IMM-5823-02
2004 CF 288
Harjit Singh et Satinder Kaur (demandeurs)
c.
Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (défendeur)
Répertorié: Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (C.F.)
Cour fédérale, juge Russell--Toronto, 3 février; Ottawa, 26 février 2004.
Citoyenneté et Immigration -- Exclusion et renvoi -- Personnes non admissibles -- Demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l'art. 72 de la LIPR contre la décision de l'agente d'ERAR selon laquelle les demandeurs ne seraient pas exposés au risque d'être soumis à la torture ou au risque de traitements inusités s'ils étaient renvoyés en Inde -- La demanderesse souffre d'insuffisance rénale et affirme qu'elle serait exposée à un risque sérieux si elle était renvoyée -- Des traitements de dialyse sont offerts en Inde, mais la demanderesse est incapable de payer les frais -- L'agente a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle a rejeté la demande en concluant qu'elle était fondée sur les ressources médicales inadéquates visées par l'exception de l'art. 97(1)b)(iv) de la LIPR? -- La décision correcte est la norme de contrôle appropriée -- Question d'interprétation législative: quelle était l'intention du législateur? -- La question d'une menace à la vie suivant l'art. 97 n'exige pas de savoir s'il existe des soins médicaux adéquats dans le pays en question -- Existait-il une présomption que l'agente avait compétence pour trancher une question touchant la Charte? -- Les pouvoirs attribués aux agents d'ERAR sont moindres que ceux attribués aux sections de la Commission -- La procédure d'examen des risques avant renvoi n'est pas la procédure appropriée pour la résolution de questions complexes touchant la Charte.
Il s'agissait d'une demande de contrôle judiciaire, présentée suivant l'article 72 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (LIPR), qui visait la décision par laquelle l'agente d'examen des risques avant renvoi a conclu que les demandeurs ne seraient pas exposés au risque d'être soumis à la persécution et à la torture ou au risque de traitements cruels et inusités s'ils étaient renvoyés en Inde.
Le demandeur a fait valoir qu'il serait exposé à de la persécution en Inde s'il y était renvoyé et que son épouse serait exposée à un risque sérieux parce qu'elle souffrait d'insuffisance rénale. Le demandeur a affirmé que les soins de santé en Inde étaient inadéquats. L'agente a conclu que les éléments de preuve ne démontraient pas que le demandeur, qui avait été absent de l'Inde pendant 14 ans, serait arrêté et détenu à son retour en Inde. Elle a en outre conclu que la demanderesse pourrait obtenir de la dialyse, mais que la question de savoir si les soins médicaux étaient adéquats n'était pas une question qu'il lui appartenait d'examiner. En outre, elle a mentionné qu'un agent d'ERAR n'est pas un tribunal ayant compétence pour examiner un argument fondé sur la Charte, à savoir que suivant l'article 7 elle avait le pouvoir de ne pas tenir compte de l'article 97 de la LIPR qui empêche que soit examiné le manque de ressources médicales.
Les questions en litige étaient les suivantes: celle de savoir si l'agente a commis une erreur lorsqu'elle a rejeté la demande en concluant qu'elle était fondée sur les ressources médicales inadéquates visées par l'exception du sous-alinéa 97(1)b)(iv) de la LIPR si bien que le risque résultait de l'incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats et celle de savoir si l'agente a commis une erreur lorsqu'elle a conclu qu'elle n'avait pas compétence pour accorder une exemption constitutionnelle.
Étant donné que les questions soulevées touchent des questions de droit, la norme de contrôle applicable est la norme de la décision correcte.
Jugement: la demande est rejetée.
La décision en l'espèce dépend d'une question d'interprétation législative, à savoir: les questions de la possibilité d'obtenir des soins soulevées par les demandeurs sont-elles comprises dans l'exception prévue au sous-alinéa 97(1)b)(iv)? La disposition de la Loi est quelque peu ambiguë, mais l'analyse article par article de la LIPR contenue dans le projet de loi C-11 énonçait que l'absence de soins médicaux ou de santé «adéquats» ne constitue pas un motif reconnu pour accorder la protection en vertu de la Loi et qu'il est plus approprié de recourir à d'autres dispositions de la Loi pour évaluer cette question. La question d'une menace à la vie suivant l'article 97 ne devrait pas inclure l'obligation d'évaluer la question de savoir s'il existe des soins médicaux et de santé adéquats dans le pays en question. L'agente n'a pas commis une erreur susceptible de contrôle.
Les demandeurs prétendaient qu'il existait une présomption selon laquelle l'agente avait compétence pour trancher des questions à l'égard de la validité constitutionnelle en se fondant sur l'arrêt Nouvelle-Écosse (Workers' Compensation Board) c. Martin; Nouvelle-Écosse (Workers' Compensation Board) c. Laseur, [2003] 2 R.C.S. 504, dans lequel il a été statué que si la loi donne à un tribunal le pouvoir, expressément ou implicitement, de trancher des questions de droit, il existe une présomption que ce pouvoir inclut la compétence de déterminer la validité constitutionnelle de cette disposition. Une fois que cette présomption a été soulevée, le fardeau de la réfuter appartient à celui qui prétend que le tribunal n'a pas compétence pour appliquer la Charte. Le défendeur a invité la Cour à suivre l'arrêt Tétreault-Gadoury c. Canada (Commission de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] 2 R.C.S. 22, et à statuer que le rôle des agents d'ERAR est très sérieusement circonscrit par la LIPR et le Règlement, les pouvoirs qui leur sont attribués étant bien moindres que ceux attribués aux sections de la Commission suivant le paragraphe 162(1) de la LIPR. Toutes les questions de droit soumises aux agents d'ERAR doivent être traitées simplement comme des questions faisant partie de l'examen des risques devant être effectué conformément aux articles 96 et 97 de la LIPR. Bien que les demandeurs aient peut-être soulevé des motifs valables pour lesquels une compétence en matière constitutionnelle aurait dû être attribuée aux agents d'ERAR, les observations du ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration à l'égard de cette question sont plus convaincantes. En l'absence d'une attribution expresse, on ne pouvait pas conclure que le législateur avait l'intention de conférer aux agents d'ERAR la compétence de trancher des questions constitutionnelles de la sorte de celles en l'espèce. La procédure d'examen des risques avant renvoi n'est pas la procédure appropriée pour la résolution de questions de droit complexes comme l'interprétation de la Charte.
lois et règlements
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7.
Loi constitutionnelle de l982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 52(1). |
Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 25, 72, 96, 97, 162(1). |
Projet de loi C-11, Loi concernant l'immigration au Canada et l'asile conféré aux personnes déplacées, persécutées ou en danger, 1re sess., 37e lég., 2001. |
Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227. |
jurisprudence
décision appliquée:
Tétreault-Gadoury c. Canada (Commission de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] 2 R.C.S. 22; (1991), 81 D.L.R. (4th) 358; 91 CLLC 14,023; 126 N.R. 1.
décision examinée:
Nouvelle-Écosse (Workers' Compensation Board) c. Martin; Nouvelle-Écosse (Workers' Compensation Board) c. Laseur, [2003] 2 R.C.S. 504; (2003), 231 D.L.R. (4th) 385; 4 Admin. L.R. (4th) 1; 28 C.C.E.L. (3d) 1; 310 N.R. 22.
DEMANDE présentée suivant l'article 72 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés en vue d'un contrôle judiciaire de la décision de l'agente d'examen des risques avant renvoi. Demande rejetée.
ont comparu:
Lorne Waldman pour les demandeurs.
Amina Riaz pour le défendeur.
avocats inscrits au dossier:
Lorne Waldman, Toronto, pour les demandeurs.
Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
[1]Le juge Russell: Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire, présentée suivant l'article 72 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), qui vise la décision rendue en date du 25 octobre 2002 (la décision) par laquelle l'agente d'examen des risques avant renvoi R. Klagsbrun (l'agente) a conclu que Harjit Singh (le demandeur ) et Satinder Kaur (la demanderesse) (collectivement nommés les demandeurs) ne seraient pas exposés au risque d'être soumis à la persécution et à la torture, à une menace à leur vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités s'ils étaient ren voyés dans leur pays de nationalité.
LES FAITS
[2]Les demandeurs sont entrés au Canada en 1988 et ils ont revendiqué le statut de réfugié. Leur revendication a été rejetée, mais les revendications présentées par leurs trois enfants ont été accueillies. Une dispense fondée sur des raisons d'ordre humanitaire leur a été accordée en 1994. En 2000, leur demande d'établissement a été rejetée.
[3]En 2000, le demandeur a reçu un avis du ministre de l'Immigration l'informant qu'il avait été reconnu coupable d'une infraction criminelle en Inde. À cet égard, le demandeur a eu la possibilité de présenter des observations additionnelles. Après que le demandeur eut fait des observations, l'agent d'immigration qui traitai t l'affaire a conclu que le demandeur était une personne non admissible et a rejeté la demande d'établissement présentée par les deux demandeurs.
[4]Une demande d'autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire a été déposée et cette demande a été rejetée. Toutefois, les demandeurs ont alors présenté un nouvel élément de preuve. Ce nouvel élément de preuve démontrait que le demandeur avait été accusé de parjure parce qu'il avait témoigné lors d'une enquête sur le cautionneme nt qu'il n'était jamais retourné en Inde. Sur le fondement de renseignements détenus par la police de Peel selon lesquels il avait été reconnu coupable d'une infraction en Inde, et qu'il était allé en Inde, le demandeur a été accusé de parjure. L'avocat du demandeur a réussi dans sa défense et la Couronne a suspendu l'accusation. Lors du procès, la police en Inde a été incapable de corroborer que le demandeur était allé en Inde.
[5]Le fait que les accusations portées contre le demandeur aien t été suspendues par la Couronne n'avait pas été soumis à l'agent d'immigration qui a rejeté la demande d'établissement et, par conséquent, les demandeurs ont présenté une nouvelle demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire, demande qui est toujours en instance.
[6]Un avis informant les demandeurs qu'ils seraient renvoyés du pays leur a été signifié et ils ont présenté une demande d'examen des risques avant renvoi. Dans ses prétentions, le demandeur a déclaré qu'il était exposé à des r isques en Inde en raison de la persécution. Il a en outre prétendu que son épouse était exposée à un risque sérieux parce qu'elle souffrait d'insuffisance rénale. Les demandeurs ont demandé à l'agente d'examiner ces faits et de leur accorder une exemption constitutionnelle de l'application du sous-alinéa 97(1)b )(iv) de la LIPR qui exige que le risque ne résulte pas de ressources médicales inadéquates ou de soins de santé inadéquats.
LA DÉCISION FAISANT L'OBJET DU CONTRÔLE
[7]L'agente a menti onné que le demandeur avait en outre déclaré qu'il serait torturé s'il était renvoyé en Inde. Elle a de plus mentionné que le demandeur avait déclaré que son épouse mourrait parce qu'elle avait besoin de traitements de dialyse. L'agente a mentionné que la revendication du statut de réfugié présentée par les demandeurs avait été rejetée en 1992 et qu'aucune évaluation des risques avant le renvoi n'avait été effectuée. Elle a conclu qu'il n'y avait pas suffisamment d'éléments de preuve démontrant que le deman deur soit exposé à un risque, parce qu'il avait été absent de l'Inde pendant 14 ans, et qu'il n'y avait pas suffisamment d'éléments de preuve convaincants démontrant que les demandeurs seraient arrêtés et détenus par la police à leur retour en Inde.
[8]L'agente a alors tiré les conclusions suivantes à l'égard des questions se rapportant à la santé de la demanderesse:
[traduction] L'avocat a mentionné dans ses observations que la demanderesse souffrait d'une insuffisance rénale totale et qu'e lle avait besoin de traitements de dialyse trois fois par semaine. L'avocat a mentionné qu'elle ne pourrait pas obtenir des traitements de dialyse en Inde, qu'elle n'avait pas d'argent pour payer de tels traitements et qu'elle n'avait pas de ressources. La preuve documentaire mentionne qu'il existe des ressources médicales qui offrent des traitements de dialyse. Suivant le sous-alinéa 97(1)b )(iv) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, la menace à la vie ou le risque de traitements cruels et inusités ne doit pas résulter de l'incapacité du pays où retourne le demandeur de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats. Des soins médicaux sont offerts en Inde. Par conséquent, la question de savoir s'il est possible d'obtenir des soins médi caux ou de santé adéquats pour le traitement d'une insuffisance rénale n'est pas une question qu'il m'appartient d'examiner.
L'avocat était d'avis que j'avais, suivant l'article 7 de la Charte, le pouvoir de ne pas tenir compte de l'art icle 97 qui empêche que soit examiné le manque de ressources médicales. À mon avis, les agents d'ERAR ne sont pas assimilés à un tribunal ayant compétence pour examiner des arguments fondés sur la Charte et il n'était pas de l'intention du législateur d'at tribuer à un agent d'ERAR le pouvoir discrétionnaire de ne pas tenir compte de dispositions pertinentes de la LIPR et du Règlement.
LA LÉGISLATION PERTINENTE
[9]Les articles 96 et 97 de la LIPR définissent comme suit un réfugié au sens de l a Convention et une personne à protéger:
96. A qualité de réfugié au sens de la Convention--le réfugié--la personne qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques:
a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;
b) soit, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.
97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n'a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée:
a) soit au risque, s'il y a des motifs sérieux de le croire, d'être soumise à la torture au sens de l'article premier de la Convention contre la torture;
b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant:
(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,
(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d'autres personnes originaires de ce pays ou qui s'y trouvent ne le sont généralement pas,
(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes--sauf celles infligées au mépris des normes internationales--et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,
(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l'incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.
[10]Les demandeurs ont mentionné les articles suivants de la Charte et de la Loi constitutionnelle de 1982 :
Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]]
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.
Loi constitutionnelle de 1982, [annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]]
52. (1) La Constitution du Canada est la loi suprême du Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit.
LES QUESTIONS EN LITIGE
[11]Les demandeurs soulèvent les questions suivantes:
L'agente a-t-elle commis une erreur de droit lorsqu'elle a rejeté la demande en concluant qu'elle était fondée sur les ressources médicales inadéquates visées par l'exception du sous-alinéa 97(1)b)(iv) de la LIPR si bien que le risque résultait de l'incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats? |
L'agente a-t-elle commis une erreur de droit lorsqu'elle a conclu qu'elle n'avait pas compétence pour accorder une exemption constitutionnelle? |
ANALYSE
La norme de contrôle
[12]Les questions soulevées dans la présente demande touchent des questions de droit. À mon avis, la norme de contrôle applicable est la norme de la décision correcte. Cependant, mes conclusions sont les mêmes peu importe la norme qui est appliquée.
Le caractère adéquat et la possibilité d'obtenir des soins
[13]Dans la décision, l'agente reconnaît que [traduction] «[l']avocat a mentionné qu'elle [la demanderesse] ne pourrait pas obtenir des traitements de dialyse en Inde, qu'elle n'avait pas d'argent pour payer de tels traitements et qu'elle n'avait pas de ressources».
[14]L'agente a traité de ces questions de la façon suivante:
[traduction] La preuve documentaire mentionne qu'il existe des ressources médicales qui offrent des traitements de dialyse. Suivant le sous-alinéa 97(1)b)(iv) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, la menace à la vie ou le risque de traitements cruels et inusités ne doit pas résulter de l'incapacité du pays où retourne le demandeur de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats. Des soins médicaux sont offerts en Inde. Par conséquent, la question de savoir s'il est possible d'obtenir des soins médicaux ou de santé adéquats pour le traitement d'une insuffisance rénale n'est pas une question qu'il m'appartient d'examiner.
[15]Les demandeurs ne contestent pas la conclusion selon laquelle il existe en Inde des ressources médicales qui offrent des traitements de dialyse. Toutefois, le point qu'ils font valoir est que la demanderesse ne peut pas obtenir les services offerts par ces ressources pour diverses raisons, mais principalement parce qu'elle n'a pas suffisamment d'argent pour payer les traitements. Par conséquent, les demandeurs affirment que la décision ne traite aucunement de la question de la possibilité d'obtenir des soins de santé adéquats et que l'agente a commis une erreur susceptible de contrôle.
[16]Le défendeur affirme que la décision traite de la question de la possibilité d'obtenir des soins parce que cette question est comprise dans l'exception à l'égard des soins médicaux et de santé énoncée comme suit au sous-alinéa 97(1)b)(iv) de la LIPR:
97. (1) [. . .]
(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l'incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.
[17]Le défendeur prétend que la conclusion tirée par l'agente selon laquelle la question de la possibilité d'obtenir des soins de santé en Inde [traduction] «n'est pas une question qu'il m'appartient d'examiner» est une conclusion correcte.
[18]Les avocats n'ont pu me fournir aucune décision traitant directement de ce point. La question qui m'est soumise, alors, se résume à une question d'interprétation des lois. Les questions de la possibilité d'obtenir des soins soulevées par les demandeurs sont-elles comprises dans l'exception prévue au sous-alinéa 97(1)b)(iv)?
[19]Les demandeurs prétendent que le sous-alinéa 97(1)b)(iv) ne traite que du caractère adéquat des soins et ne traite pas de la possibilité pour un demandeur en particulier d'obtenir des soins et d'utiliser les ressources médicales dans tous les cas, y compris dans celui où il n'a pas de ressources financières. La disposition dirige l'attention de l'agente vers le «pays» et non vers la personne qui a besoin de soins médicaux ou de santé. Les demandeurs affirment qu'une interprétation téléologique de la LIPR appuie leur interprétation de la disposition et que si le Parlement avait voulu empêcher les personnes qui sont dans la situation de la demanderesse de soulever la question des risques en matière de santé lors d'un examen des risques avant renvoi, il l'aurait fait expressément.
[20]Le défendeur souligne que l'agente mentionne à plusieurs reprises dans sa décision les questions de la santé de la demanderesse, mais qu'elle n'en tient pas compte, à bon droit, dans son analyse en raison du sous-alinéa 97(1)b)(iv). La décision s'appuie sur le concept selon lequel l'incapacité de la demanderesse d'obtenir des soins de santé en Inde n'est qu'une autre façon de dire que l'Inde ne fournit pas des soins médicaux ou de santé adéquats aux personnes qui sont dans la même situation que celle de la demanderesse. Le défendeur prétend que le mot «adéquat» signifie [traduction] «égal à ce qui est nécessaire». Un examen de l'objet visé par la disposition et de son contexte doit amener à conclure, selon le défendeur, que le caractère adéquat comprend la possibilité d'obtenir des soins. La demanderesse fait valoir, en effet, qu'elle ne devrait pas être renvoyée en Inde parce que ce pays n'offre pas les soins de santé universels et gratuits dont elle a besoin compte tenu de sa maladie et de sa situation financière particulières. Le défendeur affirme qu'il s'agit d'un facteur qui doit être pris en compte dans le contexte d'une demande fondée sur des circonstances d'ordre humanitaire suivant l'article 25 de la LIPR et non dans le contexte d'un examen des risques avant renvoi.
[21]Le défendeur renvoie également la Cour à l'analyse article par article de la LIPR contenue dans le projet de loi C-11 [Loi concernant l'immigration au Canada et l'asile conféré aux personnes déplacées, persécutées ou en danger, 1re sess., 37e lég. 2001] qui énonce ce qui suit à l'égard de l'article 97 et des ressources médicales:
Dans les cas où une personne serait exposée à un risque faute de soins médicaux ou de santé adéquats, il est plus approprié de recourir à d'autres dispositions de la Loi et de tels cas sont donc exclus de la définition. L'absence de soins médicaux ou de santé adéquats ne constitue pas un motif reconnu pour accorder la protection en vertu de la Loi.
[22]Les conclusions de la Cour sur cette question sont fondées sur l'hypothèse selon laquelle l'agente n'estimait pas qu'il était nécessaire de traiter de la question de savoir si les éléments de preuve présentés par la demanderesse à l'égard de la possibilité d'obtenir des soins étaient suffisants et a conclu que de telles préoccupations à l'égard de la preuve n'étaient pas pertinentes parce que le sous-alinéa 97(1)b)(iv) l'empêchait de faire un examen des questions en matière de santé en se fondant sur ces faits.
[23]Je suis d'avis que la réponse franche à cette question est que l'intention du Parlement n'est pas tout à fait claire à cet égard et que nous devons maintenant traiter d'une disposition de la loi qui, selon les faits de la présente affaire, est quelque peu ambiguë. Si les prétentions des demandeurs étaient fondées cela signifierait que l'on accepte que le Parlement avait l'intention d'exclure les risques fondés sur l'absence de soins de santé adéquats mais non les risques associés à la possibilité pour un demandeur en particulier d'obtenir des soins de santé adéquats. Le projet de loi C-11 nous apprend que l'absence de soins médicaux ou de santé «adéquats» ne constitue pas un motif reconnu pour accorder la protection en vertu de la LIPR et qu'il est plus approprié que ces questions soient appréciées suivant d'autres dispositions de la loi.
[24]Cela m'amène à conclure que le défendeur a raison quant à cette question. La question d'une menace à la vie suivant l'article 97 ne devrait pas inclure l'obligation d'évaluer la question de savoir s'il existe des soins médicaux et de santé adéquats dans le pays en question. Il y a diverses raisons pour lesquelles les soins médicaux et de santé peuvent être «inadéquats». Il se peut que ces soins n'existent pas du tout ou qu'ils ne soient pas offerts à un demandeur en particulier parce qu'il n'est pas dans une situation dans laquelle il peut en profiter. Lorsqu'un demandeur n'a pas la possibilité d'obtenir ces soins, alors ils ne sont pas adéquats pour lui.
[25]À l'égard de cette question, je suis donc d'avis que l'agente avait raison et qu'elle n'a commis aucune erreur susceptible de contrôle.
La compétence à l'égard de l'examen des arguments fondés sur la Charte
[26]L'avocat des demandeurs a invité l'agente à ne pas tenir compte de l'article 97 de la LIPR à l'égard de la question en matière de santé soulevée par la demanderesse sur le fondement de l'article 7 de la Charte. L'agente a conclu dans la décision que les agents d'ERAR n'ont pas compétence à cet égard et elle a refusé de procéder à l'examen de telles questions. Les demandeurs affirment qu'il s'agit d'une erreur susceptible de contrôle.
[27]Une fois de plus, à mon avis, cette question n'est pas complètement claire et les avocats des deux parties ont présenté à la Cour des observations extrêmement habiles et convaincantes sur la question de la compétence.
[28]Les demandeurs soulignent, parmi de nombreux facteurs, les décisions complexes à l'égard du droit et des faits que doit rendre un agent d'ERAR et les risques quant aux menaces à la vie et quant à la mort qu'un tel agent est appelé à apprécier. En se fondant sur l'arrêt Nouvelle-Écosse (Workers' Compensation Board) c. Martin; Nouvelle-Écosse (Workers' Compensation Board) c. Laseur, [2003] 2 R.C.S. 504, les demandeurs prétendent qu'en l'espèce il existait une présomption selon laquelle l'agente avait compétence pour trancher des questions à l'égard de la validité constitutionnelle. À titre d'indication, les demandeurs renvoient la Cour aux paragraphes 41 et 42 de l'arrêt Martin, précité:
En l'absence d'une attribution expresse de pouvoir, il faut se demander si le législateur a voulu conférer au tribunal administratif le pouvoir implicite de trancher les questions de droit découlant de l'application de la disposition contestée. Pour déterminer s'il y a attribution implicite de pouvoir, il est nécessaire d'examiner la loi dans son ensemble. Parmi les facteurs à prendre en considération, il y a la mission que la loi confie au tribunal administratif en cause et la question de savoir s'il est nécessaire de trancher des questions de droit pour l'accomplir efficacement, l'interaction du tribunal en cause avec les autres composantes du régime administratif, la question de savoir si ce tribunal est une instance juridictionnelle, ainsi que des considérations pratiques comme la capacité du tribunal d'examiner des questions de droit. Les considérations pratiques ne peuvent cependant pas l'emporter sur ce qui ressort clairement de la loi elle-même, surtout lorsque priver le tribunal du pouvoir de trancher des questions de droit nuirait à sa capacité d'accomplir la mission qui lui a été confiée. Comme dans le cas de la compétence conférée expressément, si on conclut que le tribunal administratif a le pouvoir implicite de trancher les questions de droit découlant de l'application d'une disposition législative, ce pouvoir sera présumé englober celui de se prononcer sur la constitutionnalité de cette disposition.
Dès que cette présomption naît, que ce soit en raison d'une attribution expresse ou d'une attribution implicite du pouvoir de trancher des questions de droit, il faut se demander si elle est réfutée. L'obligation de réfuter cette présomption incombe à la partie qui allègue que l'organisme administratif en cause n'a pas compétence pour appliquer la Charte. En général, la présomption ne peut être réfutée que par le retrait explicite du pouvoir de trancher des questions de droit constitutionnel ou par ce qui ressort clairement, en ce sens, de la loi elle-même plutôt que de considérations externes. Il faut se demander si l'examen des dispositions législatives amène clairement à conclure que le législateur a voulu exclure la Charte ou, de manière plus générale, une catégorie de questions de droit mettant en cause la Charte des questions de droit pouvant être abordées par le tribunal administratif en cause. Par exemple, l'attribution expresse à un autre organisme administratif du pouvoir d'examiner les questions relatives à la Charte ou certaines questions de droit complexes que le décideur initial aurait, considérerait-on, trop de mal à trancher ou auxquelles il devrait consacrer trop de temps, de concert avec l'existence d'une procédure efficace de renvoi de ces questions à un tel organisme, pourrait impliquer clairement qu'on n'a pas voulu que le décideur initial tranche des questions de droit constitutionnel.
[29]Le défendeur, d'un autre côté, prétend que les agents d'ERAR n'ont pas une telle compétence parce que la LIPR n'accorde aucun pouvoir précis à cet égard, aucune compétence implicite et, en fait, il y a une indication claire que le Parlement avait l'intention d'exclure de telles questions de la compétence des agents d'ERAR. En outre, le défendeur, en s'appuyant largement sur l'arrêt Martin, précité, souligne que dans le cas des agents d'ERAR la compétence attribuée est très différente de celle attribuée aux sections de la Commission suivant le paragraphe 162(1) de la LIPR, dans lequel la compétence est précisément mentionnée. À cet égard, le défendeur invite la Cour à appliquer et à suivre l'arrêt Tétreault-Gadoury c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration), [1991] 2 R.C.S. 22, et à conclure que le rôle des agents d'ERAR est très sérieusement circonscrit par la LIPR et le Règlement [Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227] et que ces agents ne sont pas dans une position pour traiter des questions constitutionnelles à plusieurs volets. Toutes les questions juridiques soumises aux agents d'ERAR ne sont soumises qu'accessoirement à l'examen des risques devant être effectué conformément aux articles 96 et 97 de la LIPR.
[30]L'avocat des demandeurs était particulièrement préoccupé par le fait que le rôle des agents d'ERAR selon l'esprit de la LIPR ne devrait pas être minimisé. Les agents rendent des décisions extrêmement importantes et pour un grand nombre de personnes l'ERAR peut être le seul examen des risques qui sera effectué pour eux. À mon avis, les prétentions des demandeurs à cet égard sont peut-être des motifs valables pour lesquels une compétence en matière constitutionnelle aurait dû être attribuée aux agents d'ERAR. Cependant, en révisant les faits de la présente affaire par rapport aux critères énoncés dans l'arrêt Martin, précité, je dois conclure que les observations du défendeur à l'égard de cette question sont les plus convaincantes. En l'absence d'une attribution expresse, je ne peux pas conclure que le législateur avait l'intention de conférer aux agents d'ERAR une compétence implicite de trancher des questions constitutionnelles de la sorte de celles que les demandeurs présentaient à l'agente. La procédure d'examen des risques avant renvoi n'est pas, à mon avis, la procédure appropriée pour la résolution de questions complexes de droit, y compris l'interprétation et l'application de la Charte.
[31]Sur cette question, alors, je conclus que l'agente a eu raison de refuser la demande des demandeurs de ne pas tenir compte de l'article 97 de la LIPR en se fondant sur l'article 7 de la Charte et qu'il n'y a pas eu d'erreur susceptible de contrôle à cet égard.
[32]Les avocats sont invités à signifier et à déposer leurs observations à l'égard de la certification d'une question de portée générale dans les sept jours de la réception des présents motifs de l'ordonnance. Chacune des parties aura une période additionnelle de trois jours pour signifier et déposer une réponse aux observations de la partie adverse. Par la suite, je rendrai une ordonnance.