[2017] 4 R.C.F. 421
T-1277-16
2017 CF 376
Mila Kah Kate Ng (demanderesse)
c.
Procureur général du Canada (défendeur)
Répertorié : Ng c. Canada (Procureur général)
Cour fédérale, juge Annis—Vancouver, 1er février; Ottawa, 19 avril 2017.
Transports — Habilitation de sécurité — Contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision de la Directrice générale (déléguée du ministre), Sûreté de l’aviation pour Transports Canada, rejetant la demande d’habilitation de sécurité de la demanderesse — La demanderesse devait obtenir une habilitation de sécurité en application du Programme d’habilitation de sécurité en matière de transport (le programme d’habilitation) — La demanderesse avait été impliquée dans des incidents liés à la drogue et était associée à une personne ayant un casier judiciaire — L’organisme consultatif du programme d’habilitation a recommandé de refuser la demande d’habilitation de sécurité conformément à l’art. I.8 de la politique sur le programme d’habilitation — La déléguée du ministre a rendu la décision contestée — Elle croyait que la demanderesse pouvait être sujette ou être incitée à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile ou à aider ou à inciter toute autre personne à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile — La demanderesse a fait valoir que, pour les mêmes motifs que ceux développés dans la décision Britz c. Canada (Procureur général), la décision n’était pas intelligible — Il s’agissait de savoir si la décision était inintelligible dans la mesure où elle ne permettait pas à la demanderesse ou à la Cour de déterminer le fondement de l’annulation de l’habilitation de sécurité — La décision portant sur la « dichotomie » de la décision Britz n’est pas valable en droit et n’a pas été appliquée en l’espèce — Dans la décision Britz, la Cour a conclu, entre autres, que le ministre avait rendu une « décision dichotomique déraisonnable » en empruntant le libellé de la Politique du programme d’habilitation — Elle a distingué les faits de ceux retrouvés dans la décision Sargeant c. Canada (Procureur général) — En l’espèce, le ministre a utilisé le même libellé de la Politique que celui invoqué dans la décision Britz — Il est impossible de distinguer les décisions Britz et Sargeant, à moins que le ministre doive non seulement préciser la conclusion sur laquelle il se fonde, mais également décrire la preuve qui soutient chacune de ces conclusions — La décision Britz oblige à faire des distinctions non nécessaires entre les conclusions justifiant le rejet d’une demande — La décision Sargeant confirme de façon implicite que la Politique sur le programme d’habilitation n’oblige pas le ministre à relier explicitement la preuve à chaque facteur — Une application flexible et déférente de la Politique s’accorde mieux aux principes établis dans l’arrêt Dunsmuir — Les motifs sont suffisamment intelligibles si la décision informe suffisamment la personne concernée des faits et qu’elle démontre un lien logique avec au moins un des motifs de refus — Lorsqu’il existe deux motifs possibles de refus, l’habilitation de sécurité ne sera pas accordée si l’un des deux motifs est raisonnablement justifié — En l’espèce, la preuve sur laquelle s’est fondée la déléguée du ministre soutenait raisonnablement la conclusion selon laquelle la demanderesse peut poser un risque à l’aviation civile — Demande rejetée.
Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision de la Directrice générale (déléguée du ministre), Sûreté de l’aviation pour Transports Canada, rejetant la demande d’habilitation de sécurité de la demanderesse.
La demanderesse, qui avait obtenu un emploi comme agente de bord, devait obtenir une habilitation de sécurité en application du Programme d’habilitation de sécurité en matière de transport (le programme d’habilitation). Une vérification des antécédents criminels a révélé que la demanderesse avait été impliquée dans trois incidents liés à la drogue et qu’elle était associée à une personne ayant un casier judiciaire. Plus particulièrement, la demanderesse avait été accusée de deux chefs de possession en vue de trafic. Ces accusations ont par la suite été suspendues. En réponse, la demanderesse a, entre autres, expliqué qu’elle était jeune au moment de ces incidents et qu’elle avait été manipulée par son petit ami. Conformément à l’article I.8 de la politique sur le programme d’habilitation, l’organisme consultatif a recommandé au ministre de refuser la demande. La déléguée du ministre, étant en accord avec l’organisme consultatif, a rendu la décision contestée. La déléguée croyait, selon la prépondérance des probabilités, que la demanderesse pouvait être sujette ou être incitée à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile ou à aider ou à inciter toute autre personne à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile.
La demanderesse a fait valoir que, pour les mêmes motifs que ceux développés dans la décision Britz c. Canada (Procureur général), la décision n’était pas intelligible.
Il s’agissait principalement de savoir si la décision était inintelligible dans la mesure où elle ne permettait pas à la demanderesse ou à la Cour de déterminer le fondement de l’annulation de l’habilitation de sécurité.
Jugement : la demande doit être rejetée.
La décision portant sur la « dichotomie » de la décision Britz n’est pas valable en droit et n’a pas été appliquée. La décision Britz examinait l’application de la même Politique que celle visée en l’espèce. Dans la décision Britz, la Cour :
- a établi que la demanderesse était uniquement à risque d’être « incitée » à se livrer à une activité illicite;
- a conclu, entre autres, que le ministre avait rendu une « décision dichotomique déraisonnable » en empruntant le libellé de la Politique du programme d’habilitation et en concluant que la demanderesse « pouvait être sujette ou incitée à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile »;
- a déterminé que la décision était inintelligible parce qu’elle ne permettait pas à la demanderesse ou à la Cour de déterminer le fondement de l’annulation de l’habilitation de sécurité de la demanderesse;
- a distingué les faits de ceux retrouvés dans la décision Sargeant c. Canada (Procureur général) en concluant que le ministre, dans Sargeant, avait des motifs de croire que le demandeur pouvait être personnellement sujet à se livrer à une activité illicite, et avait des motifs de croire que le demandeur pouvait être incité à se livrer à une activité illicite.
En l’espèce, le ministre a utilisé le même libellé de la Politique que celui invoqué dans la décision Britz en concluant que [traduction] « la demanderesse pouvait être sujette ou incitée à commettre » un acte illicite. Il est impossible de distinguer les décisions Britz et Sargeant, à moins de considérer cette dernière comme un corollaire à la décision Britz, alors que le ministre doit non seulement préciser la conclusion sur laquelle il se fonde, mais doit également décrire la preuve qui soutient chacune de ces conclusions. La décision Britz a pour effet de « judiciariser » le processus décisionnel du ministre en l’obligeant à faire des distinctions non nécessaires entre les conclusions justifiant le rejet d’une demande d’une façon contraire aux principes établis dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick. Les décisions Britz et Sargeant peuvent seulement être conciliées pour ce qui est de l’exigence relative à l’intelligibilité si la Politique est interprétée comme imposant au ministre l’obligation de relier explicitement la preuve à la décision relative à chaque facteur ou à un seul facteur s’il s’agit des faits sous-jacents. La décision Sargeant confirme de façon implicite que cela n’est pas nécessaire.
Une application flexible et déférente de la Politique s’accorde mieux aux principes établis dans l’arrêt Dunsmuir sur l’interprétation des motifs et à la jurisprudence de la Cour fédérale. Tant que la décision informe suffisamment la personne concernée des faits donnant lieu à la conclusion qu’elle pose un risque pour la sécurité aérienne et que cette décision démontre un lien logique avec au moins un des motifs de refus, les motifs devraient être jugés suffisamment intelligibles. Il est inapproprié de qualifier la décision du ministre de conclusion disjonctive « dichotomique ». Les deux options sont possibles, mais en choisissant l’une des deux, il devient impossible d’opter également pour la seconde. Étant donné que la critique de la Cour dans la décision Britz visait le fait qu’aucune décision n’avait été prise, le renvoi au terme « dichotomique » indique implicitement que la conclusion sur l’un des facteurs exclut nécessairement le second lorsqu’ils sont utilisés ensemble. Toutefois, dans la Politique, le fait d’être « sujet à » et le fait d’être « incité à » sont présentés comme une alternative. La meilleure interprétation à donner à la décision conformément à la directive établie dans l’arrêt Dunsmuir est que le ministre a rendu une décision où les deux facteurs s’appliquent. C’était le cas dans la décision Sargeant, où la formulation disjonctive retrouvée dans la Politique a été utilisée. Par conséquent, lorsqu’il existe deux motifs possibles de refus, l’habilitation de sécurité ne sera pas accordée si l’un des deux motifs est raisonnablement justifié.
Le raisonnement adopté dans la décision Britz a également été rejeté pour diverses raisons pratiques qui ont été examinées.
Appliquant ce qui précède au cas en l’espèce, la preuve sur laquelle s’est fondée la déléguée du ministre soutenait raisonnablement la conclusion selon laquelle la demanderesse peut poser un risque à l’aviation civile.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Loi sur l’aéronautique, L.R.C. (1985), ch. A-2, art. 4.8.
Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.1.
Règlement sur la sûreté du transport maritime, DORS/2004-144.
JURISPRUDENCE CITÉE
DÉCISION NON SUIVIE :
Britz c. Canada (Procureur général), 2016 CF 1286, [2017] 3 R.C.F. 221.
DÉCISIONS APPLIQUÉES :
Clue c. Canada (Procureur général), 2011 CF 323; Sargeant c. Canada (Procureur général), 2016 CF 893; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708; Canada (Ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités) c. Farwaha, 2014 CAF 56, [2015] 2 R.C.F. 1006.
DÉCISIONS EXAMINÉES :
Appulonappar c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 914; Scott v. British Columbia (Superintendent of Motor Vehicules), 2013 BCCA 554, 53 B.C.L.R. (5th) 246; R. c. Williams, [1998] 1 R.C.S. 1128.
DÉCISIONS CITÉES :
Lorenzen c. Canada (Transport), 2014 CF 273; Société canadienne des postes c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2010 CAF 56, [2011] 2 R.C.F. 221, conf. par 2011 CSC 57, [2011] 3 R.C.S. 572; Singh Kailley c. Canada (Transport), 2016 CF 52; Henri c. Canada (Procureur général), 2014 CF 1141, conf. par 2016 CAF 38; Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 8667 (C.F. 1re inst.); Meyler c. Canada (Procureur général), 2015 CF 357; Kaczor c. Canada (Transport), 2015 CF 698.
DOCTRINE CITÉE
Brown, Donald J.M. et John M. Evans; avec l’aide de Christine E. Deacon. Judicial Review of Administrative Action in Canada, feuilles mobiles. Toronto : Carswell, 2009.
DEMANDE de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision de la Directrice générale, Sûreté de l’aviation pour Transports Canada, rejetant la demande d’habilitation de sécurité de la demanderesse au nom du ministre. Demande rejetée.
ONT COMPARU
Scott R. Wright pour la demanderesse.
Lisa M.G. Nevens pour le défendeur.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Sutherland Jetté, Vancouver, pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs de jugement et du jugement rendus par
[1] Le juge Annis : Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, à l’encontre d’une décision de la déléguée du ministre, la Directrice générale, sûreté de l’aviation pour Transports Canada (le ministre), datée du 19 juillet 2016 (la décision) et rejetant la demande d’habilitation de sécurité de la demanderesse (la demande).
[2] La demande de contrôle judiciaire est rejetée, avec dépens.
I. Contexte
[3] En mai 2014, la demanderesse a obtenu un emploi comme agente de bord. À ce moment, elle a présenté une demande pour obtenir une carte d’identité de zones réglementées (CIZR), demande qui nécessite d’abord l’obtention d’une habilitation de sécurité en application du Programme d’habilitation de sécurité en matière de transport (le programme d’habilitation). La demanderesse a obtenu une CIZR temporaire pendant le traitement de sa demande.
[4] Les demandes d’habilitation de sécurité déposées en vertu du programme d’habilitation font l’objet d’une vérification complète des antécédents. Lorsque cette vérification des antécédents soulève des préoccupations, le programme d’habilitation exige qu’un organisme consultatif soit convoqué pour examiner la demande et présenter des recommandations au ministre.
[5] Le 1er septembre 2015, le programme d’habilitation a reçu le rapport de vérification des antécédents criminels (rapport de VAC) de la Gendarmerie royale du Canada (GRC). Ce rapport de VAC fait état de trois incidents liés à la drogue ainsi que de l’association de la demanderesse à son ancien petit ami :
Accusations de trafic de drogue suspendues :
• En avril 2008, la police de Vancouver a observé une transaction « de la main à la main » entre un piéton et le conducteur d’un véhicule dans un secteur connu par la police pour être fréquenté par plusieurs criminels commettant des infractions contre les biens, ainsi que par des utilisateurs de drogue et des toxicomanes. La police a arrêté le véhicule du trafiquant de drogue présumé.
• Alors qu’ils s’approchaient du véhicule, les agents ont vu le conducteur donner quelque chose à la passagère. Le conducteur et la passagère ont été arrêtés pour possession en vue de trafic.
• La passagère a été identifiée comme étant la demanderesse.
• Sur le siège passager, les agents ont trouvé des sachets contenant ce qui semblait être 0,56 gramme d’héroïne et 0,44 gramme de roche de cocaïne. Le conducteur a affirmé qu’il consommait de l’héroïne et que la drogue retrouvée lui appartenait.
• Alors qu’il était fouillé à la prison de la station de police de Vancouver, plusieurs roches de cocaïne (5,45 grammes) ainsi que des sachets d’héroïne (0,51 gramme) ont été retrouvés dans un compartiment spécial situé dans les sous-vêtements du conducteur.
• Une fouille du véhicule incidente à l’arrestation a permis de découvrir un cellulaire sur le siège passager, ainsi qu’une sacoche. À l’intérieur de cette sacoche se trouvaient deux portefeuilles contenant les pièces d’identité du conducteur et de la demanderesse. Les deux portefeuilles contenaient des sommes importantes en devise canadienne (990 $ pour le conducteur et 260 $ pour la demanderesse). La sacoche contenait également deux téléphones cellulaires bloqués, ce qui est d’après le rapport de VAC une pratique fréquente pour tenter d’empêcher les policiers de recueillir plus d’éléments de preuve.
• À l’intérieur de la console centrale se trouvait un contenant à yogourt utilisé rempli au 3/4 de monnaie, principalement des pièces de 1 $ et de 2 $. Selon le rapport de VAC, le fait de retrouver cette monnaie est cohérent avec le trafic de drogue puisque la majorité des clients obtiennent leur argent en perpétrant des crimes contre les biens.
• La demanderesse a été accusée de deux chefs de possession en vue de trafic en contravention du paragraphe 5(2) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, LC 1996, ch. 19 [LRDAS], mais ces deux accusations ont fait l’objet d’une suspension de l’instance.
b. Prêt d’un véhicule :
• En février 2011, la police de Delta a intercepté un véhicule immatriculé au nom de la demanderesse pour un demi-tour illégal. Le seul occupant du véhicule a été identifié comme étant le petit ami de la demanderesse. Les agents ont senti une odeur de marijuana brûlée et le conducteur a admis en avoir fumé avant de conduire.
• Les agents ont saisi un gramme de marijuana. Une pipe et une balance montrant des résidus ont également été saisies.
• La demanderesse, qui était la propriétaire inscrite du véhicule, a été avisée que l’automobile serait remorquée et le conducteur est reparti en taxi.
c. Cambriolage de domicile :
• En juin 2012, la GRC de Coquitlam a reçu une plainte pour un cambriolage de domicile qui venait de se produire.
• À leur arrivée, les agents ont constaté que la porte d’entrée avant était ouverte et qu’un panneau vitré avait été fracassé à côté de la porte. Un homme blessé se trouvait sur le pas de la porte.
• Les agents lui ont demandé si quelqu’un se trouvait toujours dans la maison et la victime a répondu que sa petite amie se cachait dans une garde-robe à l’étage. Les agents ont trouvé la demanderesse cachée dans une garde-robe de chambre, effrayée et recroquevillée en position défensive.
• La fouille de la résidence a révélé une installation de culture de marijuana. Au total, 80 à 100 plants ont été trouvés, faisant tous environ 1,20 mètre (4 pieds). Le propriétaire de la maison a expliqué qu’il s’agissait d’une installation légale de culture de marijuana médicale. Les documents fournis aux agents indiquaient que les deux producteurs enregistrés demeurant à la résidence étaient en droit de faire pousser ensemble un total de 60 plants.
• La demanderesse a offert une déclaration audio-vidéo enregistrée à la police, où elle a déclaré qu’alors qu’elle se cachait dans la garde-robe de la chambre, elle a entendu les suspects traîner son petit ami dans la chambre et le battre.
• Elle a affirmé que les suspects avaient demandé à plusieurs reprises à la victime où était sa petite amie (la demanderesse). Elle a expliqué qu’elle avait entendu les suspects la chercher et qu’ils ont regardé dans la garde-robe sans toutefois l’apercevoir.
• Elle n’a fourni aucune explication sur la raison pour laquelle les suspects la cherchaient ni comment ils savaient qu’elle se trouvait dans la maison puisqu’il ne s’agissait pas de sa demeure.
• Les suspects ont été arrêtés quelques coins de rue plus loin et ont chacun été accusés de deux chefs de vol qualifié à main armée en contravention de l’alinéa 344(1)a) du Code criminel, LRC 1985, ch. C-46 [le Code criminel] et de deux chefs de voies de fait causant des lésions corporelles en contravention du paragraphe 267(b) du Code criminel.
[6] Le 24 septembre 2015, la demanderesse a reçu une lettre de Transports Canada faisant mention des renseignements défavorables soulevant des préoccupations à l’égard de sa demande (l’avis de 2015). Cette lettre décrit en détail les renseignements retrouvés dans le rapport de VAC, les reprenant presque mot pour mot. L’avis de 2015 encourageait la demanderesse à répondre à ces préoccupations.
[7] Le 1er décembre 2015, après deux prolongations de délai, la demanderesse a donné sa réponse à l’avis de 2015. Elle a fourni les documents suivants : une explication notariée des trois incidents, une lettre du procureur de la Couronne relativement au cambriolage de domicile et plusieurs lettres de référence morale. La déclaration de la demanderesse répond ainsi aux questions soulevées dans l’avis de 2015 :
Sujet « A » :
• La demanderesse y identifie le sujet A comme étant son ancien petit ami et la personne impliquée dans les accusations suspendues de trafic et dans l’incident du prêt de véhicule.
• La demanderesse explique qu’elle était jeune lorsque les accusations de trafic ont été portées en 2008 (elle était âgée de 18 ans) et qu’elle croyait les mensonges de son petit ami lorsqu’il lui affirmait qu’il s’agissait d’un malentendu.
• Elle affirme dans sa déclaration qu’elle a tenté de quitter son petit ami à de nombreuses reprises, mais que ce dernier la manipulait par des menaces envers elle et sa famille et était violent physiquement envers elle afin qu’elle ne le quitte pas. Elle déclare qu’elle a « enfin été libérée de sa tyrannie » en 2010, lorsqu’il a été emprisonné pour possession en vue de trafic.
• Lors de sa libération en 2011, il a communiqué avec la demanderesse pour lui demander de l’aider en lui prêtant son véhicule, ce qu’elle a accepté.
• Elle affirme qu’après l’incident du prêt du véhicule, elle a dit à son ancien petit ami qu’elle ne pouvait plus lui prêter son véhicule parce qu’elle avait l’impression qu’il ne lui disait pas la vérité.
• La demanderesse déclare qu’en réponse, il l’a attaquée et a recommencé à la menacer et à menacer sa famille; elle a donc décidé de couper les ponts avec lui.
b. Accusations de trafic de drogue suspendues :
• La demanderesse affirme qu’elle s’était endormie dans la voiture en rentrant à la maison après un souper et qu’elle a été réveillée par un agent de police lui demandant de sortir du véhicule.
c. Prêt d’un véhicule :
• La demanderesse déclare qu’elle a prêté son véhicule à son ancien petit ami lorsqu’il a été libéré de prison pour l’aider à reprendre sa vie en main.
• Elle affirme qu’elle a coupé les ponts avec lui après cet incident.
d. Cambriolage de domicile :
• La demanderesse affirme que les cambrioleurs ne la cherchaient pas, mais cherchaient plutôt quiconque se trouvant dans la maison qu’ils pourraient [traduction] « détenir et ainsi obtenir le contrôle de la situation ».
• Elle précise que l’enquête portant sur la marijuana médicale a été menée séparément de celle sur l’introduction par effraction.
• Elle affirme qu’après enquête, la police a conclu que l’installation de culture de marijuana était légale.
• La demanderesse conclut en déclarant que [traduction] « tous ces renseignements sont faciles à obtenir si votre agent effectuant l’enquête est prêt à exercer une diligence raisonnable ».
• Elle ne fournit aucune preuve à l’appui de ce qu’elle affirme.
[8] Dans sa lettre concernant le cambriolage de domicile, le procureur de la Couronne affecté au dossier explique ce qui suit :
[traduction] Les éléments de preuve n’indiquaient pas clairement pourquoi les deux suspects avaient ciblé cette résidence. Comme vous l’avez mentionné dans votre lettre, une autre victime, qui résidait dans [une] unité séparée, a d’abord été attaquée par les suspects. Cette victime n’a pas coopéré dans le cadre des poursuites. Mme Ng et son petit ami, Andrew St. Clair, ont témoigné lors du procès. Je n’ai pas appelé Mme Ng à témoigner puisqu’il me semblait évident qu’elle demeurait troublée par l’évènement et qu’elle ne pourrait offrir plus d’éléments de preuve que ce que M. St-Clair pouvait déjà apporter par son témoignage. Plus précisément, elle ne pouvait fournir de preuve aidant à identifier les suspects.
Quant à la question de savoir pourquoi les suspects cherchaient Mme Ng, en fonction de tous les éléments de preuve que j’ai examinés, je n’ai trouvé aucun lien entre elle et les auteurs du crime. J’ai considéré cette partie de sa déclaration comme étant le reflet des circonstances dans lesquelles elle se trouvait alors qu’elle se cachait dans la garde-robe et qu’elle s’est rendu compte que les suspects savaient qu’il y avait quelqu’un d’autre dans la résidence et voulaient s’assurer que personne n’appelait la police (ce que Mme Ng a tenté de faire).
[9] Le 12 avril 2016, conformément à l’article I.8 de la politique sur le Programme d’habilitation de sécurité en matière de transport (la Politique), l’Organisme consultatif a recommandé au ministre de refuser la demande, tel que cela était présenté dans son résumé de la discussion figurant dans le rapport de VAC :
[traduction] L’Organisme consultatif recommande de refuser d’accorder l’habilitation de sécurité en matière de transport à la demanderesse en raison de l’existence d’un rapport de police détaillant l’implication de la demanderesse dans plusieurs incidents reliés au trafic de stupéfiants. L’Organisme consultatif a également noté que la demanderesse entretenait des liens très étroits avec une personne possédant un casier criminel chargé. Un examen approfondi des renseignements retrouvés au dossier a conduit l’Organisme consultatif à raisonnablement croire, selon la prépondérance des probabilités, que la demanderesse pouvait être sujette ou être incitée à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile ou à aider ou à inciter toute autre personne à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile. En outre, les observations de la demanderesse ne fournissaient pas suffisamment de renseignements pour dissiper les préoccupations de l’Organisme consultatif.
[10] Le 19 juillet 2016, la déléguée du ministre a rendu une décision refusant d’accorder l’habilitation à la demanderesse pour les motifs suivants :
[traduction] Les renseignements concernant vos deux (2) accusations suspendues de possession en vue de trafic ainsi que votre implication dans plusieurs incidents reliés au trafic de drogue, de même que votre grande proximité avec des individus impliqués dans le trafic de drogue soulèvent des inquiétudes à l’égard de votre jugement, de votre loyauté et de votre fiabilité. Je constate que vous avez été impliquée dans trois (3) incidents concernant des activités liées aux drogues illicites, l’un (1) d’eux impliquant de la roche de cocaïne et de l’héroïne, qui ne sont pas considérées comme étant des drogues douces, ce qui m’amène à croire que ces incidents s’inscrivent dans des antécédents récurrents d’implication dans des activités liées aux drogues illicites. Je note également l’incident de juin 2012, à l’occasion duquel la GRC a reçu une plainte de cambriolage de domicile où vous avez admis être une (1) des cibles. Lorsque la police a fouillé la résidence, elle a trouvé 80 à 100 plants de marijuana, ce qui constitue plus du double de la quantité permise, me portant à croire que ces plants étaient cultivés aux fins de trafic et non seulement pour un usage personnel. J’observe que vous avez déclaré que moins de plants que la limite permise avaient été trouvés; toutefois, vous n’avez fourni aucune preuve pour soutenir cette allégation. Je dois donc m’en remettre au rapport de police. Je souligne également la vulnérabilité de la sûreté aéroportuaire engendrée par les détenteurs d’une habilitation de sécurité entretenant des liens avec des personnes impliquées dans de graves activités criminelles liées aux drogues. Je suis en outre d’avis que vos observations sont méprisantes, que vous vous montrez peu encline à assumer vos responsabilités et que les divergences entre le rapport de vérification des antécédents criminels et vos observations sont importantes, ce qui me fait douter de votre crédibilité. Un examen approfondi des renseignements retrouvés au dossier me fait raisonnablement à croire, selon la prépondérance des probabilités, que vous pouvez être sujette ou être incitée à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile ou à aider ou à inciter toute autre personne à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile. J’ai examiné la déclaration que vous avez fournie, mais les renseignements donnés n’ont pas suffi à dissiper mes inquiétudes. Pour ces motifs, au nom du ministre des Transports, j’ai rejeté votre demande d’habilitation de sécurité.
II. Dispositions législatives pertinentes
[11] Les dispositions pertinentes de la Loi sur l’aéronautique, L.R.C. (1985), ch. A-2 (Loi sur l’aéronautique) de même que les dispositions pertinentes de la Politique se retrouvent en annexe.
III. Questions en litige
[12] La demanderesse fait valoir que la décision est déraisonnable et qu’elle est inéquitable sur le plan procédural pour les motifs suivants :
1) La décision est inintelligible dans la mesure où elle ne permet pas à la demanderesse ou à la Cour de déterminer le fondement de l’annulation de l’habilitation de sécurité de la demanderesse.
2) L’analyse de la crédibilité et de la détermination des faits du ministre est manifestement viciée.
a) Le ministre a commis une erreur en concluant que la demanderesse manquait de crédibilité et en rejetant ses éléments de preuve à l’égard du cambriolage de domicile.
b) Le ministre a également commis une erreur en concluant, sans posséder d’éléments de preuve appuyant cette conclusion, que la demanderesse avait des antécédents d’implication dans des activités liées aux drogues illicites.
3) La demanderesse soutient qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale puisque le ministre a appliqué sa propre connaissance à propos des drogues douces plutôt que de se fonder sur une preuve d’expert, et ce, sans donner d’avis préalable de son intention.
IV. Norme de contrôle
[13] Les parties conviennent que la norme de contrôle d’une décision de ministre prise par la déléguée du ministre en vertu de l’article 4.8 de la Loi sur l’aéronautique est la norme de la décision raisonnable et que la norme de contrôle relative au manquement à l’équité procédurale est la norme de la décision correcte (Lorenzen c. Canada (Transport), 2014 CF 273, au paragraphe 12).
V. Analyse
A. Intelligibilité des motifs du ministre
1) Introduction
[14] Lors de l’audience, la demanderesse a invoqué la décision Britz c. Canada (Procureur général), 2016 CF 1286, [2017] 3 R.C.F. 221 (Britz). La demanderesse fait valoir que pour les mêmes motifs que ceux développés dans la décision Britz, la décision n’était pas intelligible.
[15] La décision Britz examine l’application de la même Politique que celle visée en l’espèce. Toutefois, dans cette décision, la Cour a établi que la demanderesse était uniquement à risque d’être « incitée » à se livrer à une activité illicite. La déléguée du ministre a conclu que la demanderesse vivait avec un conjoint qui avait des antécédents d’association avec le gang de motards Hells Angels, mais qu’elle-même ne possédait pas de casier judiciaire et qu’il n’y avait pas de preuve qu’elle s’était livré à un comportement illicite pouvant justifier la conclusion qu’elle serait « sujette » à commettre un acte illicite.
[16] Les faits particuliers de la décision Britz ont mené la Cour à conclure que les motifs étaient inintelligibles. La Cour a conclu que le ministre avait rendu ce qui a été décrit comme étant une « décision dichotomique déraisonnable » en empruntant le libellé de la Politique et en concluant que la demanderesse « pouvait être sujette ou incitée à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile » (non souligné dans l’original). La décision a été considérée comme étant inintelligible parce qu’elle ne permettait pas à la demanderesse ou à la Cour de déterminer le fondement de l’annulation de l’habilitation de sécurité de la demanderesse.
[17] Au paragraphe 40 de la décision Britz, la Cour explique que le ministre devait choisir parmi trois conclusions possibles :
Par conséquent, comme je l’interprète, le libellé de la Politique décrit trois conclusions différentes auxquelles le ministre peut parvenir. Tout d’abord, on peut conclure qu’un individu peut être sujet à commettre un acte illicite, ou à aider ou à encourager une personne à commettre un acte illicite. Ensuite, on peut conclure qu’un individu est susceptible d’être incité à commettre un acte illicite, ou à aider ou à encourager une personne à commettre un acte illicite. Enfin, on peut conclure qu’un individu peut être sujet et susceptible d’être incité à commettre un acte illicite, ou à aider ou à encourager une personne à commettre un acte illicite. [Italiques dans l’original.]
[18] La Cour a interprété les termes « être sujet à » et « être incité à » comme ayant une signification différente en fonction de la présomption d’uniformité des expressions, de leurs définitions divergentes retrouvées dans le dictionnaire et de la différence qualitative existant entre chacune des analyses (Britz, aux paragraphes 44 à 48). Je suis d’accord avec cela. Je comprends également que le fait d’être sujet à quelque chose renvoie à la réputation : « Cette disposition comporte une appréciation de la réputation d’une personne ou de ses penchants (“sujette ou peut être incitée à”) » (non souligné dans l’original) (Clue c. Canada (Procureur général), 2011 CF 323 (Clue), au paragraphe 20).
[19] La Cour a poursuivi en concluant qu’il était déraisonnable de la part du ministre de refuser la demande sans préciser laquelle de ces trois conclusions possibles avait mené à ce résultat. La Cour élabore son raisonnement au soutien de sa conclusion aux paragraphes 54 à 56 de la décision Britz :
Ce que le ministre ne peut pas raisonnablement faire est de conclure de façon disjonctive, comme il l’a fait en l’espèce, que la demanderesse peut être sujette ou incitée à se livrer à des activités illicites sans établir le fondement de sa décision d’annuler l’habilitation de sécurité.
En l’espèce, le ministre n’a pas tranché entre « être sujette à » et « être incitée à ». De plus, le ministre n’a pas conclu que la demanderesse pouvait être à la fois sujette et incitée à commettre des actes illicites. À mon humble avis, en omettant de se prononcer sur l’une des trois possibilités d’annulation permises par la politique à cet égard, le ministre a manqué à son devoir de se prononcer conformément à la loi. Le ministre n’avait pas le pouvoir d’annuler l’habilitation de la demanderesse sans décider du motif de cette annulation.
Essentiellement, la conclusion disjonctive du ministre tient de l’ambigüité et ne constitue pas une décision. Il n’a fourni aucun motif pour justifier cette conclusion équivoque. À mon humble avis, le ministre ne pouvait pas se contenter de tirer des conclusions équivoques « peut-être ceci ou peut-être cela » comme il l’a fait. [Non souligné dans l’original; italiques dans l’original.]
[20] La Cour a également conclu, aux paragraphes 61 et suivants de cette même décision, que même sans la question de l’intelligibilité décrite précédemment, elle aurait toute de même annulé la décision en raison du manque de transparence des motifs. Selon elle, le ministre n’a pas examiné attentivement les observations de la demanderesse contestant la conclusion selon laquelle son conjoint avait des liens avec des membres des Hells Angels.
[21] La décision de la Cour dans la décision Britz est résumée au paragraphe 74 :
Ce n’est que dans le cas où le ministre aurait conclu que les affaires du mari de la demanderesse avec les Hells Angels constituaient une telle menace pour l’emploi de la demanderesse que cette dernière se serait retrouvée dans la catégorie « peut être incitée à » que la décision d’annuler l’habilitation compte tenu des faits en l’espèce aurait été raisonnablement étayée. Je souligne que cette option ne peut se produire que si, contrairement à ce que je viens de conclure, une conclusion dichotomique et disjonctive est raisonnablement permise. La Cour est confrontée à trois difficultés en permettant à la décision de reposer sur ce fondement. Premièrement, ce n’est pas ce que le ministre a décidé. Dans sa décision, le ministre n’a pas conclu que la demanderesse pouvait être incitée à commettre des actes illicites. Le ministre a plutôt tiré une conclusion dichotomique et disjonctive selon laquelle la demanderesse peut être à sujette ou incitée à commettre des actes illicites. Ensuite, une conclusion disjonctive est en soi déraisonnable pour les motifs exposés ci-dessus. Enfin, pour parvenir au résultat que la demanderesse peut être incitée par son mari à commettre des actes illicites, le ministre a nécessairement rejeté chacune des huit réponses ainsi que les deux lettres de recommandation fournies. Bien que je puisse, dans certains cas, fournir des motifs et « faire le lien », il me faudrait rédiger des motifs pour expliquer pourquoi le ministre a rejeté pratiquement toutes les réponses de la demanderesse alors que je ne connais que le résultat final. Je ne suis pas en mesure de rédiger les motifs pour lesquels le ministre n’a pas expliqué cette conclusion. [Non souligné dans l’original; italiques dans l’original.]
2) Distinction avec la décision Sargeant c. Canada (Procureur général)
[22] Dans la décision Britz, la Cour a pris soin de distinguer les faits de ceux retrouvés dans la décision Sargeant c. Canada (Procureur général), 2016 CF 893 (Sargeant). Dans cette décision, bien que le ministre ait utilisé la même formulation pour conclure que le demandeur pouvait être « sujet à ou incité à », il existait dans les motifs des faits appuyant les deux libellés. Je crois qu’il est cependant important de mentionner que cette dernière décision ne relie pas un élément de preuve précis à l’une ou l’autre des conclusions, qui ont par ailleurs toutes deux été maintenues. Dans la décision Britz, la Cour a, au paragraphe 49, fait la distinction avec la décision Sargeant comme suit :
Dans la décision Sargeant, le ministre était parvenu à la même conclusion disjonctive que celle qui a été faite en l’espèce. Toutefois, contrairement à l’affaire qui nous occupe, non seulement le ministre, dans la décision Sargeant, avait des motifs de croire que le demandeur pouvait être personnellement sujet à se livrer à une activité illicite (il avait avoué avoir déjà agi illégalement), mais encore il avait conclu que le demandeur pouvait être incité à se livrer à une activité illicite (comme il l’avait effectivement déjà été). Par conséquent, la conclusion du ministre était raisonnable. [Italiques dans l’original.]
[23] En l’espèce, le ministre a utilisé le même libellé de la Politique que celui invoqué dans la décision Britz [au paragraphe 17] en concluant que [traduction] « la demanderesse pouvait être sujette ou incitée à commettre » un acte illicite. La demanderesse soutient que le ministre a commis une erreur en arrivant à la même conclusion disjonctive déraisonnable que celle retrouvée dans la décision Britz. Toutefois, le défendeur invoque le passage qui précède pour distinguer la présente affaire de la décision Britz, puisqu’en l’espèce, la preuve soutient la croyance raisonnable que la demanderesse est à la fois sujette à commettre un acte illicite et à risque d’être incitée à commettre un tel acte.
[24] En temps normal, j’appliquerais une distinction qui a déjà été faite dans une affaire qui m’est présentée. Toutefois, je me sens obligé d’exprimer respectueusement mon désaccord à l’égard de la décision relative à la « conclusion dichotomique » de la décision Britz. J’en viens à cette conclusion pour plusieurs raisons, l’une des principales étant que je ne vois pas comment il est possible de distinguer les décisions Britz et Sargeant, à moins de considérer cette dernière comme un corolaire à la décision Britz, alors que le ministre doit non seulement préciser la conclusion sur laquelle il se fonde, mais doit également décrire la preuve qui soutient chacune de ces conclusions. Deuxièmement, je suis d’avis que la décision Britz a pour effet de « judiciariser » le processus décisionnel du ministre en l’obligeant à faire des distinctions non nécessaires entre les conclusions justifiant le rejet d’une demande d’une façon contraire aux principes établis dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir). Troisièmement, l’application de cette décision soulève également plusieurs préoccupations de nature pratique, tant à l’égard des faits particuliers à la décision Britz qu’aux situations comparables si la décision du ministre doit être écartée en raison de son caractère dichotomique.
[25] Il est peut-être également important de noter sur ce point qu’à mon avis, les motifs de la Cour à l’égard de l’inintelligibilité de la conclusion dichotomique et disjonctive retrouvée dans la décision Britz constituent une observation incidente, c’est-à-dire que les commentaires sur l’intelligibilité de la décision n’étaient pas nécessaires puisqu’elle aurait malgré tout annulé la décision, qui n’était pas raisonnable. Dans cette décision, rien ne prouvait que la demanderesse était sujette à commettre un acte illicite; toutefois, la Cour a conclu que le ministre avait commis une erreur susceptible de révision quant au fait que la demanderesse pouvait être incitée à commettre un acte illicite en rejetant les huit réponses de la demanderesse à la lettre relative à l’équité procédurale ainsi que les deux lettres de recommandation, et ce, sans fournir d’explications quant à ce rejet.
3) Impossibilité de concilier les faits des décisions Britz et Sargeant
[26] J’ai déjà souligné l’importance que j’attache au fait que les motifs énoncés dans la décision Sargeant ne relient en aucune façon des éléments de preuve précis ou des conclusions factuelles aux deux conclusions menant au rejet de la demande. Ainsi, tant dans la décision Sargeant que dans la décision Britz, le ministre n’a pas décrit avec précision les éléments de preuve au soutien de chacune des conclusions. Cela signifie donc que l’exercice consistant à relier un élément de preuve précis à une conclusion précise appartient au demandeur et que le ministre n’a pas l’obligation de faire cette description.
[27] Par conséquent, je suis d’avis que si il était raisonnable de laisser tomber cet exercice consistant à relier les faits ou la preuve aux motifs accompagnant la conclusion de rejet de la demande dans la décision Sargeant, il était également raisonnable pour la demanderesse dans la décision Britz de comprendre que la preuve en question faisait uniquement référence à la conclusion sur le fait de risquer d’être « incité à », de telle sorte que les deux conclusions mentionnées dans la décision ne la rendaient pas inintelligible. Cela démontre à tout le moins que la difficulté à laquelle était confrontée la Cour dans la décision Britz n’était pas l’incompréhension par la demanderesse des motifs de refus. L’essentiel de la conclusion de la Cour était plutôt qu’aucune décision n’avait été rendue alors qu’un des éléments n’était soutenu par aucun élément de preuve, l’hypothèse étant que la preuve pouvait s’appliquer aux deux éléments. La Cour en a conclu ainsi, même si elle considérait que les faits de la décision Britz pouvaient seulement renvoyer au critère d’être « incité à ».
[28] À mon humble avis, selon la conclusion de la Cour, la demanderesse devait comprendre que le risque posé pour la sécurité soulevait une inquiétude chez le ministre en raison de la possibilité qu’elle soit influencée par sa relation avec une personne ayant des liens avec le crime organisé. La question en litige était de déterminer si cette conclusion était raisonnable. Le seul fait que la conclusion relative à la possibilité d’être « sujet à » ait été mentionnée dans la décision ne peut, à mon humble avis, avoir induit la demanderesse en erreur sur l’essence de la décision du ministre d’annuler son habilitation de sécurité.
[29] À mon avis, les décisions Britz et Sargeant peuvent seulement être conciliées pour ce qui est de l’exigence relative à l’intelligibilité si la Politique est interprétée comme imposant au ministre l’obligation de relier explicitement la preuve à la décision relative à chaque facteur ou à un seul facteur s’il s’agit des faits sous-jacents. La décision Sargeant confirme de façon implicite que cela n’est pas nécessaire, dans la mesure où les motifs contiennent des éléments de preuve soutenant au moins un des facteurs y étant cités.
[30] De même, si la décision Britz impose à juste titre cette obligation au ministre dans la formulation des motifs justifiant sa décision, alors la décision Sargeant ne peut être maintenue et le ministre aurait l’obligation de développer de façon distincte les faits relatifs à chacun des motifs de refus. Si telle est l’obligation du ministre, il apparaît également incohérent que dans la lettre relative à l’équité procédurale, l’Organisme consultatif n’ait pas la même obligation d’effectuer cette distinction, au risque que le demandeur se retrouve pareillement confus quant à savoir quel élément de preuve s’applique à quel facteur de risque. Ainsi, je suis d’avis que si la conclusion relative à l’intelligibilité retrouvée dans la décision Britz doit être maintenue, cela implique que le ministre a l’obligation d’indiquer quel élément de preuve s’applique à chaque conclusion dans la lettre relative à l’équité procédurale.
[31] De plus, si le ministre entreprend de faire la distinction entre les différents facteurs des motifs, il sera nécessaire que l’Organisme consultatif en fasse de même, ce qui mènera à une preuve distincte pour chaque facteur distinct. Cette pratique s’étendra ensuite à la lettre relative à l’équité procédurale envoyée au demandeur. Surviendra alors la question de la suffisance de l’avis des faits que le demandeur doit réfuter en tant qu’aspect de l’obligation d’agir équitablement. Il n’est pas déraisonnable de conclure que la décision Britz conduirait le ministre, de façon pratique afin d’éviter de nouvelles contestations, à appliquer son raisonnement à toutes les étapes du processus décisionnel, sans se limiter aux circonstances où les deux facteurs sont uniquement mentionnés dans la lettre de décision alors que les faits de la demande ne visent qu’un seul de ces deux facteurs.
4) L’exigence de désignation précise des facteurs reliés à chacun des faits afin de rendre la décision du ministre intelligible doit être rejetée puisqu’elle n’est pas conforme à la déférence due au vaste pouvoir discrétionnaire du ministre et aux principes applicables du contrôle judiciaire
[32] Ma préoccupation à l’égard de la décision Britz est que cette décision impose au ministre une structure de raisonnement analytique fondée sur la Politique allant à l’encontre de la jurisprudence qui commande d’accorder une très grande déférence envers tous les aspects du vaste pouvoir décisionnel discrétionnaire du ministre, y compris celui de l’intelligibilité de ses motifs.
[33] La décision Sargeant résume aux paragraphes 26 à 29 la jurisprudence de la Cour fédérale sur cette question, citée avec approbation par la décision Britz au paragraphe 35 :
[traduction] En matière d’habilitation de sécurité, la Cour a affirmé trois principes importants.
Premièrement, l’article 4.8 de la Loi confère au ministre un large pouvoir discrétionnaire d’accorder, de suspendre ou d’annuler une habilitation de sécurité, qui l’autorise à prendre en considération tout facteur qu’il juge pertinent (décision Thep-Outhainthany c. Canada (Procureur général), 2013 CF 59, au paragraphe 19, 425 FTR 247 [Thep-Outhainthany]; décision Brown c. Canada (Procureur général), 2014 CF 1081, au paragraphe 62 [Brown]).
Deuxièmement, puisque la sécurité aérienne est une question de grande importance et que l’accès aux zones réglementées est un privilège, et non un droit, le ministre, dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par l’article 4.8, peut pencher du côté de la sécurité du public, ce qui signifie qu’en évaluant les intérêts de la personne touchée et la sécurité du public, l’intérêt du public a préséance (décision Thep-Outhainthany c. Canada, au paragraphe 17; décision Fontaine c. Canada (Transports), 2007 CF 1160, aux paragraphes 53 et 59, 313 FTR 309 [Fontaine]; décision Clue c. Canada (Procureur général), 2011 CF 323, au paragraphe 14). Décision Rivet c. Canada (Procureur général), 2007 CF 1175, au paragraphe 15, 325 FTR 178).
Troisièmement, dans de telles affaires, l’accent est mis sur la propension des employés des aéroports à s’engager dans des activités susceptibles d’avoir une incidence sur la sécurité aérienne, ce qui exige une perspective large et tournée vers l’avenir. En d’autres termes, la politique « n’exige pas que le ministre croie selon la prépondérance des probabilités qu’un individu “commettra” un acte qui “constituera” un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile ou qu’il “aidera ou incitera” toute autre personne à commettre un acte qui “constituerait” une intervention illicite pour l’aviation civile, mais seulement qu’il soit “sujet” à le faire » (décision MacDonnell c. Canada (Procureur général), 2013 CF 719, au paragraphe 29, 435 FTR 202 [MacDonnell]; décision Brown, au paragraphe 70). Par conséquent, le refus ou l’annulation d’une habilitation de sécurité « ne requiert qu’une conviction raisonnable, selon la prépondérance des probabilités, qu’une personne est sujette ou susceptible de commettre un acte qui peut être préjudiciable pour l’aviation civile » (décision Thep-Outhainthany, précitée, au paragraphe 20). Toute conduite susceptible de mettre en doute le jugement, la fiabilité et l’honnêteté d’une personne constitue par conséquent un motif suffisant pour refuser ou annuler une habilitation de sécurité (décision Brown, au paragraphe 78; décision Mitchell c. Canada (Procureur général), 2015 CF 1117, aux paragraphes 35 et 38 [Mitchell]). [Non souligné dans l’original.]
[34] Je suis d’avis que la Cour, dans la décision Britz, a interprété la Politique comme s’il s’agissait d’un texte législatif plutôt qu’une simple ligne directrice, ce qui entre en contradiction avec le vaste pouvoir discrétionnaire du ministre décrit précédemment. Le contexte du libellé législatif de l’article 4.8 de la Loi sur l’aéronautique est rédigé de la façon la plus large possible sans pour autant en faire une forme de pouvoir discrétionnaire non susceptible de révision. Il dispose que « [l]e ministre peut, pour l’application de la présente loi, accorder, refuser, suspendre ou annuler une habilitation de sécurité ». Le fait que la Politique n’est pas appuyée par un règlement est également significatif. Il n’y a pas de règlement prévoyant dans quelle mesure le pouvoir discrétionnaire du ministre peut être exercé, ni même de règlement exigeant l’adoption d’une politique à cette fin. Cela reflète les motifs de politique à l’origine de l’article 4.8 de la Loi sur l’aéronautique tels qu’ils sont décrits au paragraphe 28 de la décision Sargeant : « puisque la sécurité aérienne est une question de grande importance et que l’accès aux zones réglementées est un privilège, et non un droit, le ministre, dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par l’article 4.8, peut pencher du côté de la sécurité du public, ce qui signifie qu’en évaluant les intérêts de la personne touchée et la sécurité du public, l’intérêt du public a préséance ».
[35] De plus, en faisant directement référence à la notion de déférence devant être accordée aux motifs des décideurs administratifs, la Cour suprême dans l’arrêt Dunsmuir a donné l’instruction aux cours de révision de tenter avant tout de compléter les motifs du décideur administratif avant de tenter de les contrecarrer; voir Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708 (Newfoundland), au paragraphe 12 :
Il importe de souligner que la Cour a souscrit à l’observation du professeur Dyzenhaus selon laquelle la notion de retenue envers les décisions des tribunaux administratifs commande [traduction] « une attention respectueuse aux motifs donnés ou qui pourraient être donnés à l’appui d’une décision ». Dans son article cité par la Cour, le professeur Dyzenhaus explique en ces termes comment le caractère raisonnable se rapporte aux motifs :
[traduction] Le « caractère raisonnable » s’entend ici du fait que les motifs étayent, effectivement ou en principe, la conclusion. Autrement dit, même si les motifs qui ont en fait été donnés ne semblent pas tout à fait convenables [souligné par le juge Annis] pour étayer la décision, la cour de justice doit d’abord chercher à les compléter avant de tenter de les contrecarrer [souligné par la juge Abella]. Car s’il est vrai que parmi les motifs pour lesquels il y a lieu de faire preuve de retenue on compte le fait que c’est le tribunal, et non la cour de justice, qui a été désigné comme décideur de première ligne, la connaissance directe qu’a le tribunal du différend, son expertise, etc., il est aussi vrai qu’on doit présumer du bien-fondé de sa décision même si ses motifs sont lacunaires à certains égards. [Souligné par le juge Annis.]
(David Dyzenhaus, « The Politics of Deference : Judicial Review and Democracy », dans Michael Taggart, dir., The Province of Administrative Law (1997), 279, p. 304)
[36] À mon avis, une application flexible et déférente de la Politique s’accorde mieux à la jurisprudence de la Cour fédérale et aux principes établis dans l’arrêt Dunsmuir sur l’interprétation des motifs. Une interprétation contextuelle et téléologique de la législation applicable et de la Politique milite, selon moi, en faveur de l’adoption d’une interprétation libérale de la notion d’intelligibilité dans ce type de dossiers, qui s’en tient à l’explication fournie et à son incidence pour la compréhension du demandeur, plutôt que d’exprimer des préoccupations découlant de la citation de facteurs provenant de la Politique quant à savoir si le ministre a, de façon logique ou imparfaite, rendu une décision en fin de compte. Cette interprétation est conforme à la théorie selon laquelle l’arrêt Dunsmuir cherche à « [éviter] qu’on [aborde] le contrôle judiciaire sous un angle trop formaliste » (Newfoundland, au paragraphe 18; citant le juge Evans dans l’arrêt Société canadienne des postes c. Alliance de la fonction publique du Canada, 2010 CAF 56, [2011] 2 R.C.F. 221, conf. par 2011 SCC 57, [2011] 3 R.C.S. 572, au paragraphe 164).
[37] Dans la mesure où la décision informe suffisamment la personne concernée des faits donnant lieu à la conclusion qu’elle pose un risque pour la sécurité aérienne et que cette décision démontre un lien logique avec au moins un des motifs de refus, les motifs devraient être jugés suffisamment intelligibles. Il est du devoir de la Cour pour ces mêmes raisons de juger si les motifs permettent « à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland, au paragraphe 16).
[38] Le fait qu’il n’y a pas d’élément de preuve au soutien d’une conclusion portant sur l’un des facteurs n’a pas d’incidence sur la conclusion selon laquelle tous les éléments de preuves retrouvés dans les motifs de la décision Britz sont reliés au risque que la demanderesse soit incitée à commettre un acte illicite. Il ressort clairement des motifs de la décision Britz que le risque provient du fait que la demanderesse est perçue comme ayant une relation avec un groupe illégal. Si le demandeur peut faire le lien entre les différents éléments de preuve retrouvés dans la décision Sargeant et les différents facteurs énoncés sans qu’on les lui indique, la demanderesse et la cour de révision le peuvent tout autant dans la décision Britz.
[39] Je ne crois pas non plus qu’il soit possible de soutenir l’argument qu’il est « préférable » qu’un décideur indique en fonction de laquelle des trois conclusions énumérées dans la décision Britz l’habilitation de sécurité est rejetée afin de « contribuer à la clarté » du processus décisionnel et d’améliorer la capacité du demandeur de le comprendre. En définitive, ce qui est déterminé est de savoir si un devoir semblable au devoir judiciaire doit être imposé au ministre dans la rédaction des motifs d’une décision, de telle sorte que le fait de ne pas fournir ce degré de clarté constituerait une erreur susceptible de révision. Dans les contrôles judiciaires portant sur cette question, il n’y a pas de procédure favorisée, il n’y a que des décisions raisonnables et déraisonnables. De plus, les pratiques administratives deviennent rapidement judiciairement exécutoires si elles sont suivies au fil du temps et soulèvent une attente.
[40] À cet égard, je conclus qu’il est inapproprié de qualifier la décision du ministre de conclusion disjonctive « dichotomique ». Les dictionnaires indiquent que le terme « dichotomique » renvoie à un choix inévitable entre deux options. Cela signifie que les deux options sont possibles, mais qu’en choisissant l’une des deux, il devient impossible d’opter également pour la seconde. Par exemple, aujourd’hui pour dîner, vous avez le choix entre la soupe ou la salade, mais vous ne pouvez avoir les deux. Étant donné que la critique de la Cour dans la décision Britz visait le fait qu’aucune décision n’avait été prise, le renvoi au terme « dichotomique » indique implicitement que la conclusion sur l’un des facteurs exclut nécessairement le second lorsqu’ils sont utilisés ensemble.
[41] Toutefois, dans la Politique, le fait d’être « sujet à » et le fait d’être « incité à » sont présentés comme une alternative. Je crois que la meilleure interprétation à donner à la décision conformément à la directive établie dans l’arrêt Dunsmuir est que le ministre a rendu une décision où les deux facteurs s’appliquent. C’était le cas dans la décision Sargeant, où la formulation disjonctive retrouvée dans la Politique a été utilisée. Par conséquent, lorsqu’il existe deux motifs possibles de refus, l’habilitation de sécurité ne sera pas accordée si l’un des deux motifs est raisonnablement justifié. Cette interprétation est également conforme au raisonnement élaboré par la Cour dans la décision Clue lorsqu’elle conclut que la décision nécessite d’examiner « le comportement d’une personne pour déterminer, selon la prépondérance des probabilités, s’il est raisonnable de croire que celle-ci peut commettre à l’avenir un acte d’intervention illicite touchant à la sécurité aéronautique » (au paragraphe 20, non souligné dans l’original). La décision Britz ajoute une exigence qui ne se trouve pas dans ce critère, que la Cour a par ailleurs appliqué de façon constante.
[42] Essentiellement, une approche contextuelle et faisant preuve de déférence à l’examen de la décision reconnaîtrait que lorsque la seule preuve des motifs est reliée au facteur de l’incitation, la décision est suffisamment intelligible pour la demanderesse pour qu’elle comprenne qu’il s’agit du facteur utilisé par le ministre pour justifier le rejet de sa demande d’habilitation. Autrement dit, il y a eu une décision et cette décision était suffisamment intelligible pour permettre à la demanderesse de comprendre que le facteur sur lequel s’est fondé le ministre pour rejeter sa demande en raison du risque perçu était son association, par l’intermédiaire de son conjoint, à un groupe de motard célèbre pour son mépris de la loi.
5) Considérations pratiques empêchant l’application de la décision Britz
[43] Il existe également, à mon humble avis, diverses raisons pratiques me poussant à rejeter le raisonnement adopté dans la décision Britz. Premièrement, je ne crois pas que la décision du ministre aurait pu être écartée si la Cour n’avait pas estimé que la conclusion selon laquelle la demanderesse risquait d’être incitée à commettre un acte illicite était déraisonnable en raison du manque de transparence des motifs, qui ne traitaient pas de ses arguments. Il est bien établi que le contrôle judiciaire ne doit pas être accueilli dans les cas où « si le tribunal avait adopté le bon critère, il en serait venu à la même conclusion » (Appulonappar c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 914, au paragraphe 26). Si, dans la décision Britz, la Cour avait renvoyé la décision au ministre pour nouvelle détermination sur le seul fondement de l’inintelligibilité de la décision (si elle avait conclu que la décision relative au risque d’incitation était transparente), la nouvelle détermination du ministre aurait été maintenue et les références au fait d’être « sujet à » auraient simplement été retirées de la décision initiale; le ministre aurait donc rendu même décision fondée sur le facteur de l’incitation.
[44] Une seconde conséquence pratique est le problème de la distinction des situations où il n’y a « pas de preuve » d’un facteur de risque précis par rapport aux situations où la preuve est insuffisante pour justifier ce facteur. Ces deux situations sont, en fait, des situations où la « preuve est insuffisante » pour soutenir le facteur. Si le demandeur peut établir que la preuve au soutien du fait d’être « sujet à » est insuffisante pour justifier l’allégation de risque à la sécurité aérienne en fonction d’un facteur, il sera également capable d’établir que l’absence de preuve est encore plus insuffisante puisqu’elle est non existante. Tout cela revient en fait à une question de degré. Les deux possibilités constituent des décisions à l’égard de la preuve n’appartenant pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits » (non souligné dans l’original) [Dunsmuir, au paragraphe 47]. L’insuffisance des motifs concerne les faits soutenant la décision relative à l’un des facteurs, et non l’inintelligibilité des motifs. Le fait qu’il n’y a pas d’élément de preuve au soutien d’une conclusion portant sur l’un des facteurs n’a pas d’incidence sur la conclusion selon laquelle tous les éléments de preuves retrouvés dans les motifs sont reliés au risque que la demanderesse soit incitée à commettre un acte illicite, ce qui peut ou non être suffisant pour soutenir le facteur.
[45] Ma troisième préoccupation à l’égard de la décision Britz repose sur le fait qu’il ne me semble pas nécessairement utile de se demander si la conduite soutient une conclusion relative à la possibilité d’être « sujet à » ou « incité à », puisqu’il existe des situations où existent à la fois le risque d’être « sujet à » et celui d’être « incité à ». Cela semble s’appliquer aux éléments de preuve indiquant que la demanderesse entretenait des liens très étroits avec une personne ayant des antécédents d’activités illicites, c’est-à-dire qu’elle demeurait avec cette personne. De tels éléments de preuve peuvent soulever des préoccupations relativement au risque qu’elle soit « sujette à » et non seulement au risque qu’elle soit incitée à commettre un acte illicite. Je comprends que le fait d’être sujet à quelque chose renvoie à la réputation : « Cette disposition comporte une appréciation de la réputation d’une personne ou de ses penchants (“sujette ou peut être incitée à”) » (non souligné dans l’original) (Clue, au paragraphe 20). Je crois qu’il peut être plaidé de façon convaincante que la réputation d’une personne est en grande partie formée par son environnement et qu’elle se révèle souvent par les personnes qu’elle fréquente.
[46] Prenons cet exemple hypothétique : s’il est possible de démontrer qu’un demandeur accepte de vivre avec un conjoint connu pour avoir, disons, des liens avec le crime organisé, il y a donc une preuve du risque que le demandeur ferme les yeux sur cette conduite afin de maintenir la relation et, par conséquent, qu’il accepte implicitement de vivre avec cette conduite. C’est pourquoi on dit que les fréquentations d’une personne ont des conséquences sur sa réputation. Par cette relation, le demandeur démontre sa faiblesse de caractère et pourrait être catégorisé comme étant « sujet à » passer à la prochaine étape au besoin, soit d’adopter un comportement illicite pour conserver la relation. C’est donc la faiblesse de caractère d’une personne qui la rend « sujette à » être incitée à quelque chose. Vivre avec une personne ayant une personnalité louche constitue tout simplement une preuve de cette propension à être « sujet à ». Dans cet exemple, les deux facteurs de risques sont indissociables.
[47] Pour les motifs susmentionnés, je conclus donc avec respect que la décision portant sur la « dichotomie » de la décision Britz n’est pas valable en droit et n’est pas applicable à l’espèce.
B. La décision était-elle raisonnable?
1) Norme de preuve
[48] Les parties s’entendent sur la norme de preuve devant être satisfaite par le ministre pour refuser une habilitation de sécurité en application de l’article I.4 de la politique. Cette norme est décrite au paragraphe 20 de la décision Clue :
[…] Aux fins de la révocation d’une HST, la norme de preuve est beaucoup moins exigeante et ne requiert qu’un motif raisonnable de croire, selon la balance des probabilités, qu’une personne est sujette ou peut être incitée à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile (ou aider toute autre personne à commettre un tel acte). Cette disposition comporte une appréciation de la réputation d’une personne ou de ses penchants (« sujette ou peut être incitée à ») et n’exige aucune preuve de la perpétration d’un acte d’intervention illicite : voir Fontaine, précitée, aux par. 78, 81 et 83. Ce que le directeur est tenu de faire est d’examiner le comportement d’une personne pour déterminer, selon la prépondérance des probabilités, s’il est raisonnable de croire que celle-ci peut commettre à l’avenir un acte d’intervention illicite touchant à la sécurité aéronautique. [Souligné dans l’original.]
[49] Dans la décision Britz, la Cour a résumé brièvement le droit s’appliquant à l’annulation d’une habilitation de sécurité au paragraphe 34 de sa décision :
Il est établi que l’Organisme consultatif et le ministre ont des connaissances spécialisées et que les décisions du ministre doivent faire l’objet d’un degré élevé de retenue : Lavoie c. Canada (Procureur général), 2007 CF 435, au paragraphe 17; Fontaine c. Canada (Transports), 2007 CF 1160 [Fontaine]. Le ministre est autorisé à favoriser la sécurité publique : Brown c. Canada (Procureur général), 2014 CF 1081, au paragraphe 71; Yee Tam c. Canada (Transport), 2016 CF 105, au paragraphe 16. De plus, l’accès aux zones protégées d’un aéroport au Canada est un privilège et non un droit : Fontaine, précitée, au paragraphe 78; Clue, précitée, au paragraphe 20. Comme cela a déjà été mentionné, il incombe à la demanderesse d’établir qu’elle a droit à une habilitation de sécurité.
[50] En ce qui a trait à la nature, à l’évaluation et au traitement de la preuve nécessaire pour soutenir une croyance raisonnable que le demandeur peut être sujet ou incité à commettre un acte illicite, je considère que les observations du juge Stratas offrent des indications éclairantes sur la question de la détermination du risque aux paragraphes 94 et 97 de la décision Canada (Ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités) c. Farwaha, 2014 CAF 56, [2015] 2 R.C.F. 1006, et ce, même si cet arrêt est fondé sur la norme des « motifs raisonnables de soupçonner » découlant du Règlement sur la sûreté du transport maritime, DORS/2004-144, alors que la Politique entraîne plutôt l’application de la norme de la « croyance raisonnable » :
Toutefois, l’appréciation du risque et la question de savoir s’il existe des motifs raisonnables de soupçonner sont des normes qui supposent un examen délicat des faits et une recherche attentive des faits, des démarches qui sont normalement susceptibles de donner lieu à une vaste gamme de décisions acceptables pouvant se justifier. L’appréciation du risque implique la formulation d’éventualités ainsi qu’une analyse prospective. De par leur nature, ces questions ne donnent pas lieu à des calculs scientifiques exacts, mais supposent l’exercice du jugement et le recours à des nuances.
[…]
Bien que les suppositions, les conjectures ou les intuitions fantaisistes ne répondent pas à la norme des « motifs raisonnables de soupçonner », l’« ensemble des circonstances » et les inférences qu’on peut en tirer, y compris les renseignements fournis par d’autres personnes, les circonstances apparentes et les liens qu’entretiennent des personnes sont susceptibles d’y répondre. Pour satisfaire à la norme des « motifs raisonnables de soupçonner », il n’est pas nécessaire de présenter des éléments de preuve fiables et vérifiables établissant un lien entre une personne et un incident — c’est-à-dire le genre de preuve nécessaire pour pouvoir obtenir une condamnation ou même un mandat de perquisition. Voir, p. ex., les arrêts Mann, précité; R. c. Kang Brown, 2008 CSC 18, [2008] 1 R.C.S. 456; R. c. Monney, [1999] 1 R.C.S. 652. Il suffit qu’il existe des « faits objectivement discernables » : Mann, précité, au paragraphe 43. [Non souligné dans l’original.]
2) La décision est raisonnable et appartient aux issues possibles acceptables au regard des faits et du droit
[51] La déléguée du ministre disposait de la preuve que la demanderesse : 1) avait été accusée de deux chefs de possession en vue de trafic dans des circonstances hautement compromettantes; 2) entretenait des liens étroits avec une personne reconnue coupable de plusieurs accusations reliées à la drogue; 3) avait été menacée par cette personne; 4) avait néanmoins prêté sa voiture à cette personne, qui avait ensuite été trouvée en possession de stupéfiants dans ladite voiture; 5) avait été impliquée et mise personnellement en danger dans un cambriolage de domicile violent relié aux stupéfiants.
[52] Indépendamment des accusations portées contre la demanderesse, la Cour a affirmé à de nombreuses reprises que la simple association avec des trafiquants de drogue constitue un motif suffisant pour raisonnablement refuser d’accorder une habilitation ou pour l’annuler (Singh Kailley c. Canada (Transport), 2016 CF 52, au paragraphe 37).
[53] Je conclus que la preuve sur laquelle s’est fondé le décideur soutient raisonnablement la conclusion selon laquelle la demanderesse peut poser un risque à l’aviation civile, et ce, même si je déterminais qu’une des conclusions précédentes était insuffisamment justifiée, ce qui n’est pas le cas.
3) Analyse de la crédibilité et de la suffisance de la preuve
a) Le ministre n’a pas commis d’erreur en concluant que la demanderesse manquait de crédibilité et en rejetant ses éléments de preuve à l’égard du cambriolage de domicile
[54] La demanderesse fait valoir que le ministre a commis une erreur en tirant une conclusion défavorable sur sa crédibilité parce qu’elle avait donné une version des évènements différente de celle retrouvée au rapport de VAC. Elle soutient que cette conclusion a rendu sa réponse futile. Au paragraphe 32 de la décision Scott v. British Columbia (Superintendent of Motor Vehicules), 2013 BCCA 554, 53 B.C.L.R. (5th) 246, une décision liée au refus de fournir un échantillon d’haleine à un agent de police, il a été conclu que l’évaluation de la crédibilité effectuée par la décideuse était faussée [traduction] « car elle avait accordé une présomption de fiabilité au rapport de l’agent et avait exigé de la défenderesse qu’elle réfute les déclarations retrouvées dans ce rapport ». La demanderesse soutient que le fait que la décision retienne le rapport de VAC n’est pas le fruit d’un processus d’analyse transparent et que cela va même au-delà du fait d’accorder une « présomption de fiabilité » au rapport de VAC. Cette décision de retenir le rapport a eu pour effet de rendre impossible la réfutation de la preuve qui y est présentée.
[55] Je suis d’avis que la demanderesse demande à la Cour de réévaluer la preuve sans justification. Comme l’a rappelé la décision Henri c. Canada (Procureur général), 2014 CF 1141 (Henri), au paragraphe 40 (confirmé dans 2016 CAF 38), il est bien établi que la fiabilité des renseignements obtenus par la GRC aux fins du processus de vérification pour les habilitations de sécurité est suffisante, même si dans un tel contexte, cette preuve constitue du ouï-dire. En outre, le fardeau de répondre aux préoccupations du ministre incombe à la personne qui détient l’habilitation de sécurité, faisant en sorte que le ministre n’a pas l’obligation de contre-vérifier les renseignements obtenus auprès de la GRC (Henri, au paragraphe 45).
[56] Quoi qu’il en soit, on a raisonnablement tendance à retenir la version des évènements fournie par un corps de police professionnel indépendant plutôt que la version contradictoire et intéressée d’un témoin, en particulier lorsque l’évaluation de la crédibilité de cette version contradictoire n’est pas possible dans le contexte d’une procédure administrative. En l’espèce, le ministre s’est interrogé sur la crédibilité de la demanderesse, du moins en partie, parce qu’il a constaté que ses observations étaient méprisantes et qu’elle était peu encline à assumer ses responsabilités. Je conviens également qu’il existe un fondement pour conclure qu’il y a des divergences déraisonnables dans les explications des évènements données par la demanderesse et que ces divergences ont affecté sa crédibilité, comme il en sera question ci-après.
[57] La demanderesse conteste plusieurs aspects de l’évaluation du ministre relative au cambriolage de domicile de 2012. Elle conteste premièrement la conclusion selon laquelle les agresseurs la visaient directement et soutient qu’ils voulaient la trouver uniquement pour obtenir le contrôle de la situation. Il est noté qu’elle décrit les agresseurs comme étant des « cambrioleurs », bien que sa peur pour sa propre sécurité et la violence associée à l’évènement, qui sont toutes deux documentées, dépassent la possibilité que le vol ait pu être le seul objectif de l’entrée par effraction. L’évènement est décrit ainsi dans l’avis de 2015 :
[traduction] À leur arrivée, les agents ont constaté que la porte d’entrée avant était ouverte et qu’un panneau vitré avait été fracassé à côté de la porte. Un homme, identifié par la suite comme étant une victime, se tenait sur le pas de la porte et semblait saigner de la tête; le sang coulait sur son corps. Cet homme a affirmé qu’il avait été frappé sur la tête avec un pistolet. Il a également reçu des coups de pieds alors qu’il était au sol et a subi une coupure sur le côté droit par un couteau qui était appuyé sur son cou. La grande coupure a l’arrière de sa tête, causée par ce qu’il croit être des coups répétés donnés à l’aide d’un pistolet, a nécessité des points de suture. Plusieurs autres coupures ont également nécessité des points de suture. Il a par ailleurs souffert de nombreuses ecchymoses et égratignures sur le visage et le corps après avoir reçu des coups de pieds et s’être fait piétiner.
[58] La demanderesse conteste également la déclaration initiale de l’agent qui a répondu à l’appel, selon qui 80 à 100 plants de marijuana ont été trouvés dans la résidence. Elle se fonde sur les renseignements obtenus dans le cadre d’une enquête distincte de la GRC de Coquitlam qui a conclu que les permis étaient valides et que le nombre de plants était inférieur à la limite permise.
[59] Compte tenu des antécédents de la demanderesse en matière d’activités liées aux drogues illicites, la raison pour laquelle les agresseurs la cherchaient n’aurait que peu d’importance. Les circonstances de l’évènement confirment, une fois de plus, l’impression défavorable engendrée par les relations qu’entretenait la demanderesse. Deuxièmement, comme la décision le souligne, la demanderesse n’a pas expliqué pourquoi elle n’avait pas fait les démarches pour obtenir et déposer le rapport d’enquête de la police qui évoquait un nombre inférieur de plants de marijuana. Il lui incombait de le faire puisque, comme il a été mentionné précédemment, le ministre n’a pas à contre-vérifier les renseignements obtenus auprès de la GRC (Henri, au paragraphe 45).
[60] Troisièmement, la demanderesse prétend que le ministre n’a pas mentionné la lettre du procureur de la Couronne chargé des poursuites dans le cadre de l’incident et n’a pas tenu compte de cette lettre, alors que cet élément de preuve contredisait la conclusion selon laquelle elle était une « cible » lors du cambriolage de domicile. Le procureur chargé des poursuites a décrit ainsi la déclaration faite par la demanderesse à la police :
J’ai considéré cette partie de sa déclaration comme étant le reflet des circonstances dans lesquelles elle se trouvait alors qu’elle se cachait dans la garde-robe et qu’elle s’est rendu compte que les suspects savaient qu’il y avait quelqu’un d’autre dans la résidence et voulaient s’assurer que personne n’appelait la police (ce que Mme Ng a tenté de faire).
[61] Elle soutient que, compte tenu de l’importance de cette preuve contradictoire, il était déraisonnable de la part du ministre de ne pas la mentionner (Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 8667 (C.F. 1re inst.), aux paragraphes 15 à 17).
[62] Je ne vois pas par quelle preuve « l’opinion » du procureur de la Couronne est soutenue, outre la déclaration de la demanderesse. Je suis d’accord avec l’observation du défendeur qui fait valoir qu’un décideur peut se fonder sur sa propre interprétation des éléments de preuve et n’a pas à tenir compte de l’opinion de l’avocat de la Couronne à ce sujet. Quoi qu’il en soit, cette déclaration n’est pas suffisante pour réfuter la croyance du ministre que la demanderesse a été impliquée dans un cambriolage de domicile violent relié aux stupéfiants où elle s’est elle-même trouvée en grave danger. Deux personnes avaient déjà été gravement attaquées. Elle possède des antécédents d’implication dans des incidents reliés aux stupéfiants et a été en relation avec un trafiquant de drogue condamné. Compte tenu des personnes impliquées dans l’attaque, de la violence du cambriolage de domicile et du fait qu’elle s’était sentie en danger pendant l’incident, la conviction d’avoir été « visée » par le cambriolage (même si elle n’était qu’une cible collatérale, elle n’en demeurait pas moins une cible) n’était pas déraisonnable étant donné la retenue dont il convient de faire preuve vis-à-vis du décideur.
4) La décision a-t-elle été rendue d’après des conclusions de fait erronées?
[63] La demanderesse conteste les hypothèses sous-tendant le raisonnement suivant du ministre :
[traduction] Je constate que vous avez été impliquée dans trois (3) incidents reliés à des activités liées aux drogues illicites, l’un (1) d’eux impliquant de la roche de cocaïne et de l’héroïne, qui ne sont pas considérées comme étant des drogues douces, ce qui m’amène à croire que ces incidents s’inscrivent dans des antécédents récurrents d’implication dans des activités liées aux drogues illicites. [Non souligné dans l’original.]
[64] La demanderesse fait valoir que le ministre a commis une erreur en fondant sa décision sur la conclusion que l’héroïne et la cocaïne ne sont pas des drogues douces. Elle soutient qu’aucune preuve n’a été présentée au décideur indiquant que la cocaïne et l’héroïne ne sont pas des drogues douces ni de définition ou de preuve d’expert soutenant la conclusion qu’il ne s’agit pas de « drogues douces ». La demanderesse n’a cependant déposé aucune jurisprudence, aucun ouvrage de doctrine ou aucun autre ouvrage déposé dans le contexte de débats judiciaires indiquant ce qui constitue et ce qui ne constitue pas des « drogues douces ».
[65] Je rejette cet argument pour plusieurs motifs. Tout d’abord, c’est la participation de la demanderesse dans un incident impliquant de la roche de cocaïne et de l’héroïne, en plus des autres incidents, qui constitue le fondement de la conclusion selon laquelle elle a des antécédents récurrents d’implication dans des activités liées aux drogues illicites, et non le fait qu’il ne s’agit pas de drogues douces. Deuxièmement, l’Organisme consultatif, en tant qu’organisme spécialisé traitant régulièrement et précisément du sujet en question, doit être en mesure de se fier à sa connaissance spécialisée et à son expertise pour en venir à ce type de conclusions. De plus, le défendeur soutient, et je suis d’accord avec lui, que la signification de « drogue douce » et le fait que l’héroïne et la roche de cocaïne ne sont pas « un sujet de débat entre personnes raisonnables » (R. c. Williams, [1998] 1 R.C.S. 1128, au paragraphe 54; Brown, Donald J.M., c.r., John M. Evans et Christine E. Deacon, Judicial Review of Administrative Action in Canada, [feuilles mobiles] à la section 10:8100, volume 3 (Toronto : Carswell, 2009)).
C. A-t-on refusé l’équité procédurale à la demanderesse?
[66] La Cour rejette également l’argument de la demanderesse selon lequel elle n’a pas eu droit à un degré d’équité procédurale suffisant. La demanderesse se fonde sur certaines décisions jurisprudentielles reconnaissant que lorsqu’une décision révoque une CIZR, un plus grand degré d’équité procédurale est requis (Meyler c. Canada (Procureur général), 2015 CF 357, au paragraphe 26). La demanderesse a reçu une CIZR temporaire et exerçait son emploi grâce à celle-ci. Elle soutient donc que la décision est semblable à une décision révoquant une CIZR existante (Kaczor c. Canada (Transport), 2015 CF 698 (Kaczor), au paragraphe 12).
[67] De toute façon, la jurisprudence reconnait que même s’il doit y avoir un « niveau plus élevé » d’équité procédurale, les demandeurs sont uniquement en droit d’être avisés des inquiétudes soulevées par leur demande et de recevoir l’occasion d’y répondre (Kaczor, au paragraphe 12). Cette obligation a été satisfaite dans les circonstances.
VI. Conclusion
[68] La demande est rejetée et des dépens de 500 $ sont accordés, ce qui est le montant minimal généralement accordé dans ces dossiers compte tenu de l’absence d’observations sur les dépens de la part du défendeur.
JUGEMENT
LA COUR rejette la demande, avec dépens fixés à 500 $ en faveur du défendeur, tout compris.
ANNEXE
Loi sur l’aéronautique, L.R.C. (1985), ch. A-2 (Loi sur l’aéronautique)
Délivrance, refus, etc.
4.8 Le ministre peut, pour l’application de la présente loi, accorder, refuser, suspendre ou annuler une habilitation de sécurité.
Politique sur le Programme d’habilitation de sécurité en matière de transport
Objet
I.1 L’objet du Programme d’habilitation de sécurité en matière de transport est de prévenir les actes d’intervention illicite dans l’aviation civile en accordant une habilitation aux gens qui répondent aux normes dudit programme.
[…]
Objectif
I.4 L’objectif de ce programme est de prévenir l’entrée non contrôlée dans les zones réglementées d’un aéroport énuméré dans le cas de toute personne :
[…]
4. qui, selon le ministre et les probabilités, est sujette ou peut être incitée à :
commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile; ou
aider ou à inciter toute autre personne à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile.