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     DES-1-00

    2003 CF 928

Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration et le solliciteur général du Canada (demandeurs)

c.

Mohamed Zeki Mahjoub (défendeur)

Répertorié: Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)c. Mahjoub (C.F.)

Cour fédérale, juge Dawson--Toronto, 10 mai; Ottawa, 30 juillet 2003.

Citoyenneté et Immigration -- Exclusion et renvoi -- Renvoi de réfugiés -- Le défendeur est un citoyen égyptien à qui le statut de réfugié au sens de la Convention a été reconnu en 1996 -- Il est détenu depuis juin 2000 au motif qu'il constitue un danger pour la sécurité nationale -- L'attestation des ministres suivant laquelle le défendeur n'était pas admissible au Canada au sens de l'art. 19(1) de la Loi sur l'immigration a été jugée raisonnable -- Demande de mise en liberté présentée en vertu de l'art. 84(2) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés -- Première décision rendue sous le régime de l'art. 84(2) -- Procédure à suivre dans le cas d'une demande fondée sur l'art. 84(2) -- Le critère à deux volets prévu à l'art. 84(2) n'a pas été respecté en l'espèce -- La Cour n'était pas convaincue que la mesure de renvoi dont Mahjoub fait l'objet ne sera pas exécutée dans un délai raisonnable -- Elle n'était pas convaincue non plus que sa mise en liberté ne constituera pas un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui.

Il s'agit d'une demande d'ordonnance présentée en vertu du paragraphe 84(2) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés en vue d'obtenir la mise en liberté de M. Mahjoub. Mahjoub est entré au Canada en décembre 1995 et, peu de temps après, la Commission de l'immigration et du statut de réfugié lui a reconnu le statut de réfugié au sens de la Convention. Le Service canadien du renseignement de sécurité (le SCRS) était d'avis que M. Mahjoub était un membre haut placé d'une organisation terroriste islamique égyptienne, le Vanguards of Conquest, une aile radicale du Jihad islamique égyptien, aussi appelé Al Jihad. Selon le SCRS, le Jihad prône le recours à la violence en vue d'instaurer un État islamique en Égypte. En juin 2000, le solliciteur général et le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (les ministres) ont, conformément à l'alinéa 40.1(3)a) de la Loi sur l'immigration, alors en vigueur, transmis à la Cour un double de l'attestation qu'ils avaient signée pour que la Cour décide si l'attestation devait être annulée. Dans cette attestation, les ministres exprimaient l'avis, à la lumière des renseignements secrets en matière de sécurité dont ils avaient eu connaissance, que Mahjoub n'était pas admissible au Canada au sens du paragraphe 19(1) de la Loi. Sur la foi de cette attestation, Mahjoub a été incarcéré le 26 juin 2000 et il est détenu depuis cette date. Peu de temps après, le juge Nadon, qui avait examiné à huis clos les renseignements secrets en matière de sécurité dont les ministres avaient eu connaissance, a ordonné que l'on transmette à Mahjoub un résumé de ces renseignements afin de lui permettre d'être suffisamment informé des circonstances ayant donné lieu à l'attestation. Le 5 octobre 2001, le juge a conclu, à la lumière des éléments de preuve et des renseignements dont il disposait, que l'attestation déposée par les ministres était raisonnable. La Commission de l'immigration et du statut de réfugié a conclu que Mahjoub n'était pas admissible au Canada, sur la foi de l'attestation de sécurité, et elle a par conséquent ordonné son expulsion. Mahjoub a invoqué le paragraphe 84(2) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés qui est entrée en vigueur le 28 juin 2002. Le paragraphe 84(2) permet à un étranger de présenter une requête en vue d'être remis en liberté si la mesure de renvoi prise contre lui n'a pas été exécutée dans les 120 jours qui suivent la décision aux termes de laquelle l'attestation a été jugée raisonnable.

Jugement: la demande est rejetée.

* Note de l'arrêtiste:

L'intitulé dans cette demande de mise en liberté présentée en vertu du paragraphe 84(2) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (LIPR) est le même que dans la cause connexe où le caractère raisonnable de l'attestion de sécurité a été décidé par le juge Nadon le 5 octobre 2001, décision publiée dans le recueil [2001] 4 C.F. 644. Par conséquent, M. Mahjoub est le défendeur en l'espèce même s'il intente cette demande de mise en liberté.

Le critère à appliquer aux termes du paragraphe 84(2) comporte deux volets. Le juge saisi de la demande doit être convaincu que «la mesure [de renvoi] ne sera pas exécutée dans un délai raisonnable et que la mise en liberté ne constituera pas un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui». Dans l'arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), la Cour suprême du Canada écrit qu'une «personne constitue un "danger pour la sécurité du Canada" si elle représente, directement ou indirectement, une grave menace pour la sécurité du Canada». La Cour a précisé que «[l]a menace doit être "grave" en ce sens qu'elle doit reposer sur des soupçons objectivement raisonnables et étayés par la preuve, et en ce sens que le danger appréhendé doit être sérieux, et non pas négligeable». Le libellé du paragraphe 84(2) de la Loi ne devrait pas, en raison de l'arrêt Suresh, être interprété différemment des paragraphes 40.1(8) et (9) de l'ancienne Loi, qui étaient analogues. C'est à celui qui réclame sa mise en liberté qu'il incombe de démontrer qu'il satisfait aux critères légaux prévus au paragraphe 84(2) de la Loi. Le paragraphe 84(2) ne précise pas la procédure à suivre en matière de requêtes en mise en liberté. Malgré ce silence, la procédure prévue au paragraphe 40.1(1) de l'ancienne Loi est encore celle qu'il faut suivre, parce que la demande de mise en liberté s'inscrit dans le cadre d'une instance qui vise à décider si le certificat est raisonnable. L'instance introduite par la délivrance du certificat se poursuit aussi longtemps que la personne visée par le certificat demeure en détention ou tant qu'elle n'est pas mise en liberté sous caution en attendant son renvoi. Pendant toute la durée de l'instance, les ministres peuvent adresser à la Cour la demande prévue à l'alinéa 78e) pour permettre à un juge d'examiner des éléments de preuve en l'absence de la personne faisant l'objet de l'attestation. Le paragraphe 84(2) oblige le juge à soupeser des facteurs tels que l'existence d'un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui. Le législateur fédéral voulait sans doute protéger les renseignements dont la divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui. Le défendeur a le droit d'être suffisamment informé des raisons pour lesquelles le ministre s'oppose à sa mise en liberté. Ce droit doit toutefois être examiné en fonction de l'intérêt de l'État à protéger des renseignements dont la divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui. La Cour suprême du Canada a reconnu que la nécessité de protéger ces renseignements constitue «une préoccupation urgente et réelle». Les préoccupations soulevées au sujet de la sécurité nationale ou de celle d'autrui ne deviennent pas moins urgentes dans le cas d'une demande présentée en vertu du paragraphe 84(2) que dans le cas d'une demande fondée sur l'article 78 de la Loi. L'obligation de la Cour de veiller à la protection de la sécurité nationale n'est pas moins rigoureuse lorsqu'elle est saisie d'une requête en mise en liberté.

Pour ce qui est du premier volet du critère, la mention d'un délai de 120 jours au paragraphe 84(2) permet de conclure que le législateur fédéral voulait que, dès lors qu'un certificat est jugé raisonnable, la personne qui y est nommée soit renvoyée sans délai. En l'espèce, Mahjoub est détenu depuis un peu plus de trois ans, et 21 mois se sont écoulés depuis que le certificat a été confirmé. Toutefois, en assujettissant la mise en liberté de l'intéressé à la nécessité pour la Cour de se demander si le renvoi sera exécuté dans un délai raisonnable, le législateur fédéral a envisagé la possibilité que, dans certaines circonstances, même si la mesure de renvoi n'est pas exécutée dans les 120 jours, la durée de la détention peut quand même être considérée comme raisonnable. Sinon, la mise en liberté après 120 jours serait automatique lorsqu'aucune considération de sécurité nationale ou de sécurité d'autrui n'entre en ligne de compte. Lorsqu'il s'agit de déterminer le caractère raisonnable, chaque cas est un cas d'espèce. L'incertitude qui subsiste au sujet du moment où Mahjoub peut être renvoyé découlait des faits suivants: (i) l'existence d'instances judiciaires qu'il a introduites ou qu'il introduira; (ii) les risques de torture ou de mort auxquels Mahjoub est exposé s'il est renvoyé en Égypte. En ce qui concerne le premier élément, bien qu'il ait le droit d'épuiser toutes les voies de recours qui lui sont ouvertes, Mahjoub ne saurait invoquer le temps qu'il a consacré à l'exercice de ces droits pour prétendre qu'il ne sera pas renvoyé du Canada dans un délai raisonnable. Pour ce qui est du second volet, la Cour suprême du Canada a affirmé, dans l'arrêt Suresh, que, sauf circonstances extraordinaires, une expulsion impliquant un risque de torture viole généralement les principes de justice fondamentale protégés par l'article 7 de la Charte. Ainsi, en règle générale, le ministre devrait, en droit, refuser d'expulser les réfugiés au sens de la Convention qui sont exposés à un risque élevé de torture. Lorsqu'une personne à qui le statut de réfugié au sens de la Convention a été reconnu affirme qu'elle risque la torture en cas d'expulsion, le délai raisonnable exigé pour s'assurer que les principes de justice fondamentale ont été respectés est plus long. Le tribunal doit vérifier attentivement si tout a été mis en oeuvre pour exécuter diligemment la mesure de renvoi dans le respect des mesures de protection prévues par la Charte. Aucun élément de preuve convainquant n'a été présenté pour démontrer que Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) a laissé traîner les choses en longueur ou s'est autrement rendu coupable d'un retard inexcusable ou déraisonnable. Les assurances écrites reçues des autorités égyptiennes pour garantir que Mahjoub ne subirait pas de traitement contraire aux conventions internationales portant sur la torture témoignent des mesures prises par CIC pour se conformer à l'exigence contenue implicitement au paragraphe 84(2) de la Loi en exécutant la mesure de renvoi de Mahjoub du Canada dès que les circonstances le permettent tout en respectant les droits protégés par la Charte. Compte tenu des mesures qui ont été prises pour assurer la protection des droits de Mahjoub et compte tenu du fait que l'incertitude entourant le moment où il sera effectivement renvoyé s'explique en grande partie par les instances qui ont été introduites en son nom ou qui pourraient l'être en vue de contester les mesures prises contre lui, Mahjoub n'a pas convaincu la Cour, selon la probabilité la plus forte, que la mesure de renvoi du Canada dont il fait l'objet ne sera pas exécutée dans un délai raisonnable.

Quant au second volet du critère légal de la mise en liberté, suivant l'essentiel de la preuve soumise à la Cour, la mise en liberté de Mahjoub constituerait un danger pour la sécurité nationale, plutôt qu'un danger pour la sécurité d'autrui. Dans l'arrêt Suresh, la Cour suprême a conclu que l'expression «danger pour la sécurité du Canada» devait être interprétée «d'une manière large et équitable, et en conformité avec les normes internationales». Ce qui constitue un danger pour la sécurité du Canada «repose en grande partie sur les faits et ressortit à la politique, au sens large». Pour l'application du paragraphe 84(2), une preuve justifiant des soupçons objectivement raisonnables permettant de craindre un préjudice sérieux suffit pour établir l'existence d'un danger pour la sécurité nationale. Par conséquent, il peut être difficile pour celui qui réclame sa mise en liberté de convaincre la Cour selon la probabilité la plus forte, que sa mise en liberté ne constituera pas un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui. En l'espèce, le juge Nadon s'est dit convaincu, au vu de l'ensemble de la preuve dont il disposait, qu'il existait des motifs sérieux de croire que Mahjoub était membre du Vanguards of Conquest et du Jihad islamique égyptien, aussi appelé Al Jihad, ou de l'un ou l'autre de ces deux organismes et que ces organismes s'étaient livrés à des actes de terrorisme. La Cour a conclu en outre que Mahjoub n'avait pas dit la vérité. Au soutien de sa requête en mise en liberté, Mahjoub n'a produit aucun élément de preuve tendant à démontrer un changement de situation ni aucun élément de preuve portant sur l'existence d'un danger quelconque. La Cour disposait d'une preuve abondante, compte tenu des résumés publics et des renseignements secrets en matière de sécurité, pour justifier la conviction objectivement raisonnable que la mise en liberté de Mahjoub constituerait un danger pour la sécurité nationale. La preuve produite par Mahjoub manquait de solidité. Elle n'était pas suffisante pour neutraliser les éléments de preuve qui étayaient la conviction objectivement raisonnable suivant laquelle la mise en liberté de Mahjoub constituerait un danger. Le dépôt d'un cautionnement n'écarterait pas le danger que créerait la mise en liberté de Mahjoub. Celui-ci n'a pas convaincu la Cour, selon la probabilité la plus forte, que sa mise en liberté ne constituera pas un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui.

lois et règlements

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7, 11e), 24(1).

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46.

Déclaration canadienne des droits, L.R.C. (1985), appendice III, art. 2.

Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], préambule.

Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 52.

Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 19(1)e)(ii) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 11), (iv)(B) (mod., idem), (C) (mod., idem), f)(ii) (mod., idem), (iii) (B) (mod., idem), 40.1 (édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 29, art. 4; L.C. 1992, ch. 49, art. 31), 53(1) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 43; 1995, ch 15, art. 12).

Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 77(1), 78, 81, 84(1),(2), 115.

jurisprudence

décision suivie:

Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3; (2002), 208 D.L.R. (4th) 1; 37 Admin. L.R. (3d) 152; 90 C.R.R. (2D) 1; 18 Imm. L.R. (3d) 1; 281 N.R. 1.

décisions appliquées:

Ahani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 164 F.T.R. 49; 49 Imm. L.R. (2d) 86 (F.C.T.D.); conf. par (2000), 24 Admin. L.R. (3d) 171; 77 C.R.R. (2d) 144; 7 Imm. L.R. (3d) 1; 261 N.R. 40 (C.A.F.); Chiarelli c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711; (1992), 90 D.L.R. (4th) 289; 2 Admin. L.R. (2d) 125; 72 C.C.C. (3d) 214; 8 C.R.R. (2d) 234; 16 Imm. L.R. (2d) 1; 135 N.R. 161; Ruby c. Canada (Solliciteur général), [2002] 4 R.C.S. 3 (2002), 219 D.L.R. (4th) 385; 49 Admin.L.R. (3d) 1; 22 C.P.R. (4th) 289; 7 C.R. (6th) 88; 99 C.R.R. (2d) 324; 295 N.R. 353; Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 970 (1re inst.) (QL).

distinction faite d'avec:

France v. Ouzchar, [2001] O.J. No. 5713 (Cour sup.) (QL); Canada (Attorney General) v. Raghoonanan, (2003), 63 O.R. (3d) 465; 173 C.C.C. (3d) 294; 186 O.A.C. 329 (C.A.); Canada c. Schmidt, [1987] 1 R.C.S. 500; (1987), 39 D.L.R. (4th) 18; 33 C.C.C. (3d) 193; 58 C.R. (3d) 1; 28 C.R.R. 280; 76 N.R. 12; 20 O.A.C. 161.

décisions examinées:

Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Mahjoub, [2001] 4 C.F. 644; (2001), 212 F.T.R. 42 (1re inst.); Mahjoub c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] D.S.Arb.I no 5 (QL).

DEMANDE de mise en liberté présentée en vertu du paragraphe 84(2) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Demande rejetée.

ont comparu:

J. Daniel Roussy et Donald R. MacIntosh pour les demandeurs.

Rocco Galati pour le défendeur.

avocats inscrits au dossier:

Le sous-procureur général du Canada pour les demandeurs.

Galati, Rodrigues & Associates, Toronto, pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par

[1]Le juge Dawson: La Cour statue sur une demande d'ordonnance présentée en vertu du paragraphe 84(2) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) en vue d'obtenir la mise en liberté de M. Mahjoub.

FAITS À L'ORIGINE DU LITIGE

[2]M. Mahjoub est entré au Canada le 30 décembre 1995 et a immédiatement revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention. Le 24 octobre 1996, la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a reconnu à M. Mahjoub le statut de réfugié au sens de la Convention.

[3]Le 27 juin 2000, le solliciteur général et le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (les ministres) ont, conformément à l'alinéa 40.1(3)a) [édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 29, art. 4] de la Loi sur l'immigration [L.R.C. (1985), ch. I-2], alors en vigueur (l'ancienne Loi), transmis à la Cour un double de l'attestation (également appelée attestation de sécurité ou certificat) qu'ils avaient signée pour que la Cour décide si l'attestation devait être annulée. Dans cette attestation, les ministres exprimaient l'avis, à la lumière des renseignements secrets en matière de sécurité dont ils avaient eu connaissance, que M. Mahjoub était une personne visée par le sous-alinéa 19(1)e)(ii) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 11], les divisions 19(1)e)(iv)(B) [mod., idem] et (C) [mod., idem], le sous-alinéa 19(1)f)(ii) [mod., idem] et la division 19(1)f)(iii)(B) [mod., idem] de l'ancienne Loi.

[4]Sur la foi de cette attestation, M. Mahjoub a été incarcéré le 26 juin 2000 et il est détenu depuis cette date.

[5]Le 30 juin 2000, le juge Nadon, qui était chargé d'examiner l'attestation, a étudié à huis clos les renseignements secrets en matière de sécurité dont les ministres avaient eu connaissance et il a entendu les avocats qui les représentaient au sujet des faits évoqués dans les renseignements en question. Le juge Nadon a ensuite ordonné que l'on transmette à M. Mahjoub un résumé de ces renseignements afin de lui permettre d'être suffisamment informé des circonstances ayant donné lieu à l'attestation. Avant d'ordonner que ce résumé soit fourni à M. Mahjoub, le juge Nadon s'est demandé si cette mesure ne risquait pas de porter atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui.

[6]Comme il est indiqué dans le résumé, le Service canadien du renseignement de sécurité (le SCRS) est d'avis que M. Mahjoub est un membre haut placé d'une organisation terroriste islamique égyptienne, le Vanguards of Conquest, une aile radicale du Jihad islamique égyptien, aussi appelé Al Jihad. Selon le SCRS, Al Jihad est l'un des groupes qui s'est détaché de la section égyptienne de la Fraternité musulmane au cours des années 1970 pour former une organisation plus extrémiste et militante. SCRS, Al Jihad prône le recours à la violence en vue d'instaurer un État islamique en Égypte.

[7]Le résumé communiqué à M. Mahjoub énonce, dans la mesure où la sécurité nationale et celle des citoyens le permettent, les raisons pour lesquelles le SCRS croit que M. Mahjoub, pendant son séjour au Canada, travaillera ou incitera au renversement du gouvernement de l'Égypte par la force et qu'il est membre d'une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle travaillera ou incitera au renversement du gouvernement de l'Égypte par la force et qui s'est livrée et se livrera à des actes de terrorisme. Dans le résumé, le SCRS expose également les raisons pour lesquelles il est d'avis que M. Mahjoub s'est livré à des actes de terrorisme.

[8]Le juge Nadon a présidé une audience publique, qui s'est déroulée du 26 février au 8 mars 2001, en vue de donner à M. Mahjoub la possibilité d'être entendu au sujet de l'attestation. Les avocats ont soumis leurs observations au juge Nadon le 8 mai 2001. Le 5 octobre 2001 [[2001] 4 C.F. 644 (1re inst.)], le juge Nadon a conclu, à la lumière des éléments de preuve et des renseignements dont il disposait, que l'attestation déposée par les ministres était raisonnable.

[9]Le 25 mars 2002 [[2002] D.S.Arb.I. no 5 (QL)], la section d'arbitrage de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a conclu que M. Mahjoub n'était pas admissible au Canada, sur la foi de l'attestation de sécurité, et elle a par conséquent ordonné l'expulsion de M. Mahjoub.

[10]La nouvelle Loi est entrée en vigueur le 28 juin 2002. C'est à l'alinéa 115(2)b) de la Loi que l'on trouve désormais l'exception au principe suivant lequel les réfugiés au sens de la Convention, qui sont des personnes protégées par la Loi, ne peuvent être renvoyées dans un pays où elles risquent la persécution, la torture ou des traitements ou peines cruels et inusités.

[11]La requête en mise en liberté de M. Mahjoub a été déposée le 18 octobre 2002.

[12]En décembre 2002, lors d'une audience à huis clos, j'ai examiné les renseignements les plus récents communiqués à la Cour pour le compte des ministres en réponse à la requête en mise en liberté de M. Mahjoub. Cette audience a eu lieu en l'absence de M. Mahjoub et de son avocat. J'ai également entendu des informations sur la question de savoir pourquoi les renseignements en question risquaient de porter atteinte à la sécurité nationale. Après m'être convaincue que les renseignements étaient pertinents mais que leur divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale, j'ai transmis un résumé des renseignements en question à M. Mahjoub. Ce résumé a selon moi permis à M. Mahjoub d'être suffisamment informé des renseignements les plus récents, sans toutefois révéler des informations qui risqueraient de porter atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui.

[13]La requête en mise en liberté de M. Mahjoub devait être instruite les 28 et 29 janvier 2003, mais elle a été remise à la demande de M. Mahjoub, parce qu'un des témoins que M. Mahjoub voulait faire entendre n'était pas disponible. L'audition a été reportée au 29 mars 2003, mais a été de nouveau ajournée, parce que la Cour ne pouvait l'entendre à cette date. L'instruction de l'affaire a finalement eu lieu le 10 mai 2003.

PRINCIPES JURIDIQUES APPLICABLES

[14]Il s'agit, à ma connaissance, de la première décision rendue sous le régime du paragraphe 84(2) de la Loi, qui est ainsi libellé:

84. [. . .]

(2) Sur demande de l'étranger dont la mesure de renvoi n'a pas été exécutée dans les cent vingt jours suivant la décision sur le certificat, le juge peut, aux conditions qu'il estime indiquées, le mettre en liberté sur preuve que la mesure ne sera pas exécutée dans un délai raisonnable et que la mise en liberté ne constituera pas un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui.

[15]Le paragraphe 84(2) reprend pour l'essentiel le libellé des paragraphes 40.1(8) [édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 29, art. 4] et (9) [édicté, idem] de l'ancienne Loi qui sont reproduits à l'annexe A des présents motifs.

[16]Le paragraphe 84(2) de la Loi consacre le droit de l'étranger de présenter une requête en vue d'être remis en liberté si la mesure de renvoi prise contre lui n'a pas été exécutée dans les 120 jours qui suivent la décision aux termes de laquelle l'attestation a été jugée raisonnable. Le critère à appliquer comporte toujours deux volets. Le juge saisi de la requête doit être convaincu que «la mesure [de renvoi] ne sera pas exécutée dans un délai raisonnable et que la mise en liberté ne constituera pas un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui». Le premier volet reprend à peu près textuellement le libellé du paragraphe 40.1(9) de l'ancienne Loi, alors qu'au second volet, le législateur emploie l'expression «ne constituera pas un danger pour la sécurité nationale» au lieu de l'expression «ne porterait pas atteinte à la sécurité nationale» et parle de la sécurité d'«autrui» au lieu de celle de «personnes».

[17]L'avocat de M. Mahjoub soutient que ces différences ne sont pas négligeables parce que le libellé actuel est identique à celui que la Cour suprême du Canada a examiné dans l'arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3. Il insiste en particulier sur le raisonnement suivi par la Cour suprême aux paragraphes 89 et 90, où, s'agissant de l'expression «danger pour la sécurité du Canada» (qui est semblable à celle que l'on trouve dans la disposition applicable de la nouvelle Loi, sans y être identique), la Cour écrit qu'une «personne constitue un "danger pour la sécurité du Canada" si elle représente, directement ou indirectement, une grave menace pour la sécurité du Canada». La Cour a précisé que «[l]a menace doit être "grave" en ce sens qu'elle doit reposer sur des soupçons objectivement raisonnables et étayés par la preuve, et en ce sens que le danger appréhendé doit être sérieux, et non pas négligeable».

[18]L'avocat de M. Mahjoub s'autorise de ces propos de la Cour suprême pour affirmer qu'une fois que l'attestation a été jugée raisonnable, l'intéressé ne peut être refoulé que si le critère posé dans l'arrêt Suresh est respecté. Dans le même ordre d'idées, l'avocat du défendeur soutient qu'on ne peut détenir une personne indéfiniment en vertu du paragraphe 84(2) que si ce même critère est rempli. Il s'agirait d'un critère plus exigeant que celui qui était prévu à l'article 40.1 de l'ancienne Loi, qui permettait de confirmer l'attestation en invoquant l'existence de «motifs raisonnables de croire».

[19]Malgré l'éloquent plaidoyer de l'avocat de M. Mahjoub, je ne suis pas convaincue que le libellé actuel du paragraphe 84(2) de la Loi devrait, en raison de l'arrêt Suresh de la Cour suprême du Canada, être interprété différemment des dispositions analogues de l'ancienne Loi. J'en arrive à cette conclusion à cause de la grande similitude qu'offre le libellé de ces deux dispositions et aussi parce que, dans l'affaire Suresh, la Cour suprême n'était pas appelée à examiner les dispositions relatives au contrôle des motifs de la détention que l'on trouvait aux paragraphes 40.1(8) et (9) de l'ancienne Loi. Les passages de l'arrêt Suresh cités par l'avocat s'inscrivaient plutôt dans le cadre de l'analyse de la question de savoir si les conditions énumérées dans l'ancienne Loi en matière de refoulement des réfugiés visés par une attestation de sécurité étaient constitutionnelles et notamment si l'expression «danger pour la sécurité du Canada» que l'on trouvait à l'alinéa 53(1)b) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 43] de l'ancienne Loi était imprécise au point d'être inconstitutionnelle. (Le paragraphe 53(1) de l'ancienne Loi est reproduit à l'annexe A.)

[20]Les observations formulées par la Cour suprême sur la nature de la preuve exigée pour établir l'existence d'un «danger pour la sécurité du Canada» sont effectivement utiles pour interpréter l'expression «danger pour la sécurité nationale». Toutefois, pour les motifs que j'exposerai plus en détail plus loin lors de mon examen des éléments de preuve relatifs au danger que présente la mise en liberté de M. Mahjoub, je ne suis pas convaincue que l'arrêt Suresh marque un revirement de la jurisprudence.

[21]Je suis persuadée que c'est toujours à celui qui réclame sa mise en liberté qu'il incombe de démontrer qu'il satisfait aux critères légaux prévus au paragraphe 84(2) de la Loi. J'en arrive à cette conclusion pour les mêmes raisons que celles qu'a exposées le juge Denault dans le jugement Ahani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 164 F.T.R. 49 (C.F. 1re inst.); conf. par (2000), 24 Admin. L.R. (3d) 171 (C.A.F.). Premièrement, le droit de demander la mise en liberté appartient indubitablement à la personne qui est détenue et, partant, c'est en règle générale sur le requérant que repose ce fardeau. En second lieu, le juge doit être convaincu que la mesure de renvoi de la personne détenue «ne sera pas exécutée dans un délai raisonnable» et que sa mise en liberté «ne constituera pas un danger». S'il avait voulu faire assumer aux ministres la charge de la preuve, le législateur aurait exprimé l'obligation sous forme positive et non négative. En outre, conclure autrement obligerait les ministres, selon la formule employée par la Cour d'appel dans l'arrêt Ahani au paragraphe 11, à reprendre une grande partie des débats qui ont déjà eu lieu en l'espèce.

[22]Ayant conclu que la jurisprudence élaborée sous le régime de l'ancienne Loi continue à s'appliquer et qu'elle n'a pas été rendue caduque par suite du prononcé de l'arrêt Suresh de la Cour suprême, voici les principes juridiques à appliquer:

(i) La norme de preuve est celle qui s'applique normalement en matière civile.

(ii) Les ministres se sont déjà acquittés du fardeau qui leur incombait de démontrer le bien-fondé de la détention initiale.

(iii) Le certificat fait foi de l'interdiction de territoire de l'intéressé pour des raisons de sécurité ou pour tout autre motif énuméré au paragraphe 77(1) de la Loi, ou de l'article qui l'a précédé, et qui sont mentionnés dans le certificat.

(iv) La mise en liberté prévue au paragraphe 84(2) n'est pas accordée automatiquement, car les personnes visées au paragraphe 84(2) ont fait l'objet d'un constat d'interdiction de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux, pour grande criminalité ou pour criminalité organisée.

(v) Nul ne peut être détenu indéfiniment, du moins pas sans un motif valable. La personne détenue peut donc demander le contrôle des motifs de sa détention après 120 jours et obtenir sa mise en liberté si elle satisfait aux critères prévus par la loi.

(Voir l'affaire Ahani, précitée, et l'article 81 de la Loi).

QUESTIONS CONSTITUTIONNELLES

[23]Dans la requête qu'il a présentée en vertu du paragraphe 84(2) en vue d'obtenir sa mise en liberté, M. Mahjoub fait valoir à titre subsidiaire qu'il devrait être élargi parce que sa détention est illégale. Il invoque la Déclaration canadienne des droits, L.R.C. (1985), appendice III, art. 2, le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict. ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1 [L.R.C. (1985), appendice II, no 5]] et la déclaration des droits qu'il renferme implicitement, le paragraphe 24(1) de la [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi consititutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] et l'article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]], ainsi que la common law. Il invoque également l'article 7 et l'alinéa 11e) de la Charte. Avec l'accord des parties, cette question ne sera abordée que si la requête en mise en liberté présentée par M. Mahjoub en vertu du paragraphe 84(2) de la Loi n'est pas accueillie. En conséquence, les présents motifs ne visent que la requête fondée sur le paragraphe 84(2).

LA PREUVE

(i) Procédure suivie pour la protection des éléments de preuve dont la divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui

[24]Le paragraphe 84(2) ne renferme aucune disposition au sujet de la procédure à suivre en matière de requêtes en mise en liberté. Le paragraphe 40.1(10) [édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 29, art. 4] de l'ancienne Loi (qui est reproduit à l'annexe A) prévoyait que le juge saisi de cette demande devait examiner, à huis clos et en l'absence de l'auteur de la demande et du conseiller le représentant, tout élément de preuve ou d'information présenté au ministre concernant la sécurité nationale ou celle de personnes, pour ensuite fournir à l'auteur de la demande un résumé des éléments de preuve ou d'information dont il disposait. Ce résumé devait être établi en tenant compte de la question de savoir si les éléments de preuve ou d'information en question ne devaient pas être divulgués au motif que leur divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale ou à celle de personnes.

[25]Même si l'on ne trouve pas de disposition semblable dans la Loi actuelle, je suis d'avis que cette procédure est encore celle qu'il faut suivre. La raison pour laquelle j'en arrive à cette conclusion est que la demande de mise en liberté ne surgit pas de nulle part: elle s'inscrit dans le contexte d'une instance en cours. Ainsi, en l'espèce, la requête a été présentée dans le cadre d'une instance visant à décider si le certificat est raisonnable (dossier DES-1-00). En conséquence, la Cour dispose des éléments d'information sur lesquels le certificat est fondé ainsi que des motifs exposés par la Cour pour conclure qu'il est raisonnable. Ainsi, la décision sur le danger que la mise en liberté de l'intéressé pourrait constituer pour la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui n'est pas prise dans l'abstrait ou d'une manière qui obligerait les ministres à présenter de nouveau les éléments de preuve et d'information qu'ils ont déjà soumis à la Cour pour obtenir de celle-ci qu'elle décide si le certificat est raisonnable ou non.

[26]Il s'ensuit à mon avis que, parce que la requête en mise en liberté fait partie intégrante de l'instance toujours en cours dans le cadre de laquelle le demandeur est détenu, les alinéas 78e) et h) de la Loi continuent à s'appliquer. Voici le texte de ces alinéas:

78. Les règles suivantes s'appliquent à l'affaire:

    [. . .]

    e) à chaque demande d'un ministre, il examine, en l'absence du résident permanent ou de l'étranger et de son conseil, tout ou partie des renseignements ou autres éléments de preuve dont la divulgation porterait atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui;

    [. . .]

    h) le juge fournit au résident permanent ou à l'étranger, afin de lui permettre d'être suffisamment informé des circonstances ayant donné lieu au certificat, un résumé de la preuve ne comportant aucun élément dont la divulgation porterait atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui. [Le souligné est de moi.]

[27]Un étranger comme M. Mahjoub qui est nommé au certificat de sécurité est détenu sur délivrance du certificat sans qu'il soit nécessaire de décerner un mandat d'arrestation. Il demeure détenu tant qu'une décision n'a pas été prise au sujet du caractère raisonnable du certificat (sous réserve du droit du ministre d'ordonner la mise en liberté de l'étranger qui veut quitter le Canada en vertu du paragraphe 84(1) de la Loi). Si le certificat est confirmé, l'intéressé demeure en détention tant qu'il n'est pas renvoyé du Canada ou mis en liberté conformément au paragraphe 84(2) de la Loi. À mon avis, «l'instance» introduite par la délivrance du certificat se poursuit aussi longtemps que la personne visée par le certificat demeure en détention ou tant qu'elle n'est pas mise en liberté sous caution en attendant son renvoi. Pendant toute la durée de l'instance, le ministre ou le solliciteur général peut présenter la demande prévue à l'alinéa 78e). Cette mesure a pour effet de permettre aux ministres de présenter des demandes pour mettre à jour au besoin le dossier soumis à la Cour.

[28]Cette interprétation est renforcée, à mon avis, par le fait que le paragraphe 84(2) de la Loi se trouve lui-même à la section 9 de la Partie I de la Loi intitulée «Examen de renseignements à protéger». Le paragraphe 84(2) de la Loi oblige le juge à soupeser des facteurs tels que l'existence d'un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui. Le législateur fédéral voulait sans doute protéger les renseignements dont la divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui.

[29]En l'espèce, ainsi que je l'ai déjà signalé, après le dépôt de la requête en mise en liberté, les avocats des ministres ont demandé à la Cour d'entendre certains éléments d'information à huis clos en l'absence de M. Mahjoub et de son conseil. Cela fait, M. Mahjoub a ensuite reçu un résumé ne comportant aucun élément dont la divulgation porterait atteinte, selon moi, à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui.

[30]L'avocat de M. Mahjoub a soutenu lors des débats (mais pas dans les observations écrites qu'il a déposées pour son compte ou dans toute requête présentée au sujet du résumé fourni à son client) qu'en agissant de la sorte, j'ai commis une erreur parce que l'alinéa 78e) de la Loi ne s'applique pas. Suivant l'avocat du demandeur, l'alinéa 78e) ne s'applique qu'à l'audience portant sur le caractère raisonnable du certificat et non à la requête en mise en liberté de la personne qui a fait l'objet d'un certificat qui a été jugé raisonnable, mais dont la mesure de renvoi n'a pas été exécutée dans les 120 jours suivant la décision sur le certificat. Pour reprendre les propos de l'avocat de M. Mahjoub, «Je dois savoir, suivant la formule employée dans l'arrêt Suresh, quel "grave danger" mon client constitue si l'on refuse de le mettre en liberté».

[31]Je suis d'accord pour dire que M. Mahjoub a le droit d'être suffisamment informé des raisons pour lesquelles le ministre s'oppose à sa mise en liberté. Ce droit doit toutefois être examiné en fonction de l'intérêt de l'État à protéger des renseignements dont la divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui. La Cour suprême du Canada a reconnu cet intérêt, ainsi que la nécessité de protéger la confidentialité de ces renseignements qui en découle, dans l'arrêt Chiarelli c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711, à la page 745. La Cour suprême du Canada a, dans l'arrêt Ruby c. Canada (Solliciteur général), [2002] 4 R.C.S. 3, au paragraphe 43, reconnu que l'intérêt légitime de l'État à protéger des renseignements qui, s'ils étaient divulgués, porteraient sensiblement atteinte à la sécurité nationale constitue «une préoccupation urgente et réelle». Rien de ce que la Cour suprême a dit dans l'arrêt Suresh, précité, ne vient atténuer la portée de ces principes. Les préoccupations soulevées au sujet de la sécurité nationale ou de celle d'autrui ne deviennent pas moins urgentes dans le cas d'une demande présentée en vertu du paragraphe 84(2) que dans le cas d'une demande fondée sur l'article 78 de la Loi. Je ne suis pas convaincue que l'obligation de la Cour de veiller à la protection de la sécurité nationale est moins rigoureuse lorsqu'elle est saisie d'une requête en mise en liberté.

PREUVE ADMINISTRÉE À L'AUDIENCE PUBLIQUE

[32]En plus des éléments de preuve qui ont été présentés à la Cour lors de l'audience qui s'est déroulée à huis clos, de nouveaux éléments de preuve ont été produits lors de l'audience publique du 10 mai 2003. M. Mahjoub a témoigné et a été contre-interrogé par les avocats des ministres. En réponse aux questions que son avocat lui a posées, M. Mahjoub a affirmé qu'il n'avait jamais été accusé ou reconnu coupable d'une infraction criminelle nulle part dans le monde et qu'on ne lui avait reproché aucun manquement à la discipline pendant sa détention au Canada. S'il est remis en liberté, il ira vivre avec sa femme et ses enfants à l'extérieur de Toronto et reprendra le travail. Il est un citoyen égyptien et croit qu'il ne peut aller habiter ailleurs qu'en Égypte, surtout après les événements du 11 septembre 2001.

[33]En contre-interrogatoire, M. Mahjoub a admis qu'avant d'être détenu, il s'était séparé de sa femme et de ses enfants, mais il a ajouté que ses rapports avec sa femme étaient «très bons» même après leur séparation. M. Mahjoub a confirmé qu'il était recherché par le gouvernement égyptien. Il a reconnu qu'il avait donné un faux témoignage sous serment lorsqu'il avait comparu devant le juge Nadon dans le cadre de l'instance relative au caractère raisonnable de l'attestation. Son avocat a toutefois objecté que son client avait «avoué la vérité avant la clôture de l'instance après avoir consulté son conseiller juridique. Ce n'est pas comme s'il avait menti et n'avait rien fait pour rectifier le tir avant la clôture de l'instance. Avant la fin de l'instance, M. Mahjoub a dit la vérité». M. Mahjoub a aussi confirmé qu'il ne désire pas retourner en Égypte, mais a affirmé qu'il «se présentera» à l'aéroport s'il est remis en liberté et si le gouvernement canadien ordonne ensuite son renvoi du Canada.

[34]Avant l'audience, M. Mahjoub a soumis à la Cour des affidavits souscrits par sa femme et par quatre personnes qui étaient disposées à se porter caution pour lui. À l'audience, une des cautions proposées a déclaré qu'elle n'était plus prête à agir comme caution. Je n'ai donc pas tenu compte de l'affidavit de cette personne. La femme de M. Mahjoub et deux des cautions proposées sont venues à la barre pour confirmer le contenu de leur affidavit et pour être contre-interrogées.

[35]La femme de M. Mahjoub est citoyenne canadienne. Elle a parlé de son mariage et des rapports de M. Mahjoub avec ses enfants. Son aîné est issu d'un premier mariage. M. Mahjoub est le père des deux jeunes enfants de sa femme, qui sont âgés de trois et de cinq ans, et est le père de facto du fils aîné de sa femme. La femme de M. Mahjoub est prête à se porter caution jusqu'à concurrence de 10 000 $. Elle a confirmé qu'elle était disposée à encadrer son mari pour le cas où il serait remis en liberté et qu'elle comprenait qu'elle devait appeler la police ou d'autres autorités s'il violait l'une des conditions de sa mise en liberté. Elle a aussi confirmé qu'elle comprenait bien que, dans ce dernier cas, elle perdrait sa caution de 10 000 $.

[36]En contre-interrogatoire, la femme de M. Mahjoub a confirmé qu'elle et son mari se sont séparés un mois avant le début de sa première période de détention en raison de problèmes conjugaux. Elle a reconnu que son mari avait été condamné par contumace à 15 ans d'emprisonnement en Égypte. Elle affirme cependant que cette sentence a été prononcée à l'issue d'un procès au cours duquel des éléments de preuve secrets ont été produits. Elle ajoute qu'elle et son mari n'ont été mis au courant de ce procès qu'en lisant un article à ce sujet dans le journal. La femme de M. Mahjoub s'est dit d'avis que, s'il doit retourner en Égypte, M. Mahjoub sera torturé et que «c'en sera fini de lui».

[37]M. Ali Hindy est citoyen canadien. Il est ingénieur-conseil et travaille à son propre compte. Par ailleurs, depuis 1997, il est l'imam de la mosquée Salahaddin. La femme de M. Mahjoub a enseigné à la mosquée entre 1997 et 1999 et M. Hindy la connaît depuis 1985. M. Hindy perçoit M. Mahjoub comme un homme calme, honnête et respectable qui ne risque pas de s'enfuir ou de constituer un danger pour le public. Ali Hindy est disposé à se porter caution, à titre personnel, pour une somme variant entre 15 000 $ et 20 000 $. Il s'engagerait à demeurer constamment en communication avec M. Mahjoub et sa famille. Suivant Ali Hindy, parce que M. Mahjoub est un musulman pratiquant, il se sentira fortement lié et obligé par les cautions fournies par Ali Hindy et par d'autres membres de son entourage. Ali Hindy a confirmé qu'il comprend bien les obligations imposées à celui qui se porte caution et qu'il se conformera à ces obligations.

[38]En contre-interrogatoire, Ali Hindy a confirmé qu'il travaille pendant de longues heures, surtout les week-ends, et qu'il est une personne occupée. Il accorderait toutefois la priorité à M. Mahjoub. Il admet qu'il connaît M. Mahjoub comme un des membres de la collectivité et qu'il connaît beaucoup mieux la femme de M. Mahjoub. Il a confirmé qu'il ne connaît pas «tellement» M. Mahjoub. Quant à son avis sur la question de savoir si M. Mahjoub risque de s'enfuir ou de constituer un danger pour le public, Ali Hindy affirme que, lorsqu'il parle à une personne qui a la même appartenance religieuse que lui, il peut savoir si cette personne est honnête ou si elle a des problèmes, et il ajoute qu'il peut suivre le fil de sa pensée.

[39]La deuxième caution proposée, M. Wancho, a confirmé dans sa déposition le contenu de son affidavit. Son témoignage est analogue à celui de Ali Hindy. En contre-interrogatoire, il a confirmé qu'il était un travailleur autonome, de sorte que son horaire de travail est flexible. Il a dit qu'il se tiendrait en communication constante avec M. Mahjoub par téléphone ou que, si une rencontre personnelle s'avérait nécessaire, il prendrait «les mesures qui s'imposent». Pour affirmer que M. Mahjoub ne risque pas de s'enfuir ou de constituer un danger pour le public, il rappelle qu'il a rencontré M. Mahjoub à de nombreuses reprises et qu'il n'a jamais «discerné de signe de violence dans sa personnalité, dans ses moeurs ou dans son comportement».

[40]La quatrième caution proposée, M. Haleem, était toujours prêt à se porter caution, mais n'était pas en mesure de se présenter à l'audience, parce qu'il avait dû se rendre à l'étranger pour affaires. Les avocats des ministres ne se sont pas opposés à la réception de son affidavit. Il s'est dit d'avis que l'affidavit se passait d'explications et que les réserves formulées au sujet de l'absence de son auteur n'auraient qu'une incidence sur la valeur à accorder à l'affidavit.

[41]La preuve produite pour le compte de M. Mahjoub était également composée de trois autres affidavits déposés à titre de pièces complémentaires. Suivant l'avocat de M. Mahjoub, les questions soulevées dans ces affidavits n'ont rien à voir avec les critères légaux que l'on trouve au paragraphe 84(2) de la Loi. L'avocat de M. Mahjoub a ajouté que ces éléments de preuve deviendront pertinents plus tard si la Cour est appelée à aborder les questions d'ordre constitutionnel.

[42]Les affidavits qui ont été produits pour le compte des ministres ont été souscrits par Mme O'Brien, la directrice de l'examen sécuritaire à la Direction générale du renseignement du ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration (la directrice), et par Mme McManus, agente d'application de la loi au Centre d'exécution de la loi du Toronto métropolitain (l'agente). La directrice a souscrit un second affidavit pour mettre à jour le premier.

[43]La directrice a témoigné à l'audience. En réponse aux questions posées par les avocats des ministres, elle a confirmé le contenu de ses deux affidavits. Elle a retracé l'évolution du statut de M. Mahjoub au Canada et a rappelé les démarches entreprises pour l'expulser du Canada, y compris les assurances obtenues de l'Égypte. La directrice a aussi témoigné au sujet des incidences de l'arrêt Suresh et de l'entrée en vigueur de la nouvelle Loi sur le cas de M. Mahjoub.

[44]Dans ses affidavits, la directrice a parlé des démarches suivantes qui ont été entreprises au sujet du renvoi de M. Mahjoub du Canada depuis que le juge Nadon a jugé l'attestation de sécurité raisonnable le 5 octobre 2001:

a) Le 22 octobre 2001, le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration (le) a informé M. Mahjoub de son intention de demander au ministre, en vertu de l'alinéa 53(1)b) de l'ancienne Loi, de donner son avis sur la question de savoir si M. Mahjoub constituait un danger pour la sécurité du Canada. Cet avis aurait permis aux autorités de renvoyer M. Mahjoub, un réfugié au sens de la Convention en Égypte, que sa vie ou sa liberté y soient compromises ou non.

b) Le 25 mars 2002, la section d'arbitrage de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a déclaré M. Mahjoub non admissible au Canada sur la foi de l'attestation de sécurité. Une mesure d'expulsion a été prise.

c) Le 28 juin 2002, la nouvelle Loi est entrée en vigueur. C'est à l'alinéa 115(2)b) de la nouvelle Loi que l'on trouve l'exception au principe du non-refoulement dont bénéficient les réfugiés au sens de la Convention ainsi que les personnes protégées qui risquent la persécution dans un pays où elles peuvent être renvoyées.

d) En raison de l'arrêt Suresh de la Cour suprême, des consultations ont été menées auprès de CIC et d'autres ministères pour décider de l'opportunité d'exiger d'autres garanties en l'espèce. Il a été décidé de s'adresser aux autorités égyptiennes pour obtenir leur assurance que M. Mahjoub ne subirait pas de traitement contraire aux conventions portant sur la torture. Des assurances écrites ont été reçues des autorités égyptiennes en février et en mars 2003.

e) Ces assurances ont été signifiées à M. Mahjoub le 28 mars 2003, avec d'autres documents dont le ministre se servira pour décider, en vertu de l'alinéa 115(2)b) de la Loi, si, selon lui, M. Mahjoub ne devrait pas être autorisé à demeurer au Canada en raison soit de la nature et de la gravité de ses actes passés, soit du danger qu'il constitue pour la sécurité du Canada. M. Mahjoub devait présenter sa réplique au plus tard le 23 mai 2003. Sur réception de ces observations, le ministre sera en mesure de formuler son avis sur la question de savoir si l'on devrait permettre à M. Mahjoub de rester au Canada.

[45]En contre-interrogatoire, la directrice a confirmé que la Cour avait accordé l'autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire de la mesure de renvoi prise par l'arbitre. Elle a ajouté qu'elle ne croyait pas que CIC exécutera la mesure de renvoi de M. Mahjoub avant que cette demande de contrôle judiciaire n'ait été jugée et qu'une décision n'ait été rendue au sujet des incidences des dispositions transitoires sur les mesures prises pour renvoyer M. Mahjoub du Canada. Elle a confirmé que la Cour est saisie d'une autre demande portant sur une décision défavorable rendue au sujet des motifs d'ordre humanitaire invoqués par M. Mahjoub. Elle estime, à la lumière des renseignements secrets en matière de sécurité sur lesquels reposaient l'attestation de sécurité ainsi que le résumé et la décision du juge Nadon, que M. Mahjoub est une personne dont il y a des motifs raisonnables de croire que, pendant qu'elle se trouve au Canada, sera l'instigateur ou l'auteur d'actes visant au renversement du gouvernement de l'Égypte par la force. La directrice a reconnu les documents reçus des autorités égyptiennes au sujet des assurances données au gouvernement canadien en ce qui concerne M. Mahjoub et ces documents ont été cotés et versés en preuve. La directrice a confirmé qu'une fois que M. Mahjoub aura formulé ses observations au sujet de son éventuel renvoi en Égypte, elle ne sait pas combien de temps il faudrait attendre pour qu'une décision soit prise en ce qui concerne le renvoi de M. Mahjoub du Canada. La directrice s'est toutefois dit d'avis que le Ministère n'attendrait pas «trop longtemps» avant de faire connaître sa décision. Elle croit qu'après que cette décision aura été prise, M. Mahjoub aura la possibilité d'en demander le contrôle judiciaire.

[46]L'agente n'a pas été contre-interrogée, puisque les avocats des ministres ont précisé qu'elle ne serait pas en mesure de dire quand M. Mahjoub serait renvoyé du Canada.

[47]Ayant examiné l'essentiel de la preuve administrée lors de l'audience publique, j'applique maintenant ces éléments de preuve aux critères légaux régissant la mise en liberté.

ANALYSE

(i) La mesure de renvoi sera-t-elle exécutée dans un délai raisonnable?

[48]Selon l'avocat de M. Mahjoub, l'appréciation du caractère raisonnable du délai doit se faire en fonction du contexte de la Loi. Il soutient que le délai de 120 jours mentionné au paragraphe 84(2) reflète l'intention du législateur fédéral selon laquelle, lorsque la mesure de renvoi n'a pas été exécutée dans les 120 jours suivant la décision sur le certificat, il y a une présomption légale qui veut que la période de détention de l'intéressé soit considérée comme trop longue. En l'espèce, M. Mahjoub est détenu depuis un peu plus de trois ans, et 21 mois se sont écoulés depuis que le certificat a été confirmé. M. Mahjoub met en contraste la durée de sa détention avec les dispositions antiterroristes du Code criminel [L.R.C. (1985), ch. C-46]. M. Mahjoub relève aussi que les témoins qui sont venus à la barre pour appuyer la thèse des ministres n'ont pas été en mesure de préciser quand il sera renvoyé du Canada.

[49]En réponse, les ministres font valoir qu'il ressort des éléments de preuve soumis par les représentants de CIC que la procédure de renvoi de M. Mahjoub est déjà entamée. Ils estiment qu'il suffit pour ce faire que le ministre exprime l'avis prévu à l'article 115 de la Loi. Une partie du retard a été imputé à l'arrêt Suresh de la Cour suprême du Canada, qui a forcé CIC à vérifier s'il fallait obtenir d'autres garanties pour assurer la protection de M. Mahjoub et qui l'a amené à s'adresser aux autorités égyptiennes pour obtenir des assurances.

[50]Pour analyser ces arguments, j'accepte d'abord que la mention d'un délai de 120 jours au paragraphe 84(2) permet de conclure que le législateur fédéral voulait que, dès lors qu'un certificat est jugé raisonnable, la personne qui y est nommée devrait être renvoyée sans délai. Toutefois, en assujettissant la mise en liberté de l'intéressé à la nécessité pour la Cour de se demander si le renvoi sera exécuté dans un délai raisonnable, le législateur fédéral a envisagé la possibilité que, dans certaines circonstances, même si la mesure de renvoi n'est pas exécutée dans les 120 jours, la durée de la détention peut quand même être considérée comme raisonnable. Sinon, la mise en liberté après 120 jours serait automatique lorsqu'aucune considération de sécurité nationale ou de sécurité d'autrui n'entre en ligne de compte. Le droit de l'intéressé de demander sa mise en liberté après 120 jours incite incontestablement les fonctionnaires à exécuter la mesure de renvoi sans délai tout en s'assurant que tout délai de plus de 120 jours puisse faire l'objet d'un contrôle judiciaire rigoureux.

[51]Lorsqu'il s'agit de déterminer le caractère raisonnable, chaque cas est un cas d'espèce.

[52]En l'espèce, j'estime que les deux éléments les plus déterminants de l'incertitude qui subsiste au sujet du moment où M. Mahjoub sera renvoyé sont les suivants:

(i) l'existence d'instances judiciaires qu'il a introduites ou qu'il introduira;

(ii) les risques de torture ou de mort auxquels est exposé M. Mahjoub s'il est renvoyé en Égypte.

[53]En ce qui concerne le premier élément, il est incontestable que M. Mahjoub a le droit, en vertu de la Loi et de la Charte, de contester la légalité des décisions prises au sujet de son statut d'immigrant. Il ressort de la preuve que notre Cour est saisie de deux demandes de contrôle judiciaire. Il est par ailleurs probable que d'autres contestations seront engagées plus tard, notamment si le ministre estime que M. Mahjoub peut être renvoyé en Égypte. C'est en grande partie pour ces raisons que la directrice n'a pas pu préciser quand M. Mahjoub serait renvoyé. Toutefois, bien qu'il ait le droit d'épuiser toutes les voies de recours qui lui sont ouvertes, M. Mahjoub ne saurait à mon avis invoquer le temps qu'il a consacré à l'exercice de ces droits pour prétendre qu'il ne sera pas renvoyé du Canada dans un délai raisonnable. Le juge Rothstein en est arrivé à une conclusion semblable, alors qu'il siégeait à la Section de première instance de la Cour fédérale, dans le jugement Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 970 (1re inst.) (QL), au paragraphe 7. Pour reprendre les propos du juge Rothstein, auxquels je souscris entièrement:

Tout intéressé a la faculté d'exercer les voies de droit qui lui permettraient de demeurer au Canada. Mais s'il le fait, il ne peut plus, en raison de ses propres actions, tirer argument du fait qu'il ne serait pas renvoyé hors du Canada dans un délai raisonnable, pour invoquer l'alinéa 40.1(9)a).

[54]Pour ce qui est des circonstances entourant les préoccupations exprimées sur les risques que court M. Mahjoub d'être torturé, voire tué, en Égypte, la Cour suprême du Canada a affirmé, dans l'arrêt Suresh, précité, que, sauf circonstances extraordinaires, une expulsion impliquant un risque de torture viole généralement les principes de justice fondamentale protégés par l'article 7 de la Charte. Ainsi, en règle générale, le ministre devrait, en droit, refuser d'expulser les réfugiés au sens de la Convention qui sont exposés à un risque élevé de torture. En conséquence, pour reprendre les propos formulés par la Cour suprême dans l'arrêt Suresh, au paragraphe 76: «les États doivent trouver un autre moyen d'assurer la sécurité nationale».

[55]À mon sens, il découle directement de ce qui précède que lorsqu'une personne à qui le statut de réfugié au sens de la Convention a été reconnu affirme qu'elle risque la torture en cas d'expulsion, le délai raisonnable exigé pour s'assurer que les principes de justice fondamentale ont été respectés sera plus long.

[56]Il ne s'ensuit pas pour autant que l'arrêt Suresh s'applique de manière à faire de toute période de temps écoulée avant l'exécution d'une mesure de renvoi un délai raisonnable. Le tribunal doit plutôt vérifier attentivement si tout a été mis en oeuvre pour exécuter diligemment la mesure de renvoi dans le respect des mesures de protection prévues par la Charte.

[57]En l'espèce, une mesure de renvoi a été obtenue le 26 mars 2002. Cette mesure demeure exécutoire même si elle fait l'objet d'une contestation judiciaire. À la suite de l'arrêt Suresh rendu par la Cour suprême le 11 janvier 2002, d'autres démarches ont été entreprises par CIC, qui a demandé et obtenu des assurances du gouvernement de l'Égypte. Ces assurances écrites ont été communiquées à M. Mahjoub, qui s'est vu offrir la possibilité de faire valoir son point de vue en réponse à ces assurances et aux pièces qui devaient être soumises au ministre pour qu'il donne son avis sur la question de savoir si M. Mahjoub devait être autorisé à demeurer au Canada. Dans la présente instance, aucun élément de preuve convaincant ne tend à démontrer que le CIC a laissé traîner les choses en longueur ou s'est autrement rendu coupable d'un retard inexcusable ou déraisonnable.

[58]Comme le ministre n'a pas encore pris de décision au sujet du renvoi, qu'il est fort probable que sa décision soit contestée devant notre Cour et qu'aucune preuve n'a été présentée au sujet des circonstances dans lesquelles le gouvernement égyptien a donné les assurances en question, je ne suis pas disposée à formuler d'observations au sujet de la valeur à accorder aux assurances écrites qui ont été déposées en preuve devant moi. Je suis toutefois convaincue, en ce qui concerne la question que je dois trancher, qu'elles témoignent des mesures prises par CIC pour se conformer à l'exigence contenue implicitement au paragraphe 84(2) de la Loi en exécutant la mesure de renvoi de M. Mahjoub du Canada dès que les circonstances le permettent tout en respectant les droits protégés par la Charte.

[59]Le temps que M. Mahjoub a passé en détention depuis que l'attestation a été jugée raisonnable est une question fort préoccupante. Toutefois, compte tenu des mesures qui ont été prises pour assurer la protection des droits de M. Mahjoub et compte tenu du fait que l'incertitude entourant le moment où il sera effectivement renvoyé s'explique en grande partie par les instances qui ont été introduites en son nom ou qui pourraient l'être en vue de contester les mesures prises contre lui, je conclus que M. Mahjoub ne s'est pas déchargé du fardeau qui lui incombait de me convaincre, selon la probabilité la plus forte, que la mesure de renvoi du Canada dont il fait l'objet ne sera pas exécutée dans un délai raisonnable.

(ii) La mise en liberté de M. Mahjoub constituera-t-elle un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui?

[60]Comme j'ai conclu que M. Mahjoub ne m'avait pas convaincue que la mesure de renvoi dont il fait l'objet ne sera pas exécutée dans un délai raisonnable, il n'est pas rigoureusement nécessaire que j'examine le second critère prévu par la Loi, puisque les conditions énumérées au paragraphe 84(2) de la Loi doivent toutes être réunies pour que cette disposition s'applique. Toutefois, compte tenu de la longue période de temps que M. Mahjoub a passé en détention et de l'incapacité des fonctionnaires des ministres de préciser à quel moment sa mesure de renvoi sera exécutée, j'estime qu'il est souhaitable d'examiner le second volet du critère légal de la mise en liberté.

[61]Suivant l'essentiel de la preuve soumise à la Cour, la mise en liberté de M. Mahjoub constituerait un danger pour la sécurité nationale, plutôt qu'un danger pour la sécurité d'autrui. Dans l'affaire Suresh, la Cour suprême s'est demandé ce qui constitue un «danger pour la sécurité du Canada». La Cour a conclu que cette expression devait être interprétée «d'une manière large et équitable, et en conformité avec les normes internationales». Ce qui constitue un danger pour la sécurité du Canada [au paragraphe 85] «repose en grande partie sur les faits et ressortit à la politique, au sens large».

[62]La Cour suprême a fait observer que l'appui au terrorisme à l'étranger crée la possibilité de répercussions préjudiciables à la sécurité du Canada. Elle a expliqué dans les termes suivants, au paragraphe 88 de son arrêt, les raisons pour lesquelles elle en arrivait à cette conclusion:

Premièrement, les réseaux mondiaux de transport et de financement qui soutiennent le terrorisme à l'étranger peuvent atteindre tous les pays, y compris le Canada, et les impliquer ainsi dans les activités terroristes. Deuxièmement, le terrorisme lui-même est un phénomène qui ne connaît pas de frontières. La cause terroriste peut viser un lieu éloigné, mais les actes de violence qui l'appuient peuvent se produire tout près. Troisièmement, les mesures de prudence ou de prévention prises par l'État peuvent être justifiées; il faut tenir compte non seulement des menaces immédiates, mais aussi des risques éventuels. Quatrièmement, la coopération réciproque entre le Canada et d'autres pays dans la lutte au terrorisme international peut renforcer la sécurité nationale du Canada. Ces considérations nous amènent à conclure que serait trop exigeant un critère requérant la preuve directe d'un risque précis pour le Canada afin de décider si une personne constitue un «danger pour la sécurité du Canada». Il doit exister une possibilité réelle et sérieuse d'un effet préjudiciable au Canada. Néanmoins, il n'est pas nécessaire que la menace soit directe; au contraire, elle peut découler d'événements qui surviennent à l'étranger, mais qui, indirectement, peuvent réellement avoir un effet préjudiciable à la sécurité du Canada. [Non souligné dans l'original.]

[63]La Cour suprême a poursuivi en disant ce qui suit, aux paragraphes 89 et 90:

Bien que l'expression «danger pour la sécurité du Canada» doive recevoir une interprétation souple, et que les tribunaux ne soient pas tenus d'exiger la preuve directe que la menace vise précisément le Canada, il demeure que l'al. 53(1)b) ne permet le refoulement d'un réfugié dans un pays où il risque la torture que s'il est établi que la sécurité nationale est gravement menacée. En laissant entendre qu'un facteur moins exigeant que de graves menaces étayées par la preuve suffirait pour expulser un réfugié dans un pays où il risque la torture, on cautionnerait l'application inconstitutionnelle de la Loi sur l'immigration. Dans la mesure du possible, les lois doivent recevoir une interprétation conforme à la Constitution. Ces éléments appuient la conclusion que, bien que l'expression «danger pour la sécurité du Canada» doive recevoir une interprétation large et équitable, elle exige néanmoins la preuve d'une menace potentiellement grave.

Ces considérations nous amènent à conclure qu'une personne constitue un «danger pour la sécurité du Canada» si elle représente, directement ou indirectement, une grave menace pour la sécurité du Canada, et il ne faut pas oublier que la sécurité d'un pays est souvent tributaire de la sécurité d'autres pays. La menace doit être «grave», en ce sens qu'elle doit reposer sur des soupçons objectivement raisonnables et étayés par la preuve, et en ce sens que le danger appréhendé doit être sérieux, et non pas négligeable. [Non souligné dans l'original.]

[64]Il est vrai que la Cour suprême du Canada examinait la question du refoulement des réfugiés au sens de la Convention, mais j'estime que ses observations sont utiles pour déterminer ce qui constitue un danger pour la sécurité nationale au sens du paragraphe 84(2) de la Loi.

[65]Ainsi, pour l'application du paragraphe 84(2), une preuve justifiant des soupçons objectivement raisonnables permettant de craindre un préjudice sérieux suffit pour établir l'existence d'un danger pour la sécurité nationale. Parce que c'est à celui qui réclame sa mise en liberté qu'il incombe de convaincre la Cour, selon la probabilité la plus forte, que sa mise en liberté ne constituera pas un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui, il peut être difficile à cette personne de se décharger de ce fardeau de la preuve, compte tenu du fait qu'il suffit d'une preuve justifiant des soupçons objectivement raisonnables de crainte d'un préjudice pour faire la preuve d'un danger.

[66]Cette façon de voir s'accorde entièrement selon moi avec la conclusion dégagée par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Ahani, précité, dans lequel la Cour s'est penchée sur les dispositions analogues de l'ancienne Loi relatives à la mise en liberté. Dans cet arrêt, la Cour écrit ce qui suit , aux paragraphes 13, 14 et 15:

L'autre exception est celle qui fait l'objet du présent litige. Il me semble que la mise en liberté prévue au paragraphe 40.1(9) ne peut être automatique ou facile à obtenir. Cette mise en liberté n'est censée être permise «que dans les circonstances très restreintes» énumérées dans la loi. (Voir le juge McGillis dans la décision Ahani, précitée, à la page 274). Après tout, les personnes auxquelles s'appliquent les paragraphes 41.1(8) et (9) ont été déclarées non admissibles et sont détenues pour des raisons liées à la sécurité et aux intérêts du Canada, ou parce que leur présence au pays mettait en danger la vie ou la sécurité de personnes au Canada (alinéa 38.1a)). Dans ces circonstances particulières, la mise en liberté ne sera pas accordée automatiquement.

Évidemment, cette détention ne peut être d'une durée indéterminée, du moins en l'absence d'une bonne raison. De là, il est permis de demander un réexamen après 120 jours de détention, mais la mise en liberté n'est accordée que si l'intéressé «ne sera pas renvoyé du Canada dans un délai raisonnable» et si «sa mise en liberté ne porterait pas atteinte à la sécurité nationale ou à celle de personnes». Normalement, on pourrait s'attendre à ce qu'une personne doive démontrer un changement important dans les circonstances ou présenter une nouvelle preuve qui n'était pas disponible auparavant afin d'être mise en liberté.

Arriver à une autre conclusion équivaudrait à accorder à l'appelant une audience de novo, chose que la loi ne prévoit pas. L'avocate de l'appelant se fonde sur l'affaire R c. Pearson ([1992] A.C.S. no 99), dans laquelle la situation était complètement différente car la personne accusée était détenue avant la tenue d'un procès criminel par dérogation à la présomption d'innocence. Dans le présent cas, l'attestation établit de façon concluante que l'appelant n'est pas admissible pour des raisons flagrantes et, par conséquent, on ne peut considérer qu'il ait droit à la présomption d'innocence. (Voir aussi Ahani c. Canada (1996), 201 N.R. 233 (C.A.F.), le juge Marceau, J.C.A.).

[67]En l'espèce, le juge Nadon s'est dit convaincu, au vu de l'ensemble de la preuve dont il disposait, qu'il existait des motifs sérieux de croire que M. Mahjoub est un membre à la fois du Vanguards of Conquest et du Jihad islamique égyptien, aussi appelé Al Jihad, ou de l'un ou l'autre de ces deux organismes. Le juge Nadon s'est également dit convaincu qu'il existait des motifs raisonnables de croire que ces organismes se sont livrés à des actes de terrorisme. Cette dernière conclusion ne semble pas avoir été contestée devant le juge Nadon et elle ne l'a pas été devant moi.

[68]Au sujet de l'appartenance au Vanguards of Conquest ou au Jihad islamique ou aux deux, le juge Nadon a conclu ce qui suit:

1. M. Mahjoub s'est parjuré lorsqu'il a dit qu'il ne connaissait pas Marzouk;

2. M. Mahjoub n'a pas dit la vérité au sujet de ses liens avec Al Duri;

3. M. Mahjoub a menti aux agents du SCRS au sujet de son emploi du nom d'emprunt «Mahmoud Shaker»;

4. M. Mahjoub n'a pas dit la vérité au sujet de ses véritables activités alors qu'il travaillait pour Oussama ben Laden au Soudan;

5. M. Mahjoub n'a pas dit la vérité lorsqu'il a été interrogé la première fois par le SCRS et qu'il a affirmé qu'il ne connaissait pas Ahmad Said Khadr;

[69]Voici un extrait du résumé préparé par le juge Nadon, où l'on trouve l'essentiel des renseignements qui ont conduit à la délivrance de l'attestation de sécurité, ainsi que le résumé établi en réponse à la requête en mise en liberté de M. Mahjoub:

1. M. Marzouk est un agent du Jihad islamique qui purge présentement une peine d'emprisonnement de 15 ans en Égypte pour son implication dans des actes de terrorisme commis par des groupes musulmans sunnites, et notamment pour avoir formé des terroristes qui ont participé aux attentats à la bombe perpétrés contre l'ambassade des États-Unis à Nairobi, au Kenya;

2. Le Jihad islamique a toujours entretenu des liens étroits tant avec Oussama ben Laden qu'avec Al-Qaïda;

3. M. Khadr a été arrêté par les autorités pakistanaises parce qu'il était soupçonné d'avoir participé à l'attentat à la voiture piégée perpétré contre l'ambassade de l'Égypte au Pakistan en 1995 et qu'il a été inscrit par les Nations Unies et le Canada sur la liste des individus liés à Oussama ben Laden et dont les actifs devaient être bloqués. Le nom de M. Khadr figure aussi sur la liste des membres d'Al-Qaïda toujours recherchés par les États-Unis. À son arrivée au Canada, M. Mahjoub a habité chez M. Khadr pendant environ trois semaines.

[70]Au soutien de sa requête en mise en liberté, M. Mahjoub n'a produit aucun élément de preuve tendant à démontrer un changement de situation ni aucun élément de preuve nouveau portant sur l'existence d'un danger quelconque.

[71]À l'appui de son argument que sa mise en liberté ne constituerait pas un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui, M. Mahjoub fait valoir que la Cour doit être convaincue, au vu de la preuve, que sa présence constituerait effectivement un danger pour des personnes bien précises au Canada ou pour la sécurité du Canada. M. Mahjoub ne saurait être incarcéré indéfiniment sans respecter le critère posé par la Cour suprême dans l'arrêt Suresh. Il invoque par ailleurs certaines décisions, notamment le jugement France v. Ouzchar, [2001] O.J. no 5713 (C. Sup.) (QL); l'arrêt Canada (Attorney General) v. Raghoonanan (2003), 63 O.R. (3d) 465 (C.A.); et l'arrêt Canada c. Schmidt, [1987] 1 R.C.S. 500, pour soutenir que, dans le contexte de l'extradition, la Cour remet les détenus en liberté après avoir mis en balance le danger que court le public avec les facteurs qui militent en faveur de la mise en liberté.

[72]Pour ce qui est des affaires d'extradition, j'estime qu'il y a lieu d'établir une distinction entre elles et la présente espèce. Ainsi, dans l'affaire Ouzchar, rien ne permettait de conclure que le défendeur constituait un risque pour le public (voir le paragraphe 19 de la décision). Qui plus est, l'extradition se situe dans un contexte législatif différent de celui sur lequel la Cour est appelée à se prononcer. Nul n'a prétendu lors des débats que le droit de ne pas être privé sans juste cause d'une mise en liberté assortie d'un cautionnement raisonnable, qui est garanti par la Charte et qui s'applique dans le contexte de l'extradition selon le jugement Ouzchar au paragraphe 27, s'applique aussi dans le contexte de l'immigration.

[73]J'ai attentivement examiné l'ensemble des arguments invoqués par l'avocat de M. Mahjoub. Je suis convaincue que la Cour dispose d'une preuve abondante, compte tenu des résumés publics et des renseignements secrets en matière de sécurité, pour justifier la conviction objectivement raisonnable que la mise en liberté de M. Mahjoub constituerait un danger pour la sécurité nationale. À titre d'exemple de danger éventuel, M. Mahjoub se trouverait dans une situation où il pourrait rétablir le contact avec les membres du réseau d'extrémistes islamiques, permettant ainsi à ces derniers de participer à la planification et à l'exécution d'actes de terrorisme. Il s'agit là d'une grave menace de danger.

[74]La preuve produite par M. Mahjoub manque de solidité. Elle n'est pas suffisante pour neutraliser les éléments de preuve qui étayent la conviction objectivement raisonnable suivant laquelle la mise en liberté de M. Mahjoub constituerait un danger.

[75]Je me suis également demandé s'il est possible d'assortir la mise en liberté de conditions propres à dissiper cette menace. L'avocat de M. Mahjoub a proposé que son client soit remis en liberté à des conditions analogues à celles que le tribunal a imposées dans l'affaire Ouzchar. Voici ces conditions:

    1.     Demeurer dans la province d'Ontario et ne pas en sortir sans avoir d'abord obtenu la permission de la Cour;

    2.     S'abstenir de communiquer directement ou indirectement avec l'un quelconque des individus ou des organismes mentionnés dans le jugement de la Haute Cour de Paris daté du 6 avril 2001 ou avec toute personne associée à ces individus ou à ces organismes.

    3.     Faire le nécessaire pour conserver votre emploi et signaler sans délai tout changement dans votre situation d'emploi à la Gendarmerie Royale du Canada;

    4.     Résider au 46, avenue Arkledun, appartement 504, à Hamilton, en Ontario, et ne pas vous éloigner de votre domicile sauf pour votre travail ou en compagnie d'une de vos cautions pour consulter votre avocat, rencontrer votre médecin ou assister à un office religieux;

    5.     Ne pas troubler l'ordre public et avoir une bonne conduite et assister à toute audience judiciaire aux dates fixées;

    6.     Ne pas avoir en votre possession une arme à feu, une arbalète, une arme prohibée, une arme à autorisation restreinte, un dispositif prohibé, des munitions ou des substances explosives;

    7.     Ne pas présenter de demande d'autorisation d'acquisition ou de possession d'armes à feu;

    8.     Ne pas utiliser de téléphones portables ou d'ordinateur sauf pour votre travail;

    9.     Remettre sans délai à la Gendarmerie Royale du Canada tout document de voyage, y compris votre passeport;

    10.     Communiquer chaque jour par téléphone conventionnel avec la Direction générale de la Gendarmerie Royale du Canada à Hamilton, en Ontario, et vous présenter en personne chaque semaine au même endroit sur demande de la GRC.

[76]Notre Cour a toutefois conclu que M. Mahjoub n'avait pas dit la vérité. Compte tenu de cette conclusion et de la nature de la menace en question, M. Mahjoub ne m'a pas convaincue que les conditions proposées ou des conditions semblables auraient pour effet d'assurer que sa mise en liberté ne constituerait pas un danger pour la sécurité nationale ou pour la sécurité d'autrui.

[77]J'ai également évalué le témoignage des cautions proposées. À l'exception de la femme de M. Mahjoub, aucune d'entre elles ne semble bien connaître M. Mahjoub ou le connaître depuis longtemps. Malgré leurs efforts et leurs bonnes intentions et malgré le témoignage de Ali Hindy suivant lequel M. Mahjoub se sentirait moralement lié si des personnes se portaient caution pour lui, on ne m'a pas convaincue que le dépôt d'un cautionnement écarterait le danger que créerait la mise en liberté de M. Mahjoub.

[78]Il s'ensuit que M. Mahjoub ne s'est pas acquitté du fardeau qui lui incombait de convaincre la Cour, selon la probabilité la plus forte, que sa mise en liberté ne constituera pas un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui.

[79]Par ces motifs, je suis d'avis de rejeter la requête en mise en liberté fondée sur la Loi.

[80]En conséquence, les avocats devront communiquer avec le greffe de la Cour au sujet de la date d'instruction de la seconde partie de la requête de M. Mahjoub portant sur la constitutionnalité de sa détention.

    ANNEXE A

40.1 [. . .]

(7) Toute attestation qui n'est pas annulée en application de l'alinéa (4)d) établit de façon concluante le fait que la personne qui y est nommée appartient à l'une des catégories visées au sous-alinéa 19(1)c.1)(ii), aux alinéas 19(1)c.2), d), e), f), g), j), k) ou l) ou au sous-alinéa 19(2)a.1)(ii) et l'intéressé doit, par dérogation aux articles 23 ou 103 mais sous réserve du paragraphe (7.1), continuer d'être retenu jusqu'à son renvoi du Canada.

.

(7.1) Le ministre peut ordonner la mise en liberté de la personne nommée dans l'attestation afin de lui permettre de quitter le Canada, que la décision visée à l'alinéa (4)d) ait ou non été rendue.

(8) La personne retenue en vertu du paragraphe (7) peut, si elle n'est pas renvoyée du Canada dans les cent vingt jours suivant la prise de la mesure de renvoi, demander au juge en chef de la Cour fédérale ou au juge de cette cour qu'il délègue pour l'application du présent article de rendre l'ordonnance visée au paragraphe (9).

(9) Sur présentation de la demande visée au paragraphe (8), le juge en chef ou son délégué ordonne, aux conditions qu'il estime indiquées, que l'intéressé soit mis en liberté s'il estime que:

    a) d'une part, il ne sera pas renvoyé du Canada dans un délai raisonnable;

    b) d'autre part, sa mise en liberté ne porterait pas atteinte à la sécurité nationale ou à celle de personnes.

(10) À l'audition de la demande visée au paragraphe (8), le juge en chef ou son délégué:

    a) examine, à huis clos et en l'absence de l'auteur de la demande et du conseiller le représentant, tout élément de preuve ou d'information présenté au ministre concernant la sécurité nationale ou celle de personnes;

    b) fournit à l'auteur de la demande un résumé des éléments de preuve ou d'information concernant la sécurité nationale ou celle de personnes dont il dispose, à l'exception de ceux dont la communication pourrait, à son avis, porter atteinte à la sécurité nationale ou à celle de personnes;

    c) donne à l'auteur de la demande la possibilité d'être entendu.

    [. . .]

53. (1) Par dérogation aux paragraphes 52(2) et (3), la personne à qui le statut de réfugié au sens de la Convention a été reconnu aux termes de la présente loi ou des règlements, ou dont la revendication a été jugée irrecevable en application de l'alinéa 46.01(1)a), ne peut être renvoyée dans un pays où sa vie ou sa liberté seraient menacées du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, sauf si, selon le cas:

    a) elle appartient à l'une des catégories non admissibles visées à l'alinéa 19(1)c) ou au sous-alinéa 19(1)c.1)(i) et que, selon le ministre, elle constitue un danger pour le public au Canada;

    b) elle appartient à l'une des catégories non admissibles visées aux alinéas 19(1)e), f), g), j), k) ou l) et que, selon le ministre, elle constitue un danger pour la sécurité du Canada;

    c) elle relève du cas visé au sous-alinéa 27(1)a.1)(i) et que, selon le ministre, elle constitue un danger pour le public au Canada;

    d) elle relève, pour toute infraction punissable aux termes d'une loi fédérale d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans, du cas visé à l'alinéa 27(1)d) et que, selon le ministre, elle constitue un danger pour le public au Canada.

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