013 CF 858; Muskego c. Comité d’appel de la Nation crie de Norway House, 2011 CF 732; Nation et Bande des Indiens Samson c. Canada, [1998] 3 C.F. 3 (1re inst.); Centre hospitalier Mont-Sinaï c. Québec (Ministre de la Santé et des Services sociaux), 2001 CSC 41, [2001] 2 R.C.S. 281.
DEMANDE de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision rendue par le directeur général de la Direction générale des politiques et de la coordination, représentant le ministre des Affaires autochtones et Développement du Nord Canada, par laquelle l’appel interjeté par la demanderesse concernant l’élection de mars 2014 de la Première Nation Red Pheasant a été rejeté. Demande accueillie en partie.
ONT COMPARU
Michelle Good pour son propre compte.
David J. Smith pour les défendeurs.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par
Le juge Russell :
I. INTRODUCTION
[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire en vertu des articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, à l’encontre d’une décision rendue par le directeur général de la Direction générale des politiques et de la coordination, représentant le ministre des Affaires autochtones et Développement du Nord Canada [maintenant connu sous le nom d’Affaires autochtones et du Nord Canada], en date du 23 septembre 2014 (la décision), par laquelle l’appel interjeté par la demanderesse concernant l’élection du 20 mars 2014 de la Première Nation Red Pheasant a été rejeté.
II. FAITS ET PROCÉDURES
[2] La demanderesse est membre de la Première Nation Red Pheasant. Le 2 mai 2014, elle a interjeté appel de l’élection du 20 mars 2014 (l’élection de 2014) en invoquant deux motifs :
1. Le président d’élection, Wes Lambert (le « président d’élection »), aurait fait preuve de mauvaise conduite en commettant les erreurs suivantes : omettre de poster les bulletins de vote des membres hors réserve en temps opportun; être absent du bureau de vote le jour de l’élection; modifier la date de l’élection sans émettre un avis officiel; omettre de demander aux électeurs de présenter des pièces d’identité aux bureaux de vote; permettre à des électeurs visiblement intoxiqués de voter; et, puisque des candidats ont été aperçus debout à l’entrée des bureaux de vote, contraindre les électeurs à aller à leur rencontre.
2. Manœuvre corruptrice sous la forme d’achat de votes par le candidat pour le conseiller Charles Meechance et le chef Stewart Baptiste.
[3] À l’appui de cet appel, la demanderesse a fourni des déclarations sous serment de Sandra Arias, ancienne conseillère de bande, et de Leona Carol Wuttunee, Denise Virginia Soonias et Robin Dean Wuttunee, anciens membres de la bande.
[4] Les 28 mai 2014 et 18 juin 2014, l’appel a été transmis à tous les candidats et au président d’élection pour les inviter à répondre aux allégations qui y sont contenues. Le chef Baptiste et le président d’élection ont fourni des réponses à l’appel.
[5] Le 16 septembre 2014, Nathalie Nepton, directrice, Direction des politiques et de la mise en œuvre de la gouvernance au ministère des Affaires autochtones et Développement du Nord Canada (la déléguée) a recommandé le rejet de l’appel de la demanderesse. Cette recommandation a été approuvée par Eric Marion, directeur intérimaire de la Direction de l’élaboration et de la coordination des politiques.
[6] La demanderesse a été avisée par courriel de la décision de rejeter l’appel le 25 septembre 2014. Elle a déposé sa demande de contrôle judiciaire de la décision le 27 octobre 2014 et un avis de demande modifié le 17 novembre 2014.
III. DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE
[7] Dans sa recommandation, la déléguée expose toutes les allégations soulevées par la demanderesse dans son appel. Pour chaque allégation, la déléguée énumère les dispositions pertinentes du Règlement sur les élections au sein des bandes d’Indiens, C.R.C., ch. 952 (le Règlement), de la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5 (la Loi) ainsi que les passages pertinents du Manuel du président d’élection. La déléguée a également examiné les réponses à l’appel.
[8] En ce qui concerne la première allégation selon laquelle le président d’élection aurait omis de poster les bulletins de vote aux électeurs en temps opportun, les empêchant de remplir et de retourner leurs bulletins à temps pour être comptabilisés, la déléguée a conclu qu’elle devait être rejetée au motif que « les éléments de preuve étaient insuffisants pour conclure à une violation de la Loi ou du Règlement qui aurait porté atteinte au résultat de l’élection ».
[9] La deuxième allégation, selon laquelle 39 membres de la bande figurant sur une liste de 92 membres remise au président d’élection par l’ancienne conseillère Sandra Arias n’auraient pas reçu leur bulletin de vote, a également été rejetée au motif que les éléments de preuve appuyant l’allégation selon laquelle le président d’élection aurait omis de poster les bulletins de vote étaient insuffisants et que « le Règlement et les directives confirment qu’en fait, le président d’élection s’est acquitté de ses fonctions en faisant preuve de diligence raisonnable en n’acceptant pas de listes de noms et d’adresses multiples provenant d’autres sources que la bande ».
[10] Selon la troisième allégation, le président d’élection était absent du bureau de vote et a délégué la responsabilité à sa femme. Cette allégation a été rejetée par la déléguée au motif que le Règlement permet au président d’élection de déléguer certaines de ses responsabilités à un président du scrutin et que les éléments de preuve ont permis d’établir que la personne nommée s’est acquittée des tâches et des responsabilités obligatoires.
[11] Selon la quatrième allégation, la première date d’élection affichée à l’assemblée de mise en candidature a été modifiée sans avis officiel. Cette allégation a été rejetée au motif que l’avis de vote, qui constitue l’avis officiel d’une élection, affichait la date d’élection exacte.
[12] Selon la cinquième allégation, le président d’élection ou la présidente du scrutin n’ont pas demandé aux électeurs de s’identifier avant de leur permettre de voter. Cette allégation a été rejetée, car le président d’élection et la présidente du scrutin se sont assurés que les noms des électeurs figuraient sur la liste avant de leur remettre des bulletins de vote. Les électeurs ont dû fournir leurs nom, date de naissance et numéro d’enregistrement et « aucune exigence juridique n’oblige un électeur de s’identifier auprès du président d’élection pour voter ».
[13] La sixième allégation, selon laquelle les candidats se tenaient à l’entrée du bureau de vote et les électeurs étaient forcés de passer devant eux, a été rejetée, car il n’a pas été établi que la confidentialité des électeurs a été compromise ou que les électeurs ont été interceptés.
[14] L’allégation selon laquelle on n’a pas empêché des électeurs intoxiqués de voter a également été rejetée. Le Règlement ne traite pas du sujet et rien ne montre que la présidente du scrutin n’a pas fait preuve de bon jugement en laissant voter des électeurs intoxiqués. Elle a « accompli son devoir de maintenir la paix et l’ordre au bureau de vote ».
[15] Enfin, les allégations selon lesquelles le chef Baptiste et M. Meechance ont acheté des votes ont également été rejetées. La déléguée a conclu que, dans les deux cas, les éléments de preuve étaient insuffisants pour acquitter le fardeau de la preuve. Elle a alors recommandé que l’appel soit rejeté. Cette recommandation a été acceptée par Eric Marion, directeur intérimaire de la Direction de l’élaboration et de la coordination des politiques en remplacement de Perry Billingsley, et la demanderesse a été avisée du rejet le ou vers le 25 septembre 2014.
IV. QUESTIONS EN LITIGE
[16] La demanderesse soumet à la Cour les questions suivantes aux fins d’examen :
1. Quelle est la norme de contrôle applicable?
2. La déléguée a-t-elle commis une erreur de droit entraînant un déni de l’équité procédurale en exigeant de la demanderesse une norme de preuve supérieure à celle établie dans les alinéas 79a) et b) de la Loi et les articles 12 à 14 du Règlement?
3. La déléguée a-t-elle soulevé une crainte raisonnable de partialité en tenant compte de facteurs non pertinents pour rejeter l’appel?
4. La déléguée a-t-elle refusé l’équité procédurale à la demanderesse en omettant de nommer un enquêteur une fois que l’apparence de corruption a été établie?
5. La déléguée a-t-elle fait preuve d’une crainte raisonnable de partialité en émettant au président d’élection une opinion sur le résultat de l’appel avant qu’une décision soit rendue?
6. En exigeant sciemment de la demanderesse un fardeau de la preuve supérieur à celui prévu par la loi, la déléguée a-t-elle fait preuve d’un comportement frivole et vexatoire passible de sanctions de la Cour?
7. La déléguée a-t-elle agi intentionnellement pour tromper la Cour en fournissant sous serment des éléments de preuve qu’elle savait faux et ses agissements devraient-ils être passibles de sanctions de la Cour?
[17] Le défendeur, le procureur général du Canada (PG), soulève la question suivante :
1. Étant donné qu’une élection subséquente a eu lieu le 18 mars 2016, la demande est-elle une demande théorique?
[18] Le PG affirme également que les arguments de la demanderesse ne portent pas sur l’équité procédurale, mais plutôt sur le caractère raisonnable de la décision et qu’ils devraient être formulés en conséquence.
V. NORME DE CONTRÔLE
[19] Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir), la Cour suprême du Canada a conclu qu’il n’était pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse de la norme de contrôle. Lorsque la jurisprudence est constante quant à la norme de contrôle applicable à une question précise, la cour de révision peut adopter cette norme. C’est uniquement lorsque cette démarche se révèle infructueuse ou si la jurisprudence semble devenue incompatible avec l’évolution récente du droit en matière de contrôle judiciaire que la cour de révision procédera à l’examen des quatre facteurs de l’analyse relative à la norme de contrôle (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, au paragraphe 48).
[20] La deuxième question, relative à la norme de preuve adéquate, est une question de droit. Par conséquent, cette question est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte : Paz Ospina c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 681, aux paragraphes 20 et 31.
[21] Les troisième, quatrième et cinquième questions relatives à un manquement à l’équité procédurale et à une crainte de partialité de la part du personnel du ministère participant au processus décisionnel sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte : Rally c. Telus Communications Inc., 2013 CF 858, au paragraphe 7; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339 (Khosa), au paragraphe 43; Muskego c. Comité d’appel de la Nation crie de Norway House, 2011 CF 732, au paragraphe 26.
[22] La question de savoir si la preuve étaye une conclusion de manœuvres électorales corruptrices est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable : Dedam c. Canada (Procureur général), 2012 CF 1073 (Dedam), au paragraphe 59; Hudson c. Canada (Affaires indiennes et du Nord canadien), 2007 CF 203 (Hudson), au paragraphe 74. Par ailleurs, « [l]orsqu’un tribunal administratif interprète sa propre loi constitutive ou une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie, la déférence est habituellement de mise » : Dunsmuir, précité, au paragraphe 54.
[23] Lorsqu’une décision est examinée selon la norme de la décision raisonnable, son analyse s’attache à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et l’arrêt Khosa, précité, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision contestée est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».
VI. THÈSES DES PARTIES
A. Demanderesse
[24] La demanderesse soutient que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte pour les questions d’équité procédurale et l’interprétation juridique de manœuvres électorales corruptrices. Par conséquent, peu de déférence devrait être accordée à la décision.
[25] La demanderesse affirme que la déléguée a commis une erreur de droit dans son application du Règlement et de la Loi. En vertu de l’article 14 du Règlement, la demanderesse n’avait qu’à démontrer qu’il y avait lieu de croire à une manœuvre corruptrice ou à une violation qui puisse porter atteinte au résultat de l’élection pour que le ministre doive faire rapport au gouverneur en conseil. Par conséquent, la déléguée a commis une erreur de droit quand elle a recommandé le rejet de l’appel au motif que la demanderesse « ne s’est pas acquittée du fardeau de la preuve démontrant qu’il y a eu des violations de la Loi ou du Règlement qui puissent porter atteinte au résultat de l’élection ».
[26] Concernant le fait que la demanderesse avait reçu son bulletin de vote en retard, la déléguée a également commis une erreur en rejetant l’appel au motif que le retard n’a pas porté atteinte au résultat de l’élection. La demanderesse n’avait qu’à prouver que le retard aurait pu porter atteinte au résultat. L’exigence selon laquelle les irrégularités doivent avoir porté atteinte au résultat de l’élection est une « norme importée ». Par ailleurs, la demanderesse n’avait qu’à démontrer qu’il y avait lieu de croire à une manœuvre corruptrice, ce que les deux déclarations sous serment accompagnant l’appel démontraient.
[27] Comme il a été démontré lors de son contre-interrogatoire, la déléguée a évalué la preuve selon la norme de prépondérance des probabilités applicable en matière civile. Cela constitue une admission que l’appel n’a pas été traité conformément à l’article 14 du Règlement. Ainsi, la demanderesse s’est vue refuser l’équité procédurale en étant tenue de respecter une norme de preuve supérieure à celle prévue par le régime législatif.
[28] Par ailleurs, la déléguée a fait preuve d’une partialité réelle dans sa prise de décision. Selon la demanderesse, les facteurs sur lesquels la déléguée s’est fondée pour discréditer la preuve présentée pour appuyer l’appel ne résistent pas à un examen minutieux. En outre, la prise en compte de facteurs non pertinents par la déléguée, son omission d’évaluer et de soupeser correctement la preuve et son favoritisme à l’égard des défendeurs au détriment de la demanderesse sans justification ni fondement ont entraîné une crainte raisonnable de partialité.
[29] Par ailleurs, l’omission de nommer un enquêteur constitue également un refus d’équité procédurale. Étant donné que la preuve présentée n’était pas convaincante dans un sens ou dans l’autre et que l’appel concernant une élection précédente en 2012 a créé une attente raisonnable à savoir qu’un enquêteur serait nommé, l’omission de nommer un enquêteur représente un refus d’équité procédurale.
[30] En outre, le ton et le contenu des conversations par courriel entre Anita Hawdur, analyste d’élection, et le président d’élection ont engendré une crainte raisonnable de partialité.
[31] Par ailleurs, la déléguée ne pouvait ignorer que la norme de preuve appropriée avait été établie par la Cour dans la décision Dedam, précitée. Dans cette décision, la Cour a conclu que la norme de preuve était inférieure à la norme en matière civile. Ainsi, la déléguée a utilisé la norme plus élevée afin de « créer un critère plus difficile à remplir par l’appelante », manquant ainsi à son devoir d’équité à l’égard de l’appelante. De plus, la déléguée a intentionnellement trompé la Cour en affirmant, lors de son contre-interrogatoire, que la norme de preuve applicable était la prépondérance des probabilités.
B. Défendeur — Procureur général du Canada
[32] Le PG est le seul défendeur qui a formulé des arguments et s’est présenté à l’audience.
[33] En guise de premier argument, le PG a affirmé que la demande est théorique et qu’elle ne devrait donc pas être entendue. L’élection subséquente du 18 mars 2016 fait en sorte que le litige entre les parties n’existe plus.
[34] En revanche, la décision était raisonnable. Le PG affirme que l’examen visant à déterminer si la preuve appuie une conclusion de manœuvres électorales corruptrices repose sur la norme de la décision raisonnable.
[35] Même si elles sont qualifiées de problèmes de partialité et d’erreurs de droit, les questions soulevées par la demanderesse portent en réalité sur le caractère raisonnable de la décision. La déléguée a analysé soigneusement la preuve et ses conclusions sont raisonnables.
[36] De plus, elle n’a pas commis d’erreur de droit. En vertu de l’article 79 de la Loi, des manœuvres frauduleuses peuvent conduire au rejet d’une élection selon la prépondérance des probabilités.
[37] Par ailleurs, une décision de l’Unité des élections doit faire l’objet d’un examen selon une norme de caractère raisonnable puisque l’unité connaît les dispositions législatives et réglementaires et possède une expertise en la matière. L’Unité des élections a examiné toutes les allégations et conclu que la demanderesse ne s’était pas acquittée du fardeau de la preuve. Les allusions à l’achat massif de votes au moment de prendre en considération les allégations contre M. Meechance ne font pas de la décision de rejeter l’appel une décision raisonnable.
[38] En outre, aucun refus d’équité procédurale ni attente légitime qu’une enquête allait être demandée n’ont été observés. Dans le contexte d’un appel en matière électorale, les membres de la bande bénéficient d’une obligation d’équité. Les questions d’équité procédurale sont examinées selon la norme de la décision correcte. En l’espèce, la demanderesse a bénéficié des garanties procédurales pendant le processus d’appel. Elle a eu l’occasion de présenter son cas, et la décision a été prise selon un processus équitable, impartial et ouvert et justifiée par des motifs amplement suffisants. On ne pourrait pas s’attendre légitimement à ce qu’une enquête soit demandée. Il n’existe pas de pratique ou de politique en matière d’enquête et l’article 13 du Règlement indique clairement qu’une telle décision est discrétionnaire. La décision de ne pas demander d’enquête doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable. La déléguée a déterminé de façon raisonnable qu’il était possible de parvenir à une conclusion sans enquête.
[39] Enfin, une part importante de la demande est constituée d’attaques personnelles non fondées et inappropriées à l’égard de la déléguée.
VII. ANALYSE
A. Introduction
[40] La demanderesse a soulevé diverses questions à examiner, mais c’est une divergence d’opinions fondamentale au sujet de l’applicabilité de l’article 79 de la Loi à l’appel de la demanderesse concernant l’élection de 2014 qui se trouve au cœur du litige.
[41] La demanderesse affirme qu’en examinant son appel concernant l’élection de 2014, la déléguée a ignoré les articles 13 et 14 du Règlement et a appliqué à tort l’article 79 de la Loi à la preuve présentée par la demanderesse et à la preuve présentée en réponse par le président d’élection et le chef Baptiste.
[42] Comme il est clairement établi dans la décision et confirmé par la déléguée lors du contre-interrogatoire, il ne fait aucun doute que la déléguée a appliqué l’article 79 de la Loi au moment de déterminer si l’appel devait être rejeté ou aller de l’avant. Toutefois, le PG est d’avis qu’il ne s’agissait pas d’une erreur de droit, car l’article 79 de la Loi et la norme de preuve civile (prépondérance des probabilités) qui s’applique à cette disposition ont été correctement et raisonnablement appliqués par la déléguée dans l’exercice de ses fonctions dans le cadre de l’appel de la demanderesse.
B. La Loi et le Règlement
[43] Le cadre législatif régissant l’élection de 2014 est établi aux articles 74 à 80 de la Loi et aux articles 12 à 14 du Règlement. Pour votre commodité, les dispositions sont indiquées ci-dessous. Les articles 74 à 80 de la Loi contiennent les dispositions suivantes :
Conseils élus
74 (1) Lorsqu’il le juge utile à la bonne administration d’une bande, le ministre peut déclarer par arrêté qu’à compter d’un jour qu’il désigne le conseil d’une bande, comprenant un chef et des conseillers, sera constitué au moyen d’élections tenues selon la présente loi.
Composition du conseil
(2) Sauf si le ministre en ordonne autrement, le conseil d’une bande ayant fait l’objet d’un arrêté prévu par le paragraphe (1) se compose d’un chef, ainsi que d’un conseiller par cent membres de la bande, mais le nombre des conseillers ne peut être inférieur à deux ni supérieur à douze. Une bande ne peut avoir plus d’un chef.
Règlements
(3) Pour l’application du paragraphe (1), le gouverneur en conseil peut prendre des décrets ou règlements prévoyant :
a) que le chef d’une bande doit être élu :
(i) soit à la majorité des votes des électeurs de la bande,
(ii) soit à la majorité des votes des conseillers élus de la bande désignant un d’entre eux,
le chef ainsi élu devant cependant demeurer conseiller;
b) que les conseillers d’une bande doivent être élus :
(i) soit à la majorité des votes des électeurs de la bande,
(ii) soit à la majorité des votes des électeurs de la bande demeurant dans la section électorale que le candidat habite et qu’il projette de représenter au conseil de la bande.
Sections électorales
(4) Aux fins de votation, une réserve se compose d’une section électorale; toutefois, lorsque la majorité des électeurs d’une bande qui étaient présents et ont voté lors d’un référendum ou à une assemblée spéciale tenue et convoquée à cette fin en conformité avec les règlements, a décidé que la réserve devrait, aux fins de votation, être divisée en sections électorales et que le ministre le recommande, le gouverneur en conseil peut prendre des décrets ou règlements stipulant qu’aux fins de votation la réserve doit être divisée en six sections électorales au plus, contenant autant que possible un nombre égal d’Indiens habilités à voter et décrétant comment les sections électorales ainsi établies doivent se distinguer ou s’identifier.
Éligibilité
75 (1) Seul un électeur résidant dans une section électorale peut être présenté au poste de conseiller pour représenter cette section au conseil de la bande.
Présentation de candidats
(2) Nul ne peut être candidat à une élection au poste de chef ou de conseiller d’une bande, à moins que sa candidature ne soit proposée et appuyée par des personnes habiles elles-mêmes à être présentées.
Règlements régissant les élections
76 (1) Le gouverneur en conseil peut prendre des décrets et règlements sur les élections au sein des bandes et, notamment, des règlements concernant :
a) les assemblées pour la présentation de candidats;
b) la nomination et les fonctions des préposés aux élections;
c) la manière dont la votation doit avoir lieu;
d) les appels en matière électorale;
e) la définition de résidence aux fins de déterminer si une personne est habile à voter.
Secret du vote
(2) Les règlements pris sous le régime de l’alinéa (1)c) contiennent des dispositions assurant le secret du vote.
Qualités exigées des électeurs au poste de chef
77 (1) Un membre d’une bande, qui a au moins dix-huit ans et réside ordinairement sur la réserve, a qualité pour voter en faveur d’une personne présentée comme candidat au poste de chef de la bande et, lorsque la réserve, aux fins d’élection, ne comprend qu’une section électorale, pour voter en faveur de personnes présentées aux postes de conseillers.
Conseiller
(2) Un membre d’une bande, qui a dix-huit ans et réside ordinairement dans une section électorale établie aux fins d’élection, a qualité pour voter en faveur d’une personne présentée au poste de conseiller pour représenter cette section.
Mandat
78 (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, les chef et conseillers d’une bande occupent leur poste pendant deux années.
Vacance
(2) Le poste de chef ou de conseiller d’une bande devient vacant dans les cas suivants :
a) le titulaire, selon le cas :
(i) est déclaré coupable d’un acte criminel,
(ii) meurt ou démissionne,
(iii) est ou devient inhabile à détenir le poste aux termes de la présente loi;
b) le ministre déclare qu’à son avis le titulaire, selon le cas :
(i) est inapte à demeurer en fonctions parce qu’il a été déclaré coupable d’une infraction,
(ii) a, sans autorisation, manqué les réunions du conseil trois fois consécutives,
(iii) à l’occasion d’une élection, s’est rendu coupable de manœuvres frauduleuses, de malhonnêteté ou de méfaits, ou a accepté des pots-de-vin.
Privation du droit d’être candidat
(3) Le ministre peut déclarer un individu, qui cesse d’occuper ses fonctions en raison du sous-alinéa (2)b)(iii), inhabile à être candidat au poste de chef ou de conseiller d’une bande durant une période maximale de six ans.
Élection spéciale
(4) Lorsque le poste de chef ou de conseiller devient vacant plus de trois mois avant la date de la tenue ordinaire de nouvelles élections, une élection spéciale peut avoir lieu en conformité avec la présente loi afin de remplir cette vacance.
Le gouverneur en conseil peut annuler une élection
79 Le gouverneur en conseil peut rejeter l’élection du chef ou d’un des conseillers d’une bande sur le rapport du ministre où ce dernier se dit convaincu, selon le cas :
a) qu’il y a eu des manœuvres frauduleuses à l’égard de cette élection;
b) qu’il s’est produit une infraction à la présente loi pouvant influer sur le résultat de l’élection;
c) qu’une personne présentée comme candidat à l’élection ne possédait pas les qualités requises.
Règlements sur les assemblées de la bande et du conseil
80 Le gouverneur en conseil peut prendre des règlements sur les assemblées de la bande et du conseil et, notamment, des règlements concernant :
a) les présidents de ces assemblées;
b) les avis de ces assemblées;
c) les fonctions de tout représentant du ministre à ces assemblées;
d) le nombre de personnes requis à ces assemblées pour constituer un quorum.
[44] Les articles 12 à 14 du Règlement contiennent les dispositions suivantes :
12 (1) Si, dans les quarante-cinq jours suivant une élection, un candidat ou un électeur a des motifs raisonnables de croire :
a) qu’il y a eu manœuvre corruptrice en rapport avec une élection,
b) qu’il y a eu violation de la Loi ou du présent règlement qui puisse porter atteinte au résultat d’une élection, ou
c) qu’une personne présentée comme candidat à une élection était inéligible,
il peut interjeter appel en faisant parvenir au sous-ministre adjoint, par courrier recommandé, les détails de ces motifs au moyen d’un affidavit en bonne et due forme.
(2) Lorsqu’un appel est interjeté au titre du paragraphe (1), le sous-ministre adjoint fait parvenir, par courrier recommandé, une copie du document introductif d’appel et des pièces à l’appui au président d’élection et à chacun des candidats de la section électorale visée par l’appel.
(3) Tout candidat peut, dans un délai de 14 jours après réception de la copie de l’appel, envoyer au sous-ministre adjoint, par courrier recommandé, une réponse par écrit aux détails spécifiés dans l’appel, et toutes les pièces s’y rapportant dûment certifiées sous serment.
(4) Tous les détails et toutes les pièces déposés conformément au présent article constitueront et formeront le dossier.
13 (1) Le Ministre peut, si les faits allégués ne lui paraissent pas suffisants pour décider de la validité de l’élection faisant l’objet de la plainte, conduire une enquête aussi approfondie qu’il le juge nécessaire et de la manière qu’il juge convenable.
(2) Cette enquête peut être tenue par le Ministre ou par toute personne qu’il désigne à cette fin.
(3) Lorsque le Ministre désigne une personne pour tenir une telle enquête, cette personne doit présenter un rapport détaillé de l’enquête à l’examen du Ministre.
14 Lorsqu’il y a lieu de croire
a) qu’il y a eu manœuvre corruptrice à l’égard d’une élection,
b) qu’il y a eu violation de la Loi ou du présent règlement qui puisse porter atteinte au résultat d’une élection, ou
c) qu’une personne présentée comme candidat à une élection était inadmissible à la candidature,
le Ministre doit alors faire rapport au gouverneur en conseil.
C. Jurisprudence
[45] La Cour a déjà traité la question à laquelle s’appliquent les dispositions lorsque des appels sont interjetés en vertu de la Loi et du Règlement. Dans le cas Keeper c. Canada, 2011 CF 307 (Keeper), le juge Campbell a conclu que « les dispositions légales et réglementaires attribuent au ministre la responsabilité de recueillir des éléments de preuve et d’établir un rapport, et au gouverneur en conseil la responsabilité de rendre une décision finale » (au paragraphe 4). Il poursuit en ajoutant ce qui suit [au paragraphe 5] :
Il est acquis aux débats que le représentant du ministre était tenu de décider en fonction de la norme de preuve précisée à l’article 14 du Règlement, qui exige seulement la preuve qu’il y a lieu de croire qu’un acte répréhensible visé aux alinéas 14a) ou 14b) a été commis. À mon avis, il ne fait aucun doute que la décision a été rendue en fonction de la norme de preuve plus exigeante de l’article 79 de la Loi, qui exige la preuve d’un acte répréhensible. Je rejette l’argument formulé par les avocates du ministre selon lequel les mots employés dans le passage ne sont que « malheureux » et qu’ils devraient être considérés comme étant une application de l’article 14. Il n’y a aucun fondement crédible à cet argument. Les mots parlent d’eux-mêmes; l’erreur de droit n’est pas justifiable.
[46] Il convient de noter que dans la décision Keeper, le PG était d’accord pour dire que l’article 14 du Règlement était la disposition applicable. En l’espèce, le PG affirme que la décision Keeper a été remplacée par celles du juge O’Reilly dans la décision Woodhouse c. Canada (Affaires autochtones et du Nord canadien), 2013 CF 1055 (Woodhouse), et du juge O’Keefe dans la décision Dedam, précitée.
[47] Dans ses observations écrites, le PG fait valoir ce qui suit :
41. Aucune erreur de droit n’a été commise dans la façon dont le Règlement sur les élections au sein des bandes d’Indiens et la Loi sur les Indiens ont été appliquées en l’espèce. Le défendeur fait valoir que la défenderesse comprend mal les différences entre l’article 14 du Règlement sur les élections au sein des bandes d’Indiens et l’article 79 de la Loi sur les Indiens, ainsi que le fardeau de la preuve exigé en vertu de chacun de ces articles. La défenderesse laisse entendre que seule une apparence de manœuvres frauduleuses est exigée en vertu des deux dispositions. C’est inexact.
42. Bien que l’article 14 du Règlement sur les élections au sein des bandes d’Indiens indique qu’une apparence de manœuvres frauduleuses est suffisante pour qu’un rapport soit fait au gouverneur en conseil, l’article 79 de la Loi sur les Indiens exige que la présence de manœuvres frauduleuses soit établie selon la norme de preuve en matière civile de la prépondérance des probabilités pour rejeter une élection. Par conséquent, l’article 79 n’exige pas une norme de preuve inférieure à la prépondérance des probabilités en matière civile. En fait, il serait déraisonnable de rejeter une élection uniquement lorsqu’il y a lieu de croire à une manœuvre corruptrice.
43. La décision de la Cour fédérale dans Woodhouse c. Canada (Procureur général), qui a suivi et clarifié les décisions antérieures de la Cour sur lesquelles la demanderesse s’appuie, Keeper c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien) et Dedam, établit le fardeau de la preuve exigé en vertu des articles 78 et 79 de la Loi sur les Indiens. Dans la décision Woodhouse, la Cour établit clairement qu’une élection peut être rejetée uniquement si le ministre est convaincu qu’il y a eu des manœuvres frauduleuses selon la prépondérance des probabilités.
44. En se reportant à l’article 78 de la Loi sur les Indiens, semblable à l’article 79, la Cour note, « il ne suffit pas qu’il y ait simplement lieu de croire qu’une irrégularité a été commise, ce qui donne uniquement lieu à la remise d’un rapport au gouverneur en conseil aux termes de l’article 14 du Règlement ». La Cour ajoute ensuite que « pour formuler une déclaration de culpabilité, le ministre doit donc être convaincu selon la prépondérance des probabilités qu’un représentant élu a commis une manœuvre frauduleuse. Ce n’est qu’alors que le représentant visé peut être destitué ».
45. Par ailleurs, en ce qui concerne la décision Dedam, la Cour a apporté dans la décision Woodhouse la clarification suivante : « la décision du ministre de destituer certains représentants élus aux termes du sous-alinéa 78(2)b)(ii) de la Loi était raisonnable, puisqu’elle reposait sur des éléments de preuve suffisamment solides établissant que ces représentants avaient commis des manœuvres frauduleuses ». Autrement dit, la norme de preuve en matière civile a été respectée dans Dedam, et non la norme de preuve inférieure prévue à l’article 14 du Règlement sur les élections au sein des bandes d’Indiens. [Renvois omis.]
[48] À mon avis, ce raisonnement n’est pas du tout pertinent par rapport à la question en litige dans la présente demande. Le fardeau de la preuve en matière civile exigé aux termes des articles 78 et 79 ne soulève aucune divergence d’opinions. En fait, l’article 78 ne concerne même pas les faits en l’espèce. La question en litige est que la déléguée, en examinant l’appel et en émettant ses recommandations, a jugé suffisant de traiter l’ensemble de la cause en vertu de l’article 79 de la Loi et a omis d’utiliser la norme applicable à la collecte de la preuve dans son rapport. Comme l’a indiqué le juge Campbell, l’article 79 décrit le pouvoir du gouverneur en conseil de rejeter « l’élection du chef ou d’un des conseillers d’une bande sur le rapport du ministre ». La déléguée et les autres personnes œuvrant à l’Unité des élections des Affaires autochtones et du Nord Canada (AANC) ne sont pas le gouverneur en conseil, et aucun rapport n’a été fait au gouverneur en conseil en l’espèce. Par conséquent, l’article 79 de la Loi n’a jamais été en cause. La déléguée a décidé d’omettre de mener une enquête en vertu de l’article 13 du Règlement et de rejeter l’appel sans faire un rapport au gouverneur en conseil.
[49] D’après ce que je peux comprendre du contre-interrogatoire de la déléguée, cette approche de traitement des appels d’élection en vertu de la Loi représente une pratique établie au sein de l’Unité des élections d’AANC. Compte tenu du volume d’appels à l’échelle du pays, je peux comprendre pourquoi AANC tenterait de simplifier le processus d’appel pour être en mesure d’en assurer la gestion. Toutefois, en appliquant directement l’article 79 de la Loi ou en confondant l’article 79 de la Loi et l’article 14 du Règlement, l’Unité des élections a modifié de façon importante la nature même du processus d’appels et a en fait négligé les articles 13 et 14 du Règlement. Les décisions relatives à la politique interne ne peuvent être utilisées de la sorte pour modifier la loi.
[50] À l’audience concernant cette demande qui s’est tenue devant moi à Saskatoon le 14 septembre 2016, le PG a tenté de plusieurs façons de justifier et de rendre légitime la manière dont l’Unité des élections traite les appels. Le procureur a affirmé que :
a) La position de la Cour dans la décision Keeper, précitée, a été corrigée par les décisions Woodhouse et Dedam, toutes deux précitées, qui établissent clairement que l’article 79 est la disposition applicable par l’Unité des élections pour traiter les appels d’élections en vertu de la Loi;
b) En fait, le contournement de l’article 14 du Règlement ou la confusion entre l’article 14 du Règlement et l’article 79 de la Loi n’ont finalement fait aucune différence en l’espèce, car le rejet de l’appel, comme dans d’autres cas, était raisonnable compte tenu des faits établis à partir de la preuve.
[51] À mon avis, ces observations sont illégitimes et peu convaincantes. Pour commencer, à ma connaissance, rien dans les décisions Woodhouse, Dedam ou toute autre décision ne modifie ou supplante la décision Keeper. Si les juges O’Reilly et O’Keefe avaient jugé approprié de rejeter la décision Keeper, ils l’auraient fait conformément aux règles de la courtoisie judiciaire. Or, il n’existe aucune mention de rejet ni même de distinction par rapport à la décision Keeper dans l’une ou l’autre des décisions. L’avocat du PG n’a cité aucun passage de la décision Woodhouse ou de la décision Dedam suggérant, même de loin, que la décision Keeper ne demeure pas valable juridiquement.
[52] Deuxièmement, la décision de l’Unité des élections de contourner simplement l’article 14 du Règlement et d’appliquer l’article 79 de la Loi de la façon dont elle a été prise en l’espèce ne peut être raisonnable, car, en réalité, elle fait en sorte qu’il est beaucoup plus difficile pour les appelants (dont la plupart sont des personnes ordinaires aux ressources possiblement limitées) de faire évaluer leurs appels de la façon dont le Parlement a indiqué qu’ils doivent être évalués.
[53] Par exemple, si l’on considère la façon dont la déléguée a traité la preuve des allégations d’achat de votes par le chef Baptiste et M. Meechance, des problèmes de tous genres sont survenus à la suite de sa décision de précéder toute forme d’enquête et d’appliquer la norme de preuve en vertu de l’article 79 de la Loi plutôt que de réaliser un examen initial de la preuve en vertu de l’article 14 du Règlement, qui exige une décision à savoir s’il y a lieu de croire a) qu’il y a eu manœuvre corruptrice à l’égard d’une élection ou b) qu’il y a eu violation de la Loi ou du Règlement qui puisse porter atteinte au résultat d’une élection.
[54] Tout d’abord, les éléments de preuve montrent clairement que la déléguée considère également une « manœuvre corruptrice », comme une « violation de la Loi ou du présent règlement », comme un élément qui aurait influé sur le résultat de l’élection. Ni l’article 14 du Règlement ni l’alinéa 79a) de la Loi n’exigent qu’une « manœuvre corruptrice » porte atteinte au résultat d’une élection. La déléguée ne fait qu’importer cette exigence dans sa décision, sans pouvoir ni justification. Apparemment, l’Unité des élections d’AANC et, dans cette demande, le PG, estiment qu’il n’est pas nécessaire d’intervenir en cas de manœuvre corruptrice sauf dans le cas où, selon la prépondérance des probabilités, elle aurait porté atteinte au résultat de l’élection.
[55] Deuxièmement, le refus de la déléguée de demander une enquête sur les éléments de preuve contradictoires et sa décision de recourir plutôt au critère de la prépondérance des probabilités pour les éléments de preuve présentés l’ont menée à certaines conclusions entièrement déraisonnables qui ont retardé toute évaluation réelle de la présence de manœuvres corruptrices sous la forme d’achat de votes.
[56] Il ne faut pas oublier que le processus d’appel penche intrinsèquement en faveur des élus, donc que l’Unité des élections doit faire preuve d’une grande prudence pour s’assurer que la preuve nécessaire est accessible avant de prendre une décision. Il en est ainsi, car, au moment d’interjeter appel, l’appelant n’a aucune idée de comment réagira la personne ayant commis la présumée violation ou la manœuvre corruptrice. Si un appel répond aux exigences prévues à l’article 12 du Règlement, l’Unité des élections envoie une copie de l’appel et de tous les documents justificatifs au président d’élection et aux candidats à l’élection. Ces documents justificatifs comprennent habituellement la déclaration de l’appelant et, comme en l’espèce, les déclarations sous serment appuyant les allégations. Le président d’élection et les candidats présentent alors leurs réponses et tous les documents justificatifs. En l’espèce, les seules réponses proviennent du président d’élection et du chef Baptiste.
[57] Cela signifie que le président d’élection et les candidats ont reçu la communication intégrale des allégations avant de présenter ou de refuser de présenter leurs réponses et qu’ils ont pu adapter leurs réponses en conséquence. Toutefois, l’appelante n’a pas l’occasion de réagir aux documents présentés par le président d’élection et les candidats. Voilà pourquoi l’enquête prévue à l’article 13 du Règlement est si importante. La nature et l’étendue d’une telle enquête sont à l’entière discrétion du ministre s’il décide que « les faits allégués ne sont pas suffisants pour décider de la validité de l’élection faisant l’objet de la plainte ».
[58] Il me semble, selon les faits en l’espèce, qu’aucune enquête n’était nécessaire sur la plainte de la demanderesse selon laquelle le président d’élection a omis de poster les bulletins de vote aux électeurs en temps opportun, les empêchant de les remplir et de les retourner à temps pour qu’ils soient comptabilisés.
[59] Même si je ne crois pas que la demanderesse a reçu son bulletin de vote en temps opportun, aucune preuve, même en vertu de l’alinéa 14b) du Règlement, n’indique que cette omission « [aurait pu] porter atteinte au résultat » de l’élection de 2014.
[60] Mme Leona Carol Wuttunee, qui appuie la demanderesse dans une déclaration sous serment dans laquelle elle affirme ne pas avoir reçu de bulletin de vote, a voté en personne, ce qui fait que son expérience n’aurait pas pu porter atteinte au résultat de l’élection. La demanderesse n’a pas fourni les noms d’autres électeurs hors réserve ou sur la réserve auxquels le président d’élection n’aurait pas posté un bulletin de vote à temps pour qu’ils puissent voter.
[61] Bien que la déléguée mentionne l’alinéa 79b) de la Loi quand elle traite des allégations de la demanderesse sur les bulletins de vote, elle affirme également que « la preuve était insuffisante pour conclure à une violation de la Loi sur les Indiens ou du Règlement qui aurait porté atteinte au résultat de l’élection. Par conséquent, la demande est rejetée » (je souligne). Selon les faits, je crois que la décision était raisonnable. Je ne pense pas que la preuve était suffisante pour démontrer, en vertu de l’alinéa 14b) du Règlement, qu’il y avait lieu de croire même à une apparence de violation qui aurait pu « porter atteinte au résultat » de l’élection de 2014.
[62] Toutefois, il est étrange qu’en plus d’avoir appliqué l’article 79 de la Loi à la preuve en l’espèce, la déléguée a de plus jugé nécessaire de se reporter au Règlement et d’établir que la preuve était « insuffisante pour conclure à une violation du […] Règlement qui aurait porté atteinte au résultat de l’élection ». Si, comme le fait valoir la déléguée dans la preuve qui m’est présentée et le PG dans sa demande, la situation était régie par l’article 79 de la Loi et non l’article 14 du Règlement, il n’y avait pas lieu que la déléguée se reporte au Règlement. Or, son rapport et ses recommandations montrent qu’elle semble parfaitement consciente qu’il est nécessaire de satisfaire au Règlement. À ce titre, elle traite le Règlement comme elle le devrait, alors je ne relève aucune erreur de droit ou de caractère déraisonnable dans sa décision concernant la plainte de la demanderesse selon laquelle les électeurs n’ont pas reçu les bulletins de vote. Je ne crois pas non plus qu’une enquête était nécessaire en vertu de l’article 13. La preuve n’évoquait tout simplement pas un problème de bulletins de vote d’une ampleur suffisante pour porter atteinte au résultat de l’élection. Les problèmes liés à la décision sont attribuables à la façon dont la déléguée a évalué la question de l’achat de votes.
[63] En ce qui concerne les allégations d’achat de votes, la déléguée :
a) Contourne complètement l’article 14 du Règlement et applique l’article 79 de la Loi à la preuve qui lui est présentée;
b) Importe une exigence d’« atteinte à l’élection » dans ses délibérations, exigence qui n’est conforme ni à l’alinéa 14a) du Règlement ni à l’alinéa 79a) de la Loi;
c) Omet de conduire toute forme d’enquête en vertu de l’article 13 du Règlement dans une situation où, de façon raisonnable, il était impossible de prendre une décision équitable ou pondérée en raison d’éléments de preuve contradictoires; et
d) Appuie sa décision sur des hypothèses fausses ou non pertinentes.
[64] Dans son appel, la demanderesse a déclaré (appuyée par la déclaration de Robert Dean Wuttunee (M. Wuttunee)) que le chef Baptiste avait participé à une manœuvre corruptrice d’achat de votes lors de l’élection de 2014. Voici le passage de la décision portant sur cette question :
8. Il a été allégué par Robin Dean Wuttunee que le chef Stewart Baptiste avait participé à une manœuvre corruptrice d’achat de votes.
RÈGLEMENT SUR LES ÉLECTIONS AU SEIN DES BANDES D’INDIENS
L’alinéa 12(1)a) du Règlement énonce que :
Si, dans les quarante-cinq jours suivant une élection, un candidat ou un électeur a des motifs raisonnables de croire :
a) qu’il y a eu manœuvre corruptrice en rapport avec une élection, il peut interjeter appel en faisant parvenir au sous-ministre adjoint, par courrier recommandé, les détails de ces motifs au moyen d’une déclaration en bonne et due forme.
CONCLUSIONS
Madame Good a joint à son avis d’appel une déclaration sous serment de Robin Dean Wuttunee. Dans cette déclaration, M. Wuttunee déclare que le ou vers le 20 février 2014, il se trouvait à la résidence du chef Steward Baptiste Jr pour réparer sa voiture. Il ajoute « pendant que j’accomplissais le travail, Clayton Buglar (ci-après nommé « M. Buglar ») est arrivé dans son véhicule et est entré dans la maison. Peu de temps après, je suis entrée dans la maison pour prendre un verre d’eau et aviser M. Baptiste que je n’allais peut-être pas être en mesure de terminer le travail sur son véhicule ce soir-là. En entrant dans la maison, j’ai entendu M. Buglar s’adresser à M. Baptiste en disant “avec ceux-là, ça fera deux cents”. À ce moment-là, je suis entré dans la cuisine et j’ai vu une grande pile composée de documents que j’ai reconnus comme étant des bulletins de vote pour l’élection à venir au sein de la bande ».
RÉPONSES À LA CIRCULATION DE L’APPEL
Wesley Lambert a répondu aux allégations d’achat de votes en déclarant qu’il n’était pas au courant des allégations contre le candidat Stewart Baptiste. Il a ajouté qu’« une fois que le bulletin de vote est envoyé à l’électeur, il est impossible de gérer par qui il sera manipulé. »
Dans sa déclaration sous serment, le chef réélu Stewart Baptiste a même nié avoir embauché M. Wuttunee pour réparer son véhicule le 20 février 2014. Il déclare : « il n’était pas dans ma maison à cette date, invité ou non, et ne pourrait pas m’avoir vu remplir une boîte de bulletins de vote puisque je n’ai jamais commis un tel geste. » Il a ajouté : « M. Wuttunee et moi ne sommes pas en bons termes depuis quelques années. Depuis sa sortie du pénitencier après une sentence pour vol armé, agression sexuelle et de nombreux vols de véhicules, il exerce une influence négative sur les jeunes de notre communauté et j’ai exprimé ma volonté de le faire exclure de notre Première Nation. » Le chef Baptiste a poursuivi en affirmant qu’il était de notoriété publique que la mère de M. Wuttunee avait interjeté appel de l’élection de 2012, appel qui a été rejeté.
CONCLUSION
Bien que M. Wuttunee ait déclaré avoir entendu Clayton Buglar dire « avec ceux-là, ça fera deux cents », il n’a pas affirmé avoir entendu les mots « bulletins de vote ». Il a poursuivi en ajoutant : « à ce moment-là, je suis entré dans la cuisine et j’ai vu une grande pile composée de documents que j’ai reconnus comme étant des bulletins de vote pour l’élection à venir au sein de la bande ». Il n’est pas déraisonnable de remettre en question l’énoncé « avec ceux-là, ça fera deux cents », en particulier parce que Clayton Buglar n’a reçu que 144 votes sur 855 bulletins de vote valides. Si M. Buglar avait eu 200 bulletins de vote, il est raisonnable de supposer qu’il aurait reçu beaucoup plus de votes, du moins 200 au minimum. Par ailleurs, le rapport du président d’élection révèle que tous les bulletins de vote ont été recueillis et comptabilisés.
De plus, M. Wuttunee a seulement mentionné avoir « vu une grande pile composée de documents qu’il a reconnus comme étant des bulletins de vote pour l’élection à venir au sein de la bande ». En ne fournissant pas de précisions concernant cette prétendue pile de bulletins de vote, par exemple la couleur des bulletins ou si elle contenait ou non des formules de déclaration d’identité et des enveloppes, M. Wuttunee a omis de fournir une preuve suffisante pour incriminer le chef Baptiste d’avoir participé à une manœuvre corruptrice d’achat de votes, et aucun autre électeur ne s’est manifesté pour appuyer cette allégation. Le chef Baptiste a réfuté les allégations et fourni des raisons plausibles expliquant pourquoi M. Wuttunee pourrait avoir inventé cette allégation. De plus, le chef Baptiste en est actuellement à son troisième mandat. Si l’on examine la répartition des votes entre le chef élu et l’autre candidat ayant recueilli le plus grand nombre de votes lors de trois derniers scrutins, les chiffres sont très semblables. Par conséquent, il ne semble pas y avoir eu d’irrégularités importantes qui auraient pu donner lieu à des soupçons d’achat de votes lors de cette élection.
Par conséquent, compte tenu de la preuve recueillie, de l’examen des documents d’élection et de la réfutation méthodique de l’allégation par rapport aux allégations non corroborées, l’allégation selon laquelle le chef Stewart Baptiste a participé à l’achat de votes est rejetée, le fardeau de la preuve n’ayant pas été acquitté.
[65] Il apparaît évident que la déléguée n’a pas précisé directement la norme de preuve qu’elle a appliquée en l’espèce. Toutefois, elle a confirmé lors du contre-interrogatoire que les renseignements présentés en appel étaient évalués selon la norme de preuve civile : voir le contre-interrogatoire de Natalie Nepton, vol. I, page 11, lignes 17 à 19, et page 38, lignes 13 à 17. Il semble également, de par la décision même, que la déléguée n’a pas établi s’il y a lieu de croire qu’il y a eu manœuvre corruptrice en vertu de l’alinéa 14b) du Règlement, mais qu’elle a évalué la preuve selon le paragraphe 79(1) de la Loi. Le PG associé à cette demande déclare également que l’article 79 de la Loi s’applique dans cette situation et que la déléguée avait le droit d’appliquer, et a appliqué, la norme de preuve en matière civile. Je considère donc qu’il a été établi, aux fins de ma décision, que la déléguée a contourné l’alinéa 14b) du Règlement et évalué cette question comme si elle était gouverneur en conseil en vertu de l’article 79 de la Loi. Une fois de plus, il est alors étrange que la déléguée commence en citant l’alinéa 12(1)b) du Règlement, démontrant ainsi sa connaissance que le Règlement s’applique en l’espèce, pour ensuite négliger les articles 13 ou 14 du Règlement. La déléguée n’explique pas pourquoi elle estime être en mesure de rendre une décision sur la question sans mener aucune forme d’enquête sur les éléments contradictoires de la preuve qui lui est présentée, et elle confirme lors du contre-interrogatoire qu’elle n’a même pas tenté de vérifier les allégations divergentes de l’une ou l’autre des parties et qu’en fait, il n’existait aucun élément pour corroborer la preuve du chef Baptiste.
[66] Elle entreprend plutôt un processus d’évaluation discutable qui, à mon avis, est déraisonnable. M. Buglar n’a peut-être pas prononcé les mots « bulletins de vote », mais M. Wuttunee a vu les bulletins de vote et aucune preuve ne porte à croire que M. Buglar aurait pu faire allusion à autre chose. Le nombre de votes reçus par M. Buglar n’est pas pertinent, car l’accusation porte sur l’achat de votes par le chef Baptiste. Par ailleurs, il n’y a aucune raison de douter que M. Wuttunee puisse reconnaître des bulletins de vote quand il en voit. Le fait qu’il ne mentionne pas leur couleur ou la présence de formules de déclaration d’identité ne suffit pas pour douter de ces observations sans mener une enquête approfondie. Si la déléguée avait jugé nécessaire d’évaluer l’exactitude des observations de M. Wuttunee, elle aurait dû lui poser des questions sur ce point. En omettant de le faire, elle a écarté la preuve sans raison réelle et sans lui donner l’occasion de lui prouver qu’il savait ce qu’il avait vu.
[67] La conclusion de la déléguée selon laquelle le chef Baptiste a « fourni des raisons plausibles expliquant pourquoi M. Wuttunee pourrait avoir inventé cette allégation » n’a aucun fondement. La déléguée décide simplement qu’elle admettra la preuve du chef Baptiste sans, comme elle l’a admis lors du contre-interrogatoire, confirmer et vérifier que les propos de M. Wuttunee ou du chef Baptiste sont véridiques. Le chef Baptiste est en mesure de réfuter « méthodiquement » les propos de M. Wuttunee parce qu’il a vu la preuve de M. Wuttunee et peut fournir des explications quant aux raisons de ne pas le croire. M. Wuttunee n’a pas la permission de voir ou de commenter la preuve du chef Baptiste et rien ne porte à croire que, s’il l’avait fait, il n’aurait pas été en mesure de présenter une réfutation tout aussi méthodique. La preuve de M. Wuttunee n’a peut-être pas été corroborée, mais il en va de même pour celle du chef Baptiste. Les pouvoirs d’enquête décrits à l’article 13 du Règlement sont conférés pour résoudre de front ce type de contradiction entre les éléments de preuve. Il est déraisonnable d’accepter simplement la preuve d’une partie sans véritable fondement probatoire.
[68] La demanderesse a également présenté la preuve de Mme Denise Virginia Soonias selon laquelle elle et son fils ont vendu leurs bulletins de vote à M. Meechance. La déléguée traite cette preuve comme suit :
9. Denise Virginia Soonias a déclaré avoir vendu son bulletin de vote et celui de son fils à Charles Meechance.
CONCLUSIONS
Pour appuyer l’allégation de la demanderesse selon laquelle il y a eu manœuvre corruptrice sous la forme d’achat et de vente de votes, Denise Virginia Soonias déclare, dans sa déclaration sous serment, qu’elle a communiqué avec Charles Meechance, candidat au poste de conseiller, pour lui proposer d’acheter son bulletin de vote et celui de son fils au prix de 250 $ chacun. Elle atteste qu’elle a reçu de l’argent pour son bulletin de vote lors d’élections précédentes et qu’elle voulait en recevoir encore. M. Meechance a accepté de la rencontrer avec son fils dans un stationnement, où il leur a remis lesdits montants. Toutefois, son fils n’a pas présenté de déclaration pour appuyer l’allégation. Par ailleurs, aucun autre membre ne s’est manifesté pour appuyer l’allégation selon laquelle Charles Meechance aurait acheté des bulletins de vote. Il importe également de noter que Charles Meechance n’a pas été élu lors de l’élection de 2014 et n’a pas réussi à obtenir un poste depuis l’élection de 2001. Il a récolté 226 votes et est arrivé neuvième, à 10 votes de remporter le dernier poste ouvert de conseiller. Bien que Mme Soonias et son fils vivent sur la réserve, ils ont tous deux voté en postant leur bulletin de vote.
Dans sa déclaration sous serment, Mme Soonias déclare : « environ trois semaines avant l’élection, j’ai communiqué avec Charles Meechance ». Elle poursuit : « M. Meechance a accepté de me rencontrer avec mon fils Dashayne Dwayne Soonias dans le stationnement situé derrière le magasin No Frills, à North Battleford. Quand nous l’avons rejoint dans le stationnement, il m’a remis les deux cent cinquante dollars pour mon bulletin de vote et je l’ai vu remettre la même somme à mon fils Dashayne Dwayne Soonias en échange de son bulletin de vote. Il nous a demandé de ne rien dire à personne, a pris nos bulletins de vote, puis nous sommes partis ».
Si Mme Soonias a communiqué avec M. Meechance trois semaines avant la date de l’élection, la présumée rencontre aurait eu lieu le ou vers le 27 février 2014. L’Unité des élections a examiné les formules de déclaration d’identité des deux électeurs. Ils ont tous deux agi à titre de témoin pour la formule de l’autre le 11 mars 2014. Par conséquent, il convient de remettre en question la véracité de l’allégation de Mme Soonias selon laquelle M. Meechance aurait acheté et apporté leurs bulletins de vote le ou vers le 27 février 2014 puisque les formules de déclaration ont été signées le 11 mars 2014. Par ailleurs, aucun autre électeur ne s’est manifesté pour appuyer l’allégation selon laquelle M. Meechance a participé à une manœuvre corruptrice sous la forme d’achat de votes.
RÉPONSES À LA CIRCULATION DE L’APPEL
La trousse d’appel de Charles Meechance a été retournée après avoir été déclarée « non réclamée ». Ainsi, M. Meechance n’a formulé aucune déclaration.
CONCLUSION
Madame Soonias est la seule personne ayant présenté une déclaration sous serment accusant Charles Meechance, candidat non élu au poste de conseiller, de l’achat de deux bulletins de vote. Son fils n’a déposé aucune déclaration confirmant ou niant qu’il avait reçu de l’argent en échange de son vote. De plus, les dates figurant sur les formules de déclaration d’identité ne corroborent pas l’allégation selon laquelle les bulletins de vote auraient été achetés le 27 février 2014.
Comme personne d’autre ne s’est manifesté pour appuyer l’allégation d’achat de votes de l’appelante, la déclaration déposée par Mme Soonias n’évoque pas d’achat de votes à grande échelle. Deux points particuliers appuient cette conclusion : Mme Soonias aurait communiqué avec M. Meechance pour lui vendre son bulletin de vote; elle n’a pas déclaré avoir été sollicitée par lui. En outre, elle n’a fourni aucun document, témoignage, nom ou coordonnées appuyant son allégation ni même celle de son fils, qui aurait reçu de l’argent en échange de son bulletin de vote. Par conséquent, les éléments de preuve présentés ne sont pas suffisants pour s’acquitter du fardeau de la preuve et prouver qu’il y a eu manœuvre corruptrice. L’allégation est donc rejetée.
[69] Il convient de noter ici que, malgré le fait que M. Meechance n’a fourni aucune preuve pour réfuter les propos de Mme Soonias, la déléguée estime qu’elle peut rejeter la preuve de Mme Soonias sans vérification ni enquête. À tout le moins, en l’absence de preuve pour réfuter la déclaration sous serment de Mme Soonias, il y avait lieu de croire à l’achat de votes. Toutefois, la déléguée a posé ici un jugement négatif sur la crédibilité sans le moindre fondement. Si elle doutait de la crédibilité de Mme Soonias, elle aurait pu approfondir l’enquête. Une fois de plus, elle s’est plutôt appuyée sur des éléments fallacieux pour rejeter une preuve non réfutée.
[70] Le fait que le fils de Mme Soonias n’a pas déposé de déclaration en son nom ne constitue pas une raison de remettre en doute sa crédibilité. Elle présente une preuve de ce qu’elle a vu de ses propres yeux. Il ne s’agit pas de ouï-dire. Toutes sortes de raisons pourraient expliquer pourquoi le fils de Mme Soonias n’a pas déposé de déclaration, notamment les frais, la conviction que sa mère a tout dit ce qu’il y avait à dire ou la crainte de s’auto-incriminer. La déléguée ne tente pas de découvrir pourquoi il n’a pas déposé de preuve et tire simplement une conclusion négative qui n’a aucun fondement juridique ou logique. La déléguée aurait pu établir facilement pourquoi le fils n’a pas déposé de déclaration, mais elle en a décidé autrement.
[71] Le fait qu’« aucun autre membre ne s’est manifesté pour appuyer l’allégation selon laquelle Charles Meechance aurait acheté des bulletins de vote » n’est pas pertinent et aucun élément ne prouve qu’il n’a pas acheté les bulletins de Mme Soonias et de son fils, allégation appuyée par une preuve non réfutée. Le fait que M. Meechance n’a pas été élu n’est pas pertinent non plus. La déléguée commet l’erreur d’importer une exigence selon laquelle une manœuvre alléguée doit pouvoir porter atteinte au résultat de l’élection. Or, il ne s’agit pas d’une exigence en vertu de l’alinéa 14a) du Règlement.
[72] Le fait que Mme Soonias a communiqué avec M. Meechance et non l’inverse n’est pas pertinent non plus. Si un vote est acheté, la personne à l’origine de la transaction n’a aucune importance. Il est également déraisonnable de s’attendre à ce que Mme Soonias ait été en mesure de fournir « tout document justificatif, témoignage, nom ou coordonnées appuyant son allégation, même de son fils, qui aurait reçu de l’argent en échange de son bulletin de vote ». Comme il a déjà été indiqué, son fils avait peut-être une bonne raison de ne pas être impliqué et la déléguée n’avait aucune raison de soupçonner que la situation pouvait avoir une incidence sur la crédibilité de Mme Soonias. De plus, il est difficile de comprendre quels autres « documents justificatifs, témoignages, noms ou coordonnées » avait en tête la déléguée pour une transaction clandestine qui s’est déroulée en secret dans un stationnement derrière le magasin No Frills de North Battleford. Je doute que les personnes participant à des transactions d’achat de votes le font dans un contexte qui donne lieu à des relevés papier ou à des témoignages et à des témoins.
[73] L’observation de la déléguée à propos des déclarations signées le 11 mars 2014 pourrait avoir une certaine validité, mais pas assez pour appuyer un jugement négatif sur la crédibilité en l’absence de preuve de M. Meechance. Il n’est pas cohérent que la déléguée tire une conclusion défavorable parce que le fils a omis de déposer une déclaration sans tirer de conclusion défavorable parce que M. Meechance n’a présenté aucune déclaration.
D. Conclusions sur l’achat de votes
[74] Il me semble que la demanderesse a établi que le traitement des allégations d’achat de votes par la déléguée était :
a) Fondé sur une erreur de droit, la déléguée ayant omis d’évaluer la preuve conformément à l’article 14 du Règlement;
b) Déraisonnable dans ses conclusions étant donné la preuve qui lui a été présentée et son omission de vérifier les simples allégations et de mener une enquête sur les éléments de preuve directement contradictoires;
c) Inéquitable sur le plan procédural parce que l’omission d’effectuer des vérifications et de mener une enquête ne donnait pas l’occasion aux témoins de remédier aux préoccupations avant de tirer des conclusions négatives s’appuyant sur la crédibilité pour rejeter l’appel.
[75] Cela dit, je crois qu’il est également nécessaire que la Cour examine s’il existe une raison pratique d’infirmer cette décision.
[76] Comme je l’ai mentionné, je ne crois pas qu’une erreur susceptible de révision ait été commise dans la façon dont la question des bulletins de vote a été traitée. Comme l’indique la déléguée, ses conclusions justifient le rejet de l’appel sur cette question, qu’elle soit considérée sous la perspective de l’article 79 de la Loi ou du Règlement. Aucun conflit nécessitant une enquête approfondie n’a été observé dans la preuve et la demanderesse n’a pas réussi à démontrer qu’il y avait lieu de croire à une violation de la Loi ou du Règlement qui pourrait, selon l’alinéa 14b) du Règlement, avoir porté atteinte au résultat de l’élection de 2014.
[77] En ce qui concerne l’achat de votes, il me semble que, pour les raisons données, la déléguée a commis une erreur dans le traitement de la preuve de Mme Soonias en appliquant la norme de l’article 79, en tirant des conclusions déraisonnables non appuyées par la preuve et en tirant des conclusions défavorables d’une manière inéquitable sur le plan procédural. Toutefois, au bout du compte, je ne crois pas que ces faits soient réellement importants.
[78] En ce qui a trait à la preuve de Mme Soonias, l’approche de l’Unité des élections est en quelque sorte justifiée, car il n’y avait pas vraiment lieu pour le ministre de faire un rapport au gouverneur en conseil. En effet, selon l’article 79 de la Loi, le gouverneur en conseil peut uniquement rejeter « l’élection du chef ou d’un des conseillers d’une bande » si, selon la prépondérance des probabilités, il y a eu, en vertu de l’alinéa 79a), « des manœuvres frauduleuses à l’égard de cette élection ».
[79] La seule manœuvre frauduleuse alléguée par Mme Soonias constitue l’achat de deux votes par M. Meechance, qui n’a pas été élu. Aucun élément de la preuve ne permet d’établir que l’achat de votes par M. Meechance justifierait que le gouverneur en conseil rejette l’élection d’un chef ou d’un conseiller. En outre, aucun élément de la preuve présentée par Mme Soonias ne porte à croire à l’achat de votes à grande échelle par le chef et son conseiller. J’estime donc qu’il était raisonnable de ne pas approfondir la question en tenant une enquête en vertu de l’article 13.
[80] La seule véritable question que je dois évaluer consiste à savoir si le traitement de la preuve de M. Wuttunee concernant l’achat de votes par le chef Baptiste exigeait des mesures supplémentaires. Pour les raisons données, il me semble que la preuve a permis d’établir avec certitude qu’il y avait lieu de croire à une manœuvre corruptrice dans le cadre d’une élection en vertu de l’alinéa 14a) du Règlement. Par conséquent, un rapport aurait dû être fait au gouverneur en conseil en vue de prendre une décision conformément à l’article 79 de la Loi. Il me semble également que la présence d’éléments de preuve conflictuels en l’espèce empêchait son traitement sans qu’une certaine forme d’enquête soit tenue par le ministre, conformément à l’article 13 du Règlement. La comparaison de la répartition des votes par rapport à l’élection précédente remportée par le chef Baptiste ne signifie pas que le prétendu achat de 200 votes n’a pas eu lieu et qu’il n’a pas exercé une incidence sur la victoire du chef Baptiste à l’élection de 2014.
[81] Cette question aurait dû être examinée conformément aux articles 13 et 14 du Règlement afin qu’une décision puisse être prise par le gouverneur en conseil en vertu de l’article 79 de la Loi. En l’espèce, les incertitudes quant à l’achat de votes et les éléments de preuve directement contradictoires exigeaient une enquête approfondie afin qu’on puisse faire rapport au ministre et au gouverneur en conseil.
E. Autres questions
[82] La demanderesse a soulevé d’autres questions, dont certaines (par exemple, les allégations de manquement à l’équité procédurale) ont été traitées ci-haut dans ma discussion. Les allégations de crainte raisonnable de partialité fondées sur les mots rassurants de Mme Anita Hawdur à l’égard du président d’élection ne sont pas prouvées. En tentant compte du contexte d’ensemble et compte tenu des éléments de preuve concernant les bulletins de vote et les vérifications effectuées sur la question, rien n’indique qu’une personne avisée connaissant toutes les circonstances pertinentes et les réalités sociales de l’espèce manifesterait une crainte de partialité : voir l’arrêt Nation et Bande des Indiens Samson c. Canada, [1998] 3 C.F. 3 (1re inst.), aux paragraphes 19 à 27.
[83] Par ailleurs, je n’admets pas que la déléguée ait tenté d’induire la Cour en erreur en déclarant sous serment que la norme de preuve requise était celle de la prépondérance des probabilités. Comme j’espère l’avoir clairement établi dans la discussion ci-dessus, le lien entre l’article 79 de la Loi et les articles 13 et 14 du Règlement ne sont pas parfaitement évidents à cet égard et, quoi qu’il en soi, affirmer que l’article 79 de la Loi doit être appliqué en l’espèce ne constitue pas une tentative d’induire la Cour en erreur. Une mauvaise interprétation de la loi ne constitue pas un exercice de tromperie.
[84] La demanderesse a sagement retiré ses allégations de partialité à l’audience du 14 septembre 2016. Aucune preuve de partialité ne m’a été présentée. Je crois qu’en l’espèce, la « crainte raisonnable de partialité » de la demanderesse reposait sur le fait que l’Unité des élections d’AANC, en contournant l’article 14 du Règlement, en omettant de faire enquête sur des éléments de preuve conflictuels en vertu de l’article 13 du Règlement (comme il est décrit ci-dessus) et en jugeant l’espèce simplement en vertu de la norme de preuve civile de l’article 79, a engendré une crainte de partialité systémique en faisant injustement pencher la balance en faveur des élus et au désavantage des appelants d’une manière qui n’est pas permise par la Loi et le Règlement. Toutefois, à cet égard, la question dépasse l’iniquité et le caractère déraisonnable des faits en l’espèce et ne doit pas être traitée de manière distincte.
[85] Je conclus également que la demanderesse a omis d’établir qu’elle s’attendait en toute légitimité qu’une enquête soit tenue en l’espèce. Comme l’observe le PG, une attente légitime doit être fondée sur une représentation, une politique ou une pratique claire, absolue et sans ambiguïté : voir l’arrêt Centre hospitalier Mont-Sinaï c. Québec (Ministre de la Santé et des Services sociaux), 2001 CSC 41, [2001] 2 R.C.S. 281, au paragraphe 29. Aucune représentation, politique ou pratique n’a été observée en l’espèce et l’article 13 du Règlement établit très clairement qu’il est à la discrétion du ministre de « conduire une enquête aussi approfondie qu’il le juge nécessaire et de la manière qu’il juge convenable ». Ce pouvoir discrétionnaire signifie qu’aucune attente légitime ne peut être entretenue par rapport à la demande qu’une enquête soit tenue dans un cas en particulier. Toutefois, le pouvoir discrétionnaire doit être exercé de manière raisonnable, et je conclus qu’il ne l’a pas été dans le cas des allégations contre le chef Baptiste.
F. Caractère théorique
[86] Le PG fait valoir que cette demande est théorique étant donné qu’une élection subséquente a eu lieu en 2016 et qu’il ne peut exister de litige entre les parties à l’heure actuelle. Le PG déclare également que la demande ne comporte aucune question assez importante pour justifier l’utilisation de ressources judiciaires limitées.
[87] Une affaire est qualifiée de théorique quand il est établi qu’il ne s’agit pas d’un « litige actuel ». Les principes concernant le caractère théorique et le pouvoir discrétionnaire résiduel de la Cour pour juger d’une question théorique sont bien connus et ont été établis dans l’arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, aux pages 358 à 363.
[88] En l’espèce, une controverse subsiste quant aux dispositions législatives et aux règlements qui s’appliquent aux appels en matière électorale, même si une nouvelle élection s’est tenue depuis celle de 2014. Le contexte contradictoire subsiste et cette demande a été pleinement débattue par les parties concernées par les conclusions. Les conséquences collatérales sont importantes en raison du nombre d’appels que doit traiter annuellement l’Unité des élections. Les ressources judiciaires seront préservées, car le rendement d’une décision éliminera la nécessité de remettre en question des élections pour des motifs semblables à l’avenir. L’incertitude persistera si le présent litige n’est pas résolu, et la Cour est appelée à donner des directives sur les questions fondamentales susceptibles de se reproduire à l’échelle du pays. Omettre de rendre une décision sur ce litige comporte un réel coût social. À mon avis, et compte tenu de ces facteurs, je crois que la Cour devrait, malgré le caractère théorique de ce cas, exercer son pouvoir discrétionnaire de traiter la question qui se trouve au centre de la controverse entre les parties.
[89] Étant donné que la preuve qui m’a été présentée permet d’établir que près de 40 p. 100 (238 sur 617) des Premières Nations ont tenu des élections conformément à la Loi et que la déléguée présente des éléments de preuve du nombre élevé d’appels traités par l’Unité des élections, la question exige des clarifications.
[90] En l’espèce, la demanderesse demande une déclaration selon laquelle le ministre a manqué aux principes d’équité procédurale en rejetant l’appel, une ordonnance annulant la décision ainsi qu’une ordonnance de la Cour accueillant l’appel original.
[91] La Cour ne peut substituer sa propre décision à la décision qui fait l’objet d’une révision et il serait inutile d’annuler une décision et d’exiger un nouvel examen alors qu’une élection a eu lieu en 2016. La demanderesse l’a reconnu à l’audience et a demandé que la Cour émette simplement une déclaration adéquate sur toute erreur susceptible de révision qu’elle peut trouver. Je constate que la juge Mactavish a procédé ainsi dans la décision Hudson, précitée, décision dans laquelle une élection en cours rendait inutile un nouvel examen de la question (aux paragraphes 111 et 112) :
Lorsque la Cour conclut que des erreurs susceptibles de contrôle ont été commises et entachant la décision en cause, la pratique habituelle consiste à renvoyer l’affaire pour nouvelle décision. Toutefois, en l’espèce, il y a peu à gagner de le faire, puisque la tenue de nouvelles élections pour les postes de chef et de conseillers est prévue pour le 22 mars 2007 et le chef Stevenson et M. Hudson y sont encore une fois tous deux candidats au poste de chef.
En conséquence, bien que je conclus que, dans l’instruction de l’appel de M. Hudson en matière électorale, ont été commises des erreurs d’une telle ampleur que la décision de Mme Kustra était déraisonnable, je m’abstiens de renvoyer la question au ministère défendeur des Affaires indiennes et du Nord canadien pour nouvelle décision.
[92] En l’espèce, j’estime pouvoir simplement affirmer que l’Unité des élections d’AANC a commis des erreurs dans le traitement de l’appel en contournant l’article 14 du Règlement et en omettant de tenir une enquête appropriée en vertu de l’article 13 du Règlement au moment de se pencher sur les allégations et la preuve d’achat de votes par le chef Baptiste.
[93] Je tiens toutefois à préciser que ma décision ne signifie pas que je crois le chef Baptiste coupable d’avoir participé à l’achat de votes à l’occasion de l’élection 2014 ni qu’il aurait été déclaré coupable d’avoir participé à une telle manœuvre si l’Unité des élections n’avait pas commis d’erreurs susceptibles de révision. Ma décision signifie simplement que l’Unité des élections n’a pas traité cet aspect de l’appel de la demanderesse adéquatement ni conformément à la Loi et au Règlement.
G. Dépens
[94] Si les parties ne s’entendent pas sur les dépens, elles peuvent présenter des observations à la Cour. Elles devront le faire par écrit, du moins initialement, puis la Cour décidera si des observations orales sont également requises pour régler la question.
JUGEMENT
LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :
1. La demande est accueillie seulement en partie.
2. La décision contient des erreurs susceptibles de révision comme il est établi dans les motifs en ce qui concerne les allégations d’achat de votes déposées contre le chef Baptiste. Toutefois, la question ne sera pas renvoyée aux fins de réexamen, car une élection subséquente a eu lieu en 2016.
3. Les parties peuvent présenter des observations concernant les dépens conformément aux motifs rendus.