T-950-02
2003 CF 1158
Douglas Martin et l'Alliance de la fonction publique du Canada (demandeurs)
c.
Le Procureur général du Canada (défendeur)
Répertorié: Martinc. Canada (Procureur général) (C.F.)
Cour fédérale, juge Tremblay-Lamer--Vancouver, 23 août; Ottawa, 6 octobre 2003.
Relations du travail -- Contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent d'appel a annulé les instructions données par un agent de sécurité de DRHC en vertu de l'art. 145(2)a) et b) du Code canadien du travail -- Question en litige de savoir si constitue un danger l'accomplissement par les gardes de parc de tâches d'application de la loi sans qu'ils soient munis d'arme à feu -- L'agent de sécurité a enjoint à Parcs Canada soit de modifier les fonctions d'application de la loi des gardes, soit de les protéger des dangers en découlant -- L'agent d'appel a tranché en faveur de la direction et statué que l'agent de sécurité avait confondu risque et danger -- Le sens de «danger» dans le Code -- La loi confère aux agents d'appel de vastes pouvoirs d'enquête s'ajoutant à ceux conférés aux agents de santé et sécurité -- Ils ont le pouvoir de pénétrer dans tout lieu de travail et d'y évaluer la situation -- Il faut faire preuve de déférence face aux conclusions de fait des tribunaux spécialisés en relations de travail et aux interprétations qu'ils font de la loi -- L'agent d'appel a conclu que les instructions de l'agent de sécurité se fondaient sur un simple exercice théorique -- On ne pouvait conclure que les motifs n'étayaient pas la décision contestée -- En l'absence d'une preuve démontrant qu'un garde de parc est susceptible de subir une blessure grave ou la mort dans l'accomplissement d'une tâche d'application de la loi, l'agent de sécurité devra conclure en l'absence de danger -- L'agent d'appel a conclu que le danger était purement hypothétique ou spéculatif -- La Cour doit tenir compte des répercussions d'une conclusion d'existence de danger: il peut y avoir fermeture d'une entreprise ou cessation d'une activité èa l'échelle nationale -- On n'a pas démontré l'existence d'un risque susceptible de constituer un danger, dont la probabilité serait réduite par le port d'un pistolet -- Si la présence d'un risque d'après la description de travail suffisait pour conclure en l'existence d'un danger, des instructions devraient être transmises en vertu de l'art. 145(2) à l'égard de chaque emploi comportant un élément de risque.
Droit administratif -- Contrôle judiciaire -- Certiorari -- Norme de contrôle judiciaire -- Décision par laquelle un agent d'appel a annulé les instructions données par un agent de sécurité de DRHC en vertu du Code canadien du travail -- Question de savoir si constitue un danger l'accomplissement par les gardes de parc de tâches d'application de la loi sans qu'ils soient munis d'arme à feu -- Degré de déférence établi en fonction de la méthode pratique et fonctionnelle -- Clause privative -- Degré d'expertise du tribunal -- Objet de la loi -- Nature de la question -- Les agents d'appel ayant de larges pouvoirs d'enquête, ils sont mieux placés que la Cour pour évaluer les conditions existantes dans un lieu de travail -- Les dispositions de la loi visent la protection du public -- La question en litige n'en est pas une de pur droit -- L'agent d'appel fait enquête sur des faits, pour établir si la situation tombe ou non sous le coup de la définition de «danger» au Code -- La norme de la décision manifestement déraisonnable serait applicable, si ce n'était le fait que la Cour se penche pour la première fois sur la nouvelle définition de «danger» au Code -- La norme applicable en l'espèce est celle de la décision raisonnable simpliciter -- La décision contestée reposait sur la conclusion selon laquelle le danger était purement hypothétique ou spéculatif -- Tout bien considéré, on ne peut dire que les motifs énoncés n'étayaient pas cette décision.
Pratique -- Caractère théorique -- Demande de contrôle judiciaire relativement à la question de savoir s'il y a danger pour les gardes de parc non armés d'accomplir des tâches d'application de la loi -- Le procureur général a soutenu que le litige était théorique, comme les gardes de parc n'ont plus à s'acquitter d'activités d'application de la loi -- Le litige n'est pas purement théorique puisqu'on se prononce sur la norme de contrôle à appliquer aux décisions rendues par les agents d'appel en application du Code canadien du travail.
Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire visant la décision par laquelle un agent d'appel a annulé les instructions données par un agent de sécurité de Développement des ressources humaines Canada.
Le directeur général de Parcs Canada avait donné comme directive qu'on n'inclue pas automatiquement un pistolet dans l'équipement des gardes de parc, qui doivent notamment exercer des tâches d'application de la loi en vertu de la Loi sur les parcs nationaux du Canada. M. Martin, l'un des demandeurs aux présentes, a présenté une plainte à un agent de sécurité, au motif qu'on ne lui avait pas fourni l'équipement de protection requis. Après enquête, l'agent de sécurité a conclu que constituait un danger pour un garde de parc le fait de ne pas être muni d'un pistolet. Exerçant le pouvoir que lui confèrent les alinéas 145(2)a) et b) du Code canadien du travail, l'agent de sécurité a enjoint à Parcs Canada soit de modifier les fonctions d'application de la loi des gardes, soit de les protéger des dangers découlant de celles-ci. Parcs Canada a interjeté appel devant le Bureau d'appel canadien en santé et sécurité au travail. M. Martin et l'AFPC ont également fait appel, parce qu'on n'allait pas dans les instructions jusqu'à ordonner expressément de fournir des pistolets. L'agent d'appel a tranché en faveur de la direction, étant d'avis que l'agent de sécurité avait confondu risque et danger et qu'on n'avait pas prouvé l'existence d'un danger. Une politique instauré en 1989 prévoyait la fourniture d'une matraque, d'un vaporisateur de poivre et d'un gilet de protection aux gardes de parc exerçant des activités d'application de la loi. On ne prévoyait la fourniture d'une arme à feu qu'en des circonstances particulières.
On a saisi la Cour de trois questions. 1) Quelle norme de contrôle est applicable? 2) L'agent d'appel a-t-il interprété erronément la définition de «danger» au sens du Code? 3) Le litige est-il théorique?
Jugement: la Cour a statué en faveur du rejet de la demande.
Pour ce qui est de la norme de contrôle, la Cour suprême du Canada a confirmé dans Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia que la cour qui révise doit appliquer la méthode pragmatique et fonctionnelle pour établir le degré de déférence dont il faut faire preuve. Le premier des quatre facteurs pris en compte selon cette méthode concerne la présence ou l'absence d'une clause privative. Une disposition législative qui, comme en l'espèce, autorise les appels laisse voir qu'une déférence moindre devant la décision du tribunal est indiquée. Le facteur le plus important, toutefois, concerne le degré d'expertise du tribunal. Il s'agit là d'un concept relatif. Il incombe à la cour de qualifier l'expertise du décideur, de prendre en compte sa propre expertise et de cerner la nature de la question dont le décideur était saisi. L'expertise relative peut se rapporter à des questions de pur droit, des questions de fait et de droit ou des questions strictement de fait.
Le troisième facteur c'est l'objet de la loi. Si cet objet est de protéger le public et met en jeu des questions de politique ou requiert la mise en balance d'intérêts, l'on devra faire preuve d'une plus grande retenue. Si l'objet législatif s'écarte sensiblement du rôle habituel des cours, une plus grande retenue judiciaire est alors indiquée.
Le dernier facteur est celui de la nature de la question. La retenue sera plus grande à l'égard de questions de fait que de questions de droit. Cela est particulièrement vrai lorsque la question de droit est de portée générale ou pourra avoir fortement valeur de précédent. Mais bien sûr, nombre de décisions concernent des questions tant de fait que de droit. On fera alors preuve de plus de retenue si la question est davantage axée sur les faits, et d'une retenue moindre si elle est plus axée sur le droit.
En l'espèce, les modifications législatives de 2000 prévoient une clause privative intégrale venant protéger la décision d'un agent d'appel. Cela démontre de manière péremptoire que le législateur souhaitait la retenue face à pareille décision. Qui plus est, on a accordé aux agents d'appel de larges pouvoirs d'enquête s'ajoutant à ceux conférés aux agents de santé et sécurité. Les agents d'appel ont une expertise plus poussée que la Cour pour ce qui est d'établir si la situation dans un lieu de travail constitue ou non un danger au sens du Code. Ils ont le pouvoir de pénétrer dans un lieu de travail et d'y évaluer les conditions existantes. Il n'y a pas lieu que la Cour modifie les conclusions tirées par les agents d'appel.
Le pouvoir de donner des instructions, en vertu du paragraphe 145(2), vise à empêcher les accidents dans le lieu de travail et ainsi à protéger le public. C'était là un motif additionnel pour qu'une plus grande déférence soit accordée aux décisions des agents d'appel.
Pour ce qui est du dernier facteur, soit la nature de la question, la Cour n'a pu admettre la prétention des demandeurs selon laquelle on avait affaire à une pure question de droit. L'agent d'appel doit faire enquête sur les faits, pour établir si la situation dans le lieu de travail correspond ou non à la définition de danger prévue au Code. Tous les facteurs étant pris en compte, la norme de contrôle appropriée était celle de la décision manifestement déraisonnable.
Cela étant dit, c'était la première fois que la Cour avait l'occasion d'instruire une affaire ayant trait à la nouvelle définition du danger par suite des modifications de 2000. Cela rendait la question davantage axée sur le droit. De fait, toutes les observations présentées par les demandeurs tournaient autour de l'interprétation de cette nouvelle définition par l'agent d'appel. Il n'en découlait pas, malgré tout, que la norme de la décision correcte était applicable en l'espèce. La Cour suprême du Canada a statué que, face aux décisions des tribunaux spécialisés en contexte de relations de travail, la retenue doit s'étendre tant à la constatation des faits qu'à l'interprétation de la loi. Étant donné malgré tout la valeur de précédent de la présente décision pour les décisions d'autres agents d'appel, un «examen ou une analyse en profondeur» de la décision contestée serait indiqué en l'espèce, en conformité avec la norme de la décision raisonnable simpliciter.
L'agent de sécurité avait donné ses instructions au motif que, le comportement humain étant imprévisible, les gardes pouvaient avoir à recourir à la force meurtrière d'une arme dans l'accomplissement de leurs fonctions d'application de la loi. L'agent d'appel a convenu qu'il sera parfois impossible pour les gardes de parc de s'écarter d'une situation pour pouvoir évaluer la bonne conduite à prendre. Dans un tel cas, ils pourraient risquer de subir des blessures ou de se faire tuer. L'agent d'appel a néanmoins annulé les instructions de l'agent de sécurité parce qu'elles se fondaient essentiellement sur un exercice théorique.
En fonction de la norme de la décision raisonnable simpliciter, la cour ne doit pas intervenir à moins qu'on ait démontré le caractère déraisonnable de la décision, du fait qu'elle ne s'appuie sur aucun motif pouvant soutenir un examen quelque peu poussé. Tout bien considéré, on ne pouvait pas conclure que les motifs énoncés n'étayaient pas la décision contestée.
Il faut prendre en compte l'«ancienne» et la «nouvelle» définition de «danger» pour bien comprendre la décision de l'agent d'appel. Il est clair, selon la nouvelle définition de danger au Code, que peut constituer un danger une situation, tâche ou risque éventuel. Cela veut dire qu'un agent de sécurité n'a pas à se restreindre à la situation immédiate au moment de l'enquête en vue d'établir s'il existe ou non un «danger» au sens du Code. Les situations spéculatives sont toutefois toujours exclues de la définition modifiée. Ainsi, en l'absence d'une preuve spécifique démontrant qu'un garde est susceptible de subir une blessure grave ou la mort dans l'accomplissement d'une tâche d'application de la loi, l'agent de sécurité devra conclure en l'absence de danger. Quoique l'agent d'appel ait commis une erreur en concluant que la tâche devait immédiatement être susceptible de causer des blessures à la personne exposée, la nouvelle définition requiert bel et bien que la blessure survienne «avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée». Cette erreur n'a cependant pas porté atteinte à la décision dans son ensemble. Le fondement de la décision c'était que le danger était purement hypothétique et spéculatif. L'agent d'appel en serait venu à la même décision, qu'il y ait eu erreur ou non.
Bien que la Cour ne doive pas porter atteinte aux objectifs du législateur en matière de bien-être public, il y a lieu de tenir compte des importantes répercussions que peut avoir une conclusion de danger. Le paragraphe 145(2) confère à l'agent de sécurité des pouvoirs immenses, pouvant aller jusqu'à la fermeture d'une entreprise ou la cessation d'une activité à l'échelle nationale. La Cour a estimé comme le procureur général qu'en faisant preuve de discernement et en modifiant la tâche d'application de la loi elle-même, les gardes de parc pouvaient restreindre la possibilité d'une blessure grave ou même d'un décès. On n'a pas démontré que le risque était probable et que la possession d'un pistolet pouvait le réduire. Si la présence d'un risque d'après la description de travail suffisait pour pouvoir conclure en l'existence d'un danger, des instructions devraient être transmises en vertu du paragraphe 145(2) à l'égard de chaque emploi comportant un élément de risque.
Comme l'agent d'appel l'a conclu, il faut s'adonner à une analyse des risques et de leur maîtrise pour établir quels types de tâches d'application de la loi devraient être exercées et quelles mesures de protection devraient être prises. Il n'y a pas lieu de déclarer qu'existe un «danger» au sens du Code en l'absence de preuve qui le démontre.
Le procureur général a soutenu que le présent litige était théorique, comme les gardes de parc n'ont plus à s'acquitter d'activités d'application de la loi. Quoi qu'il en soit, le litige n'est pas purement théorique puisqu'on se prononce sur la norme de contrôle à appliquer aux décisions rendues par les agents d'appel en application du Code, tel qu'il est modifié.
lois et règlements
Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, art. 122(1) «danger» (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 9, art. 1; L.C. 2000, ch. 20, art. 2), 122.1 (édicté par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 9, art. 1), 145(2)a) (mod. par L.C. 2000, ch. 20, art. 14), b) (mod., idem), 145.1(2) (édicté, idem), 146.1 (édicté, idem), 146.2 (édicté, idem), 146.3 (édicté, idem), 146.4 (édicté, idem). |
Loi sur les parcs nationaux du Canada, L.C. 2000, ch. 32. |
jurisprudence |
décisions appliquées: |
Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226; (2003), 223 D.L.R. (4th) 599; [2003] 5 W.W.R. 1; 179 C.A. C.-B. 170; 11 B.C.L.R. (4th) 1; 48 Admin. L.R. (3d) 1; Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982; (1998), 160 D.L.R. (4th) 193; 11 Admin. L.R. (3d) 1; 43 Imm. L.R. (2d) 117; 226 N.R. 201; Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247; (2003), 257 N.B.R. (2d) 207; 223 D.L.R. (4th) 577; 48 Admin. L.R. (3d) 33; 31 C.P.C. (5th) 1; 302 N.R. 1; Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1993] 1 R.C.S. 941; (1993), 101 D.L.R. (4th) 673; 11 Admin. L.R. (2d) 59; 93 CLLC 14,022; 150 N.R. 161; Lester (W.W.) (1978) Ltd. c. Association unie des compagnons et apprentis de l'industrie de la plomberie et de la tuyauterie, section locale 740, [1990] 3 S.C.R. 644; (1990), 88 Nfld. & P.E.I.R. 15; 48 Admin. L.R. 1; 91 CLLC 14,002; 123 N.R. 241; R. c. Jarvis, [2002] 3 R.C.S. 757; (2002), 317 A.R. 1; 219 D.L.R. (4th) 233; [2003] 3 W.W.R. 197; 8 Alta. L.R. (4th) 1; 169 C.C.C. (3d) 1; 6 C.R. (6th) 23; 101 C.R.R. (2d) 35; [2003] 1 C.T.C. 135; 2002 DTC 7547; 295 N.R. 201; Welbourne et Canadien Pacifique Ltée, [2001] D.A.A.C.C.T. n 9 (QL); Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342; (1989), 57 D.L.R. (4th) 231; [1989] 3 W.W.R. 97; 75 Sask. R. 82; 47 C.C.C. (3d) 1; 33 C.P.C. (2d) 105; 38 C.R.R. 232; 92 N.R. 110. |
décisions citées: |
Pasiechnyk c. Saskatchewan (Workers' Compensation Board), [1997] 2 R.C.S. 890; (1997), 149 D.L.R. (4th) 577; [1997] 8 W.W.R. 517; 158 Sask. R. 81; 50 Admin. L.R. (2d) 1; 30 C.C.E.L. (2d) 149; 37 C.C.L.T. (2d) 1; 216 N.R. 1; Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748; (1997), 144 D.L.R. (4th) 1; 71 C.P.R. (3d) 417; 209 N.R. 20; Pezim c. Colombie-Britannique (Superintendent of Brokers), [1994] 2 R.C.S. 557; (1994), 114 D.L.R. (4th) 385; [1994] 7 W.W.R. 1; 22 Admin. L.R. (2d) 1; 46 B.C.A.C. 1; 92 B.C.L.R. (2d) 145; 14 B.L.R. (2d) 217; 4 C.C.L.S. 117; 168 N.R. 321; 75 W.A.C. 1; Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554; (1993), 100 D.L.R. (4th) 658; 13 Admin. L.R. (2d) 1; 46 C.C.E.L. 1; 17 C.H.R.R. D/349; 93 CLLC 17,006; 149 N.R. 1; Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84; (2002), 208 D.L.R. (4th) 107; 37 Admin. L.R. (3d) 252; 18 Imm. L.R. (3d) 93; 280 N.R. 268; Pratt et Gray Coach Lines Limited (1988), 1 C.L.R.B.R. (2d) 310 (C.L.R.B.); Canada (Procureur général) c. Bonfa (1990), 73 D.L.R. (4th) 364; 33 C.C.E.L. 105; 113 N.R. 224 (C.A.F.); Abood et Air Canada, [2003] D.A.A.C.C.T. no 2 (QL); Canada (Service correctionnel) et Schellenberg, [2002] D.A.A.C.C.T. no 6 (QL); International Longshore and Warehouse Union et Pacific Coast Terminals Co., [2002] D.A.A.C.C.T. no 16 (QL); Bouchard et Canada (Service correctionnel), [2001] D.A.A.C.C.T. no 28 (QL); Ontario (Ministry of Labour) v. Hamilton (City) (2002), 58 O.R. (3d) 37; 155 O.A.C. 225 (C.A.). |
DEMANDE de contrôle judiciaire visant la décision par laquelle, en vertu du Code canadien du travail, un agent d'appel a rejeté la décision d'un agent de sécurité selon laquelle constitue un danger l'accomplissement de tâches d'application de la loi par les gardes de parc non munis d'une arme à feu. Demande rejetée.
ont comparu: |
Andrew J. Raven et Paul Champ, pour les demandeurs. |
Kirk N. Lambrecht, c.r. et J. Sanderson Graham, pour le défendeur. |
avocats inscrits au dossier: |
Raven, Allen, Cameron & Ballantyne, Ottawa, pour les demandeurs. |
Le sous-procureur général du Canada, pour le défendeur. |
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance et ordonnance rendus par
[1]Le juge Tremblay-Lamer: Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire visant la décision par laquelle l'agent d'appel Serge Cadieux (l'agent d'appel) a accueilli l'appel interjeté par l'Agence Parcs Canada (Parcs Canada) et a annulé les instructions données par Robert Grundie, un agent de santé et de sécurité de Développement des ressources humaines Canada (l'agent de sécurité).
LES FAITS
[2]En janvier 2000, le directeur général de Parcs Canada a donné comme directive qu'on n'inclue pas automatiquement un pistolet dans l'équipement réglementaire des gardes de parc qui veillent à l'application de la loi en vertu de la Loi sur les parcs nationaux du Canada, L.C. 2000, ch. 32.
[3]Le 5 juin 2000, M. Douglas Martin, garde de parc au parc national Banff et l'un des demandeurs aux présentes, a présenté une plainte à l'agent de sécurité, au motif qu'on ne lui avait pas fourni l'équipement de protection requis, à savoir un pistolet, pour l'exercice de ses fonctions d'application de la loi.
[4]Donnant suite à la plainte de M. Martin, l'agent de sécurité a procédé à une enquête à l'échelle nationale, qui l'a mené à conclure que constitue un danger l'accomplissement de toute tâche d'application de la loi par un garde de parc qui n'est pas muni de l'équipement de protection nécessaire, tel un pistolet.
[5]En étant venu à ces conclusions, l'agent de sécurité a exercé le pouvoir que lui confèrent les alinéas 145(2)a) [mod. par L.C. 2000, ch. 20, art. 14] et b) [mod., idem] du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2 (le Code), et donné deux instructions à Parcs Canada. Les instructions, toutes deux datées du 1er février 2001, enjoignaient à Parcs Canada de veiller soit à modifier les fonctions d'application de la loi des gardes de parc, soit à les protéger des dangers découlant de celles-ci. Une instruction était adressée au directeur général de Parcs Canada, et visait tous les gardes de parc accomplissant des tâches d'application de la loi où que ce soit au Canada. L'autre était adressée au directeur du parc national Banff, et visait les gardes accomplissant dans ce parc des tâches d'application de la loi.
[6]Parcs Canada a décidé d'en appeler des instructions de l'agent de sécurité, auprès du Bureau d'appel canadien en santé et sécurité au travail. M. Martin et l'Alliance de la fonction publique du Canada ont également décidé de faire appel des instructions de l'agent de sécurité, au motif qu'on n'y ordonnait pas expressément à Parcs Canada soit de fournir des pistolets, soit d'élaborer une procédure en vue de la fourniture de pistolets.
[7]Par suite des appels déposés tant par l'employeur que par l'employé dans la présente affaire, l'agent d'appel a présidé l'audience tenue en vertu de l'article 146.1 du Code [édicté par L.C. 2000, ch. 20, art. 14].
[8]L'agent d'appel a rendu le 23 mai 2002 sa décision, par laquelle il accueillait l'appel de Parcs Canada et annulait les instructions données par l'agent de sécurité. L'agent d'appel a conclu que l'agent de sécurité avait confondu risque et danger, et qu'il n'y avait pas suffisamment d'éléments de preuve pour conclure en l'existence d'une situation de danger, au sens du Code.
[9]Les demandeurs demandent le contrôle judiciaire de cette décision.
LE MANDAT DES GARDES DE PARC
[10]Pour bien comprendre la plainte, et plus particulièrement la question de la fourniture d'un pistolet, il sera utile d'examiner quels étaient les éléments essentiels du mandat des gardes de parc dans les parcs nationaux au moment où M. Martin a déposé sa plainte, et de relater les événements ayant donné lieu à celle-ci.
[11]Le mandat des gardes de parc recouvre des tâches de gestion des ressources naturelles et d'application de la loi et liées à la sécurité du public.
[12]Les tâches de gestion des ressources naturelles ont notamment trait à la gestion des incendies, à la gestion de la faune, à la surveillance écologique, à l'évaluation des incidences environnementales, à la recherche et à la collecte de renseignements ainsi qu'au processus de gestion des ressources naturelles.
[13]Les tâches liées à la sécurité du public consistent en des mesures d'intervention d'urgence et de recherche et sauvetage.
[14]Les activités d'application de la loi ont trait tant à l'observation qu'à l'exécution de la loi. Les gardes de parc exercent des activités d'application de la loi dans les parcs nationaux, les réserves de parcs nationaux, le parc marin du Saguenay-Saint-Laurent (Québec) et les lieux historiques nationaux de la Forteresse-de- Louisbourg (Nouvelle-Écosse) et de la Piste-Chilkoot (Yukon).
[15]En 1989, Parcs Canada a instauré une politique nationale en matière d'application de la loi (Bulletin de gestion 2.1.9 en application de la loi à Parcs Canada). Cette politique prévoyait la fourniture automatique d'une matraque, d'un vaporisateur de poivre et d'un gilet de protection aux gardes de parc exerçant des activités d'application de la loi. Elle prévoyait également la fourniture d'armes à feu aux gardes en des circonstances particulières.
[16]Peu après l'instauration d'une politique nationale au début des années 1990, Parcs Canada, région du Québec, a commandé à des consultants une étude portant sur la sécurité des gardes de parc qui exercent des fonctions d'application de la loi. L'étude visant un CEGEP a révélé que la formation et les pratiques de fonctionnement étaient lacunaires au Service des gardes de parc. On a particulièrement relevé comme manquement à la sécurité l'absence de formation obligatoire avant l'embauche des gardes de parc. On a notamment proposé comme solutions de dispenser de la formation et de fournir aux gardes des pistolets (Étude--CEGEP, Méthodologie).
[17]Parcs Canada a donné suite aux recommandations au sujet de la formation et, dès le début des années 1990, dispensait à l'intention des gardes de parc un programme complet de formation sur l'application de la loi. La formation, théorique et pratique, était offerte par la Division dépôt de la GRC à Regina (Saskatchewan).
[18]En juillet 1999, on a constitué un groupe de travail devant mettre au point des recommandations en vue d'une politique de Parcs Canada sur la fourniture d'armes. Le groupe de travail s'est réuni une fois près de Victoria (C-B) (le comité de Victoria) au début de septembre 1999. En octobre 1999, le président du comité de Victoria a présenté au conseil exécutif de Parcs Canada un exposé faisant état de diverses options quant à la fourniture d'armes. L'option privilégiée par le groupe de travail prévoyait notamment l'évaluation à chaque site, sur une période de deux ans, de la nécessité de fournir ou non des pistolets.
[19]En juillet 2000, le groupe de travail national sur l'application de la loi a établi des lignes directrices sur l'atténuation des risques devant être suivies jusqu'à ce que soit menée à bien dans chaque parc la planification en matière d'application de la loi.
[20]Douglas Martin a déposé sa plainte peu après que le directeur général a enjoint qu'on n'inclue pas automatiquement un pistolet dans l'équipement réglementaire des gardes de parc, et peu après que Parcs Canada a établi ses lignes directrices sur l'atténuation des risques. L'évaluation des risques à laquelle le directeur général a fait allusion dans sa directive n'avait pas alors été complétée.
QUESTIONS EN LITIGE
1. Quelle norme de contrôle est-elle applicable à la décision de l'agent d'appel?
2. L'agent d'appel a-t-il interprété et appliqué erronément la définition de «danger» au Code?
3. Le litige est-il théorique?
ANALYSE
La norme de contrôle |
[21]Dans Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, la Cour suprême du Canada a confirmé que la cour qui révise la décision d'un tribunal administratif doit appliquer la méthode pragmatique et fonctionnelle pour établir le degré de déférence dont il faut faire preuve face à la décision. Cette méthode exige de la cour de révision de soupeser une série de facteurs afin de décider si une question précise dont le tribunal administratif était saisi doit être soumise à un contrôle exigeant, subir un examen ou une analyse en profondeur, ou être laissée à l'appréciation quasi exclusive du décideur. Quatre facteurs principaux doivent être pris en compte pour établir quelle norme de contrôle judiciaire est applicable à la décision d'un tribunal administratif: la présence ou l'absence d'une clause privative; l'objet de la loi dans son ensemble et de la disposition particulière; l'expertise du tribunal relativement à celle de la cour de révision sur la question en litige; la nature de la question.
[22]Le premier facteur a trait à la présence ou à l'absence d'une clause privative. L'existence d'une clause privative invite, a-t-on souvent statué, à une plus grande déférence. La clause privative «intégrale» est celle stipulant que les décisions du tribunal sont définitives et péremptoires, qu'elles ne peuvent pas faire l'objet d'un appel et que toute forme de contrôle judiciaire est exclue dans leur cas. La présence d'une telle clause n'empêche toutefois pas le contrôle fondé sur une erreur de droit si la disposition faisant l'objet du contrôle est une disposition limitative de compétence (Pasiechnyk c. Saskatchewan (Workers' Compensation Board), [1997] 2 R.C.S. 890).
[23]La présence d'une clause privative «intégrale» démontre de manière péremptoire que la cour doit faire preuve de déférence face à la décision du tribunal, à moins que d'autres facteurs ne penchent fortement en sens contraire. Inversement, une disposition législative qui autorise les appels laisse voir qu'une déférence moindre devant la décision du tribunal est appropriée (Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982).
[24]On a signalé que le second facteur, concernant l'expertise relative du tribunal, est le plus important qu'une cour doit examiner pour arrêter la norme de contrôle applicable (Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748). Si un tribunal s'est vu accorder une expertise particulière en vue de l'atteinte des objectifs de la loi, grâce aux connaissances spécialisées des décideurs, à une procédure spéciale ou même à d'autres modes, non judiciaires, de mise en oeuvre de la Loi, cela appelle une plus grande retenue. L'expertise est cependant un concept relatif plutôt qu'absolu. Évaluer l'expertise du décideur relativement à celle de la cour comporte trois dimensions. La cour doit qualifier l'expertise du décideur; elle doit examiner sa propre expertise relativement à celle de ce dernier; elle doit cerner la nature de la question spécifique dont le décideur était saisi, eu égard à son expertise (Pushpanathan, précité).
[25]L'expertise relative peut originer de diverses sources et se rapporter à des questions de pur droit, des questions de fait et de droit ou des questions strictement de fait. La composition d'un organisme administratif peut lui conférer des compétences uniques relativement aux questions dont il est saisi, et ce facteur pourrait ainsi appeler une plus grande retenue (Pezim c. Colombie-Britannique (Superintendent of Brokers), [1994] 2 R.C.S. 557). De même, un organisme administratif peut avoir à tirer des conclusions de fait de manière si habituelle, en fonction d'un cadre législatif distinct, qu'on peut dire qu'il a acquis une certaine compétence institutionnelle relative (Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554). Simplement dit, il y aura généralement une plus grande retenue judiciaire lorsqu'un organisme administratif doit régler une question qui relève de son domaine d'expertise relative (Pushpanathan, précité).
[26]Le troisième facteur concerne l'objet de la loi. Si la question dont l'organisme administratif est saisi est une question de droit ou met en cause un aspect particulier de la loi, ce facteur requiert de procéder également à une analyse prenant en compte l'objet spécifique des dispositions sous examen (Dr Q, précité).
[27]Lorsque l'objet de la loi requiert qu'un tribunal choisisse parmi une gamme de mesures de redressement ou de mesures administratives, veille à la protection du public, participe à l'établissement de politiques ou mette en balance de multiples intérêts ou facteurs, la cour de révision devra faire preuve d'une plus grande retenue (Pezim, précité). La cour de révision devrait également prendre en compte la portée, le degré de spécialisation et le caractère technique ou scientifique des questions que la loi demande au tribunal administratif de trancher. Un objet législatif s'écartant sensiblement du rôle habituel des cours laisse entendre que le législateur avait l'intention que la question relève du pouvoir discrétionnaire du décideur administratif; une plus grande retenue judiciaire est alors indiquée. Inversement, une loi ou une disposition législative qui vise essentiellement à régler des différends et à départager les droits des parties appellera une déférence moindre (Dr Q, précité).
[28]Le dernier facteur est celui de la nature de la question. Cela nécessite de prendre en compte si la question en litige en est une de fait ou de droit. On fera preuve de retenue face à des questions de fait, en général, en raison de l'avantage qu'a alors le juge des faits. Par contre, la retenue sera moindre face aux questions de droit, le juge des faits ayant pu ne pas se familiariser encore avec certaines d'entre elles. Cela est particulièrement vrai lorsque la décision est de portée générale ou pourra avoir fortement valeur de précédent (Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84). Toutefois, la distinction entre les faits et le droit n'est pas toujours aussi claire. Bien des décisions concernent des questions tant de fait que de droit (Pushpanathan, précité). Pour ce qui est des questions mixtes de droit et de fait, on fera preuve de plus de retenue si la question concernée est davantage axée sur les faits, et d'une retenue moindre si elle est plus axée sur le droit (Dr Q, précité).
[29]Après avoir examiné chacun de ces facteurs, la cour de révision doit se prononcer en faveur de l'une des trois normes de contrôle actuellement reconnues (Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247). Lorsque la mise en balance des quatre facteurs convie à beaucoup de déférence, la norme de la décision manifestement déraisonnable sera applicable. Lorsque la décision appelle peu ou pas de déférence, c'est la norme de la décision correcte qu'il faudra appliquer. Lorsqu'on se situe entre ces deux pôles, la norme appropriée sera celle de la décision raisonnable.
[30]En l'espèce, le Code renferme une clause privative intégrale pour ce qui est des décisions de l'agent d'appel. Voici les dispositions pertinentes du Code [art. 146.3 (édicté par L.C. 2000, ch. 20, art. 14), 146.4 (édicté, idem)]:
146.3 Les décisions de l'agent d'appel sont définitives et non susceptibles de recours judiciaires.
146.4 Il n'est admis aucun recours ou décision judiciaire--notamment par voie d'injonction, de certiorari, de prohibition ou de quo warranto--visant à contester, réviser, empêcher ou limiter l'action de l'agent d'appel exercée dans le cadre de la présente partie.
[31]La clause privative «intégrale» a été insérée au Code dans le cadre des modifications adoptées en septembre 2000. Cette insertion démontre de manière péremptoire que le législateur entendait qu'on fasse preuve de déférence devant les décisions des agents d'appel. L'intervention de la Cour dans les décisions des agents d'appel irait à l'encontre de l'intention du législateur. Tel que la Cour suprême du Canada l'a déclaré dans Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1993] 1 R.C.S. 941, à la page 963:
Une commission constituée en vertu d'une clause privative et protégée par celle-ci représente l'expression de la volonté du Parlement de créer un mécanisme qui offre un moyen expéditif et définitif d'atteindre le but d'un règlement juste des conflits de travail. Pour qu'elles aient l'effet voulu, les décisions ainsi rendues doivent, le plus souvent possible, être définitives. En refusant de s'en remettre aux décisions de la Commission, les cours de justice se trouveraient à contrecarrer l'objet même de la LRTFP et à rendre inopérantes ses dispositions expresses.
[32]Pour ce qui est du deuxième facteur, j'estime que l'expertise des agents d'appel consiste à établir si la situation dans un lieu de travail constitue ou non un danger, selon la définition du Code. C'est là une question mixte de fait et de droit qui est axée sur les faits. Les agents d'appel doivent interpréter la définition de danger prévue au Code, puis évaluer la situation existant dans un lieu de travail, pour décider si elle tombe ou non sous le coup de cette définition.
[33]Le Code confère aux agents d'appel de larges pouvoirs d'enquête devant leur permettre de réaliser cet objectif. Comme le prévoit le paragraphe 145.1(2) [édicté, idem] du Code, l'agent d'appel est investi des mêmes attributions--notamment en matière d'immunité--que l'agent de santé et de sécurité. Il peut, par exemple, pénétrer dans tout lieu de travail pour y procéder à des inspections et enquêtes, recueillir des substances pour les soumettre à des tests et exiger la production de documents et de déclarations. Les agents d'appel disposent également de pouvoirs d'enquête s'ajoutant à ceux conférés aux agents de santé et sécurité. Ces pouvoirs sont énumérés à l'article 146.2 [édicté, idem] du Code; l'agent d'appel peut notamment convoquer des témoins et les contraindre à comparaître, faire prêter serment et recevoir des affirmations solennelles, recevoir des témoignages, procéder à l'examen de dossiers et à la tenue d'enquêtes et, généralement, fixer le déroulement de la procédure d'appel.
[34]Comme la recherche des faits compte pour une partie importante de l'analyse effectuée, je suis d'avis que les agents d'appel ont une expertise plus poussée que la Cour pour ce qui est d'établir si la situation dans un lieu de travail constitue ou non un danger au sens du Code. Les agents d'appel ont l'avantage de pouvoir pénétrer dans un lieu de travail et d'y évaluer les conditions existantes. La Cour ne pouvant évaluer de première main ces conditions, il n'y a pas lieu qu'elle modifie les conclusions tirées par les agents d'appel.
[35]Le troisième facteur requiert la prise en compte par la Cour de l'objet de la loi. Le Code est constitué de trois parties distinctes, qu'on peut interpréter indépendamment les unes des autres. La partie II du Code porte sur la santé et la sécurité des travailleurs relevant de la compétence fédérale. L'article 122.1 [édicté par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 9, art. 1] du Code prévoit ce qui suit:
122.1 La présente partie a pour objet de prévenir les accidents et les maladies liés à l'occupation d'un emploi régi par ses dispositions.
[36]L'objet spécifique du pouvoir de donner des instructions, en vertu du paragraphe 145(2) du Code, est d'autoriser la prise de mesures immédiates propres à empêcher les accidents dans l'accomplissement de tâches. Aux termes de ce paragraphe, l'agent concerné doit établir s'il y a ou non situation de danger et, si nécessaire, enjoindre à l'employeur de procéder immédiatement à la prise de mesures propres «à écarter le risque, à corriger la situation ou à modifier la tâche», ou à «protéger les personnes contre ce danger». La disposition en cause visant à protéger le public, une plus grande déférence est appropriée face aux décisions des agents d'appel (Pezim, précité).
[37]Le quatrième facteur est celui de la nature de la question. En l'espèce, la décision à prendre est celle de savoir si le risque, la situation ou la tâche dans un lieu de travail constitue ou non un danger au sens du Code. Comme on l'a déjà mentionné, c'est là une question mixte de fait et de droit qui est axée sur les faits. Les agents d'appel doivent interpréter la définition de danger prévue au Code, puis évaluer la situation existant dans un lieu de travail pour décider si elle tombe ou non sous le coup de cette définition. Je ne puis admettre la prétention des demandeurs selon laquelle il s'agit là d'une pure question de droit. Bien que les agents d'appel soient tenus d'interpréter la définition de danger telle qu'elle est énoncée au Code, cela ne peut être fait en vase clos. Il faut aussi nécessairement faire enquête sur les faits, pour établir si la situation particulière dans le lieu de travail correspond ou non à la définition de danger prévue au Code.
[38]L'application des facteurs pertinents de la méthode pragmatique et fonctionnelle donne à penser qu'il faut généralement faire preuve de beaucoup de déférence face aux décisions des agents d'appel. La Cour devrait à mon avis, lorsqu'elle a à réviser la décision d'un agent d'appel, recourir à la norme de la décision manifestement déraisonnable.
[39]La présente affaire est toutefois unique du fait que, parmi les modifications apportées au Code en septembre 2000, il y avait une nouvelle définition du danger, et que c'est la première fois qu'une cour doit examiner l'interprétation donnée à cette nouvelle définition par les agents d'appel. Cela laisse croire que la question est d'une nature davantage axée sur le droit, la Cour ayant à évaluer l'interprétation par les agents d'appel de la nouvelle définition de danger. Toutes les observations présentées par les demandeurs tournent d'ailleurs autour de cette interprétation; ces derniers n'ont contesté aucune des conclusions de fait des agents d'appel.
[40]Je conviens que, pour les fins uniquement de la présente affaire, la nature de la question est davantage axée sur le droit. Il n'en découle pas, malgré tout, que la Cour devrait recourir à la norme de la décision correcte suggérée par les demandeurs. L'agent d'appel est un décideur spécialisé, et la Cour suprême du Canada a statué que, face aux décisions des tribunaux spécialisés--et plus particulièrement en contexte de relations de travail où une clause privative à large portée protège la décision--la retenue s'étend à la constatation des faits et à l'interprétation de la loi. Dans Lester (W.W.) (1978) Ltd. c. Association unie des compagnons et apprentis de l'industrie de la plomberie et de la tuyauterie, section locale 740, [1990] 3 R.C.S. 644, la juge McLachlin a ainsi statué comme suit, à la page 669:
Les cours de justice devraient faire preuve de circonspection et de retenue dans l'examen des décisions de tribunaux administratifs spécialisés comme la Commission en l'espèce. Cette retenue s'étend à la fois à la constatation des faits et à l'interprétation de la loi. Ce n'est que lorsque les éléments de preuve, perçus de façon raisonnable, ne peuvent étayer les conclusions de fait du tribunal, ou que l'interprétation donnée aux dispositions législatives est manifestement déraisonnable que la cour de justice peut intervenir.
[41]Malgré tout, l'analyse de notre Cour aura valeur de précédent pour les décisions d'autres agents d'appel, et pourra ainsi avoir en bout de ligne une incidence sur la santé et la sécurité d'employés. Cela donne à penser qu'un examen plus approfondi de la décision de l'agent d'appel serait indiqué en l'espèce.
[42]J'estime pour ces motifs que la Cour devrait, en révisant la décision de l'agent d'appel, procéder à «un examen ou une analyse en profondeur». À ce titre, la norme applicable en l'espèce est celle de la décision raisonnable simpliciter.
Application à la décision de l'agent d'appel
a) Comment l'agent d'appel a-t-il motivé sa décision? |
[43]L'agent de sécurité avait donné des instructions en vertu des alinéas 145(2)a) et b) du Code, au motif qu'était dangereuse toute tâche d'application de la loi accomplie par les gardes de parc sans qu'un pistolet fasse partie de leur équipement réglementaire, le comportement humain étant imprévisible et les gardes pouvant avoir à recourir à la force meurtrière d'une telle arme. En d'autres mots, les gardes de parc accomplissant des tâches d'application de la loi s'exposaient à des risques susceptibles de leur causer des blessures.
[44]L'agent d'appel a partagé l'avis de l'agent de sécurité selon lequel les gardes de parc sont confrontés à des risques accrus en raison de leurs responsabilités secondaires de lutte à la criminalité. Étant donné le nombre et la diversité des tâches d'application de la loi auxquelles s'adonnent les agents de parc, il leur sera parfois impossible de s'écarter d'une situation et de se mettre en position d'évaluer la bonne conduite à prendre. En certains cas, ils pourraient risquer de subir des blessures graves ou de se faire tuer.
[45]L'agent d'appel a néanmoins annulé les instructions de l'agent de sécurité, étant d'avis que ce dernier avait confondu risque et danger et avait procédé à une enquête consistant essentiellement en un exercice théorique. Selon l'agent d'appel, la décision de l'agent de sécurité se fondait sur la possibilité hypothétique de blessures, puisqu'aucune base factuelle n'étayait sa conclusion quant à l'existence d'un danger, au sens du Code, pour M. Martin ou tout autre garde de parc dans l'un quelconque des parcs nationaux.
b) Ces motifs étayent-ils la décision? |
[46]Dans Barreau du Nouveau-Brunswick, précité, la Cour suprême du Canada a déclaré que, lorsque la méthode pragmatique et fonctionnelle amène à conclure que la norme applicable est celle de la décision raisonnable simpliciter, la cour ne doit pas intervenir, à moins que la partie demandant le contrôle judiciaire n'ait démontré avec certitude le caractère déraisonnable de la décision. Une décision est déraisonnable lorsque, pour l'essentiel, elle ne s'appuie sur aucun motif pouvant soutenir un examen quelque peu poussé. Lorsqu'on révise une décision, il n'est pas nécessaire que chacun de ses éléments soit raisonnable; il suffit que les motifs dans leur ensemble étayent la décision. La Cour suprême a ainsi déclaré, au paragraphe 56:
Cela ne signifie pas que chaque élément du raisonnement présenté doive passer individuellement le test du caractère raisonnable. La question est plutôt de savoir si les motifs, considérés dans leur ensemble, sont soutenables comme assise de la décision. Une cour qui applique la norme de la décision raisonnable doit toujours évaluer si la décision motivée a une base adéquate, sans oublier que la question examinée n'exige pas un résultat unique précis. De plus, la cour ne devrait pas s'arrêter à une ou plusieurs erreurs ou composantes de la décision qui n'affectent pas la décision dans son ensemble.
[47]En l'espèce, après examen assez poussé de l'analyse et de la décision, considérée dans son ensemble, de l'agent d'appel, je suis convaincue que les motifs sont soutenables comme assise et qu'on ne peut dire qu'ils n'étayent pas la décision. Bien que je ne sois pas nécessairement d'accord avec chaque élément du raisonnement de l'agent d'appel, je ne crois pas que l'erreur relevée porte atteinte à la décision dans son ensemble pour les motifs qui vont suivre.
[48]Pour bien comprendre la décision de l'agent d'appel, il est nécessaire d'examiner la définition de danger telle qu'elle existait avant septembre 2000, en vue d'établir en quoi diffèrent l'«ancienne» et la «nouvelle» définitions. Il faut garder présente à l'esprit à cette fin l'approche moderne en matière d'interprétation des lois, dont la Cour suprême du Canada a récemment confirmé l'à-propos; dans R. c. Jarvis, [2002] 3 R.C.S. 757, les juges Major et Iacobucci ont ainsi déclaré, au paragraphe 77:
[. . .] il faut déterminer l'intention du législateur et, à cette fin, lire les termes de la loi dans leur contexte, en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit et l'objet de la loi.
[49]Avant les modifications apportées au Code, on y définissait comme suit le danger [art. 122(1) (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 9, art. 1)]:
122. (1) [. . .]
«danger» Risque ou situation susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade, avant qu'il ne puisse y être remédié. |
[50]Avant les modifications apportées au Code, on n'entendait pas viser avec le concept utilisé le danger dans son sens le plus large. Ce qui distinguait un danger au sens de la loi d'un danger au sens général du terme, c'était son caractère immédiat. Pour constituer un danger au sens de la loi, le risque ou la situation devait être perçu comme ayant un caractère réel et immédiat. Il fallait donc faire abstraction des risques hypothétiques ou spéculatifs (Pratt et Gray Coach Lines Limited (1988), 1 C.L.R.B.R. (2d) 310 (C.C.R.T.)). Le danger devait également être présent au moment de l'enquête menée par l'agent de santé et de sécurité (Canada (Procureur général) c. Bonfa (1990), 73 D.L.R. (4th) 364 (C.A.F.)).
[51]Voici la «nouvelle» définition de danger, telle qu'elle est maintenant énoncée au paragraphe 122(1) [mod. par L.C. 2000, ch. 20, art. 2] du Code:
122. (1) [. . .]
«danger» Situation, tâche ou risque--existant ou éventuel--susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade--même si ses effets sur l'intégrité physique ou la santé ne sont pas immédiats --, avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée. Est notamment visée toute exposition à une substance dangereuse susceptible d'avoir des effets à long terme sur la santé ou le système reproducteur |
[52]Le même agent d'appel (M. Cadieux) a expliqué [aux paragraphes 17 à 19], dans l'affaire Welbourne et Canadien Pacifique Ltée, [2001] D.A.A.C.C.T. no 9 (QL), la distinction existant entre l'ancienne et la nouvelle définitions de «danger».
[53]La définition actuelle de danger vise à améliorer la définition prévue au Code avant qu'il ne soit modifié, et qu'on jugeait trop restrictive pour préserver la santé et la sécurité des employés. Selon la jurisprudence portant sur la définition de danger dans le Code non modifié, le danger devait être immédiat et présent au moment de l'enquête menée par l'agent de sécurité. La nouvelle définition élargit la portée du concept de danger, de manière à ce que soient pris en compte les risques, situations ou tâches éventuels. L'agent de sécurité n'a ainsi pas à se restreindre à la situation immédiate au moment de l'enquête en vue d'établir s'il existe ou non un «danger» au sens du Code. Toutefois, bien que la nouvelle définition permette la prise en compte d'une tâche éventuelle, cette faculté n'a pas un caractère illimité. La doctrine de l'attente raisonnable est toujours applicable. Pour qu'il y ait danger au sens du Code, il faut que la situation, la tâche ou le risque éventuel soit susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade, avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée. Bien que le danger puisse être éventuel, par conséquent, les situations hypothétiques ou spéculatives demeurent toujours exclues en vertu de la doctrine de l'attente raisonnable.
[54]D'autres agents d'appel ont adopté et appliqué cette interprétation de la nouvelle définition de danger dans des affaires subséquentes (Abood et Air Canada, [2003] D.A.A.C.C.T. no 2 (QL); Canada (Service correctionnel) et Schellenberg, [2002] D.A.A.C.C.T. no 6 (QL); International Longshore and Warehouse Union et Pacific Coast Terminals Co., [2002] D.A.A.C.C.T. no 16 (QL); Bouchard et Canada (Service correctionnel), [2001] D.A.A.C.C.T. no 28 (QL)).
[55]Je suis d'accord avec l'analyse susmentionnée faite par M. Cadieux dans Welbourne, précitée. Il est clair selon la nouvelle définition de danger au Code, pour la paraphraser, que peut constituer un danger une situation, tâche ou risque éventuel. Cela veut dire qu'un agent de sécurité n'a pas à se restreindre à la situation immédiate au moment de l'enquête en vue d'établir s'il existe ou non un «danger» au sens du Code.
[56]Il me semble en outre évident que le concept de l'attente raisonnable, qui exclut les situations spéculatives, est toujours présent dans la définition modifiée. On vise en effet spécifiquement dans la disposition la tâche éventuelle «susceptible de [that could reasonably be expected to] causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade» [non souligné dans l'original]. La preuve doit en être faite, ce qui oblige l'agent de sécurité à soumettre la situation en cause à une analyse objective.
[57]J'estime comme l'agent d'appel qu'en l'absence d'une preuve spécifique démontrant quand un garde de parc est susceptible de subir une blessure grave ou la mort dans l'accomplissement d'une tâche d'application de la loi, l'agent de sécurité devra conclure en l'absence de danger, puisqu'il ferait alors face à une situation hypothétique ou spéculative.
[58]On énonce aussi clairement dans la nouvelle définition, toutefois, qu'une situation, tâche ou risque pourrait constituer un danger «même si ses effets sur l'intégrité physique ou la santé ne sont pas immédiats» [non souligné dans l'original]. Je suis donc d'avis, contrairement à ce qu'a déclaré l'agent d'appel, qu'il n'est pas nécessaire qu'une tâche soit susceptible immédiatement de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade, pour constituer un danger au sens du Code.
[59]J'estime malgré tout que la nouvelle définition rend nécessaire un élément d'imminence, la blessure ou la maladie devant survenir «avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée».
[60]Pour résumer, par conséquent, j'estime que l'agent d'appel a imposé une condition non requise en exigeant que la tâche soit immédiatement susceptible de causer des blessures à la personne exposée ou de la rendre malade. J'estime, malgré tout, que cette erreur n'a pas porté atteinte à la décision dans son ensemble. Le fondement de la décision de l'agent d'appel, c'était qu'il n'y avait pas danger au sens du Code, parce que le danger en l'espèce était purement hypothétique et spéculatif. À mon avis, par conséquent, l'agent d'appel en serait arrivé à la même conclusion, qu'il y ait eu erreur ou non.
[61]Les demandeurs souhaitent que la Cour interprète libéralement la définition de «danger», de manière à ce que soit réalisé l'objectif visé de protection du public, plutôt que de favoriser tout autre intérêt. Je reconnais qu'il faut éviter les interprétations étroites ou techniques qui nuiraient ou porteraient atteinte aux objectifs du législateur en matière de bien-être public (Ontario (Ministry of Labour) v. Hamilton (City) (2002), 58 O.R. (3d) 37 (C.A.)). J'estime néanmoins qu'il y a lieu d'interpréter dans son contexte la nouvelle définition de «danger», en tenant compte des importantes répercussions que peut avoir une conclusion d'existence de danger.
[62]L'instruction prévue au paragraphe 145(2) du Code est un instrument spécialisé qui confère à l'agent de sécurité des pouvoirs immenses, pouvant aller lorsque les circonstances l'exigent jusqu'à la fermeture d'une entreprise ou à la cessation d'une activité à l'échelle nationale.
[63]Par conséquent, en vue d'établir si une tâche d'application de la loi exercée par un garde de parc non muni d'un pistolet constitue un danger, il est nécessaire d'examiner s'il est probable à la fois que la tâche causera des blessures et que celles-ci surviendront avant que la tâche soit modifiée. J'estime comme le défendeur que l'évaluation de la probabilité d'un décès ou d'une blessure grave repose pour grande part sur la capacité des gardes de parc, en faisant preuve de discernement et en s'appuyant sur leur formation, de modifier par eux-mêmes la tâche d'application de la loi.
[64]L'agent de sécurité a exprimé l'avis qu'un danger existait parce que les gardes de parc pouvaient être exposés à un risque de blessures graves ou de décès sans qu'on leur ait fourni l'équipement de protection personnelle nécessaire, soit un pistolet. Cette conclusion ne repose pas sur un ensemble de faits précis, mais essentiellement plutôt sur la description de travail générale des gardes de parc. La plainte porte sur le fait, d'ailleurs, qu'un garde de parc pourrait avoir un jour, dans un avenir indéterminé, à recourir à un pistolet comme arme meurtrière.
[65]On ne prend pas ainsi en compte s'il est ou non probable qu'un tel risque se produise et dans quelle mesure un pistolet aiderait à réduire ce risque. Si la simple présence d'un risque d'après la description de travail suffisait pour qu'un agent de sécurité conclue qu'il y a danger, des instructions devraient être transmises en vertu du paragraphe 145(2) du Code à l'égard de chaque emploi donnant lieu au même élément de risque. Je ne crois pas que le législateur entendait qu'on en arrive à un tel résultat.
[66]Je suis pleinement d'accord avec la conclusion exprimée par l'agent d'appel selon laquelle il faut s'adonner à une analyse des risques et de leur maîtrise pour pouvoir recommander quels types de tâches d'application de la loi devraient être exercées par les gardes de parc et quelles mesures de protection spécifiques devraient être prises à leur égard. Il n'est pas utile de déclarer qu'existe un «danger» au sens du Code en l'absence de preuve qui le démontre.
[67]En résumé, après examen assez poussé de la décision de l'agent d'appel, je conclus que les motifs énoncés, considérés globalement, sont soutenables comme assise, et que l'erreur de l'agent dans l'interprétation de la nouvelle définition de danger ne porte pas atteinte à sa décision dans son ensemble.
Le caractère théorique du litige
[68]Le défendeur soutient que le présent litige est théorique, étant donné qu'ont disparu les tâches d'application de la loi qui existaient lors du dépôt de la plainte. Après ce dépôt, l'instauration de lignes directrices en matière d'atténuation des risques est venue modifier les activités d'application de la loi des agents de parc. En outre, si les agents de parc devaient de nouveau s'acquitter de tâches d'application de la loi, ces tâches seraient également modifiées par l'évolution de la politique nationale en la matière, en fonction du jugement de l'agent d'appel et de la réalisation d'une évaluation des risques.
[69]Dans Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, la Cour suprême du Canada a énoncé la démarche en deux temps devant être suivie pour établir si un litige est ou non théorique. En premier, il faut se demander si le différend concret et tangible a disparu et si la question est devenue purement théorique. Si c'est le cas, le tribunal décide alors s'il doit exercer son pouvoir discrétionnaire et entendre l'affaire.
[70]Bien qu'il soit possible que les lignes directrices aient modifié l'exercice de tâches d'application de la loi par les gardes de parc, ceux-ci auront toujours à appliquer la définition de danger à l'avenir. En outre, on énonce dans la présente décision la norme de contrôle à appliquer aux décisions rendues par les agents d'appel en application du Code modifié. Je
ne partage donc pas l'avis du défendeur selon lequel le présent litige est devenu théorique.
[71]Pour tous ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE le rejet avec dépens de la présente demande de contrôle judiciaire.