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     T-961-03

    2003 CF 1273

Shirley Choken, Myles Sinclair, Wilfred Marsden et Jerry Marsden (demandeurs)

c.

La bande indienne de Lake St. Martin (défenderesse)

et

Peace Hills Trust Company, la Banque canadienne impériale de commerce et Andrew Alkier (tiers-saisis)

et

Le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (intervenant)

Répertorié: Chokenc. Bande indienne de Lake St. Martin (C.F.)

Cour fédérale, juge Gibson--Winnipeg, 20 octobre; Ottawa, 31 octobre 2003.

Couronne -- Créanciers et débiteurs -- Audience de justification -- Une protonotaire a rendu une ordonnance fondée sur la règle 449(1) des Règles de la Cour fédérale (1998) par laquelle elle a ordonné que toutes les dettes dues à la bande indienne par la banque soient saisies-arrêtées pour l'exécution du jugement non exécuté pour congédiement injustifié rendu contre la bande -- Les sommes étaient fournies par la Couronne en vertu d'une entente de financement globale (EFG) et administrées par un tiers administrateur -- Le compte «en fiducie» était établi au nom de l'administrateur mais les bénéficiaires n'étaient pas spécifiés -- Les montants constituent-ils une créance échue ou à échoir du chef et du conseil aux fins de la régle 449(1)? -- Les fonds de la Couronne ne peuvent faire l'objet d'une saisie-arrêt -- Les fonds versés à l'administrateur demeurent-ils des fonds de la Couronne? -- La bande dispose-elle d'un droit inconditionnel au paiement? -- Examen de la jurisprudence sur la question -- La Cour préfère le jugement rendu par le juge Muldoon dans Kostyshyn (Johnson) c. West Region Tribal Council (C.F. 1re inst.) à celui rendu par la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan dans Osland v. James Smith Cree First Nation -- En l'espèce, ce n'est pas la Première nation mais plutôt la Couronne qui s'oppose à la saisie-arrêt -- L'administrateur doit, en vertu de l'entente d'administration, élaborer et soumettre un plan de désendettement -- Les demandeurs (créanciers judiciaires) ont allégué que la désignation «en fiducie» pour un compte bancaire a uniquement pour objet de protéger les fonds contre les créanciers personnels de l'administrateur -- Aucun accord de fiducie n'est établi par l'entente -- Les fonds ne sont plus des fonds de la Couronne -- Les gens de la Première nation avaient un droit absolu sur ces fonds -- Le fait que les sommes étaient administrées par un administrateur indépendant n'est pas pertinent -- Ordonnance en faveur des créanciers judiciaires.

Peuples autochtones -- Audience de justification concernant la saisie-arrêt de fonds versés dans le compte du tiers administrateur et devant être utilisés pour la prestation de programmes et la mise en oeuvre d'un plan de désendettement -- De nombreux membres de la bande vivent dans la pauvreté -- Durant une période de bouleversements politiques, l'élection du chef et des conseillers a été annulée en raison d'une manoeuvre frauduleuse -- Les créanciers judiciaires sont des membres et d'anciens employés de la bande -- Jugement obtenu pour congédiement injuste -- Jugement non exécuté -- Explications sur l'entente de financement global et l'entente d'administration par tierce partie -- La question est de savoir si les sommes versées dans le compte de banque «en fiducie» établi au nom du tiers administrateur constituent une créance échue ou à échoir du chef et du conseil -- La Cour applique la décision rendue par le juge Muldoon dans Kostyshyn (Johnson) c. West Region Tribal Council dans laquelle il n'a manifesté aucune compassion pour les préoccupations des Indiens à l'égard de la perte de fonds qui devaient servir au financement de programmes sociaux et qui serviraient à payer une créancière judiciaire pour congédiement injuste -- L'entente d'administration en l'espèce ne précisant pas qui devrait être le ou les bénéficiaires de la fiducie, aucun accord de fiducie n'est établi par l'entente -- La bande a un droit absolu sur ces fonds -- La Cour ordonne à la banque de payer les créanciers judiciaires à même les fonds détenus dans le compte du tiers administrateur.

Il s'agit d'une audience de justification faisant suite à une ordonnance rendue ex parte par une protonotaire en vertu du paragraphe 449(1) des Règles de la Cour fédérale (1998) par laquelle elle a ordonné que toutes les dettes dues au débiteur judiciaire--la bande indienne de Lake St. Martin--soient saisies-arrêtées et que les tiers-saisis se présentent devant la Cour pour assister à une audience de justification.

Les demandeurs sont membres de la Première nation de Lake St. Martin par laquelle ils étaient employés. Ils ont été congédiés injustement et un arbitre leur a accordé une indemnité dont la plus grande partie n'a pas encore été payée. Cette somme s'est vu conférer la valeur d'un jugement de la Cour.

Le nombre des membres de la bande qui vivent dans des réserves s'élève à 1 275, dont 153 enfants qui vont à l'école, ainsi qu'environ 261 familles et 279 personnes célibataires qui sont dépendantes de l'aide sociale. La Première nation, représentée par le chef et le conseil, et le ministre ont signé une entente de financement global (EFG). En vertu de cette entente, des fonds devaient être versés au conseil qui, avec l'aide d'un cogestionnaire, devait offrir des programmes et des services aux membres de la Première nation. À la suite de l'appel relatif aux élections, lequel a été accueilli, la Première nation s'est retrouvée sans chef ni conseil valablement élus, le ministre a avisé qu'un dénommé Alkier, un conseiller agréé en gestion, (un tiers-saisi en l'espèce) avait été nommé tiers administrateur. La Peace Hills Trust Company et la Banque canadienne impériale de commerce sont les institutions financières de la Première nation mais les soldes des comptes ouverts à la banque sont très modestes. Toutefois, le solde du compte détenu à la banque par le tiers administrateur est supérieur au montant de la créance judiciaire. En vertu de l'entente d'administration par tierce partie, le tiers administrateur était tenu d'établir auprès d'une institution financière canadienne reconnue un compte à son nom avec la mention explicite qu'il s'agit d'un compte en fiducie dans lequel tous les fonds avancés par le ministre en vertu de l'entente doivent être déposés. Le tiers administrateur ne peut être tenu responsable des actions posées par le conseil avant la date de signature de l'entente, ni des actions posées par le conseil après la signature de l'entente, pour lesquelles il n'a donné ni autorisation ni consentement. Ce sont les fonds reçus du ministre par l'administrateur qui ont été saisis-arrêtés par les demandeurs entre les mains de la Banque canadienne impériale de commerce, dans un compte au nom de l'administrateur. La question en litige est de savoir si les montants constituent une créance échue ou à échoir du chef et du conseil aux fins du paragraphe 449(1) des Règles de la Cour fédérale (1998).

Jugement: l'administrateur ne s'est pas acquitté du fardeau de faire valoir les raisons pour lesquelles la Banque canadienne impériale de commerce ne devrait pas payer aux demandeurs, sur les fonds inscrits au crédit de son compte, la créance qui leur était due.

Bien que les fonds de la Couronne ne puissent faire l'objet d'une saisie-arrêt, la question consiste à savoir si les fonds déposés dans le compte de l'administrateur demeurent des fonds de la Couronne ou sont devenus des fonds à l'égard desquels la Première nation dispose d'un droit au paiement qui lui est reconnu par la loi et qui est inconditionnel. Dans Mintuck v. Valley River Band No. 63A et al, la Cour du Banc de la Reine du Manitoba a conclu que, une fois portées au crédit du compte de la bande défenderesse, «ces sommes perdaient leur identité et leur caractère de fonds publics ou de "bourse royale" et pouvaient alors faire l'objet d'une saisie-arrêt». La décision rendue par le juge Muldoon dans Kostyshyn (Johnson) c. West Region Tribal Council est encore plus pertinente. Un témoin déposant pour le Conseil a exprimé la préoccupation à l'égard des répercussions de la saisie-arrêt sur les domaines de l'éducation sanitaire et du développement communautaire. Le juge de première instance n'a cependant manifesté aucune compassion envers le débiteur judiciaire qui «pleure» alors qu'il aurait dû y avoir songé avant de congédier de façon injuste la créancière judiciaire.

En l'espèce, ce n'est pas la Première nation mais plutôt la Couronne qui s'oppose à la saisie-arrêt des fonds qu'elle verse. L'administrateur doit, en vertu de l'entente d'administration, élaborer et soumettre un plan de désendettement qui serait étendu à la dette du chef et du conseil, laquelle est à l'origine de la saisie-arrêt à l'étude.

La décision très récente du juge Baynton de la Saskatchewan dans l'affaire Osland v. James Smith Cree First Nation est tout à fait à l'opposé de la décision Johnson. Le juge de la Cour du Banc de la Reine a écrit qu'«un débiteur judiciaire ne peut établir de mécanisme artificiel pour mettre les fonds détenus par un tiers à l'abri de la saisie-arrêt», puis il ensuite conclu que ni la bande ni les membres de la Première nation débitrice judiciaire n'ont légalement le droit de réclamer les fonds, même ceux qui sont «assignés» à un programme particulier et, par conséquent, les fonds ne constituent pas des «créances échues ou à échoir» au sens de l'Attachment of Debts Act. L'avocat des demandeurs a fait valoir que la Cour devrait distinguer la décision Osland relativement à un certain nombre de points et suivre, par analogie, la décision Kostyshyn. La Cour ne peut approuver la conclusion tirée dans Osland.

Les demandeurs ont allégué que la désignation «en fiducie» pour un compte bancaire a uniquement pour objet de protéger les fonds contre les créanciers personnels de l'administrateur. Comme il n'est pas du tout évident à la lecture de l'entente d'administration qui devrait être le ou les bénéficiaires de la fiducie, aucun accord de fiducie n'est établi par l'entente. L'entente prévoit simplement une gestion indépendante et responsable des sommes qui auraient autrement été versées directement au chef et au conseil pour faire en sorte que, durant une période de bouleversements politiques au sein de la Première nation et de difficultés financières, les fonds soient convenablement gérés et qu'un plan de désendettement efficace soit élaboré et soumis au ministre pour approbation. Comme il a été décidé dans Mintuk que, une fois qu'ils sont versés, les fonds cessent d'être des fonds de la Couronne, sous réserve des dispositions de l'entente prévoyant les circonstances où le ministre pourrait rappeler la totalité ou une partie des fonds et que les gens de la Première nation avaient un droit absolu sur ces fonds. Pour les besoins de la présente affaire, le fait que les sommes étaient administrées par un administrateur indépendant n'était pas pertinent.

Les sommes à l'origine du présent litige sont des sommes dont la Première nation a légalement droit au paiement, non simplement pour la prestation de programmes et de services, mais également pour la mise en oeuvre d'un plan de désendettement, lequel s'étendrait au jugement en faveur des demandeurs.

lois et règlements

Attachment of Debts Act, R.S.S. 1978, ch. A-32.

Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif, L.R.C. (1985), ch. C-50 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 21), art. 29 (mod. par L.C. 2001, ch. 4 art. 49).

Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5, art. 2(1) «bande», «conseil de la bande», «Indien», 74.

Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, règle 449(1).

jurisprudence

décisions appliquées:

Mintuck v. Valley River Band No. 63A et al. (1977), 83 D.L.R. (3d) 324; [1978] 2 W.W.R. 159; 9 C.N.L.C. 229 (C.B.R. Man.); Federal Distributors Ltd. v. Low, Sinosky and Polar Service Centre Ltd., [1981] S.J. no 1001 (B.R.) (QL); Kostyshyn (Johnson) c. West Region Tribal Council, [1994] 1 C.N.L.R. 94; (1992), 55 F.T.R. 48 (C.F. 1re inst.).

décision non suivie:

Osland v. James Smith Cree First Nation (2003), 231 Sask. R. 161 (B.R.).

AUDIENCE DE JUSTIFICATION en rapport avec la saisie-arrêt de sommes administrées par un tiers administrateur afin d'exécuter le jugement en faveur des créanciers judiciaires, employés de la Première Nation congédiés injustement. Les sommes avaient été avancées par la Couronne en rapport avec des programmes et des services qui devaient être fournis à certains Indiens. Jugement en faveur des demandeurs (créanciers judiciaires).

ont comparu:

Harvey I. Pollock, c.r. et Wayne P. Forbes pour les demandeurs.

Personne n'a comparu pour la défenderesse.

Harley I. Schachter pour le tiers-saisi Andrew Alkier.

Michelle D. Adrian pour l'intervenant.

avocats inscrits au dossier:

Pollock & Company, Winnipeg, pour les demandeurs.

Duboff, Edwards, Haight & Schachter, Winnipeg, pour le tiers-saisi Andrew Alkier.

Le sous-procureur général du Canada pour l'intervenant.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par

Le juge Gibson:

INTRODUCTION

[1]Par ordonnance rendue le 7 août 2003, la protonotaire Tabib a accordé la réparation suivante aux demandeurs:

LA COUR ORDONNE que toutes les créances échues ou à échoir dont Peace Hills Trust Company [. . .] est redevable au débiteur judiciaire (la bande indienne de Lake St. Martin, défenderesse) et en dépôt ou dues et payables par Peace Hills Trust Company au débiteur judiciaire soient saisies-arrêtées pour le paiement de la créance de 89 897,69 $ constatée par jugement, à laquelle s'ajoutent des dépens de 300 $ adjugés aux demandeurs.

ET que toutes les créances échues ou à échoir dont la CIBC (Banque canadienne impériale de commerce), [], B.P. 70, Ashern, Manitoba, R0C 0E0 [] est redevable au débiteur judiciaire [] et en dépôt ou dues et payables par la CIBC au débiteur judiciaire soient saisies-arrêtées pour le paiement de la créance de 89 897,69 $ constatée par jugement, à laquelle s'ajoutent des dépens de 300 $ adjugés aux demandeurs.

ET que toutes les créances échues ou à échoir dont la CIBC, B.P. 70, Ashern, Manitoba, R0C 0E0, est redevable à Andrew C. Alkier, CMC, [] en qualité de tiers administrateur du débiteur judiciaire [], et en dépôt ou dues et payables par la CIBC à Andrew C. Alkier, CMC, en qualité de tiers administrateur du débiteur judiciaire, soient saisies-arrêtées pour le paiement de la créance de 89 897,69 $ constatée par jugement, à laquelle s'ajoutent des dépens de 300 $ adjugés aux demandeurs.

ET que lesdits tiers-saisis se présentent devant la Cour, à Winnipeg, au Manitoba, le 22 septembre 2003, à 9 h 30 en matinée, ou demandent à la Cour dans les 14 jours de la date de signification de la présente ordonnance de comparaître par conférence téléphonique à la date fixée par le Greffe. [Certains renseignements, tels les désignations abrégées, l'identification du débiteur judiciaire et les adresses, ont été omis.]

[2]Par une autre ordonnance rendue le 18 septembre 2003, la protonotaire Tabib a inscrit le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien comme intervenant aux présentes en lui reconnaissant la pleine qualité de partie pour la contestation d'une ordonnance de saisie-arrêt à l'endroit du tiers-saisi Andrew Alkier. De plus, elle a reporté au 20 octobre 2003 l'audience de justification qui était initialement prévue pour le 22 septembre 2003.

[3]L'ordonnance du 7 août 2003 de la protonotaire Tabib a été rendue ex parte et sans comparution en personne. Cette ordonnance était principalement fondée sur certaines dispositions du paragraphe 449(1) des Règles de la Cour fédérale (1998)1. Les dispositions pertinentes sont rédigées comme suit:

449. (1) Sous réserve des règles 452 et 456, la Cour peut, sur requête ex parte du créancier judiciaire, ordonner:

    a) que toutes les créances suivantes du débiteur judiciaire dont un tiers lui est redevable soient saisies-arrêtées pour le paiement de la dette constatée par le jugement:

        (i) les créances échues ou à échoir dont est redevable un tiers se trouvant au Canada,

    [. . .]

    b) que le tiers se présente, aux date, heure et lieu précisés, pour faire valoir les raisons pour lesquelles il ne devrait pas payer au créancier judiciaire la dette dont il est redevable au débiteur judiciaire ou la partie de celle-ci requise pour l'exécution du jugement.

Les règles 452 et 456 ne sont pas pertinentes dans la présente affaire.

[4]Les présents motifs et l'ordonnance correspondante font suite à l'audience de justification.

LES PARTIES

1)     Les demandeurs

[5]Les demandeurs sont tous Indiens et membres de la Première nation de Lake St. Martin. Le 5 juin 1998, ils vivaient tous dans des réserves. Il n'a pas été contesté que Myles Sinclair, Wilfred Marsden et Jerry Marsden ont été congédiés par leur employeur, la Première nation, à cette date. Même s'il a initialement été allégué pour le compte de la Première nation que Shirley Choken avait quitté son emploi ce jour-là, une décision ultérieure est venue confirmer qu'elle avait, comme les trois autres demandeurs, été congédiée à cette même date. Il a été établi qu'ils avaient tous été congédiés injustement. Chacun a eu droit à une indemnité, le dédommagement totalisant 131 897,69 $. Toutefois, les demandeurs n'ont reçu chacun qu'un seul versement depuis que le paiement de l'indemnité a été ordonné. Par conséquent, une somme de 89 897,69 $ à titre d'indemnité demeure encore payable aux demandeurs. Cette somme s'est vu conférer la valeur d'un jugement de la Cour en faveur des demandeurs et le paiement en a été imposé à la Première nation.

2)     Bande indienne de Lake St. Martin

[6]La Première nation de Lake St. Martin est une «bande» au sens de l'alinéa 2(1)a) de la Loi sur les Indiens2 (la Loi). Le «conseil de bande», toujours selon la définition énoncée dans la Loi, est constitué au moyen d'élections tenues conformément à l'article 74 de la Loi. Le conseil se compose d'un chef et de huit conseillers. Les réserves de la Première nation de Lake St. Martin sont situées au nord de la ville d'Ashern sur les rives du lac St. Martin dans la province du Manitoba. En août 2003, la population totale de la Première nation de Lake St. Martin s'établissait à environ 1 939 personnes et la partie de cette population vivant dans des réserves s'élevait à 1 275 personnes. Des personnes inscrites vivant dans les réserves, on a recensé, en octobre 2002, environ 153 enfants qui allaient à l'école, ainsi qu'environ 261 familles et 279 personnes célibataires qui étaient dépendantes de l'aide sociale pour subvenir à leurs principaux besoins3.

[7]Le 11 juillet 2002, la Première nation a tenu des élections pour choisir son chef et ses conseillers. Le chef Jerry Marsden, l'un des demandeurs, a été réélu. Les élections du 11 juillet 2002 ont été entièrement annulées par décret du conseil le 1er mai 2003 en raison d'une manoeuvre frauduleuse qui [traduction] «mettait en doute l'intégrité de toute l'élection»4. Le 13 juin 2003, de nouvelles élections ont eu lieu et un nouveau chef a été élu.

[8]Le 1er avril 2003, la Première nation, représentée par le chef et le conseil, et le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien (le ministre) ont signé une entente de financement global (EFG). En vertu de cette entente, des fonds devaient être versés au conseil qui, au nom du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (l'intervenant) et avec l'aide d'un cogestionnaire, devait offrir des programmes et des services aux membres de la Première nation. Le chef et le conseil ont conclu une entente distincte avec le cogestionnaire.

[9]À la suite de l'appel relatif aux élections, lequel a été accueilli, la Première nation s'est retrouvée sans chef ni conseil valablement élus entre le 1er mai 2003 et le 13 juin 2003. Pour combler ce vide, l'intervenant a avisé, par lettre datée du 7 mai 2003, les membres de la Première nation qu'il nommerait un administrateur. Le 12 mai 2003, le tiers-saisi Andrew Alkier est devenu cet administrateur en vertu d'une entente d'administration par tierce partie (l'entente d'administration).

3)     Les institutions financières

[10]La Peace Hills Trust Company et la Banque canadienne impériale de commerce exploitent à leur succursale d'Ashern, au Manitoba, des comptes bancaires dans l'intérêt de la Première nation de Lake St. Martin. À toutes les périodes pertinentes de la présente affaire, les soldes de ces comptes étaient très modestes.

[11]De plus, la Banque canadienne impériale de commerce, à sa succursale d'Ashern, au Manitoba, exploite un compte au nom d'Andrew Alkier en sa qualité de tiers administrateur de la Première nation de Lake St. Martin. À toutes les périodes pertinentes de la présente affaire, le solde de ce compte était supérieur au montant de la créance judiciaire.

4)     Andrew Alkier

[12]Andrew Alkier (l'administrateur) est un conseiller agréé en gestion (CMC) qui, tel qu'il a été mentionné précédemment, a signé une entente d'administration par tierce partie avec le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien le 12 mai 2003 à l'égard de certains programmes et services destinés aux membres de la Première nation de Lake St. Martin.

5)     Le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien

[13]Le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien est le ministère du gouvernement canadien responsable, sous l'autorité du ministre, de l'administration des fonds votés par le Parlement en vue d'offrir une vaste gamme de programmes et de services aux personnes inscrites à titre d'«Indien», selon la définition de ce terme énoncée dans la Loi, qui habitent dans des réserves telles que celles de la Première nation de Lake St. Martin.

L'ENTENTE DE FINANCEMENT GLOBAL

[14]Tel qu'il a été mentionné précédemment dans les présents motifs, le 1er avril 2003, Sa Majesté la Reine du chef du Canada, représentée par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, a signé une entente de financement global avec la Première nation de Lake St. Martin, représenté par son chef et son conseil, pour le financement de programmes et de services destinés aux membres de la Première nation. L'entente sera en vigueur jusqu'au 31 mars 2004, à moins qu'elle ne soit résiliée avant cette date selon les modalités prévues.

[15]En vertu de l'EFG, le chef et le conseil s'engagent à offrir les programmes et les services financés par le ministre dans le cadre de cette entente. Le ministre s'engage à faire les versements conformément à un calendrier de paiements mensuels. Les fonds excédentaires, à savoir les montants restants lorsque les sommes fournies par le ministre et d'autres sources dépassent les dépenses admissibles engagées par le chef et le conseil pour la prestation des programmes et des services financés, doivent être retournés au ministre. Dans les cas où le chef et le conseil manquent à leurs engagements prévus par l'EFG, le ministre peut retenir les fonds par ailleurs payables en vertu de l'EFG et, outre les autres mesures qu'il considère à juste titre nécessaires, il peut mettre fin à cette entente. Dans les autres circonstances, l'une ou l'autre des parties peut mettre fin à l'EFG au moyen d'un préavis écrit de 60 jours. À la résiliation, les fonds versés qui n'auront pas été utilisés devront être retournés et les sommes dues au chef et au conseil par le ministre devront être payées.

L'ENTENTE D'ADMINISTRATION PAR TIERCE PARTIE

[16]Encore une fois tel qu'il a été mentionné précédemment dans les présents motifs, le Ministère a signé une entente d'administration par tierce partie avec l'administrateur le 12 mai 2003. Les considérants de l'entente font état de l'existence de l'EFG, du fait que la Première nation se trouvait dans une situation où elle n'avait plus de chef ni de conseil depuis le 1er mai 2003 et qu'il en serait ainsi au moins jusqu'au 13 juin 2003 et du fait que le ministre avait donc nommé l'administrateur [traduction] «pour administrer, en tout ou en partie, les fonds par ailleurs payables au conseil et pour exécuter les obligations du conseil prévues par l'EFG».

[17]Bien que la durée prévue de l'entente s'étende du 12 mai 2003 jusqu'à la date d'expiration du délai d'appel faisant suite aux élections tenues le 13 juin 2003, dans l'hypothèse où aucun appel n'est formé, ou jusqu'au 31 mars 2004, selon la plus rapprochée de ces dates, l'entente demeure en vigueur. De la même manière que pour l'EFG, tout excédent réalisé par l'administrateur constitue une créance due et payable au ministre, à moins d'indications contraires de ce dernier.

[18]Le ministre est tenu de verser à l'administrateur les fonds nécessaires à la gestion des programmes et des services prévus dans l'EFG, lesquels [traduction] «seront conservés en fiducie par l'administrateur pour les fins prévues dans la présente entente, et sous réserve des modalités applicables énoncées aux présentes». L'administrateur est tenu d'accepter les fonds versés par le ministre, sous réserve des modalités prévues dans l'entente, et de les utiliser [traduction] «uniquement pour les fins expressément prévues [dans l'entente]». Il est en outre tenu [traduction] «d'établir auprès d'une institution financière canadienne reconnue un compte à son nom avec la mention explicite qu'il s'agit d'un compte en fiducie [. . .] dans lequel tous les fonds, avancés par le ministre en vertu de l'entente, doivent être déposés». Finalement, eu égard aux fonctions qu'il exerce, l'administrateur est tenu d'élaborer et de présenter au ministre pour approbation:

[traduction]

6.3.1 [. . .]

b) un plan de désendettement, lequel doit comprendre:

    (i)     un état synoptique des comptes clients et des comptes fournisseurs et une liste des dettes totales découlant des activités du conseil dans leur ensemble. Ces activités sont comprises dans une «entité comptable du gouvernement» telle qu'elle est définie par les principes comptables généralement reconnus, ou

    (ii)     lorsqu'il ne peut obtenir les renseignements spécifiés au sous-alinéa 6.3.1b)(i), l'administrateur doit faire tout ce qui est en son pouvoir pour fournir l'état synoptique des comptes clients et des comptes fournisseurs et une liste des dettes totales découlant des activités du conseil se rapportant aux programmes et services financés dans le cadre de l'entente;

notamment les montants, les modalités et les obligations de paiement, les modalités suivant lesquelles l'administrateur a provisoirement renégocié (sous réserve de l'autorisation du ministre et du conseil) la dette ou propose de la renégocier, y compris un échéancier pour son remboursement, l'utilisation proposée des fonds excédentaires à cet égard et les détails relatifs aux réunions qu'il a organisées pour discuter avec le conseil et ses créanciers; et

Il a été suggéré devant la Cour que la créance judiciaire dont il est question en l'espèce n'était pas liée aux «activités [du chef et du conseil] dans leur ensemble».

[19]Les obligations de l'administrateur sont limitées dans les termes suivants:

[traduction] L'administrateur exécute les obligations afférentes au financement et à l'administration des programmes et des services dans l'intérêt des membres du conseil comme le prévoit la présente entente et il ne peut être tenu responsable des actions posées par le conseil, ou l'un de ses employés, avant la date de signature de la présente entente, notamment, sans restreindre la portée générale de ce qui précède, des créances non remboursées engagées par les employés du conseil ou par le conseil lui-même, ni des actions posées par le conseil après la signature de l'entente, pour lesquelles l'administrateur n'aura donné ni autorisation ni consentement.

Même s'il semble, d'après ce qui précède, que l'administrateur décline toute responsabilité en ce qui concerne la créance judiciaire faisant l'objet du présent litige, je ne puis conclure, de ce seul fait, particulièrement à la lumière des obligations qui lui incombent en ce qui a trait au plan de désendettement, que les fonds saisis-arrêtés sont exemptés de saisie-arrêt.

[20]De la même manière que dans l'EFG, le ministre se réserve le droit de résilier l'entente conclue avec l'administrateur au moyen d'un préavis écrit de 90 jours.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[21]Ce sont, en grande partie, les fonds reçus du ministre par l'administrateur, en vertu de l'entente d'administration, qui ont été saisis-arrêtés par les demandeurs entre les mains de la Banque canadienne impériale de commerce, dans un compte au nom de l'administrateur, bien qu'il s'agisse d'un compte «en fiducie».

[22]Les dispositions pertinentes du paragraphe 449(1) des Règles de la Cour fédérale (1998) ont été reproduites précédemment dans les présents motifs. En vertu de ce paragraphe, dans le cas d'une requête ex parte du créancier judiciaire, la Cour peut ordonner que les créances échues ou à échoir dont un tiers se trouvant au Canada est redevable à un débiteur judiciaire soient saisies-arrêtées pour le paiement d'une dette constatée par jugement. Il n'a pas été contesté devant la Cour que la Banque canadienne impériale de commerce est un «tiers se trouvant au Canada» et que le chef avec son conseil est un «débiteur judiciaire». Par conséquent, la seule question en litige, telle qu'elle a été présentée pour l'administrateur, est de savoir si les montants versés par le ministre dans un compte «en fiducie» établi au nom de l'administrateur, auprès de la Banque canadienne impériale de commerce, pour qu'ils soient utilisés suivant les fins précisées dans l'entente d'administration, constituent ou non une créance échue ou à échoir du chef et du conseil. L'avocat de l'administrateur a formulé la question différemment en utilisant les termes suivants:

[traduction] Le conseil a-t-il légalement droit au paiement sans condition des fonds déposés dans les comptes en question?

ANALYSE

[23]Les fonds de la Couronne ne peuvent faire l'objet d'une saisie-arrêt. L'article 29 [mod. par L.C. 2001, ch. 4, art. 49] de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif5 est rédigé comme suit:

29. Les jugements rendus contre l'État ne sont pas susceptibles d'exécution forcée.

[24]Il s'ensuit alors que la question consiste maintenant à se demander si les fonds versés à l'administrateur par le ministre et déposés dans le compte visé en vue de leur utilisation pour la prestation de programmes et de services pour le compte du chef et du conseil, tel que le prévoit l'EFG et selon les modifications apportées par l'entente d'administration, demeurent des fonds de la Couronne ou sont devenus des fonds à l'égard desquels la Première nation, représentée par son chef et son conseil, dispose d'un droit au paiement qui lui est reconnu par la loi et qui est inconditionnel.

[25]Dans Mintuck v. Valley River Band No . 63A et al6, le juge Darichuk de la Cour du Banc de la Reine du Manitoba a eu à trancher une situation de fait assez semblable, laquelle se distinguait principalement par le fait que les fonds en question étaient déposés directement dans le compte général d'une Première nation. À la page 327, le juge a mentionné ce qui suit:

[traduction] Les défendeurs prétendent que, même si les sommes ont été déposées dans un compte général, elles n'étaient pas exigibles en droit puisqu'il s'agissait de fonds en fiducie, affectés par le Parlement à l'usage et au profit de la bande indienne de Valley River. Les fonds ainsi reçus du ministère des Affaires indiennes ne pouvaient être utilisés qu'en conformité avec les directives qui avaient circulé.

On pourrait tenir les mêmes propos dans la présente affaire, en faisant allusion à l'EFG et à l'entente d'administration au lieu des «directives qui avaient circulé».

[26]Le juge Darichuk a conclu à la page332:

[traduction] Tant que les sommes n'étaient pas versées par le ministère des Affaires indiennes et portées au crédit du compte de la défenderesse, elles ne pouvaient faire l'objet d'une saisie-arrêt par le demandeur ou toute autre personne. À ce stade, la Cour n'est pas en mesure de prononcer une ordonnance à l'encontre de la Couronne. Par contre, une fois portées au crédit du compte, ces sommes perdaient leur identité et leur caractère de fonds publics ou de «bourse royale» et pouvaient alors faire l'objet d'une saisie-arrêt. L'utilisation prévue et le déboursement envisagé de ces fonds par le Parlement du Canada ou le conseil de bande, à l'usage et au profit des membres de la bande défenderesse, dans son ensemble, n'ont pas empêché la délivrance de [ l']ordonnance de saisie-arrêt et la saisie-arrêt de ces sommes.

[27]En ce qui a trait aux dispositions de l'entente d'administration prévoyant une certaine forme d'accord de fiducie à l'égard du compte bancaire en question, je cite les propos du juge Walker figurant au paragraphe 5 de la décision Federal Distributors Ltd. v. Low, Sinosky and Polar Service Centre Ltd.7, laquelle portait sur la saisie-arrêt d'un compte en fiducie.

[traduction] Le simple fait que les fonds aient été déposés dans un compte en fiducie ne les rend pas insaisissables. Le simple fait que les fonds aient été reçus en fiducie ne les rend pas insaisissables. Le simple fait que les fonds soient détenus en fiducie ne les rend pas insaisissables. Tout cela, sans plus, ne rend pas les fonds insaisissables.

[28]L'une des deux décisions tout à fait pertinentes qui ont été citées devant la Cour est Kostyshyn (Johnson) c. West Region Tribal Council8. Dans cette affaire, une employée de la West Regional Tribal Council Inc. a demandé l'exécution forcée d'un jugement constatant une créance à l'encontre de son ancien employeur, laquelle résultait, comme en l'espèce, d'un congédiement injuste. Le juge Muldoon a déclaré ce qui suit aux pages 98 et 99 de ses motifs:

M. Nepinak [un témoin déposant pour la West Region Tribal Council Inc.] a aussi exprimé la préoccupation de West Region Tribal Council Inc., le débiteur saisi, dont il est membre du conseil d'administration, à l'égard des répercussions de la saisie-arrêt de 129 011,68 $ sur ses «programmes [] dans les domaines de l'éducation sanitaire et du développement communautaire». Dans les cas où l'on soulève cette question, la réponse habituelle est que le Conseil aurait dû y avoir songé avant de congédier de façon injuste la créancière saisie. Cette société, comme toutes les autres, doit supporter la responsabilité habituelle qu'entraînent les fautes de son conseil d'administration. Malheureusement, selon le paragraphe 6 de l'affidavit de M. Nepinak, ce sont en bout de ligne les contribuables du Canada qui supporteront le coût des fautes du conseil d'administration. La réponse est valable aussi pour les paragraphes 7, 8 et 9 de l'affidavit. Le débiteur saisi pleure maintenant sur le sort de ses programmes inscrits au budget mais, évidemment, il ne mérite pas plus de compassion que tout autre débiteur saisi se trouvant aux prises avec le même genre de difficultés, dont il est lui-même la cause.

[29]Eu égard aux faits de la présente affaire, ce n'est pas la Première nation qui, au regard des répercussions de la saisie-arrêt proposée, «pleure maintenant sur le sort» des programmes et des services destinés à ses membres, celle-ci n'étant d'ailleurs pas directement représentée devant la Cour, mais plutôt la Couronne qui verse des fonds au soutien de ces programmes et services et l'administrateur nommé pour gérer ces fonds au profit des membres de la Première nation. Même si leur intérêt est louable, on peut tenir des propos semblables à ceux que le juge Muldoon a tenus à l'égard de West Region Tribal Council Inc., particulièrement si l'on considère le fait que l'administrateur doit, en vertu de l'entente d'administration, élaborer et soumettre pour approbation par le ministre un plan de désendettement qui serait, j'en suis convaincu, étendu à la dette du chef et du conseil, laquelle est à l'origine de la saisie-arrêt à l'étude.

[30]La décision très récente du juge Baynton de la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan dans l'affaire Osland v. James Smith Cree First Nation9 est tout à fait à l'opposé de la décision Kostyshyn, précitée, rendue par notre Cour. Suivant les faits présentés au juge Baynton, First Nations Management Services Inc. était un tiers administrateur ayant à l'égard de la Première nation crie de James Smith des obligations en grande partie semblables à celles de l'administrateur nommé dans la présente affaire. Comme en l'espèce, First Nations Management Inc. cherchait à se défendre contre une saisie-arrêt de fonds inscrits à son crédit. Le procureur général du Canada a sollicité le recouvrement des fonds dont la saisie-arrêt était demandée par bref de saisie-arrêt.

[31]Au paragraphe 28 de ses motifs, le juge Baynton a écrit ce qui suit:

[traduction] La réponse à la question de savoir si les fonds entre les mains du tiers-saisi constituent une créance échue ou à échoir est généralement facile à constater. La question fondamentale consiste à se demander si le débiteur judiciaire a légalement droit au paiement sans condition des sommes à l'égard desquelles la saisie-arrêt est demandée. La seule décision citée relativement à cette question l'a été par le demandeur à l'appui de son argumentation. Dans Brandt c. Burrows [], M. le juge Tucker de la Cour a déclaré:

La question à trancher est de savoir si, au moment de la signification du bref de saisie-arrêt au tiers-saisi, il existait une créance échue ou à échoir pour le défendeur. Lorsqu'une personne reçoit une somme qui, en justice et en équité, appartient à une autre personne, dans des circonstances qui font en sorte que cette somme est considérée comme ayant été reçue par le défendeur dans l'intérêt du demandeur, ce dernier peut la recouvrer comme s'il l'avait reçue pour son propre usage: [. . .]

Si la somme est reçue dans l'intérêt d'une autre personne, elle devient alors une créance et, par convention implicite, celui qui l'a reçue doit la verser à celui dont il est fiduciaire: [. . .] [Renvois omis.]

[32]Au paragraphe 32, le juge Baynton a poursuivi en mentionnant:

[traduction] Mais un débiteur judiciaire ne peut établir de mécanisme artificiel pour mettre les fonds détenus par un tiers à l'abri de la saisie-arrêt.

Les parties devant moi étaient d'avis que les arrangements en question ne constituaient pas un mécanisme artificiel établi par la Première nation, représentée par son chef et son conseil, en vue de mettre les fonds détenus par l'administrateur ou au nom de celui-ci à l'abri de la saisie-arrêt.

[33]Le juge a ensuite décrit en détail le financement provenant des crédits accordés par le Parlement à l'égard des programmes et services à l'intention des membres de la Première nation crie de James Smith et l'entente d'administration par tierce personne qui lui avait été présentée. Il a ensuite conclu dans les termes suivants au paragraphe 45:

[traduction] Compte tenu des dispositions que j'ai exposées, je conclus que les fonds qui sont accordés par le Parlement, par l'intermédiaire du ministre-demandeur et du destinataire-tiers saisi [la Première nation qui était alors défenderesse], au profit des membres de la Première nation débitrice judiciaire, constituent des fonds en fiducie entre les mains du destinataire-tiers saisi. Ni la bande ni les membres de la Première nation débitrice judiciaire n'ont légalement le droit de réclamer les fonds, même ceux qui sont assignés à un programme particulier. À ce titre, les fonds ne constituent pas des «créances échues ou à échoir» au sens de l'article 5 de la Loi [Attachment of Debts Act] et ne sont pas saisissables par bref de saisie-arrêt.

[34]L'avocat des demanderesses a fait valoir que je devrais distinguer la décision Osland relativement à un certain nombre de points et suivre, par analogie, la décision Kostyshyn dont il a été discuté précédemment. Les points pour lesquels on m'a demandé de faire une distinction d'avec la décision Osland sont les suivants: premièrement, M. Osland n'était pas un Indien alors que les quatre demandeurs en l'espèce sont des Indiens, membres de la Première nation, et que trois d'entre eux vivent actuellement sur les réserves de la Première nation; deuxièmement, dans Osland, le tribunal ne s'est pas demandé si les sommes saisies-arrêtées appartenaient à la Première nation, mais il s'est plutôt concentré sur la question de savoir s'il s'agissait de sommes détenues en fiducie; troisièmement, le tribunal n'a pas examiné les répercussions de l'entente de financement global qui servait d'assise à l'entente d'administration par tierce partie présentée; quatrièmement, en concluant que les sommes saisies-arrêtées étaient des sommes en fiducie, le tribunal s'est appuyé sur des principes rigoureux en matière de fiducie qu'il a appliqués aux faits qu'on lui avait présentés; cinquièmement, le tribunal n'a pas entièrement pris en compte la relation particulière qui existait entre la Couronne et la Première nation; sixièmement, le tribunal n'a pas fait allusion à l'obligation contractuelle par laquelle l'administrateur devait formuler et présenter un plan de désendettement qui tiendrait compte, comme dans les faits devant moi, de toutes les dettes, notamment, à n'en pas douter, de la créance due à M. Osland; et finalement, il importe de souligner que le texte législatif visé dans cette affaire était l'Attachment of Debts Act [R.S.S. 1978, ch. A-32] de la province de la Saskatchewan qui, bien entendu, ne s'applique par aux faits devant moi. Pour terminer, l'avocat a souligné que la Cour n'était pas liée par la décision Osland.

[35]En toute déférence, j'arrive à une conclusion différente de celle à laquelle le tribunal en est arrivé dans Osland et j'accorde la préférence à l'analyse succincte du juge Muldoon dans Kostyshyn.

[36]L'entente, tel qu'il a été mentionné précédemment, exige que l'administrateur établisse un compte auprès d'une institution financière canadienne reconnue, à son propre nom, «avec la mention explicite qu'il s'agit d'un compte en fiducie» dans lequel tous les fonds, avancés par le ministre en vertu de l'entente d'administration, à l'exception des fonds excédentaires, devraient être déposés. À tous les autres égards, l'entente d'administration demeure muette quant à la nature d'une relation fiduciaire. L'avocat des demandeurs a allégué que la désignation «en fiducie» pour un compte bancaire, en l'absence d'une description de la nature de la fiducie, a uniquement pour objet de protéger les fonds avancés par le ministre contre les créanciers personnels de l'administrateur. Certes, il n'est pas du tout évident à la lecture de l'entente d'administration qui devrait être le ou les bénéficiaires de la fiducie: la Couronne elle-même, le chef et le conseil, les membres de la Première nation dans son ensemble ou une ou plusieurs autres personnes. J'estime qu'aucun accord de fiducie n'est établi par l'entente d'administration. Au contraire, l'entente prévoit simplement une gestion indépendante et responsable des sommes qui auraient autrement été versées directement au chef et au conseil en vertu de l'EFG, pour faire en sorte que, durant une période de bouleversements politiques au sein de la Première nation et de difficultés financières, les fonds soient convenablement gérés et qu'un plan de désendettement efficace soit élaboré et soumis au ministre pour approbation.

[37]Revenant sur une citation extraite de la décision Mintuck10, je conviens que, [traduction] «[t]ant que les sommes n'étaient pas versées par le ministère des Affaires indiennes et portées au crédit du compte de la défenderesse, elles ne pouvaient faire l'objet d'une saisie-arrêt par le demandeur ou toute autre personne». Tant que les fonds à l'origine du litige en l'espèce n'étaient pas versés, il s'agissait de fonds publics qui ne pouvaient faire l'objet d'une saisie-arrêt. Dans la présente affaire, les fonds n'ont pas été directement versés à la Première nation, mais à l'administrateur. J'estime que cette distinction ne fait pas de différence. Encore une fois, l'administrateur, pour les besoins de l'administration des fonds avancés par le ministre, prend simplement la place du chef et du conseil de la Première nation. Une fois qu'ils sont versés, les fonds cessent d'être des fonds de la Couronne. Ils étaient destinés à un usage particulier, à savoir le financement de programmes et de services offerts à la Première nation. Ils n'ont plus le caractère de fonds de la Couronne. Sous réserve des dispositions de l'EFG et de l'entente d'administration prévoyant les circonstances où le ministre pourrait rappeler la totalité ou une partie des fonds et compte tenu du fait que la Cour n'a été saisie d'aucune preuve démontrant que ce droit a été exercé ou aurait pu être exercé au moment de la saisie-arrêt, j'estime que les gens de la Première nation avaient un droit absolu sur ces fonds, par l'intermédiaire du chef et du conseil, lorsque ces derniers étaient en fonction comme il semblerait que ce fut le cas à l'époque de la saisie-arrêt. Les sommes étaient en effet des sommes appartenant à la Première nation, lesquelles étaient administrées par un administrateur indépendant pour des raisons qui ne sont pas pertinentes pour les besoins de la présente affaire.

[38]Par conséquent, et sans d'aucune manière m'appuyer sur le fait que les demandeurs sont Indiens et membres de la Première nation, une question qu'il conviendrait, à mon avis, de réserver à une situation de fait différente, je conclus que les sommes à l'origine du présent litige sont des sommes dont la Première nation a, en l'absence de l'exercice du pouvoir du ministre de les rappeler, légalement droit au paiement sans condition, non simplement pour la prestation de programmes et de services, mais également pour la mise en oeuvre d'un plan de désendettement, lequel s'étendrait au jugement en faveur des demandeurs. En l'absence de pareil plan et de tout élément de preuve démontrant que l'administrateur a travaillé avec les demandeurs en vue d'élaborer un plan approprié tenant compte du jugement obtenu par ces derniers, je suis d'avis que l'administrateur ne s'est tout simplement pas acquitté du fardeau de faire valoir les raisons pour lesquelles la Banque canadienne impériale de commerce ne devrait pas payer aux demandeurs, sur les fonds inscrits au crédit de son compte, la créance qui leur était due, suivant les termes du paragraphe 449(1) des Règles, ou la partie de celle-ci requise pour l'exécution du jugement enregistré auprès de la Cour.

DÉPENS

[39]Les demandeurs prient la Cour de leur accorder les dépens pour l'audience de justification. Je suis convaincu qu'ils y ont droit. Je fixe les dépens en leur faveur à 1 500 $, débours et TPS inclus. Ce montant devra être ajouté au montant payable aux demandeurs sur les fonds saisis-arrêtés inscrits au crédit du compte de l'administrateur et conservés par la Banque canadienne impériale de commerce.

1 DORS/98-106.

2 L.R.C. (1985), ch. I-5.

3 Affidavit de Myles Thorsteinson, par. 14 et 16, souscrit le 26 septembre 2003.

4 Affidavit de Myles Thorsteinson, par. 19.

5 L.R.C. (1985), ch. C-50 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 21].

6 (1977), 83 D.L.R. (3d) 324 (B.R. Man.).

7 [1981] S.J. no 1001 (B.R.) (QL).

8 [1994] 1 C.N.L.R. 94 (C.F. 1re inst.).

9 (2003), 231 Sask. R. 161 (B.R.).

10 Précitée, note 6.

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