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[2017] 3 R.C.F. 221

T-1911-15

2016 CF 1286

Carol Frances Britz (demanderesse)

c.

Canada (Procureur général) (défendeur)

Répertorié : Britz c. Canada (Procureur général)

Cour fédérale, juge Brown—Calgary, 7 septembre; Ottawa, 22 novembre 2016.

Transports — Habilitation de sécurité — Contrôle judiciaire de la décision de la directrice générale de la sûreté aérienne au nom du ministre des Transports (le ministre) et sur avis de l’Organisme consultatif d’examen d’habilitation de sécurité en matière de transport (l’Organisme consultatif), dans laquelle l’habilitation de sécurité de la demanderesse a été annulée conformément à l’art. I.4(4) de la politique sur le Programme d’habilitation de sécurité en matière de transport, à l’art. 4.8 de la Loi sur l’aéronautique, et au Règlement canadien de 2012 sur la sûreté aérienne — La demanderesse, une agente de bord, a présenté une demande de renouvellement de son habilitation de sécurité — Un rapport soulignait que le mari de la demanderesse fréquentait les Hells Angels — La demanderesse a expliqué, entre autres, que son mari est directeur du service d’entretien et de réparation dans une entreprise de motocyclettes dont la clientèle comprend des agents de la GRC et des membres des Hells Angels — L’Organisme consultatif a recommandé l’annulation de l’habilitation de sécurité de la demanderesse au motif que la demanderesse pouvait être sujette ou incitée à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile — Lorsque le ministre a annulé l’habilitation de sécurité en matière de transport de la demanderesse, les motifs de sa décision reposaient dans une large mesure sur la recommandation de l’Organisme consultatif — Il s’agissait de savoir si la décision du ministre de révoquer l’habilitation de sécurité de la demanderesse était raisonnable — La décision du ministre a été annulée parce qu’elle n’était pas raisonnable — La politique décrit trois conclusions différentes possibles — L’individu peut être sujet, susceptible d’être incité ou peut être sujet et susceptible d’être incité à la fois à commettre un acte illicite, ou à aider ou à encourager une personne à commettre un acte illicite — Les expressions « être sujet à » et « être incité à » n’ont pas la même signification — La question de savoir si la demanderesse « peut être sujette » à se livrer à de telles activités consiste à se demander si la demanderesse a tendance à commettre ou est susceptible de commettre les actes illicites que la politique vise à empêcher — Pour établir si une personne peut être incitée à commettre des actes illicites, il faut évaluer d’autres facteurs — La conclusion selon laquelle la demanderesse « peut être sujette » à commettre de tels actes n’était pas étayée par les faits — Il n’y avait aucune preuve de faiblesse de la part de la demanderesse ou d’inclinaison ou de propension à se livrer à une activité illégale visée par la politique, ou encore, à aider ou à encourager une personne à se livrer à une telle activité — Le ministre ne peut pas raisonnablement conclure de façon disjonctive, comme il l’a fait en l’espèce, que la demanderesse peut être sujette ou incitée à se livrer à des activités illicites — Le ministre n’a pas tranché entre « être sujette à » et « être incitée à » — Le ministre a manqué à son devoir de se prononcer conformément à la loi — Il n’a fourni aucun motif pour justifier cette conclusion équivoque — Ni la demanderesse ni la Cour ne sont en mesure de déterminer laquelle des trois conclusions subsidiaires a servi de fondement à la décision du ministre — Le ministre n’a pas évalué et dûment pris en considération les observations de la demanderesse pour parvenir à une conclusion en l’espèce — Le ministre, en tant que décideur administratif, doit entendre et examiner à la fois le dossier de la demanderesse et celui de l’Organisme consultatif — L’omission des arguments de la demanderesse dans les motifs du ministre donne lieu à des questions de transparence et d’intelligibilité et soulève des préoccupations quant à l’équité procédurale — Les motifs du ministre sont indûment unilatéraux et ils ne permettent pas de cerner ou d’aborder la relation essentielle que la demanderesse a avancée — Demande accueillie.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de la directrice générale de la sûreté aérienne au nom du ministre des Transports (le ministre) et sur avis de l’Organisme consultatif d’examen d’habilitation de sécurité en matière de transport (l’Organisme consultatif), dans laquelle l’habilitation de sécurité de la demanderesse a été annulée conformément au paragraphe I.4(4) de la politique sur le Programme d’habilitation de sécurité en matière de transport (la politique), à l’article 4.8 de la Loi sur l’aéronautique, et au Règlement canadien de 2012 sur la sûreté aérienne.

La demanderesse, une agente de bord qui travaille pour Air Canada, s’était initialement vu accorder une habilitation de sécurité en 2004. En 2014, la demanderesse a présenté une demande de renouvellement de son habilitation de sécurité. Un rapport de vérification des antécédents criminels soulignait que la demanderesse interagissait quotidiennement avec une personne, son mari, lequel fréquente les Hells Angels. En réponse à une lettre relative à l’équité procédurale des programmes de filtrage de sécurité de Transports Canada, la demanderesse a expliqué, entre autres, que son mari est directeur du service d’entretien et de réparation d’une entreprise de motocyclettes dont la clientèle est variée et comprend des médecins, des avocats, des agents de la GRC et des membres des Hells Angels. L’Organisme consultatif a recommandé l’annulation de l’habilitation de sécurité en matière de transport de la demanderesse compte tenu de son lien très étroit avec un individu (son mari) qui fréquente les Hells Angels au motif que la demanderesse pouvait être amenée ou incitée à commettre un acte, ou à aider ou à encourager une personne à commettre un acte qui pourrait illégalement interférer avec l’aviation civile. Le ministre (par l’entremise de son délégué) a rendu une décision annulant l’habilitation de sécurité en matière de transport de la demanderesse. Les motifs de la décision reposaient dans une large mesure, sur le résumé de la discussion et la recommandation de l’Organisme consultatif.

Il s’agissait principalement de savoir si la décision du ministre de révoquer l’habilitation de sécurité de la demanderesse était raisonnable.

Jugement : la demande doit être accueillie.

La décision de la directrice générale n’était pas raisonnable et elle a été annulée. Conformément à la politique, un individu peut être sujet, est susceptible d’être incité, ou peut être sujet et susceptible d’être incité à la fois à commettre un acte illicite, ou à aider ou à encourager une personne à commettre un acte illicite. Ces trois conclusions subsidiaires sont distinctes. Les expressions « être sujet à » et « être incité à » n’ont pas la même signification. Les préférences personnelles d’une personne, son comportement probable et ses caractéristiques individuelles sont les principaux éléments qui permettent d’analyser de façon appropriée la question de savoir si cette personne est sujette à commettre des actes illicites. Cependant, pour établir si une personne peut être incitée à commettre des actes illicites, il faut évaluer d’autres facteurs. La question de savoir si une personne peut être incitée à faire quelque chose implique généralement la prise en considération d’un tiers, c’est-à-dire l’influence d’un tiers sur cette personne. L’analyse appropriée de la question de savoir si la demanderesse « peut être sujette » à se livrer à de telles activités consiste à se demander si la demanderesse a tendance à commettre ou est susceptible de commettre les actes illicites que la politique vise à empêcher.

La conclusion du ministre selon laquelle la demanderesse « peut être sujette » à commettre de tels actes n’était pas étayée par les faits, car il n’y avait aucune preuve de faiblesse de sa part ou d’inclinaison ou de propension à se livrer à une activité illégale visée par la politique, ou encore, à aider ou à encourager une personne à se livrer à une telle activité.

Ce que le ministre ne peut pas raisonnablement faire est de conclure de façon disjonctive, comme il l’a fait en l’espèce, que la demanderesse peut être sujette ou incitée à se livrer à des activités illicites sans établir le fondement de sa décision d’annuler l’habilitation de sécurité. En l’espèce, le ministre n’a pas tranché entre « être sujette à » et « être incitée à ». En omettant de se prononcer sur l’une des trois possibilités d’annulation permises par la politique à cet égard, le ministre a manqué à son devoir de se prononcer conformément à la loi. Il n’a fourni aucun motif pour justifier cette conclusion équivoque. Cette conclusion ne permettait pas de déterminer laquelle des trois conclusions subsidiaires a servi de fondement à la décision du ministre d’annuler l’habilitation de sécurité de la demanderesse, et par conséquent, a rendu impossible le fait de déterminer ce qui faisait l’objet d’un contrôle judiciaire.

Le ministre n’a pas évalué et dûment pris en considération les observations de la demanderesse. Les éléments importants de la décision sont tirés presque mot pour mot du résumé de la discussion et de la recommandation de l’Organisme consultatif. Bien que le ministre puisse adopter les conclusions de cet organisme spécialisé, il doit entendre et examiner à la fois le dossier de la demanderesse et celui de l’Organisme consultatif. Les décideurs administratifs ont l’obligation essentielle d’entendre les deux parties. Cette omission presque totale des arguments de la demanderesse dans les motifs du ministre ont donné lieu à des questions de transparence et d’intelligibilité et ont soulevé des préoccupations quant à l’équité procédurale. Les motifs du ministre étaient indûment unilatéraux et ils ne permettaient pas de cerner ou d’aborder la relation essentielle que la demanderesse a avancée, c’est-à-dire que l’employeur de son mari assurait également l’entretien des motocyclettes Harley Davidson de la GRC et du Service des shérifs de l’Alberta. Ce n’est que dans le cas où le ministre aurait conclu que les affaires du mari de la demanderesse avec les Hells Angels constituaient une telle menace pour l’emploi de la demanderesse que cette dernière se serait retrouvée dans la catégorie « peut être incitée à » que la décision d’annuler l’habilitation compte tenu des faits en l’espèce aurait été raisonnablement étayée. Cette option ne pouvait se produire que si une conclusion dichotomique et disjonctive est raisonnablement permise, ce qui n’était pas le cas.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].

Loi sur l’aéronautique, L.R.C. (1985), ch. A-2, art. 4.8.

Règlement canadien de 2012 sur la sûreté aérienne, DORS/2011-318.

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559; Saporsantos Leobrera c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 587, [2011] 4 R.C.F. 290; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708; Ho c. Canada (Procureur général), 2013 CF 865.

DÉCISION différenciée :

Sargeant c. Canada (Procureur général), 2016 CF 893.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22; Brosnan c. Banque de Montréal, 2015 CF 925; Construction Labour Relations c. Driver Iron Inc., 2012 CSC 65, [2012] 3 R.C.S. 405; Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34, [2013] 2 R.C.S. 458.

DÉCISIONS CITÉES :

Henri c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 38, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [2016] 2 R.C.S. viii; Clue c. Canada (Procureur général), 2011 CF 323; Mitchell c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 241; Lavoie c. Canada (Procureur général), 2007 CF 435; Fontaine c. Canada (Transports), 2007 CF 1160; Brown c. Canada (Procureur général), 2014 CF 1081; Yee Tam c. Canada (Transports), 2016 CF 105; Doan c. Canada (Procureur général), 2016 CF 138; O’Grady c. Bell Canada, 2015 CF 1135; Neale c. Canada (Procureur général), 2016 CF 655; Renvoi relatif au Règlement sur la sûreté du transport maritime, 2009 CAF 234.

DOCTRINE CITÉE

Collins Dictionary, 2016, « induce », « prone », en ligne : <https://www.collinsdictionary.com/dictionary/english/>.

Merriam – Webster Online Dictionary, 2015, « induce », « prone », en ligne : <https://www.merriam-webster.com/dictionary/prone>.

Oxford Dictionaries, 2016, « induce », « prone », en ligne : <http://www.oxforddictionaries.com/definition/english/prone>.

Programme d’habilitation de sécurité en matière de transport, en ligne : <http://www.tc.gc.ca/fra/sureteaerienne/phst-113.htm>.

DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision de la directrice générale de la sûreté aérienne au nom du ministre des Transports et sur avis de l’Organisme consultatif d’examen d’habilitation de sécurité en matière de transport, dans laquelle l’habilitation de sécurité de la demanderesse a été annulée. Demande accueillie.

ONT COMPARU

Adam Benarzi pour la demanderesse.

James Elford pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Horne Wytrychowski, Airdrie, Alberta, pour la demanderesse.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

Le juge Brown :

I.          Nature de l’affaire

[1]        Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée par Carol Frances Britz (la demanderesse) en vertu de l’article II.45 de la politique sur le Programme d’habilitation de sécurité en matière de transport (la politique), contestant une décision de la directrice générale de la sûreté aérienne (directrice générale), en date du 13 octobre 2015, au nom du ministre des Transports (le ministre) et sur avis de l’Organisme consultatif d’examen d’habilitation de sécurité en matière de transport (l’Organisme consultatif), dans laquelle l’habilitation de sécurité de la demanderesse a été annulée (la décision), conformément au paragraphe I.4(4) de la politique, à l’article 4.8 de la Loi sur l’aéronautique, L.R.C. (1985), ch. A-2 (la Loi), et au Règlement canadien de 2012 sur la sûreté aérienne, DORS/2011-318 (le Règlement).

[2]        Le contrôle judiciaire est accueilli et un nouvel examen est ordonné. La décision est déraisonnable parce qu’elle n’est justifiée ni au regard des faits ni au regard de la loi. En effet, elle doit être conforme à la jurisprudence applicable. Le ministre a rendu une décision dichotomique déraisonnable, ce qui est inintelligible dans la mesure où elle ne permet pas à la demanderesse ou à la cour de révision de déterminer le fondement de l’annulation de l’habilitation de sécurité de la demanderesse. Même si la décision du ministre ne reposait pas sur cette conclusion dichotomique déraisonnable, elle serait encore déraisonnable parce que rien dans la preuve ne permet de justifier une conclusion selon laquelle la demanderesse pourrait être sujette à commettre les actes illicites en question. De plus, la Cour ne peut conclure que les observations de la demanderesse ont été examinées par le ministre.

II.         Faits

[3]        La demanderesse est une agente de bord de 49 ans qui travaille pour Air Canada à l’aéroport international de Calgary. Elle s’était initialement vu accorder une habilitation de sécurité en 2004, laquelle était valide jusqu’au 12 septembre 2018. L’habilitation devait être renouvelée tous les cinq ans. Elle n’a fait l’objet d’aucune condamnation au criminel. Ses états de service au sein d’Air Canada étaient irréprochables.

[4]        Le 4 septembre 2014, la demanderesse a présenté une demande de renouvellement de son habilitation de sécurité.

[5]        Le 5 février 2015, la Gendarmerie royale du Canada (GRC) a préparé un rapport de vérification des antécédents criminels (VAC). Ce rapport a été envoyé au directeur des Programmes de filtrage de sécurité. Le rapport faisait remarquer que la demanderesse n’avait fait l’objet d’aucune condamnation au criminel. Le rapport soulignait aussi que la demanderesse interagissait quotidiennement avec un associé, uniquement désigné par la GRC comme étant le « sujet A », lequel fréquente les Hells Angels à Calgary.

[6]        Les deux parties conviennent que le « sujet A » est le mari de la demanderesse, Gerald MacMullin (le mari ou M. MacMullin).

[7]        La demanderesse vit avec son mari depuis 1989; ils se sont mariés en mai 2011.

[8]        Le rapport de VAC de la GRC indiquait ce qui suit :

[traduction]

1.   La demanderesse ne fait l’objet d’aucune condamnation connue; toutefois, elle interagit quotidiennement avec un associé très proche qui fréquente des membres des Hells Angels de Calgary, en Alberta.

a.   Les Hells Angels se définissent comme étant une bande de motards criminalisés représentant le « un pour cent ». Par « un pour cent », on entend tout groupe d’amateurs de moto qui décident volontairement de s’associer et d’exister selon les règles de l’organisation, qui sont mises en force par la violence, qui s’engagent dans des activités, qui les amènent, eux et leur club, dans des conflits répétés et sérieux avec la société et la loi.

2.   [Le mari de la demanderesse]

a.   Il s’agit d’un associé très proche de la demanderesse avec lequel elle interagit quotidiennement.

b.   Entre 2009 et 2012 :

i.    La GRC a remarqué la présence d’un véhicule immatriculé au nom [du mari] lors des funérailles d’un « aspirant » (personne étroitement associée aux Hell’s [sic] Angels) des Hell’s [sic] Angels.

ii.    La GRC a remarqué la présence d’un véhicule immatriculé au nom [du mari] au repère de la section Southland des Hell’s [sic] Angels à Calgary, en Alberta, lors des festivités marquant le premier anniversaire de la section Southland.

iii.   La GRC a vu [le mari] se rendre en voiture à la résidence d’un trafiquant notoire de cocaïne et d’armes à feu et entrer dans celle-ci.

iv.   La GRC a vu [le mari] monter dans un véhicule avec un trafiquant notoire de cocaïne et d’armes à feu.

v.   La GRC a vu [le mari] quitter un endroit en compagnie d’un membre des Hell’s [sic] Angels.

vi.   Un membre de la GRC a remarqué la présence d’une casquette portant la mention « Nomads’ support » et d’un portrait commémoratif d’un membre décédé des Hell’s Angel [sic] dans le garage [du mari].

vii.  La GRC a remarqué la présence d’un véhicule immatriculé au nom [du mari] au milieu d’autres véhicules appartenant à des membres de plusieurs bandes de motards, y compris les Hell’s [sic] Angels, lors d’un rassemblement dans un bar local à Calgary, en Alberta.

viii. La GRC a vu [le mari] en train de porter des vêtements avec la mention « 81 Nomads Support » à Red Deer, en Alberta.

•     Remarque : Depuis juillet 1997, il y a une section Nomads des Hells Angels dans la province de l’Alberta. Les membres de la section Nomads sont généralement des membres plus âgés et plus expérimentés qui ne connaissent aucune frontière géographique. Ils peuvent voyager et faire des affaires n’importe où, alors qu’un membre d’une section entrant dans une autre section doit signaler sa présence et respecter les souhaits de cette dernière section.

[9]        Le 17 février 2015, les programmes de filtrage de sécurité de Transports Canada ont envoyé à la demanderesse une lettre relative à l’équité procédurale pour l’informer que son habilitation de sécurité serait examinée par l’Organisme consultatif. La lettre relative à l’équité procédurale reprenait le contenu du rapport de VAC (dont le contenu figure ci-dessus au paragraphe 8 des présents motifs).

[10]      La lettre relative à l’équité procédurale encourageait la demanderesse [traduction] « à communiquer toute information supplémentaire décrivant les circonstances entourant l’association susmentionnée, ainsi que toute autre information ou explication pertinente, y compris les circonstances atténuantes ». La lettre donnait également le nom et le numéro d’une personne-ressource avec laquelle la demanderesse pouvait s’entretenir si elle souhaitait discuter plus en détail de cette question.

[11]      La lettre relative à l’équité procédurale mentionnait ce qui suit en caractères gras :

[traduction] Veuillez consulter la politique sur le Programme d’habilitation de sécurité en matière de transport qui se trouve sur notre site Web à l’adresse http://www.tc.gc.ca/fra/sureteaerienne/phst-menu.htm. [Italiques dans l’original.]

[12]      La lettre relative à l’équité procédurale mentionne également ce qui suit :

[traduction] Les divers motifs sur lesquels l’Organisme consultatif peut s’appuyer pour formuler une recommandation figurent à l’article 1.4 de la politique.

[13]      Le 10 mars 2015, la demanderesse a envoyé une lettre en réponse (lettre de réponse) à la lettre relative à l’équité procédurale par l’entremise de son avocat. Sa lettre de réponse fournissait les explications suivantes :

[traduction] M. MacMullin n’est pas, et il n’a jamais été, un membre ou un associé des Hells Angels. Il est directeur du service d’entretien et de réparation à Gasoline Alley Harley Davidson (« GAHD »), une entreprise de motocyclettes en exploitation depuis plus de 25 ans. GAHD a été classée au premier rang des concessionnaires Harley Davidson au Canada, et M. MacMullin est le directeur du service d’entretien et de réparation numéro un au Canada.

La clientèle de M. MacMullin est variée et comprend des médecins, des avocats, des agents de la GRC et des membres des Hells Angels. L’étendue de sa relation avec les Hells Angels se limite à celle d’agent de l’entreprise GAHD. Il va sans dire que les Hells Angels sont des amateurs de moto renommés et il est clair que M. MacMullin, en tant qu’agent au service de l’entreprise GAHD, serait en contact étroit avec des membres des Hells Angels.

Cela dit, Mme Britz et M. MacMullin ont l’intention d’offrir leur entière collaboration en ce qui concerne votre demande de renseignements et ils peuvent répondre à vos préoccupations comme suit :

1.   La GRC a remarqué la présence d’un véhicule immatriculé au nom du sujet « A » lors des funérailles d’un « aspirant » (personne étroitement associée aux Hells Angels) des Hells Angels.

M. MacMullin est souvent invité aux funérailles de clients de longue date. À une ou plusieurs occasions, un client de longue date qui appartenait aux Hells Angels est décédé. M. MacMullin a alors été invité aux funérailles de ce client et il s’y est rendu pour offrir ses condoléances aux amis et à la famille du défunt.

2.   La GRC a remarqué la présence d’un véhicule immatriculé au nom du sujet « A» au repère de la section Southland des Hells Angels à Calgary, en Alberta, lors des festivités marquant le premier anniversaire de la section Southland.

L’entreprise GAHD prête souvent de l’équipement, notamment des barbecues, à des clients dans le cadre d’activités sociales. Si M. MacMullin se trouvait dans un repère des Hells Angels, c’était uniquement pour offrir les services de l’entreprise GAHD à des clients dans le contexte d’une activité sociale.

3.   La GRC a vu le sujet « A » se rendre en voiture à la résidence d’un trafiquant notoire de cocaïne et d’armes à feu et entrer dans celle-ci.

M. MacMullin ignore lequel de ses clients est le trafiquant de cocaïne et d’armes à feu susmentionné. En tant qu’agent de l’entreprise GAHD, M. MacMullin se rend dans de nombreuses maisons et il lui est impossible de savoir si leur propriétaire se livre à des activités criminelles.

4.   Le sujet « A » a été aperçu alors qu’il entrait dans un véhicule avec un trafiquant notoire de cocaïne et d’armes à feu.

Comme il a été dit précédemment, M. MacMullin ignore lequel de ses clients est le trafiquant de cocaïne et d’armes à feu en question. M. MacMullin interagit avec bon nombre de ses clients dans leurs véhicules et il lui est impossible de savoir si ces clients se livrent à des activités criminelles.

5.   La GRC a vu le sujet « A » quitter un endroit en compagnie d’un membre des Hells Angels.

Étant donné que l’entreprise GAHD compte des membres des Hells Angels parmi ses clients, il est évident que, à l’occasion, M. MacMullin quittera les lieux en leur compagnie.

6.   Un membre de la GRC a remarqué la présence d’une casquette portant la mention « Nomads’ support » et d’un portrait commémoratif d’un membre décédé des Hells Angel dans le garage du sujet « A ».

Dans son garage, M. MacMullin a de nombreux portraits commémoratifs de clients, de membres de sa famille, de membres du personnel et d’amis. La casquette portant la mention « Nomads’ support » est un cadeau qu’un client a fait à M. MacMullin.

7.   La GRC a remarqué la présence d’un véhicule immatriculé au nom du sujet « A » au milieu d’autres véhicules appartenant à des membres de plusieurs bandes de motards, y compris les Hells Angels, lors d’un rassemblement dans un bar local à Calgary, en Alberta.

M. MacMullin signale que lorsque l’un de ses clients appartenant aux Hells Angels décède, des veillées sont souvent organisées dans des bars. Il se présente alors à la veillée pour offrir ses condoléances à la famille et aux amis du défunt.

8.   La GRC a vu le sujet « A » en train de porter des vêtements portant la mention « 81 Nomads Support » à Red Deer, en Alberta.

Les vêtements ont été offerts à M. MacMullin par un client.

En ce qui a trait aux paragraphes pertinents de l’article 1.4 de la politique sur le Programme d’habilitation de sécurité en matière de transport, les renseignements fournis ci-dessus ainsi que toute autre enquête devraient dissuader l’Organisme consultatif d’examen d’habilitation de sécurité en matière de transport de soupçonner M. MacMullin d’activités visant à favoriser l’usage de la violence grave ou de menaces de violence contre des personnes ou des biens ainsi que des soupçons selon lesquels M. MacMullin fait partie des Hell’s [sic] Angels.

Mme Britz et M. MacMullin sont tous deux de professionnels dévoués qui jouissent d’une carrière durable et fructueuse. Un coup d’œil rapide au dossier de Mme Britz révèle un parcours irréprochable. Afin d’illustrer la personnalité de M. MacMullin, nous avons joint des lettres de recommandation de la GRC et de l’entreprise GAHD.

[14]      En outre, la demanderesse a joint deux lettres de recommandation pour son mari. La première lettre de recommandation émanait d’un sergent de la GRC qui soulignait le professionnalisme et le caractère général du mari. Le sergent de la GRC a confirmé que le mari de la demanderesse avait supervisé l’entretien de la plupart des Harley Davidson utilisées par la GRC au sein des Services intégrés de la circulation de la Division K depuis 2008.

[15]      La seconde lettre de recommandation était celle du directeur général de l’entreprise employant le mari de la défenderesse, Gasoline Alley Harley Davidson (GAHD), qui a confirmé que le concessionnaire assurait également l’entretien des motocyclettes Harley Davidson de la GRC et du Service des shérifs de l’Alberta. La lettre de recommandation du directeur général indiquait que M. MacMullin avait établi des relations de longue date avec de nombreux clients fidèles et, comme d’autres employés de l’entreprise GAHD, il assistait aux funérailles de clients [traduction] « de tous horizons ».

[16]      En dehors de cette lettre de réponse, la demanderesse et le ministre n’ont pas échangé d’autres renseignements et ils n’ont pas communiqué l’un avec l’autre.

[17]      L’Organisme consultatif s’est réuni et a recommandé l’annulation de l’habilitation de sécurité de la demanderesse le 21 juillet 2015. Le résumé de la discussion de l’Organisme consultatif stipule ce qui suit :

[traduction]

RÉSUMÉ DE LA DISCUSSION : BRITZ, Carol Frances

1808-0194897

•     La question est de savoir s’il y a lieu de permettre à Mme Britz, agente de bord d’Air Canada à l’Aéroport international de Calgary, de conserver son habilitation de sécurité en matière de transport (HST) ou de la révoquer, vu les renseignements récents reçus par Transports Canada.

•     Les programmes de filtrage de sécurité de Transports Canada ont à l’origine accordé une habilitation de sécurité à la demanderesse en 2004, laquelle a été renouvelée tous les cinq ans et est en ce moment valide jusqu’au 12 septembre 2018.

•     Les vérifications de casier judiciaire indiquent que la demanderesse n’a fait l’objet d’aucune condamnation criminelle.

•     Le 5 février 2015, les programmes de filtrage de sécurité ont reçu un rapport provenant du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) de la GRC, exposant en détail l’association de la demanderesse avec un individu (son mari) qui fréquente les Hells Angels et un trafiquant notoire de cocaïne et d’armes à feu.

•     L’Organisme consultatif a noté que l’avocat de la demanderesse avait mentionné que le mari de la demanderesse était directeur du service d’entretien et de réparation de Gasoline Alley Harley Davidson (GAHD), une entreprise de motocyclettes, et que ses clients étaient nombreux et comprenaient des membres des Hells Angels. L’avocat a également mentionné le fait que la relation avec les Hells Angels se limitait à celle d’agent de l’entreprise GAHD.

•     L’Organisme consultatif a noté que le mari de la demanderesse avait fait passer la relation au niveau supérieur en assistant aux funérailles d’un « aspirant » des Hells Angels, en quittant un endroit en compagnie d’un membre des Hells Angels et aussi lorsqu’un véhicule immatriculé à son nom a été aperçu au repère de la section Southland des Hells Angels à Calgary durant les festivités marquant le premier anniversaire de la section Southland.

•     L’Organisme consultatif a noté que la GRC avait aperçu le mari de la demanderesse et avait remarqué la présence d’une casquette portant la mention « Nomads’ support » et d’un portrait commémoratif d’un membre décédé des Hells Angel dans son garage.

•     L’Organisme consultatif était d’avis que pour qu’une personne soit invitée à se rendre à des funérailles ou au repère des Hells Angels ou qu’elle se voit offrir des vêtements à l’effigie des Hells Angels, il fallait que le niveau de confiance établi soit élevé, ce qui l’a amené à remettre en question le degré de participation du mari de la demanderesse avec les Hells Angels.

•     L’Organisme consultatif a noté que la GRC avait également aperçu le mari de la demanderesse à plusieurs reprises, en train d’entrer dans la résidence d’un trafiquant notoire de cocaïne et d’armes à feu ou en train de monter dans un véhicule avec un trafiquant notoire de cocaïne et d’armes à feu.

•     L’Organisme consultatif a noté la vulnérabilité de la sûreté aéroportuaire engendrée par les détenteurs d’une habilitation de sécurité dont les conjoints sont associés à des personnes ayant des liens avec le crime organisé ou à des personnes ayant des antécédents judiciaires graves.

•     Un examen du dossier a mené l’Organisme consultatif à avoir des raisons de croire, selon la prépondérance des probabilités, que la demanderesse pouvait être sujette ou incitée à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile.

•     L’Organisme consultatif a examiné les observations écrites présentées par l’avocat de la demanderesse; cependant, elles ne fournissaient pas suffisamment de renseignements pour dissiper ses préoccupations.

[18]      Les cinq membres votants de l’Organisme consultatif, à savoir deux membres des programmes de filtrage de sécurité de Transports Canada, un membre de la Sécurité des transports, un membre des Opérations de sûreté de l’aviation de Transports Canada et un membre des Opérations de la sûreté maritime de Transports Canada, ont signé la recommandation suivante :

[traduction]

JUSTIFICATION/JUSTIFICATION/COMMENTAIRES/

COMMENTS :

L’Organisme consultatif recommande l’annulation de l’habilitation de sécurité en matière de transport de la demanderesse compte tenu de son lien très étroit avec un individu (son mari) qui fréquente les Hells Angels et un trafiquant notoire de cocaïne et d’armes à feu. Un examen des renseignements au dossier a mené l’Organisme consultatif à croire, selon la prépondérance des probabilités, que la demanderesse pouvait être amenée ou incitée à commettre un acte, ou à aider ou à encourager une personne à commettre un acte qui pourrait illégalement interférer avec l’aviation civile. En outre, les observations de la demanderesse ne fournissaient pas suffisamment de renseignements pour dissiper les préoccupations de l’Organisme consultatif.

[19]      Le 13 octobre 2015, le ministre (par l’entremise de son délégué) a rendu une décision annulant l’habilitation de sécurité en matière de transport de la demanderesse. Les motifs de la décision reposent dans une large mesure, mais pas entièrement, sur le résumé de la discussion et la recommandation de l’Organisme consultatif tels qu’ils sont exposés ci-dessus au paragraphe 17 :

[traduction] Les renseignements concernant votre association très proche avec une personne (votre mari) qui est associée aux Hells Angels et à un trafiquant notoire de cocaïne et d’armes à feu ont soulevé des préoccupations au sujet de votre jugement, de votre loyauté et de votre fiabilité. Je constate que votre mari travaille en tant que directeur au sein de l’entreprise Gasoline Alley Harley Davidson et que des membres des Hells Angels figurent au nombre de ses clients. Je constate également que votre mari a assisté aux funérailles d’un « aspirant » des Hells Angels, qu’il est allé dans un repère des Hells Angels et qu’il a été vu par la police alors qu’il quittait un endroit en compagnie d’un membre des Hells Angels, tout cela indiquant une relation plus étroite que de simples liens commerciaux. Je note aussi qu’une casquette portant la mention « Nomads’ support » et un portrait commémoratif d’un membre décédé des Hells Angel ont été vus dans le garage de votre mari. Je note également que la police a aperçu votre mari alors qu’il entrait dans la résidence d’un trafiquant notoire de cocaïne et d’armes à feu et qu’il montait dans un véhicule en sa compagnie. Les interactions continues et fréquentes entre votre mari et les Hells Angels m’ont amené à penser qu’il y aurait un niveau de confiance élevé entre lui et les Hells Angels. Je souligne la vulnérabilité de la sûreté aéroportuaire engendrée par les détenteurs d’une habilitation de sécurité dont les conjoints sont associés à des personnes ayant des liens avec le crime organisé ou des personnes ayant des antécédents judiciaires graves. Un examen des renseignements au dossier m’a amené à penser, selon la prépondérance des probabilités, que vous pourriez être amenée ou incitée à commettre un acte, ou à aider ou à encourager une personne à commettre un acte qui pourrait illégalement interférer avec l’aviation civile. J’ai examiné la déclaration fournie par votre avocat, mais les renseignements fournis n’ont pas suffi à dissiper mes inquiétudes. Pour ces motifs, au nom du ministre des Transports, j’ai annulé votre habilitation de sécurité. [Non souligné dans l’original.]

[20]      Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision du ministre. La demanderesse a déposé un affidavit à l’appui de cette demande qui contient à la fois des arguments et des éléments de preuve qui n’ont pas été présentés au ministre. Le ministre demande que la majeure partie de l’affidavit soit considérée comme irrecevable.

III.        Questions en litige

[21]      À mon avis, les questions en litige suivantes se posent :

1.         la question de savoir si la totalité ou une partie de l’affidavit de la demanderesse est irrecevable; et

2.         la question de savoir si la décision du ministre de révoquer l’habilitation de sécurité de la demanderesse est raisonnable.

IV.       Admissibilité de l’affidavit de la demanderesse

[22]      Les nouveaux éléments de preuve ne sont généralement pas admissibles dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Bien qu’il y ait un nombre limité d’exceptions, le contrôle judiciaire procède généralement en se fondant sur le dossier dont disposait le décideur, à quelques exceptions près. Comme la Cour d’appel fédérale l’a déclaré dans l’arrêt Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 [aux paragraphes 18 à 20] :

La Cour est saisie en l’espèce d’une demande de contrôle judiciaire de la décision sur le fond qui a ainsi été rendue. Dans le cas d’une telle demande, notre Cour ne dispose que de pouvoirs limités en vertu de la Loi sur les Cours fédérales en ce qui concerne le contrôle de la décision de la Commission du droit d’auteur. Notre Cour ne peut examiner que la légalité générale de ce que la Commission a fait et elle ne peut se pencher sur le bien-fondé de la décision de la Commission ou rendre une nouvelle décision sur le fond.

En raison des rôles bien distincts que jouent respectivement notre Cour et la Commission du droit d’auteur, notre Cour ne saurait se permettre de tirer des conclusions de fait sur le fond. Par conséquent, en principe, le dossier de la preuve qui est soumis à notre Cour lorsqu’elle est saisie d’une demande de contrôle judiciaire se limite au dossier de preuve dont disposait la Commission. En d’autres termes, les éléments de preuve qui n’ont pas été portés à la connaissance de la Commission et qui ont trait au fond de l’affaire soumise à la Commission ne sont pas admissibles dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire présentée à notre Cour. Ainsi que notre Cour l’a déclaré dans l’arrêt Gitxan Treaty Society c. Hospital Employees’ Union, [2000] 1 C.F. 135 aux pages 144 et 145 (C.A.F.), « [l]e but premier du contrôle judiciaire est de contrôler des décisions, et non pas de trancher, par un procès de novo, des questions qui n’ont pas été examinées de façon adéquate sur le plan de la preuve devant le tribunal ou la cour de première instance » (voir également les arrêts Kallies c. Canada, 2001 CAF 376, au paragraphe 3, et Bekker c. Canada, 2004 CAF 186, au paragraphe 11).

Le principe général interdisant à notre Cour d’admettre de nouveaux éléments de preuve dans le cadre d’une instance en contrôle judiciaire souffre quelques exceptions reconnues et la liste des exceptions n’est sans doute pas exhaustive. Ces exceptions ne jouent que dans les situations dans lesquelles l’admission, par notre Cour, d’éléments de preuve n’est pas incompatible avec le rôle différent joué par la juridiction de révision et par le tribunal administratif (nous avons déjà expliqué cette différence de rôle aux paragraphes 17 et 18). En fait, bon nombre de ces exceptions sont susceptibles de faciliter ou de favoriser la tâche de la juridiction de révision sans porter atteinte à la mission qui est confiée au tribunal administratif. Voici trois de ces exceptions :

a)   Parfois, notre Cour admettra en preuve un affidavit qui contient des informations générales qui sont susceptibles d’aider la Cour à comprendre les questions qui se rapportent au contrôle judiciaire (voir, par ex. Succession de Corinne Kelley c. Canada, 2011 CF 1335, aux paragraphes 26 et 27; Armstrong c. Canada (Procureur général), 2005 CF 1013, aux paragraphes 39 et 40; Chopra c. Canada (Conseil du Trésor) (1999), 168 F.T.R. 273, au paragraphe 9). On doit s’assurer que l’affidavit ne va pas plus loin en fournissant des éléments de preuve se rapportant au fond de la question déjà tranchée par le tribunal administratif, au risque de s’immiscer dans le rôle que joue le tribunal administratif en tant que juge des faits et juge du fond. En l’espèce, les demanderesses invoquent cette exception en ce qui concerne la plus grande partie de l’affidavit de M. Juliano.

b)   Parfois les affidavits sont nécessaires pour porter à l’attention de la juridiction de révision des vices de procédure qu’on ne peut déceler dans le dossier de la preuve du tribunal administratif, permettant ainsi à la juridiction de révision de remplir son rôle d’organe chargé de censurer les manquements à l’équité procédurale (voir, par ex. Keeprite Workers’ Independent Union c. Keeprite Products Ltd., (1980) 29 O.R. (2d) 513 (C.A.)). Ainsi, si l’on découvrait qu’une des parties a versé un pot-de-vin au tribunal administratif, on pourrait soumettre à notre Cour des éléments de preuve relatifs à ce pot-de-vin pour appuyer un argument fondé sur l’existence d’un parti pris.

c)   Parfois, un affidavit est admis en preuve dans le cadre d’un contrôle judiciaire pour faire ressortir l’absence totale de preuve dont disposait le tribunal administratif lorsqu’il a tiré une conclusion déterminée (Keeprite, précitée).

[23]      Le défendeur s’oppose à plusieurs parties de l’affidavit, exposant les objections à la preuve. Les objections du ministre sont en italique et mes observations figurent à la suite de chacune de ces objections :

[traduction]

A.        L’affirmation de la demanderesse selon laquelle elle n’a jamais été soupçonnée d’un crime. À mon avis, ce fait aurait pu être inscrit dans la lettre de réponse. S’il a peu de valeur probante, il n’est pas admissible en vertu de l’exception relative aux informations générales.

B.        L’affirmation de la demanderesse selon laquelle l’annulation de son habilitation de sécurité met effectivement fin à sa carrière d’agente de bord. À mon avis, ce fait aurait également pu être inscrit dans la lettre de réponse. De plus, cet élément de preuve n’est pas nécessaire étant donné que la conséquence serait évidente pour le ministre comme pour la Cour.

C.        L’affirmation de la demanderesse selon laquelle elle ne connaissait pas plusieurs des endroits où son époux avait été vu et que, par conséquent, elle n’a pas vraiment eu la possibilité de présenter sa réponse [Kaczor c. Canada (Transports), 2015 CF 698] et a été privée de son droit à l’équité procédurale. Je note que bien souvent, les réponses ont été fournies dans la lettre de réponse à des allégations semblables et que la demanderesse a effectivement fourni une réponse à cette observation de la GRC. Sa préoccupation quant à la spécificité aurait pu être soulevée dans la lettre de réponse et, en outre, la demanderesse n’a pas demandé d’autres précisions malgré l’invitation contenue dans la lettre relative à l’équité procédurale de communiquer avec le personnel de Transports Canada et de discuter de ses préoccupations avec lui.

D.        L’affirmation de la demanderesse selon laquelle certains vêtements et casquettes portant la mention « Nomads » étaient disponibles sur Internet. À mon avis, ce point aurait facilement pu être ajouté à la lettre de réponse, mais, pour une quelconque raison, il ne l’a pas été. Quoi qu’il en soit, la demanderesse a signalé que les vêtements avaient été [traduction] « offerts à son mari par un client ». Si ce cadeau ne provenait pas d’un membre des Hells Angels, il aurait fallu le dire dans la lettre de réponse.

E.        L’affirmation de la demanderesse selon laquelle elle n’avait aucune raison de penser que son mari avait un lien quelconque avec les Hells Angels ou d’autres criminels au-delà de son lien d’affaires avec les clients de l’entreprise GAHD. À mon avis, cet argument aurait facilement pu être ajouté à la lettre de réponse, mais, pour une quelconque raison, il ne l’a pas été.

F.         L’ajout par la demanderesse d’une autre lettre de recommandation, émanant d’un autre agent de la GRC, concernant le professionnalisme et le caractère général du mari. À mon avis, cette lettre aurait pu être ajoutée aux deux lettres de recommandation qu’elle a déposées avec sa réponse et qui allaient dans le même sens.

[24]      En un mot, je trouve donc les objections valables.

[25]      Une bonne partie de l’affidavit contient des plaintes concernant un prétendu défaut d’avis conduisant à un manquement à l’équité procédurale et des erreurs liées aux diverses conclusions énoncées dans la décision. À mon avis, il s’agit là d’arguments relatifs aux erreurs dans la décision du ministre, qui figurent dans le mémoire de la demanderesse.

[26]      Je tiens à ajouter que l’affidavit, même s’il était admis, ne contribuerait guère, voire nullement, à étayer le dossier de la demanderesse. Les seules exceptions possibles sont les paragraphes 74 et 75, qui traitent du fait que le ministre n’a pas demandé d’autres renseignements après avoir reçu la lettre de réponse. En toute déférence, ce n’est pas une question d’équité procédurale valable; c’est à la demanderesse qu’incombe la responsabilité d’établir le bien-fondé de sa demande de renouvellement de son habilitation de sécurité.

[27]      L’affidavit est donc irrecevable et, par conséquent, je ne peux pas en tenir compte.

V.        Dispositions pertinentes

[28]      L’octroi et l’annulation d’une habilitation de sécurité sont régis par la Loi et ses règlements : Henri c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 38 (Henri), autorisation d’appel à la C.S.C. refusée [2016] 2 R.C.S. viii (15 septembre 2016).

[29]      Les dispositions applicables de la Loi et de ses règlements sont énoncées à l’Annexe des présents motifs. En résumé, la Loi confère au ministre le pouvoir, entre autres, d’annuler une habilitation de sécurité aux fins de la Loi. Conformément aux règlements, seuls les détenteurs d’une habilitation de sécurité valide peuvent se voir délivrer une carte d’identité de zone réglementée (CIZR). La CIZR permet d’accéder aux zones réglementées de l’aéroport.

[30]      Il va sans dire que la demanderesse, une agente de bord d’Air Canada, a besoin de la CIZR pour son travail.

[31]      Le pouvoir discrétionnaire ministériel d’accorder ou d’annuler la délivrance d’une CIZR en vertu de l’article 4.8 de la Loi est exercé conformément à la politique. Les articles les plus pertinents de la politique, à savoir l’article I.4 (et en particulier l’alinéa I.4(4)) et l’article I.8, sont énoncés ci-dessous; d’autres articles pertinents sont inclus dans l’Annexe.

Le programme d’habilitation de sécurité en matière de transport aérien (extrait)

Objectif

I.4

L’objectif de ce programme est de prévenir l’entrée non contrôlée dans les zones réglementées d’un aéroport énuméré dans le cas de toute personne :

1.   connue ou soupçonnée d’être mêlée à des activités relatives à une menace ou à des actes de violence commis contre les personnes ou les biens;

2.   connue ou soupçonnée d’être membre d’un organisme connu ou soupçonné d’être relié à des activités de menace ou à des actes de violence commis contre les personnes ou les biens;

3.   soupçonnée d’être étroitement associée à une personne connue ou soupçonnée

-     de participer aux activités mentionnées à l’alinéa (1);

-     d’être membre d’un organisme cité à l’alinéa (2); ou

-     être membre d’un organisme cité à l’alinéa (5).

4.   qui, selon le ministre et les probabilités, est sujette ou peut être incitée à :

-     commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile; ou

-     aider ou à inciter toute autre personne à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile.

[…]

5.   est connu ou soupçonné d’être ou d’avoir été membre d’une organisation criminelle ou d’avoir pris part à des activités d’organisations criminelles, tel que défini aux articles 467.1 et 467.11(1) du Code criminel du Canada;

6.   est membre d’un groupe terroriste, tel que défini à l’alinéa 83.01(1)(a) du Code criminel du Canada.

[…]

L’organisme consultatif

I.8

Un Organisme consultatif sera tenu d’étudier les renseignements des demandeurs et de formuler des recommandations au ministre concernant l’octroi, le refus, l’annulation ou la suspension d’une habilitation.

[…]

Annulation ou refus

II.35

1.   L’Organisme consultatif peut recommander au ministre de refuser ou d’annuler l’habilitation d’une personne s’il est déterminé que la présence de ladite personne dans la zone réglementée d’un aéroport énuméré est contraire aux buts et objectifs du présent programme.

2.   Au moment de faire la détermination citée au sous-alinéa (1), l’Organisme consultatif peut considérer tout facteur pertinent, y compris :

1.   si la personne a été condamnée ou autrement trouvé coupable au Canada ou à l’étranger pour les infractions suivantes :

1.   tout acte criminel sujet à une peine d’emprisonnement de 10 ans ou plus;

2.   le trafic, la possession dans le but d’en faire le trafic, ou l’exportation ou l’importation dans le cadre de la Loi sur les drogues et substances contrôlées;

3.   tout acte criminel cité dans la partie VII du Code criminel intitulée « Maison de désordre, jeux et paris »;

4.   tout acte contrevenant à une disposition de l’article 160 de la Loi sur les douanes;

5.   tout acte stipulé dans la Loi sur les secrets officiels; ou

6.   tout acte stipulé dans la partie III de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

3.   si elle possède une mauvaise réputation en matière de crédit et qu’elle occupe un poste de confiance; ou

4.   qu’il est probable qu’elle participe à des activités directes ou en appui à une menace ou qu’elle se livre à des actes de violence sérieuse contre la propriété ou des personnes. [Non souligné dans l’original.]

VI.       Norme de contrôle

[32]      Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 S.C.R. 190 (Dunsmuir), la Cour suprême du Canada a établi aux paragraphes 57 et 62 qu’il n’est pas nécessaire de se livrer à une analyse du critère de contrôle si « la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier ». Il a été jugé que la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer pour évaluer une décision administrative d’annuler ou de suspendre une habilitation de sécurité aéroportuaire est celle de la décision raisonnable : Clue c. Canada (Procureur général), 2011 CF 323 (Clue), au paragraphe 14; Henri, précité, au paragraphe 16; Mitchell c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 241, au paragraphe 5.

[33]      Au paragraphe 47 de l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada explique ce que doit faire une cour lorsqu’elle effectue une révision selon la norme de la décision raisonnable :

[…] La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

VII.      Jurisprudence relative à l’annulation de ces habilitations de sécurité

[34]      Il est établi que l’Organisme consultatif et le ministre ont des connaissances spécialisées et que les décisions du ministre doivent faire l’objet d’un degré élevé de retenue : Lavoie c. Canada (Procureur général), 2007 CF 435, au paragraphe 17; Fontaine c. Canada (Transports), 2007 CF 1160 (Fontaine). Le ministre est autorisé à favoriser la sécurité publique : Brown c. Canada (Procureur général), 2014 CF 1081, au paragraphe 71; Yee Tam c. Canada (Transports), 2016 CF 105, au paragraphe 16. De plus, l’accès aux zones protégées d’un aéroport au Canada est un privilège et non un droit : Fontaine, précitée, au paragraphe 78; Clue, précitée, au paragraphe 20. Comme cela a déjà été mentionné, il incombe à la demanderesse d’établir qu’elle a droit à une habilitation de sécurité.

[35]      Je suis d’accord avec le récapitulatif que mon collègue le juge LeBlanc a fait récemment de la jurisprudence de la Cour en général, comme l’énonce la décision Sargeant c. Canada (Procureur général), 2016 CF 893 (Sargeant) (aux paragraphes 26 à 30) :

[traduction]

En matière d’habilitation de sécurité, la Cour a affirmé trois principes importants.

Premièrement, l’article 4.8 de la Loi confère au ministre un large pouvoir discrétionnaire d’accorder, de suspendre ou d’annuler une habilitation de sécurité, qui l’autorise à prendre en considération tout facteur qu’il juge pertinent (décision Thep-Outhainthany c. Canada (Procureur général), 2013 CF 59, au paragraphe 19, 425 FTR 247 [Thep-Outhainthany]; décision Brown c. Canada (Procureur général), 2014 CF 1081, au paragraphe 62 [Brown]).

Deuxièmement, puisque la sécurité aérienne est une question de grande importance et que l’accès aux zones réglementées est un privilège, et non un droit, le ministre, dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par l’article 4.8, peut pencher du côté de la sécurité du public, ce qui signifie qu’en évaluant les intérêts de la personne touchée et la sécurité du public, l’intérêt du public a préséance (décision Thep-Outhainthany c. Canada, au paragraphe 17; décision Fontaine c. Canada (Transports), 2007 CF 1160, aux paragraphes 53 et 59, 313 FTR 309 [Fontaine]; décision Clue c. Canada (Procureur général), 2011 CF 323, au paragraphe 14). Décision Rivet c. Canada (Procureur général), 2007 CF 1175, au paragraphe 15, 325 FTR 178.

Troisièmement, dans de telles affaires, l’accent est mis sur la propension des employés des aéroports à s’engager dans des activités susceptibles d’avoir une incidence sur la sécurité aérienne, ce qui exige une perspective large et tournée vers l’avenir. En d’autres termes, la politique « n’exige pas que le ministre croie selon la prépondérance des probabilités qu’un individu “commettra” un acte qui “constituera” un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile ou qu’il “aidera ou incitera” toute autre personne à commettre un acte qui “constituerait” une intervention illicite pour l’aviation civile, mais seulement qu’il soit “sujet” à le faire » (décision MacDonnell c. Canada (Procureur général), 2013 CF 719, au paragraphe 29, 435 FTR 202 [MacDonnell]; décision Brown, au paragraphe 70). Par conséquent, le refus ou l’annulation d’une habilitation de sécurité « ne requiert qu’une conviction raisonnable, selon la prépondérance des probabilités, qu’une personne est sujette ou susceptible de commettre un acte qui peut être préjudiciable pour l’aviation civile » (décision Thep-Outhainthany, précitée, au paragraphe 20). Toute conduite susceptible de mettre en doute le jugement, la fiabilité et l’honnêteté d’une personne constitue par conséquent un motif suffisant pour refuser ou annuler une habilitation de sécurité (décision Brown, au paragraphe 78; décision Mitchell c. Canada (Procureur général), 2015 CF 1117, aux paragraphes 35 et 38 [Mitchell]).

VIII.     Commentaires et analyse

[36]      La présente décision doit être annulée parce qu’elle n’est pas raisonnable. Elle est déraisonnable pour plusieurs motifs considérés dans leur ensemble.

La conclusion selon laquelle la demanderesse « peut être sujette ou susceptible d’être incitée à »

Discussion relative aux termes « être sujet à » et « être incité à »

[37]      Pour amorcer cette discussion, il est nécessaire d’examiner le sens des termes « être sujet à » et « être incité à ». Le ministre a annulé l’habilitation de sécurité de la demanderesse en déclarant ce qui suit :

[traduction] Un examen des renseignements au dossier m’a amené à penser, selon la prépondérance des probabilités, que vous pourriez être amenée ou incitée à commettre un acte, ou à aider ou à encourager une personne à commettre un acte qui pourrait illégalement interférer avec l’aviation civile. [Non souligné dans l’original.]

[38]      En rendant cette conclusion, le ministre a répété mot pour mot la formulation de l’alinéa I.4(4) de la politique qui se lit comme suit :

Objectif

1.4

L’objectif de ce programme est de prévenir l’entrée non contrôlée dans les zones réglementées d’un aéroport énuméré de toute personne :

[…]

4.   qui selon le ministre et les probabilités, est sujette ou peut être incitée à :

•     commettre un acte d’intervention illicite visant l’aviation civile; ou

•     aider ou inciter toute autre personne à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile. [Non souligné dans l’original.]

[39]      Les mots soulignés à l’alinéa I.4(4) de la politique sont rédigés de façon disjonctive; on peut être « [sujet] » à commettre certains actes illicites, ou on peut être « [incité] » à commettre un acte illicite, voire les deux.

[40]      Par conséquent, comme je l’interprète, le libellé de la politique décrit trois conclusions différentes auxquelles le ministre peut parvenir. Tout d’abord, on peut conclure qu’un individu peut être sujet à commettre un acte illicite, ou à aider ou à encourager une personne à commettre un acte illicite. Ensuite, on peut conclure qu’un individu est susceptible d’être incité à commettre un acte illicite, ou à aider ou à encourager une personne à commettre un acte illicite. Enfin, on peut conclure qu’un individu peut être sujet et susceptible d’être incité à commettre un acte illicite, ou à aider ou à encourager une personne à commettre un acte illicite.

[41]      Ces trois conclusions subsidiaires sont distinctes. Une quatrième option pour le ministre, bien sûr, consisterait à renouveler la licence, mais comme il ne l’a pas fait, je n’irai pas plus loin dans l’examen de cette option.

[42]      Par conséquent, pour annuler une habilitation de sécurité, le ministre, en agissant raisonnablement, c’est-à-dire d’une manière qui est défendable conformément à la loi selon l’arrêt Dunsmuir, est tenu de trancher cette affaire en s’appuyant sur l’un de ces trois fondements possibles.

[43]      Il est important d’établir le sens des expressions « être sujet à » et « être incité à ». La première étape de cette analyse consiste à établir si les expressions « être sujet à » et « être incité à » ont la même signification. À mon avis, ce n’est pas le cas.

[44]      En ce qui concerne les premiers principes interprétatifs, je ne peux pas conclure que les expressions « être sujet à » et « être incité à » ont la même signification; le faire serait contraire à la présomption d’uniformité des expressions. Comme l’a déclaré la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559 [au paragraphe 81] :

Premièrement, selon la présomption d’uniformité d’expression, lorsque des termes différents sont employés dans un même texte législatif, il faut considérer qu’ils ont un sens différent. Il faut tenir pour acquis que le législateur a délibérément choisi des termes différents dans le but d’indiquer un sens différent. [Non souligné dans l’original.]

[45]      Voir la décision Saporsantos Leobrera c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 587, [2011] 4 R.C.F. 290 [au paragraphe 51] :

b)   La présomption d’uniformité des expressions

[…]

Quoiqu’il ait déjà été établi que le terme « enfant à charge » ne s’applique pas à la LIPR, la Cour conclut également qu’il est contraire à la présomption d’uniformité des expressions d’utiliser le terme « enfant à charge » pour interpréter le terme « enfant ». Dans Sullivan on the Construction of Statutes (5e édition, Markham, Ont. : LexisNexis, 2008), Ruth Sullivan donne l’explication suivante de cette présomption (aux pages 214 et 215) :

[traduction] On présume que le législateur rédige les lois avec soin et d’une manière cohérente, de sorte que dans une loi ou un autre texte législatif, les mêmes termes ont le même sens et les mots différents ont un autre sens. Une autre manière de comprendre cette présomption est de dire que le législateur est présumé éviter les variations stylistiques. Lorsqu’une expression particulière a été adoptée, […] il convient d’inférer que, lorsqu’une forme différente est employée, un sens différent est voulu.

[Non souligné dans l’original.]

[46]      La distinction entre celui qui peut être sujet à commettre des actes illicites et celui qui peut être incité à commettre des actes illicites est également étayée par les définitions divergentes des dictionnaires :

[traduction]

Être sujet à (« prone »)

•           Être enclin à faire quelque chose : Collins Dictionary, 2016, sous l’entrée « prone » <http://www.collinsdictionary.com/dictionary/english/prone_1>;

•           Être susceptible de faire, d’avoir ou de subir quelque chose : Merriam–Webster Online Dictionary, 2015, sous l’entrée « prone » <http://www.merriam-webster.com/dictionary/prone>;

•           (sujet à/enclin à faire quelque chose) Être susceptible de subir, de faire ou d’éprouver quelque chose de déplaisant ou de regrettable : Oxford Dictionaries, 2016, sous l’entrée « prone » <http://www.oxforddictionaries.com/definition/english/prone>.

Être incité à (« induced »)

•           (verbe transitif) 1. (souvent suivi d’un infinitif) persuader quelqu’un ou user de son influence sur quelqu’un; 2. causer ou provoquer : Collins Dictionary, 2016, sous l’entrée « induce » <http://www.collinsdictionary.com/dictionary/english/induce>;

•           (définition simple) 1. amener quelqu’un à faire quelque chose ou occasionner quelque chose; 2. faire en sorte que quelque chose se produise ou existe; (définition complète, verbe transitif) 1(a). user de persuasion ou d’influence; 1(b). susciter ou provoquer par l’influence ou la stimulation; 2(a). provoquer, causer; 2(b). provoquer la formation de; 3. établir par induction; notamment : faire des déductions à partir de certains éléments : Merriam–Webster Online Dictionary, 2015, sous l’entrée « induce » <http://www.merriam-webster.com/dictionary/induce>;

•           (verbe avec complément d’objet) 1. réussir à persuader ou à mener (quelqu’un) à faire quelque chose; 2. provoquer quelque chose ou donner lieu à : Oxford Dictionaries, 2016, sous l’entrée « induce » <https://en.oxforddictionaries.com/definition/induce>.

[47]      À mon avis, les préférences personnelles d’une personne, son comportement probable et ses caractéristiques individuelles sont les principaux éléments qui permettent d’analyser de façon appropriée la question de savoir si cette personne est sujette à commettre des actes illicites. Cependant, pour établir si une personne peut être incitée à commettre des actes illicites, il faut évaluer d’autres facteurs que les inclinations personnelles et son comportement probable. La question de savoir si une personne peut être incitée à faire quelque chose implique généralement la prise en considération d’un tiers, c’est-à-dire d’une autre personne qui entraîne la première à adopter une conduite fautive. Par conséquent, les affiliations d’une personne, ainsi que d’autres facteurs, y compris ses penchants personnels et sa conduite probable, sont pertinentes pour déterminer si cette personne peut être incitée à commettre des actes illicites. En bref, la question de savoir si une personne peut être sujette à faire quelque chose se concentre sur la personne qui fait une demande d’habilitation de sécurité, tandis que la question de savoir si une personne peut être incitée à faire quelque chose se concentre sur la personne et sur l’influence qu’exerce un tiers sur cette personne. Ces deux questions sont différentes sur le plan qualitatif.

[48]      Cette interprétation de la politique est conforme à la décision Sargeant en dépit du fait que la distinction entre « être sujet à » et « être incité à » n’était pas en cause dans cette affaire. Dans la décision Sargeant, le problème qui se posait pour le demandeur était sa participation personnelle dans la contrebande d’une grande quantité de marijuana et de monnaie américaine vers les États-Unis. Dans la décision Sargeant, le demandeur avait été arrêté, avec une autre personne, en possession de 26 livres de marihuana et de 353 430 $ en devises américaines. Dans la décision Sargeant, le demandeur avait déclaré qu’il savait qu’il faisait la contrebande de marihuana et qu’il devait recevoir d’une personne la somme de 200 $ pour ce travail. Durant l’interrogatoire, l’autre individu avait aussi admis faire la contrebande de marihuana et de devises et avait indiqué avoir embauché le demandeur pour 200 $ afin de l’aider avec ces activités de contrebande.

[49]      Dans la décision Sargeant, le ministre était parvenu à la même conclusion disjonctive que celle qui a été faite en l’espèce. Toutefois, contrairement à l’affaire qui nous occupe, non seulement le ministre, dans la décision Sargeant, avait des motifs de croire que le demandeur pouvait être personnellement sujet à se livrer à une activité illicite (il avait avoué avoir déjà agi illégalement), mais encore il avait conclu que le demandeur pouvait être incité à se livrer à une activité illicite (comme il l’avait effectivement déjà été). Par conséquent, la conclusion du ministre était raisonnable.

Aucune preuve que la demanderesse peut être sujette à se livrer à des activités illicites

[50]      À mon avis, l’analyse appropriée de la question de savoir si la demanderesse « peut être sujette » à se livrer à de telles activités consiste à se demander si la demanderesse a tendance à commettre ou est susceptible de commettre les actes illicites que la politique vise à empêcher. La conclusion du ministre selon laquelle la demanderesse « peut être sujette » à commettre de tels actes n’est pas étayée par les faits. Elle ne peut pas se justifier au regard des faits étant donné qu’il n’y a aucune preuve à l’appui de cette conclusion.

[51]      Contrairement à la conclusion du ministre, non seulement il n’y a pas de preuve à l’appui de la conclusion selon laquelle la demanderesse est sujette à commettre de tels actes illicites, mais encore la preuve indique le contraire : la demanderesse n’est pas encline à commettre de tels actes. Le dossier de la demanderesse, qui a travaillé à Air Canada pendant de nombreuses années — au moins une décennie — comme agente de bord, est impeccable. Elle n’a pas de casier judiciaire. À mon avis, il n’y a aucune preuve de faiblesse de sa part ou d’inclinaison ou de propension à se livrer à une activité illégale visée par la politique, ou encore, à aider ou à encourager une personne à se livrer à une telle activité.

[52]      Le ministre ne pouvait pas raisonnablement conclure dans ce dossier que la demanderesse était sujette à se livrer à de telles activités ou à aider ou à inciter toute autre personne à commettre de telles activités. Cela étant, une telle conclusion est déraisonnable selon l’arrêt Dunsmuir.

Le ministre a agi de façon déraisonnable en rendant une conclusion dichotomique

[53]      La politique est rédigée sous une forme disjonctive à l’alinéa I.4(4). À mon humble avis, pour annuler une habilitation de sécurité, un ministre agissant de façon raisonnable ne peut aboutir qu’à une des trois conclusions possibles. Comme il a été dit précédemment, ces trois conclusions possibles sont les suivantes : 1) la demanderesse est sujette à se livrer à des activités illicites ou à aider ou à inciter une autre personne à se livrer à de telles activités; 2) la demanderesse peut être incitée à se livrer à des activités illicites ou à aider ou à inciter une autre personne à se livrer à de telles activités; ou 3) la demanderesse peut être sujette et incitée à se livrer à des activités illicites ou à aider ou à inciter une autre personne à se livrer à de telles activités. De toute évidence, une conclusion tirée en vertu de l’un ou l’autre des volets ou des deux volets de l’alinéa I.4(4) fournirait un fondement raisonnable au ministre pour annuler une habilitation de sécurité.

[54]      Ce que le ministre ne peut pas raisonnablement faire est de conclure de façon disjonctive, comme il l’a fait en l’espèce, que la demanderesse peut être sujette ou incitée à se livrer à des activités illicites sans établir le fondement de sa décision d’annuler l’habilitation de sécurité.

[55]      En l’espèce, le ministre n’a pas tranché entre « être sujette à » et « être incitée à ». De plus, le ministre n’a pas conclu que la demanderesse pouvait être à la fois sujette et incitée à commettre des actes illicites. À mon humble avis, en omettant de se prononcer sur l’une des trois possibilités d’annulation permises par la politique à cet égard, le ministre a manqué à son devoir de se prononcer conformément à la loi. Le ministre n’avait pas le pouvoir d’annuler l’habilitation de la demanderesse sans décider du motif de cette annulation.

[56]      Essentiellement, la conclusion disjonctive du ministre tient de l’ambigüité et ne constitue pas une décision. Il n’a fourni aucun motif pour justifier cette conclusion équivoque. À mon humble avis, le ministre ne pouvait pas se contenter de tirer des conclusions équivoques « peut-être ceci ou peut-être cela » comme il l’a fait.

[57]      L’incompréhension entourant la conclusion équivoque du ministre peut être démontrée de la façon suivante. Examinons l’article I.4 de la politique, qui comprend six paragraphes, chacun définissant une catégorie différente de personnes dont les certificats de sécurité peuvent être annulés. Le ministre ne pouvait plus annuler un certificat de sécurité en se fondant sur une conclusion selon laquelle [traduction] « cette personne relève soit de la catégorie 1, soit de la catégorie 2, soit de la catégorie 3, soit des catégories 4, 5 ou 6 » sans choisir l’une de ces catégories, pas plus qu’il ne pouvait annuler un certificat en s’appuyant sur la conclusion que la demanderesse relevait de l’une ou l’autre des trois catégories possibles visées à l’alinéa I.4(4) sans définir le fondement de la décision.

[58]      De plus, la conclusion selon laquelle la demanderesse peut être sujette ou, subsidiairement, être incitée à commettre de tels actes illicites est également inacceptable et déraisonnable, car ni la demanderesse ni la Cour ne sont en mesure de déterminer laquelle des trois conclusions subsidiaires a servi de fondement à la décision du ministre d’annuler l’habilitation de sécurité de la demanderesse. Cela place la demanderesse et la Cour de révision dans une position presque impossible, voire complètement impossible, de tenter de déterminer ce qui fait l’objet d’un contrôle judiciaire : le contrôle est-il fondé sur le premier motif, sur le second motif ou sur les deux? La demanderesse devrait-elle aborder les trois possibilités, seulement deux ou l’une d’entre elles et, dans ce dernier cas, laquelle devrait-elle choisir? Ce manque de clarté m’amène à conclure que le ministre doit agir avec plus de précision, compte tenu notamment des conséquences potentielles pour un demandeur, à savoir la fin de très nombreuses et loyales années de service.

[59]      Si la décision était fondée sur une conclusion selon laquelle la demanderesse pouvait être sujette à commettre des actes illicites, alors la décision doit être annulée puisqu’elle a été prise en l’absence de preuve, comme je l’ai déjà expliqué. De même, la décision ne pouvait pas raisonnablement être fondée sur une conclusion selon laquelle la demanderesse pouvait être à la fois sujette et incitée à commettre des actes illicites étant donné que la conclusion selon laquelle la demanderesse pouvait être sujette à commettre des actes illicites n’était pas étayée par la preuve. Toutefois, même si la décision était fondée sur une conclusion selon laquelle la demanderesse pouvait être incitée à commettre des actes illicites, cela soulèverait d’autres questions; alors que le ministre aurait pu agir raisonnablement si la conclusion avait été que la demanderesse « aurait pu être incitée » à commettre des actes illicites, le problème est qu’aucune conclusion de ce genre n’a été tirée.

[60]      Par conséquent, à mon avis, la conclusion du ministre était déraisonnable.

Manque d’intelligibilité et de transparence

[61]      De plus, je ne suis pas convaincu que le ministre a évalué et dûment pris en considération les observations de la demanderesse pour parvenir à une conclusion en l’espèce. Par conséquent, même si le ministre pouvait prendre des décisions en s’appuyant sur un fondement dichotomique et sans véritablement décider d’une façon ou d’une autre (ce que je n’accepte pas), j’accorderais quand même le contrôle judiciaire.

[62]      Le défaut d’examiner dûment les observations des parties est une question qui se rapporte au caractère raisonnable de la décision : Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708 (Newfoundland Nurses); Ho c. Canada (Procureur général), 2013 CF 865 (Ho); Doan c. Canada (Procureur général), 2016 CF 138. Dans la décision Ho, voici ce que déclare mon collègue le juge Harrington au paragraphe 28 : « L’arrêt Dunsmuir, précité, nous enseigne qu’une décision raisonnable est une décision transparente. La simple affirmation que les explications de M. Ho ne renfermaient pas suffisamment d’information pour dissiper les préoccupations est insuffisante et opaque. L’arrêt Newfoundland Nurses mentionne qu’une décision peut être justifiée au moyen d’une analyse du dossier. Toutefois, dans la présente affaire rien ne nous permet de conclure que les explications de M. Ho aient en fait été examinées. Dans de telles circonstances, il n’incombe pas à la Cour de substituer son avis à celui précédemment rendu. Il faut renvoyer l’affaire en vue d’un nouvel examen ». Cela dit, un manquement relativement à cet aspect du devoir d’un décideur fait également intervenir l’équité procédurale de la décision : O’Grady c. Bell Canada, 2015 CF 1135; Brosnan c. Banque de Montréal, 2015 CF 925 (Brosnan). En l’espèce, cela n’a pas d’importance, car les deux orientations conduisent à un contrôle judiciaire.

[63]      Les motifs sont suffisants s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de décider si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables mentionnées dans l’arrêt Dunsmuir : Newfoundland Nurses, précité, au paragraphe 16.

[64]      En l’espèce, les éléments importants de la décision sont tirés presque mot pour mot du résumé de la discussion et de la recommandation de l’Organisme consultatif. Je conviens que le ministre peut adopter les conclusions de cet organisme spécialisé. Toutefois, le ministre doit entendre et examiner à la fois le dossier de la demanderesse et celui de l’Organisme consultatif. Les décideurs administratifs ont l’obligation essentielle d’entendre les deux parties.

[65]      Il est établi que le décideur n’est pas tenu d’évaluer séparément ou spécifiquement toutes les questions soulevées par un demandeur : Newfoundland Nurses, au paragraphe 16; Construction Labour Relations c. Driver Iron Inc., 2012 CSC 65, [2012] 3 R.C.S. 405 [Driver Iron], au paragraphe 3. Le problème qui se pose en l’espèce est que le ministre n’a pas suffisamment entendu et examiné les observations de la demanderesse. La meilleure façon de procéder est de tenir compte de ce qui a été dit par le ministre, par l’Organisme consultatif et par la demanderesse.

[66]      Le ministre a donné avis de huit observations rapportées par la GRC dans la lettre relative à l’équité procédurale. La demanderesse a répondu à chacune des observations avec des degrés de détail différents; ces réponses peuvent être consultées dans l’extrait fourni au paragraphe 13 ci-dessus. Bien que les huit observations de la GRC soient attentivement et spécifiquement traitées dans la décision, la seule référence au contenu de la réponse de la demanderesse est la suivante :

[traduction] Je constate que votre mari travaille en tant que directeur au sein de l’entreprise Gasoline Alley Harley Davidson et que des membres des Hells Angels figurent au nombre de ses clients.

[67]      Je ne suis pas convaincu que le ministre a examiné les arguments de la demanderesse. Ce manque de considération est évident à la lumière de l’absence presque totale de mention des arguments de la demanderesse dans les motifs du ministre :

•           il n’y a aucune mention du refus catégorique et incontesté de la demanderesse de l’appartenance actuelle ou antérieure du mari aux Hells Angels;

•           il n’y a aucune mention du classement de l’entreprise GAHD comme étant le premier concessionnaire de Harley Davidson au pays;

•           il n’y a aucune référence au fait que le mari de la demanderesse est le directeur du service d’entretien et de réparation numéro un au Canada, ce qui témoigne de l’importance de son travail;

•           il n’y a aucune référence aux divers clients avec lesquels le mari de la demanderesse interagit, y compris non seulement la police locale, mais aussi la GRC; le ministre se réfère seulement au fait que les clients du mari de la demanderesse font partie des Hells Angels;

•           l’argument selon lequel c’est en tant qu’agent de l’entreprise GAHD que le mari de la demanderesse interagit avec les Hells Angels n’est pas mentionné par le ministre, bien que l’Organisme consultatif l’ait mentionné dans ses documents.

[68]      Cette omission presque totale des arguments de la demanderesse dans les motifs du ministre donne lieu à des questions de transparence et d’intelligibilité et soulève des préoccupations quant à l’équité procédurale.

[69]      Je suis également préoccupé par le fait que le ministre n’a pas mentionné l’une ou l’autre des deux lettres de recommandation concernant son mari, qui sont résumées ci-dessus aux paragraphes 14 et 15 des présents motifs. Je répète qu’il n’est pas nécessaire de prendre en considération chaque élément de preuve. Cependant, à mon avis, ces lettres sont importantes. Malgré leur importance, le ministre ne les évoque pas du tout.

[70]      En substance, les documents du ministre et de l’Organisme consultatif témoignent d’une connaissance insuffisante ou d’une appréciation insuffisante des arguments de la demanderesse, à savoir que son mari entretenait une relation commerciale importante avec des clients membres des Hells Angels en tant qu’agent au service de son employeur, GAHD, en sa qualité d’agent du premier service d’entretien et de réparation au Canada pour le plus grand concessionnaire Harley Davidson du pays et qu’en effet, son concessionnaire fournissait également des motos Harley Davidson à la GRC et au Service des shérifs de l’Alberta. Au lieu de cela, le ministre (en plus d’un libellé relativement standard[1]) s’est contenté de dire ce qui suit :

[traduction] Je constate que votre mari travaille en tant que directeur au sein de l’entreprise Gasoline Alley Harley Davidson et que des membres des Hells Angels figurent au nombre de ses clients.

[71]      À mon avis, ce résumé de la réponse de la demanderesse est inadéquat et est également inexact. L’insinuation du ministre selon laquelle les Hells Angels sont les seuls clients desservis par l’entreprise GAHD suggère que les explications et les observations de fond avancées n’ont pas été abordées, des observations qui sont au « cœur de la plainte faisant l’objet de l’examen » selon la décision Brosnan, précitée, au paragraphe 28.

[72]      À mon humble avis, les motifs du ministre sont indûment unilatéraux et ils ne permettent pas de cerner ou d’aborder la relation essentielle que la demanderesse a avancée. En ce sens, la décision en l’espèce est analogue à celle de Ho, où la Cour a conclu que la décision du ministre ne respectait pas la norme de transparence décrite par l’arrêt Dunsmuir, ce qui exige un contrôle judiciaire.

[73]      La Cour se rend compte qu’elle a le devoir de réexaminer la décision dans le contexte du dossier et que, dans certains cas, la Cour peut fournir des éléments qui ne sont pas explicites dans la décision : Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34, [2013] 2 R.C.S. 458, au paragraphe 54 (« Il faudrait considérer la sentence arbitrale comme un tout et s’abstenir de faire une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur »); Driver Iron, précité, au paragraphe 3 (« La Commission n’était pas tenue de traiter expressément de toutes les interprétations possibles de ces dispositions »).

[74]      Ce n’est que dans le cas où le ministre aurait conclu que les affaires du mari de la demanderesse avec les Hells Angels constituaient une telle menace pour l’emploi de la demanderesse que cette dernière se serait retrouvée dans la catégorie « peut être incitée à » que la décision d’annuler l’habilitation compte tenu des faits en l’espèce aurait été raisonnablement étayée. Je souligne que cette option ne peut se produire que si, contrairement à ce que je viens de conclure, une conclusion dichotomique et disjonctive est raisonnablement permise. La Cour est confrontée à trois difficultés en permettant à la décision de reposer sur ce fondement. Premièrement, ce n’est pas ce que le ministre a décidé. Dans sa décision, le ministre n’a pas conclu que la demanderesse pouvait être incitée à commettre des actes illicites. Le ministre a plutôt tiré une conclusion dichotomique et disjonctive selon laquelle la demanderesse peut être à sujette ou incitée à commettre des actes illicites. Ensuite, une conclusion disjonctive est en soi déraisonnable pour les motifs exposés ci-dessus. Enfin, pour parvenir au résultat que la demanderesse peut être incitée par son mari à commettre des actes illicites, le ministre a nécessairement rejeté chacune des huit réponses ainsi que les deux lettres de recommandation fournies. Bien que je puisse, dans certains cas, fournir des motifs et « faire le lien », il me faudrait rédiger des motifs pour expliquer pourquoi le ministre a rejeté pratiquement toutes les réponses de la demanderesse alors que je ne connais que le résultat final. Je ne suis pas en mesure de rédiger les motifs pour lesquels le ministre n’a pas expliqué cette conclusion.

[75]      J’ajouterais qu’il n’y avait pas d’argument selon lequel les droits garantis à la demanderesse par la Charte [Charte canadienne des droits et libertés] ont été violés par la politique, bien que, dans les plaidoiries, il ait été fait mention de la décision Neale c. Canada (Procureur général), 2016 CF 655, et du Renvoi relatif au Règlement sur la sûreté du transport maritime, 2009 CAF 234.

IX.       Conclusion

[76]      Je conclus que la décision ne satisfait pas au critère de la décision raisonnable établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir. La décision est déraisonnable parce qu’elle ne fait pas partie des issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. La décision doit donc être annulée et faire l’objet d’un nouvel examen.

X.        Dépens

[77]      Les dépens doivent suivre l’issue de la cause et, par conséquent, la demanderesse a droit aux dépens relatifs à la présente demande. Les parties disposent d’un délai de 15 jours pour présenter des observations sur un montant forfaitaire adéquat pour les dépens si elles ne parviennent pas à s’entendre.

JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.         La décision du ministre datée du 13 octobre 2015 est annulée.

3.         La demande de la demanderesse est renvoyée à un différent décideur pour révision.

4.         La demanderesse a droit à ses dépens.

5.         Les parties disposent d’un délai de 15 jours pour présenter des observations sur un montant forfaitaire adéquat pour les dépens si elles ne parviennent pas à s’entendre.

ANNEXE

Loi sur l’aéronautique — articles pertinents

Attributions du ministre

Mission

4.2 (1) Le ministre est chargé du développement et de la réglementation de l’aéronautique, ainsi que du contrôle de tous les secteurs liés à ce domaine. À ce titre, il peut :

[…]

n) sous réserve du paragraphe (2), procéder à des enquêtes sur tout aspect intéressant la sécurité aéronautique;

o) entreprendre, à son initiative ou sur les instructions du gouverneur en conseil, toute autre activité liée à l’aéronautique.

[…]

Habilitations de sécurité

Délivrance, refus, etc.

4.8 Le ministre peut, pour l’application de la présente loi, accorder, refuser, suspendre ou annuler une habilitation de sécurité.

Règlement canadien de 2012 sur la sûreté aérienne — articles pertinents

Délivrance des cartes d’identité de zone réglementée

Critères de délivrance

146 (1) Il est interdit à l’exploitant d’un aérodrome de délivrer une carte d’identité de zone réglementée à une personne à moins qu’elle ne réponde aux conditions suivantes :

a) elle présente une demande par écrit;

b) elle est parrainée par écrit par son employeur;

c) elle possède une habilitation de sécurité;

d) elle consent par écrit à la collecte, à l’utilisation, à la conservation, à la communication et à la destruction des renseignements pour l’application de la présente section;

e) elle confirme l’exactitude des renseignements qui figurent sur la carte.

La politique sur le Programme d’habilitation de sécurité en matière de transport — articles pertinents

Refus/Annulation/Suspension

I.5

Toute personne à qui l’on refuse une habilitation ou dont ladite habilitation est suspendue ou annulée, sera avisée par écrit :

1.   du refus, de l’annulation ou de la suspension; et

2.   de la raison ou des raisons justifiant le refus, l’annulation ou la suspension à moins que les renseignements ne soient exemptés en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels; et

3.   du droit à un redressement.

[…]

Annulation de l’habilitation

II.23

1.   Le Superviseur du Bureau de contrôle des laissez-passer avisera par écrit le Directeur, programmes de filtrage de sécurité à l’effet qu’un détenteur n’a plus besoin de son habilitation.

2.   Une habilitation sera annulée sur réception d’un avis à cette fin, conformément au sous-alinéa (1).

[…]

Demandes Ultérieures

II.36

Si le Ministre refuse ou révoque une autorisation, le demandeur peut soumettre une nouvelle demande seulement si :

(a)  une période de cinq (5) années s’est écoutée suivant la date du refus ou de l’annulation; ou

(b)  un changement à eu lieu dans les circonstances qui ont menées au refus ou à l’annulation.

[…]

Avis d’un refus ou d’une annulation

II.41

1.   Lorsque le ministre refuse ou annule une habilitation, un avis sera donné à cet effet au candidat et au gestionnaire de la sécurité aéroportuaire.

2.   L’avis du refus ou de l’annulation de l’habilitation contiendra une référence au processus de redressement décrit à l’article II.45 et sera adressé par courrier recommandé à la dernière adresse connue du candidat.

[…]

Redressement

II.45

Lorsqu’une habilitation est révoquée ou qu’une demande d’habilitation est refusée une demande d’examen peut être adressée à la Cour fédérale du Canada, Division de première instance, dans les trente (30) jours suivant la réception de l’avis de révocation ou de refus en supposant que la personne visée ne soit pas décrite dans l’alinéa (a).



[1] La « phrase standard » en question est la suivante : [traduction] « J’ai examiné la déclaration fournie par votre avocat, mais les renseignements fournis n’ont pas suffi à dissiper mes inquiétudes. »

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