[2017] 4 R.C.F. 458
IMM-1516-16
2017 CF 522
Stensia Tapambwa et Richard Tapambwa (demandeurs)
c.
Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)
Répertorié : Tapambwa c. Canada (Citoyenneté et Immigration)
Cour fédérale, juge Southcott—Toronto, 7 novembre 2016; Ottawa, 26 mai 2017.
Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Réfugiés au sens de la Convention et personnes à protéger — Contrôle judiciaire d’une décision par laquelle un agent d’examen des risques avant renvoi (ERAR) a procédé à un « ERAR restreint », ce qui signifie que l’agent a examiné les risques auxquels les demandeurs s’exposaient uniquement aux termes de l’art. 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, et non aux termes de l’art. 96 — Les demandeurs sont citoyens du Zimbabwe et sont mari et femme — Ils ont tous deux servi en tant que sergents d’état-major dans l’armée nationale du Zimbabwe avant de quitter le pays — Ils sont finalement venus au Canada et ont demandé l’asile, mais leurs demandes ont été rejetées — Les demandeurs ont été jugés interdits de territoire — Ils ont présenté une demande d’ERAR et demandé une dispense du défendeur en vue de faire l’objet d’un examen au regard des art. 96 et 97 de la Loi — Il a été conclu que les demandeurs étaient visés par l’art. 112(3) de la Loi et que, par conséquent, ils ne pouvaient pas présenter une demande d’asile — Leur demande a donc été rejetée et il a été conclu que les demandeurs n’avaient pas qualité de personnes à protéger — Il s’agissait de savoir si les obligations imposées au Canada par le droit international et l’interprétation qu’il convient de donner à l’art. 112(3) de la Loi appellent un ERAR non restreint au regard des faits en l’espèce; à titre subsidiaire, si le défendeur devait exercer le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par l’art. 25.2 de la Loi afin de soustraire les demandeurs à l’application de l’art. 112(3), de telle sorte que l’omission d’examiner leur demande de dispense entachait la décision concernant l’ERAR; et si l’examen des risques effectué par l’agent d’ERAR au titre de l’art. 97 était raisonnable — L’argument selon lequel, lorsque la demande d’asile est présentée, le décideur doit effectuer un examen contemporain pour ce qui est de savoir si le demandeur d’asile est visé par la définition de réfugié, y compris un examen d’une exclusion possible aux termes de la section F de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés a été rejeté — Il n’a pas été indiqué clairement à la Cour que les obligations imposées au Canada par le droit international comprennent la nécessité de procéder au réexamen en raison de l’évolution de la jurisprudence; par conséquent, il était impossible de conclure en une telle nécessité — L’art. 112(3)c) de la Loi s’applique en cas de conclusion d’exclusion de la SPR; il était impossible de concevoir une interprétation soutenable de cette disposition qui permettrait à un agent d’ERAR de conclure qu’elle ne vise pas le demandeur d’asile qui a été exclu par la SPR en vertu de la section F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés — Par conséquent, les dispositions de la Convention sur les réfugiés n’allaient pas dans le sens de l’interprétation de l’art. 112(3) de la Loi que les demandeurs défendaient — L’autre argument des demandeurs portant que le défendeur était tenu d’exercer le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré à l’art. 25.2 de la Loi et d’exempter les demandeurs de l’application de l’art. 112(3) a également été rejeté — Les art. 25(1) et 25.2(1) de la Loi ont été examinés et comparés — La décision de l’agent d’ERAR était raisonnable — La décision de l’agent concernant l’examen des risques au regard de l’art. 97 ne se situait pas en dehors des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit — En conclusion, rien ne permettait de conclure que l’agent a commis une erreur, soit dans la décision d’effectuer un ERAR restreint au seul titre de l’art. 97 de la Loi, soit dans le processus d’examen effectué aux termes de l’art. 97 en soi — Des questions ont été certifiées aux fins d’un appel — Demande rejetée.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Vie, liberté et sécurité — L’agent d’examen des risques avant renvoi (ERAR) a examiné les risques auxquels les demandeurs s’exposaient uniquement aux termes de l’art. 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, et non aux termes de l’art. 96 — Il s’agissait de savoir si l’art. 7 de la Charte exigeait un ERAR non restreint au regard des faits en l’espèce; et si le régime législatif portait atteinte aux droits des demandeurs garantis par l’art. 7 de la Charte — L’argument des demandeurs selon lequel, vu l’art. 7 de la Charte, leur interprétation de l’art. 112(3) de la Loi devait être retenue a été rejeté — La possibilité de l’examen au titre de l’art. 97 et l’éventuel sursis, aux termes de l’art. 114(1), au renvoi qui en résulte assurent l’intégrité des droits garantis par l’art. 7 de la Charte — Le respect des droits garantis par l’art. 7 ne nécessite pas que le demandeur ait accès au processus ou au contenu d’une demande en vue d’obtenir le droit d’asile — Vu les faits de l’espèce, l’art. 7 de la Charte n’exige pas que l’art. 112(3) de la Loi soit interprété comme appelant le réexamen de l’exclusion des demandeurs et le recours possible à l’examen prévu par l’art. 96 — En conséquence, l’art. 112(3), et les dispositions connexes de la Loi invoquées par les demandeurs, ne sont pas contraires à l’art. 7 de la Charte.
Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision par laquelle un agent d’examen des risques avant renvoi (ERAR) a procédé à un « ERAR restreint », ce qui signifie que l’agent a examiné les risques auxquels les demandeurs s’exposaient uniquement aux termes de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la Loi), et non aux termes de l’article 96. Les demandeurs ont contesté le refus de l’agent d’examiner les risques auxquels ils s’exposaient aux termes de l’article 96 de la Loi, l’omission de leur accorder une dispense ministérielle aux termes de l’article 25.2 de la Loi relativement aux dispositions de la Loi qui les limitent à un ERAR restreint, de même que la validité constitutionnelle de ces dispositions de la Loi.
Les demandeurs sont citoyens du Zimbabwe, sont mari et femme et ont tous deux servi en tant que sergents d’état-major dans l’armée nationale de leur pays. Ils ont quitté le Zimbabwe pour des raisons politiques et se sont rendus aux États-Unis où ils ont vécu pendant plus de 10 ans, sans jamais demander l’asile dans ce pays. Ils sont finalement venus au Canada et ont demandé l’asile, mais leurs demandes ont été rejetées au motif qu’ils étaient exclus du régime de protection des réfugiés aux termes de l’article 98 de la Loi parce qu’il existait des motifs sérieux de croire qu’ils avaient été complices de crimes contre l’humanité commis par l’armée nationale du Zimbabwe. Lorsque les demandeurs se sont présentés pour enquête, il a été conclu qu’il existait des motifs raisonnables de croire que les demandeurs étaient interdits de territoire pour atteinte aux droits humains ou internationaux. Les demandeurs ont ensuite présenté une demande d’ERAR et demandé une dispense au défendeur en vue de faire l’objet d’un examen au regard des articles 96 et 97 de la Loi, mais il a été conclu que les demandeurs étaient visés par le paragraphe 112(3) de la Loi et que, par conséquent, ils ne pouvaient pas présenter une demande d’asile. Leur demande a été rejetée et il a donc été conclu que les demandeurs n’avaient pas satisfait aux exigences de l’article 97 de la Loi et qu’ils n’avaient pas qualité de personne à protéger.
Les demandeurs se sont opposés au fait d’être limités à un ERAR restreint à la suite d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) les excluant du régime de protection des réfugiés aux termes de l’article 98 de la Loi pour complicité à des crimes contre l’humanité. Ils ont particulièrement soutenu que la décision de la SPR était incompatible avec l’arrêt de la Cour suprême du Canada Ezokola c. Canada (Citoyenneté et Immigration), lequel a modifié le critère relatif à la complicité dans la perpétration de crimes contre l’humanité, une décision qui a été rendue après la décision de la SPR défavorable aux demandeurs. Les arguments des demandeurs soulevaient des questions relatives à l’interprétation de la Loi au regard des principes du droit international, et de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) et à la constitutionnalité des dispositions pertinentes de la Loi. Ils ont également contesté le caractère raisonnable de l’analyse faite par l’agent au regard de l’article 97 de la Loi.
Il s’agissait principalement de savoir si les obligations imposées au Canada par le droit international, l’article 7 de la Charte et l’interprétation qu’il convient de donner au paragraphe 112(3) de la Loi appellent un ERAR non restreint au regard des faits en l’espèce; à titre subsidiaire, si le défendeur devait exercer le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par l’article 25.2 de la Loi afin de soustraire les demandeurs à l’application du paragraphe 112(3), de telle sorte que l’omission d’examiner leur demande de dispense entache la décision concernant l’ERAR; à titre plus subsidiaire encore, si le régime législatif porte atteinte aux droits des demandeurs garantis par l’article 7 de la Charte; et si l’examen des risques effectué par l’agent d’ERAR au titre de l’article 97 était raisonnable.
Jugement : la demande doit être rejetée.
Les demandeurs se sont fondés sur le principe du non-refoulement pour soutenir que les obligations imposées au Canada par le droit international, à savoir la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés (Convention ou Convention sur les réfugiés), doivent servir à éclairer l’interprétation du régime législatif canadien prévu par la Loi, et du paragraphe 112(3) en particulier. Il ressort clairement de la Convention que le non-refoulement ne s’applique pas aux demandeurs qui sont exclus au titre de la section F de l’article premier. Par conséquent, la Loi n’entre pas en conflit avec ce principe dans la mesure où elle permet le renvoi de ces demandeurs. Quant à l’argument selon lequel, lorsque la demande d’asile est présentée, le décideur doit effectuer un examen contemporain pour ce qui est de savoir si le demandeur d’asile est visé par la définition de réfugié, y compris un examen d’une exclusion possible aux termes de la section F de l’article premier, il n’a pas été indiqué clairement à la Cour que les obligations imposées au Canada par le droit international comprennent la nécessité de procéder au réexamen en raison de l’évolution de la jurisprudence. En l’absence d’une telle indication, il était impossible de conclure en une telle nécessité. L’alinéa 112(3)c) de la Loi s’applique en cas de conclusion d’exclusion de la SPR, conclusion sur laquelle reposait la décision de l’agent d’ERAR en l’espèce. Après examen de cet alinéa, il était impossible de concevoir une interprétation soutenable de cette disposition qui permettrait à un agent d’ERAR de conclure qu’elle ne vise pas le demandeur d’asile qui a été exclu par la SPR en vertu de la section F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés. Par conséquent, même si l’argument des demandeurs portant que le principe du non-refoulement appelle le réexamen contemporain des conclusions d’exclusion antérieures à la suite d’une évolution de la jurisprudence était accepté, les dispositions pertinentes de la Loi ne peuvent être interprétées de façon à être conformes à cet aspect du principe. Ainsi, les dispositions de la Convention sur les réfugiés n’allaient pas dans le sens de l’interprétation du paragraphe 112(3) de la Loi que les demandeurs défendaient.
L’argument des demandeurs selon lequel, vu l’article 7 de la Charte, leur interprétation du paragraphe 112(3) de la Loi doit être retenue a été rejeté. La possibilité de l’examen au titre de l’article 97 et l’éventuel sursis, aux termes du paragraphe 114(1), au renvoi qui en résulte assurent l’intégrité des droits garantis par l’article 7. Le respect des droits garantis par l’article 7 ne nécessite pas que le demandeur ait accès au processus ou au contenu d’une demande en vue d’obtenir le droit d’asile, ou aux droits associés à ce statut. Par conséquent, l’argument des demandeurs portant que, vu les faits de l’espèce, l’article 7 de la Charte exige que le paragraphe 112(3) de la Loi soit interprété comme appelant le réexamen de l’exclusion des demandeurs en vertu de l’article 98 et le recours possible à l’examen prévu par l’article 96 a été rejeté.
En ce qui concerne l’argument des demandeurs portant que le défendeur était tenu d’exercer le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré à l’article 25.2 de la Loi et d’exempter les demandeurs de l’application du paragraphe 112(3), la conclusion qu’il convenait de tirer de cet argument reposait sur la formulation du paragraphe 25.2(1), une comparaison avec le pouvoir discrétionnaire similaire conféré au ministre par le paragraphe 25(1), et l’examen téléologique de ces dispositions. Les paragraphes 25(1) et 25.2(1) de la Loi ont été examinés et comparés. Alors que le texte du paragraphe 25.2(1) ne dispose pas impérativement que le défendeur doit étudier le cas de l’étranger qui est interdit de territoire, le texte du paragraphe 25(1) le fait. Il ressort de la différence entre ces deux paragraphes que l’intention du législateur n’était pas d’obliger le défendeur à examiner les demandes de dispense fondées sur l’intérêt public par opposition à celles fondées sur des considérations d’ordre humanitaire. En somme, la décision de l’agent d’ERAR était non seulement raisonnable, mais correcte à l’égard de cette question, du fait que l’agent a conclu qu’il n’avait pas compétence pour examiner la demande de dispense des demandeurs. Dans la mesure où les arguments des demandeurs contestaient l’omission du défendeur d’exercer ou d’envisager d’exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 25.2 de la Loi, ou le fait que l’agent a procédé à l’examen des risques auxquels s’exposent les demandeurs sans attendre la décision du défendeur relativement à la demande de ceux-ci au titre de l’article 25.2, il n’y avait aucune erreur susceptible de contrôle en fonction de l’une ou l’autre norme de contrôle.
En ce qui concerne la question de savoir si, à titre subsidiaire encore, le régime législatif porte atteinte aux droits des demandeurs garantis par l’article 7 de la Charte, vu les faits invoqués par les demandeurs, l’article 7 n’appelle pas l’interprétation du paragraphe 112(3) de la Loi portant qu’il exige le réexamen de l’exclusion et le recours éventuel à l’examen prévu par l’article 96. Pour les mêmes motifs, le paragraphe 112(3), et les dispositions connexes de la Loi invoquées par les demandeurs, ne sont pas contraires à l’article 7 de la Charte.
Bien que les arguments des demandeurs, qui contestaient le caractère raisonnable de l’examen des risques effectué par l’agent au regard de l’article 97 de la Loi aient été examinés, ces arguments portaient sur l’examen et l’appréciation des preuves par l’agent. Ils ne soulevaient pas de questions qui situeraient la décision de l’agent en dehors des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.
En conclusion, rien ne permettait de conclure que l’agent a commis une erreur, soit dans la décision d’effectuer un ERAR restreint au seul titre de l’article 97 de la Loi, soit dans le processus d’examen effectué aux termes de l’article 97 en soi.
Enfin, des questions liées directement aux enjeux soulevés dans le présent contrôle judiciaire ont été certifiées aux fins d’un appel.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7.
Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 57(1),(2).
Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, L.C. 2000, ch. 24, art. 4 à 7.
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 25, 25.2, 34, 35, 37, 96, 97, 98, 112, 113, 114.
Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règle 302.
TRAITÉS ET AUTRES INSTRUMENTS CITÉS
Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6, art. 1F, 33.
JURISPRUDENCE CITÉE
DÉCISIONS APPLIQUÉES :
Ishaq c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 156, [2015] 4 R.C.F. 297; Canada (Procureur général) c. Larkman, 2012 CAF 204.
DÉCISIONS DIFFÉRENCIÉES :
Singh Tathgur c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1293; Saini c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 4 C.F. 325 (1re inst.); Talukder c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 658; Azimi c. Canada (Sécurité publique et protection civile), 2015 CF 1177.
DÉCISIONS EXAMINÉES :
Ezokola c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CSC 40, [2013] 2 R.C.S. 678; Hernandez Febles c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CAF 324, [2014] 2 R.C.F. 224, conf. par 2014 CSC 68, [2014] 3 R.C.S. 431; B010 c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 87, [2014] 4 R.C.F. 326, inf. par 2015 CSC 58, [2015] 3 R.C.S. 704; Majebi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 274; Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CAF 75, [2010] 3 R.C.F. 347; de Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 436, [2006] 3 R.C.F. 655; Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), 2004 CSC 4, [2004] 1 R.C.S. 76; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559; Oberlander c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 52, [2016] 3 R.C.F. 55; De Araujo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 363; Khodja c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1087.
DÉCISIONS CITÉES :
Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654; École secondaire Loyola c. Québec (Procureur général), 2015 CSC 12, [2015] 1 R.C.S. 613; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Atawnah c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CAF 144, [2017] 1 R.C.F. 153; Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 1, [2005] 3 R.C.F. 239; Fi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1125, [2007] 3 R.C.F. 400; Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 288, [2004] 3 R.C.F. 323; Németh c. Canada (Justice), 2010 CSC 56, [2010] 3 R.C.S. 281; Fernandopulle c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 91; R. c. Hape, 2007 CSC 26, [2007] 2 R.C.S. 292; Carter c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 5, [2015] 1 R.C.S. 331; Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., 2001 CSC 44, [2001] 2 R.C.S. 460; Austria c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 191, sub nom. Tabingo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), [2015] 3 R.C.F. 346; J. P. c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CAF 262, [2014] 4 R.C.F. 371; Canada (Procureur général) c. PHS Community Services Society, 2011 CSC 44, [2011] 3 R.C.S. 134; Traoré c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1022; Florea c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (C.A.) (QL).
DOCTRINE CITÉE
Nations Unies. Haut Commissariat pour les réfugiés. Note d’information sur l’application des clauses d’exclusion : article 1F de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, HCR/GIP/03/05, 4 septembre 2003.
DEMANDE de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision par laquelle un agent d’examen des risques avant renvoi (ERAR) a procédé à un « ERAR restreint », ce qui signifie que l’agent a examiné les risques auxquels les demandeurs s’exposaient uniquement aux termes de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, et non aux termes de l’article 96. Demande rejetée.
ONT COMPARU
Jared Will et Reni Chang pour les demandeurs.
James Todd et Aleksandra Lipska pour le défendeur.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Jared Will & Associates, Toronto, pour les demandeurs.
Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par
Le juge Southcott :
I. Aperçu
[1] Les demandeurs, Stensia Tapambwa et Richard Tapambwa, sollicitent le contrôle judiciaire de la décision datée du 25 février 2016 par laquelle un agent d’examen des risques avant renvoi (l’agent ou l’agent d’ERAR) a procédé à un « ERAR restreint », ce qui signifie que l’agent a examiné les risques auxquels ils s’exposent uniquement aux termes de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), et non aux termes de l’article 96. Ils contestent le refus de l’agent d’examiner les risques auxquels ils s’exposent aux termes de l’article 96 de la LIPR, l’omission de leur accorder une dispense ministérielle aux termes de l’article 25.2 de la LIPR relativement aux dispositions de la LIPR qui les limitent à un ERAR restreint, de même que la validité constitutionnelle de ces dispositions de la LIPR.
[2] Les demandeurs s’opposent au fait d’être limités à un ERAR restreint à la suite d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) les excluant du régime de protection des réfugiés aux termes de l’article 98 de la LIPR pour complicité à des crimes contre l’humanité. Ils soutiennent que la décision de la SPR est incompatible avec une jurisprudence de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Ezokola c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CSC 40, [2013] 2 R.C.S. 678 (Ezokola), laquelle a modifié le critère relatif à la complicité dans la perpétration de crimes contre l’humanité. L’arrêt Ezokola a été rendu le 19 juillet 2013, environ huit mois après la décision de la SPR défavorable aux demandeurs.
[3] Les arguments des demandeurs soulèvent des questions relatives à l’interprétation de la LIPR au regard des principes du droit international et de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44] (la Charte), et à la constitutionnalité des dispositions pertinentes de la LIPR. Finalement, les demandeurs contestent le caractère raisonnable de l’analyse faite par l’agent au regard de l’article 97 de la LIPR.
[4] Pour les motifs qui suivent, la présente demande est rejetée.
II. Contexte
[5] Les demandeurs sont citoyens du Zimbabwe. Richard Tapambwa a servi dans l’armée nationale du Zimbabwe (l’ANZ) pendant environ 20 ans et son épouse, Stensia Tapambwa, pendant environ 16 ans. Chacun des demandeurs a atteint le grade de sergent d’état-major au sein de l’unité de traitement des données de l’ANZ. Après que M. Tapambwa aurait prétendument exprimé des opinions politiques hostiles envers le parti au pouvoir en mars 2001, les demandeurs ont quitté le Zimbabwe et se sont rendus aux États-Unis. Bien qu’ils aient vécu aux États-Unis pendant plus de 10 ans, ils n’ont pas demandé l’asile dans ce pays.
[6] En juillet 2011, les demandeurs sont arrivés au Canada et ont demandé l’asile. Leurs demandes ont été rejetées par la SPR en novembre 2012, au motif qu’ils étaient exclus du régime de protection des réfugiés aux termes de l’article 98 de la LIPR parce qu’il existait des motifs sérieux de croire qu’ils avaient été complices de crimes contre l’humanité commis par l’ANZ. La SPR a également examiné les demandes des enfants des demandeurs, mais, en se fondant sur une évaluation défavorable de la crédibilité des demandeurs, a conclu qu’ils n’étaient pas réfugiés au sens de la Convention, ni personnes à protéger. La demande de contrôle judiciaire des demandeurs visant la décision de la SPR a été rejetée le 11 juillet 2013.
[7] En mai 2013, les demandeurs se sont présentés devant la Section de l’immigration (la SI) en vue d’une enquête. Compte tenu des conclusions de la SPR, la SI a conclu qu’il existait des motifs raisonnables de croire que les demandeurs étaient interdits de territoire pour atteinte aux droits humains ou internationaux, étant donné qu’ils avaient commis un acte constituant une infraction visée par les articles 4 à 7 de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, L.C. 2000, ch. 24.
[8] Les demandeurs ont ensuite présenté une demande d’ERAR et demandé une dispense au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre) à l’égard des dispositions de la LIPR qui leur donnaient droit uniquement à l’examen prévu par l’article 97 et non à celui prévu par l’article 96. L’agent d’ERAR a refusé d’examiner la demande de dispense ministérielle, ou d’examiner les moyens constitutionnels soulevés par les demandeurs à l’appui de leur position selon laquelle le risque auquel ils s’exposent doit être examiné au regard des articles 96 et 97, concluant que les agents d’ERAR n’avaient pas compétence pour le faire.
[9] L’agent a relevé la conclusion de la SPR selon laquelle les demandeurs étaient exclus du régime de protection des réfugiés aux termes de l’article 98 de la LIPR et de la section F de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés [28 juillet 1951, [1969] R. T. Can. no 6] (la Convention ou la Convention sur les réfugiés). L’agent a conclu que les demandeurs étaient visés par le paragraphe 112(3) de la LIPR et que, par conséquent, ils ne pouvaient pas présenter une demande d’asile. Ainsi, l’agent a examiné leur demande de protection en se fondant uniquement sur l’article 97 de la LIPR et il n’a pas pris en considération l’article 96.
[10] Après avoir examiné les éléments de preuve produits par les demandeurs, l’agent a rejeté leur demande au motif qu’ils n’avaient pas démontré qu’ils étaient personnellement exposés à une menace à leur vie ou à des traitements ou des peines cruels et inusités s’ils retournaient au Zimbabwe. L’agent a donc conclu que les demandeurs n’avaient pas satisfait aux exigences de l’article 97 de la LIPR et qu’ils n’avaient pas qualité de personne à protéger.
III. Questions en litige
[11] Les demandeurs soulèvent les questions suivantes dans la présente demande :
A. Les obligations imposées au Canada par le droit international, l’article 7 de la Charte et l’interprétation qu’il convient de donner au paragraphe 112(3) de la LIPR appellent-ils un ERAR non restreint au regard des faits en l’espèce?
B. À titre subsidiaire, le ministre doit-il exercer le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par l’article 25.2 de la LIPR afin de soustraire les demandeurs à l’application du paragraphe 112(3), de telle sorte que l’omission d’examiner leur demande de dispense entache la décision concernant l’ERAR?
C. À titre plus subsidiaire encore, le régime législatif porte-t-il atteinte aux droits des demandeurs garantis par l’article 7 de la Charte?
D. L’examen des risques effectué par l’agent d’ERAR au titre de l’article 97 était-il raisonnable?
[12] La position des demandeurs selon laquelle des parties de la LIPR portent atteinte aux droits qui leur sont garantis par l’article 7 de la Charte, et devraient donc être déclarées nulles et sans effet, soulève une autre question préliminaire : la Cour doit-elle autoriser la production tardive de leur avis de question constitutionnelle? Les demandeurs ont signifié l’avis, mais l’ont fait cinq jours avant l’audition de la présente demande et ils ont demandé à l’audience un abrègement de la période d’avis.
IV. Analyse
A. Question préliminaire — Avis de question constitutionnelle
[13] Le paragraphe 57(1) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7 dispose que la Cour ne peut déclarer invalides, inapplicables ou sans effet des mesures législatives, à moins que le procureur général du Canada et ceux des provinces n’aient été avisés de la question constitutionnelle. Le paragraphe 57(2) exige que l’avis soit signifié au moins 10 jours avant la date à laquelle la question constitutionnelle qui en fait l’objet doit être débattue, sauf ordonnance contraire de la Cour.
[14] Les parties ont renvoyé la Cour à la décision Ishaq c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 156, [2015] 4 R.C.F. 297, au paragraphe 14, où le juge Boswell a conclu que la Cour peut excuser la signification tardive d’un avis constitutionnel en prorogeant le délai de signification. Au paragraphe 15, le juge Boswell formule le critère applicable de la façon suivante :
Le critère à appliquer de manière générale pour l’octroi d’une prorogation de délai a été énoncé dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Larkman, 2012 CAF 204 (Larkman), au paragraphe 61 :
(1) Le requérant a-t-il manifesté une intention constante de poursuivre sa demande?
(2) La demande a-t-elle un certain fondement?
(3) La Couronne a-t-elle subi un préjudice en raison du retard?
(4) Le requérant a-t-il une explication raisonnable pour justifier le retard?
Ces facteurs ne sont pas toujours tous pertinents, pas plus qu’il n’est nécessaire qu’ils favorisent tous le requérant, et « [l]a considération primordiale est celle de savoir si l’octroi d’une prorogation de délai serait dans l’intérêt de la justice » (Larkman, au paragraphe 62). C’est ce même critère qu’il convient d’appliquer ici pour les besoins du paragraphe 57(2).
[15] Compte tenu des facteurs consacrés par la jurisprudence Larkman [Canada (Procureur général) c. Larkman, 2012 CAF 204] et se fondant sur le fait que tous les procureurs généraux ont consenti par écrit au dépôt tardif de l’avis, le juge Boswell a prorogé le délai de signification de l’avis de question constitutionnelle.
[16] En l’espèce, le défendeur a consenti à excuser l’avis tardif et a reconnu que le procureur général du Canada avait concrètement reçu un avis de la question constitutionnelle, étant donné que les arguments constitutionnels avaient été invoqués dans les observations écrites des demandeurs. Toutefois, le défendeur a noté qu’il n’était pas en mesure de consentir au nom des procureurs généraux provinciaux ou territoriaux. Lors de l’instruction de la présente demande, cette question a été soulevée, et les demandeurs ont eu la possibilité de chercher à obtenir un consentement et de faire rapport à la Cour dans les jours suivant l’audience. Ainsi, la Cour a entendu les observations présentées sur la question de la validité constitutionnelle, tout en mettant en délibéré la décision d’accorder ou non aux demandeurs l’abrègement de la période d’avis demandé et donc de se prononcer ou non sur les moyens tirés de l’invalidité constitutionnelle.
[17] Les demandeurs ont par la suite produit à la Cour le consentement écrit de l’ensemble des procureurs généraux des provinces et des territoires, qui consentaient ou ne s’opposaient pas à l’abrègement du délai et qui n’indiquaient nulle d’intervenir dans le cadre de la présente procédure. À la lumière de ces consentements, le défendeur a ensuite confirmé qu’il ne contestait pas la demande d’abrègement de la période applicable à l’avis constitutionnel.
[18] En ce qui concerne les facteurs de la jurisprudence Larkman, il est manifeste que les demandeurs ont eu l’intention constante de soulever ces questions constitutionnelles pendant toute la présente procédure. Je suis également d’avis que la demande a un fondement soutenable et que ce facteur joue en leur faveur. Le défendeur n’a pas subi un préjudice en raison du retard. Les demandeurs fournissent peu d’explications quant au retard, si ce n’est que l’exigence quant à un avis en temps opportun n’aurait pas été prise en compte. Toutefois, compte tenu de tous ces facteurs et en particulier du fait que ni le défendeur ni les autres procureurs généraux ne s’opposent à l’abrègement du délai, l’abrègement demandé est accordé.
B. Norme de contrôle
[19] Les demandeurs soutiennent que l’examen des risques effectué par l’agent d’ERAR au titre de l’article 97 de la LIPR est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, mais que les autres questions, qu’il s’agisse de questions constitutionnelles, de questions de droit international ou de pures questions de compétence, doivent faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte. Le défendeur ne conteste pas cette thèse. Je reconnais que la norme de la décision raisonnable joue en matière d’examen des risques au titre de l’article 97. Toutefois, le choix de la norme applicable aux autres questions n’est pas aussi simple.
[20] Les demandeurs se fondent sur la jurisprudence Hernandez Febles c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CAF 324, [2014] 2 R.C.F. 224 (Febles C.A.F.) (confirmé par 2014 CSC 68, [2014] 3 R.C.S. 431 (Febles C.S.C.)), par laquelle la Cour d’appel fédérale a conclu aux paragraphes 22 à 25 que la norme de contrôle de la décision correcte jouait quant à l’interprétation faite par la SPR de la section F de l’article premier de la Convention relative aux réfugiés, notant qu’il est important qu’une disposition d’une convention internationale soit interprétée de manière aussi uniforme que possible. Toutefois, les thèses en l’espèce se rapportent davantage à l’interprétation des dispositions de la LIPR qu’à l’interprétation de la Convention sur les réfugiés elle-même. La Cour d’appel fédérale a opéré une distinction par rapport à la jurisprudence Febles C.A.F. pour des motifs semblables au paragraphe 71 de l’arrêt B010 c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 87, [2014] 4 R.C.F. 326 (confirmé par 2015 CSC 58, [2015] 3 R.C.S. 704 (B010 C.S.C.)) et elle a récemment conclu à l’occasion de l’affaire Majebi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 274 (Majebi), au paragraphe 5, que l’interprétation de la Convention sur les réfugiés ne relève pas de l’une des catégories de questions auxquelles la norme de la décision correcte continue de s’appliquer.
[21] Je prends également note de l’analyse de la norme de contrôle faite par la Cour d’appel fédérale aux paragraphes 19 et 20 de l’arrêt Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CAF 75, [2010] 3 R.C.F. 347. Cette affaire concernait des questions d’interprétation et d’application du paragraphe 112(3) de la LIPR, et la Cour a conclu qu’elles étaient susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte. Les questions d’interprétation des lois soulevées en l’espèce concernent également le paragraphe 112(3), y compris son interaction avec l’article 25.2. Toutefois, je suis encore une fois conscient de l’enseignement professé par la Cour d’appel fédérale à l’occasion de l’affaire Majebi, portant que la jurisprudence antérieure à la présomption selon laquelle la norme de la décision raisonnable s’applique à l’interprétation des lois constitutives, consacrée par des arrêts comme Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654 (Alberta Teachers), appelle la prudence.
[22] J’estime donc que l’orientation récente de la jurisprudence milite en faveur de l’application de la norme de la décision raisonnable quant aux questions d’interprétation des lois soulevées dans la présente procédure, y compris l’effet de l’article 7 de la Charte dans un contexte autre qu’un moyen tiré de la notion d’invalidité constitutionnelle (voir École secondaire Loyola c. Québec (Procureur général), 2015 CSC 12, [2015] 1 R.C.S. 613). Toutefois, les questions de validité constitutionnelle constituent l’une des catégories auxquelles la norme de la décision correcte continue de s’appliquer (voir les arrêts Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir), au paragraphe 58; Alberta Teachers, au paragraphe 30). Ainsi, la validité constitutionnelle des dispositions pertinentes de la LIPR doit être assujettie à la norme de la décision correcte (voir également l’arrêt Atawnah c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CAF 144, [2017] 1 R.C.F. 153, au paragraphe 7).
[23] Quoi qu’il en soit, je signale que mes conclusions à l’égard de ces questions ne sont pas fondées sur une retenue particulière à l’égard de la décision de l’agent d’ERAR, étant donné que cette décision n’analyse pas ces questions si ce n’est que pour conclure que l’agent n’avait pas compétence pour examiner les questions constitutionnelles ou la demande de dispense ministérielle aux termes de l’article 25.2. Ainsi, mes conclusions à l’égard de ces questions, fondées sur les analyses ci-après, demeureraient les mêmes qu’elles soient examinées dans l’optique de la décision correcte ou de la décision raisonnable.
C. Dispositions législatives
[24] La principale disposition en cause dans la présente procédure est le paragraphe 112(3), dont la partie pertinente se lit comme suit :
112 […]
Restriction
(3) L’asile ne peut être conféré au demandeur dans les cas suivants :
a) il est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux ou criminalité organisée;
[…]
c) il a été débouté de sa demande d’asile au titre de la section F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés.
[25] Le paragraphe 112(3) est important parce qu’il détermine si la demande de protection est examinée en vertu des articles 96 et 97 de la LIPR ou en vertu de l’article 97 uniquement. Cela résulte des dispositions suivantes de l’article 113 :
Examen de la demande
113 Il est disposé de la demande comme il suit :
[…]
c) s’agissant du demandeur non visé au paragraphe 112(3), sur la base des articles 96 à 98;
d) s’agissant du demandeur visé au paragraphe 112(3) — sauf celui visé au sous-alinéa e)(i) ou (ii) — , sur la base des éléments mentionnés à l’article 97 et, d’autre part :
(i) soit du fait que le demandeur interdit de territoire pour grande criminalité constitue un danger pour le public au Canada,
(ii) soit, dans le cas de tout autre demandeur, du fait que la demande devrait être rejetée en raison de la nature et de la gravité de ses actes passés ou du danger qu’il constitue pour la sécurité du Canada;
[26] Les articles 96 et 97 énoncent les conditions qui doivent être remplies par l’intéressé pour être considéré, respectivement, comme réfugié au sens de la Convention ou personne à protéger. L’article 98 prévoit que la personne visée à la section E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger. Aux fins de l’espèce, la disposition pertinente est l’alinéa Fa) de l’article premier qui prévoit que les dispositions de la Convention ne sont pas applicables aux personnes dont on a des raisons sérieuses de penser qu’elles ont commis, entre autres, un crime contre l’humanité.
[27] Par conséquent, selon l’alinéa 113c), le demandeur non visé au paragraphe 112(3) peut être considéré comme réfugié au sens de la Convention aux termes de l’article 96 et comme une personne à protéger aux termes de l’article 97, à moins d’une exclusion à la suite de la prise en considération de l’article 98 par l’agent d’ERAR. Toutefois, le demandeur qui est visé par le paragraphe 112(3) est pris en considération sur le seul fondement des facteurs énoncés à l’article 97. Les demandeurs soutiennent qu’il s’agit d’une différence importante pour les raisons suivantes :
A. L’examen prévu par l’article 97 se limite aux risques de mort, de torture et de traitements cruels et inusités et ne s’étend pas à la persécution comme le fait l’examen prévu par l’article 96;
B. La norme de preuve est plus élevée aux termes de l’article 97 qu’aux termes de l’article 96, étant donné que l’article 97 exige la démonstration que le préjudice est plus susceptible de se produire que de ne pas se produire, plutôt que la démonstration d’une exposition à davantage qu’une simple possibilité de persécution aux termes de l’article 96 (voir Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 1, [2005] 3 R.C.F. 239, aux paragraphes 11, 12 et 39);
C. L’article 96 accorde une protection contre les risques généralisés, dès lors qu’il existe un lien avec l’un des motifs de persécution énoncés dans la Convention, alors que l’article 97 exige que ce risque soit personnalisé (voir Fi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1125, [2007] 3 R.C.F. 400, au paragraphe 16).
[28] De plus, il résulte du sous-alinéa 113d)(ii) que même un examen positif des risques au titre de l’article 97 n’est pas suffisant pour justifier la protection, car l’examen est par la suite mis en balance avec la nature et la gravité des actes commis par le demandeur et des considérations relatives à la sécurité publique afin de rechercher si la protection est justifiée. Même si la décision est prise d’accorder la demande de protection, l’article 114 a pour effet de surseoir à la mesure de renvoi plutôt que de conférer l’asile :
Effet de la décision
114 (1) La décision accordant la demande de protection a pour effet de conférer l’asile au demandeur; toutefois, elle a pour effet, s’agissant de celui visé au paragraphe 112(3), de surseoir, pour le pays ou le lieu en cause, à la mesure de renvoi le visant.
[29] Les demandeurs s’opposent aux conséquences négatives rattachées au fait d’être considérés comme des personnes visées par le paragraphe 112(3). Étant donné que le rejet de leur demande d’asile par la SPR, compte tenu de l’exclusion prévue à l’article 98 et à la section F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés, s’est fondé sur la jurisprudence antérieure à l’arrêt Ezokola en ce qui a trait au critère relatif à la complicité, les demandeurs soutiennent que l’agent aurait dû réexaminer leur exclusion dans le cadre de leur ERAR.
D. Les obligations imposées au Canada par le droit international, l’article 7 de la Charte et l’interprétation qu’il convient de donner au paragraphe 112(3) de la LIPR appellent-ils un ERAR non restreint au regard des faits en l’espèce?
1) Compétence de l’agent d’ERAR de trancher des questions constitutionnelles
[30] D’entrée de jeu, je note que l’agent s’est fondé sur l’enseignement que le juge Russell a professé à l’occasion de l’affaire Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 288, [2004] 3 R.C.F. 323 pour conclure que les agents d’ERAR n’ont pas compétence pour trancher des questions constitutionnelles. Dans une note de bas de page de leurs observations écrites, les demandeurs notent que l’agent n’a fait nulle mention des enseignements récemment professés par la Cour suprême du Canada sur cette question. Toutefois, les parties ne se sont pas prononcées sur le caractère raisonnable de cette conclusion de l’agent relative à la compétence. En l’absence d’observations sur cette question de compétence et d’arguments quant à la jurisprudence pertinente, je ne discute pas cette question dans ma décision. Reconnaissant plutôt l’importance de l’issue d’une décision administrative lorsqu’elle est attaquée par voie de procédure de contrôle judiciaire (voir Dunsmuir, au paragraphe 47), ma décision repose sur les observations des parties quant à la question de fond de l’interprétation du paragraphe 112(3) de la LIPR.
2) Obligations imposées au Canada par le droit international
[31] Les demandeurs soutiennent que les obligations imposées au Canada par le droit international, à savoir la Convention sur les réfugiés, doivent servir à éclairer l’interprétation du régime législatif canadien prévu par la LIPR, et du paragraphe 112(3) en particulier. Ils se fondent sur le principe du non-refoulement (la protection contre l’expulsion où l’on sera persécuté), consacré par l’article 33 de la Convention sur les réfugiés, lequel interdit aux États contractants de renvoyer un réfugié vers des territoires où sa vie ou sa liberté serait en danger du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques.
[32] Il ressort clairement de la Convention que le non-refoulement ne s’applique pas aux demandeurs qui sont exclus au titre de la section F de l’article premier. Par conséquent, la LIPR n’entre pas en conflit avec ce principe dans la mesure où elle permet le renvoi de ces demandeurs. La question plus nuancée soulevée par les demandeurs est celle de savoir si les obligations imposées au Canada par la Convention sur les réfugiés appellent le réexamen d’une conclusion d’exclusion antérieure au moment d’un renvoi prévu, particulièrement au regard d’une évolution de la jurisprudence pertinente.
[33] Les demandeurs s’appuient sur le principe consacré par l’arrêt Németh c. Canada (Justice), 2010 CSC 56, [2010] 3 R.C.S. 281, au paragraphe 50, selon lequel le statut de réfugié au sens de la Convention dépend de la situation existant au moment de l’examen, de sorte que les conclusions officielles quant au statut de réfugié n’ont pas d’effet obligatoire. Ils soutiennent que ce principe va dans le sens de leur position selon laquelle lorsque la demande d’asile est présentée, le décideur doit effectuer un examen contemporain pour ce qui est de savoir si le demandeur d’asile est visé par la définition de réfugié, y compris un examen d’une exclusion possible aux termes de la section F de l’article premier.
[34] À l’appui de leur position dans le contexte particulier des conclusions d’exclusion, les demandeurs renvoient à un document du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (le HCNUR) intitulé Note d’information sur l’application des clauses d’exclusion : article 1F de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés daté du 4 septembre 2003 (la Note d’information). Ce document précise qu’il peut arriver que des informations soient révélées après l’exclusion d’une personne, jetant le doute sur l’applicabilité des clauses d’exclusion. En pareil cas, la décision d’exclusion doit être réexaminée et, le cas échéant, le statut de réfugié reconnu. Le défendeur soutient que cette note d’information ne fait pas partie intégrante de la Convention sur les réfugiés et que l’on ne saurait dire qu’elle définit les obligations imposées au Canada par la Convention.
[35] Les publications du HCNUR de ce genre peuvent représenter des balises utiles pour guider l’interprétation des dispositions de la Convention, mais elles n’ont pas force de loi et elles n’ont pas un effet déterminant sur cette interprétation (voir l’arrêt Fernandopulle c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 91, au paragraphe 17; Febles C.A.F., au paragraphe 50). De plus, la Note d’information fait référence à la nécessité de procéder au réexamen de la décision d’exclusion lorsque « des informations [sont] révélées, jetant le doute sur l’applicabilité des clauses d’exclusion ». La Note d’information ne requiert pas en soi, du moins pas explicitement, le réexamen en raison d’une évolution de la jurisprudence pertinente. Il n’a pas été indiqué clairement à la Cour que les obligations imposées au Canada par le droit international comprennent la nécessité de procéder au réexamen en raison de l’évolution de la jurisprudence. En l’absence d’une telle indication, je ne peux conclure en une telle nécessité.
[36] Quoi qu’il en soit, même si je devais conclure que la Convention sur les réfugiés comporte une telle nécessité, j’estime que, compte tenu des principes applicables en matière d’interprétation des lois, les dispositions pertinentes de la LIPR ne peuvent être interprétées comme mettant en œuvre cette nécessité. Les demandeurs se fondent sur la présomption voulant que les lois internes soient conformes aux obligations internationales et sur la disposition interprétative expresse que l’on trouve à l’alinéa 3(3)f) de la LIPR. Cette disposition précise que l’interprétation et la mise en œuvre de la LIPR doivent être conformes aux instruments internationaux portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire. A l’occasion de l’affaire de Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 436, [2006] 3 R.C.F. 655, aux paragraphes 82, 83 et 87, la Cour d’appel fédérale a examiné l’alinéa 3(3)f) et a conclu que la LIPR doit être interprétée et mise en œuvre de manière compatible avec ces instruments, à moins que ce ne soit impossible selon l’approche moderne de l’interprétation législative. Cette approche interprétative serait de mise même en l’absence de l’alinéa 3(3)f), étant donné que le juge est légalement tenu d’éviter une interprétation du droit interne qui emporterait contravention de l’État à ses obligations internationales, sauf lorsque le libellé de la loi commande clairement une telle solution (voir R. c. Hape, 2007 CSC 26, [2007] 2 R.C.S. 292, au paragraphe 53).
[37] Je retiens la formulation des principes d’interprétation pertinents proposée par les demandeurs et je ne comprends pas que le défendeur les conteste. Toutefois, le problème que pose l’interprétation du paragraphe 112(3), lu de concert avec les alinéas 113c) et d), défendue par les demandeurs est l’absence de fondement dans le texte de ces dispositions.
[38] Les demandeurs font référence aux alinéas 112(3)a) et c) dans leurs observations, bien que l’alinéa 112(3)c) soit le plus pertinent aux fins de la présente analyse. Il s’agit de la disposition applicable en cas de conclusion d’exclusion de la SPR, conclusion sur laquelle reposait la décision de l’agent d’ERAR. Il est question à l’alinéa 112(3)c) du demandeur qui « a été débouté de sa demande d’asile au titre de la section F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ». L’utilisation du verbe au passé « a été débouté » signale que cette disposition vise la demande déjà présentée et tranchée. Je ne peux concevoir une interprétation soutenable de l’alinéa 112(3)c) qui permettrait à un agent d’ERAR de conclure que cette disposition ne vise pas le demandeur d’asile qui a été exclu par la SPR en vertu de la section F de l’article premier.
[39] Les demandeurs soutiennent que cette interprétation est possible si l’on interprète les mots « au titre de la section F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés » comme faisant référence uniquement aux décisions d’exclusion correctement rendues. Ils soutiennent qu’une exclusion erronée (comme ils qualifieraient la décision rendue par la SPR avant l’arrêt Ezokola) n’entre pas dans les prévisions de l’alinéa 112(3)c), étant donné qu’elle n’a pas été rendue au titre de la Convention.
[40] Il m’est impossible de retenir cette solution comme interprétation possible de l’alinéa 112(3)c). Une telle interprétation obligerait l’agent d’ERAR, si on le lui demande, à examiner toutes les conclusions d’exclusion antérieures afin de rechercher si elles sont erronées ou non. J’estime qu’une telle interprétation est à l’opposé de l’intention du législateur, vu le sens ordinaire des mots utilisés aux alinéas 112(3)c) et 113c) et d), qui est de faire obstacle à l’examen de l’exclusion lorsqu’une conclusion d’exclusion a été tirée.
[41] Les demandeurs notent également que l’alinéa 112(3)a) est formulé au présent, lequel fait état du demandeur qui « est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux ou criminalité organisée ». Ils soutiennent que cela confirme leur interprétation selon laquelle l’agent d’ERAR doit procéder à l’examen contemporain au sujet de l’interdiction de territoire, même si une conclusion d’interdiction de territoire a été tirée. Ils soutiennent que les alinéas 112(3)a) et c) doivent être interprétés de la même manière, de sorte que l’alinéa 112(3)c) appelle également un examen contemporain.
[42] Toutefois, les demandeurs reconnaissent que le texte de l’alinéa 112(3)a) peut être ambigu quant au moment de l’examen. Étant donné que l’alinéa 112(3)c) fait clairement référence à un examen antérieur, je conclus que l’argument des demandeurs prônant les interprétations cohérentes des alinéas 112(3)a) et c) ne va pas dans le sens de leur position. Cela va plutôt dans le sens de la conclusion portant que l’agent d’ERAR est limité à l’examen prévu par l’article 97 si le demandeur a déjà fait l’objet d’une mesure exclusion ou d’une conclusion d’interdiction de territoire.
[43] Par conséquent, même si je retenais l’argument des demandeurs portant que le principe du non-refoulement appelle le réexamen contemporain des conclusions d’exclusion antérieures à la suite d’une évolution de la jurisprudence, je conclurais que les dispositions pertinentes de la LIPR ne peuvent être interprétées de façon à être conformes à cet aspect du principe. Je conclus donc que les arguments des demandeurs tirés des dispositions de la Convention sur les réfugiés ne vont pas dans le sens de l’interprétation du paragraphe 112(3) qu’ils défendent.
3) Article 7 de la Charte
[44] Les demandeurs soutiennent que, vu l’article 7 de la Charte, leur interprétation du paragraphe 112(3) de la LIPR doit être retenue. Selon eux, le renvoi dans un pays où il existe un risque de persécution fait jouer les droits garantis par l’article 7 et n’est donc permis que si l’exposition à un tel risque est conforme aux principes de justice fondamentale. Les demandeurs soutiennent que leur renvoi, sans examen contemporain de leur exclusion du régime de protection des réfugiés, porte atteinte à ces principes, dont deux sont déférés à l’examen de la Cour.
[45] Tout d’abord, les demandeurs soutiennent que le principe du non-refoulement répond aux critères de reconnaissance d’un principe de justice fondamentale consacrés par l’arrêt Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), 2004 CSC 4, [2004] 1 R.C.S. 76, au paragraphe 8. La Cour suprême du Canada a conclu qu’un principe de justice fondamentale doit être un principe juridique, doit être le fruit d’un consensus suffisant quant à son caractère primordial ou fondamental dans la notion de justice de notre société, et qu’il doit pouvoir être cerné avec précision et être appliqué de manière à produire des solutions prévisibles.
[46] Deuxièmement, les demandeurs se fondent sur la protection contre l’arbitraire en tant que principe reconnu de justice fondamentale (voir Carter c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 5, [2015] 1 R.C.S. 331, au paragraphe 83). Ce principe exige un lien rationnel entre l’objet de la loi et la limite qu’elle impose à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne. Les demandeurs soutiennent qu’il n’existe pas de lien rationnel entre le fait de refuser l’asile aux personnes qui ont commis des crimes internationaux (l’objet de la loi en question) et la limite imposée à la liberté et à la sécurité des demandeurs, étant donné qu’il n’existe pas de fondement valable pour les exclure du régime de protection des réfugiés.
[47] Les demandeurs soutiennent que l’application de l’article 7 de la Charte, au regard de ces principes de justice fondamentale, exige que l’on interprète le paragraphe 112(3) comme ils le préconisent, c’est-à-dire, comme exigeant l’examen contemporain de leur exclusion avant leur renvoi sans examen des risques, au titre de l’article 96 de la LIPR.
[48] En ce qui concerne les principes d’interprétation des lois pertinents, les demandeurs relèvent l’explication exposée par la Cour suprême du Canada à l’occasion de l’arrêt Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559, au paragraphe 62. La Cour a expliqué que l’interprétation des lois qui favorise les principes et les valeurs consacrés par la Charte ne joue qu’en cas d’ambiguïté véritable, c’est-à-dire, lorsqu’une disposition législative se prête à des interprétations divergentes, mais par ailleurs tout aussi plausibles l’une que l’autre. Toutefois, les demandeurs soutiennent que cette limite quant à l’application de la Charte en tant qu’outil d’interprétation est écartée en l’espèce par l’effet de l’alinéa 3(3)d) de la LIPR, qui précise que l’interprétation et la mise en œuvre de la loi doivent avoir pour effet d’assurer que les décisions prises en vertu de la loi sont conformes à la Charte. Selon les demandeurs, peu importe si la disposition en cause est ambiguë ou non, la LIPR doit être interprétée et mise en œuvre de façon à assurer la conformité avec la Charte.
[49] Le problème avec la position des demandeurs est le même que celui énoncé dans l’analyse de l’incidence de la Convention sur les réfugiés sur l’interprétation qui précède. Les demandeurs soutiennent que nulle ambiguïté n’est nécessaire, mais ils soutiennent néanmoins que l’alinéa 112(3)c) contient une ambiguïté latente quant à savoir si l’on peut considérer qu’une mesure d’exclusion injustifiée a été prise « au titre de » la Convention. Toutefois, mon analyse énoncée précédemment dans les présents motifs vaut également quant aux arguments des demandeurs concernant l’incidence de la Charte sur l’interprétation. Je conclus non seulement que l’alinéa 112(3)c) n’est pas ambigu comme le soutiennent les demandeurs, mais également qu’il n’appelle pas l’interprétation que défendent les demandeurs, en particulier lorsqu’il est examiné au regard de l’article 113. Cette analyse vaut, que les demandeurs aient raison, ou non, d’affirmer que l’alinéa 3(3)d) de la LIPR élimine la nécessité de démontrer une ambiguïté dans le libellé de la loi avant de pouvoir avoir recours aux valeurs et principes de la Charte pour interpréter la loi. Je ne comprends pas pourquoi les demandeurs soutiennent que la Charte a pour effet de permettre une interprétation que le libellé de la loi ne permet pas.
[50] J’estime également que la position du défendeur, portant que la Charte n’appelle pas l’interprétation défendue par les demandeurs, est conforme à l’enseignement récent de la Cour suprême du Canada. Par l’arrêt B010 C.S.C., au paragraphe 75, la Cour suprême a confirmé que l’article 7 de la Charte entre habituellement en jeu à l’étape de l’ERAR du processus d’asile de la LIPR, et non lorsque vient le moment de déterminer si le migrant est interdit de territoire ou exclu. La Cour suprême a cité sa propre jurisprudence, Febles C.S.C., laquelle enseigne que la conclusion d’exclusion de l’asile tirée aux termes de la LIPR ne fait pas jouer l’article 7, car « même s’il est exclu du régime de protection des réfugiés, l’appelant peut demander au ministre de surseoir à une mesure de renvoi pour le lieu en cause si le renvoi à ce lieu l’expose à la mort, à la torture ou à des traitements ou peines cruels ou inusités ». Voici la discussion complète de la Cour suprême que l’on trouve aux paragraphes 67 et 68 de l’arrêt Febles C.S.C. :
De même, la Charte ne joue aucun rôle dans l’interprétation de l’art. 98 de la LIPR. Lorsque l’intention exprimée par le législateur dans une disposition législative est claire et sans ambiguïté, la Charte ne peut servir d’outil d’interprétation pour donner au texte législatif un sens non voulu par le législateur : Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559, par. 61-62. En outre, comme l’avait conclu la Cour d’appel, l’art. 98 de la LIPR est compatible avec la Charte. J’ai indiqué au par. 10 des présents motifs que, même s’il est exclu du régime de protection des réfugiés, l’appelant peut demander au ministre de surseoir à une mesure de renvoi pour le lieu en cause si le renvoi à ce lieu l’expose à la mort, à la torture ou à des traitements ou peines cruels ou inusités (art. 97, 112, sous-al. 113d)(i) et par. 114(1) de la LIPR). Le ministre saisi d’une telle demande devrait pondérer les risques auxquels le renvoi exposerait l’appelant et le danger que l’appelant constituerait pour la population canadienne s’il n’était pas renvoyé (al. 113d) de la LIPR). L’article 7 de la Charte peut aussi empêcher le ministre de renvoyer une personne dans un pays où les droits que garantit la Charte peuvent être mis en péril : Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 R.C.S. 3, par. 58.
Bien que l’appelant préfèrerait se voir accorder l’asile plutôt que demander un sursis à l’exécution d’un renvoi, la Charte n’accorde aucun droit positif à l’égard de l’asile. L’appelant est exclu de l’asile en raison des crimes graves de droit commun qu’il a commis. Si son renvoi vers Cuba met en péril des droits que lui garantit la Charte, son recours consiste, je le rappelle, en une demande de sursis à l’exécution d’un tel renvoi. [Non souligné dans l’original.]
[51] L’analyse de la Cour d’appel fédérale est formulée de manière semblable aux paragraphes 68 et 69 de l’arrêt Febles C.A.F. :
Si la demande de protection de M. Febles était accueillie dans le cadre de l’ERAR, au motif que les risques auxquels il serait personnellement exposé s’il devait retourner dans son pays l’emportent sur ceux auxquels le public canadien ferait face s’il demeurait au Canada, il y aurait sursis de la mesure de renvoi le visant (paragraphe 114(1)b)). En outre, l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés […] (la Charte) empêchera normalement le MCI de renvoyer une personne dans un pays où les droits qu’elle tire de la Charte risquent d’être mis en péril (Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 R.C.S. 3, au paragraphe 58).
Il se peut que le fait pour M. Febles de demander au MCI, en vertu des dispositions de la LIPR relatives aux ERAR, de lui accorder un sursis à l’exécution de son renvoi, et de l’obtenir, ne sois pas aussi satisfaisant pour lui sur le plan tant de la forme que du fond qu’une demande présentée à la SPR en vue d’obtenir le droit d’asile avec tous les droits afférents à ce statut. Néanmoins, cette protection serait conforme au principe du non-refoulement qui s’applique dans le cas des personnes qui sont exclues du régime de protection des réfugiés pour grande criminalité, mais qui risquent, si elles sont expulsées, la mort, la torture, ou des traitements ou peines cruels et inusités, ou encore d’être privées d’autres droits garantis par l’article 7 de la Charte. [Non souligné dans l’original.]
[52] Selon moi, l’enseignement de ces arrêts va dans le sens de la position du défendeur selon laquelle la possibilité de l’examen au titre de l’article 97 et l’éventuel sursis, aux termes du paragraphe 114(1), au renvoi qui en résulte assurent l’intégrité des droits garantis par l’article 7. Le respect des droits garantis par l’article 7 ne nécessite pas que le demandeur ait accès au processus ou au contenu d’une demande en vue d’obtenir le droit d’asile, ou aux droits associés à ce statut. Je rejette donc la thèse des demandeurs portant que, vu les faits de l’espèce, l’article 7 exige que le paragraphe 112(3) de la LIPR soit interprété comme appelant le réexamen de l’exclusion des demandeurs en vertu de l’article 98 et le recours possible à l’examen prévu par l’article 96.
4) Chose jugée / Préclusion découlant d’une question déjà tranchée
[53] Les observations des parties discutaient la jurisprudence canadienne en matière de chose jugée et de préclusion découlant d’une question déjà tranchée dans le contexte d’une modification de l’état du droit. Ces observations mettaient en particulier l’accent sur l’arrêt Oberlander c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 52, [2016] 3 R.C.F. 55 (Oberlander) de la Cour d’appel fédérale portant sur cette question dans le contexte particulier de la modification du critère relatif à la complicité résultant de la jurisprudence Ezokola. Dans cette affaire, l’appelant fit l’objet d’une conclusion de complicité du gouverneur en conseil antérieure à l’arrêt Ezokola dans le cadre d’une procédure de révocation de la citoyenneté, liée à des crimes de guerre commis au cours de la Deuxième Guerre mondiale. La conclusion de complicité fut confirmée par la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale, mais la décision de révocation de la citoyenneté a été renvoyée au gouverneur en conseil afin qu’il examine la question de la contrainte. Le gouverneur en conseil a conclu que la contrainte n’avait pas été établie et a encore une fois révoqué la citoyenneté de l’appelant. L’appelant a encore une fois présenté une demande de contrôle judiciaire et, à la suite de l’évolution jurisprudentielle due à l’arrêt Ezokola, a cherché à obtenir une nouvelle décision relativement à la question de la complicité.
[54] La Cour fédérale s’est penchée sur la question de savoir si la préclusion découlant d’une question déjà tranchée excluait la remise en cause de la conclusion de complicité, et elle a décidé que la doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée jouait. Tout en reconnaissant le pouvoir discrétionnaire résiduel de ne pas suivre cette doctrine, la Cour a conclu que l’appelant n’avait pas établi l’existence de motifs justifiant l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire. La Cour d’appel fédérale a fait droit à l’appel au motif que la Cour fédérale avait omis de tenir compte du lien entre la conclusion de complicité et la question de la contrainte et que la doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée avait par conséquent résulté en une injustice.
[55] En l’espèce, les demandeurs soutiennent que la jurisprudence Oberlander a confirmé que les conclusions de complicité tirées avant la reddition de l’arrêt Ezokola doivent être réexaminées en raison de la modification de l’état du droit et que les doctrines de la chose jugée et de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ne font pas obstacle à un tel réexamen. À mon avis, les demandeurs accordent une portée excessive à la jurisprudence Oberlander. La Cour d’appel fédérale a clairement affirmé que le juge a le pouvoir discrétionnaire résiduel de ne pas suivre la doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée et que, dans l’application des principes encadrant l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire, le facteur principal est celui de savoir si l’intérêt supérieur de la justice impose cette solution. La solution retenue dans cette affaire découlait du fait que la Cour fédérale avait été saisie d’une question (le contrôle judiciaire de la décision relative à la contrainte) qui appelait elle-même le réexamen de la conclusion de complicité afin que soit évitée une injustice. Je ne pense pas que la jurisprudence Oberlander enseigne de façon inconditionnelle que les conclusions de complicité tirées avant la reddition de l’arrêt Ezokola doivent être réexaminées.
[56] Les demandeurs notent que les décideurs administratifs disposent également du pouvoir discrétionnaire de ne pas suivre la doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée (voir Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., 2001 CSC 44, [2001] 2 R.C.S. 460, au paragraphe 62). Ils soutiennent que l’agent d’ERAR a commis une erreur en omettant d’envisager la possibilité d’exercer ce pouvoir discrétionnaire en ce qui a trait aux conclusions de complicité tirées par la SPR. Si je comprends bien, les demandeurs soutiennent que leur demande de protection met en cause la décision d’exclusion et par conséquent la conclusion de complicité, de sorte que l’agent aurait dû exercer le pouvoir discrétionnaire de ne pas suivre la doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, ou au moins envisager de le faire. Le problème que pose cette position est qu’elle ne tient pas compte de l’application du paragraphe 112(3) et de l’article 113 de la LIPR. La décision de l’agent de ne pas examiner de nouveau l’exclusion des demandeurs n’était pas fondée sur la doctrine de common law de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, mais plutôt sur l’interdiction législative d’examiner la demande d’ERAR en vertu de l’article 96 de la LIPR. Il n’y a aucune raison de transposer au régime législatif le pouvoir discrétionnaire de ne pas respecter cette interdiction.
[57] Par conséquent, je conclus que la jurisprudence concernant les principes de la chose jugée et de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée n’est de nulle utilité aux demandeurs quant à leurs arguments concernant l’interprétation du paragraphe 112(3) ou à leur thèse portant que l’agent a omis de prendre en considération ou d’exercer le pouvoir discrétionnaire de réexaminer leur exclusion.
[58] En somme, après avoir examiné tous les moyens soulevés par les demandeurs relativement à la première question en litige de la présente procédure en contrôle judiciaire, je conclus que l’agent d’ERAR est intervenu de manière non seulement raisonnable mais aussi correcte en examinant la demande de protection des demandeurs au seul titre de l’article 97 de la LIPR.
E. À titre subsidiaire, le ministre doit-il exercer le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par l’article 25.2 de la LIPR afin de soustraire les demandeurs à l’application du paragraphe 112(3), de telle sorte que l’omission d’examiner leur demande de dispense entache la décision concernant l’ERAR?
[59] Subsidiairement, les demandeurs soutiennent que, si la Cour conclut que la LIPR exclut l’examen prévu par l’article 96, la Charte exige alors que le ministre exerce le pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 25.2 de la LIPR qui consiste à lever l’interdiction prévue par la loi et à leur assurer un ERAR non restreint.
[60] Je note d’emblée que, vraisemblablement, contrairement aux autres moyens des demandeurs, cette observation cherche à contester une décision différente, étant donné qu’elle ne met pas l’accent sur la décision de l’agent d’ERAR (qui, à l’égard de la présente question en litige, était limitée à la conclusion selon laquelle il n’avait pas compétence pour examiner la demande de dispense des demandeurs), mais sur l’omission du ministre d’exercer ou d’envisager d’exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 25.2. Cette observation soulève des préoccupations quant à l’effet de la règle 302 des Règles des Cours fédérales [DORS/98-106], qui prévoit que, sauf ordonnance contraire de la Cour, une demande de contrôle judiciaire ne peut porter que sur une seule ordonnance pour laquelle une mesure est demandée. Cependant, le défendeur n’a pas soulevé ce point en tant que question en litige, mise à part une brève mention dans les observations présentées après l’audience quant à savoir si des questions devraient être certifiées aux fins d’un appel. À ce titre, en particulier en raison du rapport en l’espèce entre la demande d’ERAR et la demande de dispense, je ne vois dans la règle 302 des Règles nul obstacle à l’examen des arguments des demandeurs se rapportant à l’article 25.2.
[61] Les demandeurs soutiennent que la Cour d’appel fédérale a confirmé que la dispense prévue à l’article 25.2 peut être accordée aux personnes interdites de territoire en application de l’article 35 de la LIPR (voir Austria c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 191, sub nom. Tabingo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 191, [2015] 3 R.C.F. 346, au paragraphe 14; J. P. c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CAF 262, [2014] 4 R.C.F. 371, au paragraphe 16). Le paragraphe 25.2(1) dispose :
Séjour dans l’intérêt public
25.2 (1) Le ministre peut étudier le cas de l’étranger qui est interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi et lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, si l’étranger remplit toute condition fixée par le ministre et que celui-ci estime que l’intérêt public le justifie.
[62] À mon avis, les demandeurs n’ont présenté aucun argument convaincant selon lequel le ministre était obligé d’exercer son pouvoir discrétionnaire de manière à leur assurer un ERAR non restreint. Leur argument repose sur la thèse voulant qu’un tel exercice du pouvoir discrétionnaire soit nécessaire pour se conformer aux obligations internationales du Canada ou à la Charte.
[63] Je reconnais que l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire ministériel peut être limité par une exigence de respect envers les droits garantis à une partie par la Charte (voir Canada (Procureur général) c. PHS Community Services Society, 2011 CSC 44, [2011] 3 R.C.S. 134, aux paragraphes 114, 117 et 128). Cependant, j’ai conclu plus haut que le respect des droits garantis par l’article 7 n’exige pas que l’exclusion des demandeurs soit réexaminée et que ceux-ci se voient accorder le recours possible à l’examen prévu par l’article 96. Par conséquent, je ne peux conclure que le ministre avait l’obligation de renoncer aux effets du paragraphe 112(3) de la LIPR.
[64] Quant à l’incidence du droit international, les demandeurs se sont fondés sur l’exigence prévue à l’alinéa 3(3)d) de la LIPR, selon laquelle la loi doit être appliquée en conformité avec les instruments internationaux en matière de droits de la personne dont le Canada est signataire. Ils soutiennent que, pour satisfaire à cette exigence, le ministre doit exercer son pouvoir discrétionnaire en vertu de l’article 25.2 afin d’autoriser un nouvel examen de la conclusion d’exclusion de la SPR. Cependant, j’ai noté précédemment dans les présents motifs que je n’étais pas en mesure de conclure que les obligations internationales imposées au Canada par la Convention sur les réfugiés comprennent l’exigence de réexaminer les décisions antérieures en fonction de l’évolution de la jurisprudence pertinente. En l’absence d’une telle exigence, les arguments des demandeurs ne vont pas dans le sens de la conclusion selon laquelle le pouvoir discrétionnaire du ministre au titre de l’article 25.2 doit être exercé afin de libérer les demandeurs de l’effet de la décision de la SPR.
[65] Les demandeurs soutiennent également que la décision du ministre en vertu de l’article 25.2 est assujettie à un contrôle judiciaire au motif que le ministre a omis d’examiner leur demande de dispense. Ils soutiennent que, lorsqu’une loi prévoit un recours discrétionnaire et que l’exercice de façon favorable de ce pouvoir discrétionnaire est expressément demandé, le fait de refuser une demande sans reconnaître ni exercer le pouvoir discrétionnaire en question constitue une erreur.
[66] Les demandeurs se sont fondés sur la jurisprudence suivante : Singh Tathgur c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1293 (Singh Tathgur) et Saini c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 4 C.F. 325 (1re inst.) (Saini). Cependant, cette jurisprudence se rapporte à d’autres pouvoirs décisionnels prévus par la LIPR. L’affaire Singh Tathgur portait sur le pouvoir discrétionnaire conféré à un agent des visas dans le cadre de l’examen d’une demande de visa de résident permanent au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés, et l’affaire Saini portait sur le pouvoir discrétionnaire d’un agent de renvoi de reporter le renvoi en attendant qu’il y ait examen des risques en application d’une version précédente de la LIPR. L’argument des demandeurs doit être examiné dans le contexte précis du pouvoir discrétionnaire conféré par l’article 25.2 de la LIPR.
[67] Les arguments des parties portaient principalement sur la question de savoir si l’article 25.2 prévoit l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire seulement lorsque le ministre a établi une politique qui vise un demandeur en particulier, ou si le pouvoir discrétionnaire peut être exercé au cas par cas sans une politique préétablie du ministre. Le défendeur s’appuie sur la première affirmation et renvoie la Cour à un certain nombre de politiques qui ont été établies par le ministre pour guider les agents auxquels est délégué l’exercice du pouvoir discrétionnaire prévu à l’article 25.2. Le défendeur a également noté que le pouvoir du ministre d’établir des politiques n’a pas été délégué. Par ailleurs, les demandeurs allèguent que l’article 25.2 fait référence à l’« intérêt public » et que le texte de l’article n’exige nullement l’établissement d’une politique avant que le pouvoir discrétionnaire puisse être exercé.
[68] Il semble y avoir très peu de jurisprudence sur l’interprétation de l’article 25.2 et aucune qui puisse aider à résoudre les interprétations opposées avancées par les parties. Cependant, à mon avis, la conclusion qu’il convient de tirer de l’argument des demandeurs repose sur la formulation du paragraphe 25.2(1), une comparaison avec le pouvoir discrétionnaire similaire conféré au ministre par le paragraphe 25(1), et l’examen téléologique de ces dispositions :
Séjour pour motif d’ordre humanitaire à la demande de l’étranger
25 (1) Sous réserve du paragraphe (1.2), le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui demande le statut de résident permanent et qui soit est interdit de territoire — sauf si c’est en raison d’un cas visé aux articles 34, 35 ou 37 — soit ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada — sauf s’il est interdit de territoire au titre des articles 34, 35 ou 37 — qui demande un visa de résident permanent, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.
[69] Le paragraphe 25(1) confère au ministre le pouvoir discrétionnaire d’étudier le cas de l’étranger qui est interdit de territoire (sauf s’il est interdit de territoire au titre des articles 34, 35 ou 37), ou qui ne se conforme pas à la LIPR, et de lui octroyer le statut de résident permanent ou de lever tout ou partie des critères et obligations applicables. Le pouvoir discrétionnaire est exercé si le ministre estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.
[70] Le paragraphe 25.2(1) confère au ministre un pouvoir discrétionnaire similaire. Il habilite le ministre à étudier le cas de l’étranger qui est interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et à lui octroyer le statut de résident permanent ou à lever tout ou partie des critères et obligations applicables. Selon le paragraphe 25.2(1), le pouvoir discrétionnaire est exercé si l’étranger remplit toute condition fixée par le ministre et que celui-ci estime que l’intérêt public le justifie.
[71] Cependant, il importe de noter que le paragraphe 25(1) dispose que le ministre « doit » étudier le cas de l’étranger, sur demande de ce dernier, et « peut » lui accorder une dispense. En revanche, le paragraphe 25.2(1) dispose que le ministre « peut » étudier le cas de l’étranger et lui accorder une dispense. Le texte du paragraphe 25.2(1) n’est pas impératif, comme celui du paragraphe 25(1), qui oblige le ministre à étudier le cas de l’étranger. Il ressort de la différence entre ces deux paragraphes que l’intention du législateur n’était pas d’obliger le ministre à examiner les demandes de dispense fondées sur l’intérêt public par opposition à celles fondées sur des considérations d’ordre humanitaire.
[72] La nature de l’intérêt public va également dans le sens de cette interprétation. A l’occasion de l’affaire De Araujo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 363, la Cour a examiné une version précédente de la LIPR, dans laquelle le pouvoir du ministre d’accorder une dispense en raison de l’intérêt public figurait à l’article 25 plutôt qu’à l’article 25.2. La Cour a rejeté la thèse des demandeurs portant que l’agent d’immigration chargé de l’examen de leur demande fondée sur l’article 25 avait omis de tenir compte des aspects de leur demande qui intéressaient l’intérêt public. Aux paragraphes 19 à 23, la juge Mactavish a conclu ce qui suit :
De plus, la Cour a déjà statué que, comme le terme « intérêt public » employé à l’article 25 de la LIPR n’a pas de contenu objectif, il doit être défini par ceux à qui est confié le pouvoir constitutionnel d’établir des politiques : voir Aqeel c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [2006] A.C.F. no 1895, 2006 CF 1498, Vidal c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 41 F.T.R. 118, et Dawkins c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 45 F.T.R. 198.
Ainsi, dans Dawkins, la Cour a signalé que de permettre à un agent d’immigration de faire exception aux définitions adoptées dans les politiques gouvernementales, équivaudrait à empiéter sur le domaine du législateur.
L’élaboration de directives est un moyen par lequel les politiques gouvernementales peuvent être formulées. En l’espèce, le ministre a élaboré des directives qui précisent les différentes catégories de personnes dont les demandes sous le régime de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés au regard de « l’intérêt public » peuvent être examinées. La catégorie la plus récente concerne les demandes de parrainages des conjoints sans statut au Canada.
Présentement, les directives ne précisent pas que les membres ayant des compétences dans le secteur de la construction font partie d’une catégorie de personnes dont les demandes peuvent être prises en considération sous le volet « intérêt public » de l’article 25.
Par conséquent, je ne peux faire droit à l’argument des demandeurs fondé sur « l’intérêt public ».
[73] De même, à l’occasion de l’affaire Khodja c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1087, au paragraphe 3, le juge Shore a expliqué le pouvoir de déterminer les considérations d’intérêt public de la façon suivante :
Compte tenu de la séparation des pouvoirs entre les trois branches du gouvernement, les considérations d’intérêt public sont déterminées par le Ministre chargé d’appliquer la loi à cet égard. Seul le Ministre possède le pouvoir discrétionnaire de déterminer ce que constitue l’intérêt public; les agents ne peuvent élargir leur portée et la branche judiciaire ne peut qu’interpréter la loi selon l’intention du législateur (Vidal c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 41 FTR 118, [1991] ACF no 63 (1re inst) (QL/Lexis); Dawkins c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 639, 45 FTR 198 (1re inst)).
[74] Je reconnais que les demandeurs ne soutiennent pas que l’agent d’ERAR avait le pouvoir de déterminer ce qui constitue l’intérêt public. Ils allèguent plutôt que, puisque leur demande a été présentée au ministre, ce dernier avait au moins l’obligation de l’examiner. Cependant, le fait que seul le ministre peut déterminer ce qui constitue l’intérêt public fait obstacle à la thèse des demandeurs portant que le ministre a l’obligation d’examiner toutes les demandes de dispense fondées sur l’intérêt public. Ainsi, le ministre pourrait se voir tenu d’étudier une quantité énorme de demandes, ce qui ne pouvait correspondre à l’intention du législateur. En réponse à ce point, les demandeurs ont fait valoir que le ministre pouvait déléguer ce pouvoir. Toutefois, bien que le ministre puisse déléguer (et qu’il l’ait effectivement fait) le pouvoir de prendre des décisions aux termes de l’article 25.2 conformément aux politiques qu’il a déjà adoptées, il serait incompatible avec la nature de l’intérêt public et la jurisprudence citée plus haut d’obliger le ministre à déléguer son pouvoir de déterminer ce qui constitue l’intérêt public.
[75] Voilà qui va dans le sens de la thèse du défendeur portant que l’intention du législateur n’était pas de créer par le paragraphe 25.2(1) un processus décisionnel devant être exercé à la demande de tout demandeur. Bien que le libellé du paragraphe n’exige nullement l’établissement d’une politique avant que le pouvoir discrétionnaire puisse être exercé, cela n’est d’aucune utilité aux demandeurs dans le cas où ils n’ont pas cerné de politique qui les vise (ce qui pourrait donner lieu à l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire délégué) et le ministre n’a pas choisi d’examiner leur demande de dispense. Je conclus donc qu’il n’y a aucun fondement, découlant de la demande de dispense des demandeurs au titre de l’article 25.2, pour affirmer qu’une erreur a été commise dans la décision qui fait l’objet de la présente procédure en contrôle judiciaire.
[76] En somme, je suis d’avis que la décision de l’agent d’ERAR était non seulement raisonnable, mais correcte à l’égard de cette question, du fait que l’agent a conclu qu’il n’avait pas compétence pour examiner la demande de dispense des demandeurs. Dans la mesure où les arguments des demandeurs contestent l’omission du ministre d’exercer ou d’envisager d’exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 25.2, ou le fait que l’agent a procédé à l’examen des risques auxquels s’exposent les demandeurs sans attendre la décision du ministre relativement à la demande de ceux-ci au titre de l’article 25.2, encore une fois, je ne constate nulle erreur susceptible de contrôle en fonction de l’une ou l’autre norme de contrôle.
F. À titre plus subsidiaire encore, le régime législatif porte-t-il atteinte aux droits des demandeurs garantis par l’article 7 de la Charte?
[77] Les arguments des demandeurs à l’égard de cette question sont essentiellement les mêmes que ceux défendus à l’appui de leur thèse portant que l’article 7 de la Charte exige que le paragraphe 112(3) soit interprété de manière à autoriser un ERAR non restreint vu les faits en l’espèce. Ils soutiennent que, si l’interprétation du paragraphe 112(3) du ministre est correcte, l’effet combiné de ce paragraphe et des alinéas 113d) et 114(1)b) de la LIPR est donc contraire à l’article 7, de sorte que la Cour doit déclarer ces dispositions inopérantes ou soustraire les demandeurs à l’application de ces dispositions.
[78] Si mes conclusions quant aux arguments des demandeurs fondés sur l’interprétation de la loi avaient été limitées à celle selon laquelle le texte de la loi n’appelle pas l’interprétation qu’ils avancent en invoquant l’article 7 de la Charte, il leur aurait encore été possible de soutenir que les dispositions de la LIPR mentionnées par les demandeurs sont néanmoins contraires à l’article 7. Cependant, je conclus également, à la lumière de la récente jurisprudence de la Cour suprême du Canada et de la Cour d’appel fédérale, que le respect des droits garantis par l’article 7 n’exige pas que le demandeur ait accès au processus ni au contenu de la demande d’asile. Le possible recours à l’examen prévu par l’article 97 et l’éventuel sursis au renvoi qui en résulte peuvent assurer l’intégrité des droits que garantit l’article 7. Je conclus que, vu les faits invoqués par les demandeurs, l’article 7 n’appelle pas l’interprétation du paragraphe 112(3) de la LIPR portant qu’il exige le réexamen de l’exclusion et le recours éventuel à l’examen prévu par l’article 96. Pour les mêmes motifs, je conclus que le paragraphe 112(3), et les dispositions connexes de la LIPR invoquées par les demandeurs, ne sont pas contraires à l’article 7 de la Charte.
G. L’examen des risques effectué par l’agent d’ERAR au regard de l’article 97 était-il raisonnable?
[79] J’ai examiné les arguments des demandeurs, qui contestent le caractère raisonnable de l’examen des risques effectué par l’agent au regard de l’article 97 de la LIPR, mais je conclus que ces arguments portent sur l’examen et l’appréciation des preuves par l’agent. Ils ne soulèvent pas des questions qui situeraient la décision de l’agent en dehors des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit; voir le paragraphe 47 de l’arrêt Dunsmuir, qui porte sur la norme de contrôle de la décision raisonnable.
[80] Les demandeurs notent que leurs éléments de preuve et observations à l’appui de l’ERAR se rapportent à des incidents survenus en 2010 et en 2013, qui n’ont pas été examinés par la SPR.
1) Incidents survenus en 2010
[81] Les preuves concernant l’année 2010 portaient sur un ami zimbabwéen de M. Tapambwa appelé Calvin Chiwawa, qui s’est enfui du Zimbabwe après la saisie de son ordinateur en octobre 2010 et des accusations portées à son endroit pour avoir incité des Zimbabwéens à s’engager dans la diaspora contre le régime Mugabe. Les demandeurs ont allégué que M. Tapambwa et M. Chiwawa communiquaient régulièrement par voie électronique, qu’ils avaient notamment critiqué le régime, et que la saisie de l’ordinateur de M. Chiwawa les exposait donc à un risque. Ils ont également fait mention de responsables du gouvernement qui, à la recherche de M. Tapambwa, se sont rendus à son ancienne résidence en novembre 2010, ce qui a résulté en la résiliation des baux de ses locataires, ainsi qu’en leur départ.
[82] Les demandeurs ont produit une lettre de M. Chiwawa, qui évoquait son amitié avec M. Tapambwa et le fait qu’ils avaient communiqué par Facebook entre 2008 et octobre 2010. Sa lettre signale que les responsables du gouvernement ont saisi son ordinateur parce qu’il mobilisait des personnes à l’étranger en vue de manifester contre le gouvernement Mugabe et qu’il s’est ensuite enfui du Zimbabwe vers l’Afrique du Sud. Sa lettre mentionne également que, dès son arrivée en Afrique du Sud, il a communiqué avec M. Tapambwa pour l’informer que leurs communications se trouvaient entre les mains des responsables du gouvernement et qu’il ne pouvait revenir chez lui en toute sécurité.
[83] L’agent a examiné la lettre de M. Chiwawa et a reconnu que lui et M. Tapambwa étaient amis et qu’ils avaient communiqué entre eux, mais il a noté que cette lettre ne donnait nulle précision sur ces communications. L’agent a conclu que les preuves objectives étaient insuffisantes pour établir que leurs communications comportaient des propos contre le gouvernement et que ces communications étaient telles qu’elles exposeraient les demandeurs à un risque au Zimbabwe au sens de l’article 97 de la LIPR. L’agent a également affirmé que l’information contenue dans la lettre de M. Chiwawa ne réfutait pas les conclusions importantes au sujet de la crédibilité des intéressés tirées par la SPR, ni sa décision selon laquelle le risque auquel les demandeurs s’exposeraient est un risque auquel sont généralement exposés les autres habitants du Zimbabwe.
[84] Les demandeurs allèguent que les conclusions de l’agent sont déraisonnables, car, bien que la lettre de M. Chiwawa ne confirme pas la nature des communications, l’affidavit de M. Tapambwa présenté à l’appui de l’ERAR décrit ces communications comme exprimant l’espoir que le régime Mugabe tombe, ainsi que des critiques sur le régime et ses abus. Les demandeurs soutiennent que l’agent n’a pas tenu compte de l’affidavit de M. Tapambwa ou qu’il a tiré des conclusions voilées ou non fondées sur le plan de la crédibilité relativement à son affidavit.
[85] Comme l’a noté le défendeur, l’agent fait référence ailleurs dans la décision à l’affidavit de M. Tapambwa. On ne peut donc conclure que l’affidavit même n’a pas été pris en compte. Les demandeurs ont raison d’affirmer que, dans l’analyse de la lettre de M. Chiwawa faite par l’agent, on ne trouve aucune mention de la preuve fournie par M. Tapambwa quant à la nature de ses communications avec M. Chiwawa. Cependant, l’agent d’ERAR n’est pas tenu de mentionner chaque élément de preuve qui lui est produit et, sauf indication contraire, il est présumé en avoir tenu compte (voir Traoré c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1022, au paragraphe 48; Florea c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (C.A.) (QL)). À mon avis, l’analyse faite par l’agent ne permet pas de conclure que la preuve présentée par M. Tapambwa n’a pas été prise en compte. Il est évident selon cette partie de l’analyse et la décision en général que l’agent a été influencé par les conclusions défavorables de la SPR quant à sa crédibilité, et qu’il a conclu que la preuve objective était insuffisante pour établir que les communications avec M. Chiwawa comportaient des propos contre le gouvernement. La lettre de M. Chiwawa ne fournissait pas cette preuve, et le dossier présenté à l’agent ne contenait aucune copie des communications électroniques. Je suis d’avis que cette partie de la décision de l’agent est intelligible et qu’elle ne peut se situer en dehors des issues possibles acceptables.
[86] Quant à la résiliation des baux, l’agent fait mention d’un document intitulé [traduction] « Entente de résiliation de bail » daté du 15 novembre 2010, dans lequel l’auteur fait part de la résiliation de son bail en raison de scènes troublantes soupçonnées d’avoir été mises en œuvre par des agents du gouvernement. L’agent fait aussi référence à l’opinion de l’auteur selon laquelle le problème semble être d’ordre politique entre les agents du gouvernement et le propriétaire de l’immeuble. L’agent note que les demandeurs ne sont désignés comme propriétaires nulle part dans ce document, qui n’est pas non plus assorti de quelque élément de preuve allant en ce sens, par exemple, un bail conclu avec les demandeurs. Les demandeurs contestent la conclusion subséquente de l’agent selon laquelle il n’existe pas de preuves objectives suffisantes pour conclure que les demandeurs sont effectivement propriétaires de l’immeuble. Ils soutiennent que cette preuve se trouve dans l’affidavit de M. Tapambwa, lorsqu’il fait référence à l’auteur du document de résiliation de bail comme « mes locataires » et qu’il signale que l’immeuble est sa résidence.
[87] Cependant, comme l’a noté le défendeur, l’analyse de l’agent signale expressément que l’affidavit de M. Tapambwa contient les mots « mes locataires ». L’agent a également fait référence à un rapport psychologique produit par les demandeurs, selon lequel M. Tapambwa avait affirmé lors de son entrevue psychologique que des locataires louaient sa résidence et que, vu qu’ils se sentaient menacés, ils avaient décidé de mettre fin à leur bail. On ne peut donc conclure que l’agent n’a pas pris en compte la preuve fournie par M. Tapambwa. En outre, l’agent a affirmé que, même s’il devait retenir l’idée que les demandeurs sont les propriétaires de l’immeuble, l’information contenue dans le document de résiliation de bail concernant les problèmes d’ordre politique entre les agents du gouvernement et le propriétaire repose sur des conjectures de la part de l’auteur et non sur des renseignements fondés sur une preuve objective suffisante. Je conclus qu’il n’existe aucun motif de modifier la décision de l’agent à l’égard de cette question.
2) Incidents survenus en 2013
[88] La preuve relative aux incidents de 2013 comporte des allégations selon lesquelles des membres du service du renseignement du Zimbabwe, la Central Intelligence Organization (Organisation centrale du renseignement) (la CIO), se sont présentés à la résidence des parents de M. Tapambwa à deux reprises. Les demandeurs ont produit une lettre rédigée par la mère de M. Tapambwa, dans laquelle elle signalait qu’un groupe d’hommes s’étaient introduits de force dans leur résidence le 26 août 2013, à la recherche de M. Tapambwa, puisqu’ils croyaient l’y avoir aperçu l’après-midi précédent. La lettre signalait que les parents de M. Tapambwa avaient été battus, que son père avait été enlevé, et qu’il n’avait pas été revu depuis. La mère de M. Tapambwa a signalé l’incident à la police et a été transportée à l’hôpital. Sa lettre indiquait également que la CIO est revenue le 6 septembre 2013, mais que ses membres n’ont pas été capables de s’introduire dans la résidence parce qu’elle avait installé des barres en acier à titre de protection supplémentaire sur les deux portes. Elle affirme qu’elle a fui le Zimbabwe pour la Zambie le lendemain.
[89] Dans sa décision, l’agent passe en revue le contenu de cette lettre et puis note que, de son propre aveu, Mme Tapambwa n’a reconnu aucun des quatre hommes de la première attaque. Cependant, lorsque les hommes sont revenus, elle a affirmé qu’ils faisaient partie de la CIO. L’agent a conclu que la preuve était insuffisante pour établir que ces hommes étaient effectivement des membres de la CIO, étant donné que ni Mme Tapambwa ni son époux ne les avaient reconnus lors de la première attaque. L’agent a conclu que sa lettre ne constituait pas une preuve objective suffisante pour établir que les demandeurs seraient exposés à un risque au Zimbabwe au sens de l’article 97 de la LIPR.
[90] Les demandeurs contestent cette conclusion, puisque la lettre signalait que la mère de M. Tapambwa avait reconnu Joseph Chinotimba parmi les hommes qui s’étaient rendus à sa résidence. Les demandeurs renvoient à l’affidavit de M. Tapambwa qui signalait que M. Chinotimba est un ancien combattant bien connu et à la preuve documentaire qui établit un lien entre lui et les autorités gouvernementales.
[91] Je conclus que l’argument des demandeurs ne diminue en rien le caractère raisonnable de cet aspect de la décision. La lettre de Mme Tapambwa précise que le groupe qui s’est introduit dans sa résidence le 26 août 2013 était composé de cinq hommes, dont l’un qu’elle a reconnu comme étant M. Chinotimba qui vivait dans son quartier. Elle et son époux n’ont pas reconnu les quatre autres hommes. Elle a également affirmé qu’au cours de l’incident M. Chinotimba est disparu, ce qui l’a menée à conclure qu’il était l’indicateur. L’agent a exposé correctement dans sa décision l’affirmation de Mme Tapambwa selon laquelle ni elle ni son époux n’ont reconnu aucun des quatre autres hommes. Les demandeurs ont raison de dire que l’agent n’a pas fait mention de l’identification de M. Chinotimba ni de ses liens avec le gouvernement du Zimbabwe. Cependant, je suis d’avis que cet élément de preuve n’est pas suffisant pour valider l’allégation des demandeurs, selon laquelle les quatre autres hommes étaient membres de la CIO, et que je juge la conclusion de l’agent, selon laquelle la preuve était insuffisante à cet égard, déraisonnable.
[92] Les demandeurs allèguent également que l’agent a commis une erreur en rejetant un rapport médical concernant Mme Tapambwa car, même si celui-ci ne mentionne pas la façon dont elle a subi ses blessures, il corrobore néanmoins son témoignage. Ils citent une jurisprudence de la Cour, Talukder c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 658, pour faire valoir le principe portant que l’on ne peut s’attendre à ce que des éléments de preuve de nature médicale fassent état de l’origine de blessures. Dans cette affaire, la juge Heneghan a jugé au paragraphe 12 que la SPR avait conclu de façon déraisonnable que l’avis médical n’était pas fiable, étant donné qu’il ne précisait pas que la blessure était la conséquence d’une agression. La Cour a souscrit à la thèse du demandeur portant que puisque le médecin n’avait pas été témoin de l’agression, il n’était pas justifié de mettre en doute la valeur de son avis.
[93] Les faits de cette affaire se distinguent de ceux de la présente affaire. L’agent n’a pas conclu que le rapport médical de Mme Tapambwa n’était pas fiable. Au contraire, l’agent l’a accepté comme preuve qu’elle avait subi diverses blessures. Cependant, l’agent a conclu que le rapport ne précisait pas qui avait infligé les blessures ni la raison qui avait motivé cette agression, c’est pourquoi il a conclu que la preuve objective était insuffisante pour établir que ces blessures avaient été infligées par des membres de la CIO ou causées par suite des recherches de la CIO au sujet des allées et venues de M. Tapambwa. J’estime qu’il n’y a rien de déraisonnable dans l’examen du rapport fait par l’agent.
[94] Les demandeurs soutiennent également que l’agent a commis une erreur en rejetant le témoignage d’un avocat engagé par la famille de M. Tapambwa pour faire enquête sur la disparition du père, ainsi que le témoignage de l’oncle de M. Tapambwa qui avait engagé l’avocat pour le compte de la famille. Cet avocat a produit une lettre de dessaisissement, par suite de menaces de mort qu’il avait reçues, et une autre lettre contenant des renseignements au sujet de la situation politique et des conditions de sécurité au Zimbabwe. Les demandeurs contestent la conclusion de l’agent selon laquelle ces lettres ne constituaient pas une preuve suffisante pour réfuter les conclusions de la SPR quant à leur crédibilité ou pour établir un lien entre les demandeurs et le risque allégué.
[95] L’agent a conclu que la lettre de dessaisissement ne constituait pas un élément de preuve objectif suffisant pour établir un lien entre la situation personnelle des demandeurs et la situation dont était chargé l’avocat en ce qui concerne le père de M. Tapambwa. L’agent a conclu que la lettre ne constituait pas un élément de preuve objectif suffisant pour établir que les demandeurs seraient exposés à un risque, ni pour réfuter les conclusions importantes de la SPR quant à leur crédibilité ou la décision de la SPR portant que le risque auquel les demandeurs s’exposeraient est un risque auquel sont généralement exposés les autres habitants du Zimbabwe. Relativement à la deuxième lettre, l’agent a conclu qu’il s’agissait d’une opinion personnelle sur la situation générale au Zimbabwe, ce qui ne constituait pas la preuve d’un risque touchant directement les demandeurs. Je conclus que ces conclusions appartiennent aux issues possibles acceptables au regard des preuves dont l’agent disposait. Les griefs des demandeurs portent sur l’examen et l’appréciation des preuves par l’agent; la Cour ne saurait intervenir sur ce fondement dans le cadre d’une procédure en contrôle judiciaire.
3) Risque que l’on prenne M. Tapambwa pour son frère jumeau
[96] L’un des risques invoqués par les demandeurs était que M. Tapambwa pouvait être pris pour son frère jumeau identique, qui avait été accepté comme réfugié au Canada après avoir découvert et menacé de divulguer une manœuvre frauduleuse au profit de ses supérieurs dans l’armée du Zimbabwe. L’agent a conclu que cet argument était une conjecture. L’agent a reconnu que M. Tapambwa était un jumeau, mais il a conclu que la preuve objective était insuffisante pour établir qu’il serait pris pour son frère jumeau ou qu’il serait exposé à un risque en raison de cette erreur d’identité possible.
[97] Les demandeurs soutiennent que cette conclusion était déraisonnable, étant donné que le risque d’être pris pour son jumeau identique est réel et concret, et constitue un risque personnalisé par excellence auquel la population en général n’est pas exposée. Bien que je reconnaisse que le risque de ressemblance physique avec un frère jumeau soit très personnalisé, la possibilité d’une erreur d’identité peut être influencée par des facteurs autres que la ressemblance physique, et je ne puis conclure que l’agent a agi de façon déraisonnable en concluant que le risque qui en découlait pour M. Tapambwa était conjectural.
4) Affidavit de Norma Kriger
[98] Les demandeurs ont produit un affidavit rédigé par Norma Kriger, une spécialiste du Zimbabwe et de la diaspora zimbabwéenne, comme élément de preuve concernant la situation actuelle dans ce pays. Cet élément a été présenté à l’appui des allégations de risque fondées sur les antécédents des demandeurs et relativement à leur situation en tant que demandeurs d’asile déboutés. Les demandeurs allèguent que l’agent n’a pas tenu compte de cet élément et, en ce qui concerne le risque en tant que demandeurs d’asile déboutés, qu’il s’est appuyé sur une preuve désuète qui a influencé la SPR dans sa conclusion selon laquelle la CIO opérerait une distinction entre les personnes expulsées qui retournent dans leur pays et celles auxquelles elle a une raison de s’intéresser.
[99] On ne saurait dire que l’agent n’a pas tenu compte de l’affidavit de Mme Kriger. L’agent a expressément retenu l’affidavit à titre de renseignement et d’avis d’expert sur l’histoire et la situation actuelle du Zimbabwe, mais il n’a pas conclu qu’il permettait d’établir que les demandeurs seraient exposés à un risque s’ils devaient retourner au Zimbabwe. En particulier, l’agent a conclu que l’affidavit ne réfutait pas la conclusion de la SPR selon laquelle les demandeurs n’avaient pas établi l’existence d’une crainte de persécution en raison des opinions politiques de M. Tapambwa.
[100] En examinant le risque de renvoi des demandeurs d’asile déboutés, Mme Kriger a expressément déclaré que l’on ne saurait affirmer avec certitude que la qualité de demandeurs d’asile déboutés des demandeurs, à lui seul, les exposerait à un risque de persécution, puisque de nombreux Zimbabwéens sont rentrés dans leur pays à partir de différents pays sans subir de conséquences négatives. Mme Kriger est d’avis que leurs anciennes relations et leur affirmation selon laquelle la CIO les recherchait en 2010 et en 2013 les rendent particulièrement vulnérables à la persécution. Cependant, cet avis est conforme à la preuve sur laquelle la SPR et l’agent se sont fondés, portant que la question de savoir si un demandeur d’asile débouté intéresserait la CIO dépend du profil particulier de celui-ci. Étant donné que la SPR et l’agent n’ont pas trouvé de motif suffisant pour justifier l’allégation des demandeurs selon laquelle ils craignaient d’être persécutés ou d’être recherchés par la CIO, je conclus que l’examen par l’agent de la preuve produite par Mme Kriger, est raisonnable.
V. Conclusion
[101] En somme, rien ne me permet de conclure que l’agent a commis une erreur, soit dans la décision d’effectuer un ERAR restreint au seul titre de l’article 97 de la LIPR, soit dans le processus d’examen effectué aux termes de l’article 97. La présente demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.
VI. Questions certifiées
[102] Les demandeurs ont proposé les questions suivantes aux fins de certification :
A. Les alinéas 112(3)a) et c) de la LIPR obligent-ils le ministre, dans le cadre d’un ERAR, à confirmer qu’il subsiste un motif valable pour exclure le demandeur de la protection offerte aux réfugiés?
B. Dans la négative, l’article 25.2 de la LIPR confère-t-il au ministre le pouvoir discrétionnaire de soustraire la personne qui présente une demande de protection en vertu de l’article 112 de la LIPR aux restrictions qui découlent du paragraphe 112(3) de la LIPR?
C. Dans la négative, l’effet combiné des alinéas 112(3)a) et c), 113d) et de l’article 114 de la LIPR est-il contraire à l’article 7 de la Charte, dans la mesure où il prive le demandeur du droit d’être reconnu comme réfugié même lorsqu’il ne subsiste pas de motif valable pour lui refuser ce droit?
[103] Les deux parties ont présenté des observations écrites après l’audience à l’appui de leurs positions quant à la certification. Le défendeur s’oppose à la certification de ces questions, en alléguant qu’elles ne soulèvent pas de question de grande portée ou d’application générale et également, en ce qui concerne la deuxième question, qu’elle ne permettrait pas de régler un appel en l’espèce.
[104] Même si je me suis prononcé contre les demandeurs à l’égard de chacun des aspects ayant donné lieu aux questions proposées, je conclus que chaque question, sous réserve d’une reformulation quelconque, soulève effectivement une question de grande portée ou d’application générale qui permettrait de régler un appel.
[105] La première question, qui porte sur l’interprétation des alinéas 112(3)a) et c) de la LIPR, permettrait de régler un appel, puisqu’un gain de cause en appel par les demandeurs donnerait lieu à une conclusion selon laquelle l’agent d’ERAR aurait dû réexaminer leur exclusion aux termes de l’article 98. Cependant, le défendeur note que le juge Fothergill a refusé de certifier une question similaire à l’occasion de l’affaire Azimi c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 1177 (Azimi). Le juge Fothergill a conclu que l’agent d’ERAR et l’agent d’exécution de la loi de l’Agence des services frontaliers du Canada n’avaient pas compétence pour réexaminer une conclusion d’exclusion tirée par la SPR. Comme en l’espèce, la conclusion de la SPR dans l’affaire Azimi a précédé la jurisprudence Ezokola, et le demandeur dans cette affaire avait demandé que la conclusion soit réexaminée à la lumière de la modification opérée par la jurisprudence Ezokola du critère de la complicité.
[106] Je suis d’avis que la décision de ne pas certifier la question dans l’affaire Azimi se distingue de la présente affaire. Le juge Fothergill a fait observer que le nombre de demandeurs d’asile qui sont pris entre la jurisprudence antérieure à l’arrêt Ezokola et la modification de l’état du droit qui en a résulté est minime et de plus en plus restreint, et il a également conclu que les principes juridiques pertinents sont bien fixés et n’appellent pas de précisions supplémentaires de la part de la Cour d’appel. Cependant, les demandeurs dans l’affaire Azimi n’ont pas soulevé les moyens puisés dans l’interprétation des obligations imposées au Canada par la Convention sur les réfugiés ou de l’article 7 de la Charte à l’égard desquels la Cour s’est prononcée en l’espèce. Bien que le bassin de demandeurs d’asile susceptibles d’être touchés par cette décision soit restreint et qu’il diminue, la question soulevée par les demandeurs transcende bel et bien leurs intérêts propres et, compte tenu des principes constitutionnels et du droit international invoqués dans leurs arguments par les demandeurs à l’appui de la solution qu’ils ont défendue, je conclus qu’elle est appropriée aux fins de certification.
[107] Il s’ensuit que la troisième question, qui découle de la thèse des demandeurs portant que l’effet combiné du paragraphe 112(3) et des dispositions connexes de la LIPR est contraire à l’article 7 de la Charte, doit également être certifiée. Cependant, je reformulerais la question comme suit, afin de mieux suivre la prémisse de la première question :
Dans la négative, l’effet combiné des alinéas 112(3)a) et c), 113d) et de l’article 114 de la LIPR est-il contraire à l’article 7 de la Charte, dans la mesure où il prive le demandeur du droit d’être reconnu comme réfugié sans qu’il soit confirmé qu’il subsiste un motif valable pour l’exclure de la protection offerte aux réfugiés?
[108] En ce qui concerne la deuxième question, le défendeur soutient que, telle que formulée, elle ne constitue pas une question grave de portée générale, parce qu’il est clair que la réponse est que l’article 25.2 de la LIPR confère au ministre le pouvoir discrétionnaire de soustraire une personne qui présente une demande de protection en vertu de l’article 112 de la LIPR aux restrictions qui découlent du paragraphe 112(3) de la LIPR. Dans leurs observations présentées après l’audience, les demandeurs semblent reconnaître ce point, en notant que la question proposée visait à savoir si le ministre possède un tel pouvoir discrétionnaire en l’absence d’une politique préétablie. Les demandeurs ont confirmé qu’ils ne s’opposeraient pas à la reformulation de la question aux fins de précision.
[109] Le défendeur est d’avis qu’aucune question grave de portée générale n’est soulevée, même si celle-ci était reformulée. Cependant, selon le défendeur, la reformulation viserait à rechercher si le ministre est tenu d’envisager l’élaboration d’une politique publique lorsqu’un étranger le lui demande. Comme les demandeurs l’ont noté, telle n’est pas la question qu’ils soulèvent. Ils sont plutôt d’avis qu’en l’absence d’une politique préétablie, le ministre a néanmoins le pouvoir discrétionnaire de les soustraire à l’application du paragraphe 112(3) en tenant compte de l’intérêt public au cas par cas.
[110] Cette question transcende les intérêts des parties dans le cadre de la présente procédure mais, telle qu’elle est formulée, ne permettrait toujours pas de régler un appel. Une décision en appel qui confirmerait que le ministre possède le pouvoir discrétionnaire, en l’absence d’une politique préétablie, d’accorder la demande de dispense ne répondrait pas nécessairement à la question de savoir si le ministre est tenu d’exercer un tel pouvoir discrétionnaire en faveur des demandeurs ou pas du tout. Les observations des demandeurs à l’appui de la question proposée aux fins de certification soutiennent qu’elle permettrait de régler l’appel, puisqu’une confirmation de l’existence du pouvoir discrétionnaire obligerait le ministre à exercer ce pouvoir (de façon positive ou négative) au vu des faits de l’espèce. À mon avis, les observations des demandeurs soulèvent une question qu’il serait préférable de formuler de la façon suivante :
Dans la négative, l’article 25.2 de la LIPR confère-t-il au ministre le pouvoir discrétionnaire, en l’absence d’une politique préétablie, de soustraire la personne qui présente une demande de protection en vertu de l’article 112 de la LIPR aux restrictions qui découlent du paragraphe 112(3) de la LIPR, lequel pouvoir discrétionnaire oblige le ministre à examiner la demande et à rendre une décision quant à celle-ci lorsqu’on lui demande d’exercer un tel pouvoir?
[111] J’estime que les moyens invoqués en l’espèce soulèvent cette question qui, selon moi, constitue une question d’application générale qui permettrait de régler un appel et qu’il convient donc de la certifier.
JUGEMENT DANS IMM-1516-16
LA COUR DÉCIDE :
1. La présente demande est rejetée.
2. Les questions suivantes sont certifiées aux fins d’un appel :
a. Les alinéas 112(3)a) et c) de la LIPR obligent-ils le ministre, dans le cadre d’un ERAR, à confirmer qu’il subsiste un motif valable pour exclure le demandeur de la protection offerte aux réfugiés?
b. Dans la négative, l’article 25.2 de la LIPR confère-t-il au ministre le pouvoir discrétionnaire, en l’absence d’une politique préétablie, de soustraire la personne qui présente une demande de protection en vertu de l’article 112 de la LIPR aux restrictions qui découlent du paragraphe 112(3) de la LIPR, lequel pouvoir discrétionnaire oblige le ministre à examiner la demande et à rendre une décision quant à celle-ci lorsqu’on lui demande d’exercer un tel pouvoir?
c. Dans la négative, l’effet combiné des alinéas 112(3)a) et c), 113d) et de l’article 114 de la LIPR est-il contraire à l’article 7 de la Charte, dans la mesure où il prive le demandeur du droit d’être reconnu comme réfugié sans qu’il soit confirmé qu’il subsiste un motif valable pour l’exclure de la protection offerte aux réfugiés?