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A-18-04

2004 CAF 145

Ernst Zundel (appelant)

c.

Sa Majesté la Reine (intimée)

Répertorié: Zundel c. Canada (C.A.F.)

Cour d'appel fédérale, les juges Strayer, Sexton et Evans J.C.A.--Toronto, 28 janvier; Ottawa, 1er avril 2004.

Citoyenneté et Immigration -- Pratique en matière d'immigration -- Requête visant à obtenir l'annulation de l'appel formé contre la décision d'un juge désigné concernant les éléments de preuve à divulguer conformément à l'art. 78h) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés -- Le solliciteur général et le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration avaient délivré un certificat attestant que l'appelant était interdit de territoire au Canada pour raison de sécurité -- Le juge désigné a commencé l'examen du caractère raisonnable du certificat de sécurité conformément à l'art. 80(1) de la LIPR -- Rejet de la demande de l'appelant en vue d'obtenir la divulgation d'autres renseignements aux termes de l'art. 78h) de la LIPR qui traite de la divulgation d'éléments de preuve -- La décision concernant la divulgation de preuve est reliée à la décision prise par le juge aux termes de l'art. 80(1) de la LIPR -- L'art. 80(3) de la LIPR énonce que cette décision n'est pas susceptible d'appel -- Conclusion confortée par le raisonnement de la Cour suprême du Canada dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Tobiass -- Le mécanisme d'examen des certificats de sécurité a pour but de concilier les garanties procédurales accordées aux résidents permanents et aux étrangers avec la sécurité nationale et celle des personnes -- Requête accordée.

Interprétation des lois -- Existe-t-il un droit d'appel à l'égard de la décision prise par un juge désigné aux termes de l'art. 78h) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (LIPR) en matière de divulgation d'éléments de preuve? -- Le libellé de l'art. 78 de la LIPR indique que la décision au sujet des renseignements à divulguer fait partie intégrante de la décision du juge au sujet du caractère raisonnable du certificat de sécurité aux termes de l'art. 80(1) de la LIPR et par conséquent, de l'art. 80(3) de la LIPR interdit également tout appel de cette décision -- Interprétation conforme à l'objet de la LIPR qui consiste à accélérer le traitement des affaires d'immigration et de réduire le délai pour décider si une personne est admissible ou non à demeurer au Canada -- Le législateur entendait donner à l'instance relative au caractère raisonnable des certificats de sécurité un caractère définitif -- Le législateur n'avait pas l'intention que les renseignements concernant la sécurité nationale soient communiqués à d'autres personnes qu'au juge désigné -- Autoriser l'appel de ces décisions irait à l'encontre de l'intention du législateur.

Pratique -- Suspension d'instance -- Requête en vue de suspendre l'examen du certificat de sécurité délivré aux termes de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (LIPR) en attendant l'appel de la décision du juge désigné concernant la divulgation d'éléments de preuve rejetée, l'appel ayant été annulé -- Requête en vue d'obtenir la suspension de l'examen du certificat en attendant l'issue de l'appel interjeté devant la Cour d'appel de l'Ontario concernant la constitutionnalité de certaines dispositions de la LIPR -- L'appelant a eu l'occasion de soulever la constitutionnalité de ces dispositions devant le juge désigné mais s'est désisté sur ce point -- Il ne serait pas approprié que la Cour accorde la suspension -- Le critère applicable est le critère à trois volets énoncé dans RJR --MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général) -- L'appelant n'a pas démontré selon la prépondérance des probabilités que la Cour d'appel de l'Ontario se prononcera sur la constitutionnalité des dispositions -- Aucune question séeiruse à juger -- Requête rejetée.

Il s'agit de requêtes découlant d'une audience portant sur le caractère raisonnable d'un certificat de sécurité visant l'appelant, délivré conformément au paragraphe 77(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (LIPR) et déclarant que l'appelant était interdit de territoire au Canada pour raison de sécurité. Le juge désigné a commencé l'examen du caractère raisonnable du certificat de sécurité conformément au paragraphe 80(1) de la LIPR. L'article 78 de la LIPR énonce que le juge désigné doit fournir à la personne en cause un résumé des éléments sur lesquels est fondé le certificat pour que cette personne soit raisonnablement informée des circonstances à l'origine du certificat. Parallèlement, le juge désigné doit également préserver le caractère confidentiel de ces éléments et ne pas divulguer des éléments de preuve qui porteraient atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui. Le paragraphe 80(3) énonce que la décision du juge n'est pas susceptible d'appel ou de contrôle judiciaire. Au cours de l'examen du caractère raisonnable du certificat, l'appelant a demandé la divulgation de renseignements supplémentaires sur lesquels le certificat était fondé. Le juge désigné a rejeté cette demande, en concluant que la divulgation des renseignements demandés serait préjudiciable à la sécurité nationale et ne fournirait pas nécessairement des renseignements pertinents à l'appelant. L'appelant a interjeté appel de cette décision. Dans la première des deux requêtes présentées à la Cour, le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration et le solliciteur général du Canada, qui ont été substitué en qualité d'intimées avec le consentement des parties, soutenaient qu'il y avait lieu d'annuler l'appel pour le motif que la Cour n'a pas le pouvoir d'entendre un tel appel. Dans la seconde requête, l'appelant soutenait qu'il y avait lieu de suspendre l'examen du caractère raisonnable du certificat de sécurité qu'effectuait le juge désigné en attendant l'issue de son appel.

Arrêt: Il conviendrait de faire droit à la requête en annulation de l'appel de l'appelant; la requête en suspension de l'examen du certificat en attendant l'issue de l'appel interjeté devant la Cour d'appel de l'Ontario doit être rejetée.

Le libellé de l'article 78 de la LIPR indique que la décision relative aux renseignements à divulguer prise par un juge désigné dans le contexte de l'examen du caractère raisonnable du certificat de sécurité fait partie intégrante de la décision du juge aux termes du paragraphe 80(1) et, par conséquent, que le paragraphe 80(3), qui énonce que «la décision du juge est définitive et n'est pas susceptible d'appel ou de contrôle judiciaire», exclut l'appel ou le contrôle judiciaire de la décision du juge désigné au sujet des renseignements à divulguer. Cette conclusion est confortée par l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Tobiass. Dans cette affaire, trois citoyens canadiens avaient été avisés du fait que le ministre allait demander la révocation de leur citoyenneté en vertu du paragraphe 18(1) de la Loi sur la citoyenneté, une disposition semblable à l'article 80 de la LIPR. La Cour suprême a déclaré que «le par. 18(1) de la Loi sur la citoyenneté vise non seulement la décision ultime tranchant la question de savoir si la citoyenneté a été obtenue par des moyens frauduleux, mais également les décisions rendues au cours du renvoi prévu à l'art. 18 s'y rapportant». Si l'on applique le raisonnement qu'a tenu la Cour suprême du Canada dans l'affaire Tobiass aux faits de l'espèce, on constate que la décision du juge désigné de refuser la divulgation de renseignements supplémentaires à l'appelant était reliée à la décision finale. Par conséquent, le paragraphe 80(3) de la LIPR exclut également les appels formés contre les décisions relatives à la divulgation d'éléments de preuve. La décision relative aux renseignements susceptibles d'être divulgués publiquement est manifestement «reliée» à la décision finale portant sur le caractère raisonnable du certificat au sens de l'arrêt Tobiass. Cette interprétation est également conforme à un des principaux objets de la LIPR et du paragraphe 80(3) en particulier, qui est d'accélérer le traitement des affaires d'immigration et de réduire le délai nécessaire pour décider si une personne est admissible ou non à demeurer au Canada pour des raisons de sécurité. Le paragraphe 80(3) de la LIPR indique clairement que le législateur entendait donner un caractère définitif à l'instance relative au caractère raisonnable des certificats de sécurité. Autoriser l'appel de la décision du juge désigné relative aux renseignements susceptibles d'être divulgués publiquement à l'appelant serait contraire à l'intention du législateur qui entendait accorder un caractère définitif à cette instance. De plus, la volonté du législateur de ne pas autoriser ces appels ressort du fait que la LIPR ne tient pas compte des nombreuses difficultés pratiques qu'entraînerait l'examen de telles affaires par une juridiction d'appel.

Compte tenu de la conclusion selon laquelle il conviendrait d'annuler l'appel de la décision du juge désigné de ne pas divulguer d'éléments de preuve supplémentaires, la requête présentée par l'appelant en vue d'obtenir la suspension de l'examen du certificat en attendant l'issue de l'appel ne peut être accordée. Par conséquent, seul l'argument de l'appelant selon lequel il y a lieu de suspendre l'audience en attendant la décision de la Cour d'appel de l'Ontario reste à examiner. L'appelant a présenté à la Cour supérieure de justice de l'Ontario une demande visant à obtenir l'émission d'un bref d'habeas corpus ad subjiciendum et dans laquelle il conteste la constitutionnalité des articles 77, 78, 80, 81 et 83 de la LIPR. La Couronne a demandé la suspension de l'instance pour le motif qu'il était préférable que cette question soit examinée par la Cour fédérale, demande qui a été accordée. L'appelant a alors fait appel de cette décision devant la Cour d'appel de l'Ontario. L'avocat de l'appelant a déjà eu la possibilité de contester devant le juge désigné la constitutionnalité des dispositions de la LIPR. Cependant, peu de temps avant l'audience, celui-ci a retiré les questions constitutionnelles soumises à la Cour fédérale pour les présenter devant la Cour supérieure de l'Ontario. Étant donné que la Cour fédérale était prête à entendre ces questions et que l'appelant a refusé de procéder, il n'est pas opportun que la Cour accorde maintenant une suspension. Si l'on applique le critère à trois volets exposé dans RJR--MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général) par la Cour suprême du Canada pour décider s'il y a lieu d'accorder une suspension, il est constaté que l'appelant n'a pas établi selon la prépondérance des probabilités que la Cour d'appel de l'Ontario allait effectivement examiner en appel la constitutionnalité des dispositions pertinentes de la LIPR. Par conséquent il n'y a pas de question sérieuse à juger et la requête qu'a présentée l'appelant en vue d'obtenir la suspension de l'examen portant sur le caractère raisonnable du certificat en attendant l'issue de l'audience devant la Cour d'appel de l'Ontario devrait être rejetée.

lois et règlements

Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, art. 18.

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 27(1) (mod., idem, art. 34).

Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 72 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 194), 74d), 76 (mod., idem), 77 (mod., idem), 78, 80, 81, 82, 83.

jurisprudence

décisions appliquées:

Charkaoui c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] 1 F.C.R. 451; (2003), 236 D.L.R. (4th) 91; 315 N.R. 1 (C.A.F.); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Tobiass, [1997] 3 R.C.S. 391; (1997), 151 D.L.R. (4th) 119; 1 Admin. L.R. (3d) 1; 118 C.C.C. (3d) 443; 14 C.P.C. (4th) 1; 10 C.R. (5th) 163; 40 Imm. L.R. (2d) 23; 218 N.R. 81; RJR-- MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311; (1994), 111 D.L.R. (4th) 385; 54 C.P.R. (3d) 114; 164 N.R. 1; 60 Q.A.C. 241; Zündel (Re) (2004) 246 F.T.R. 310 (C.F.).

décisions examinées:

Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration) c. Tobiass, [1996] 2 C.F. 729; (1996), 41 Admin. L.R. (2d) 272; 116 F.T.R. 69 (T.D.); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Tobiass, [1997] 1 C.F. 828; (1997), 142 D.L.R. (4th) 270; 208 N.R. 21 (C.A.); R. v. Zundel, [2003] O.J. No. 4951 (Sup. Ct.) (QL).

REQUÊTE visant à obtenir l'annulation de l'appel formé par l'appelant contre la décision du juge désigné de ne pas divulguer de renseignements supplémentaires (Zündel (Re) (2004), 244 F.T.R. 292 (C.F.)) et REQUÊTE visant à obtenir la suspension de l'examen du certificat en attendant l'issue de l'appel interjeté devant la Cour d'appel de l'Ontario. La première requête est accueillie et la seconde est rejetée.

ont comparu:

Peter Lindsay et Chi-Kun Shi pour l'appelant.

Donald MacIntosh pour l'intimée.

avocats inscrits au dossier:

Peter Lindsay, Toronto, pour l'appelant.

Le sous-procureur général du Canada, pour l'intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Sexton, J.C.A.:

I. Introduction

[1]Dans le cadre d'une audience portant sur le caractère raisonnable d'un certificat de sécurité délivré contre Ernst Zundel en vertu du paragraphe 77(1) [mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 194] de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), le juge désigné de la Cour fédérale a rejeté la demande présentée par M. Zundel en vue d'obtenir la divulgation d'autres renseignements sur lesquels était fondé le certificat [(2004), 244 F.T.R. 292]. La principale question en litige ici est de savoir si la décision du juge désigné concernant les éléments de preuve à divulguer peut faire l'objet d'un appel devant la Cour.

II. Les faits

[2]Le 1er mai 2003, le solliciteur général du Canada (le solliciteur général) et le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (le ministre) ont signé un certificat en vertu du paragraphe 77(1) de la LIPR qui mentionnait que M. Zundel, un résident permanent, était interdit de territoire pour les motifs de sécurité suivants: il avait commis des actes de terrorisme, il était un danger pour la sécurité du Canada, il avait commis des actes de violence qui avaient mis en danger la vie ou la sécurité de personnes vivant au Canada ou pourraient le faire, il était membre d'un groupe au sujet duquel il existait des motifs raisonnables de penser que ce groupe avait commis ou pourrait commettre ou pourrait commettre des actes d'espionnage, de subversion ou de terrorisme.

[3]Dès que le certificat a été délivré, le ministre et le solliciteur général ont immédiatement lancé un mandat pour l'arrestation et la mise en détention de M. Zundel conformément au paragraphe 82(1) de la LIPR. Ce paragraphe énonce qu'un tel mandat peut être lancé contre un résident permanent s'il existe des motifs raisonnables de croire que certaines circonstances existent, notamment le fait que le résident permanent constitue un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui. M. Zundel est demeuré en détention depuis son arrestation.

[4]Comme le paragraphe 83(1) de la LIPR l'exige, le juge désigné a tenu, dans les 48 heures suivant le début de sa détention, une audience en vue d'examiner les motifs justifiant le maintien en détention de M. Zundel. Le juge désigné a finalement conclu que M. Zundel constituait un danger pour la sécurité du Canada et que, par conséquent, il devait demeurer en détention.

[5]Le juge désigné a également commencé un examen distinct portant sur le caractère raisonnable du certificat de sécurité. Au cours de l'audience, M. Zundel a demandé au juge désigné de rendre une ordonnance demandant au solliciteur général et/ou au ministre de lui fournir des renseignements qui ne figuraient pas dans le résumé d'information qui doit lui être remis en vertu de l'alinéa 78h) de la LIPR. Plus précisément, M. Zundel demandait les renseignements suivants:

1) les noms des agents du SCRS qui possèdent des informations au sujet des déclarations contenues dans le résumé de la preuve fourni à M. Zundel par le SCRS;

2) la liste de tous les agents du SCRS et de la GRC ainsi que des autres fonctionnaires canadiens qui ont interrogé M. Zundel ou d'autres personnes à son sujet, y compris la date des entrevues et les transcriptions de ces entrevues;

3) le résumé de la preuve qui doit être présenté pour l'examen du certificat le 11 décembre 2003;

4) des copies de tous les documents que la Couronne a l'intention de présenter au tribunal au cours dudit examen;

5) des copies de tous les documents que la Couronne n'a pas l'intention de présenter à la Cour mais qui pourraient être pertinents à cet examen;

6) la liste de tous les témoins que la Couronne a l'intention de convoquer à l'audience;

7) la liste de tous les témoins que la Couronne n'a pas l'intention de convoquer mais qui peuvent être en possession de renseignements pertinents, ainsi qu'un résumé de ces renseignements.

[6]Le juge désigné a rejeté la requête présentée par M. Zundel en vue d'obtenir des renseignements supplémentaires. Il a conclu que la divulgation des renseignements demandés serait préjudiciable à la sécurité nationale et ne fournirait pas nécessairement des renseignements pertinents à M. Zundel. Le juge a indiqué qu'il continuerait à examiner les renseignements qui lui ont été transmis sur une base confidentielle par les ministres en vue de déterminer quels sont les renseignements qui devraient être communiqués à M. Zundel, en tenant compte de la nécessité de concilier le droit de M. Zundel de connaître les arguments qu'il doit réfuter et la protection de la sécurité nationale.

[7]Après que le juge désigné ait rejeté la requête en divulgation présentée par M. Zundel, celui-ci a décidé d'interjeter appel de cette décision.

[8]Le juge désigné ne s'est pas encore prononcé sur le caractère raisonnable du certificat de sécurité qui déclare, notamment, que M. Zundel constitue un danger pour la sécurité du Canada. Cette décision relève de la compétence exclusive du juge désigné. Les présents motifs ne doivent pas être interprétés comme s'ils exprimaient une opinion sur cette question.

[9]Dans la première des deux requêtes présentées à la Cour le 28 janvier 2004, le ministre et le solliciteur général ont soutenu qu'il y avait lieu d'annuler l'appel interjeté par M. Zundel contre le refus du juge désigné de divulguer d'autres renseignements pour le motif que la Cour n'a pas le pouvoir d'entendre un tel appel. Ils ont également soutenu que Sa Majesté la Reine avait été nommée à tort en qualité d'intimée, étant donné que ce sont le solliciteur général et le ministre qui délivrent le certificat de sécurité. Par conséquent, ils ont demandé une ordonnance radiant le nom de Sa Majesté la Reine en qualité d'intimée et ajoutant leurs noms en qualité d'intimés. M. Zundel a consenti à ce changement et une ordonnance en ce sens sera donc rendue.

[10]Dans la seconde requête présentée à la Cour, M. Zundel soutient qu'il convient de suspendre l'examen qu'effectue le juge désigné au sujet du caractère raisonnable du certificat de sécurité en attendant l'issue de l'appel interjeté contre la décision de ce juge de ne pas divulguer des renseignements supplémentaires ainsi que celle de son appel formé devant la Cour d'appel de l'Ontario concernant la constitutionnalité des articles 77, 78, 80, 81, 82 et 83 de la LIPR.

III. Le régime des certificats de sécurité établi par la LIPR

[11]Aux termes du paragraphe 77(1) de la LIPR, le ministre et le solliciteur général ont le pouvoir de préparer un certificat attestant qu'une personne est interdite de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux, grande criminalité ou criminalité organisée. Lorsqu'un tel certificat est déposé, un juge désigné de la Cour fédérale doit se prononcer sur le caractère raisonnable du certificat conformément au paragraphe 80(1) de la LIPR. L'article 78 de la LIPR énonce que le juge désigné doit fournir à la personne en cause un résumé des éléments sur lesquels est fondé le certificat pour que cette personne soit raisonnablement informée des circonstances à l'origine du certificat. Parallèlement, le juge désigné doit également préserver le caractère confidentiel de ces éléments et ne pas divulguer des éléments de preuve qui porteraient atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui. Le paragraphe 80(3) énonce que la décision du juge n'est pas susceptible d'appel ou de contrôle judiciaire. Le certificat jugé raisonnable constitue, aux termes de l'article 81, une mesure de renvoi contre le résident permanent ou le ressortissant étranger visé par ce certificat.

[12]Les articles 76 [mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 194], 77, 78, 80 et 81 de la LIPR énoncent ce qui suit:

76. Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente section.

«juge» Le juge en chef de la Cour fédérale ou le juge de cette juridiction désigné par celui-ci.

«renseignements» Les renseignements en matière de sécurité ou de criminalité et ceux obtenus, sous le sceau du secret, de source canadienne ou du gouvernement d'un État étranger, d'une organisation internationale mise sur pied par des États ou de l'un de leurs organismes.

77. (1) Le ministre et le solliciteur général du Canada déposent à la Cour fédérale le certificat attestant qu'un résident permanent ou qu'un étranger est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux, grande criminalité ou criminalité organisée pour qu'il en soit disposé au titre de l'article 80.

(2) Il ne peut être procédé à aucune instance visant le résident permanent ou l'étranger au titre de la présente loi tant qu'il n'a pas été statué sur le certificat; n'est pas visée la demande de protection prévue au paragraphe 112(1).

78. Les règles suivantes s'appliquent à l'affaire:

a) le juge entend l'affaire;

b) le juge est tenu de garantir la confidentialité des renseignements justifiant le certificat et des autres éléments de preuve qui pourraient lui être communiqués et dont la divulgation porterait atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui;

c) il procède, dans la mesure où les circonstances et les considérations d'équité et de justice naturelle le permettent, sans formalisme et selon la procédure expéditive;

d) il examine, dans les sept jours suivant le dépôt du certificat et à huis clos, les renseignements et autres éléments de preuve;

e) à chaque demande d'un ministre, il examine, en l'absence du résident permanent ou de l'étranger et de son conseil, tout ou partie des renseignements ou autres éléments de preuve dont la divulgation porterait atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui;

f) ces renseignements ou éléments de preuve doivent être remis aux ministres et ne peuvent servir de fondement à l'affaire soit si le juge décide qu'ils ne sont pas pertinents ou, l'étant, devraient faire partie du résumé, soit en cas de retrait de la demande;

g) si le juge décide qu'ils sont pertinents, mais que leur divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale ou à celle d'autrui, ils ne peuvent faire partie du résumé, mais peuvent servir de fondement à l'affaire;

h) le juge fournit au résident permanent ou à l'étranger, afin de lui permettre d'être suffisamment informé des circonstances ayant donné lieu au certificat, un résumé de la preuve ne comportant aucun élément dont la divulgation porterait atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui;

i) il donne au résident permanent ou à l'étranger la possibilité d'être entendu sur l'interdiction de territoire le visant;

j) il peut recevoir et admettre en preuve tout élément qu'il estime utile--même inadmissible en justice--et peut fonder sa décision sur celui-ci.

[. . .]

80. (1) Le juge décide du caractère raisonnable du certificat et, le cas échéant, de la légalité de la décision du ministre, compte tenu des renseignements et autres éléments de preuve dont il dispose.

(2) Il annule le certificat dont il ne peut conclure qu'il est raisonnable; si l'annulation ne vise que la décision du ministre il suspend l'affaire pour permettre au ministre de statuer sur celle-ci.

(3) La décision du juge est définitive et n'est pas susceptible d'appel ou de contrôle judiciaire.

81. Le certificat jugé raisonnable fait foi de l'interdiction de territoire et constitue une mesure de renvoi en vigueur et sans appel, sans qu'il soit nécessaire de procéder au contrôle ou à l'enquête; la personne visée ne peut dès lors demander la protection au titre du paragraphe 112(1).

IV. La requête en radiation de l'appel de M. Zundel

Les arguments

[13]D'après l'intimée, M. Zundel ne peut interjeter appel à cause du paragraphe 80(3) de la LIPR qui énonce que la décision du juge qui examine le caractère raisonnable d'un certificat de sécurité n'est pas susceptible d'appel. Le paragraphe 80(3) écarte donc le droit général d'interjeter appel des jugements interlocutoires de la Cour fédérale qu'accorde le paragraphe 27(1) [mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 34] de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7 [art. 1 (mod., idem, art. 14)] et ses modifications.

[14]En outre, l'intimée soutient que le paragraphe 80(3) de la LIPR a été adopté pour protéger la sécurité des Canadiens et que le législateur voulait que l'instance portant sur le caractère raisonnable des certificats de sécurité se déroule de façon expéditive. C'est pourquoi il a écarté la possibilité d'interjeter appel des décisions du juge désigné, parce que cela retarderait indûment les audiences portant sur le caractère raisonnable du certificat.

[15]L'intimée se fonde également sur la décision de la Cour dans l'affaire Charkaoui c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] 1 R.C.F. 451 (C.A.), (Charkaoui). Dans Charkaoui, précitée, la Cour a jugé que la décision du juge désigné prononcée conformément à l'article 83 de la LIPR de maintenir en détention un résident permanent ne pouvait faire l'objet d'un appel même si cet appel n'était pas expressément interdit par la LIPR. La Cour a déclaré aux paragraphes 15 et 17:

Le législateur a prévu au paragraphe 80(3) de la Loi que la décision du juge sur le caractère raisonnable du certificat est «définitive et n'est pas susceptible d'appel ou de contrôle judiciaire» . Par l'ajout de ces termes, il a clairement restreint la compétence générale d'appel de notre Cour, ce qu'il a malheureusement omis de faire aux articles 82 et 83 concernant la détention. Ceci ne veut, toutefois, pas dire que la décision sur la détention est susceptible d'appel ou de révision judiciaire. Il suffit pour s'en convaincre d'examiner, dans un premier temps, le rôle qu'est appelé à jouer le juge désigné en rapport avec le certificat et la détention.

[. . .]

Il m'apparaît inconcevable que le législateur ait voulu que la détermination de la question de la dangerosité pour la sécurité nationale dans le contexte de l'analyse du certificat ne puisse être révisée en appel, mais que la même question, si déterminée par le même juge dans le contexte d'une révision de la détention puisse, elle, être révisée en appel. Permettre l'appel dans le contexte de la révision de la détention, c'est permettre à une personne visée par l'interdit de territoire de faire indirectement ce qu'elle ne peut faire directement à cause de la prohibition du paragraphe 80(2) de la Loi, c'est-à-dire réviser la raisonnabilité des craintes du ministre pour la sécurité nationale. En d'autres termes, c'est permettre de faire réviser, par le truchement de la détention, la validité des motifs du certificat alors que le législateur n'a pas voulu que ceux-ci le soient par la Cour d'appel.

[16]En réponse à la requête en radiation de l'appel présentée par l'intimée, M. Zundel réplique que le paragraphe 27(1) de la Loi sur les Cours fédérales lui accorde clairement un droit d'appel à l'égard d'une ordonnance interlocutoire prononcée par un juge de la Cour fédérale. Cela comprend l'ordonnance interlocutoire rendue par le juge désigné qui rejetait sa demande de divulgation de renseignements supplémentaires aux termes de la LIPR. Le paragraphe 27(1) de la Loi sur les Cours fédérales énonce:

27. (1) Il peut être interjeté appel, devant la Cour d'appel fédérale, des décisions suivantes de la Cour fédérale:

[ . . .]

c) jugement interlocutoire;

[17]M. Zundel soutient que le paragraphe 80(3) de la LIPR n'a pas pour effet de supprimer son droit général d'interjeter appel des jugements interlocutoires de la Cour fédérale. Le paragraphe 80(3) est libellé de façon précise et interdit uniquement les appels ou les demandes de contrôle judiciaire visant la décision du juge désigné au sujet du caractère raisonnable du certificat; il ne supprime pas les appels des décisions interlocutoires du juge désigné, y compris des décisions concernant les éléments de preuve ou les renseignements susceptibles d'être divulgués à M. Zundel.

[18]D'après M. Zundel, la loi devrait utiliser des termes clairs si elle entendait supprimer le droit d'appel accordé par le paragraphe 27(1) de la Loi sur les Cours fédérales. En effet, lorsque le législateur a l'intention d'interdire des appels qui existent par ailleurs, il utilise des termes clairs. Par exemple, l'alinéa 72(2)e) de la LIPR énonce expressément que le jugement sur la demande et toute décision interlocutoire ne sont pas susceptibles d'appel. L'article 72 [mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 194] énonce:

72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure --décision, ordonnance, question ou affaire -- prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d'une demande d'autorisation.

(2) Les dispositions suivantes s'appliquent à la demande d'autorisation:

[. . .]

e) le jugement sur la demande et toute décision interlocutoire ne sont pas susceptibles d'appel.

L'alinéa 74d) de la LIPR prévoit également qu'un appel ne peut être porté devant la Cour d'appel fédérale que si un juge de la Cour fédérale certifie que l'affaire soulève une question grave de portée générale.

74. Les règles suivantes s'appliquent à la demande de contrôle judiciaire:

d) le jugement consécutif au contrôle judiciaire n'est susceptible d'appel en Cour d'appel fédérale que si le juge certifie que l'affaire soulève une question grave de portée générale et énonce celle-ci.

Par conséquent, si le législateur avait eu l'intention de supprimer l'appel de l'ordonnance interlocutoire prononcée par un juge désigné refusant de divulguer des renseignements supplémentaires à M. Zundel, il l'aurait fait expressément. En outre, étant donné que les dispositions de la LIPR relatives à la délivrance des certificats de sécurité suppriment déjà des garanties procédurales importantes dont bénéficient les résidents permanents, il est d'autant plus important de respecter strictement les garanties procédurales qui subsistent.

[19]Enfin, M. Zundel soutient qu'il y a lieu d'établir une distinction entre la décision qu'a prononcée la Cour dans l'affaire Charkaoui, précitée et la présente espèce. Dans Charkaoui, précitée, malgré l'absence de disposition de la LIPR excluant expressément le droit d'interjeter appel de la décision du juge désigné concernant le maintien en détention d'un résident permanent, la Cour a déclaré qu'un tel appel était exclu, étant donné que la décision prise relativement à la détention est identique à la décision concernant le caractère raisonnable du certificat, qui ne peut faire l'objet d'un appel. Par conséquent, si la Cour avait jugé que la décision relative au maintien de la détention pouvait faire l'objet d'un appel, elle aurait contourné l'interdiction des appels qu'énonce le paragraphe 80(3). En l'espèce, la décision relative à la divulgation de preuve n'est pas identique à la décision relative au caractère raisonnable du certificat.

Analyse

[20]À mon avis, la décision que rend le juge désigné au sujet des renseignements qu'il y a lieu de divulguer dans le contexte d'une audience relative au caractère raisonnable du certificat de sécurité n'est pas susceptible d'appel devant la Cour en vertu du paragraphe 80(3) de la LIPR.

[21]Tout d'abord et surtout, je fonde cette conclusion sur les termes de la LIPR. Si l'on combine les articles 78 et 80 de la LIPR, il ressort clairement que le paragraphe 80(3) n'exclut pas uniquement l'appel ou le contrôle judiciaire de la décision finale du juge désigné relative au caractère raisonnable du certificat mais qu'il exclue également l'appel ou le contrôle judiciaire concernant les autres décisions qui, selon l'article 78, font partie intégrante de la décision finale du juge. Le paragraphe 80(3) énonce:

80. [. . .]

(3) La décision du juge est définitive et n'est pas susceptible d'appel ou de contrôle judiciaire. [Non souligné dans l'original.]

La «décision» fait référence à la décision que prend le juge désigné aux termes du paragraphe 80(1) sur le caractère raisonnable du certificat de sécurité; cependant, l'article 78 indique, notamment, que la décision relative au caractère raisonnable du certificat comprend la décision que doit prendre le juge désigné au sujet des renseignements à divulguer à un résident permanent ou à un étranger contre qui le certificat a été délivré. L'article 78 énonce:

78. Les règles suivantes s'appliquent à l'affaire [relative au caractère raisonnable du certificat]:

[. . .]

b) le juge est tenu de garantir la confidentialité des renseignements justifiant le certificat et des autres éléments de preuve qui pourraient lui être communiqués et dont la divulgation porterait atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui;

[. . .]

e) à chaque demande d'un ministre, il examine, en l'absence du résident permanent ou de l'étranger et de son conseil, tout ou partie des renseignements ou autres éléments de preuve dont la divulgation porterait atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui;

[. . .]

f) ces renseignements ou éléments de preuve doivent être remis aux ministres et ne peuvent servir de fondement à l'affaire soit si le juge décide qu'ils ne sont pas pertinents ou, l'étant, devraient faire partie du résumé, soit en cas de retrait de la demande; [Non souligné dans l'original.]

[22]Le libellé de l'article 78 de la LIPR indique que la décision relative aux renseignements à divulguer au cours de l'instruction fait partie intégrante de la décision que prend le juge aux termes du paragraphe 80(1) et par conséquent, que le paragraphe 80(3) exclut l'appel ou le contrôle judiciaire de la décision du juge désigné au sujet des renseignements à divulguer.

[23]Le fait que la décision du juge désigné au sujet de la divulgation d'éléments de preuve à M. Zundel fait partie de la décision finale au sujet du caractère raisonnable du certificat aux termes du paragraphe 80(1) et qu'elle ne peut, par conséquent, faire l'objet d'un appel aux termes du paragraphe 80(3) est également conforté par l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Tobiass, [1997] 3 R.C.S. 391 (Tobiass).

[24]Les faits de l'affaire Tobiass, précitée, étaient les suivants. Trois citoyens canadiens avaient été avisés du fait que le ministre allait demander la révocation de leur citoyenneté en vertu du paragraphe 18(1) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29 (Loi sur la citoyenneté) parce qu'ils avaient omis de révéler, lorsqu'ils avaient présenté leur demande de citoyenneté, qu'ils avaient commis des atrocités pendant la Deuxième Guerre mondiale. L'article 18 de la Loi sur la citoyenneté, qui est analogue à l'article 80 de la LIPR, énonçait ce qui suit:

18. (1) Le ministre ne peut procéder à l'établissement du rapport mentionné à l'article 10 sans avoir auparavant avisé l'intéressé de son intention en ce sens et sans que l'une ou l'autre des conditions suivantes ne se soit réalisée:

a) l'intéressé n'a pas, dans les trente jours suivant la date d'expédition de l'avis, demandé le renvoi de l'affaire devant la Cour;

b) la Cour, saisie de l'affaire, a décidé qu'il y avait eu fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels.

[. . .]

(3) La décision de la Cour visée au paragraphe (1) est définitive et, par dérogation à toute autre loi fédérale, non susceptible d'appel.

La Section de première instance de la Cour fédérale [[1996] 2 C.F. 729] tenait une audience conformément à l'alinéa 18(1)b) de la Loi sur la citoyenneté pour déterminer si les trois citoyens avaient effectivement omis de révéler les atrocités qu'ils avaient commises au cours de la Seconde Guerre mondiale, lorsque les citoyens en cause ont présenté une requête en suspension permanente de l'instance déclenchée contre eux. Ils ont demandé la suspension de l'instance pour le motif que l'indépendance de la Section de première instance avait été compromise par les conversations privées qu'avaient eues le juge en chef et l'avocat du ministre.

[25]La Section de première instance a accordé la suspension et le ministre a interjeté appel de cette décision devant la Cour d'appel fédérale [[1997] 1 C.F. 828]. Les citoyens ont soutenu que la Cour d'appel fédérale n'avait pas le pouvoir d'entendre l'appel de la décision de la Section de première instance d'accorder une suspension, étant donné que le paragraphe 18(3) de la Loi sur la citoyenneté excluait cet appel. La Cour d'appel fédérale a jugé qu'elle possédait le pouvoir d'entendre cet appel et a accueilli l'appel du ministre. Les citoyens ont fait appel devant la Cour suprême du Canada. La Cour suprême du Canada a rejeté leur appel, et jugé que le paragraphe 18(3) n'empêchait pas d'interjeter appel de la décision du juge de la Cour fédérale d'accorder la suspension de l'instance dans cette affaire mais elle a également mentionné que le paragraphe 18(3) interdisait non seulement les appels portant sur la décision finale du juge au sujet du fait que le citoyen concerné aurait fait une fausse déclaration ou une fraude ou aurait sciemment dissimulé des faits importants mais interdisait également les appels portant sur les décisions interlocutoires prises au cours du processus décisionnel prévu au paragraphe 18(1). La Cour suprême a jugé que, selon les faits de l'affaire particulière, l'appel n'était pas exclu étant donné que la suspension accordée par la Section de première instance était dépourvue de tout lien avec son pouvoir de prendre la décision prévue au paragraphe 18(1).

[26]La Cour suprême a déclaré ce qui suit dans l'arrêt Tobiass, précité, aux paragraphes 56 à 58, 61 et 66:

Bien que la question ne se pose pas en l'espèce, l'argument suivant est très séduisant: le par. 18(1) de la Loi sur la citoyenneté vise non seulement la décision ultime tranchant la question de savoir si la citoyenneté a été obtenue par des moyens frauduleux, mais également les décisions rendues au cours du renvoi prévu à l'art. 18 s'y rapportant. Cela comprendrait tous les jugements interlocutoires que le tribunal a le pouvoir de rendre dans le contexte d'un renvoi prévu à l'art. 18 (voir, par exemple, l'art. 46 de la Loi sur la Cour fédérale et les règles 5, 450 à 455, 461, 477, 900 à 920, 1714 et 1715 des Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663). Cette interprétation du par. 18(1) a été adoptée par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Luitjens, précité, où il a été décidé que les jugements interlocutoires rendus dans le contexte d'un renvoi prévu au par. 18(1) sont des décisions «visée[s] au» par. 18(1). Il n'est pas nécessaire aux fins du présent pourvoi de déterminer si cette conclusion devrait être modifiée. Cela ne devrait être fait que dans le cadre d'un appel où la question découlerait des faits.

Cependant, que le par. 18(1) soit interprété de façon stricte de manière à viser seulement la décision ultime tranchant la question de savoir si la citoyenneté a été obtenue par des moyens frauduleux, ou de façon plus libérale afin d'englober les jugements interlocutoires se rapportant à cette décision qui sont rendus dans le cadre d'une audience visée par le par. 18(1), il est manifeste qu'il ne comprend pas une ordonnance accordant ou refusant la suspension des procédures.

Contrairement aux jugements interlocutoires, la suspension des procédures ne sera pas prononcée afin de trancher plus efficacement la question ultime de savoir si la citoyenneté a été obtenue par des moyens frauduleux. L'ordonnance qui suspend les procédures n'est donc pas liée à cette décision ultime.

[. . . ]

Il s'ensuit qu'une décision accueillant ou rejetant la requête en suspension des procédures n'est pas une décision «visée au» par. 18(1). C'est une décision prévue à l'art. 50 de la Loi sur la Cour fédérale et elle peut faire l'objet d'un appel conformément aux règles énoncées à l'art. 27 de cette Loi.

[. . . ]

Le pouvoir d'ordonner la suspension des procédures ne découle pas nécessairement du pouvoir de décider si la citoyenneté a été obtenue par des moyens frauduleux prévu au par. 18(1). Au contraire, c'est un pouvoir qui non seulement a pour origine une disposition législative différente (l'art. 50 de la Loi sur la Cour fédérale) mais n'a pas de rapport avec le pouvoir visé au par. 18(1). Pour reprendre les termes du juge en chef Lamer dans l'arrêt Hinse, c'est un «acte judiciaire distinct et divisible» (p. 626). Les appels formés contre une décision de suspendre les procédures (ou de refuser de les suspendre) devraient être régis par les règles applicables à la disposition législative habilitant la cour à rendre cette décision. Ces règles sont énoncées à l'art. 27 de la Loi sur la Cour fédérale et elles prévoient expressément un droit d'appel. Il s'ensuit que la cour d'appel avait compétence pour connaître de l'appel du ministère public en l'espèce. [Non souligné dans l'original.]

[27]Si l'on applique le raisonnement qu'a tenu la Cour suprême du Canada dans l'affaire Tobiass, précitée, aux faits de l'espèce, on constate que la décision du juge désigné de refuser de divulguer des renseignements supplémentaires à M. Zundel était reliée à la décision finale. En fait, l'article 78 de la LIPR exige expressément que le juge désigné décide des éléments de preuve à divulguer à la personne visée par un certificat. Autrement dit, la décision du juge désigné au sujet de l'information à divulguer fait nécessairement partie de la décision relative au caractère raisonnable du certificat de sécurité. Par conséquent, le paragraphe 80(3) de la LIPR exclut non seulement l'appel de la décision finale relative au caractère raisonnable du certificat mais également l'appel des décisions concernant la divulgation de renseignements. La décision relative aux renseignements à divulguer publiquement est manifestement «reliée» à la décision finale portant sur le caractère raisonnable du certificat, au sens de l'arrêt Tobiass, précité.

[28]Cette interprétation est également conforme à un des principaux objets de la LIPR et du paragraphe 80(3) en particulier, qui est d'accélérer le traitement des affaires d'immigration et de réduire le délai nécessaire pour décider si une personne est admissible ou non à demeurer au Canada pour des motifs de sécurité. L'alinéa 78c) de la LIPR énonce:

78. Les règles suivantes s'appliquent à l'affaire [concernant le caractère raisonnable du certificat]:

[. . .]

c) il procède, dans la mesure où les circonstances et les considérations d'équité et de justice naturelle le permettent, sans formalisme et selon la procédure expéditive.

Dans Charkaoui, précitée, lorsque la Cour a jugé que la décision du juge désigné concernant le maintien en détention d'un résident permanent aux termes de l'article 83 de la LIPR n'était pas susceptible d'appel, elle a noté qu'autoriser un tel appel irait à l'encontre de l'intention du législateur de mettre sur pied un mécanisme souple et rapide. La Cour a noté aux paragraphes 24 et 32:

[. . .] ce mécanisme souple et rapide s'accorde avec l'intention législative exprimée à l'alinéa 78c) de la Loi où il est stipulé que le juge désigné doit procéder sans formalisme et avec célérité («expeditiously» en anglais). Avec respect, je crois que c'est faire fi de l'intention du législateur que de conclure qu'il a voulu maintenir en juxtaposition avec ce mécanisme efficace et rapide un processus d'appel long et coûteux.

[. . .]

[. . .] il n'était pas de l'intention du législateur d'entrecouper et de rompre par des appels incontrôlés et répétés la continuité de ce processus de révision de la détention par un juge désigné.

J'estime que ces commentaires sont tout aussi applicables à la présente affaire.

[29]Le paragraphe 80(3) de la LIPR indique clairement que le législateur entendait donner un caractère définitif à l'instance relative au caractère raisonnable des certificats de sécurité. Il serait contraire à l'intention du législateur d'accorder un caractère définitif à cette instance que d'autoriser un appel de la décision du juge désigné relative aux renseignements qu'il convient de divulguer publiquement à M. Zundel, une décision qui, comme l'indique l'article 78, fait partie de la décision relative au caractère raisonnable du certificat de sécurité. J'estime que les commentaires suivants de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Tobiass, précitée, au paragraphe 59, dans le contexte de la Loi sur la citoyenneté, sont également utiles ici:

En outre, il se peut qu'en autorisant les appels formés contre les jugements interlocutoires rendus dans le contexte d'un renvoi prévu à l'art. 18 on aille effectivement à l'encontre du but que le législateur fédéral visait en conférant un caractère définitif aux décisions en matière de citoyenneté. Comme le juge McLachlin l'a fait remarquer dans l'arrêt R. c. Seaboyer, [1991] 2 R.C.S. 577, des préoccupations de politique générale légitimes justifient la lutte menée contre la «pléthore d'appels interlocutoires avec les retards qu'ils entraînent nécessairement» (p. 641).

[30]De plus, le fait que le législateur n'avait pas l'intention que les décisions des juges désignés relatives aux éléments de preuve à divulguer soient susceptibles d'appel ressort du fait que la LIPR ne tient pas compte des nombreuses difficultés pratiques qu'entraînerait l'examen de telles affaires par les juridictions d'appel. Par exemple, si la Cour devait entendre les appels et les décisions des juges désignés au sujet des éléments de preuve à divulguer, il semble probable que la Cour aurait à examiner ces éléments de preuve. Cependant, le législateur entendait que ces renseignements sensibles, relatifs à la sécurité nationale, soient uniquement communiqués au juge désigné. Dans Charkaoui, précitée, le juge Létourneau déclare aux paragraphes 19 et 20:

La reconnaissance d'un droit d'appel sur la question de la détention contrevient également à l'intention du législateur en matière d'administration de la preuve. En effet, il ressort clairement du paragraphe 80(3) de la Loi, lequel prohibe l'appel sur la raisonnabilité du certificat, que le législateur a voulu que la preuve sur la dangerosité pour la sécurité nationale, qui est nécessaire pour établir le caractère raisonnable du certificat, soit administrée par le juge désigné et reste devant lui. Or, reconnaître un droit d'appel sur la question de la détention permettrait à cette preuve de sortir de ce cadre pour aboutir devant la Cour d'appel. Ceci pose un certain nombre de problèmes pratiques et soulève des questions importantes pour lesquelles le législateur n'a pas donné de réponse, ce qui, à mon avis, indique encore une fois que le législateur n'envisageait pas d'appel d'une décision sur la détention.

En effet, comme on peut le voir en l'espèce, le juge désigné a, dans le contexte de l'administration de la preuve, entendu plusieurs témoins à charge et à décharge sur la question du danger pour la sécurité que l'appelant pose. Il a non seulement entendu ces témoins, il les a vus. Il a apprécié leur crédibilité. Quel rôle utile la Cour d'appel peut-elle jouer dans un tel contexte, compte tenu de la norme de contrôle applicable en pareille situation? Pire encore, comment va-t-elle pouvoir apprécier cette preuve s'il n'y a pas d'enregistrement des témoignages? Va-t-elle alors procéder à une audition de novo, entendre les témoins, réviser la preuve documentaire et apprécier les témoignages en fonction de cette preuve?

J'estime que ces observations sont tout aussi applicables aux appels de la décision d'un juge désigné relative à la divulgation d'éléments de preuve.

[31]Les dispositions de la LIPR qui traitent de l'examen du certificat de sécurité tentent d'en arriver à un équilibre entre les garanties procédurales accordées aux résidents permanents et aux étrangers et la protection de la sécurité nationale et la sécurité des personnes. Le processus qu'a finalement retenu le législateur pour instaurer cet équilibre consiste à demander à un juge désigné de la Cour fédérale d'entendre des témoignages en vue de déterminer s'il était raisonnable de délivrer un certificat de sécurité. Au cours de l'audition des témoins, le même juge doit également décider des renseignements à divulguer au public, ce qui comprend la personne visée par le certificat. L'alinéa 78h) de la LIPR énonce que le juge désigné doit remettre aux résidents permanents ou aux étrangers un résumé des renseignements et des preuves soumises au juge afin de leur permettre d'être suffisamment informés des circonstances ayant donné lieu aux certificats, sans divulguer d'éléments susceptibles de porter atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui. Le législateur a clairement indiqué que ce processus était définitif et n'était pas susceptible d'appel devant la Cour d'appel fédérale.

V. La requête en suspension de l'examen du certificat de sécurité

[32]Comme cela a été mentionné auparavant, la Cour est saisie de deux requêtes. Dans la seconde requête, M. Zundel demande une ordonnance suspendant l'examen par le juge désigné du caractère raisonnable du certificat en attendant l'issue de deux appels: son appel de la décision du juge désigné concernant la divulgation d'éléments de preuve et son appel devant la Cour d'appel de l'Ontario concernant la constitutionnalité de certaines dispositions de la LIPR.

[33]Compte tenu de ma conclusion antérieure selon laquelle il y a lieu d'annuler l'appel de M. Zundel relatif à la décision du juge désigné de ne pas divulguer d'éléments de preuve supplémentaires, sa requête en suspension de l'examen du certificat en attendant l'issue de l'appel ne peut être accordée. Par conséquent, seul l'argument de M. Zundel selon lequel il y a lieu de suspendre l'audience en attendant la décision de la Cour d'appel de l'Ontario reste à examiner.

[34]Avant d'examiner cet argument au fond, il est utile de connaître le contexte de l'appel interjeté par M. Zundel devant la Cour d'appel de l'Ontario. M. Zundel a présenté à la Cour supérieure de justice de l'Ontario une demande visant à obtenir l'émission d'un bref d'habeas corpus ad subjiciendum et dans laquelle il conteste la constitutionnalité des articles 77, 78, 80, 81 et 83 de la LIPR. La Couronne a demandé la suspension de l'instance introduite devant la Cour supérieure de justice de l'Ontario pour le motif qu'il était préférable que cette question soit examinée par la Cour fédérale. La juge Benotto [[2003] O.J. no 4951 (C. sup.) (QL)] a fait droit à la requête de la Couronne, et a refusé d'entendre la demande de M. Zundel. M. Zundel a alors fait appel devant la Cour d'appel de l'Ontario de la décision de la juge Benotto de refuser d'exercer son pouvoir.

[35]M. Zundel a également présenté une requête devant le juge désigné dans laquelle il demande que l'instance relative au caractère raisonnable du certificat de sécurité soit ajournée temporairement en attendant l'issue de l'appel devant la Cour au sujet de la divulgation d'éléments de preuve et celle de l'appel devant la Cour d'appel de l'Ontario concernant la constitutionnalité de certaines dispositions de la LIPR. Le 6 février 2004, le juge désigné a exposé les motifs pour lesquels il rejetait cette requête [(2004), 246 F.T.R. 310 (C.F.)]. Dans ses motifs, il soulignait que l'avocat de M. Zundel avait déjà eu la possibilité de présenter des arguments concernant la constitutionnalité des dispositions de la LIPR mais que celui-ci avait refusé de se prévaloir de cette possibilité. En fait, une audience sur ces questions avait été fixée aux 6 et 7 novembre 2003 et les parties avaient déjà remis leurs documents à la Cour. Cependant, peu de temps avant l'audience, l'avocat de M. Zundel a retiré les questions constitutionnelles soumises à la Cour pour les présenter devant la Cour supérieure de l'Ontario. Je suis d'accord avec le juge désigné qu'étant donné que la Cour fédérale était prête à entendre ces questions au mois de novembre et que l'appelant a refusé de procéder, il n'est pas opportun que la Cour accorde maintenant une suspension.

[36]Dans RJR--MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, la Cour suprême du Canada a formulé un critère en trois volets pour décider s'il y a lieu d'accorder une suspension: 1) Y a-t-il une question sérieuse à juger? 2) Le requérant subirait-il un préjudice irréparable si sa demande était rejetée? et 3) La prépondérance des inconvénients justifie-t-elle l'octroi de la suspension?

[37]De toute façon, l'appel interjeté devant la Cour d'appel de l'Ontario semble uniquement porter sur la question de savoir si la juge Benotto a commis une erreur lorsqu'elle a refusé d'exercer son pouvoir d'entendre la demande de M. Zundel. M. Zundel n'a pas démontré selon la prépondérance des probabilités que la Cour d'appel de l'Ontario allait effectivement examiner la constitutionnalité des dispositions pertinentes de la LIPR. Le 15 janvier 2004, l'appelant a comparu devant M. le juge Moldaver de la Cour d'appel de l'Ontario pour présenter une requête visant à présenter un mémoire de plus de 30 pages pour l'appel mentionné ci-dessus. Le juge Moldaver a rejeté la requête en déclarant:

[traduction] J'estime que l'appel interjeté devant la Cour porte sur des éléments limités, à savoir, le fait que la juge Benotto a commis une erreur dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire lorsqu'elle a refusé d'exercer ses pouvoirs. Je ne suis pas convaincu qu'il faille présenter un mémoire de plus de 30 pages pour débattre de cette question. Par conséquent, la demande est rejetée, sauf à ce que le demandeur la renouvelle dans le cas où il obtiendrait une ordonnance de la Cour élargissant la portée de l'appel. [Non souligné dans l'original.]

Par conséquent, il n'y a pas de question sérieuse à juger.

[38]Étant donné que les preuves présentées à la Cour ne font ressortir aucune question sérieuse, il n'est pas nécessaire de passer en revue les autres volets du critère. La requête présentée par M. Zundel en vue d'obtenir la suspension de l'examen du caractère raisonnable du certificat en attendant l'issue de l'audience devant la Cour d'appel de l'Ontario devrait être rejetée.

VI. Conclusion

[39]Comme les parties en ont convenu, la requête de l'intimée en vue d'obtenir une ordonnance radiant Sa Majesté la Reine en qualité d'intimée et en ajoutant le ministre et le solliciteur général est accordée. Pour les motifs fournis ci-dessus, la requête présentée par l'intimée en vue d'obtenir l'annulation de l'appel interjeté par M. Zundel de la décision du juge désigné de ne pas fournir de preuves supplémentaires est également accordée avec dépens.

[40]La requête présentée par M. Zundel en vue d'obtenir la suspension de l'examen du certificat en attendant l'issue de l'appel interjeté devant la Cour d'appel de l'Ontario est rejetée pour les motifs ci-dessus avec dépens.

Le juge Strayer, J.C.A.: Je souscris aux présents motifs.

Le juge Evans, J.C.A.: Je souscris aux présents motifs.

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