2004 CF 38
T-225-01
T-81-03
Le Procureur général du Canada (demandeur)
c.
S.D. Myers, Inc. (défenderesse)
et
Les États-Unis du Mexique (Le Mexique) (intervenant)
Répertorié: Canada (Procureur général) c. S.D. Myers Inc. (C.F.)
Cour fédérale, juge Kelen--Ottawa, 1er, 2 et 3 décembre 2003 et 13 janvier 2004.
Commerce extérieur -- Contrôle judiciaire des sentences arbitrales condamnant le Canada à verser des dommages- intérêts pour avoir contrevenu aux art. 1102 et 1105 de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA) en imposant une interdiction sur les exportations de déchets contenant des BPC vers les États-Unis -- L'art. 1102 de l'ALÉNA porte sur le droit au traitement national, l'art. 1105 établit la norme minimale de traitement -- Objet de l'interdiction: protection des exploitants canadiens et non de l'environnement -- Un tribunal composé de trois membres réputés pour leur expertise en droit du commerce international a conclu que l'interdiction favorisait les ressortissants canadiens et empêchait la défenderesse et son investissement d'exploiter l'entreprise canadienne qu'ils avaient envisagée -- Les sentences arbitrales excédaient-elles la portée de la convention d'arbitrage et étaient-elles contraires à l'ordre public du Canada? -- Le Canada et le Mexique (intervenant) ont soulevé quatre sous-questions -- Demande rejetée -- Examen des objectifs de l'ALÉNA -- L'ALÉNA crée un recours que ne prévoyait pas l'Accord de libre-échange Canada-États-Unis: les investisseurs disposent d'un recours en cas de traitement discriminatoire -- La compétence de la Cour en matière de contrôle judiciaire est limitée par l'art. 34 du Code d'arbitrage commercial -- L'«approche pragmatique et fonctionnelle» formulée par la C.S.C. ne peut servir à établir une norme de contrôle en matière d'arbitrages commerciaux internationaux -- Il faut faire preuve de retenue judiciaire -- Examen du fond non prévu -- Aucun contrôle judiciaire d'une décision qui repose sur une erreur de droit, sur une conclusion de fait erronée, si elle entre dans la compétence du tribunal -- La prévisibilité dans l'application des dispositions en matière de règlement des différends est indispensable -- Les parties devraient être disposées à accepter la décision du tribunal arbitral même si elle est erronée -- L'arbitrage ne doit pas être simplement la première étape d'un processus qui conduit jusqu'à la décision finale de la cour d'appel la plus élevée -- La sentence ne portait pas sur un différend non visé dans le compromis -- Le Canada n'a pas soulevé à temps l'exception d'incompétence prévue à l'art. 21(3) du Règlement d'arbitrage de la CNUDCI -- La réponse du Canada est ambiguë à l'égard de la compétence -- L'art. 34(2)b)(ii) (annulation de la sentence qui est contraire à l'ordre public du Canada) s'entend des principes fondamentaux de la justice et non de la position politique ou de la position internationale du Canada -- Les conclusions du tribunal ne sont pas manifestement déraisonnables, ne se traduisent pas par un déni de justice flagrant -- Elles ne sont pas contraires à l'ordre public du Canada -- Portée large de la définition de l'art. 1139 d'un «investissement effectué par un investisseur d'une Partie» -- Les termes de l'ALÉNA autorisent la conclusion du tribunal -- La Loi canadienne sur les sociétés par actions est inapplicable -- La position du Canada est étroite, légaliste et contraire aux objectifs de l'ALÉNA -- Les droits conférés par l'ALÉNA sont cumulatifs à moins qu'ils ne soient directement contradictoires -- La défenderesse bénéficie des droits conférés par les ch. 11 et 12 -- Quant à l'art. 1102 (traitement national), le critère souple des «circonstances analogues» était ouvert au tribunal et lui permettait d'opter pour un comparateur large.
Compétence de la Cour fédérale -- Demande présentée en vertu de l'art. 34 du Code d'arbitrage commercial en vue d'obtenir l'annulation des sentences rendues par un tribunal arbitral constitué en vertu de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA) -- Tribunal composé de trois experts en droit du commerce international -- Demande rejetée -- Compétence de la Cour en matière de contrôle judiciaire limitée par l'art. 34 -- L'«approche pragmatique et fonctionnelle» formulée par la C.S.C. pour établir une norme de contrôle ne s'applique pas au contrôle d'arbitrages commerciaux internationaux -- Il faut faire preuve de retenue judiciaire -- Examen du fond non prévu -- En vertu de l'art. 34, il n'existe aucun contrôle judiciaire d'une décision qui repose sur une erreur de droit, une conclusion de fait erronée, si elle entre dans la compétence du tribunal -- Tendance favorisant l'opinion selon laquelle les parties devraient accepter la décision même si elle est erronée -- L'arbitrage ne doit pas être simplement la première étape d'un processus qui conduit jusqu'à la décision finale de la cour d'appel la plus élevée du ressort--La sentence ne portait pas sur un différend non visé dans le compromis -- Le Canada n'a pas soulevé à temps l'exception d'incompétence comme l'exige l'art. 21(3) du Règlement d'arbitrage de la CNUDCI -- Analogue à l'art. 57(1) de la Loi sur les Cours fédérales exigeant la signification d'un avis de question constitutionnelle.
Il s'agissait d'une demande présentée en vertu de l'article 34 du Code d'arbitrage commercial en vue d'obtenir l'annulation des sentences sur la responsabilité, sur les dommages-intérêts et sur les frais rendues par un tribunal arbitral constitué en vertu de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA). C'était la première fois que la Cour fédérale était saisie d'une demande d'annulation d'une sentence arbitrale rendue en vertu du chapitre 11 de l'ALÉNA.
Le procureur général a sollicité le contrôle judiciaire de la décision portant que le Canada contrevenait aux articles 1102 et 1105 en imposant une interdiction sur les exportations de déchets contenant des BPC du Canada pour leur traitement aux États-Unis. La défenderesse, S.D. Myers, Inc. (SDMI), une société de l'Ohio qui effectue la décontamination des déchets contaminés aux BPC, a obtenu 6 050 000 $ de dommages- intérêts plus les frais. Les propriétaires de SDMI ont constitué Myers Canada, laquelle offre des services de décontamination de déchets à des clients canadiens. Elle retire les BPC de l'équipement au Canada, puis transporte cet équipement et les BPC en Ohio pour que l'on procède à une nouvelle décontamination et à la destruction des BPC.
Lorsque l'Environmental Protection Agency (EPA) des États-Unis a accordé à SDMI une permission discrétionnaire l'autorisant à importer des BPC à certaines conditions, deux exploitants canadiens d'établissements de traitement de déchets dangereux ont rencontré le ministre de l'Environnement pour l'informer que cette mesure éventuelle menacerait la viabilité de leurs propres activités. Le Canada a donc interdit les exportations de déchets contenant des BPC pendant 14 mois, après quoi il a rouvert sa frontière. SDMI a alors soumis une plainte à l'arbitrage, affirmant que Myers Canada constituait son «investissement» au Canada et que l'interdiction portait atteinte aux droits que lui accordait l'ALÉNA au titre du traitement national (article 1102) et de la norme minimale de traitement (article 1105). Elle a également allégué que l'article 1106 (prescriptions des résultats) et l'article 1110 (expropriation) n'avaient pas été respectés. Il importait de souligner que l'interdiction était dirigée contre SDMI la seule société qui avait reçu l'autorisation de l'EPA d'importer des BPC. Le tribunal a conclu qu'«il n'y avait aucune raison légitime d'ordre environnemental justifiant l'interdiction».
Le tribunal se composait de trois experts en arbitrage international et en commerce international, incluant deux Canadiens. Les sentences contestées ont été rendues à l'unanimité. Le tribunal a conclu que les arrêtés favorisaient les ressortissants canadiens aux dépens des étrangers et avaient pour effet d'empêcher SDMI et son investissement d'exploiter l'entreprise canadienne qu'ils avaient envisagée. Il a estimé que SDMI avait fourni à Myers Canada un soutien technique et financier, qu'elle lui avait consenti des prêts et qu'elle s'attendait à partager les bénéfices issus des opérations de Myers Canada.
Les deux principales questions soulevées en l'espèce étaient les suivantes: 1) les sentences arbitrales excédaient-elles la portée de la convention d'arbitrage prévue à la section B du chapitre 11 de l'ALÉNA du fait qu'elles auraient porté sur un différend non visé par ce chapitre? 2) les sentences arbitrales étaient-elles contraires à l'ordre public du Canada? Le Canada ainsi que le Mexique, qui est intervenu à l'appui du Canada, ont soulevé quatre sous-questions: 1) pour l'application du chapitre 11, SDMI était-elle un «investisseur» et Myers Canada, son «investissement»? 2) le tribunal a-t-il mal interprété l'obligation de traitement national prévue à l'article 1102 en estimant qu'elle autorisait la comparaison entre le traitement accordé à SDMI et Myers Canada et le traitement accordé aux société canadiennes, et le tribunal a-t-il conclu à tort que SDMI et Myers Canada se trouvaient «dans des circonstances analogues» à celles des sociétés canadiennes pour l'application de l'article 1102? 3) le tribunal a-t-il commis une erreur en concluant qu'en vertu du droit international, un manquement à une obligation reliée à la protection de l'investissement permet de conclure que la Partie a manqué aux dispositions de l'article 1105 de l'ALÉNA et que, dans les circonstances, le manquement à l'article 1102 entraîne fondamentalement un manquement à l'article 1105? et 4) le tribunal a-t-il excédé la portée du compromis ou de la clause compromissoire en appliquant les obligations du chapitre au «commerce transfrontières de services», régi par le chapitre 12.
Jugement: la demande est rejetée.
Les objectifs de l'ALÉNA figurent à l'article 102: 1) éliminer les obstacles au commerce dans la zone de libre-échange du Canada, des États-Unis et du Mexique; 2) favoriser la concurrence loyale dans la zone de libre-échange; 3) augmenter substantiellement les possibilités d'investisse-ment dans la zone de libre-échange; 4) établir des procédures efficaces pour l'application de l'ALÉNA et pour le règlement des différends. Les parties doivent appliquer l'ALÉNA en conformité avec les «règles applicables du droit international». Le chapitre 11 impose au Canada l'obligation de traiter une société des États-Unis qui investit et participe à la concurrence au Canada de manière équitable et sans discrimination. L'article 1114 lequel autorise le Canada à adopter une mesure environnementale légitime n'était pas pertinent pour le tribunal qui a conclu que l'interdiction d'exporter visait à protéger les entreprises canadiennes de la concurrence des États-Unis plutôt qu'à protéger l'environnement.
Selon l'article 1102 de l'ALÉNA, le Canada, les États-Unis et le Mexique ont convenu que chacun d'eux accordera aux investisseurs des autres pays un traitement non moins favorable que celui qu'il accorde à ses propres investisseurs en ce qui concerne «l'établissement, l'acquisition, l'expansion, la gestion, la direction, l'exploitation et la vente ou autre aliénation de l'investissement». Contrairement à l'Accord de libre-échange Canada-États-Unis qui l'a précédé, l'ALÉNA prévoit un mécanisme permettant aux investisseurs de régler leurs différends concernant l'allégation de traitement discriminatoire. Il s'agit d'un recours nouveau et important qui protège les investisseurs contre le protectionnisme de l'État. Ce mécanisme établit une procédure d'arbitrage efficace qui ne s'applique qu'aux différends concernant les plaintes d'«investisseurs» à l'égard des «investissements effectués par les investisseurs» prévues au chapitre 11.
La compétence de la Cour en matière de contrôle judiciaire est limitée par l'article 34 du Code d'arbitrage commercial et l'«approche pragmatique et fonctionnelle» adoptée par la Cour suprême du Canada pour établir la norme de contrôle n'a pas été appliquée dans les affaires canadiennes faisant l'objet d'arbitrages commerciaux internationaux. Dans Mexico v. Karpa, décision ontarienne non publiée, le juge Chilcott a conclu qu'«il faut faire preuve d'une grande retenue à l'égard des sentences arbitrales en général, et des arbitrages commerciaux internationaux en particulier». Dans l'arrêt Desputeaux c. Éditions Chouette (1987) inc., [2003] 1 R.C.S. 178, la Cour suprême du Canada a infirmé un arrêt de la Cour d'appel du Québec portant sur une sentence arbitrale visant un différend en matière de droit d'auteur, estimant qu'il conduisait à l'examen du fond, non prévu par la législation. L'article 34 n'autorise pas le contrôle judiciaire d'une décision entrant dans la compétence du tribunal dans le cas où elle repose sur une erreur de droit ou une conclusion de fait erronée. Les tribunaux canadiens ont reconnu que la prévisibilité dans l'application des dispositions en matière de règlement de différends est une condition préalable indispensable à toute opération commerciale internationale. La tendance favorise l'opinion selon laquelle les parties devraient être disposées à accepter la décision du tribunal arbitral même si elle est erronée, pour autant que les procédures régulières ont été suivies. Il n'est pas souhaitable que l'arbitrage devienne simplement la première étape d'un processus qui conduit à une décision finale de la cour d'appel la plus élevée du ressort où s'est déroulé l'arbitrage.
En vertu de l'article 34, la sentence arbitrale ne peut être annulée que si 1) elle porte sur un différend non visé dans le compromis ou n'entrant pas dans les prévisions de la clause compromissoire, ou 2) elle contient des décisions qui dépassent les termes du compromis ou de la clause compromissoire.
La Cour n'a pas été persuadée que la sentence portait sur un différend non visé dans le compromis ou n'entrant pas dans les prévisions de la clause compromissoire: à savoir si le Canada avait manqué aux articles 1102 et 1105 de l'ALÉNA. Le second motif était toutefois plus difficile. Le procureur général a fait valoir que la décision portant que SDMI est un «investisseur» ou que Myers Canada est un «investissement effectué par l'investisseur» selon les définitions de l'article 1139 dépassait les termes du compromis ou de la clause compromissoire. L'intervenant, le Mexique, a soutenu que le tribunal a dépassé les termes du compromis ou de la clause compromissoire en appliquant les obligations du chapitre 11 au «commerce transfontières de services» (régi par le chapitre 12), car le chapitre 12 excédait la portée de l'arbitrage.
Le paragraphe 21(3) du Règlement d'arbitrage de la CNUDCI prévoit que l'exception d'incompétence doit être soulevée au plus tard lors du dépôt de la réponse. Le paragraphe 21(4) prescrit, «d'une façon générale» que le tribunal doit statuer sur l'exception d'incompétence en la traitant comme une question préalable, même s'il peut poursuivre l'arbitrage et statuer sur la compétence dans la sentence finale. SDMI a soutenu que, puisque le Canada n'avait pas préalablement soulevé l'exception d'incompétence, il ne pouvait maintenant demander un contrôle judiciaire sur ce fondement. Le Canada a dit avoir attaqué la compétence du tribunal au paragraphe 4 de sa réponse en niant certains faits allégués dans la requête, mais l'article 21 exige que l'exception d'incompétence soit soulevée clairement et le paragraphe 4 n'a pas satisfait à cette exigence. Le Canada n'a pas demandé au tribunal de statuer sur l'exception d'incompétence comme question préalable et s'est engagé dans un arbitrage qui s'est révélé long et onéreux. La réponse était ambiguë à l'égard de la compétence. Le tribunal s'était demandé si SDMI était un «investisseur» et s'il existait un «investissement», considérant cette question comme un point mixte de fait et de droit, et non comme un point de compétence. Conclure que le Canada a correctement fait valoir l'exception d'incompétence reviendrait à porter atteinte aux procédures claires et expresses incorporées à l'ALÉNA pour le règlement des différends. La règle de l'ALÉNA qui prescrit de soulever la question de compétence pouvait être comparée au paragraphe 57(1) de la Loi sur les Cours fédérales prévoyant qu'une question constitutionnelle ne peut être soulevée sans qu'un avis n'ait été signifié. La Cour suprême du Canada a conclu que le défaut de signifier un avis interdit à une partie d'attaquer par la suite la constitutionnalité d'une loi.
Le sous-alinéa 34(2)b)(ii) du Code, qui prévoit qu'une sentence arbitrale peut être annulée après avoir fait l'objet d'un contrôle judiciaire si «elle est contraire à l'ordre public du Canada», ne s'entend pas de la position politique ou de la position internationale du Canada, mais des «notions et principes fondamentaux de la justice». Entre notamment dans ces principes le fait que le tribunal n'excède pas sa compétence et que l'excès de compétence puisse être une décision manifestement raisonnable, comme le mépris total de la loi, de sorte qu'elle constitue un abus de pouvoir équivalant à une injustice flagrante. Les conclusions du tribunal en l'espèce ne pouvaient cependant pas être considérées comme étant manifestement déraisonnables, clairement irrationnelles, ou comme se traduisant par une injustice flagrante. La Cour a conclu qu'aucun aspect des décisions du tribunal n'était contraire à l'ordre public du Canada.
Dans l'hypothèse où l'on pourrait conclure que la Cour a commis une erreur en concluant que le Canada ne pouvait maintenant soulever l'exception d'incompétence, ne l'ayant pas fait auparavant devant le tribunal, les questions débattues par le Canada et le Mexique ont été examinées. Selon la jurisprudence de la Cour fédérale, les sentences arbitrales portant sur le sens des termes «investisseur» et «investissement effectué par un investisseur» dans l'ALÉNA doivent être examinées en utilisant la norme de la décision correcte, alors qu'il faut appliquer la norme de la décision raisonnable en ce qui concerne l'application des définitions aux faits. Ces mêmes normes ont été appliquées pour décider si le chapitre 11 s'applique au commerce transfrontières des services visé au chapitre 12.
Le demandeur a soutenu que SDMI n'avait pas le droit de présenter cette requête parce qu'elle n'était pas propriétaire des actions de Myers Canada. Cependant, les termes de l'article 1139 sont larges: l'«investissement effectué par un investisseur d'une Partie» signifie que l'investissement est soit possédé par l'investisseur, soit «contrôlé, directement ou indirectement, par l'investisseur». La Convention de Vienne prévoit que les termes d'un traité comme l'ALÉNA doivent s'interpréter dans leur sens ordinaire et The Canadian Oxford Dictionary définit ainsi le terme «control» (contrôle): [traduction] «Le pouvoir de diriger, de commander (sous le contrôle de)». Le fait de savoir si SDMI contrôlait indirectement Myers Canada est une question de fait. La preuve a démontré que la famille Myers exploite son entreprise aux États-Unis et dans des pays étrangers par l'intermédiaire de SDMI. Cette société, par son président, M. Dana Myers, avait le pouvoir de diriger Myers Canada. Les termes de l'ALÉNA autorisent la conclusion du tribunal portant que SDMI était un «investisseur» pour l'application du chapitre 11 et que Myers Canada était un «investissement», et cette conclusion n'était pas ex aequo et bono, comme l'a prétendu le demandeur. Le tribunal n'a exercé aucun pouvoir de juger en equity ou pouvoir de la cour de chancellerie, mais il a simplement interprété la définition de l'article 1139 et l'a appliquée aux faits. Les renvois à la Loi canadienne sur les sociétés par actions, sur lesquels s'est appuyé le procureur général, n'étaient pas pertinents pour décider si SDMI, dans les faits, contrôlait directement ou indirectement Myers Canada. La position du Canada était étroite, légaliste et contraire aux objectifs de l'ALÉNA.
Quant à l'argument selon lequel les activités en cause sont du commerce transfrontières de services et sont donc régies par le chapitre 12, les droits conférés par l'ALÉNA sont cumulatifs, à moins qu'ils soient directement contradictoires. Comme SDMI avait effectivement un investissement au Canada pour des services de décontamination de déchets, elle avait droit à la protection qu'accorde le chapitre 11 à son investissement, ainsi qu'aux droits conférés par le chapitre 12, lesquels ne sont pas incompatibles avec les droits et les obligations du chapitre 11.
S'agissant des obligations du Canada en vertu de l'article 1102 (traitement national), la question de savoir si Myers Canada et les exploitants canadiens se trouvaient «dans des circonstances analogues» était une question mixte de fait et de droit. La comparaison faite «dans des circonstances analogues» est un critère souple qui peut s'élargir ou se refermer comme un accordéon pour coller aux faits particuliers de l'espèce. Dans la présente affaire, le tribunal pouvait raisonnablement utiliser un comparateur large.
La Cour eût-elle eu compétence pour exercer un contrôle judiciaire sur la conclusion du tribunal au sujet de l'article 1105 que ce contrôle aurait été inutile en raison de sa décision au sujet de l'article 1102. La conclusion du tribunal au sujet du manquement à l'article 1105 était redondante, puisque le préjudice est le même. Il n'était donc pas nécessaire que la Cour se prononce sur l'interprétation et l'application de l'article 1105 par le tribunal en l'espèce.
lois et règlements
Accord de libre-échange nord-américain entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des États-Unis d'Amérique et le gouvernement des États-Unis du Mexique, le 17 décembre 1992, [1994] R.T. Can. no 2, art. 2.01, 102, 201, 1102, 1105, 1106, 1110, 1114, 1115, 1116, 1136, 1139 «entreprise», «entreprise d'une Partie», «investissement», «investissement effectué par un investisseur d'une Partie», «investisseur d'une Partie», 1201 «entreprise», 1213.
Code d'arbitrage commercial, qui constitue l'annexe de la Loi sur l'arbitrage commercial, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 17, art. 1, 5, 6, 34. |
Code criminel, L.R.C., (1985), ch. C-46. |
Convention de Vienne sur le droit des traités, 23 mai 1969, [1980] R.T. Can. no 37, art. 31. |
Loi canadienne sur les sociétés par actions, L.R.C. (1985), ch. C-44 (mod. par L.C. 1994, ch. 24, art. 1). |
Loi sur l'arbitrage commercial, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 17, art. 2 «Code», 5(1),(3),(4) (mod. par L.C. 1997, ch. 14, art. 32), 6. |
Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 57 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 19; 2002, ch. 8, art. 54). |
Loi type de la CNUDCI sur l'arbitrage commercial international, Doc. NU A/40/17, annexe 1, adopté par la CNUDCI le 21 juin 1985. |
Règlement d'arbitrage de la CNUDCI, Doc. off. AG NU, 15 décembre 1976, art. 21. |
jurisprudence
décision suivie:
Dynamex Canada Inc. c. Mamona (2003), 228 D.L.R. (4th) 463; 26 C.C.E.L. (3d) 35; 305 N.R. 295 (C.A.F.).
décisions appliquées:
Mexico v. Metalclad Corp. (2001), 89 B.C.L.R. (3d) 359; 219 Nfld. & P.E.I.R. 7; 14 B.L.R. (3d) 285; 38 C.E.L.R. (N.S.) 284 (C.S.); Mexico v. Karpa, [2003] O.J. no 5070 (C.S.) (QL); Desputeaux c. Éditions Chouette (1987) inc., [2003] 1 R.C.S. 178; (2003), 223 D.L.R. (4th) 407; 23 C.P.R. (4th) 417; 301 N.R. 220; R. c. Owen, [2003] 1 R.C.S. 779; (2003), 225 D.L.R. (4th) 427; 174 C.C.C. (3d) 1; 11 C.R. (6th) 226; 173 O.A.C. 285.
décisions citées:
Quintette Coal Ltd. v. Nippon Steel Corp., [1991] 1 W.W.R. 219; (1990), 50 B.C.L.R. (2d) 207 (C.A. C.-B.); Corporacion Transnacional de Inversiones, S.A. de C.V. v. STET International, S.p.A. (1999), 45 O.R. (3d) 183; 104 O.T.C. 1 (C. S. Ont.); conf. par (2000), 49 O.R. (3d) 414; 136 O.A.C. 113 (C.A.); Ethyl Corporation and the Government of Canada, décision relative à la compétence, 24 juin 1998, 38 ILM 708 (1999); McIntosh c. Canada (Secrétaire d'État) (1994), 168 N.R. 75 (C.A.F.); Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 R.C.S. 854; (1996); 140 D.L.R. (4th) 193; 43 Admin. L.R. (2d) 155; 26 C.C.E.L. (2d) 1; 40 C.R.R. (2d) 81; 204 N.R. 1; Nelson c. Canada, [2000] 4 C.T.C. 252; 2000 DTC 6556; 261 N.R. 89 (C.A.F.); Stone c. Canada, [2003] 4 C.T.C. 110; 2003 DTC 5493 (C.A.F.); Navigation Sonamar Inc. c. Algoma Steamships Ltd., [1987] R.J.Q. 1346 (C.S.).
doctrine
Canadian Oxford Dictionary, Toronto: Oxford University Press, 2001, «control».
Rapport de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international sur les travaux de la dix-huitième session -- 3-21 juin 1985. Doc. off. AGNU, 40e sess., suppl. no 17, Doc. NU A/40/17 (1985).
Rapport du Secrétaire général à la dix-huitième session de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international--«Commentaire analytique du projet de texte d'une Loi type sur l'arbitrage commercial international». Vienne, 3-21 juin 1985. Doc. NU A/CN.9/264 (1985).
Redfern, Alan & Martin Hunter. Law and Practice of International Commercial Arbitration, 3rd ed. London: Sweet & Maxwell, 1999.
DEMANDE présentée en vertu de l'article 34 du Code d'arbitrage commercial en vue d'obtenir l'annulation de certaines décisions rendues par un tribunal arbitral constitué en vertu de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA). Demande rejetée.
ont comparu:
Brian R. Evernden et Sylvie Tabet pour le demandeur.
John B. Laskin, John A. Terry, Barry W. Appleton et Robert Wisner pour la défenderesse.
J. Christopher Thomas, c.r. et J. Cameron Mowatt pour l'intervenant.
avocats inscrits au dossier:
Le sous-procureur général du Canada pour le demandeur.
Torys LLP, Toronto, et Appleton & Associates, Toronto, pour la défenderesse.
Thomas & Partners, Vancouver, pour l'intervenant.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
[1]Le juge Kelen: Il s'agit d'une demande présentée en vertu de l'article 34 du Code d'arbitrage commercial, annexe de la Loi sur l'arbitrage commercial, L.R.C. (1985) (2e suppl. ), ch. 17 en vue d'obtenir l'annulation des décisions datées du 13 novembre 2000 (sentence sur la responsabilité), du 21 octobre 2002 (sentence sur les dommages-intérêts) et du 30 décembre 2003 (sentence sur les frais) rendues par un tribunal arbitral constitué en vertu de l'Accord de libre-échange nord-américain entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des États-Unis d'Amérique et le gouvernement des États-Unis du Mexique [17 décembre 1992, [1994] R.T. Can. no 2] (ALÉNA).
LE CONTEXTE
[2]C'est la première fois que la Cour fédérale est saisie d'une demande d'annulation d'une sentence arbitrale rendue en vertu du chapitre 11 de l'ALÉNA.
[3]Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de sentences arbitrales rendues en vertu de l'ALÉNA, portant que le demandeur contrevenait aux articles 1102 et 1105 de l'ALÉNA en imposant une interdiction sur les exportations de déchets contenant des BPC du Canada pour leur traitement aux États-Unis, mise en oeuvre par la voie d'un arrêté d'urgence et d'un arrêté final publiés en novembre 1995 et février 1996 respectivement. Le tribunal a accordé à la défenderesse 6 050 000 $ de dommages-intérêts plus les intérêts, 500 000 $ pour les frais d'avocats et 350 000 $ pour les frais d'arbitrage.
S.D. Myers Inc.
[4]La défenderesse, S.D. Myers Inc. (SDMI), est une société fermée de l'Ohio qui a son siège à Tallmadge, en Ohio. SDMI est la propriété de M. Dana Myers (chef de la direction détenant 51 % du capital-actions) et de ses trois frères. SDMI effectue le traitement ou la décontamination des déchets toxiques contaminés aux biphényles polychlorés (BPC).
[5]SDMI évalue le niveau de contamination aux BPC des transformateurs et autres équipements, transporte et démantèle les équipements, en retire les BPC pour les placer dans des barils ou réservoirs, et détruit ou fait détruire les BPC.
Myers Canada Inc.
[6]S.D. Myers (Canada) Inc. (Myers Canada) est une société fermée canadienne constituée en 1993 et dont les actions sont la propriété à part égale des quatre frères Myers. SDMI ne détient pas d'actions dans Myers Canada, mais lui a avancé des centaines de milliers de dollars et lui a fourni du personnel technique et du personnel de soutien. Le chef de la direction de SDMI prend toutes les décisions relatives aux affaires de Myers Canada.
[7]Myers Canada offre des services de décontamination de déchets à des clients canadiens. Myers Canada retire les BPC de l'équipement au Canada, puis transporte cet équipement et les BPC en Ohio pour les remettre à SDMI, qui procède à une nouvelle décontamination de l'équipement et à la destruction des BPC.
L'interdiction des exportations de BPC
[8]Le 15 novembre 1995 ou vers cette date, l'Environmental Protection Agency (EPA) des États-Unis a avisé la défenderesse qu'elle lui accorderait une «permission discrétionnaire» l'autorisant à importer des BPC à certaines conditions. Anticipant l'évolution de la situation, deux exploitants canadiens d'établissements de traitement de déchets dangereux ont rencontré le ministre de l'Environnement à son bureau pour l'informer que cette mesure éventuelle des États-Unis menacerait la viabilité économique de leurs propres activités.
[9]Le 16 novembre 1995, le Canada a interdit les exportations vers les États-Unis de déchets contenant des BPC. L'interdiction a été maintenue 14 mois jusqu'à ce que le Canada adopte un nouveau règlement sur le contrôle des exportations de BPC et rouvre sa frontière. Peu après la réouverture de la frontière, SDMI a soumis une plainte à l'arbitrage en vertu du chapitre 11 de l'ALÉNA, affirmant que Myers Canada constituait son «investissement» au Canada et que l'interdiction des exportations des BPC portait atteinte aux droits que lui accordait l'ALÉNA au titre du traitement national (article 1102) et de la norme minimale de traitement (article 1105). SDMI a également allégué que l'interdiction allait à l'encontre des dispositions en matière de prescriptions de résultats (article 1106) et d'expropriation (article 1110), ce qui avait pour effet au total de causer un préjudice à SDMI et à son «investissement», en l'occurrence Myers Canada, sous forme de perte financière.
[10]Le tribunal a conclu au paragraphe 162 que l'interdiction des exportations de BPC visait [traduction] «à protéger et à promouvoir la part de marché des entreprises qui effectueraient la destruction des BPC au Canada et qui étaient la propriété de ressortissants canadiens». Le tribunal a également conclu au même paragraphe:
[traduction] [. . .] l'intention protectionniste du ministre responsable s'est manifestée à toutes les étapes de la prise de décision qui a mené à l'interdiction. N'eût été de cette intention, les responsables de l'élaboration des politiques auraient peut-être, dès novembre 1995, conclu ce que le Canada allait conclure au moment de la levée de l'interdiction en février 1997. En 1997, le Canada a estimé que l'ouverture des frontières avec les États-Unis devait être accueillie favorablement dans l'intérêt d'accélérer l'élimination des BPC de l'environnement, sous réserve que les risques associés au transport des déchets contenant des BPC aux États-Unis soient minimisés par des règlements et des mesures de sécurité adéquats.
[11]Il faut souligner que l'interdiction était dirigée contre la défenderesse car elle était la seule société qui avait reçu l'autorisation de l'EPA d'importer des BPC.
[12]Les fonctionnaires du ministère de l'Environnement avaient prévenu le ministre que la fermeture des frontières du côté canadien alors que l'EPA des États-Unis les aurait ouvertes du côté américain soulèverait des difficultés en regard de l'ALÉNA. Le ministre n'a pas tenu compte de ces préoccupations touchant l'ALÉNA.
[13]Au paragraphe 176, le tribunal a fait référence au témoignage de fonctionnaires du ministère de l'Environnement, portant que l'interdiction des exportations de BPC [traduction] «n'est pas une option viable parce qu'on ne peut affirmer que la fermeture des frontières est nécessaire pour faire face à un danger grave pour l'environnement ou pour la santé humaine».
[14]Après l'examen détaillé de la preuve, le tribunal a conclu au paragraphe 195:
[traduction] Le tribunal conclut qu'il n'y avait aucune raison légitime d'ordre environnemental justifiant l'interdiction.
La procédure d'arbitrage
[15]Le 28 juillet 1998, SDMI a communiqué sa notification de l'intention de soumettre une plainte à l'arbitrage en vertu du chapitre 11 de l'ALÉNA. Trois mois plus tard, elle a communiqué sa notification d'arbitrage et sa requête, affirmant que l'interdiction du Canada sur les exportations de BPC enfreignait les articles 1102 et 1105 de l'ALÉNA ainsi que deux autres articles qui n'ont pas été retenus par le tribunal.
Composition du tribunal arbitral
[16]Le tribunal a été constitué en vertu du Règlement d'arbitrage de la CNUDCI [Doc. off. AG NU, 15 décembre 1976]. Chaque partie a choisi un arbitre du tribunal et les deux parties ont choisi ensemble l'arbitre-président du tribunal. SDMI a choisi le professeur Bryan P. Schwartz, de la Faculté de droit de l'Université du Manitoba. Le Canada a choisi M. Edward C. Chiasson, c.r., du cabinet Borden, Ladner, Gervais, s.r.l. de Vancouver. Les deux parties ont choisi comme arbitre-président le professeur Martin J. Hunter, c.r., de Londres, en Angleterre. Ces trois arbitres sont des personnes qui possèdent des connaissances, de l'expérience et une réputation en droit international, en droit du commerce international et en arbitrage international. L'arbitre-président est notamment le co-auteur d'un manuel qui fait autorité dans le domaine de l'arbitrage commercial international. Le candidat du Canada, M. Chiasson, a présidé deux autres groupes spéciaux de l'ALÉNA et un groupe spécial constitué en vertu de l'Accord de libre-échange Canada-États-Unis. Le professeur Schwartz est une autorité canadienne hautement respectée en matière de droit international et en ce qui concerne l'ALÉNA. Le mécanisme d'arbitrage prévu au chapitre 11 assurait donc que les personnes qui allaient trancher la requête avaient la confiance des parties.
[17]Les trois sentences arbitrales qui font l'objet du présent contrôle judiciaire ont été rendues à l'unanimité eu égard à la responsabilité du Canada, au montant des dommages-intérêts et aux frais.
La décision du tribunal
[18]En se fondant sur la preuve produite, le tribunal a conclu que les arrêtés d'urgence et final favorisaient les ressortissants canadiens aux dépens des étrangers et avaient pour effet d'empêcher SDMI et son investissement d'exploiter l'entreprise canadienne qu'ils avaient envisagée. Le tribunal a aussi conclu [traduction] «qu'il n'y avait aucune raison légitime d'ordre environnemental justifiant l'interdiction.» Le tribunal a notamment tiré les conclusions suivantes:
1) Myers Canada exerçait son activité comme filiale de SDMI;
2) SDMI avait constitué Myers Canada en vue de développer l'entreprise au Canada;
3) Dana Myers contrôlait Myers Canada en qualité de président et chef de la direction de SDMI;
4) le président de Myers Canada relevait de Dana Myers;
5) SDMI était engagée à fournir à Myers Canada un soutien technique et financier complet;
6) SDMI consentait des prêts à Myers Canada;
7) Myers Canada payait certains services à SDMI;
8) SDMI s'attendait à partager une partie des recettes ou des bénéfices issus des opérations de Myers Canada.
[19]Le tribunal a décidé que le Canada avait manqué à ses obligations au titre de l'ALÉNA et qu'il était tenu de dédommager SDMI (première sentence arbitrale partielle). La «deuxième sentence arbitrale partielle», datée du 21 octobre 2002, a ordonné au Canada de verser à SDMI un dédommagement pour la perte ou le préjudice subis en raison du manquement du Canada à ses obligations au titre du chapitre 11 de l'ALÉNA, soit un montant de 6 050 000 $ plus les intérêts.
[20]La «sentence arbitrale finale», datée du 30 décembre 2003, a ordonné au Canada de payer à SDMI la somme de 350 000 $ pour les frais d'arbitrage qu'elle avait engagés et la somme de 500 000 $ pour ses frais d'avocats.
LA LÉGISLATION, LES DISPOSITIONS DES TRAITÉS ET LES RÈGLES D'ARBITRAGE APPLICABLES
[21]La présente demande de contrôle judiciaire est présentée en vertu de l'article 34 du Code d'arbitrage commercial, fondé sur la Loi type de la CNUDCI sur l'arbitrage commercial international, adoptée par la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international le 21 juin 1985 et qui a reçu force de loi au Canada par l'effet de la Loi sur l'arbitrage commercial, applicable expressément à la plainte soumise à l'arbitrage en vertu du chapitre 11 de l'ALÉNA.
[22]Le chapitre 11 de l'ALÉNA s'applique aux mesures adoptées ou maintenues par l'une des parties à l'ALÉNA (le Canada, les États-Unis d'Amérique ou les États-Unis du Mexique) qui s'appliquent aux investisseurs ou aux investissements d'une autre partie. L'ALÉNA impose des obligations et confère des droits qui s'appliquent en l'espèce au Canada et à SDMI.
[23]L'ALÉNA prévoit également un mécanisme d'arbitrage pour le règlement des différends en matière d'investissement. L'arbitrage peut être assujetti à des règles d'arbitrage international différentes. En l'occurrence, la plainte a été soumise à l'arbitrage en vertu du Règlement d'arbitrage de la CNUDCI (CNUDCI est le sigle de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international). Les extraits pertinents de ce Règlement sont donc reproduits plus loin.
[24]Enfin, l'ALÉNA, qui est un traité international, est soumis aux règles d'interprétation des traités internationaux exposées dans la Convention de Vienne [Convention de Vienne sur le droit des traités, 23 mai 1969, [1980] R.T. Can. no 37]. Les extraits pertinents de ces textes figurent à l'Annexe A des présents motifs:
1. Loi sur l'arbitrage commercial [L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 17] et Code d'arbitrage commercial
2. ALÉNA
3. Règlement d'arbitrage de la CNUDCI
4. Convention de Vienne sur le droit des traités
LES QUESTIONS SOULEVÉES
[25]La présente demande soulève les questions suivantes.
i) Les sentences arbitrales excèdent-elles la portée de la convention d'arbitrage prévue à la section B du chapitre 11 de l'ALÉNA du fait qu'elles porteraient sur un différend ou des différends non visés par le chapitre 11 de l'ALÉNA?
ii) Les sentences arbitrales sont-elle contraires à l'ordre public du Canada?
[26]S'agissant de la première question, le Canada ainsi que le Mexique, qui est intervenu à l'appui du Canada, ont soulevé les sous-questions suivantes:
1) Le tribunal a-t-il commis une erreur en concluant que, pour l'application du chapitre 11 de l'ALÉNA, SDMI était un «investisseur» et Myers Canada, son «investissement»?
2) Le tribunal a-t-il mal interprété l'obligation de traitement national prévue à l'article 1102 de l'ALÉNA en estimant qu'elle autorisait la comparaison entre le traitement accordé à SDMI et Myers Canada et le traitement accordé aux sociétés canadiennes et le tribunal a-t-il conclu à tort que SDMI et Myers Canada se trouvaient [traduction] «dans des circonstances analogues» à celles des sociétés canadiennes pour l'application de l'article 1102?
3) Le tribunal a-t-il commis une erreur en concluant qu'en vertu du droit international, un manquement à une obligation reliée à la protection de l'investissement permet de conclure que la Partie a manqué aux dispositions de l'article 1105 de l'ALÉNA et que, dans les circonstances de l'espèce, le manquement à l'article 1102 entraîne fondamentalement un manquement à l'article 1105?
4) Le tribunal a-t-il excédé la portée du compromis ou de la clause compromissoire en appliquant les obligations du chapitre 11 au «commerce transfrontières de services», régi par le chapitre 12?
L'ANALYSE
Les objectifs et l'interprétation de l'ALÉNA
[27]Les objectifs pertinents de l'ALÉNA, qui figurent à l'article 102, se résument comme suit:
1) éliminer les obstacles au commerce dans la zone de libre-échange du Canada, des États-Unis et du Mexique;
2) favoriser la concurrence loyale dans la zone de libre-échange;
3) augmenter substantiellement les possibilités d'investissement dans la zone de libre-échange;
4) établir des procédures efficaces pour l'application de l'ALÉNA et pour le règlement des différends dans le cadre de l'ALÉNA.
[28]Les objectifs prévoient aussi que les parties «interpréteront et appliqueront» l'ALÉNA à la lumière de ses objectifs et en conformité avec «les règles applicables du droit international».
[29]Le chapitre 11 de l'ALÉNA impose au Canada l'obligation de traiter une société des États-Unis qui choisit d'investir et de participer à la concurrence au Canada de manière équitable et sans discrimination, et d'interpréter et d'appliquer les dispositions de l'ALÉNA en conformité avec cet objectif de l'Accord.
[30]L'article 1114 de l'ALÉNA autorise le Canada à adopter une mesure environnementale légitime sans égard au chapitre 11. Toutefois, le tribunal a conclu que la loi canadienne interdisant les exportations de BPC n'était pas une mesure environnementale légitime, mais visait à protéger les entreprises canadiennes de la concurrence des États-Unis. Par conséquent, l'article 1114 n'est pas pertinent.
L'interprétation des dispositions pertinentes du chapitre 11 de l'ALÉNA
[31]Selon l'article 1102 de l'ALÉNA, le Canada, les États-Unis d'Amérique et les États-Unis du Mexique ont convenu que chaque pays accordera aux investisseurs des deux autres pays un traitement non moins favorable que celui qu'il accorde à ses propres investisseurs, en ce qui concerne «l'établissement, l'acquisition, l'expansion, la gestion, la direction, l'exploitation et la vente ou autre aliénation d'investissements».
[32]De plus, contrairement à l'Accord de libre-échange Canada-États-Unis qui l'a précédé, l'ALÉNA prévoit un mécanisme permettant aux investisseurs de régler leurs différends concernant l'allégation de traitement discriminatoire. Ce mécanisme crée un recours nouveau et important qui protège les investisseurs contre le protectionnisme de l'État. Il établit aussi une procédure d'arbitrage impartiale, efficace et rapide pour régler ces différends. Cette procédure d'arbitrage ne s'applique qu'aux différends concernant les plaintes d'«investisseurs» à l'égard des «investissements effectués par les investisseurs» prévues au chapitre 11.
La compétence limitée de la Cour fédérale en matière de contrôle judiciaire
[33]Le Canada et le Mexique affirment que la norme de contrôle appropriée en l'espèce est celle de la «décision correcte» du fait que cet arbitrage international fait intervenir un État, et que l'État n'a donné son consentement à l'arbitrage que dans la mesure prévue à l'ALÉNA. Ils déclarent que la situation se distingue du cas où des parties privées ont convenu qu'un arbitrage international tranchera l'ensemble du litige entre les parties privées.
[34]Le Canada soutient au paragraphe 87 de son mémoire:
[traduction] L'une des assises du droit de l'arbitrage est le consentement des parties à l'arbitrage. Ce consentement doit porter non seulement sur l'arbitrage proprement dit, mais aussi sur les questions spécifiques à trancher par arbitrage et il peut aussi porter sur la loi applicable. Un tribunal d'arbitrage n'est compétent qu'à l'égard des questions spécifiques que les parties ont convenu de lui soumettre et toute sentence arbitrale qui excède ces questions dépasse les termes du compromis ou de la clause compromissoire.
L'ouvrage cité par le Canada est Alan Redfern & Martin Hunter, Law and Practice of International Commercial Arbitration, 3e éd. (Londres: Sweet & Maxwell, 1999). (Le co-auteur de cette étude, le professeur Martin Hunter, expert mondial en la matière, a été choisi par les parties comme arbitre-président du tribunal arbitral saisi de l'affaire.)
[35]La portée limitée de la compétence de la Cour en matière de contrôle judiciaire est prévue à l'article 34 du Code d'arbitrage commercial. La jurisprudence canadienne relative à la compétence limitée du contrôle judiciaire visant la décision d'un tribunal arbitral en vertu du chapitre 11 de l'ALÉNA est la suivante:
i) Mexico v. Metalclad Corp. (2001), 89 B.C.L.R. (3d) 359 (C.S.)
ii) Mexico v. Karpa, [2003] O.J. no 5070 (C. sup.) (QL).
[36]Dans la décision Metalclad, précitée, le juge Tysoe déclare au paragraphe 54:
[traduction] Je n'ai pas à décider s'il est approprié d'utiliser l'«approche pragmatique et fonctionnelle» pour établir la norme de contrôle aux termes de la LAC. S'agissant de la LAC international, j'estime que la norme de contrôle est exposée aux articles 5 et 34 de la Loi et que je commettrais une erreur en important dans cette loi une approche définie dans le cadre de l'interprétation des lois visant les tribunaux nationaux constitués par la loi. Il se peut que certains des principes examinés par la Cour suprême du Canada selon cette jurisprudence soient utiles à l'application des articles 5 et 34 mais l'«approche pragmatique et fonctionnelle» ne peut servir à créer une norme de contrôle non prévue dans la LAC international. Je ferai remarquer que depuis la formulation complète de l'«approche pragmatique et fonctionnelle» par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Pushpanathan c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 982, l'approche n'a pas été appliquée dans les affaires canadiennes faisant l'objet d'arbitrages commerciaux internationaux (voir par exemple la décision Corporacion Transnacional de Inversiones, S.A. de C.V. c. STET International, S.p.A. (1999), 45 O.R. (3d) 183 (C.S. Ont.); confirmé par (2000), 49 O.R. (3d) 414 et la décision D.L.T. Holdings Inc. c. Grow Biz International, Inc. (2000), 194 Nfld. & P.E.I.R. 206 (C.S.I.-P.-E.)). [Non souligné dans l'original.]
[37]Dans la décision Karpa, précitée, le juge Chilcott déclare au paragraphe 77:
[traduction] À mon avis, il faut faire preuve d'une grande retenue à l'égard du tribunal, particulièrement dans les affaires où la demanderesse, le Mexique, se trouve en réalité à attaquer une conclusion de fait. Le tribunal qui a entendu la preuve est celui qui est le mieux placé pour trancher les questions de crédibilité, de fiabilité et les questions reliées à la charge de la preuve.
Et il conclut au paragraphe 97:
[traduction] J'accepte la proposition selon laquelle les tribunaux judiciaires doivent faire preuve de retenue à l'égard des sentences arbitrales en général, et des arbitrages commerciaux internationaux en particulier.
[38]D'autres décisions de la jurisprudence canadienne considèrent la compétence limitée d'un tribunal supérieur en matière de contrôle judiciaire d'une sentence arbitrale selon l'article 34 du Code dans l'optique de l'arbitrage international entre deux parties privées, plutôt que dans l'optique de l'arbitrage entre un investisseur et l'État. Voir l'arrêt Quintette Coal Ltd. c. Nippon Steel Corp., [1991] 1 W.W.R. 219 (C.A.C.-B.).
[39]Les tribunaux judiciaires ont établi que l'approche «pragmatique et fonctionnelle» ne peut être utilisée pour définir une norme de contrôle non prévue à l'article 34 du Code. Les tribunaux judiciaires ne s'autorisent pas à exercer un contrôle judiciaire sur les tribunaux d'arbitrage international par souci de la prévisibilité nécessaire dans le règlement des différends et pour protéger l'autonomie de la juridiction d'arbitrage choisie par les parties.
[40]Dans l'arrêt Desputeaux c. Éditions Chouette (1987) inc., [2003] 1 R.C.S. 178, la Cour suprême du Canada a infirmé un arrêt de la Cour d'appel du Québec qui annulait une sentence arbitrale visant un différend en matière de droit d'auteur. La Cour suprême s'est prononcée expressément contre l'approche de la Cour d'appel du Québec parce que cette approche conduisait à l'examen du fond, non prévu par la législation. Ainsi le juge LeBel déclare aux paragraphes 65 et 66:
La Cour d'appel a affirmé au par. 49 que:
Lorsqu'un arbitre est appelé, dans le cadre de son mandat, à appliquer les règles d'ordre public, il doit les appliquer correctement, c'est-à-dire de la même façon que les tribunaux. |
Cette affirmation porte atteinte au principe fondamental de l'autonomie de l'arbitrage (Compagnie nationale Air France, précité, p. 724). En effet, elle conduit nécessairement à l'examen du fond du différend par le tribunal judiciaire. De plus, elle perpétue une conception de l'arbitrage qui en faisait une justice inférieure à celle offerte par les tribunaux judiciaires (Condominiums Mont St-Sauveur, précité, p. 2785).
S'agissant de la norme de contrôle, le juge LeBel déclare aux paragraphes 68 et 69:
Certains jugements ont adopté une vue large de ce pouvoir ou tendent parfois à le confondre avec le pouvoir de contrôle judiciaire en vertu des art. 33 et 846 C.p.c. [. . . ] Le jugement visé illustre cette tendance en adoptant une norme de révision fondée sur le contrôle pur et simple de toute erreur de droit commise à l'examen d'une question d'ordre public. Cette approche étend l'intervention judiciaire au moment de l'homologation ou de la demande d'annulation de la sentence arbitrale bien au-delà des cas prévus par le législateur. On oublie que le législateur a volontairement restreint ce contrôle pour préserver l'autonomie de l'institution arbitrale.
Le contrôle de la justesse des décisions arbitrales compromet l'autonomie voulue par le législateur, qui ne peut s'accommoder d'un contrôle judiciaire équivalant pratiquement à un appel presque complet sur le droit. La juge Thibault de la Cour d'appel soulignait ce problème lorsqu'elle affirmait:
À mon avis, l'argument voulant qu'une interprétation du règlement différente, voire même contraire de celle retenue par les tribunaux de droit commun, fasse en sorte que la sentence arbitrale dépasse les termes de la convention d'arbitrage résulte d'une méconnaissance profonde du système d'arbitrage conventionnel. L'argument assujettit ce système distinct de justice à un contrôle de la justesse de ses décisions et il réduit ainsi, de façon significative, la latitude que le législateur et les parties entendaient conférer au conseil d'arbitrage. [Non souligné dans l'original.] |
[41]Par analogie avec une affaire dans laquelle le législateur a énoncé dans le Code criminel [L.R.C. (1985), ch. C-46] la norme précise de contrôle judiciaire, les paragraphes 31 et 32 de l'arrêt de la Cour suprême du Canada R. c. Owen, [2003] 1 R.C.S. 779 rendu par le juge Binnie s'appliquent à l'espèce:
L'appelante a soumis une analyse approfondie des décisions de notre Cour en droit administratif, de U.E.S., local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048, p. 1087, à Moreau-Bérubé c. Nouveau-Brunswick (Conseil de la magistrature), [2002] 1 R.C.S. 249, 2002 CSC 11, relativement à l'application de la «méthode fonctionnelle et pragmatique» pour déterminer la norme de contrôle applicable. Cependant, le législateur a pris la peine d'énoncer dans le Code criminel la norme précise de contrôle judiciaire qui s'applique à ces commissions d'examen, à savoir que la cour ne peut annuler une ordonnance rendue par la commission d'examen que si elle est d'avis que, selon le cas:
a) la décision est déraisonnable ou ne peut pas s'appuyer sur la preuve;
b) il s'agit d'une erreur de droit sauf si aucun tort important ou aucune erreur judiciaire grave ne s'est produit;
c) il y a eu erreur judiciaire. (C. cr., art. 672.78)
Il ne faut pas perdre de vue que, [traduction] «[d]ans une large mesure, l'examen judiciaire d'un acte administratif est une division spécialisée de l'interprétation des lois»: (soulignement omis) Bibeault, précité, p. 1087. Si le législateur a révélé son intention dans le libellé explicite de l'art. 672.78 C. cr., c'est cette norme de contrôle qu'il convient d'appliquer en l'absence de contestation constitutionnelle. [Non souligné dans l'original.]
En l'espèce, l'article 34 du Code définit la compétence limitée de la Cour en matière d'annulation d'une sentence arbitrale.
[42]Il faut mentionner que l'article 34 du Code n'autorise pas le contrôle judiciaire d'une décision entrant dans la compétence du tribunal dans le cas où la décision repose sur une erreur de droit ou une conclusion de fait erronée. Le principe de la non-intervention judiciaire à l'égard des sentences arbitrales qui relèvent de la compétence du tribunal arbitral a été maintes fois répété. Voir le juge Lax dans la décision Corporacion Transnacional de Inversiones, S.A. de C.V. v. STET International, S.P.A. (1999), 45 O.R. (3d) 183 (C. Sup.) à la page 191, confirmée par (2000), 49 O.R. (3d) 414 (C.A.):
[traduction] La grande retenue et le grand respect dont doivent faire l'objet les décisions des tribunaux arbitraux en vertu de la loi type ont été reconnus dans notre province par la Cour d'appel de l'Ontario dans l'arrêt Automatic Systems Inc. c. Bracknell Corp. (1994), 18 O.R. (3d) 257 à la p. 264, 113 D.L.R. (4th) 449 à la p. 456:
[traduction] Le but des conventions des Nations Unies et de la législation qui les a adoptées est de veiller au respect du mode de règlement des différends dans l'instance et selon les règles choisies par les parties. Les tribunaux canadiens ont reconnu que la prévisibilité dans l'application des dispositions en matière de règlement des différends est une condition préalable indispensable à toute opération commerciale internationale et qu'elle facilite et encourage la mise en oeuvre d'un plus grand libre-échange à l'échelle internationale: Kaverit Steel & Crane Ltd. c. Kone Corp. (1992), 87 D.L.R. (4th) 129 à la p. 139, 85 Alta. L.R. (2d) 287 (C.A.). |
Une sentence arbitrale n'est pas invalide du fait qu'aux yeux du tribunal saisi de la demande, le tribunal arbitral a rendu une décision erronée sur une question de fait ou de droit. Dans l'ouvrage Law and Practice of International Commercial Arbitration, précité, on lit à la page 432:
[traduction] Néanmoins, la loi type, toute fondamentale qu'elle soit, reflète la tendance moderne visant à donner un caractère définitif aux sentences arbitrales. On croit, dans la mesure du moins où il s'agit d'arbitrages internationaux, que les parties devraient être disposées à accepter la décision du tribunal arbitral même si elle est erronée, pour autant que les procédures régulières ont été suivies. Si un tribunal est autorisé à faire le contrôle de la décision sur le droit ou sur le fond, la célérité et, surtout, le caractère définitif du processus arbitral sont annulés. L'arbitrage devient alors simplement la première étape d'un processus qui peut conduire, par la voie d'appels successifs, jusqu'à la cour d'appel la plus élevée du ressort où s'est déroulé l'arbitrage. [Non souligné dans l'original.]
Puis à la page 433:
[traduction] [. . .] la loi type ne comporte aucune disposition visant une forme quelconque d'appel de la sentence arbitrale, sur un point de droit ou sur les faits, ou un contrôle judiciaire de la sentence arbitrale sur le fond. Si le tribunal est compétent, si les procédures régulières sont suivies et les formalités régulières sont respectées, la sentence, qu'elle soit bonne, mauvaise ou indifférente, est sans appel et elle lie les parties.
Le contrôle judiciaire en vertu du sous-alinéa 34(2)a)(iii)
[43]Comme on vient de le voir, la Cour fédérale possède une compétence limitée, en vertu de l'article 34 du Code, pour connaître d'une demande d'annulation des sentences arbitrales visées en l'espèce. La première disposition pertinente du Code est le sous-alinéa 34(2)a)(iii), qui prévoit:
Article 34
[. . .]
(2) La sentence arbitrale ne peut être annulée par le tribunal visé à l'article 6 que si, selon le cas:
[. . .]
(iii) soit que la sentence porte sur un différend non visé dans le compromis ou n'entrant pas dans les prévisions de la clause compromissoire, ou qu'elle contient des décisions qui dépassent les termes du compromis ou de la clause compromissoire, étant entendu toutefois que, si les dispositions de la sentence qui ont trait à des questions soumises à l'arbitrage peuvent être dissociées de celles qui ont trait à des questions non soumises à l'arbitrage, seule la partie de la sentence contenant des décisions sur les questions non soumises à l'arbitrage pourra être annulée;
[44]Lorsqu'on analyse la compétence de la Cour aux termes du sous-alinéa, les sentences arbitrales ne peuvent être annulées que si le demandeur, en l'occurrence le procureur général du Canada, apporte une preuve fondée sur l'un de deux motifs suivants:
i) les sentences portent sur un différend non visé dans le compromis ou n'entrant pas dans les prévisions de la clause compromissoire; ou
ii) les sentences contiennent des décisions qui dépassent les termes du compromis ou de la clause compromissoire.
[45]S'agissant du premier motif, je ne suis pas persuadé que la sentence porte sur un différend non visé dans le compromis ou n'entrant pas dans les prévisions de la clause compromissoire, soit de savoir si le Canada a manqué aux articles 1102 et 1105 de l'ALÉNA à l'égard de la défenderesse. En réalité, il s'agit du différend que la défenderesse a soumis à l'arbitrage.
[46]Le second motif est plus difficile. Le procureur général fait valoir que la décision arbitrale portant que SDMI est visée par la définition de l'«investisseur» ou que Myers Canada est «un investissement effectué par l'investisseur» selon les définitions de l'article 1139 de l'ALÉNA est une question qui dépasse les termes du compromis ou de la clause compromissoire. Le Mexique soutient que le tribunal a dépassé les termes du compromis ou de la clause compromissoire en appliquant les obligations du chapitre 11 au «commerce transfrontières des services» qui est régi par le chapitre 12, et que le chapitre 12 excède la portée de l'arbitrage.
Les questions qui dépassent les termes de l'arbitrage touchent la compétence
[47]L'article 21 du Règlement d'arbitrage de la CNUDCI donne au tribunal arbitral le pouvoir de statuer sur les exceptions prises de son incompétence. Le paragraphe 3 de l'article 21 prévoit que l'exception d'incompétence doit être soulevée au plus tard lors du dépôt de la réponse. Le paragraphe 4 de l'article 21 prescrit, «[d]'une façon générale», que le tribunal arbitral statue sur l'exception d'incompétence en la traitant comme question préalable. Il peut cependant poursuivre l'arbitrage et statuer sur cette exception dans la sentence finale. En l'espèce, SDMI soutient que le Canada n'a pas attaqué la compétence du tribunal arbitral, comme l'exige l'article 21 du Règlement d'arbitrage de la CNUDCI, et qu'il ne peut maintenant demander un contrôle judiciaire sur ce fondement.
[48]La Cour a examiné la notification d'arbitrage et la requête présentées par la défenderesse ainsi que la réponse du Canada. Le Canada soutient qu'il a attaqué la compétence du tribunal arbitral au paragraphe 4 de sa réponse sous le titre [traduction] «Les faits»:
[traduction] 4. Sous réserve de ce qui est expressément indiqué ci-dessous, le Canada nie les faits allégués aux paragraphes 2, 4 à 12 et 16 à 57 de la requête et demande à Myers d'établir strictement chacun des faits allégués dans ces paragraphes.
Le Canada fait valoir que l'exception soulevée satisfait aux conditions du paragraphe 3 de l'article 21 du Règlement d'arbitrage parce que les paragraphes 6 à 12 de la requête sont précédés de l'intitulé [traduction] «Compétence du tribunal», et allèguent que la demande relève de la compétence du tribunal.
[49]L'article 21 prévoit que la partie doit soulever clairement l'exception d'incompétence du tribunal arbitral dans les plus brefs délais et, au plus tard, lors du dépôt de la réponse. Après avoir fait l'examen du paragraphe 4 de la réponse du Canada, la Cour conclut que le Canada n'a pas soulevé clairement l'exception prise de l'incompétence du tribunal. Le sens normal et ordinaire du Règlement impose à la partie de soulever clairement et expressément l'exception d'incompétence et de demander au tribunal de statuer sur l'exception d'incompétence comme question préalable. À cette étape, les parties peuvent demander le contrôle judiciaire avant de s'engager dans un arbitrage qui, comme en l'espèce, s'est révélé long et onéreux. Je conclus que le paragraphe 4 de la réponse du Canada est ambigu à l'égard de la compétence.
[50]D'ailleurs, la position du Canada sur ce point est affaiblie par sa propre pratique dans le passé. Dans un arbitrage antérieur relatif au chapitre 11 de l'ALÉNA, selon le même Règlement d'arbitrage, entre Ethyl Corporation et le gouvernement du Canada, le Canada a clairement et expressément déclaré que le tribunal n'était pas compétent pour être saisi de la demande d'Ethyl et demandé ce qui suit:
[traduction] Le tribunal devrait, comme question préalable, trancher qu'il n'a pas compétence pour être saisi de tout ou partie de la demande.
Par conséquent, le tribunal arbitral de l'ALÉNA a dans cette affaire rendu une décision préalable datée du 24 juin 1998 touchant sa compétence, soit la décision Ethyl Corporation and the Government of Canada, 38 ILM 708 (1999).
[51]Dans la présente affaire, la décision du tribunal arbitral n'a pas expressément abordé la question de la «compétence». Toutefois, l'argument du Canada selon lequel SDMI n'avait pas [traduction] «qualité» pour déposer la plainte a été pris en compte au chapitre VII de la sentence arbitrale sur la responsabilité sous l'intitulé: [traduction] «SDMI était-elle un investisseur? Existait-il un investissement?»
[52]La question y a été considérée comme un point mixte de fait et de droit, et non comme un point de compétence. Dans cette partie de la sentence arbitrale, il n'est jamais fait allusion à une opposition du Canada à la «compétence» du tribunal.
[53]La compétence est une notion technique et l'exception d'incompétence doit être clairement soulevée au début de l'arbitrage. En l'espèce, le Canada ne l'a pas fait et il ne peut maintenant soutenir que le tribunal n'était pas compétent pour rendre les trois décisions qui font l'objet des présentes demandes de contrôle judiciaire. Conclure autrement porterait atteinte aux procédures claires et expresses incorporées à l'ALÉNA pour le règlement des différends.
Le défaut de donner un avis
[54]La règle qui prescrit de soulever la question de compétence est analogue à la disposition du paragraphe 57(1) [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 19; 2002, ch. 8, art. 54] de la Loi sur les Cours fédérales [L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14)] prévoyant qu'une partie ne peut soulever une question constitutionnelle à moins d'avoir donné avis de question constitutionnelle conformément à l'article 57. La Cour d'appel fédérale et la Cour suprême du Canada ont conclu que le défaut de signifier un avis selon la Loi interdit à une partie d'attaquer par la suite la constitutionnalité d'une loi. Voir les arrêts McIntosh c. Canada (Secrétaire d'État) (1994), 168 N.R. 75 (C.A.F.), au paragraphe 5; Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 R.C.S. 854, au paragraphe 38; Nelson c. Canada, [2000] 4 C.T.C. 252 (C.A.F.), au paragraphe 7; Stone c. Canada, [2003] 4 C.T.C. 110 (C.A.F.), au paragraphe 4.
Le contrôle judiciaire aux termes du sous-alinéa 34(2)b)(ii)--L'ordre public
[55]Le sous-alinéa 34(2)b)(ii) du Code prévoit que la Cour peut procéder au contrôle judiciaire d'une sentence arbitrale et l'annuler dans le cas où «la sentence est contraire à l'ordre public du Canada». L'«ordre public» ne s'entend pas de la position politique ou de la position internationale du Canada mais s'entend des «notions et principes fondamentaux de la justice». Entre notamment dans ces principes le fait que le tribunal n'excède pas sa compétence dans le cours d'une enquête et que l'«excès de compétence» puisse être une décision «manifestement déraisonnable», comme le mépris total de la loi, de sorte qu'elle constitue un abus de pouvoir équivalant à une injustice flagrante. Voir la décision Navigation Sonamar Inc. c. Algoma Steamships Ltd., [1987] R.J.Q. 1346 (C. Sup.); «Commentaire analytique du projet de texte d'une loi type sur l'arbitrage commercial international», dans Rapport du Secrétaire général à la dix-huitième session de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international [Vienne, 3-21 juin 1985. Doc NU A/CN. 9/264 (1985)]; Rapport de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international sur les travaux de la dix-huitième session--3-21 juin 1985. [Doc. off. AGNU, 40e sess., suppl. no 17, Doc.NU A/40/17 (1985)]; la décision Mexico c. Karpa, précitée, au paragraphe 87.
[56]En l'espèce, les conclusions du tribunal sur les deux questions de compétence ainsi que sur l'article 1102 ne sont pas «manifestement déraisonnables», «clairement irrationnelles», ne manifestent pas un «manque total de réalisme» ou ne sont pas «un déni de justice flagrant». Par conséquent, la Cour conclut qu'aucun aspect des décisions du tribunal faisant l'objet du contrôle judiciaire n'«est contraire à l'ordre public du Canada».
La norme de contrôle applicable à l'interprétation juridique des définitions de l'ALÉNA et à l'application du chapitre 12 de l'ALÉNA
[57]J'entreprends maintenant le présent examen dans l'hypothèse où j'aurais commis une erreur en concluant, comme je viens de le faire, que le Canada n'a pas correctement fait valoir l'exception d'incompétence devant le tribunal arbitral et qu'il ne peut donc pour ce motif demander le contrôle judiciaire.
[58]S'agissant des deux questions soulevées par le Canada et le Mexique qui touchent la compétence ou le fait que les décisions «dépassent les termes du compromis ou de la clause compromissoire», la norme de contrôle applicable à la pure question de droit est la décision correcte et, à la question mixte de droit et de fait, la décision raisonnable.
[59]Dans l'arrêt Dynamex Canada Inc. c. Mamona (2002), 228 D.L.R. (4th) 463, la Cour d'appel fédérale a déclaré que le fait de définir une question comme point de droit ou de compétence n'entraîne pas que la norme de contrôle soit nécessairement la décision correcte. Dans l'application de «l'approche pragmatique et fonctionnelle», la Cour d'appel fédérale a conclu que sur les questions de droit dont sont normalement saisis les tribunaux, et non sur les questions faisant intervenir une expertise spéciale du tribunal ou exigeant l'application du droit aux faits, la norme de contrôle est la décision correcte. Toutefois, la façon dont les principes de droit corrects sont appliqués aux faits est une question mixte de droit et de fait et elle devrait faire l'objet d'un contrôle selon la norme de la décision raisonnable. La Cour d'appel a déclaré au paragraphe 45:
Selon moi, la décision de l'arbitre concernant les principes de common law applicables dans la détermination du statut d'employé doit être examinée en utilisant la norme de la décision correcte. J'en viens à cette conclusion, malgré la présence de clauses privatives, car il s'agit d'une question de droit de la même nature que celles habituellement décidées par les différents tribunaux. Il ne s'agit pas d'une question exigeant une expertise particulière de l'arbitre. Toutefois, la façon dont ces principes sont appliqués aux faits, ce qui constitue une question mixte de droit et de fait, doit être examinée en utilisant la norme de la décision raisonnable. Ainsi, si la décision de l'arbitre ne contient aucune erreur en droit et que les conclusions sont jugées raisonnables après examen, la décision sera maintenue.
[60]Pour ces motifs, je me pencherai sur la sentence arbitrale en examinant le sens juridique des termes «investisseur» et «investissement effectué par un investisseur» dans l'ALÉNA en fonction de la norme de la décision correcte. En ce qui concerne l'application des définitions aux faits, j'étudierai la sentence arbitrale en fonction de la norme de la décision raisonnable.
[61]S'agissant de la deuxième question de compétence, soit de décider si le chapitre 11 s'applique au commerce transfrontières des services visé au chapitre 12, les deux mêmes normes seront appliquées.
La signification d'«investisseur» et d'«investissement effectué par un investisseur» au chapitre 11
[62]Le tribunal a conclu que SDMI était un «investisseur» pour l'application du chapitre 11 de l'ALÉNA et que Myers Canada était un «investissement». (Voir le paragraphe 231 de la sentence sur la responsabilité.) L'article 1139 définit «investisseur d'une Partie», «investissement effectué par un investisseur d'une Partie» et «investissement» en termes larges.
[63]Myers Canada, société canadienne constituée par les frères Myers au Canada, était un «investissement». Cela n'est pas contesté. Le fondement de l'opposition du Canada au droit de SDMI de présenter sa requête est le fait que SDMI n'avait pas la propriété des actions de Myers Canada. Selon la définition de l'«investissement effectué par un investisseur d'une Partie», l'investissement est soit possédé par l'investisseur, soit «contrôlé, directement ou indirectement» par l'investisseur. La définition est la suivante:
Article 1139: Définitions
[. . .]
investissement effectué par un investisseur d'une Partie désigne un investissement possédé ou contrôlé, directement ou indirectement, par un investisseur de cette Partie;
investisseur d'une Partie désigne une Partie ou une entreprise d'État de cette Partie, ou un ressortissant ou une entreprise de cette Partie, qui cherche à effectuer, effectue ou a effectué un investissement;
Ces termes sont larges et contrastent avec la définition précise du «contrôle» dans un chapitre analogue de l'Accord de libre-échange Canada-États-Unis (chapitre 16). Le chapitre 11 de l'ALÉNA ne donne pas de définition du «contrôle». La définition de l'«investissement effectué par un investisseur d'une Partie» emploie les termes larges «contrôlé [. . .] indirectement», ce qui en fait une définition ouverte et vague. La Convention de Vienne prévoit que les termes d'un traité comme l'ALÉNA doivent s'interpréter dans leur sens ordinaire. Le sens ordinaire de «contrôle» (control dans l'anglais) est défini dans The Canadian Oxford Dictionary, Toronto: Oxford University Press, 2001 de la manière suivante: [traduction] Le pouvoir de diriger, de commander (sous le contrôle de).
[64]Le fait de savoir si SDMI contrôlait indirectement Myers Canada devient une question de fait. D'après la preuve, M. Dana Myers, président de SDMI, a témoigné qu'il exerçait le contrôle sur SDMI aux États-Unis et sur l'exploitation de SDMI en Australie, en Arabie saoudite, au Mexique et au Canada en qualité de chef de la direction de SDMI. Il s'agissait d'une entreprise familiale qui exerçait son activité aux États-Unis et dans d'autres pays par l'intermédiaire de SDMI. SDMI avançait le financement nécessaire à l'activité de Myers Canada, SDMI lui fournissait le personnel et le soutien technique et SDMI s'attendait à participer aux bénéfices de Myers Canada. D'autres témoins ont confirmé que SDMI, par son président, M. Dana Myers, avait le «pouvoir de diriger» Myers Canada.
[65]La Cour conclut que la portée large de la définition d'«investissement effectué par un investisseur d'une Partie», en particulier l'emploi des mots «contrôlé, directement ou indirectement», jointe à l'objectif de l'ALÉNA d'une interprétation et d'une application en conformité avec les objets de l'ALÉNA, appuie la conclusion du tribunal au paragraphe 231:
[traduction] Sur la foi de la preuve et selon son interprétation de l'ALÉNA, le tribunal conclut que SDMI était un «investisseur» pour l'application du chapitre 11 de l'ALÉNA et que Myers Canada était un «investissement».
[66]Comme les termes de l'ALÉNA autorisent cette conclusion, la Cour conclut également que cette conclusion n'était pas ex aequo et bono comme l'a prétendu le Canada. Le tribunal n'a exercé aucun pouvoir de juger en equity ou pouvoir de la cour de chancellerie. Il a seulement exercé son pouvoir d'interpréter correctement la définition de l'article 1139 d'un «investissement effectué par un investisseur d'une Partie» et de l'appliquer correctement aux faits.
[67]Le procureur général dit que la loi nationale du Canada s'applique à la décision relative au contrôle exercé par SDMI sur Myers Canada. (Voir le paragraphe 160 du [traduction] «mémoire des faits et du droit» du procureur général du Canada.) L'ALÉNA doit être interprété selon les dispositions de l'ALÉNA et les principes du droit international. Le sens de «contrôlé, directement ou indirectement» est le sens ordinaire de ces mots. En l'espèce, le tribunal a statué en fait que SDMI contrôlait Myers Canada. Ce contrôle n'était pas fondé sur la propriété des actions, mais sur le fait que M. Dana Myers contrôlait chaque décision, chaque investissement, chaque opération de Myers Canada, à titre de chef de la direction de SDMI.
[68]Par conséquent, les renvois à la Loi canadienne sur les sociétés par actions [L.R.C. (1985), ch. C-44 (mod. par L.C. 1994, ch. 24, art. 1)] sur lesquels s'est appuyé le procureur général ne sont pas pertinents pour décider si SDMI, dans les faits, contrôlait, indirectement ou directement, Myers Canada au sens ordinaire du terme «contrôlait».
[69]La position du procureur général est une interprétation étroite, légaliste et restrictive qui est contraire aux objectifs de l'ALÉNA et à l'interprétation téléologique prescrite par l'article 2.01 de l'ALÉNA et l'article 31 de la Convention de Vienne.
[70]Par conséquent, la Cour conclut que l'interprétation du tribunal de la définition pertinente est correcte et que son application de la définition aux faits est raisonnable.
Chapitre 12--Commerce transfrontières des services
[71]Le Canada et le Mexique soutiennent que les activités de la défenderesse au Canada se définissent correctement comme du commerce transfrontières de services et sont donc régies par le chapitre 12 de l'ALÉNA. La Cour estime pour sa part que les divers chapitres de l'ALÉNA se chevauchent et que les droits conférés par l'ALÉNA sont cumulatifs, à moins qu'ils soient directement contradictoires. Comme SDMI avait effectivement un investissement au Canada pour des services de décontamination de déchets, SDMI a droit à la protection qu'accorde le chapitre 11 à son investissement, ainsi qu'aux droits et à la protection conférés par le chapitre 12 à son commerce de services. Les droits et les obligations conférés par le chapitre 12 n'excluent pas les droits et les obligations du chapitre 11 et ne sont pas incompatibles avec ceux-ci. Par conséquent, le tribunal a eu raison d'appliquer les droits et obligations du chapitre 11 à SDMI.
Contrôle judiciaire à l'égard de la question suivante: par son interdiction des exportations de BPC, le Canada a-t-il manqué à ses obligations en vertu de l'article 1102 (traitement national)?
[72]Dans l'hypothèse où j'aurais tort de conclure que la Cour n'est pas habilitée à exercer le contrôle judiciaire à l'égard de cette question aux termes de l'article 34 du Code, j'examinerai brièvement ce point. L'article 1102 prévoit que le Canada accordera aux investisseurs et aux investissements d'un ressortissant d'une autre Partie, les États-Unis en l'occurrence, un traitement non moins favorable que celui qu'elle accorde, «dans des circonstances analogues», à ses propres investisseurs, en ce qui concerne «l'établissement, l'acquisition, l'expansion, la gestion, la direction, l'exploitation et la vente ou autre aliénation d'investissements».
[73]Nul ne conteste que l'interdiction du Canada sur les exportations de BPC avait pour but de protéger les sociétés canadiennes contre la concurrence des États-Unis et ne visait pas des fins environnementales légitimes. Le demandeur, appuyé par le Mexique, fait valoir que l'expression «dans des circonstances analogues» signifie que le tribunal est tenu de comparer les investisseurs des États-Unis avec ceux du Canada et les investissements des États-Unis avec ceux du Canada dans des circonstances analogues. Le tribunal a conclu au paragraphe 251:
[traduction] D'un point de vue commercial, il est clair que SDMI et Myers Canada étaient «dans des circonstances analogues» à celles des exploitants canadiens tels que Chem-Security et Cintex. Elles assuraient toutes des services de décontamination des déchets de BPC. SDMI était positionnée pour attirer des clients qui se seraient autrement tournés vers des exploitants canadiens parce qu'elle pouvait offrir des prix plus favorables et qu'elle disposait d'une grande expérience et d'une grande crédibilité. C'est précisément parce que SDMI était en mesure de faire perdre des clients à ses concurrents canadiens que Chem-Security et Cintex ont fait du lobbyisme auprès du ministre de l'Environnement pour qu'il interdise les exportations quand les autorités des États-Unis ont ouvert les frontières.
[74]Il s'agit d'une question mixte de fait et de droit. La Cour conclut qu'il était raisonnablement loisible au tribunal de rendre cette décision. La jurisprudence établit que la comparaison faite «dans des circonstances analogues» est un critère souple, qui peut s'élargir ou se refermer comme un accordéon pour coller aux faits particuliers de l'espèce. Dans la présente affaire, le tribunal a utilisé un comparateur large, option qui lui était raisonnablement ouverte. Par conséquent, la Cour n'annulerait pas cette décision en vertu de l'article 1102 si elle avait compétence pour le faire.
L'article 1105
[75]Comme la conclusion du tribunal au sujet de l'article 1105 porte sur le différend soumis à l'arbitrage, la présente Cour n'a pas non plus le pouvoir d'exercer un contrôle judiciaire sur cet aspect de la sentence. L'eût-elle eu qu'il ne serait pas nécessaire d'examiner cet aspect de la décision en raison de la conclusion de la Cour au sujet de l'article 1102. Tout manquement à l'article 1105 entraînant le même préjudice qu'un manquement à l'article 1102, la conclusion du tribunal au sujet du manquement à l'article 1105 est redondante. Par conséquent, la Cour ne se prononce pas sur l'interprétation et l'application de l'article 1105 par le tribunal en l'espèce.
CONCLUSION
[76]La Cour conclut que la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée pour les motifs suivants:
1) En vertu de l'article 1102 de l'ALÉNA, le Canada, les États-Unis et le Mexique ont convenu d'accorder aux investisseurs de leurs pays un traitement non moins favorable que celui qu'accorde un pays de l'ALÉNA à ses propres investisseurs à l'égard de leurs investissements.
2) Le chapitre 11 de l'ALÉNA établit une nouvelle cause d'action qui protège les investisseurs contre le protectionnisme ou la discrimination de l'État et un processus d'arbitrage indépendant pour le règlement des différends, qui peut être invoqué par un investisseur contre le pays de l'ALÉNA dont on allègue qu'il favorise ses propres ressortissants.
3) En l'espèce, le tribunal d'arbitrage a établi que la loi du Canada interdisant les exportations de BPC ne visait pas une fin environnementale légitime, mais visait à protéger les entreprises canadiennes de la concurrence des États-Unis. Cette conclusion relevait de la compétence du tribunal arbitral selon le chapitre 11 de l'ALÉNA.
4) La décision du tribunal arbitral portant que le Canada manquait aux obligations que lui impose l'ALÉNA et qu'il avait la responsabilité de payer à SDMI des dommages-intérêts de 6 050 000 $ plus les intérêts, de verser 500 000 $ de frais d'avocats et 350 000 $ de frais d'arbitrage, a été prise à l'unanimité par trois experts en commerce international et en arbitrage, dont deux Canadiens.
5) La Cour fédérale possède une compétence limitée à l'égard du contrôle judiciaire et de l'annulation de décisions d'arbitrage en vertu de l'ALÉNA. Dans la présente affaire, le Canada fonde sa demande de contrôle judiciaire sur quatre motifs:
i) la société américaine SDMI qui a soumis une plainte à l'arbitrage n'est pas un «investisseur» et la société canadienne, Myers Canada, n'est pas un «investissement effectué par l'investisseur» selon la définition de ces termes figurant au chapitre 11 de l'ALÉNA de sorte que la demande d'arbitrage excède la compétence du tribunal; |
ii) la société américaine SDMI est engagée dans le «commerce transfrontières de services» qui est régi par le chapitre 12 de l'ALÉNA et qui excède la compétence du tribunal d'arbitrage en vertu du chapitre 11; |
iii) la plainte soumise à l'arbitrage selon laquelle le Canada a manqué à ses obligations au titre des articles 1102 et 1105 de l'ALÉNA n'est pas un différend du type de ceux qui sont envisagés ou visés par les termes du compromis ou de la clause compromissoire parce que le tribunal a mal appliqué ces deux articles de la loi en l'espèce; |
iv) la décision du tribunal d'arbitrage est contraire à l'ordre public du Canada et peut faire l'objet d'une annulation pour ce motif. |
6) La Cour conclut que l'article 21 du Règlement d'arbitrage de la CNUDCI empêche le Canada de soulever l'exception d'incompétence du tribunal pour décider si la société américaine SDMI est un «investisseur» ayant la capacité de soumettre une plainte à l'arbitrage et si la demande d'arbitrage concerne le chapitre 12 relatif au «commerce transfrontières de services».
7) À titre subsidiaire, la Cour conclut que la portée large de la définition d'«investisseur» et d'«investissement effectué par un investisseur» fonde raisonnablement la conclusion du tribunal portant que SDMI était un «investisseur» et que Myers Canada était un «investissement effectué par un investisseur».
8) La définition de l'ALÉNA d'«investissement effectué par un investisseur d'une Partie» s'entend d'un investissement possédé ou contrôlé, directement ou indirectement, par cet investisseur. En l'espèce, le fait de savoir si SDMI contrôlait indirectement Myers Canada était une question de fait. En se fondant sur la preuve, le tribunal a conclu que SDMI contrôlait indirectement Myers Canada, son investissement au Canada. En réalité, SDMI était une entreprise familiale qui avançait des fonds pour l'exploitation de Myers Canada, qui lui fournissait du personnel et un soutien technique, et qui dirigeait et contrôlait toutes les décisions de Myers Canada.
9) À titre subsidiaire également, la Cour conclut que SDMI avait un investissement au Canada et qu'elle était habilitée à soumettre une plainte à l'arbitrage en vertu du chapitre 11 en ce qui concerne ses investissements. Les droits et obligations conférés par les chapitres 11 et 12 sont cumulatifs et non mutuellement exclusifs.
10) La prétention du Canada selon laquelle le tribunal a commis une erreur de droit en appliquant les articles 1102 et 1105 à l'espèce est une question qui excède la compétence de la Cour en matière de contrôle judiciaire selon l'article 34. Un différend qui relève des termes visés par le compromis ou les dispositions de la clause compromissoire, même s'il fait l'objet d'une décision erronée sur un point de fait ou de droit, ne peut faire l'objet d'un contrôle judiciaire.
11) À titre subsidiaire, l'application de l'article 1102 à l'espèce est une question mixte de fait et de droit. Le tribunal avait le loisir de rendre cette décision parce que la comparaison faite «dans des circonstances analogues» est un critère souple, qui peut s'élargir ou se refermer pour coller aux faits particuliers de l'espèce. La Cour ne se prononce sur l'article 1105, qui entraîne le même préjudice que le manquement à l'article 1102 et qui est de ce fait redondant.
12) L article 34 prévoit que la Cour peut annuler une sentence arbitrale qui est «contraire à l'ordre public du Canada», mais l'ordre public ne s'entend pas d'une position politique, mais bien des «notions et principes fondamentaux de la justice». En l'espèce, la décision du tribunal ne portant pas atteinte à des notions et principes fondamentaux de la justice, elle n'est pas contraire à l'ordre public du Canada.
DISPOSITIF
[77]Pour ces motifs, la Cour rejette la demande de contrôle judiciaire avec dépens.
ANNEXE A
TEXTES
1. Loi sur l'arbitrage commercial et Code d'arbitrage commercial 406
2. ALÉNA 408
3. Règlement d'arbitrage de la CNUDCI 414
4. Convention de Vienne sur le droit des traités 415
Loi sur l'arbitrage commercial
Les extraits pertinents de la Loi sur l'arbitrage commercial prévoient [art. 2, 5(1), (3), (4) (mod. par L.C. 1997, ch. 14, art. 32), 6]:
2. Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.
«Code» Le Code d'arbitrage commercial--figurant à l'annexe--fondé sur la loi type adoptée par la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international le 21 juin 1985.
[. . .]
5. (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, le Code a force de loi au Canada.
[. . .]
(3) Le Code s'applique aux sentences arbitrales rendues et aux conventions d'arbitrage conclues avant ou après l'entrée en vigueur de la présente loi.
(4) Il est entendu que le terme «arbitrage commercial», à l'article 1-1 du Code, vise:
a) les plaintes prévues aux articles 1116 et 1117 de l'Accord au sens du paragraphe 2(1) de la Loi de mise en oeuvre de l'Accord de libre-échange nord-américain;
[. . .]
6. Dans le Code, «tribunal» ou «tribunal compétent» s'entend, sauf indication contraire du contexte, de la Cour fédérale ou de toute cour supérieure, de district ou de comté.
Code d'arbitrage commercial
Les extraits pertinents du Code d'arbitrage commercial sont les articles 1, 5, 6 et 34, qui prévoient:
CODE D'ARBITRAGE COMMERCIAL
(fondé sur la loi type adoptée par la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international
le 21 juin 1985)
[. . .]
Article premier
Champ d'application
1. Le présent code s'applique à l'arbitrage commercial; il ne porte atteinte à aucun accord multilatéral ou bilatéral en vigueur au Canada.
2. Les dispositions du présent code, à l'exception des articles 8, 9, 35 et 36, ne s'appliquent que si le lieu de l'arbitrage est situé au Canada.
3. Le présent code ne porte atteinte à aucune autre loi fédérale en vertu de laquelle certains différends ne peuvent être soumis à l'arbitrage ou ne peuvent l'être qu'en application de dispositions autres que celles du présent code.
[. . .]
Article 5.
Domaine de l'intervention des tribunaux
Pour toutes les questions régies par le présent code, les tribunaux ne peuvent intervenir que dans les cas où celui-ci le prévoit.
Article 6.
Tribunal ou autre autorité chargé de certaines fonctions d'assistance et de contrôle dans le cadre de l'arbitrage
Les fonctions mentionnées aux articles 11-3, 11-4, 13-3, 14, 16-3 et 34-2 sont confiées à la Cour fédérale ou à une cour supérieure, de comté ou de district.
[. . .]
Article 34.
La demande d'annulation comme recours exclusif contre la sentence arbitrale
1. Le recours formé devant un tribunal contre une sentence arbitrale ne peut prendre la forme que d'une demande d'annulation conformément aux paragraphes 2 et 3 du présent article.
2. La sentence arbitrale ne peut être annulée par le tribunal visé à l'article 6 que si, selon le cas:
a) la partie en faisant la demande apporte la preuve:
i) soit qu'une partie à la convention d'arbitrage visée à l'article 7 était frappée d'une incapacité; ou que ladite convention n'est pas valable en vertu de la loi à laquelle les parties l'ont subordonnée ou, à défaut d'une indication à cet égard, en vertu de la loi du Canada;
ii) soit qu'elle n'a pas été dûment informée de la nomina-tion d'un arbitre ou de la procédure arbitrale, ou qu'il lui a été impossible pour une autre raison de faire valoir ses droits;
iii) soit que la sentence porte sur un différend non visé dans le compromis ou n'entrant pas dans les prévisions de la clause compromissoire, ou qu'elle contient des décisions qui dépassent les termes du compromis ou de la clause compromissoire, étant entendu toutefois que, si les dispositions de la sentence qui ont trait à des questions soumises à l'arbitrage peuvent être dissociées de celles qui ont trait à des questions non soumises à l'arbitrage, seule la partie de la sentence contenant des décisions sur les questions non soumises à l'arbitrage pourra être annulée;
iv) soit que la constitution du tribunal arbitral, ou la procédure arbitrale, n'a pas été conforme à la convention des parties, à condition que cette convention ne soit pas contraire à une disposition de la présente loi à laquelle les parties ne peuvent déroger, ou, à défaut d'une telle convention, qu'elle n'a pas été conforme à la présente loi;
b) le tribunal constate:
i) soit que l'objet du différend n'est pas susceptible d'être réglé par arbitrage conformément à la loi du Canada;
ii) soit que la sentence est contraire à l'ordre public du Canada.
ALÉNA
Article 102: Objectifs
1. Les objectifs du présent accord, définis de façon plus précise dans ses principes et ses règles, notamment le traitement national, le traitement de la nation la plus favorisée et la transparence, consistent
a) à éliminer les obstacles au commerce des produits et des services entre les territoires des Parties et à faciliter le mouvement transfrontières de ces produits et services;
b) à favoriser la concurrence loyale dans la zone de libre-échange;
c) à augmenter substantiellement les possibilités d'investissement sur les territoires des Parties;
d) à assurer de façon efficace et suffisante la protection et le respect des droits de propriété intellectuelle sur le territoire de chacune des Parties;
e) à établir des procédures efficaces pour la mise en oeuvre et l'application du présent accord, pour son administration conjointe et pour le règlement des différends; et
f) à créer le cadre d'une coopération trilatérale, régionale et multilatérale plus poussée afin d'accroître et d'élargir les avantages découlant du présent accord.
2. Les Parties interpréteront et appliqueront les dispositions du présent accord à la lumière des objectifs énoncés au paragraphe 1 et en conformité avec les règles applicables du droit international.
[. . .]
Article 201: Définitions d'application générale
[. . .]
entreprise désigne toute entité constituée ou organisée légalement, à des fins lucratives ou non, et possédée par le secteur privé ou le secteur public, y compris toute société, fiducie, société de personnes, entreprise individuelle, coentreprise, ou autre association;
[. . .]
INVESTISSEMENT, SERVICES ET QUESTIONS CONNEXES
Chapitre 11: Investissement
Section A--Investissement
[. . .]
Article 1102: Traitement national
1. Chacune des Parties accordera aux investisseurs d'une autre Partie un traitement non moins favorable que celui qu'elle accorde, dans des circonstances analogues, à ses propres investisseurs, en ce qui concerne l'établissement, l'acquisition, l'expansion, la gestion, la direction, l'exploitation et la vente ou autre aliénation d'investissements.
2. Chacune des Parties accordera aux investissements effectués par les investisseurs d'une autre Partie un traitement non moins favorable que celui qu'elle accorde, dans des circonstances analogues, aux investissements effectués par ses propres investisseurs, en ce qui concerne l'établissement, l'acquisition, l'expansion, la gestion, la direction, l'exploitation et la vente ou autre aliénation d'investissements.
3. Le traitement accordé par une Partie en vertu des paragraphes 1 et 2 signifie, en ce qui concerne un État ou une province, un traitement non moins favorable que le traitement le plus favorable accordé par cet État ou cette province, dans des circonstances analogues, aux investisseurs, et aux investissements effectués par les investisseurs, de la Partie sur le territoire de laquelle est situé l'État ou la province.
4. Il demeure entendu qu'aucune des Parties ne pourra:
a) exiger d'un investisseur d'une autre Partie qu'il accorde à ses ressortissants une participation minimale dans une entreprise située sur son territoire, exception faite des actions nominales dans le cas des administrateurs ou fondateurs de sociétés; ou
b) obliger un investisseur d'une autre Partie, en raison de sa nationalité, à vendre ou à aliéner d'une autre façon un investissement effectué sur le territoire de la Partie.
[. . .]
Article 1105: Norme minimale de traitement
1. Chacune des Parties accordera aux investissements effectués par les investisseurs d'une autre Partie un traitement conforme au droit international, notamment un traitement juste et équitable ainsi qu'une protection et une sécurité intégrales.
[. . .]
Section B--Règlement des différends entre une Partie et un investisseur d'une autre Partie
Article 1115: Objet
Sans préjudice des droits et obligations des Parties aux termes du chapitre 20 (Dispositions institutionnelles et procédures de règlement des différends), la présente section établit, en ce qui concerne le règlement des différends en matière d'investissement, un mécanisme qui assure un traitement égal aux investisseurs des Parties, en conformité avec le principe de la réciprocité internationale, et garantit l'application régulière de la loi devant un tribunal impartial.
Article 1116: Plainte déposée par un investisseur d'une Partie en son nom propre
1. Un investisseur d'une Partie peut soumettre à l'arbitrage, en vertu de la présente section, une plainte selon laquelle une autre Partie a manqué à une obligation découlant
a) de la section A ou du paragraphe 1503(2) (Entreprises d'État), ou
b) de l'alinéa 1502(3)a) (Monopoles et entreprises d'État), lorsque le monopole a agi d'une manière qui contrevient aux obligations de la Partie aux termes de la section A,
et que l'entreprise a subi des pertes ou des dommages en raison ou par suite de ce manquement.
[. . .]
Article 1136: Irrévocabilité et exécution d'une sentence
1. Une sentence rendue par un tribunal n'aura aucune force obligatoire si ce n'est entre les parties contestantes et à l'égard de l'espèce considérée.
2. Sous réserve du paragraphe 3 et de la procédure d'examen applicable dans le cas d'une sentence provisoire, une partie contestante devra se conformer sans délai à une sentence finale.
3. Une partie contestante ne pourra demander l'exécution d'une sentence finale,
a) dans le cas d'une sentence finale rendue en vertu de la Convention CIRDI, que
(i) si 120 jours se sont écoulés depuis la date à laquelle la sentence a été rendue et qu'aucune partie contestante n'a demandé la révision ou l'annulation de la sentence, ou
(ii) si la procédure de révision ou d'annulation a été complétée, et
b) dans le cas d'une sentence finale rendue aux termes du Règlement du mécanisme supplémentaire du CIRDI ou des Règles d'arbitrage de la CNUDCI, que
(i) si trois mois se sont écoulés depuis la date à laquelle la sentence a été rendue et qu'aucune partie contestante n'a engagé une procédure de révision ou d'annulation de la sentence, ou
(ii) si un tribunal judiciaire a rejeté ou accueilli une demande de révision ou d'annulation de la sentence et qu'aucun appel n'a été par la suite interjeté.
4. Chacune des Parties devra assurer l'exécution d'une sentence arbitrale sur son territoire.
5. Si une Partie contestante néglige de respecter une sentence finale, la Commission, à la demande d'une Partie dont un investisseur était partie à l'arbitrage, devra instituer un groupe spécial aux termes de l'article 2008 (Demande d'institution d'un groupe spécial arbitral). La Partie requérante pourra rechercher, dans cette procédure:
a) une décision selon laquelle le refus de respecter la sentence finale et de s'y conformer est incompatible avec les obligations du présent accord; et
b) une recommandation demandant que la Partie respecte la décision finale et s'y conforme.
6. Un investisseur contestant pourra demander l'exécution d'une sentence arbitrale en vertu de la Convention CIRDI, de la Convention de New York ou de la Convention interaméricaine, que la procédure ait ou non été prise aux termes du paragraphe 5.
7. Une plainte qui est soumise à l'arbitrage en vertu de la présente section sera réputée découler d'une relation ou d'une transaction commerciale aux fins de l'article I de la Convention de New York et de l'article I de la Convention interaméricaine.
[. . .]
Section C--Définitions
Article 1139: Définitions
Aux fins du présent chapitre:
[. . .]
entreprise a le même sens qu'à l'article 201 (Définitions d'application générale), et comprend une succursale d'une entreprise;
entreprise d'une Partie désigne une entreprise constituée ou organisée aux termes de la législation d'une Partie, y compris une succursale située sur le territoire d'une Partie et y menant des activités commerciales;
[. . .]
investissement désigne:
a) une entreprise;
b) un titre de participation d'une entreprise;
c) un titre de créance d'une entreprise
(i) lorsque l'entreprise est une société affiliée de l'investisseur, ou
(ii) lorsque l'échéance originelle du titre de créance est d'au moins trois ans,
mais n'englobe pas un titre de créance, quelle que soit l'échéance originelle, d'une entreprise d'État;
d) un prêt à une entreprise
(i) lorsque l'entreprise est une société affiliée de l'investisseur, ou
(ii) lorsque l'échéance originelle du prêt est d'au moins trois ans,
mais n'englobe pas un prêt, quelle que soit l'échéance originelle, à une entreprise d'État;
e) un avoir dans une entreprise qui donne au titulaire le droit de participer aux revenus ou aux bénéfices de l'entreprise;
f) un avoir dans une entreprise qui donne au titulaire le droit de recevoir une part des actifs de cette entreprise au moment de la dissolution, autre qu'un titre de créance ou qu'un prêt exclu de l'alinéa c) ou d);
g) les biens immobiliers ou autres biens corporels et incorporels acquis ou utilisés dans le dessein de réaliser un bénéfice économique ou à d'autres fins commerciales;
h) les intérêts découlant de l'engagement de capitaux ou d'autres ressources sur le territoire d'une Partie pour une activité économique exercée sur ce territoire, par exemple en raison:
(i) de contrats qui supposent la présence de biens de l'investisseur sur le territoire de la Partie, notamment des contrats clé en main, des contrats de construction ou des concessions, ou
(ii) de contrats dont la rémunération dépend en grande partie de la production, du chiffre d'affaires ou des bénéfices d'une entreprise;
mais ne désigne pas
i) les créances découlant uniquement:
(i) de contrats commerciaux pour la vente de produits ou de services par un ressortissant ou une entreprise sur le territoire d'une Partie à une entreprise située sur le territoire d'une autre Partie; ou
(ii) de l'octroi de crédits pour une opération commerciale, telle que le financement commercial, autre qu'un prêt visé à l'alinéa d); ou
j) toute autre créance,
qui ne suppose pas le versement des intérêts visés aux alinéas a) à h);
investissement effectué par un investisseur d'une Partie désigne un investissement possédé ou contrôlé, directement ou indirectement, par un investisseur de cette Partie;
investisseur d'une Partie désigne une Partie ou une entreprise d'État de cette Partie, ou un ressortissant ou une entreprise de cette Partie, qui cherche à effectuer, effectue ou a effectué un investissement;
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Chapitre 12: Commerce transfrontières des services
Article 1201: Portée et champ d'application
1. Le présent chapitre s'applique aux mesures adoptées ou maintenues par une Partie relativement au commerce transfrontières de services effectué par des fournisseurs de services d'une autre Partie, y compris les mesures concernant:
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Article 1213: Définitions
[. . .]
prestation transfrontières d'un service ou commerce transfrontières de services signifie la prestation d'un service:
a) en provenance du territoire d'une Partie et à destination du territoire d'une autre Partie;
b) sur le territoire d'une Partie, par une personne de cette Partie, à une personne d'une autre Partie; ou
c) par un ressortissant d'une Partie sur le territoire d'une autre Partie,
mais ne comprend pas la prestation d'un service sur le territoire d'une Partie par un investissement, défini à l'article 1139 (Investissement Définitions), qui est situé sur ce territoire; [Non souligné dans l'original.]
Règlement d'arbitrage de la CNUDCI
DÉCLINATOIRE DE COMPÉTENCE ARBITRALE
Article 21
1. Le tribunal arbitral peut statuer sur les exceptions prises de son incompétence, y compris toute exception relative à l'existence ou la validité de la clause compromissoire ou de la convention distincte d'arbitrage.
2. Le tribunal arbitral a compétence pour se prononcer sur l'existence ou la validité du contrat dont la clause compromissoire fait partie. Aux fins de l'article 21, une clause compromissoire qui fait partie d'un contrat et qui prévoit l'arbitrage en vertu du présent Règlement sera considérée comme une convention distincte des autres clauses du contrat. La constatation de la nullité du contrat par le tribunal arbitral n'entraîne pas de plein droit la nullité de la clause compromissoire.
3. L'exception d'incompétence doit être soulevée au plus tard lors du dépôt de la réponse ou, en cas de demande reconventionnelle, de la réplique.
4. D'une façon générale, le tribunal arbitral statue sur l'exception d'incompétence en la traitant comme question préalable. Il peut cependant poursuivre l'arbitrage et statuer sur cette exception dans sa sentence définitive.
Convention de Vienne sur le droit des traités
SECTION 3. INTERPRÉTATION DES TRAITÉS
ARTICLE 31
Règle générale d'interprétation
1. Un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but.