T-2289-01
2003 CF 1381
F. Hoffmann-La Roche AG (demanderesse)
c.
Le commissaire aux brevets (défendeur)
Répertorié: F. Hoffmann-La Roche AG c. Canada (Commissaire aux brevets) (C.F.)
Cour fédérale, juge O'Reilly--Ottawa, 3 juin; Vancouver, 25 novembre 2003.
Brevets -- Pratique -- Demande de contrôle judiciaire concernant un avis indiquant qu'un brevet redélivré était périmé pour cause de non-paiement des taxes périodiques -- En vertu de l'art. 46(2) de la Loi sur les brevets, un brevet est présumé expiré si une taxe n'est pas payée à temps -- Demande rejetée -- La demanderesse a, par erreur, considéré le brevet redélivré comme un nouveau brevet -- Elle n'a pas payé le bon montant à échéance -- Le commissaire n'a pas envoyé l'avis habituel une fois l'échéance initiale passée -- Les Règles sur les brevets accordent un délai de grâce d'un an -- Ce type de situation peut faire l'objet d'un contrôle judiciaire vu la formulation large de l'art. 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales -- Objet des taxes périodiques -- Contexte dans lequel s'inscrit la disposition rigoureuse de l'art. 46(1) -- Le régime des taxes périodiques est compliqué; les risques d'erreurs de bonne foi sont grands -- Une ambiguïté législative est interprétée à l'avantage des titulaires de brevets; toutefois, il n'y a pas d'ambiguïté en l'espèce -- L'obligation d'équité n'impose pas l'envoi d'un avis -- La charge entière du respect de la Loi incombe au titulaire de brevet -- Aucun droit d'être entendu avant d'être jugé en défaut -- La Loi prévoit l'expiration automatique du brevet en cas de non-respect du délai -- Le commissaire n'a pas le pouvoir de remédier aux conséquences «catastrophiques» -- La doctrine des attentes légitimes est inapplicable en l'espèce: le commissaire ne peut passer outre les dispositions rigoureuses de la Loi -- L'equity ne permet aucune réparation dans le cas où la déchéance d'un droit résulte d'une règle juridique -- On ne peut opposer au commissaire le fait qu'il a accepté des versements insuffisants de taxes -- Le tribunal ne pouvait accorder une réparation contredisant le libellé clair de la Loi.
Droit administratif -- Contrôle judiciaire -- Certiorari -- Le commissaire a avisé par écrit la demanderesse que le brevet était périmé pour cause de non-paiement des taxes périodiques exigibles -- Le titulaire du brevet sollicite un contrôle judiciaire -- Selon le commissaire, il n'y a pas de fondement justifiant un contrôle judiciaire en l'absence de décision ou d'ordonnance -- Expiration automatique en vertu de la Loi -- Le commissaire a une perception trop étroite du contrôle judiciaire -- L'art. 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales a une portée suffisamment large pour comprendre l'envoi d'un avis portant sur l'expiration d'un brevet -- L'obligation d'équité n'exige pas qu'un avis soit donné -- Absence de droit d'être entendu -- La doctrine des attentes légitimes est inapplicable: le commissaire ne pouvait se soustraire aux dispositions rigoureuses de la Loi -- Le commissaire n'a aucun pouvoir discrétionnaire en l'espèce.
La demanderesse soumet une demande de contrôle judiciaire en vue de conserver un brevet redélivré qui est devenu périmé quant à un médicament vu le non-paiement des taxes périodiques annuelles. En vertu du paragraphe 46(2) de la Loi sur les brevets, si une taxe n'est pas payée à temps, le brevet est présumé périmé. Le commissaire fait valoir que la Loi est claire et impérative et que, conséquemment, il n'y a pas de fondement à la demande de contrôle judiciaire.
Jugement: la demande est rejetée.
Le commissaire et la demanderesse ont tous deux commis des erreurs. En fait, celle-ci a erronément classé le brevet redélivré comme un nouveau brevet. Par conséquent, elle a cru qu'elle n'avait pas de taxes à payer au premier anniversaire du «nouveau» brevet. En fait, une taxe de 150 $ était payable au huitième anniversaire du brevet d'origine, soit le 29 octobre 1999. Pour les années 2000 et 2001, la demanderesse a payé la taxe annuelle habituelle de 100 $ prescrite à l'égard d'un nouveau brevet. Elle a donc omis le versement d'une somme de 150 $, et au lieu d'acquitter le paiement en souffrance accompagné de la surtaxe l'année suivante, elle n'a payé que la somme de 100 $ exigible la deuxième année pour un nouveau brevet. En 2001, le bureau du commissaire avait constaté l'erreur et pris des mesures pour informer la demanderesse de l'annulation de son brevet. Le commissaire s'est trompé en omettant d'envoyer l'avis habituel une fois l'échéance passée. En vertu des Règles sur les brevets, l'avis accorde au titulaire de brevet la possibilité de disposer d'un délai de grâce d'un an. En fait, le commissaire a communiqué avec la demanderesse à plusieurs reprises, mais presque toutes ces communications comportaient des erreurs. Ainsi, un avis a été envoyé à un cabinet d'avocats qui ne représentait pas la demanderesse. Cet avis était erroné quant à la date d'échéance, et avait été envoyé 14 mois trop tard pour être utile à la demanderesse. En effet, la demanderesse n'a jamais reçu d'avis portant que la taxe était en souffrance, si ce n'est beaucoup trop tardivement pour qu'elle soit en mesure de faire quoi que ce soit pour remédier à la situation.
En soutenant que la demande de contrôle judiciaire était dépourvue de fondement du fait qu'aucune décision ou ordonnance n'avait été rendue, le commissaire a interprété de manière trop étroite la portée du contrôle judiciaire. Le défendeur a avancé que le seul écoulement du temps a entraîné la déchéance du brevet, et que le commissaire n'avait aucun contrôle sur l'écoulement implacable du temps. Cependant, la formulation du paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales est suffisamment large pour comprendre l'avis portant sur l'expiration du brevet.
La taxe périodique a été conçue pour décourager la prolifération de brevets et de demandes de brevets inutiles en obligeant les titulaires et les demandeurs de brevets, au moins une fois par année, à entreprendre des démarches pour les conserver en état. Elle a aussi été instituée pour que le Bureau des brevets recouvre les frais liés à l'administration d'un dispositif complexe et onéreux. Le contexte dans lequel s'inscrit la disposition rigoureuse du paragraphe 46(1) veut que la Loi établisse un équilibre entre l'intérêt public et l'intérêt des titulaires de brevets. En contrepartie de la divulgation publique d'une invention, l'inventeur obtient, pour un certain laps de temps, le droit exclusif de l'exploiter. L'obligation de payer des taxes périodiques fait aussi partie du marché. Cela étant dit, les tribunaux ont reconnu que le régime des taxes périodiques est tellement compliqué que les risques d'erreurs de bonne foi sont grands, et que les conséquences du non-respect du paragraphe 46(2) sont «catastrophiques». C'est la raison pour laquelle on interprète une ambiguïté législative à l'avantage des titulaires de brevets. Toutefois, en l'espèce, il n'y avait pas d'ambiguïté.
Il ne s'agit pas non plus d'une situation où l'obligation d'équité requiert la transmission d'un avis avant le prononcé d'une décision. Imposer un tel devoir au commissaire irait à l'encontre de l'intention législative voulant que la charge entière du respect de la Loi incombe au titulaire d'un brevet. Le commissaire a l'obligation générale de veiller à l'administration équitable de la Loi, mais cela ne veut pas dire qu'il exerce un rôle lui imposant l'obligation d'aviser les titulaires de brevets et de les entendre avant d'être jugés en défaut.
La Loi prévoit l'expiration automatique d'un brevet en cas de non-respect d'une échéance et ce, sans possibilité pour le commissaire de remédier aux conséquences. Le commissaire n'a pas à aviser le titulaire d'un brevet de l'expiration prochaine de son titre.
La demanderesse s'est appuyée sur la doctrine des attentes légitimes en présentant une preuve par affidavit selon laquelle le Bureau des brevets s'était engagé à lui donner un avis après l'expiration d'un brevet. Toutefois, une des conditions nécessaires à l'application de la doctrine des attentes légitimes manque en l'espèce: le commissaire n'a pu donner l'impression que les intérêts d'un titulaire de brevet seraient lésés si on ne lui donnait pas un avis et l'occasion de présenter des observations. Il ne pouvait prétendre que le libellé rigoureux de la Loi ne s'appliquait pas en l'absence d'un préavis indiquant l'expiration imminente d'un brevet. Le fait que la demanderesse s'est fiée à la pratique générale du commissaire d'envoyer un avis à la suite de l'expiration d'une échéance initiale ne suffit pas à créer une obligation correspondante chez le commissaire.
La Cour ne peut accorder réparation en se fondant sur l'equity lorsque la déchéance d'un droit résulte d'une règle juridique puisque le juge est tenu de donner effet à la loi. Le tribunal ne pouvait pas substituer sa propre échéance à celle qui a été édictée par le législateur, et ainsi agir comme si la loi était abrogée.
La défenderesse a également soutenu devant la Cour qu'on ne peut opposer au commissaire le fait qu'il a accepté une somme inférieure à celle qui était exigible. Encore une fois, un tribunal ne peut accorder une réparation contraire aux dispositions expresses d'une loi. Il en va autrement lorsque la loi est moins exigeante ou si le fonctionnaire a un pouvoir discrétionnaire, auquel cas le tribunal peut être tenu d'admettre une fin de non-recevoir. Toutefois, la Loi sur les brevets n'accorde aucune latitude; le commissaire n'a aucun pouvoir discrétionnaire.
lois et règlements
Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, art. 43 (mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 42), 44 (mod., idem), 45 (mod. par L.C. 2001, ch. 10, art. 1), 46(1) (mod. par L.R.C. 1985 (3e suppl.), ch. 33, art. 16), (2) (mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 43).
Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 18.1(3) (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27). |
Règles sur les brevets, DORS/96-423, art. 182(1),(2),(3), ann. II, art. 32 (mod. par DORS/99-291, art. 19). |
jurisprudence
décisions appliquées:
Pfizer c. Canada (Commissaire aux brevets) (1999), 1 C.P.R. (4th) 200; 171 F.T.R. 100 (C.F. 1re inst.); inf. par (2000), 9 C.P.R. (4th) 13; 269 N.R. 373 (C.A.F.); Dutch Industries Ltd. c. Canada (Commissaire aux brevets), [2003] 4 C.F. 67; (2003), 24 C.P.R. (4th) 157; 301 N.R. 152 (C.A.); Free World Trust c. Électro Santé Inc., [2000] 2 R.C.S. 1024; (2000), 194 D.L.R. (4th) 232; 9 C.P.R. (4th) 168; 263 N.R. 150; Assoc. des résidents du Vieux St-Boniface. c. Winnipeg (Ville), [1990] 3 R.C.S. 1170; (1990), 75 D.L.R. (4th) 385; [1991] 2 W.W.R. 145; 2 M.P.L.R. (2d) 217; 69 Man.R. (2d) 134; 46 Admin. L.R. 161; 116 N.R. 46; R. v. C.N.R. Co., [1923] 2 D.L.R. 719; [1923] 3 W.W.R. 547; [1923] A.C. 714 (P.C.); Maritime Electric Co. v. General Dairies Ltd., [1937] 1 D.L.R. 609; [1937] 1 W.W.R. 591; (1937), 46 C.R.C. 1; [1937] A.C. 610; [1937] 1 All E.R. 748 (P.C.).
distinction faite d'avec:
Rodney c. Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration, [1972] C.F. 663; (1972), 27 D.L.R. (3d) 756 (C.A.); O'Reilly and Local Board of Health of the Kingston, Frontenac and Lennox & Addington Health Unit (Re) (1983), 43 O.R. (2d) 664; 2 D.L.R. (4th) 262; 7 Admin. L.R. 1; 1 O.A.C. 227 (C. div.); Comtab Ventures Ltd. v. Canada (1984), 35 Alta. L.R. (2d) 230 (C.F. 1re inst.); Holachten Meadows Mobile Home Park Ltd. c. La Reine, [1986] 1 C.F. 238; (1986), 1 F.T.R. 278 (1re inst.); Commission hydro-électrique de Kenora (Ville) c. Vacationland Dairy Co-operative Ltd., [1994] R.C.S. 80; (1994), 110 D.L.R. (4th) 449; 18 Admin. L.R. (2d) 1; 162 N.R. 241; 68 O.A.C. 241; Aurchem Exploration Ltd. c. Canada (1992), 91 D.L.R. (4th) 710; 7 Admin. L.R. (2d) 168; 54 F.T.R. 134 (C.F. 1re inst.); Saskatchewan (Environmental Assessment Act, Minister) v. Kelvington Super Swine Inc. (1997), 161 Sask. R. 111 (B.R.); Saskatchewan (Minister of the Environment) v. Redberry Development Corp., [1992] 2 W.W.R. 544; (1992), 100 Sask. R. 36 (C.A.).
décisions citées:
Markevich c. Canada, [1999] 3 C.F. 28; (1999), 172 D.L.R. (4th) 164; [1999] 2 C.T.C. 104; 99 DTC 5136; 162 F.T.R. 209 (1re inst.); Canada (Procureur général) c. Canada (Tribunal des droits de la personnne) (1994), 19 Admin. L.R. (2d) 69; 76 F.T.R. 1 (C.F. 1re inst.); Canadian Northern Ry. Co. v. The King (1922), 64 R.C.S. 264; [1923] 2 D.L.R. 693; [1923] 2 W.W.R. 836; Martin Mine Ltd. v. British Columbia, [1985] 4 W.W.R. 515; (1985), 62 B.C.L.R. 107 (C.A.); Olympia & York Developments Ltd. v. Calgary (City) (1983), 45 A.R. 204; 26 Alta. L.R. (2d) 307; 22 M.P.L.R. 166 (C.A.).
DEMANDE de contrôle judiciaire portant sur un avis indiquant qu'un brevet redélivré était périmé pour cause de non-paiement des taxes périodiques exigibles. Demande rejetée.
ont comparu:
Kevin L. LaRoche et Jeffery Jenkins pour la demanderesse.
Frederick B. Woyiwada pour le défendeur.
avocats inscrits au dossier:
Borden Ladner Gervais, Ottawa, pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour le defendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et jugement rendus par
[1]Le juge O'Reilly: Hoffmann-La Roche est une société pharmaceutique qui détient de nombreux brevets canadiens. L'un d'entre eux est le brevet canadien no 1291429, délivré en 1991. En 1995, la société a présenté une demande au commissaire aux brevets en vue d'obtenir que le brevet soit redélivré. En 1998, le commissaire a accueilli la demande et attribué au brevet redélivré le nouveau numéro 1340121.
[2]En 2002, le commissaire a notifié à Hoffmann-La Roche que le brevet redélivré était périmé pour cause de non-paiement de la somme correcte en taxes annuelles. Hoffmann-La Roche reconnaît qu'elle a omis, par une erreur de bonne foi, de verser les taxes annuelles concernant le brevet redélivré. La présente demande de contrôle judiciaire vise à maintenir les droits de brevet.
[3]La Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, expose les effets de l'omission du paiement des taxes réglementaires. Elle dispose au paragraphe 46(2) [mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 43]: «En cas de non-paiement dans le délai réglementaire des taxes réglementaires, le brevet est périmé.» Le défendeur fait valoir que cette disposition est claire, impérative et sans recours. Il soutient même que la demande de contrôle judiciaire est dépourvue de tout fondement, car le brevet est devenu périmé par l'effet des dispositions strictes de la Loi sur les brevets et de la rigueur des délais, et non par un acte de la part du commissaire aux brevets.
[4]De son côté, Hoffmann-La Roche soutient que la Loi sur les brevets doit être interprétée en fonction de son objet et de son contexte ainsi que des principes supérieurs de la common law tels que l'équité, les attentes légitimes, l'equity et la fin de non-recevoir. Elle prétend qu'elle ne doit pas perdre son brevet.
[5]Je ne peux trouver aucun moyen de droit qui permettrait à Hoffmann-La Roche de recouvrer ses droits de brevet. Par conséquent, je doit rejeter la demande de contrôle judiciaire.
[6]Cette demande soulève seulement deux questions. La première est la question préliminaire soulevée par le défendeur:
1) Le contrôle judiciaire est-il ouvert en l'espèce? Plus particulièrement, le commissaire aux brevets a-t-il pris quelque mesure qui puisse être attaquée par la voie du contrôle judiciaire?
[7]La seconde question a trait au bien-fondé de la demande:
2) Existe-t-il un fondement juridique en vertu duquel la Cour pourrait ordonner une mesure de réparation à l'égard d'Hoffmann-La Roche, malgré les dispositions manifestement rigoureuses de la Loi sur les brevets?
[8]Avant d'étudier ces questions, je dois exposer d'autres éléments contextuels.
I. Le contexte |
A. Les taxes périodiques |
[9]La Loi sur les brevets prescrit aux titulaires de brevets de payer des taxes périodiques sur une base annuelle. Dans le cas d'un nouveau brevet détenu par une grande entité, le titulaire du brevet ne paie rien la première année, puis paie 100 $ chaque année à partir de la deuxième année jusqu'à la date du cinquième anniversaire du brevet. Il paie ensuite 150 $ par année pour les années ultérieures. Les taxes augmentent encore au dixième anniversaire. Dans le cas d'un brevet redélivré, ce qui est le cas en l'espèce, le titulaire du brevet est tenu de continuer à verser les taxes pour le maintien du brevet à l'anniversaire du brevet d'origine: Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, article 46; Règles sur les brevets, DORS/96-423, annexe II, article 32a) [mod. par DORS/99-291, art. 19], b) [mod., idem], c) [mod., idem] et d) [mod., idem]; paragraphes 182(1), (2) et (3) (les textes visés sont reproduits en annexe).
[10]Si les taxes réglementaires ne sont pas acquittées dans le délai prescrit, le titulaire du brevet dispose d'un délai de grâce d'un an et doit payer une surtaxe de 200 $ pour paiement en souffrance, selon l'annexe II, article 32 des Règles sur les brevets. En règle générale, le commissaire notifie au titulaire de brevet le paiement en souffrance.
B. Mauvais classement du brevet redélivré |
[11]En l'espèce, tant Hoffmann-La Roche que le commissaire aux brevets ont commis des erreurs.
[12]Hoffmann-La Roche a erronément classé le brevet redélivré comme un nouveau brevet. Par conséquent, elle a cru qu'elle n'avait pas de taxes à payer au premier anniversaire du «nouveau» brevet. Or comme il s'agissait d'un brevet redélivré, une taxe de 150 $ était payable au huitième anniversaire du brevet d'origine, soit le 29 octobre 1999. Estimant qu'il s'agissait de la première année du brevet, Hoffmann-La Roche n'a rien payé en 1999, puis a payé en 2000 et en 2001 une taxe annuelle normale de 100 $ prescrite à l'égard d'un nouveau brevet. En d'autres termes, Hoffmann-La Roche a complètement omis un paiement de taxe de 150 $, exigible en octobre 1999. En outre, au lieu d'acquitter le paiement en souffrance accompagné de la surtaxe de paiement en souffrance l'année suivante, elle n'a payé que la taxe de 100 $ qui aurait été prescrite la deuxième année d'un nouveau brevet. À une nouvelle reprise, en se fondant toujours sur le mauvais classement du brevet, elle a acquitté un autre paiement de taxe de 100 $ en 2001. À cette époque toutefois, le bureau du commissaire avait détecté l'erreur et pris des mesures pour informer Hoffmann-La Roche de l'annulation de son brevet.
[13]Le commissaire a lui aussi commis une erreur. Comme je l'ai indiqué, le Bureau des brevets donne généralement un avis au titulaire de brevet qui ne respecte pas le délai prescrit. Cette mesure accorde au titulaire de brevet la possibilité de disposer d'un délai de grâce d'un an pour s'acquitter du paiement en souffrance et maintenir les droits conférés par le brevet.
[14]En l'espèce, le commissaire a communiqué avec Hoffmann-La Roche ou avec ses agents à plusieurs reprises. Presque toutes ces communications comportaient des erreurs. En voici un résumé:
1. Le 29 novembre 1999, un mois après la date d'exigibilité des taxes annuelles sur le brevet redélivré, le commissaire a adressé un avis à Borden Elliot Scott et Aylen, avocats d'Hoffmann-La Roche, où il déclarait ne pas avoir reçu les taxes réglementaires relatives au brevet no 1291429 (le brevet d'origine) et indiquait que les taxes prescrites, accompagnées de la surtaxe de 200 $ pour paiement en souffrance, étaient payables le 29 octobre 2000. Naturellement, à cette époque, le brevet d'origine avait été remplacé par le brevet redélivré. L'avis était donc erroné.
2. Le 19 septembre 2001, le commissaire a envoyé un avis où il déclarait ne pas avoir reçu les taxes périodiques et la surtaxe pour paiement en souffrance relatives au brevet redélivré à l'échéance finale du 10 novembre 2000. Cet avis était erroné à l'égard de la véritable échéance, qui était le 29 octobre 2000. De plus, l'avis avait été envoyé au cabinet d'avocats Bereskin et Parr, qui n'avait aucun lien avec Hoffmann-La Roche. Le cabinet Bereskin et Parr a reçu l'avis en décembre 2001 et l'a acheminé aux avocats d'Hoffmann-La Roche une semaine plus tard. Comme les taxes étaient exigibles le 29 octobre 2000 au plus tard, l'avis arrivait 14 mois trop tard pour être utile à Hoffmann-La Roche.
3. Le 19 septembre 2001, le Bureau des brevets a également avisé la société Computer Patent Annuities (CPA), engagée sous contrat par Hoffmann-La Roche pour la gestion de ses paiements de taxes réglementaires, qu'il rembourserait les taxes de 100 $ payées à l'égard du brevet redélivré en octobre 2000. CPA dit n'avoir jamais reçu cet avis. Même si elle l'avait reçu, elle n'aurait pu effectuer le paiement correct à temps.
4. Le 5 novembre 2001, le Bureau des brevets a dit à CPA qu'il rembourserait la somme de 100 $ envoyée pour le compte d'Hoffmann-La Roche le mois précédent. Il a déclaré que les taxes prescrites étaient en fait exigibles le 29 octobre 1999 et que les paiements en souffrance étaient exigibles un an plus tard. C'était le premier avis qui informait Hoffmann-La Roche que son brevet était devenu périmé pour non-paiement des taxes.
5. En réponse aux demandes de renseignements de CPA, le Bureau des brevets a déclaré, dans une télécopie adressée à CPA en date du 28 novembre 2001, qu'il pensait qu'Hoffmann-La Roche avait l'intention d'abandonner le brevet redélivré. Le lendemain, le Bureau des brevets a envoyé une autre télécopie à CPA lui demandant de ne pas tenir compte de la télécopie précédente.
6. Le 12 décembre 2001, le Bureau des brevets a dit à CPA de ne pas tenir compte des deux télécopies précédentes. Il a dit que les taxes périodiques relatives au brevet redélivré étaient devenues exigibles le 10 novembre 1999 et que, comme le paiement prescrit n'avait pas été reçu, le brevet était devenu périmé le 10 novembre 2000. En réalité, les taxes périodiques étaient exigibles le 29 octobre 1999.
7. Le 8 janvier 2002, le Bureau des brevets a corrigé les erreurs de date de ses deux avis précédents.
[15]Comme on peut le voir, jusqu'en janvier 2002 presque aucune des communications du Bureau des brevets à Hoffmann-La Roche au sujet du brevet redélivré n'était exacte. Hoffmann-La Roche n'a été avisée de ses paiements de taxes périodiques en souffrance qu'à une date beaucoup trop tardive pour qu'elle soit en mesure de faire quoi que ce soit pour remédier à la situation.
[16]Il m'apparaît que le Bureau des brevets a probablement omis d'enregistrer la redélivrance du brevet. Puis, comme Hoffmann-La Roche, le Bureau semble avoir classé par erreur le brevet redélivré comme un nouveau brevet. Il n'a rectifié le dossier que très longtemps après la dernière échéance de paiement des taxes.
II. Les questions soulevées |
1. Le contrôle judiciaire est-il ouvert en l'espèce? Plus particulièrement, le commissaire aux brevets a-t-il pris quelque mesure qui puisse être attaquée par la voie du contrôle judiciaire? |
[17]Le commissaire fait valoir qu'il n'a rendu aucune décision ou ordonnance à l'égard de la demanderesse et que, par conséquent, la demande de contrôle judiciaire de celle-ci est dépourvue de tout fondement.
[18]À mon avis, le commissaire interprète de manière trop étroite la portée du contrôle judiciaire. Le défendeur suggère que le seul écoulement du temps a entraîné la déchéance du brevet de la demanderesse. Selon la position du commissaire, étant donné qu'il n'avait aucun contrôle sur l'écoulement implacable du temps, le défaut de paiement de la demanderesse à une échéance réglementaire n'a fait intervenir aucune décision de sa part.
[19]J'estime que cette question a été tranchée dans la décision Pfizer Inc. c. Canada (Commissaire aux brevets) (1999), 1 C.P.R. (4th) 200 (C.F. 1re inst.), infirmée pour d'autres motifs par: (2000), 9 C.P.R. (4th) 13 (C.A.F.). La Cour a statué que le contrôle judiciaire était ouvert à l'égard de déclarations présentées dans des lettres du commissaire aux brevets à un titulaire de brevet, faisant état de la validité d'un brevet particulier. Peut faire l'objet d'un contrôle judiciaire toute «décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l'office fédéral»: Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7 [art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14)], paragraphe 18.1(3) [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27]; Markevich c. Canada, [1999] 3 C.F. 28 (1re inst.). À mes yeux, cette formulation a une portée suffisamment large pour s'appliquer à l'avis donné par le commissaire à Hoffmann-La Roche au sujet de l'expiration de son brevet.
[20]Cela n'implique toutefois pas que le commissaire a rendu une décision formelle qui appellerait nécessairement les conditions de l'équité procédurale ou d'autres attributs de la prise de décision administrative. Ce point sera examiné de façon plus approfondie ci-dessous. Pour la présente question, je dois seulement décider si le contrôle judiciaire est ouvert en l'espèce. Je suis d'avis qu'il est satisfait au critère.
2. Existe-t-il un fondement juridique en vertu duquel la Cour pourrait ordonner une mesure de réparation à l'égard d'Hoffmann-La Roche, malgré les dispositions manifestement rigoureuses de la Loi sur les brevets? |
[21]Hoffmann-La Roche a soulevé un certain nombre de motifs juridiques à l'appui de son argumentation selon laquelle la Cour devrait reconnaître la validité de son brevet redélivré, en dépit du fait qu'elle ait admis ne pas avoir payé dans les délais les taxes périodiques prescrites.
[22]Avant de me pencher sur ces arguments, il est indiqué de dire un mot sur l'objet du régime des taxes périodiques.
[23]Dans l'arrêt Dutch Industries Ltd. c. Canada (Commissaire aux brevets), [2003] 4 C.F. 67 (C.A.), la Cour d'appel fédérale, au paragraphe 30, a déclaré que les dispositions sur les taxes périodiques de la Loi sur les brevets visent les objets suivants:
Le régime de paiement de taxes périodiques annuelles a été instauré en vue de décourager la prolifération de brevets et de demandes de brevets inutiles en obligeant les titulaires et les demandeurs de brevets, au moins une fois par année, à entreprendre des démarches pour les conserver en état.
[24]Cette approche permet aux titulaires de brevets qui ne sont plus intéressés à conserver leurs brevets de les laisser simplement expirer. Elle n'exige aucune mesure de la part du titulaire ni du commissaire.
[25]Il est certain que les taxes périodiques fournissent aussi au Bureau des brevets un moyen de recouvrer les coûts reliés à l'administration d'un dispositif administratif complexe et onéreux.
[26]Je dois aussi examiner le contexte général dans lequel s'inscrit la disposition rigoureuse du paragraphe 46(1) [mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 33, art. 16]. Les parties conviennent que la Loi sur les brevets établit un équilibre entre l'intérêt public et l'intérêt des titulaires de brevets. Le juge Binnie dans Free World Trust c. Électro-Santé Inc., [2000] 2 R.C.S. 1024, au paragraphe 13, a exprimé l'idée comme suit:
La protection assurée par un brevet se fonde sur la notion d'un marché conclu entre l'inventeur et le public. En contrepartie de la divulgation de l'invention, l'inventeur obtient, pour un certain laps de temps, le droit exclusif de l'exploiter. Il en a toujours été ainsi.
[27]Les titulaires de brevets jouissent des avantages de ce marché mais doivent, en contrepartie, assumer certaines charges et obligations. Ils sont notamment tenus de payer des taxes périodiques pour le maintien du brevet.
[28]Néanmoins, les tribunaux ont reconnu que le régime des taxes périodiques est compliqué, que les risques d'erreurs innocentes sont grands et que les conséquences du non-respect de la disposition rigoureuse du paragraphe 46(2) sont «catastrophiques». Par conséquent, les tribunaux devraient accorder aux titulaires de brevets le bénéfice des omissions ou ambiguïtés des dispositions législatives: Dutch Industries Ltd., précité.
[29]En l'espèce, tout en le déplorant, je ne trouve aucune omission ou ambiguïté susceptible d'être résolue en faveur d'Hoffmann-La Roche. Je ne trouve non plus aucun fondement juridique que pourrait invoquer la demanderesse pour se soustraire aux conséquences catastrophiques de l'inobservation du paragraphe 46(1). La loi est claire. En fait, les dispositions de la Loi sur les brevets visant la durée des brevets sont expressément assujetties aux conditions des articles 46, 43 [mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 42], 44 [mod., idem] et 45 [mod. par L.C. 2001, ch. 10, art. 1].
a) L'équité |
[30]Hoffmann-La Roche soutient que le commissaire aux brevets était tenu de lui donner un avis avant de décider qu'elle avait manqué aux dispositions du paragraphe 46(1). Elle fait valoir que si elle avait reçu sans délai un avis l'informant de son omission de payer les taxes annuelles prescrites, elle aurait facilement pu rectifier la situation avant l'échéance finale. Elle suggère que l'avis fait partie de l'obligation du commissaire de traiter avec équité les titulaires de brevets.
[31]Je ne considère pas la présente situation comme un cas où l'obligation de l'équité impose de donner un avis avant qu'une décision soit prise. L'objet normal d'un avis est de permettre à la personne visée de présenter des observations au décideur avant qu'une décision défavorable soit prise à son endroit. Ce n'est pas le but qui serait atteint par l'obligation de donner un avis en l'occurrence. La demanderesse veut effectivement que le commissaire soit tenu de donner aux titulaires de brevets un avis de la situation de leurs taxes périodiques afin d'alléger l'obligation leur incombant pour se conformer au paragraphe 46(1). À mon avis, cette condition serait contraire à l'intention manifeste du législateur d'attribuer la charge entière du respect de la loi aux titulaires de brevets.
[32]En outre, Hoffmann-La Roche exagère le rôle du commissaire dans ce domaine. J'ai déclaré précédemment que la conclusion du commissaire portant qu'un titulaire de brevet avait manqué au paragraphe 46(1) pouvait faire l'objet d'un contrôle judiciaire. Cependant, cela ne signifie pas nécessairement que le commissaire a l'obligation de donner un avis au titulaire de brevet, de recevoir des observations de sa part et de lui donner la possibilité de satisfaire aux dispositions visées. J'admets que le commissaire a l'obligation générale de veiller à l'administration équitable de la Loi sur les brevets, mais je ne lui imposerais pas les obligations spécifiques que fait valoir la demanderesse. En réalité, le commissaire se contente de noter que le titulaire de brevet a acquitté le paiement prescrit dans le délai réglementaire. Sans doute, les faits de l'espèce font voir que cette tâche apparemment simple est plus difficile qu'on pourrait le penser, mais la difficulté provient de la complexité du régime et du volume de brevets administrés par le Bureau des brevets. Cela ne veut pas dire que le commissaire exerce un rôle qui devrait lui imposer l'obligation de permettre aux titulaires de brevets de recevoir un avis et d'être entendus avant d'être jugés en défaut. La jurisprudence mentionnée par la demanderesse traite de l'obligation faite aux décideurs de fournir un avis et de recevoir des observations des parties touchées avant de rendre des décisions sur des sujets d'importance considérable. Ces affaires se distinguent de la situation en l'espèce: Rodney c. Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration, [1972] C.F. 663 (C.A.); O'Reilly and Local Board of Health of the Kingston, Frontenac and Lennox & Addington Health Unit (Re) (1983), 43 O.R. (2d) 664 (C. div.).
[33]Enfin, il n'est pas évident que l'obligation de donner un avis serait de quelque utilité aux titulaires de brevets. Comme je l'ai mentionné, le rôle du commissaire dans ce contexte se limite à informer le titulaire du brevet qu'il a outrepassé le délai absolu fixé pour le paiement des taxes périodiques. Il serait impossible d'aviser les titulaires de brevets de la situation avant l'expiration du brevet du fait que la Loi prévoit l'expiration du brevet en cas de non-respect du délai. Il est certain que le commissaire n'a «pas le pouvoir de remédier aux conséquences d'un versement insuffisant de taxes périodiques» (Dutch Industries Ltd., précité, au paragraphe 41). L'avis ne donnerait pas aux titulaires de brevets l'occasion de satisfaire aux dispositions visées. Je le répète, ce qu'Hoffmann- La Roche recherche n'est pas une forme d'avis relié à la fonction réelle du commissaire, mais un avis en continu sur la situation des paiements de taxes périodiques ou, à tout le moins, un avis portant qu'un brevet va arriver sous peu à expiration. Je ne vois aucun fondement juridique pour imposer au commissaire l'obligation de donner un avis de cette nature.
b) Les attentes légitimes |
[34]Le Bureau des brevets donne depuis longtemps des avis aux titulaires de brevets qui n'acquittent pas le paiement des taxes périodiques à l'échéance initiale. En l'occurrence, Hoffmann-La Roche a présenté des éléments de preuve par affidavit indiquant que le Bureau des brevets avait spécifiquement cherché à lui donner des avis dans tous les cas de non-respect des délais. Hoffmann-La Roche fait valoir que ces circonstances créent l'obligation de donner un avis, selon la doctrine des attentes légitimes.
[35]Le juge Sopinka a exposé le fondement de cette doctrine dans l'arrêt Assoc. des résidents du Vieux St-Boniface Inc. c. Winnipeg (Ville), [1990] 3 R.C.S. 1170. Après avoir cité divers arrêts, il a dit, à la page 1204:
Le principe élaboré dans cette jurisprudence n'est que le prolongement des règles de justice naturelle et de l'équité procédurale. Il accorde à une personne touchée par la décision d'un fonctionnaire public la possibilité de présenter des observations dans des circonstances où, autrement, elle n'aurait pas cette possibilité. La cour supplée à l'omission dans un cas où, par sa conduite, un fonctionnaire public a fait croire à quelqu'un qu'on ne toucherait pas à ses droits sans le consulter.
[36]Selon la doctrine des attentes légitimes, les décideurs sont tenus de fournir aux personnes dont les intérêts sont visés la possibilité de présenter des observations. La doctrine s'applique dans le cas où le comportement du décideur suggère clairement que les personnes touchées auront la possibilité de présenter leurs observations avant qu'une décision soit rendue. Par exemple, avant d'opérer un changement fondamental de politique, un organe public est tenu de donner un avis et la possibilité d'être entendue à la personne qui, par entente expresse, se fonde sur la politique antérieure: Canada (Procureur général) c. Canada (Tribunal des droits de la personne) (1994), 19 Admin. L.R. (2d) 69 (C.F. 1re inst.).
[37]Hoffmann-La Roche soutient que le comportement du commissaire et ses engagements exprès au sujet des avis concernant les droits périodiques ont créé des attentes légitimes chez les titulaires de brevets. À mon avis, toutefois, l'une des conditions nécessaires pour reconnaître la doctrine des attentes légitimes manque en l'espèce: le commissaire n'a pu donner l'impression que les intérêts d'un titulaire de brevet ne seraient pas lésés si on lui donnait un avis et l'occasion de présenter des observations. Comme j'en ai traité précédemment, le rôle restreint du commissaire à l'égard des taxes périodiques exclut simplement ces éléments de l'obligation d'équité. Point encore plus important, toutefois, le paragraphe 46(2) de la Loi sur les brevets dispose nettement que le brevet est périmé en cas de non-paiement des taxes réglementaires. Le commissaire ne pourrait laisser entendre que les dispositions rigoureuses de la Loi ne s'appliqueraient pas si le titulaire du brevet n'avait pas reçu un préavis de l'annulation imminente.
[38]En fait, Hoffmann-La Roche s'est manifestement fiée à la pratique générale du commissaire d'envoyer un avis dans le cas de non-respect d'une échéance initiale. Ce fait n'est toutefois pas suffisant pour créer l'obligation correspondante chez le commissaire.
c) L'equity |
[39]Hoffmann-La Roche fait valoir que la Cour a le pouvoir, en equity, de soustraire une personne aux dispositions rigoureuses du paragraphe 46(1). Spécifiquement, elle dit que la Cour peut prolonger le délai réglementaire des taxes périodiques dans des circonstances appropriées.
[40]Il est clair que la Cour peut accorder une réparation en equity pour empêcher la confiscation de biens en vertu d'un contrat privé, comme un bail: Comtab Ventures Ltd. c. Canada (1984), 35 Alta. L.R. (2d) 230 (C.F. 1re inst.); Holachten Meadows Mobile Home Park Ltd. c. La Reine, [1986] 1 C.F. 238 (1re inst.).
[41]Mais la situation est entièrement différente dans le cas où la confiscation résulte d'une règle légale. Les juges sont tenus de donner effet aux lois: Canadian Northern Ry. Co. v. The King (1922), 64 R.C.S. 264; Martin Mine Ltd. v. British Columbia, [1985] 4 W.W.R. 515 (C.A.C.-B.); Olympia & York Developments Ltd. v. Calgary (City) (1983), 45 A.R. 204 (C.A.).
[42]Hoffmann-La Roche concède que ces décisions font autorité mais suggère que la situation devrait être différente dans le cas d'une personne qui perd un droit de propriété, en partie par l'effet d'une erreur d'un organe public. Ce serait probablement vrai si la formulation de la loi applicable laissait place à un pouvoir discrétionnaire ou à un compromis. Toutefois, je ne peux voir aucune place à réparation dans l'affaire qui m'est soumise. La loi est claire. Si je devais prolonger le délai de paiement des taxes réglementaires en l'espèce, je substituerais ma propre échéance à celle qui a été édictée par le législateur. Comme lord Parmoor l'a déclaré dans l'arrêt R. v. C.N.R. Co., [1923] 3 D.L.R. 719 (P.C.), à la page 725, précité, [traduction] «si le pouvoir conféré aux tribunaux de soustraire une personne aux sanctions s'appliquait aux sanctions législatives, cela reviendrait à donner aux tribunaux le pouvoir d'abroger les lois». Je refuse de reconnaître ce pouvoir.
d) La fin de non-recevoir |
[43]Hoffmann-La Roche soutient que le commissaire n'a pas le droit de déclarer que son brevet est périmé du fait qu'il a accepté une somme inférieure à celle qui était payable. Le commissaire n'envoie d'avis qu'en cas de non-paiement des taxes à l'échéance, et non dans les cas où les paiements sont faits à temps. Le silence du commissaire, fait valoir la demanderesse, est la seule assurance donnée aux titulaires de brevets qu'ils ont pleinement satisfait aux dispositions de la Loi. En l'espèce, le commissaire ne s'est pas manifesté en 1999 quand Hoffmann-La Roche devait 150 $ mais n'a rien payé. Il ne s'est pas manifesté non plus en 2000 quand Hoffmann-La Roche a payé 100 $, alors qu'elle en devait 350 $. Pareil silence, prétend la demanderesse, signifie que le commissaire lui avait déjà donné l'assurance qu'elle respectait la Loi, assurance sur laquelle elle s'est appuyée et sur laquelle il ne pouvait revenir par la suite.
[44]S'agissant de la réparation en equity, examinée ci-dessus, la Loi sur les brevets répond clairement aux arguments que soulève Hoffmann-La Roche. Un tribunal ne peut accorder une réparation qui est contraire aux dispositions expresses d'une loi. Lord Maugham l'a reconnu dans l'arrêt Maritime Electric Co. v. General Dairies Ltd., [1937] 1 D.L.R. 609 (C.P.), où il a dit que [traduction] «l'obligation de se conformer au droit positif l'emporte sur le devoir de ne pas causer de préjudice à une autre personne par inadvertance» (à la page 614). Il a ensuite fait observer qu'[traduction] «il n'y a pas une seule décision dans laquelle la fin de non-recevoir a été accueillie à l'encontre d'une obligation légale de nature inconditionnelle» (à la page 614).
[45]Dans les cas où la loi applicable est moins rigoureuse, les tribunaux peuvent admettre la fin de non-recevoir: Commission hydro-électrique de Kenora (ville) c. Vacationland Dairy Co-operative Ltd., [1994] 1 R.C.S. 80. De la même manière, si le fonctionnaire a un pouvoir discrétionnaire, il peut être tenu par la fin de non-recevoir: Aurchem Exploration Ltd. c. Canada (1992), 91 D.L.R. (4th) 710 (C.F. 1re inst.); Saskatchewan (Environmental Assessment Act, Minister) v. Kelvington Super Swine Inc. (1997), 161 Sask. R. 111 (B.R.); Saskatchewan (Minister of the Environment) v. Redberry Development Corp., [1992] 2 W.W.R. 544 (C.A. Sask.).
[46]Toutefois, je ne vois en l'espèce aucun fondement qui justifie de reconnaître une fin de non-recevoir à l'encontre du commissaire. La Loi sur les brevets n'accorde aucune latitude. Le commissaire n'a non plus aucun pouvoir discrétionnaire.
III. Conclusion |
[47]Comme Hoffmann-La Roche m'a pressé de le faire, j'ai examiné l'ensemble du contexte dans lequel s'inscrit l'article 46, notamment le régime de la Loi sur les brevets, l'objet de la disposition visée ainsi que les doctrines de l'équité, des attentes légitimes, de l'equity et de la fin de non-recevoir en common law. Au terme de l'examen, je ne vois toujours pas de fondement juridique qui me permette d'accorder une réparation à Hoffmann-La Roche. Par conséquent, je dois rejeter sa demande de contrôle judiciaire.
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE:
1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée, les dépens étant attribués au défendeur. |
Annexe
Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4
43. (1) Sous réserve de l'article 46, le brevet accordé sous le régime de la présente loi est délivré sous le sceau du Bureau des brevets. Il mentionne la date de dépôt de la demande, celle à laquelle elle est devenue accessible au public sous le régime de l'article 10, celle à laquelle il a été accordé et délivré ainsi que tout renseignement réglementaire.
(2) Une fois délivré, le brevet est, sauf preuve contraire, valide et acquis au breveté ou à ses représentants légaux pour la période mentionnée aux articles 44 ou 45.
44. Sous réserve de l'article 46, la durée du brevet délivré sur une demande déposée le 1er octobre 1989 ou par la suite est limitée à vingt ans à compter de la date de dépôt de cette demande.
45. (1) Sous réserve de l'article 46, la durée du brevet délivré au titre d'une demande déposée avant le 1er octobre 1989 est limitée à dix-sept ans à compter de la date à laquelle il est délivré.
(2) Si le brevet visé au paragraphe (1) n'est pas périmé à la date de l'entrée en vigueur du présent article, sa durée est limitée à dix-sept ans à compter de la date à laquelle il a été délivré ou à vingt ans à compter de la date de dépôt de la demande, la date d'expiration la plus tardive prévalant.
46. (1) Le titulaire d'un brevet délivré par le Bureau des brevets conformément à la présente loi après l'entrée en vigueur du présent article est tenu de payer au commissaire, afin de maintenir les droits conférés par le brevet en état, les taxes réglementaires pour chaque période réglementaire.
(2) En cas de non-paiement dans le délai réglementaire des taxes réglementaires, le brevet est périmé.
Règles sur les brevets, DORS/96-423
182. (1) Pour l'application des articles 45 et 46 de la Loi, la taxe applicable prévue à l'article 32 de l'annexe II pour le maintien en état des droits conférés par un brevet délivré le 1er octobre 1989 ou par la suite est payée à l'égard des périodes indiquées à cet article, avant l'expiration des délais qui y sont fixés.
(2) Au paragraphe (1), «brevet» ne vise pas le brevet redélivré.
(3) Sous réserve du paragraphe (4), pour l'application de l'article 45 de la Loi, la taxe applicable prévue à l'article 32 de l'annexe II pour le maintien en état des droits conférés par un brevet redélivré est payée à l'égard des mêmes périodes et avant l'expiration des mêmes délais, y compris les délais de grâce, que pour le brevet original.
[. . .]
TAXES POUR LE MAINTIEN EN ÉTAT
32. Maintien en état des droits conférés par un brevet délivré le 1er octobre 1989 ou par la suite au titre d'une demande déposée avant cette date, selon les paragraphes 182(1) et (3) des présentes règles:
a) à l'égard de la période d'un an se terminant au 3e anniversaire de la délivrance du brevet: |
(i) taxe, si elle est payée au plus tard le 2e anniversaire: |
(A) lorsque le breveté est une petite entité |
50,00 |
(B) lorsque le breveté est une grande entité |
100,00 |
(ii) taxe, y compris la surtaxe pour paiement en souffrance, si elle est payée dans le délai de grâce d'un an suivant le 2e anniversaire: |
(A) lorsque le breveté est une petite entité |
250,00 |
(B) lorsque le breveté est une grande entité |
300,00 |
b) à l'égard de la période d'un an se terminant au 4e anniversaire de la délivrance du brevet: |
(i) taxe, si elle est payée au plus tard le 3e anniversaire: |
(A) lorsque le breveté est une petite entité |
50,00 |
(B) lorsque le breveté est une grande entité |
100,00 |
(ii) taxe, y compris la surtaxe pour paiement en souffrance, si elle est payée dans le délai de grâce d'un an suivant le 3e anniversaire: |
(A) lorsque le breveté est une petite entité |
250,00 |
(B) lorsque le breveté est une grande entité |
300,00 |
c) à l'égard de la période d'un an se terminant au 5e anniversaire de la délivrance du brevet: |
(i) taxe, si elle est payée au plus tard le 4e anniversaire: |
(A) lorsque le breveté est une petite entité |
50,00 |
(B) lorsque le breveté est une grande entité |
100,00 |
(ii) taxe, y compris la surtaxe pour paiement en souffrance, si elle est payée dans le délai de grâce d'un an suivant le 4e anniversaire: |
(A) lorsque le breveté est une petite entité |
250,00 |
(B) lorsque le breveté est une grande entité |
300,00 |
d) à l'égard de la période d'un an se terminant au 6e anniversaire de la délivrance du brevet: |
(i) taxe, si elle est payée au plus tard le 5e anniversaire: |
(A) lorsque le breveté est une petite entité |
75,00 |
(B) lorsque le breveté est une grande entité |
150,00 |
(ii) taxe, y compris la surtaxe pour paiement en souffrance, si elle est payée dans le délai de grâce d'un an suivant le 5e anniversaire: |
(A) lorsque le breveté est une petite entité |
275,00 |
(B) lorsque le breveté est une grande entité |
350,00 |
Loi sur les cours fédérales, L.R. C. (1985), ch. F-7
18.1 [. . .]
(3) Sur présentation d'une demande de contrôle judiciaire, la Cour fédérale peut:
a) ordonner à l'office fédéral en cause d'accomplir tout acte qu'il a illégalement omis ou refusé d'accomplir ou dont il a retardé l'exécution de manière déraisonnable;
b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu'elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l'office fédéral.