Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[2017] 1 R.C.F. 167

IMM-4629-15

2016 CF 522

Morteza Mashayekhi Karahroudi (demandeur)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)

Répertorié : Karahroudi c. Canada (Citoyenneté et Immigration)

Cour fédérale, juge Mosley—Toronto, 12 avril; Ottawa, 10 mai 2016.

Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Résidents permanents — Contrôle judiciaire visant une décision prononcée par un agent des visas qui a rejeté la demande de résidence permanente du demandeur en tant que membre de la catégorie des travailleurs qualifiés — Le demandeur, un citoyen de l’Iran, a travaillé comme géophysicien pour l’Organisation de l’énergie atomique d’Iran jusqu’en 2004 — Se fondant sur les renseignements reçus du Service canadien du renseignement de sécurité, la Division du filtrage pour la sécurité nationale (DFSN) de l’Agence des Services frontaliers du Canada (l’ASFC) a rendu un rapport défavorable dans lequel elle a avisé qu’il existait des motifs raisonnables de croire que le demandeur était interdit de territoire au Canada en vertu de l’art. 34(1)d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés — Le rapport de la DFSN n’a pas été communiqué au demandeur — Le demandeur a par la suite reçu une lettre de refus — La Cour a accueilli la demande d’ordonnance de non-divulgation du défendeur en vertu de l’art. 87 — Le demandeur a reçu un résumé non classifié des renseignements non divulgués — Il s’agissait de savoir si l’art. 87, qui apporte des modifications à l’art. 83 de la Loi, pouvait être interprété comme permettant la délivrance d’un résumé de l’information non divulguée en raison de préoccupations liées à la sécurité nationale et si l’agent a dérogé aux principes de justice naturelle en omettant de divulguer le mémoire de l’ASFC-DFSN et la lettre du SCRS — L’art. 87 exclut l’« obligation » de nommer un avocat spécial et de fournir un résumé des renseignements protégés — Cette obligation découle de la procédure relative aux certificats de sécurité et ne s’applique pas aux requêtes de non-divulgation d’une autre procédure d’immigration — Rien n’empêche la Cour d’exercer son pouvoir discrétionnaire afin de fournir un résumé — Un résumé est, néanmoins, non expressément requis afin de garantir un processus équitable à l’égard d’une requête en vertu de l’art. 87 — Le droit d’un individu d’obtenir une décision à l’égard d’une demande de visa peut devoir être concilié avec le devoir de l’État d’assurer la sécurité nationale — La Cour doit s’assurer que la demande de non-divulgation est fondée sur des éléments de preuve solides et une évaluation prospective réaliste des préjudices et ne pas surestimer l’importance de l’État — Tous les documents examinés par un agent d’immigration n’ont pas à faire l’objet de divulgation — La question pertinente est de savoir si le demandeur avait la possibilité de participer de manière constructive au processus décisionnel — En l’espèce, le demandeur a bénéficié de cette possibilité — Le défaut de fournir certains documents ne constituait pas un manquement à l’équité procédurale dans les circonstances particulières de l’espèce — La décision a été bien expliquée — Demande rejetée.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire visant une décision prononcée par un agent des visas qui a rejeté la demande de résidence permanente du demandeur en tant que membre de la catégorie des travailleurs qualifiés.

Le demandeur, un citoyen de l’Iran, a déclaré dans une demande datée de 1997 qu’il avait travaillé comme géophysicien pour l’Organisation de l’énergie atomique d’Iran (OEAI). Sa demande a été approuvée, mais il est retourné en Iran après seulement quelques mois au Canada. En 2009, le demandeur a présenté une autre demande de résidence permanente. Dans une entrevue, le demandeur a indiqué avoir quitté l’OEAI en 2004. Se fondant sur les renseignements reçus du Service canadien du renseignement de sécurité, la Division du filtrage pour la sécurité nationale (DFSN) de l’Agence des Services frontaliers du Canada (l’ASFC) a rendu un rapport défavorable dans lequel elle a avisé qu’il existait des motifs raisonnables de croire que le demandeur était interdit de territoire au Canada en vertu de l’alinéa 34(1)d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés en raison de son lien avec la prolifération nucléaire ou la prolifération des armes de destruction massive. Le rapport de la DFSN n’a pas été communiqué au demandeur. Le demandeur a répondu à la lettre relative à l’équité procédurale et a par la suite reçu une lettre de refus indiquant qu’il ne remplissait pas les conditions requises pour un visa de résident permanent. Le défendeur a présenté une demande d’ordonnance de non-divulgation, conformément à l’article 87 de la Loi, étayée par des affidavits classifiés. Les renseignements supprimés consistaient en de grandes parties du mémoire de l’ASFC-DFSN et de la lettre du SCRS. La Cour a rendu une ordonnance, concluant que la demande fondée sur l’article 87 était justifiée et appuyée par la preuve et les observations. Le demandeur a reçu un résumé non classifié des renseignements non divulgués.

Il s’agissait principalement de savoir si l’article 87, qui apporte des modifications à l’article 83 de la Loi, pouvait être interprété comme permettant la délivrance d’un résumé de l’information non divulguée en raison de préoccupations liées à la sécurité nationale et si l’agent a dérogé aux principes de justice naturelle en omettant de divulguer le mémoire de l’ASFC-DFSN et la lettre du SCRS.

Jugement : la demande doit être rejetée.

L’article 87 exclut l’« obligation » de nommer un avocat spécial et de fournir un résumé des renseignements protégés. Cette obligation découle de la procédure relative aux certificats de sécurité en vertu des articles 78 et 82 à 82.2 de la Loi. L’intention législative claire du libellé de l’article 87 est qu’aucune de ces obligations ne s’applique aux requêtes de non-divulgation d’une autre procédure d’immigration. Rien dans l’article n’empêche la Cour d’exercer son pouvoir discrétionnaire afin de fournir un résumé lorsqu’elle le juge utile. Un résumé est, néanmoins, non expressément requis afin de garantir un processus équitable à l’égard d’une requête en vertu de l’article 87. Le droit d’un individu d’obtenir une décision à l’égard d’une demande de visa et d’obtenir un contrôle judiciaire de cette décision conformément au droit, et aux normes d’équité procédurale, peut devoir être concilié avec le devoir de l’État d’assurer la sécurité nationale. L’issue du processus de conciliation des intérêts peut parfois être défavorable aux intérêts personnels de l’intéressé. Cela ne signifie pas que le processus est injuste. En examinant ces enjeux, la Cour doit être vigilante et s’assurer que la demande de non-divulgation est fondée sur des éléments de preuve solides et une évaluation prospective réaliste des préjudices et ne pas surestimer l’importance de l’État.

Quant à la question de savoir si les documents auraient dû être divulgués, chaque cas est un cas d’espèce. Tous les documents examinés par un agent d’immigration n’ont pas à faire l’objet de divulgation. La question pertinente est de savoir si le demandeur avait la possibilité de participer de manière constructive au processus décisionnel. En l’espèce, le demandeur a participé à une entrevue au cours de laquelle il a répondu à des questions sur son poste et ses antécédents professionnels. Il a eu l’occasion de répondre à la lettre relative à l’équité procédurale qui exprimait des préoccupations au sujet de sa participation au programme nucléaire de l’OEAI et de l’Iran. Le fait que l’agent ne lui ait pas fourni les documents sur lesquels reposaient ces préoccupations ne constituait pas un manquement à l’équité procédurale dans les circonstances particulières de l’espèce. Dans le cadre de ce cas particulier et compte tenu de la preuve au dossier, la décision a été bien expliquée. En se fondant sur l’ensemble du dossier, il est clair que les motifs de l’agent n’étaient pas simplement des conclusions, mais reflétaient l’essence des préoccupations qui sous-tendent sa décision. Les préoccupations ne reposaient pas sur de simples conjectures ou sur de la suspicion, mais étaient fondées sur des éléments de preuve objectifs.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1.

Loi sur les mesures économiques spéciales, L.C. 1992, ch. 17.

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 34(1)d), 78, 82, 82.1, 82.2, 83, 87.

TRAITÉS ET AUTRES INSTRUMENTS CITÉS

Nations Unies, Conseil de sécurité. Résolution 1737 (2006), adoptée par le Conseil de sécurité à sa 5612e séance, le 23 décembre 2006, Doc NU S/RES/1737 (2006).

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

A.B. c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 134; Gebremedhin c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 380.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

A.B. c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1140; Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 C.F. 297 (C.A.); Pusat c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 428; Maghraoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 883; Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, [2005] 2 R.C.S. 100; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708; Administration de l’aéroport international de Vancouver c. Alliance de la Fonction publique du Canada¸ 2010 CAF 158, [2011] 4 R.C.F. 425.

DÉCISIONS CITÉES :

Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339; Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 345, [2002] 2 C.F. 413; Fallah c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1094; Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 R.C.S. 3; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Bhagwandass c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 49, [2001] 3 C.F. 3; Ralph c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 256.

DOCTRINE CITÉE :

Service canadien du renseignement de sécurité. Rapport public 2009/2010 (Ottawa : Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 2010), en ligne : <http://publications.gc.ca/collections/collection_2011/sp-ps/PS71-2010-fra.pdf>.

DEMANDE de contrôle judiciaire visant une décision prononcée par un agent des visas qui a rejeté la demande de résidence permanente du demandeur en tant que membre de la catégorie des travailleurs qualifiés. Demande rejetée.

ONT COMPARU

Clarisa Waldman pour le demandeur.

Gregory George pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Waldman & Associates, Toronto, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

Le juge Mosley :

I.          Introduction

[1]        Le demandeur conteste la décision d’un agent des visas à l’ambassade du Canada à Varsovie, en Pologne aux termes de laquelle sa demande de résidence permanente en tant que membre de la catégorie des travailleurs qualifiés a été refusée.

[2]        La décision de l’agent reposait en grande partie sur de l’information qui n’a pas été divulguée au demandeur, car cela pourrait porter atteinte à la sécurité nationale. Pour cette raison, une grande partie des arguments éloquents de l’avocat du demandeur est théorique, car il ne pouvait pas aborder tous les éléments factuels sur lesquels était fondée la décision.

[3]        À la suite d’un examen de toute la preuve, y compris les parties du dossier certifié du tribunal qui n’ont pas été communiquées au demandeur et les observations des parties, la demande a été rejetée.

II.         Contexte

[4]        M. Morteza Mashayekhi Karahroudi est un citoyen de l’Iran détenteur d’une maîtrise en géophysique de l’Université de Téhéran. À la suite de l’obtention de son diplôme en 1990, il a commencé à travailler comme géophysicien pour l’Organisation de l’énergie atomique d’Iran (OEAI). En 1997, il a présenté une demande d’immigration au Canada au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral). M. Karahroudi a fait état de son travail pour l’OEAI dans cette demande. La demande a été approuvée et il est arrivé au Canada avec sa famille le 18 octobre 1998. Ils sont retournés en Iran après seulement quelques mois au Canada parce que la mère de l’épouse du demandeur est tombée malade. Tous les membres de la famille du demandeur ont aussi obtenu un visa pour voyager au Canada en 2003.

[5]        L’OEAI est le principal organisme iranien de recherche et développement de technologie nucléaire. L’OEAI est classé par les gouvernements britannique, américain, et par l’Union européenne comme une entité de préoccupation pour la prolifération des armes nucléaires. Il est également inscrit à l’annexe de la résolution 1737 du Conseil de sécurité des Nations Unies (CSNU) adoptée en 2006, en tant qu’entité participant au programme de prolifération nucléaire de l’Iran. Depuis 2006, le Conseil de sécurité a imposé quatre cycles de sanctions contre l’Iran en réponse aux risques de prolifération posés par son programme nucléaire.

[6]        Le 22 juillet 2010, le Canada a mis en œuvre les résolutions du CSNU, au moyen de la Loi sur les mesures économiques spéciales, L.C. 1992, ch. 17. En 2009-2010, dans le Rapport public annuel du Service canadien du renseignement de sécurité (le SCRS ou le Service), il a été noté que les efforts de prolifération de l’Iran constituent une menace directe pour la sécurité nationale du Canada.

[7]        En 2009, le demandeur a présenté la demande de résidence permanente qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire. Dans une lettre datée du 3 juin 2014, le demandeur a été invité à participer à une entrevue à l’ambassade du Canada à Varsovie. L’entrevue a eu lieu le 30 juillet 2014. Au cours de l’entrevue, le demandeur a été interrogé sur ses antécédents, notamment sur son emploi à l’OEAI, ses activités depuis son départ de l’OEAI et ses voyages à l’extérieur de l’Iran. Le demandeur a indiqué qu’après avoir quitté l’OEAI en 2004, il a établi une société privée de commerce extérieur qui, entre autres choses, importait des pièces automobiles de la Chine. Il a également déclaré qu’il avait voyagé à l’extérieur de l’Iran, en grande partie pour des vacances.

[8]        La demande a ensuite été transmise à la Division du filtrage pour la sécurité nationale (DFSN) de l’Agence des Services frontaliers du Canada (l’ASFC). Un rapport défavorable de la DFSN a été reçu par l’ambassade le 20 mars 2015. En se fondant sur les renseignements reçus du SCRS dans une lettre datée du 23 janvier 2015, la DFSN a avisé qu’il existait des motifs raisonnables de croire que le demandeur est interdit de territoire au Canada en vertu de l’alinéa 34(1)d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 [LIPR].

[9]        Le rapport de la DFSN indiquait que [traduction] « la DFSN est d’avis que les personnes qui sont liées, directement ou indirectement, à la prolifération nucléaire ou à la prolifération des armes de destruction massive peuvent être jugées interdites de territoire puisqu’il existe des motifs raisonnables de croire qu’elles présentent un danger pour la sécurité du Canada ».

[10]      Dans une lettre datée du 9 mai 2015 (la lettre relative à l’équité procédurale), le demandeur a été informé qu’il pourrait être interdit de territoire au Canada en vertu de l’alinéa 34(1)d) de la LIPR. La lettre indiquait : [traduction] « en raison de votre emploi antérieur à l’Organisation de l’énergie atomique d’Iran, les associations subséquentes et de vos récents antécédents de voyage, il y a lieu de croire que vous faites partie de la catégorie des personnes interdites de territoire ». Le demandeur avait 30 jours pour répondre et a par la suite obtenu une prorogation du délai. Le rapport de la DFSN n’a pas été communiqué au demandeur.

[11]      Le représentant du demandeur a présenté une réponse de dix pages datée du 8 juillet 2015. La réponse faisait valoir que le demandeur avait obtenu une copie des notes du Système mondial de gestion des cas (SMGC) associées à son dossier en présentant une demande au titre de la Loi sur l’accès à l’information [L.R.C. (1985), ch. A-1]. Les notes du SMGC ne comprennent pas un résumé ni aucune note se rapportant à l’entrevue du demandeur de juillet 2014. Le demandeur a fait valoir qu’il n’y a aucune mention dans les notes expliquant pourquoi l’agent d’immigration a fait un lien entre les voyages récents du demandeur et son emploi chez l’OEAI ni ce que pourraient être les « associations subséquentes » préoccupantes. Dans le cadre de ses observations en réponse, le demandeur a demandé une copie de tout rapport invoqué par l’agent à Varsovie afin qu’il puisse réfuter la preuve contre lui.

[12]      Le demandeur a été informé dans une lettre datée du 2 septembre 2015 (la lettre de refus) que, conformément à l’alinéa 34(1)d) de la LIPR, il ne remplissait pas les conditions requises pour un visa de résident permanent.

III.        Décision faisant l’objet du contrôle

[13]      La lettre de refus indiquait ce qui suit :

[traduction] L’Organisation de l’énergie atomique d’Iran (OEAI) est le principal organisme de recherche et développement de technologie nucléaire. L’OEAI est classée par les gouvernements britannique, américain, et par l’Union européenne comme une entité de préoccupation en raison de ses activités de prolifération. Elle est également inscrite à l’annexe de la résolution 1737 du Conseil de sécurité des Nations Unies (CSNU) adoptée en 2006, en tant qu’entité participant au programme de prolifération nucléaire de l’Iran. Les entités qui se livrent à la prolifération des activités liées au nucléaire représentent un danger pour la sécurité du Canada. L’Agence de l’énergie atomique d’Iran constitue une telle entité. Compte tenu de vos antécédents professionnels et des associations avec cet organisme, vous avez facilité directement ou indirectement ces activités. Vous êtes par conséquent interdit de territoire au Canada en vertu de l’alinéa 34(1)d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

IV.       Dispositions législatives pertinentes

[14]      Les dispositions pertinentes de la LIPR sont les suivantes :

Sécurité

34 (1) Emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité les faits suivants :

[…]

d) constituer un danger pour la sécurité du Canada;

V.        Questions en litige

[15]      Les questions traitées dans la présente demande sont les suivantes :

1)         La requête préliminaire de non-divulgation du défendeur.

2)         La norme de contrôle applicable.

3)         L’agent a-t-il dérogé aux principes de justice naturelle en omettant de divulguer le mémoire de l’ASFC-DFSN et la lettre du SCRS, et en omettant d’examiner la réponse du demandeur à la lettre relative à l’équité procédurale?

4)         La décision de l’agent est-elle déraisonnable parce qu’il a omis de justifier sa décision, ou subsidiairement, parce que l’agent a fait des inférences déraisonnables et des conclusions de fait concernant l’interdiction de territoire du demandeur en vertu de l’alinéa 34(1)d) de la LIPR?

VI.       Analyse

A.        La requête préliminaire de non-divulgation du défendeur

[16]      Le dossier certifié du tribunal (DCT) déposé le 24 février 2016 contient plusieurs pages vierges représentant l’information non divulguée par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre). Le défendeur a ensuite présenté le 1er mars 2016 une demande d’ordonnance de non-divulgation, conformément à l’article 87 de la LIPR, étayée par trois affidavits classifiés. Les renseignements supprimés consistaient en de grandes parties du mémoire de l’ASFC-DFSN et de la lettre du SCRS que l’agent a considérée pour arriver à une conclusion d’interdiction de territoire. La Cour a été informée par le défendeur que pour le contrôle judiciaire de cette demande, il entendait s’appuyer sur l’information pour laquelle l’ordonnance au titre de l’article 87 avait été sollicitée.

[17]      Dans une lettre à la Cour datée du 16 mars 2016, le demandeur n’a pris aucune position concernant la requête de non-divulgation, mais a demandé que la Cour examine l’information caviardée afin de déterminer si elle aurait, si divulguée, porté atteinte à la sécurité nationale. Le demandeur demande également que le défendeur ne puisse s’appuyer sur aucun nouvel élément de preuve contenu dans les affidavits classifiés déposés à l’appui de la requête pour justifier la décision de l’agent faisant l’objet du présent contrôle judiciaire.

[18]      La Cour a lu l’information caviardée et les trois affidavits classifiés déposés par le défendeur. L’un des affidavits se rapportait uniquement à l’information qui est systématiquement protégée et n’aurait aucun poids en l’espèce. La Cour a estimé qu’il n’était pas nécessaire d’entendre l’auteur de l’affidavit. Les auteurs des deux autres affidavits ont témoigné pendant un interrogatoire serré par la Cour au sujet de l’information plus substantielle lors d’une audition à huis clos et ex parte le 7 avril 2016. Rien n’indiquait dans les trois affidavits ou dans le témoignage verbal que l’on pourrait considérer de nouveaux éléments de preuve à l’appui de la décision de l’agent.

[19]      Au cours de l’audition ex parte, le défendeur a accepté de divulguer une certaine somme d’information et la Cour a obtenu des pages révisées à ajouter au dossier certifié du tribunal et à communiquer au demandeur. Après avoir examiné l’affaire, la Cour a conclu que l’application de l’article 87 était justifiée et appuyée par la preuve et les observations. Une ordonnance à cet effet accompagnée des motifs a été émise le 8 avril 2016 (2016 CF 397).

[20]      Consentant un effort pour apporter au demandeur une certaine compréhension du contenu de l’information caviardée, une annexe contenant un résumé non classifié ainsi que les pages révisées du dossier certifié du tribunal a été jointe à l’ordonnance.

[21]      Il subsiste une incertitude quant à savoir si l’article 87, qui apporte des modifications à l’article 83 de la LIPR, pouvait être interprété comme permettant la délivrance d’un résumé de l’information non divulguée en raison de préoccupations liées à la sécurité nationale.

[22]      Le juge Noël a abordé cette question dans la décision A.B. c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1140, une demande de contrôle judiciaire concernant une décision défavorable à l’égard d’une demande parrainée de résidence permanente. Le ministre a déposé une requête en vertu de l’article 87 et le demandeur a sollicité la nomination d’un avocat spécial et a demandé un résumé de l’information divulguée. Le juge Noël a rejeté la demande, soulignant dans son ordonnance et dans les motifs de l’ordonnance sur la requête (au paragraphe 12) :

Étant donné que la divulgation de certains types de renseignements porterait atteinte à la sécurité nationale ou constituerait un danger pour la sécurité d’autrui, de tels renseignements ne peuvent pas être divulgués (voir Charkaoui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, au paragraphe 58). Je suis convaincu qu’il n’était point besoin de faire intervenir un avocat spécial à ce stade-là. En ce qui concerne la demande de communication d’un résumé des renseignements retranchés, bien que cela soit permis pour les besoins d’une procédure relative à un certificat (voir le paragraphe 83(1) de la LIPR), cela est expressément exclu aux fins de contrôles judicaires touchant des questions d’immigration et des renseignements protégés au titre de la sécurité nationale (voir l’article 87 de la LIPR).

[23]      L’article 87 de la LIPR est libellé comme suit :

Interdiction de divulgation — contrôle judiciaire et appel

87 Le ministre peut, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, demander l’interdiction de la divulgation de renseignements et autres éléments de preuve. L’article 83 s’applique à l’instance et à tout appel de toute décision rendue au cours de l’instance, avec les adaptations nécessaires, sauf quant à l’obligation de nommer un avocat spécial et de fournir un résumé. [Non souligné dans l’original.]

[24]      À première vue, le texte souligné peut être interprété comme retirant tout pouvoir discrétionnaire à la Cour d’exiger un résumé.

[25]      L’article 87 exclut toutefois l’« obligation » de nommer un avocat spécial et de fournir un résumé des renseignements protégés. Cette obligation découle de la procédure relative aux certificats de sécurité en vertu des articles 78 et 82 à 82.2. L’article 83 codifie un ensemble d’exigences applicable à ces procédures. En vertu de l’alinéa 83(1)a), le juge saisi d’une affaire relative à un certificat doit nommer un avocat spécial après avoir entendu les représentations des parties. Et en vertu de l’alinéa 83(1)e), le juge doit veiller tout au long de l’instance à ce que soit fourni à l’intéressé un résumé de la preuve qui lui permet d’être suffisamment informé de la thèse du ministre à l’égard de l’instance en cause.

[26]      L’intention législative claire du libellé de l’article 87 est qu’aucune de ces obligations ne s’applique aux requêtes de non-divulgation d’une autre procédure d’immigration. Rien dans l’article n’empêche la Cour d’exercer son pouvoir discrétionnaire afin de fournir un résumé lorsqu’elle le juge utile. Un résumé est, néanmoins, non expressément requis afin de garantir un processus équitable à l’égard d’une requête en vertu de l’article 87. Cette interprétation est appuyée par les motifs subséquents du juge Noël dans la décision A.B. c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 134 (aux paragraphes 58 à 60) :

Dans la lettre du 16 septembre 2011 qu’elle a envoyée au demandeur, l’agente a demandé la tenue d’un entretien afin de lui faire part de ses « doutes « et lui donner la possibilité d’y répondre. Cette lettre l’informait également qu’une interdiction de territoire fondée sur des motifs liés à la sécurité nationale – un fait qu’englobe l’article 34 de la LIPR – pouvait être prononcée sans plus de précisions. Comme nous l’avons vu plus tôt, l’avocat du demandeur a demandé que l’agente fournisse les documents sur lesquels reposaient ses « doutes «, ainsi que de préciser la ou les dispositions précises de l’article 34 qui étaient en cause.

Après avoir lu les mémoires de l’ASFC et du SCRS et après avoir examiné le DCT dans son ensemble, il m’apparaît clairement que les mémoires étaient de la plus haute importance pour l’agente. Ses « doutes « étaient fondés en grande partie – sinon totalement – sur ces documents. Dans ces derniers figurent les renseignements qui ont constitué le fondement de la décision rendue.

Ces documents contenaient au début des renseignements protégés. Comme on peut le voir dans le dossier ainsi qu’à la suite d’un examen effectué en vertu de l’article 87, certaines expurgations ont été levées; quelques renseignements demeurent encore expurgés, mais il s’agit de renseignements dont le demandeur a été mis au courant d’autres façons, comme des questions posées lors des entretiens du SCRS ou d’autres moyens. Dans de tels cas, il pourrait être approprié d’envisager de produire un sommaire du contenu afin de protéger des ressources liées à la sécurité nationale, comme des sources techniques humaines. Cela n’était pas nécessaire en l’espèce. [Non souligné dans l’original.]

[27]      La Cour reconnaît que le résumé fourni contenait en l’espèce peu de renseignements qui auraient pu aider le demandeur à comprendre les motifs du refus en question. Le droit d’un individu d’obtenir une décision à l’égard d’une demande de visa et d’obtenir un contrôle judiciaire de cette décision conformément au droit, et aux normes d’équité procédurale, peut devoir être concilié avec le devoir de l’État d’assurer la sécurité nationale. Citant la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 C.F. 297 (Chiau), au paragraphe 2, ces questions présentent un défi considérable pour les institutions d’une société ouverte et démocratique. L’issue du processus de conciliation des intérêts peut parfois être défavorable aux intérêts personnels de l’intéressé. Cela ne signifie pas que le processus est injuste. En examinant ces enjeux, la Cour doit être vigilante et s’assurer que la demande de non-divulgation est fondée sur des éléments de preuve solides et une évaluation prospective réaliste des préjudices et ne pas surestimer l’importance de l’État.

B.        Norme de contrôle

[28]      Il n’y avait aucun différend entre les parties en ce qui concerne les normes applicables. Les questions de justice naturelle appellent l’application d’une norme s’apparentant à la norme de la décision correcte : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 43. La Cour, dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, doit examiner la question de savoir si le processus décisionnel du décideur satisfaisait au niveau d’équité requis au vu de l’ensemble des circonstances. Le contenu de l’obligation d’équité envers un étranger qui cherche à entrer au Canada se situe à l’extrémité inférieure du spectre, particulièrement lorsque des questions de sécurité nationale se posent : Chiau, aux paragraphes 48 à 54; Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 345, [2002] 2 C.F. 413, au paragraphe 30; Fallah c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1094 (Fallah), au paragraphe 8.

[29]      La norme de contrôle applicable à la substance de la décision d’un agent des visas est celle de la raisonnabilité : Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 R.C.S. 3 (Suresh), au paragraphe 85; Fallah, au paragraphe 13. Les inférences factuelles, formulées par l’agent sont également évaluées d’après la norme de la raisonnabilité : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir), au paragraphe 47.

C.        Manquement aux règles de justice naturelle

1)         Non-divulgation du mémoire de l’ASFC-DFSN et de la lettre du SCRS

[30]      Le demandeur soutient que l’agent a dérogé aux principes de justice naturelle et d’équité procédurale en omettant de divulguer la décision « non favorable » reçue par l’ambassade. Cette position s’appuie sur ma décision dans Pusat c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 428.

[31]      Dans la décision Pusat, j’ai considéré l’équité procédurale dans le cadre d’un processus par lequel un agent des visas a conclu que le demandeur était interdit de territoire au titre de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR, et j’ai conclu (aux paragraphes 25, 26 et 28, 29) :

En l’espèce, le dossier certifié contient des documents qui sont antérieurs au premier refus et qui semblent avoir fortement influé sur la décision de l’agent. J’estime que ces documents, expurgés au besoin, ou, à tout le moins, l’essentiel de l’information qu’ils contenaient, auraient dû être communiqués au demandeur avant la deuxième entrevue, de sorte qu’il aurait pu mieux se préparer à répondre aux questions sur les motifs pour lesquels il était soupçonné d’être membre du PKK.

Les documents contenus dans le dossier certifié comprennent un mémoire de la Section de la lutte contre le terrorisme de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), qui recommande que le demandeur soit déclaré interdit de territoire parce qu’il est membre du PKK. Dans le mémoire, certains critères devant être évalués au moment de prononcer l’interdiction de territoire en vertu de l’alinéa 34(1)f) sont présentés, et des liens sont faits entre plusieurs de ces critères et les renseignements fournis par le demandeur à sa première entrevue. Le mémoire présente d’autres critères qui n’ont rien à voir avec les antécédents ou la conduite du demandeur. L’analyse de l’agent rappelle la partie du mémoire de l’ASFC qui montre le demandeur sous un mauvais jour. Bien que l’agent ait pour rôle d’apprécier tous les facteurs et de déterminer si le demandeur est membre d’une organisation terroriste, l’équité exige que le demandeur ait une occasion raisonnable de s’expliquer avant qu’une décision ne soit rendue.

[…]

Le mémoire de l’ASFC dont l’agent a tenu compte en l’espèce était semblable à celui que la juge Eleanor Dawson, maintenant juge à la Cour d’appel, a traité dans Mekonen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1133, 66 Imm. L.R. (3d) 222. Cette affaire concernait aussi une question de divulgation dans le contexte d’une décision fondée sur l’alinéa 34(1)f). Citant les facteurs appliqués par la Cour d’appel fédérale dans Haghighi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 4 C.F. 407 (C.A.) (QL), et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Bhagwandass, 2001 CAF 49, la juge Dawson était d’avis que les circonstances de l’affaire exigeaient que l’agent fournisse à M. Mekonen le mémoire de l’ASFC ainsi que les documents de source ouverte et qu’il lui permette de déposer des observations en réponse à ces documents. De telles actions étaient nécessaires, déclare la juge au paragraphe 26 de ses motifs, pour donner à M. Mekonen une véritable possibilité de présenter à l’agent des preuves et observations pertinentes à des fins d’examen complet et équitable.

Au paragraphe 19, la juge Dawson conclut que le mémoire de l’ASFC en question :

a servi d’outil d’assistance judiciaire destiné, selon les termes de la Cour d’appel fédérale dans Bhagwandass [Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Bhagwandass], « à avoir une influence telle sur le décideur que la communication à l’avance est requise pour “équilibrer les chances” ».

[32]      Le demandeur soutient que, comme dans la décision Pusat, on ne lui a pas donné la possibilité de répondre aux préoccupations soulevées dans la décision « non favorable » malgré qu’il ait formulé la demande d’obtenir tout document dont l’agent a pu tenir compte pour dégager sa conclusion d’interdiction de territoire.

[33]      Comme la juge Judith Snider l’a souligné dans la décision Gebremedhin c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 380, au paragraphe 9, chaque cas est un cas d’espèce. Tous les documents examinés par un agent d’immigration n’ont pas à faire l’objet de divulgation. La question pertinente est de savoir si le demandeur avait la possibilité de participer de manière constructive au processus décisionnel : Bhagwandass c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 49, [2001] 3 C.F. 3, au paragraphe 22.

[34]      Dans la décision Maghraoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 883, au paragraphe 22, le juge de Montigny a reconnu qu’il y aura des cas où des documents peuvent être protégés par le privilège fondé sur la sécurité nationale. Il a conclu que l’obligation d’équité procédurale peut être satisfaite sans avoir à divulguer tous les documents et rapports sur lesquels s’est appuyé le décideur.

[35]      En l’espèce, le demandeur a participé à une entrevue au cours de laquelle il a répondu aux questions sur son poste et ses antécédents professionnels avec l’OEAI, sur tout lien continu avec l’OEAI et sur les préoccupations à l’égard de ses antécédents de voyage. Il aurait été utile à la Cour d’avoir les notes d’entrevue de l’agent, mais elles n’ont pas été incluses dans le dossier certifié du tribunal ni demandées par le demandeur. Le demandeur a eu l’occasion de répondre à la lettre relative à l’équité procédurale qui exprimait des préoccupations au sujet de sa participation au programme nucléaire de l’OEAI et de l’Iran. Alors que tout au long de ces procédures, il a maintenu qu’il ne savait pas à quelles « associations subséquentes » l’agent faisait allusion dans la lettre relative à l’équité procédurale, le fait que l’agent ne lui ait pas fourni les documents sur lesquels reposaient ces préoccupations ne constitue pas un manquement à l’équité procédurale dans les circonstances particulières de l’espèce.

2)         L’agent a-t-il omis de considérer la réponse du demandeur à la lettre relative à l’équité procédurale?

[36]      Le demandeur fait valoir que sa tentative de répondre aux préoccupations soulevées dans la lettre relative à l’équité procédurale n’a pas été abordée dans la lettre de refus. Le dossier du tribunal, soutient-il, établit que l’agent a rendu sa décision sans tenir compte de la réponse du demandeur, ce qui dénue de tout sens la lettre relative à l’équité procédurale.

[37]      L’annotation de l’agent dans le système mondial de gestion des cas selon laquelle la réponse a été considérée est, à mon avis, une réponse suffisante à cette plainte. L’obligation d’équité procédurale n’exige pas que l’agent inclue une évaluation écrite et détaillée de chaque point de la lettre de refus. En outre, la réponse fournie par le demandeur constituait en grande partie une reformulation de l’information qu’il avait déjà fournie à l’agent.

D.        Caractère raisonnable de la décision

[38]      Le demandeur soutient que la décision de l’agent est déraisonnable parce qu’il n’a pas justifié adéquatement ses conclusions quant à l’existence de motifs raisonnables de croire que le demandeur constitue un danger pour la sécurité du Canada. Comme indiqué dans l’arrêt Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, [2005] 2 R.C.S. 100, au paragraphe 114, la croyance [de l’existence de motifs raisonnables] doit essentiellement posséder un fondement objectif reposant sur des renseignements concluants et dignes de foi.

[39]      Les motifs répondent aux critères établis « s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708 (Newfoundland Nurses), au paragraphe 16). Les motifs doivent contenir suffisamment d’information sur la décision afin que la partie puisse comprendre le fondement de la décision de la cour de révision afin de déterminer si la décision satisfait aux normes légales minimales : Ralph c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 256, aux paragraphes 17 à 19.

[40]      Comme indiqué ci-dessus, la Cour a eu l’occasion de lire le dossier complet, y compris l’information qui a fait l’objet de la requête et de l’ordonnance de non-divulgation. Il est maintenant bien établi que pour l’examen du caractère adéquat des motifs pour prononcer une décision dans le cadre d’une analyse de la raisonnabilité, la Cour peut prendre en considération le dossier de preuves. Comme l’a déclaré le juge Stratas dans l’arrêt Administration de l’aéroport international de Vancouver c. Alliance de la Fonction publique du Canada¸ 2010 CAF 158, [2011] 4 R.C.F. 425, au paragraphe 17b), la tâche consiste à déterminer si les objectifs fondamentaux susmentionnés sont remplis de façon minimale. Un petit nombre de mots bien choisis peuvent souvent être suffisants.

[41]      Dans le cadre de ce cas particulier et compte tenu de la preuve au dossier, je suis convaincu que la décision a été bien expliquée. En se fondant sur l’ensemble du dossier, il est clair que les motifs de l’agent ne sont pas simplement des conclusions, mais reflètent l’essence des préoccupations qui sous-tendent sa décision. Les préoccupations ne reposaient pas sur de simples conjectures ou sur de la suspicion, mais étaient fondées sur des éléments de preuve objectifs.

[42]      Comme je l’ai indiqué au début, l’avocat du demandeur a plaidé cette cause dans la position peu enviable de ne pas avoir accès à toute l’information au dossier du tribunal. Malgré ce fardeau, le demandeur ne pouvait espérer, dans les circonstances, que son avocat aille au-delà des observations écrites et verbales qu’il a formulées au nom de son client.

[43]      Aucune des parties n’a proposé de question à certifier. Cette affaire a été abordée selon les circonstances factuelles particulières de l’espèce.

JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire. Aucune question n’est certifiée.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.