[2017] 1 R.C.F. 372
T-1799-15
2016 CF 1051
Mokhtar Tayeb Ali, Fatiha Rezigui, Rachid Tayeb Ali, Khadija Tayeb Ali (demandeurs)
c.
Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)
Répertorié : Tayeb Ali c. Canada (Citoyenneté et Immigration)
Cour fédérale, juge Bell—Montréal, 2 juin; Toronto, 16 septembre 2016.
Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Citoyens — Suspension d’une demande de citoyenneté — Demande visant à obtenir un bref de mandamus dans le but de contraindre le ministre à annuler l’instruction de suspension des dossiers des demandeurs et de traiter sans délai leurs demandes de citoyenneté — Les demandeurs, des citoyens d’Algérie, ont obtenu le statut de réfugiés et ont acquis le statut de résidents permanents par la suite — Une agente de citoyenneté a remarqué que les passeports des demandeurs démontraient des voyages en Algérie — Il semble aussi que les demandeurs aient demandé et obtenu des passeports algériens — Le défendeur a déposé une demande de constat de perte de l’asile des demandeurs en vertu de l’art. 108 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés — Le traitement du dossier de citoyenneté des demandeurs a été suspendu — Il s’agissait de savoir si le défendeur pouvait suspendre le traitement de la demande de citoyenneté — Il n’était pas approprié de rendre une ordonnance de mandamus — L’art. 13.1 de la Loi sur la citoyenneté confère au défendeur le pouvoir de suspendre la procédure d’examen d’une demande de citoyenneté — Les demandeurs n’ont pas satisfait au premier critère pour l’octroi d’un bref de mandamus — Comparativement à l’art. 17 de la Loi, l’art. 13.1 prévoit un plus large éventail de circonstances selon lesquelles le défendeur peut suspendre le traitement de demandes de citoyenneté — L’expression « résultats d’une enquête » (inquiry en anglais) à l’art. 13.1a) n’est pas dérisoire — La définition d’enquête peut donc avoir une portée très large — L’intention du législateur était d’étendre la portée du pouvoir de suspension — L’art. 13.1 permet maintenant au défendeur de mettre en attente le traitement d’une demande de citoyenneté pour un temps indéfini — Ce pouvoir large englobe les situations semblables à celles auxquelles font face les demandeurs — Une interprétation plus large de l’art. 13.1 est justifiée — Demande rejetée.
Il s’agissait d’une demande visant à obtenir un bref de mandamus dans le but de contraindre le ministre à annuler l’instruction de suspension des dossiers des demandeurs et de traiter sans délai leurs demandes de citoyenneté.
Les demandeurs, des citoyens d’Algérie, ont obtenu le statut de réfugiés en 2003 et ont acquis le statut de résidents permanents en 2006. Ils ont présenté leur demande de citoyenneté en 2010. Au cours des années suivantes, plusieurs retards ont été encourus pour fins de vérification des empreintes digitales d’un des membres de la famille et de renouvellement des autorisations en matière de sécurité. Lors d’une entrevue avec les demandeurs en 2015, l’agente de citoyenneté a remarqué que les passeports des demandeurs démontraient des voyages en Algérie. Il semble aussi que les demandeurs aient demandé et obtenu des passeports algériens. Le défendeur a déposé une demande de constat de perte de l’asile des demandeurs, en vertu de l’article 108 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés au motif que les demandeurs s’étaient de nouveau et volontairement réclamés de la protection de l’Algérie et étaient retournés volontairement s’établir en Algérie. Le traitement du dossier de citoyenneté des demandeurs a été suspendu.
La question principale était de savoir si le défendeur pouvait suspendre le traitement de la demande de citoyenneté.
Jugement : la demande doit être rejetée.
Il n’était pas approprié de rendre une ordonnance de mandamus enjoignant le défendeur à annuler l’instruction de suspension du traitement des demandes de citoyennetés des demandeurs. L’article 13.1 de la Loi sur la citoyenneté confère au défendeur le pouvoir de suspendre la procédure d’examen d’une demande de citoyenneté dans l’attente de renseignements, d’éléments de preuve ou de résultat d’une enquête susceptible d’avoir une incidence sur l’admissibilité d’un demandeur à la citoyenneté. Les demandeurs n’ont pas satisfait au premier critère pour l’octroi d’un bref de mandamus, c.-à-d. démontrer qu’il existe une obligation légale d’agir. Sous l’ancien article 17 de la Loi, le défendeur n’était pas autorisé légalement à suspendre les demandes de citoyenneté en attente d’une décision de constat de perte de statut. L’article 13.1 autorise maintenant la suspension des demandes de citoyenneté. L’article 13.1 prévoit un plus large éventail de circonstances selon lesquelles le défendeur peut suspendre le traitement de demandes de citoyenneté. L’expression « résultats d’une enquête » (inquiry en anglais) à l’alinéa 13.1a) n’est pas dérisoire. La définition d’enquête peut donc avoir une portée très large. Le mot enquête peut être utilisé dans son sens habituel. Sa présence est significative et démontre l’intention du législateur d’étendre la portée de son pouvoir de suspension à un très grand nombre de situations. Si le législateur avait voulu limiter la portée du mot enquête, la disposition en anglais n’aurait pas inclus à la fois investigation et inquiry. L’article 13.1 permet maintenant au défendeur de mettre en attente le traitement d’une demande de citoyenneté pour un temps indéfini. Le choix du législateur de faire disparaître le délai de six mois prévu à l’article 17 démontre clairement une intention de conférer un pouvoir plus large au défendeur dans le cadre des suspensions des procédures relatives à l’octroi de la citoyenneté. Ce pouvoir large englobe les situations semblables à celles auxquelles font face les demandeurs. Selon l’ensemble de la Loi et en fonction de son entourage immédiat, une interprétation plus large de l’article 13.1 est justifiée.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, art. 5 (mod. par L.C. 2001, ch. 27, art. 228), 13.1 (édicté par L.C. 2014, ch. 22, art. 11), 14(1.1), 17 (abrogé par L.C. 2014, ch. 22, art. 13).
Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.1.
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 23, 40.1, 44(2), 45, 46(1)c.1), 108.
Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, règle 9.
JURISPRUDENCE CITÉE
DÉCISIONS APPLIQUÉES :
Dragan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 211, [2003] 4 C.F. 189; Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 C.F. 742 (C.A.), conf. par [1994] 3 R.C.S. 1100.
DÉCISIONS DIFFÉRENCIÉES :
Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44, [2000] 2 R.C.S. 307; Stanizai c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 74; Valverde c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1111; Godinez Ovalle c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 935, [2016] 2 R.C.F. 3.
DÉCISIONS EXAMINÉES :
Irvine c. Canada (Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1987] 1 R.C.S. 181; Murad c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1089.
DÉCISIONS CITÉES :
Khalifa c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 119; R. c. Krymowski, 2005 CSC 7, [2005] 1 R.C.S. 101.
DOCTRINE CITÉE
Black’s Law Dictionary, 10e éd. St. Paul, Minn. : West Group, 2014, « inquiry ».
Le Grand Robert de la Langue française, 2e éd. Paris : Dictionnaires Le Robert, 1992, « enquête ».
Le Petit Robert de la Langue française, 2006. Paris : Le Robert, 2006, « enquête », « enquête administrative ».
Multi dictionnaire de la langue française, 5e éd. Montréal : Québec Amérique, 2009, « enquête ».
Shorter Oxford English Dictionary, Oxfort : Clarendon Press, 1959, « inquiry ».
Sullivan, Ruth. Statutory Interpretation, 2e éd. Toronto : Irwin Law, 2007.
demande visant à obtenir un bref de mandamus dans le but de contraindre le ministre à annuler l’instruction de suspension des dossiers des demandeurs et de traiter sans délai leurs demandes de citoyenneté. Demande rejetée.
ONT COMPARU
Mokhtar Tayeb Ali pour son propre compte.
Pavol Janura pour le défendeur.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.
Voici les motifs du jugement et du jugement rendus en français par
Le juge Bell :
I. Nature de l’affaire
[1] La Cour est saisie d’une demande visant à obtenir un bref de mandamus en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7 (la Loi) dans le but de contraindre le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre) à annuler l’instruction de suspension des dossiers des demandeurs et de traiter sans délai leurs demandes de citoyenneté. Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que la demande doit être rejetée.
[2] Les demandeurs demandent à cette Cour d’émettre un bref de mandamus selon trois motifs distincts. J’ai l’intention d’énumérer ces motifs et, par la suite, de traiter et d’analyser séparément les faits et la jurisprudence pour chaque motif.
II. Questions en litige
[3] Essentiellement, les demandeurs prétendent qu’ils ont droit à un bref de mandamus car le ministre : i) n’a pas traité leur demande de citoyenneté dans un délai approprié tel qu’il y a eu abus de procédure; ii) n’a pas fourni de réponse telle qu’exigée par la règle 9 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/ 93-22 (les Règles); et, iii) a suspendu le processus de leur demande de citoyenneté dans des circonstances qui ne le permettent pas.
III. Faits pertinents et analyse
A. Le retard était-il inapproprié?
[4] Le demandeur principal, Mokhtar Tayeb Ali (M. Tayeb Ali), ainsi que son épouse, Fatiha Rezigui (Mme Rezigui) et leurs trois enfants, Abdel-Kader Tayeb Ali (Abdel-Kader), Rachid Tayeb Ali (Rachid) et Khadija Tayeb Ali (Khadija), sont citoyens de l’Algérie. En 2001, ils sont arrivés au Canada et ont demandé l’asile. Le statut de réfugié leur a été accordé en 2003. Les demandeurs ont tous acquis le statut de résident permanent en 2006. Quatre ans plus tard, ils ont entamé leur demande de citoyenneté, y compris Abdel-Kader, comptabilisant leur présence au Canada depuis l’obtention de leur résidence permanente en 2006. Leur demande de citoyenneté a été reçue par le ministre le 20 avril 2010, puis référée au Centre de Traitement de Sydney. Pour cause de criminalité, Abdel-Kader a, le 17 novembre 2011, demandé le retrait de sa demande. Un agent de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) a fermé le dossier de ce dernier le 4 janvier 2012.
[5] De février 2012 à février 2015, plusieurs retards ont été encourus pour fins de vérification des empreintes digitales d’un des membres de la famille pour effectuer des recherches dans le répertoire national des casiers judiciaires. Le 8 février 2012, le ministre a envoyé une lettre demandant les empreintes en question. Le 24 février 2012, le membre de la famille a consenti à la divulgation des résultats de vérification d’empreintes digitales à CIC pour fins de vérification d’un casier judiciaire. Le 7 mars 2012, les empreintes digitales ont été envoyées à la Gendarmerie Royale du Canada (GRC). Malheureusement, aucun des demandeurs n’a fourni à la GRC le consentement à la divulgation pour vérification du casier judiciaire. Faute de n’avoir pas reçu les résultats des vérifications des empreintes digitales par la GRC, CIC a envoyé une deuxième lettre le 26 septembre 2014. Il est à noter que pendant cette période du 8 février 2012 au 16 septembre 2014, il incombait aux demandeurs et non à CIC de s’assurer que toutes les exigences légales relatives aux demandes de citoyenneté soient remplies. Le 26 septembre 2014, puis le 22 octobre 2014, CIC a envoyé une deuxième et une troisième lettre demandant à nouveau que les empreintes digitales soient fournies. Le 12 décembre 2014, CIC a reçu les résultats de recherche dans le répertoire national des casiers judiciaires tenu par la GRC, et le 13 février 2015, CIC a demandé de plus amples renseignements afin de déterminer l’incidence des antécédents judiciaires du membre de la famille sur sa demande de citoyenneté. Le 25 mars 2015, un agent de CIC a effectué des vérifications dans le Système mondial de gestion des cas (SMGC) avec l’intention de convoquer les demandeurs à une entrevue le lendemain. L’agent de CIC a constaté l’expiration des autorisations en matière de sécurité du Service canadien du renseignement de sécurité. Les demandeurs ont renouvelé ces autorisations le 7 mai 2015. L’agent a aussi remarqué que les autorisations en matière d’immigration étaient valides jusqu’au 9 juillet 2015 et celles en matière de criminalité de la Gendarmerie Royale du Canada étaient valides jusqu’au 13 janvier 2016. Le 26 mars 2015, M. Tayeb Ali et son épouse, Mme Rezigui, ont rencontré une agente de citoyenneté pour une entrevue et pour passer l’examen de connaissance. En raison de l’analphabétisme de Mme Rezigui, seul M. Tayeb Ali a passé l’examen. Le dossier aurait alors été mis en attente pour un examen spécial.
[6] Les demandeurs prétendent être victimes d’un abus de procédure à cause des retards encourus dans le traitement de leur dossier. Ils citent Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44, [2000] 2 R.C.S. 307 (Blencoe), au paragraphe 119 et Stanizai c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 74, [2014] A.C.F. no 97 [QL] (Stanizai) à l’appui de leurs prétentions. Ils allèguent qu’en se fondant sur la jurisprudence établie, un délai de 3 ans est suffisant pour traiter d’une demande de citoyenneté. Les demandeurs sont responsables des retards encourus. Un membre de la famille devait retirer sa demande de citoyenneté pour cause de criminalité. Un autre membre de la famille ne pouvait pas fournir des empreintes digitales dans un délai raisonnable et seulement après trois lettres envoyées du bureau du ministre. Aussi, cet autre membre de la famille avait des antécédents judiciaires qui nécessitaient d’autres enquêtes de la part de CIC. La preuve démontre que CIC a poursuivi le dossier presque immédiatement après avoir reçu tous les renseignements requis. Ainsi, les faits de la présente affaire sont loin de ceux qu’on retrouve dans les affaires Blencoe et Stanizai.
[7] Je ne partage pas l’opinion des demandeurs voulant qu’un bref de mandamus soit disponible sur le fondement de ce motif.
B. Le ministre est-il tenu de répondre en vertu de la règle 9 des Règles?
[8] Les règles 9(1) et (2) des Règles se lisent comme suit :
PRODUCTION DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF ET DES MOTIFS Y AFFÉRENTS
9 (1) Dans le cas où le demandeur indique dans sa demande d’autorisation qu’il n’a pas reçu les motifs écrits du tribunal administratif, le greffe envoie immédiatement à ce dernier une demande écrite à cet effet selon la formule IR-3 figurant à l’annexe.
(2) Dès réception de la demande prévue au paragraphe (1), le tribunal administratif envoie :
a) à chacune des parties une copie du dispositif et des motifs écrits de la décision, de l’ordonnance ou de la mesure, certifiée conforme par un fonctionnaire compétent, et au greffe deux copies de ces documents;
b) si aucun motif n’a été donné à l’appui de la décision, de l’ordonnance ou de la mesure visée par la demande, ou si des motifs ont été donnés sans être enregistrés, un avis écrit portant cette précision à toutes les parties et au greffe.
[9] Les demandeurs ont demandé au bureau du greffe de la Cour fédérale des renseignements concernant la décision de leur demande de citoyenneté. Ceux-ci souhaitaient être mis au courant des motifs permettant de comprendre pourquoi une décision sur leur demande de citoyenneté n’avait pas encore été rendue. Le 17 novembre 2015, une lettre d’une agente de citoyenneté a été acheminée aux demandeurs, avec la réponse suivante :
Veuillez prendre note qu’aucune décision n’a encore été prise concernant la demande de citoyenneté des demandeurs. Il n’existe donc aucun motif de décision.
[10] Les demandeurs considèrent que cette réponse est « arbitraire » et « enfreins le principe de l’équité procédurale ». Ils allèguent qu’une telle violation justifie l’émission d’un bref de mandamus enjoignant le ministre à procéder immédiatement avec le traitement de leur demande de citoyenneté. Le ministre, quant à lui, prétend qu’il n’a pas l’obligation de répondre à une telle demande étant donné qu’il n’existe pas de décision. Je suis d’accord avec les prétentions du ministre. De plus, même si le ministre devait répondre en vertu de la règle 9, le seul remède possible serait d’émettre un bref de mandamus enjoignant le ministre à fournir les motifs appuyant sa décision de ne pas procéder, plutôt qu’un bref de mandamus pour procéder au traitement de leur demande de citoyenneté.
B. Le ministre pouvait-il suspendre le traitement de la demande de citoyenneté dans les circonstances?
[11] Le 25 mars 2015, à la veille de la convocation pour examen et entrevue avec les demandeurs, l’agent de citoyenneté, en effectuant les vérifications dans le SMGC, a constaté une note au dossier datée du 16 octobre 2014 inscrite par l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) qui indiquait « Cessation - Pending Review Action ». L’agent de citoyenneté a noté sur le formulaire CIT 0065 que le dossier était à l’étude pour perte/annulation du statut de réfugié.
[12] Lors de l’entrevue du 26 mars 2015 avec l’agente de citoyenneté, les passeports des demandeurs ont été vérifiés. Ces passeports démontraient des voyages en Algérie et l’agente de citoyenneté leur a posé des questions à ce sujet. Les étampes apparaissant sur les passeports démontrent les voyages en Algérie suivants :
1) M. Tayeb Ali, en 2008 et en 2015, pour un total de 387 jours ;
2) Mme Rezigui, en 2009 et en 2014, pour un total de 540 jours ; et
3) Khadija et Rachid, en 2013 et en 2014, pour un total de 472 jours.
[13] Les demandeurs auraient aussi demandé et obtenu des passeports algériens émis en 2008 et renouvelés en 2012 aux noms de M. Tayeb Ali et Mme Rezigui, et émis en 2011 aux noms de Khadija et Rachid.
[14] Un Questionnaire de résidence a été remis à Mme Rezigui à cause de certaines hésitations qu’elle aurait eu à répondre aux questions concernant ses voyages. Son Questionnaire de résidence rempli a été reçu le 20 avril 2015 et le dossier aurait été mis en attente pour évaluation du Questionnaire.
[15] Le 20 avril 2015, une agente de citoyenneté a envoyé un courriel à l’ASFC demandant une mise à jour du dossier des demandeurs. Dans leur réponse datant du 24 avril 2015, l’ASFC a informé l’agente de citoyenneté que le dossier des demandeurs était à l’étude pour une demande de constat de perte d’asile. L’ASFC a demandé de ne pas octroyer la citoyenneté pour leur permettre d’aller de l’avant avec cette demande de constat de perte d’asile. La réponse de l’ASFC se lit comme suit :
Ce dossier est présentement étudié par la section Audience et détention pour une perte selon L108. Afin de respecter la politique sur les pertes de CIC, nous vous saurions gré de ne pas octroyer la citoyenneté, sinon nous ne pourrons aller de l’avant avec l’étude de cette dénonciation bien fondée. Le dossier sera attribué en priorité à un(e) agent(e) dès que nos ressources le permettront. Vous pouvez communiquer avec nous dans six mois.
[16] Le 2 juin 2015, les demandeurs ont rencontré un agent de l’ASFC qui leur posa des questions au sujet de leurs voyages en Algérie. M. Tayeb Ali aurait répondu qu’ils avaient dû voyager en Algérie pour visiter son père et le père de Mme Rezigui qui étaient tous deux malades.
[17] Le 18 juin 2015, le ministre a déposé une demande de constat de perte de l’asile des demandeurs, en vertu de l’article 108 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR). Le ministre a avancé comme motif pour cette demande que les demandeurs s’étaient de nouveau et volontairement réclamés de la protection de l’Algérie, leur pays de nationalité qu’ils avaient quitté et en raison duquel ils avaient demandé l’asile au Canada, et que les demandeurs étaient retournés volontairement s’établir en Algérie. Cette demande de constat de perte d’asile est toujours en traitement à la date de l’audience devant cette Cour. Je note qu’un constat de perte d’asile, s’il était accordé par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, pourrait mener à l’inadmissibilité des demandeurs et à la prise d’une mesure de renvoi. En effet, en vertu de l’alinéa 46(1)c.1) de la Loi, les personnes perdant leur statut de réfugié emportent la perte de leur statut de résidents permanents, entraînant ainsi une interdiction de territoire pour motif de perte d’asile comme prévu à l’article 40.1 de la Loi. Bien entendu, une personne qui n’a pas le statut de résident permanent ne remplit pas le critère prévu à l’article 5(1)c) de la Loi, et ne peut donc pas se voir octroyer la citoyenneté canadienne.
[18] Apprenant que le ministre avait demandé le constat de perte d’asile, les demandeurs, par l’entremise de leur avocate, ont soumis une demande de renseignement au ministère le 11 août 2015, demandant à celui-ci de confirmer la poursuite du traitement de leur demande de citoyenneté des demandeurs. Cette demande est restée sans réponse. Le 6 octobre 2015, une seconde demande a été envoyée au ministère, alléguant que la jurisprudence proscrit la cessation de traitement de demandes de citoyenneté pour seul motif qu’une procédure de constat de perte d’asile est initiée, et que dans l’absence d’une réponse, les demandeurs introduiront une demande de bref de mandamus.
[19] Le 17 novembre 2015, une note a été inscrite au SMGC indiquant la suspension du traitement du dossier de citoyenneté des demandeurs. La date à laquelle les demandeurs ont été informés de la suspension du traitement de leur demande de citoyenneté est incertaine.
[20] Bien que le dossier mentionne officiellement la suspension du dossier en date du 17 novembre 2015, la suspension d’office se serait faite en avril 2015, date à laquelle l’ASFC a demandé à l’agente de citoyenneté de suspendre le dossier afin de permettre d’aller de l’avant et de déposer une demande de constat de perte d’asile. Il semble qu’aucune action n’ait été entreprise depuis avril 2015, à part la confirmation que de nouvelles autorisations en matière de sécurité ont été reçues le 7 mai 2015.
[21] L’article 13.1 de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. 29 (la Loi) est entré en vigueur le 1er août 2014, conférant au ministre le pouvoir de suspendre la procédure d’examen d’une demande de citoyenneté dans l’attente de renseignements, d’éléments de preuve ou de résultat d’une enquête susceptible d’avoir une incidence sur l’admissibilité d’un demandeur à la citoyenneté. Le fait qu’un demandeur fasse une demande de citoyenneté n’empêche pas le ministre d’amorcer une demande de constat de perte d’asile selon l’article 108 de la LIPR (Khalifa c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CF 119, [2016] A.C.F. no 99 [QL] au paragraphe 28). Les dispositions législatives applicables aux demandes de citoyenneté et aux demandes de constat de perte d’asile sont reproduites à l’Annexe A des présents motifs.
[22] La seule question à trancher à ce stade-ci est de savoir si les demandeurs ont établi qu’une ordonnance de mandamus devrait être délivrée par cette Cour enjoignant le ministre de donner suite à ladite demande de citoyenneté. Le test applicable à l’octroi d’une ordonnance du bref de mandamus tel qu’élaboré par cette Cour dans la décision Dragan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 211, [[2003] 4 C.F. 189], [2003] A.C.F. no 260 [QL] au paragraphe 39, citant la Cour d’appel fédérale dans Apotex Inc c. Canada (Procureur général), [1994] 1 C.F. 742, [1993] A.C.F. no 1098 [QL] (confirmé par Apotex Inc c. Canada (Procureur général), [1994] 3 R.C.S. 1100), se lit ainsi :
1) Il doit exister une obligation légale d’agir à caractère public.
2) L’obligation doit exister envers le requérant.
3) Il existe un droit clair d’obtenir l’exécution de cette obligation, notamment :
a) le requérant a rempli toutes les conditions préalables donnant naissance à cette obligation;
b) il y a eu (i) une demande d’exécution de l’obligation, (ii) un délai raisonnable a été accordé pour permettre de donner suite à la demande à moins que celle-ci n’ait été rejetée sur-le-champ et (iii) il y a eu refus ultérieur, express ou implicite, par exemple un délai déraisonnable.
4) Le requérant n’a aucun autre recours.
5) L’ordonnance sollicitée aura une incidence sur le plan pratique.
6) Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le tribunal estime que, en vertu de l’équité, rien n’empêche d’obtenir le redressement demandé.
7) Compte tenu de la « balance des inconvénients », une ordonnance de mandamus devrait être rendue.
[23] En ce qui concerne le premier et le deuxième critère, le ministre soutient que l’article 13.1 de la Loi lui donne maintenant autorité pour suspendre la demande de citoyenneté des demandeurs en l’espèce. Je suis d’accord avec cette prétention. Le premier critère exige que les demandeurs soient en mesure de démontrer que le ministre a l’obligation de continuer le processus de traitement de la demande de citoyenneté, en ce sens qu’une mise en attente de demandes de citoyenneté n’est pas autorisée par la loi. Je suis d’avis que les demandeurs n’ont pas satisfait ce premier critère pour l’octroi d’un bref de mandamus.
[24] Je suis conscient des affirmations de mes collègues de la Cour fédérale dans les affaires Valverde c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 1111, [2015] A.C.F. no 1151 [QL] (Valverde) et Godinez Ovalle c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 935, [[2016] 2 R.C.F. 3], [2015] A.C.F. no 927 [QL] (Godinez Ovalle) voulant que le ministre n’ait pas l’autorité légale de suspendre le processus de traitement de demandes de citoyenneté dans l’attente d’une décision sur la question d’un constat de perte d’asile. Je suis toutefois d’avis que les conclusions de mes collègues ne s’appliquent pas au cas en l’espèce. Dans chacune de ces décisions, la date de suspension précédait l’abrogation de l’article 17 de la Loi datant du 31 juillet 2014. Ainsi, la question à savoir si l’article 13.1 donnait un pouvoir légal au ministre de suspendre des demandes de citoyenneté n’était pas pertinente à l’analyse. Je note aussi que les commentaires faits en lien à l’article 13.1 dans l’affaire Godinez Ovalle étaient exprimés à titre d’obiter dictum. Toutefois, toujours à titre d’obiter dictum, le juge O’Keefe, dans l’affaire Valverde, a précisé brièvement que bien qu’une telle mise en attente n’était pas permise à l’époque, l’article 13.1 autorise maintenant la suspension des demandes de citoyenneté (Valverde, précité, au paragraphe 66). Je souscris aux conclusions de mes collègues en ce que le ministre n’était pas autorisé légalement, dans ces circonstances et sous l’ancien article 17 de la Loi, à suspendre les demandes de citoyenneté en attente d’une décision de constat de perte de statut. Je partage aussi l’avis du juge O’Keefe en ce que l’article 13.1 permet maintenant au ministre d’agir ainsi. Pour conclure ainsi, je procéderai à une analyse du cadre législatif et à un exercice d’interprétation ayant pour but de déduire l’intention du législateur quant à l’ajout de la « nouvelle » disposition, l’article 13.1. Ruth Sullivan a notamment souligné l’importance d’un tel exercice :
[…] references to legislative intent are ubiquitous in statutory interpretation and not likely to disappear, however weighty the theoretical objections. This is because statutes are obviously enacted for a reason, and the language in which they are drafted reflects deliberate and careful choices by some combination of peoples who legally speak for the legislature. Given the sovereign authority of the legislature under constitutional law, these choices cannot be ignored. Courts and other interpreters must at least try to understand the meanings and purposes that motivated the legislation in the first place. (Ruth Sullivan, Statutory Interpretation, 2e éd. Toronto : Irwin Law, 2007, aux pages 32 et 33)
[25] Afin de comprendre l’intention du législateur et ce qui l’a motivé à introduire ce changement législatif, une comparaison des deux articles de la Loi est essentielle. L’ancien article 17 et l’article 13.1 se lisent ainsi :
Suspension de la procédure d’examen |
Suspension de la procédure d’examen |
17. S’il estime ne pas avoir tous les renseignements nécessaires pour lui permettre d’établir si le demandeur remplit les conditions prévues par la présente loi et ses règlements, le ministre peut suspendre la procédure d’examen de la demande pendant la période nécessaire — qui ne peut dépasser six mois suivant la date de la suspension — pour obtenir les renseignements qui manquent. [Je souligne.] |
13.1 Le ministre peut suspendre, pendant la période nécessaire, la procédure d’examen d’une demande : a) dans l’attente de renseignements ou d’éléments de preuve ou des résultats d’une enquête, afin d’établir si le demandeur remplit, à l’égard de la demande, les conditions prévues sous le régime de la présente loi, si celui-ci devrait faire l’objet d’une enquête dans le cadre de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés ou d’une mesure de renvoi au titre de cette loi, ou si les articles 20 ou 22 s’appliquent à l’égard de celui-ci; b) dans le cas d’un demandeur qui est un résident permanent qui a fait l’objet d’une enquête dans le cadre de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, dans l’attente de la décision sur la question de savoir si une mesure de renvoi devrait être prise contre celui-ci. [Je souligne.] |
[26] En anglais :
Suspension of processing of application |
Suspension of processing |
17. Where a person has made an application under this Act and the Minister is of the opinion that there is insufficient information to ascertain whether that person meets the requirements of this Act and the regulations with respect to the application, the Minister may suspend the processing of the application for the period, not to exceed six months immediately following the day on which the processing is suspended, required by the Minister to obtain the necessary information. [My Emphasis.] |
13.1 The Minister may suspend the processing of an application for as long as is necessary to receive (a) any information or evidence or the results of any investigation or inquiry for the purpose of ascertaining whether the applicant meets the requirements under this Act relating to the application, whether the applicant should be the subject of an admissibility hearing or a removal order under the Immigration and Refugee Protection Act or whether section 20 or 22 applies with respect to the applicant; and (b) in the case of an applicant who is a permanent resident and who is the subject of an admissibility hearing under the Immigration and Refugee Protection Act, the determination as to whether a removal order is to be made against the applicant. [My Emphasis.] |
[27] L’ancien article 17 prévoit que le ministre ne peut suspendre une demande de citoyenneté que pour une période ne dépassant pas six mois, et uniquement dans des cas où celui-ci estime ne pas avoir les informations nécessaires pour établir si le demandeur remplit les critères de la Loi. À mon avis, l’article 13.1 de la Loi prévoit un plus large éventail de circonstances selon lesquelles le ministre peut suspendre le traitement de demandes de citoyenneté.
[28] Je suis d’avis que l’expression résultats d’une enquête (inquiry en anglais) à l’alinéa 13.1a) n’est pas dérisoire. En effet, le terme enquête est employé pour une vaste gamme de circonstances, que ce soit à titre d’audition, de procédure ou dans le sens d’une investigation. La LIPR emploi notamment le mot enquête au sens d’audition, ou de admissibility hearing, voir à titre d’exemple l’article 23, le paragraphe 44(2), l’article 45 de la LIPR. La définition d’enquête peut donc avoir une portée très large. Elle peut à la fois avoir comme traduction en anglais investigation et inquiry. À cette étape, un cours examen de définitions tirées de dictionnaires s’avère nécessaire. Bien que cette Cour ne soit pas liée à ces définitions, elle peut néanmoins en apprécier la valeur utile et informative (R. c. Krymowski, 2005 CSC 7, [2005] 1 R.C.S. 101).
[29] Le Multi dictionnaire de la langue française, 2009, définit une enquête comme étant une « 1. [p]rocédure administrative ou judiciaire ordonnée pour éclaircir des faits » ou une « 2. [r]echerche de renseignements ». Le Petit Robert de la langue française, 2006, définit entre autres enquête comme étant une « [m]esure d’instruction permettant au juge de recevoir des tiers des déclarations de nature à l’éclairer sur les faits litigieux dont ils ont personnellement connaissance », et enquête administrative comme étant une « procédure par laquelle l’administration réunit des informations, vérifie certains faits avant de prendre une décision ». Le Grand Robert de la langue française, 1992, donne la définition suivante : « Procédure destinée à permettre à une partie plaidante d’établir par l’audition de témoins l’exactitude des faits qu’elle allègue. » En anglais, le Black’s Law Dictionary, 10e édition, définie le terme inquiry ainsi : « a request for information, either procedural or substantive », et le Shorter Oxford English Dictionary, 1959, lui donne le sens suivant : « action d’enquêter … action de rechercher la vérité, des connaissances ou des renseignements sur quelque chose; recherche méthodique, examen, investigation » (traduction tirée de Irvine c. Canada (Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1987] 1 R.C.S. 181, au paragraphe 17 [page 196]).
[30] Selon moi, le mot enquête peut être utilisé dans son sens habituel. Sa présence est significative et démontre l’intention du législateur d’étendre la portée de son pouvoir de suspension à un très grand nombre de situations. Si le législateur avait voulu limiter la portée du mot enquête, la disposition en anglais n’aurait pas inclus à la fois investigation et inquiry.
[31] De plus, le choix délibéré du Parlement d’ajouter l’article 13.1 de la Loi présuppose que celui-ci avait l’intention de doter le ministre de certains pouvoirs dont il ne disposait pas auparavant en vertu de l’ancien article 17. Cette supposition est conforme au fait que cette Cour, dans le passé, a déterminé que, selon la portée de l’ancien article 17, le ministre ne pouvait suspendre indéfiniment des demandes de citoyenneté dans l’attente d’une décision relative à une demande de constat de perte d’asile. Ainsi, dans l’affaire Murad c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 1089, [2013] A.C.F. no 1182 [QL] (Murad), mon collègue le juge Roy a conclu que le ministre n’avait pas le droit de différer l’attribution de la citoyenneté, et que le ministre n’avait pas fourni d’explication raisonnable quant à ce manque de diligence. Bien que cette Cour, dans le contexte de Murad, ait accordé un bref de mandamus, son choix d’exercer sa discrétion pour le faire était fondé sur l’absence de pouvoir statutaire du ministre de suspendre une demande, puisqu’en vertu de (l’ancien) article 17, la suspension de la procédure d’examen d’une demande ne pouvait dépasser six mois. L’article 13.1 de la Loi ne mentionne pas une telle limite de six mois. L’expression « suspendre, pendant la période nécessaire », par opposition à « suspendre, […], pendant la période nécessaire — qui ne peut pas dépasser six mois suivant la date de la suspension » de l’ancien article 17, permet maintenant au ministre de mettre en attente le traitement d’une demande de citoyenneté pour un temps indéfini. Ce choix délibéré du législateur de faire disparaître le délai de six mois démontre clairement une intention de conférer un pouvoir plus large au ministre dans le cadre des suspensions des procédures relatives à l’octroi de la citoyenneté. À mon avis, ce pouvoir large englobe les situations semblables à celles auxquelles font face les demandeurs, c’est-à-dire le pouvoir du ministre de mettre en suspens une demande de citoyenneté dans l’attente de résultats d’une enquête relative à une demande de constat de perte d’asile faite en vertu de l’article 108 de la LIPR.
[32] Il importe aussi d’interpréter la disposition selon l’ensemble de la Loi et en fonction de son entourage immédiat. Je note que l’article 14(1.1) de la Loi est similaire à celui de l’article 13.1, en ce sens qu’il prévoit l’interruption du traitement d’une demande de citoyenneté. L’article 14(1.1) se lit ainsi :
14 […]
Interruption de la procédure
(1.1) Malgré le paragraphe (1), le juge de la citoyenneté ne peut statuer sur la demande :
a) tant que n’est pas terminée l’enquête menée pour établir si le demandeur devrait faire l’objet d’une enquête dans le cadre de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés ou d’une mesure de renvoi au titre de cette loi ou si les articles 20 ou 22 s’appliquent à l’égard de celui-ci;
b) lorsque celui-ci fait l’objet d’une enquête dans le cadre de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, tant qu’il n’a pas été décidé si une mesure de renvoi devrait être prise contre lui.
[33] L’article 14(1.1) proscrit au juge de la citoyenneté de statuer sur une demande dans des cas beaucoup plus limités que ceux qu’on retrouve à l’article 13.1. Une telle limite dans le pouvoir d’interruption des demandes de citoyenneté est logique dans le contexte donné, soit lorsque la demande de citoyenneté en est aux dernières étapes du processus. En outre, l’article 14(1.1) constitue une interdiction formelle de rendre une décision, alors que l’article 13.1, de par son langage (peut, ou may en anglais) démontre l’existence d’un pouvoir discrétionnaire. Je suis d’avis qu’en regard de l’article 14(1.1) et de son contexte, une interprétation plus large de l’article 13.1 est justifiée.
[34] Contrairement aux prétentions des demandeurs, cette Cour n’a pas par le passé déterminé que le ministre n’est jamais autorisé à suspendre le traitement de demandes de citoyenneté en attendant la conclusion d’une procédure de constat de perte d’asile. Cette Cour avait plutôt conclu que le ministre n’était pas autorisé par la loi à agir de la sorte. Il semble que le Parlement ait remédié à ceci en adoptant l’article 13.1 de la Loi, une disposition législative donnant un pouvoir très large au ministre de suspendre indéfiniment une demande de citoyenneté selon un large éventail de circonstances.
IV. Conclusion
[35] Compte tenu du fait que les demandeurs n’ont pas satisfait au premier critère pour l’octroi d’un bref de mandamus, et que les critères énumérés ci-haut sont exhaustifs, il est inutile d’aller plus loin dans l’analyse. Je suis donc d’avis que dans les circonstances, il n’est pas approprié de rendre une ordonnance de mandamus enjoignant le ministre à annuler l’instruction de suspension du traitement des demandes de citoyennetés des demandeurs.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire et de délivrance d’un bref de mandamus est rejetée, sans dépens, et aucune question de portée générale n’est certifiée.
ANNEXE A
Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, art. 5 (mod. par L.C. 2001, ch. 27, art. 228), 13.1 (édicté par L.C. 2014, ch. 22, art. 11)
Attribution de la citoyenneté
5 (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :
a) en fait la demande;
b) est âgée d’au moins dix-huit ans;
c) est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante :
(i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,
(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;
d) a une connaissance suffisante de l’une des langues officielles du Canada;
e) a une connaissance suffisante du Canada et des responsabilités et avantages conférés par la citoyenneté;
f) n’est pas sous le coup d’une mesure de renvoi et n’est pas visée par une déclaration du gouverneur en conseil faite en application de l’article 20.
Suspension de la procédure d’examen
13.1 Le ministre peut suspendre, pendant la période nécessaire, la procédure d’examen d’une demande :
a) dans l’attente de renseignements ou d’éléments de preuve ou des résultats d’une enquête, afin d’établir si le demandeur remplit, à l’égard de la demande, les conditions prévues sous le régime de la présente loi, si celui-ci devrait faire l’objet d’une enquête dans le cadre de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés ou d’une mesure de renvoi au titre de cette loi, ou si les articles 20 ou 22 s’appliquent à l’égard de celui-ci;
b) dans le cas d’un demandeur qui est un résident permanent qui a fait l’objet d’une enquête dans le cadre de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, dans l’attente de la décision sur la question de savoir si une mesure de renvoi devrait être prise contre celui-ci.
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27
Perte de l’asile
Rejet
108 (1) Est rejetée la demande d’asile et le demandeur n’a pas qualité de réfugié ou de personne à protéger dans tel des cas suivants :
a) il se réclame de nouveau et volontairement de la protection du pays dont il a la nationalité;
b) il recouvre volontairement sa nationalité;
c) il acquiert une nouvelle nationalité et jouit de la protection du pays de sa nouvelle nationalité;
d) il retourne volontairement s’établir dans le pays qu’il a quitté ou hors duquel il est demeuré et en raison duquel il a demandé l’asile au Canada;
e) les raisons qui lui ont fait demander l’asile n’existent plus.
Perte de l’asile
(2) L’asile visé au paragraphe 95(1) est perdu, à la demande du ministre, sur constat par la Section de protection des réfugiés, de tels des faits mentionnés au paragraphe (1).