A-170-03
2004 CAF 16
Bertha L'Hirondelle, en son nom et au nom de tous les autres membres de la Bande de Sawridge (demandeurs) (appelants)
c.
Sa Majesté la Reine (défenderesse) (intimée)
et
Conseil national des autochtones du Canada, Conseil national des autochtones du Canada (Alberta), Association des femmes autochtones du Canada et Non-Status Indian Association of Alberta (intervenants) (intimés)
Répertorié: Bande de Sawridge c. Canada (C.A.F.)
Cour d'appel fédérale, juges Rothstein, Noël et Malone, J.C.A.--Calgary, 15 et 16 décembre 2003; Ottawa, 19 janvier 2004.
Peuples autochtones -- Inscription -- Les appelants ont refusé d'obéir à une ordonnance d'inscrire sur la liste de la Bande de Sawridge les noms de 11 personnes et de leur accorder tous les droits et privilèges liés à la qualité de membre d'une bande -- Le projet de loi C-31 conférait à certaines personnes dont les noms avaient été omis ou retranchés du registre des Indiens avant le 17 avril 1985 un droit au statut en vertu de la Loi sur les Indiens -- L'art. 10(4), (5) doit être interprété conformément à l'approche moderne -- L'art. 11(1)c) de la Loi accorde aux appelants le droit automatique d'appartenir à la Bande de Sawridge -- Exiger des personnes qui ont des droits acquis qu'elles respectent le code d'appartenance à la Bande de Sawridge viole la Loi.
Droit administratif -- Contrôle judiciaire -- Injonctions -- Un juge de la Section de première instance a rendu une ordonnance de faire sollicitée par la Couronne en enjoignant aux appelants d'inscrire les noms de 11 personnes sur la liste de la Bande de Sawridge -- Il a rendu une décision sur un point de droit comme un préalable à une injonction interlocutoire -- Il était justifié de rendre une telle décision -- Lorsqu'une question de droit fondamentale est en cause, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte -- Les exigences du critère à trois volets pour l'obtention d'une injonction interlocutoire ont été satisfaites -- Le premier volet, une question sérieuse à trancher, s'applique à une requête en injonction interlocutoire, qu'elle soit prohibitive ou une ordonnance de faire.
Droit constitutionnel -- Droits ancestraux ou issus de traités -- Les appelants ont prétendu que les dispositions du projet de loi C-31 qui confèrent le droit à la qualité de membre d'une bande ne sont pas conformes à l'art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et sont, en conséquence, inopérantes -- Une loi doit être respectée tant qu'elle n'est pas déclarée inconstitutionnelle -- Il existe un intérêt public certain quant au respect d'une Loi tant que son application n'est pas suspendue par l'ordonnance d'un tribunal compétent ou que la loi en cause n'est pas annulée par un jugement définitif.
Interprétation des lois -- Interprétation de l'art. 10(4), (5) de la Loi sur les Indiens -- Tous les textes législatifs doivent être interprétés dans leur contexte -- Le juge de la Section de première instance a correctement interprété l'art. 10(4), (5) conformément à l'approche moderne -- La Loi crée un droit automatique à l'appartenance à la bande à moins que les personnes ayant un droit acquis ne perdent ce droit par la suite.
Pratique -- Parties -- Qualité pour agir -- La Couronne avait-elle qualité pour agir et répondre aux exigences du critère pour l'obtention d'une injonction interlocutoire? -- La Couronne avait qualité pour solliciter des injonctions pour forcer des organismes publics, comme un conseil de bande, à respecter la loi.
Il s'agit d'un appel d'une ordonnance interlocutoire de faire sollicitée par la Couronne, un juge de la Section de première instance par laquelle enjoignait aux appelants d'inscrire ou de consigner dans la liste de la Bande de Sawridge les noms de 11 personnes et de leur accorder tous les droits et privilèges liés à la qualité de membre d'une bande. Par une action introduite le 15 janvier 1986, les appelants sollicitaient un jugement déclarant que les dispositions du projet de loi C-31 (Loi modifiant la Loi sur les Indiens) qui confèrent le droit à la qualité de membre d'une bande ne sont pas conformes à l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et sont, en conséquence, inopérantes. Le projet de loi C-31 conférait à certaines personnes dont les noms avaient été omis ou retranchés du registre des Indiens par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien avant le 17 avril 1985 un droit au statut en vertu de la Loi sur les Indiens. Par un avis de requête, la Couronne a sollicité une ordonnance interlocutoire de faire pour exiger de la Bande qu'elle respecte les dispositions de la Loi tant qu'elles ne sont pas déclarées inconstitutionnelles. Par une ordonnance en date du 27 mars 2003, le juge Hugessen a accordé l'injonction sollicitée. En interjetant appel de l'ordonnance du juge Hugessen, les appelants ont soulevé deux questions: 1) la procédure de demande d'appartenance à la bande était-elle conforme à la Loi? 2) la Couronne avait-elle qualité pour agir et avait-t-elle répondu aux exigences du critère pour l'obtention d'une injonction interlocutoire?
Arrêt: l'appel est rejeté.
1) L'avis de requête de la Couronne visant à obtenir une ordonnance interlocutoire de faire était fondé sur le refus des appelants de respecter la Loi avant la décision sur sa constitutionnalité. Il a été convenu que l'interprétation de la Loi et la question de savoir si les appelants la respectaient ou non étaient pertinentes en l'espèce. En principe, les tribunaux ne font pas des décisions sur un point de droit un préalable à une injonction interlocutoire. Cependant, c'était le cas en l'espèce. Le juge Hugessen avait le pouvoir de le faire, et il a effectivement rendu une décision préliminaire sur un point de droit qui était définitive aux fins de l'action, sous réserve de toute modification résultant d'un appel.
Lorsqu'une question de droit fondamentale est en cause, même si elle est tranchée par un juge responsable de la gestion de l'instance, la norme de contrôle applicable sera celle de la décision correcte. Le juge Hugessen n'était pas convaincu que les paragraphes 10(4) et (5) de la Loi sur les Indiens sont aussi clairs et sans ambiguïté que les appelants le prétendent. C'est à bon droit que le juge Hugessen a interprété ces dispositions conformément à l'approche moderne de l'interprétation des lois selon laquelle il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur. Le terme droits acquis qui apparaît comme une note marginale du paragraphe 10(4) est un raccourci commode pour identifier les personnes qui, en vertu de l'alinéa 11(1)c), ont droit à une appartenance automatique à la bande indienne à laquelle elles étaient liées. Dès que l'alinéa 11(1)c) est entré en vigueur, c'est-à-dire le 17 avril 1985, ces personnes avaient le droit d'avoir leurs noms inscrits sur la liste de leur bande. Les termes en raison uniquement employés au paragraphe 10(4) pourraient permettre à une bande de créer des restrictions au maintien de la qualité de membre dans des situations apparues ou des actions accomplies après l'entrée en vigueur du code d'appartenance. Cependant, le code ne peut pas avoir pour effet de refuser la qualité de membre à des personnes auxquelles s'applique l'alinéa 11(1)c). Il n'existe aucune appartenance automatique à une bande, mais il existe un droit automatique à l'appartenance. Les termes à compter du 17 avril 1985 montrent seulement que le paragraphe 11(1) n'était pas rétroactif au-delà du 17 avril 1985. À compter de cette date, les personnes en cause dans le présent appel ont acquis un droit automatique d'appartenance à la Bande de Sawridge. Pour ces personnes qui ont un droit d'appartenance, une simple demande d'inscription sur la liste de la Bande suffit. Le fait que les personnes en cause n'aient pas présenté une demande formelle d'appartenance à la Bande de Sawridge est sans pertinence. Exiger des personnes qui ont des droits acquis qu'elles respectent le code d'appartenance à la Bande de Sawridge, dans lequel des conditions préalables d'apparte-nance avaient été fixées, violait la Loi.
2) La Couronne sollicitait une injonction, non seulement au nom des personnes à qui les avantages que confère la Loi sont refusés mais aussi dans l'intérêt du public au respect des lois du Canada. Elle a toujours eu qualité pour solliciter des injonctions pour forcer des organismes publics, comme un conseil de bande, à respecter la loi. En ce qui concerne la qualité pour agir de la Couronne en common law, une disposition législative n'est pas nécessaire. Le juge Hugessen était justifié de conclure que la Couronne avait qualité pour solliciter l'injonction. En outre, la Couronne recherchait fondamentalement la même réparation aussi bien dans la requête en injonction que dans l'action principale. Par ailleurs, l'article 44 de la Loi sur les Cours fédérales confère à la Cour fédérale la compétence voulue pour accorder une injonction dans tous les cas où il lui paraît juste ou opportun de le faire. Cela étant, la Cour a certainement compétence pour accorder une injonction dans les cas où elle rendra elle-même un jugement définitif sur une question connexe. L'injonction sollicitée était en conséquence suffisamment liée à la réparation finale demandée par la Couronne.
Le critère permettant d'accorder une injonction interlocutoire, adopté par la Cour suprême du Canada dans Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd.; et RJR--MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), comporte trois volets. Premièrement, il doit y avoir une question sérieuse à juger. Ce critère devrait s'appliquer à une requête en injonction interlocutoire, qu'elle soit prohibitive ou une ordonnance de faire. L'argument de la Couronne que le projet de loi C-31 est valide n'était ni futile ni vexatoire. Il existait en conséquence une question sérieuse à trancher. Deuxièmement, il faut déterminer si le requérant subirait un préjudice irréparable si sa demande était rejetée. En principe, l'intérêt public n'est pris en considération que pour le troisième volet du critère mais, lorsque comme en l'espèce, le gouvernement est demandeur dans une requête en injonction interlocutoire, l'intérêt public doit également être pris en considération à la deuxième étape. Autoriser les appelants à ne pas tenir compte des exigences de la Loi causerait un préjudice irréparable à l'intérêt public quant au respect de la Loi. Tant qu'une loi n'est pas jugée inconstitutionnelle et annulée ou que son application n'est pas suspendue par un tribunal compétent, les citoyens et les organisations doivent la respecter. Par ailleurs, les personnes à qui le droit d'appartenance à la Bande des appelants a été refusé sont des personnes âgées et pourraient ne jamais bénéficier des avantages que confèrent les modifications adoptées pour réparer leur exclusion discriminatoire. L'intérêt public pour ce qui est de prévenir la discrimination de la part des organismes publics subira un préjudice irréparable si l'injonction demandée est refusée et si les appelants peuvent continuer à ne pas respecter les obligations qu'ils ont en vertu du projet de loi C-31 tant que la décision sur sa constitutionnalité n'est pas rendue. Les appelants ont soutenu qu'il ne peut pas y avoir de préjudice irréparable parce que, s'il y en avait un, la Couronne n'aurait pas attendu 16 ans après l'introduction de l'action pour solliciter une injonction. La question de savoir si le fait de tarder à introduire une requête en injonction est fatal est une question qui relève de l'exercice du pouvoir discrétionnaire du juge des requêtes. Il n'y a aucune indication que le juge Hugessen n'a pas agi judicieusement en exerçant son pouvoir discrétionnaire. Le troisième volet du critère est la balance des inconvénients. Dans l'arrêt Metropolitan Stores, on a conclu que les injonctions interlocutoires ne devraient pas être rendues dans les affaires de droit public, à moins que l'intérêt public ne soit pris en considération et ne reçoive l'importance qu'il mérite dans l'appréciation de la prépondérance des inconvénients. En l'espèce, l'intérêt public quant au respect de la Loi et à la réparation de la discrimination antérieure favorise l'octroi de l'injonction interlocutoire sollicitée par la Couronne. Il existe un intérêt public certain quant au respect de la loi tant que son application n'est pas suspendue par l'ordonnance d'un tribunal compétent ou que la loi en cause n'est pas annulée par un jugement définitif. Sur un autre plan, la Bande de Sawridge subira peu de préjudice ou même n'en subira aucun en acceptant comme membres neuf femmes âgées et un homme. Par conséquent, la balance des inconvénients favorise l'octroi de l'injonction.
lois et règlements
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 15.
Loi constitutionnelle de l982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 35. |
Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 14. |
Loi modifiant la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 32. |
Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 44 (mod., idem, art. 41). |
Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5, art. 6 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 32, art. 4), 10(4) (mod., idem), (5) (mod., idem), 11(1)c) (mod., idem), 12. |
Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, règles 220, 369. |
jurisprudence
décisions appliquées:
Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110; (1987), 38 D.L.R. (4th) 321; [1987] 3 W.W.R. 1; 46 Man. R. (2d) 241; 25 Admin. L.R. 20; 87 CLLC 14,015; 18 C.P.C. (2d) 273; 73 N.R. 341; RJR -- MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311; (1994), 111 D.L.R. (4th) 385; 54 C.P.R. (3d) 114; 164 N.R. 1; 60 Q.A.C. 241.
décisions examinées:
Canada (Commission des droits de la personne) c. Canadian Liberty Net, [1998] 1 R.C.S. 626; (1998), 157 D.L.R. (4th) 385; 6 Admin. L.R. (3d) 1; 22 C.P.C. (4th) 1; 50 C.R.R. (2d) 189; 224 N.R. 241; Relais Nordik Inc. c. Secunda Marine Services Ltd. (1988), 24 F.T.R. 256 (C.F. 1re inst.); Ansa International Rent-a-Car (Canada) Ltd. c. American International Rent-a-Car Corp. (1990), 32 C.P.R. (3d) 340; 36 F.T.R. 98 (C.F. 1re inst.); Patriquen c. Canada (Services correctionnels) (2003), 238 F.T.R. 153 (C.F.).
décisions citées:
Bande de Sawridge c. Canada, [2002] 2 C.F. 346; (2001), 213 F.T.R. 57; 283 N.R. 107 (C.A.); Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; (1998), 36 O.R. (3d) 418; 154 D.L.R. (4th) 193; 50 C.B.R. (3d) 163; 33 C.C.E.L. (2d) 173; 221 N.R. 241; 106 O.A.C. 1; Ontario (Attorney General) v. Ontario Teachers' Federation (1997), 36 O.R. (3d) 367; 44 O.T.C. 274 (Div. gén.); American Cyanamid Co. v. Ethicon Ltd., [1975] A.C. 396 (H.L.); Breen v. Farlow, [1995] O.J. no 2971 (Div. gén.) (QL); 493680 Ontario Ltd. v. Morgan, [1996] O.J. no 4776 (Div. gén.) (QL); Samoila v. Prudential of America General Insurance Co. (Canada), [1999] O.J. no 2317 (C.S.) (QL); Morgentaler et al. v. Ackroyd et al. (1983), 42 O.R. (2d) 659; 150 D.L.R. (3d) 59 (H.C.); Consorzio del Prosciutto di Parma c. Maple Leaf Meats Inc., [2003] 2 C.F. 451; (2002), 22 C.P.R. (4th) 177; 297 N.R. 135 (C.A.).
doctrine
Driedger, Elmer A. Construction of Statutes, 2nd ed. Toronto: Butterworths, 1983.
Sharpe, Robert J. Injunctions and Specific Performance, looseleaf ed., Aurora, Ont.: Canada Law Book, 1998.
APPEL d'une décision rendue par la Section de première instance (Bande de Sawridge c. Canada, [2003] 4 C.F. 748; [2003] 3 C.N.L.R. 344; (2003), 232 F.T.R. 54) accordant une ordonnance interlocutoire de faire sollicitée par la Couronne, ordonnant aux appelants d'inscrire sur la liste de la Bande de Sawridge les noms de 11 personnes et de leur accorder tous les droits et privilèges liés à la qualité de membre d'une bande. Appel rejeté.
ont comparu:
Martin J. Henderson et Catherine M. Twinn pour les demandeurs (appelants).
E. James Kindrake et Kathleen Kohlman pour la défenderesse (intimée).
Kenneth S. Purchase pour le Conseil national des autochtones du Canada, l'intervenant.
P. Jonathan Faulds, c.r. pour le Conseil national des autochtones du Canada (Alberta), l'intervenant.
Mary Eberts pour l'Association des femmes autochtones du Canada, l'intervenante.
Michael J. Donaldson pour la Non-Status Indian Association of Alberta, l'intervenante.
avocats inscrits au dossier:
Aird & Berlis LLP, Toronto et Twinn Barristers and Solicitors, Slave Lake (Alberta), pour les demandeurs (appelants).
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse (intimée).
Lang Michener LLP, Ottawa, pour le Conseil national des autochtones du Canada, l'intervenant.
Field LLP, Edmonton, pour le Conseil national des autochtones du Canada (Alberta), l'intervenant.
Eberts Symes Street Pinto & Jull, Toronto, pour l'Association des femmes autochtones du Canada, l'intervenante.
Burnet, Duckworth & Palmer LLP, Calgary, pour la Non-Status Indian Association of Alberta, l'intervenante.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
[1]Le juge Rothstein, J.C.A.: En date du 27 mars 2003 [[2003] 4 C.F. 748], le juge Hugessen de la Section de première instance (maintenant Cour fédérale) a prononcé une ordonnance interlocutoire de faire sollicitée par la Couronne, enjoignant aux appelants d'inscrire ou de consigner dans la liste de la Bande de Sawridge les noms de 11 personnes qui, a-t-il conclu, avaient acquis le droit d'être membres de la Bande de Sawridge avant que la Bande n'assume la responsabilité de la tenue de sa liste de Bande le 8 juillet 1985, et d'accorder aux 11 personnes en question tous les droits et tous les privilèges liés à la qualité de membre d'une bande. Les appelants interjettent maintenant appel de l'ordonnance en question.
LE CONTEXTE
[2]Le contexte du présent appel se résume comme suit. La Loi modifiant la Loi sur les indiens, L.R.C. (1985), (1er suppl.), ch. 32 (projet de loi C-31), a été promulguée le 28 juin 1985. Cependant, les dispositions pertinentes du projet de loi C-31 étaient rétroactives au 17 avril 1985, date à laquelle l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] (la Charte), relatif aux droits à l'égalité, est entré en vigueur.
[3]Entre autres, le projet de loi C-31 conférait à certaines personnes un droit au statut en vertu de la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5 (la Loi) et, pourrait-on dire, un droit à la qualité de membre d'une bande indienne. Les personnes en question comprenaient celles dont les noms avaient été omis ou retranchés du registre des Indiens par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien avant le 17 avril 1985 conformément à certaines dispositions de la Loi telles qu'elles étaient rédigées avant cette date. Parmi les personnes exclues figuraient une Indienne qui avait épousé un homme non inscrit comme Indien ainsi que les autres personnes exclues par des dispositions que le Parlement a considérées comme étant une discrimination fondée sur le sexe. Les anciennes dispositions étaient rédigées comme suit [article 12]:
12. (1) Les personnes suivantes n'ont pas le droit d'être inscrites:
a) une personne qui, selon le cas:
[. . .]
(iii) est émancipée,
(iv) est née d'un mariage célébré après le 4 septembre 1951 et a atteint l'âge de vingt et un ans, dont la mère et la grand-mère paternelle ne sont pas des personnes décrites à l'alinéa 11(1)a), b) ou d) ou admises à être inscrites en vertu de l'alinéa 11(1)e),
sauf si, étant une femme, cette personne est l'épouse ou la veuve de quelqu'un décrit à l'article 11;
b) une femme qui a épousé un non-Indien, sauf si cette femme devient subséquemment l'épouse ou la veuve d'une personne décrite à l'article 11.
(2) L'addition, à une liste de bande, du nom d'un enfant illégitime décrit à l'alinéa 11(1)e) peut faire l'objet d'une protestation dans les douze mois de l'addition; si, à la suite de la protestation, il est décidé que le père de l'enfant n'était pas un Indien, l'enfant n'a pas le droit d'être inscrit selon cet alinéa.
[4]Le projet de loi C-31 a abrogé les exclusions en cause et édicté les dispositions suivantes pour permettre aux personnes privées de leur statut de le recouvrer [articles 6 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 32, art. 4), 11 (mod., idem)]:
6. (1) Sous réserve de l'article 7, une personne a le droit d'être inscrite si elle remplit une des conditions suivantes:
[. . .]
c) son nom a été omis ou retranché du registre des Indiens ou, avant le 4 septembre 1951, d'une liste de bande, en vertu du sous-alinéa 12(1)a)(iv), de l'alinéa 12(1)b) ou du paragraphe 12(2) ou en vertu du sous-alinéa 12(1)a)(iii) conformément à une ordonnance prise en vertu du paragraphe 109(2), dans leur version antérieure au 17 avril 1985, ou en vertu de toute disposition antérieure de la présente loi portant sur le même sujet que celui d'une de ces dispositions;
[. . .]
11. (1) À compter du 17 avril 1985, une personne a droit à ce que son nom soit consigné dans une liste de bande tenue pour cette dernière au ministère si elle remplit une des conditions suivantes:
[. . .]
c) elle a le droit d'être inscrite en vertu de l'alinéa 6(1)c) et a cessé d'être un membre de cette bande en raison des circonstances prévues à cet alinéa;
[5]Par une action introduite le 15 janvier 1986, les appelants sollicitent un jugement déclaratoire selon lequel les dispositions du projet de loi C-31 qui confèrent le droit à la qualité de membre d'une bande ne sont pas conformes à l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] et sont, en conséquence, inopérantes. Les appelants affirment que le droit d'une bande indienne de décider des personnes admises à être membres est un droit autochtone garanti par la Constitution et les traités et que la loi qui impose à une bande de conférer la qualité de membres à certaines personnes est par conséquent inconstitutionnelle.
[6]Le litige est actuellement dans sa 18e année. Par un avis de requête en date du 1er novembre 2002, la Couronne a sollicité:
[traduction] [. . .] une ordonnance interlocutoire de faire, en attendant l'issue de l'action introduite par les demandeurs, injonction interlocutoire qui ordonnerait aux demandeurs d'inscrire ou de consigner dans la liste de la Bande de Sawridge, les noms des personnes qui ont acquis le droit d'en être membres avant que celle-ci n'assume la responsabilité de la tenue de sa liste de Bande, avec les droits et privilèges dont jouissent tous les membres de la Bande.
[7]Le fondement de la requête introduite par la Couronne était qu'une loi doit être respectée tant qu'elle n'est pas déclarée inconstitutionnelle. La requête en injonction interlocutoire a été introduite pour exiger de la Bande qu'elle respecte les dispositions de la Loi tant qu'elles ne sont pas déclarées inconstitutionnelles. Par une ordonnance en date du 27 mars 2003, le juge Hugessen a accordé l'injonction sollicitée.
[8]La Cour a été informée que, pour se conformer à l'ordonnance du juge Hugessen, la Bande de Sawridge a consigné les noms des 11 personnes en question dans sa liste de Bande. Les appelants prétendent néanmoins que l'ordonnance du juge Hugessen est erronée et qu'elle devrait être annulée.
LES QUESTIONS EN LITIGE
[9]En interjetant appel de l'ordonnance du juge Hugessen, les appelants soulèvent les questions suivantes:
1. La procédure de demande d'appartenance à la Bande était-elle conforme à la Loi?
2. Même si la Bande n'avait pas respecté la Loi, le juge Hugessen avait-il commis une erreur de droit en accordant une ordonnance interlocutoire de faire, la Couronne n'ayant pas qualité pour introduire la requête et n'ayant pas répondu au critère d'obtention d'une injonction interlocutoire?
LES ARGUMENTS DES APPELANTS
[10]Les appelants soutiennent que le code d'appartenance à la Bande est en vigueur depuis le 8 juillet 1985 et que toute personne qui veut avoir la qualité de membre doit faire une demande d'appartenance et remplir les exigences du code d'appartenance. Ils disent que les 11 personnes en question n'ont jamais fait une demande d'appartenance et qu'en conséquence on n'a pas refusé de les accepter comme membres. Les appelants prétendent que l'exigence du code que tous les demandeurs fassent une demande d'appartenance est conforme aux dispositions de la Loi. Étant donné que la Bande respecte la Loi, il n'existe aucun motif pour accorder une ordonnance interlocutoire de faire.
[11]Même si la Bande n'avait pas respecté la Loi, les appelants prétendent que le juge Hugessen a commis une erreur en accordant une ordonnance interlocutoire de faire étant donné que la Couronne n'a pas qualité pour solliciter une telle injonction. Les appelants soutiennent qu'il n'existe aucun litige entre les bénéficiaires de l'injonction et eux. La Couronne n'a aucun intérêt ou, tout au moins, aucun intérêt juridique suffisant dans la réparation. En outre, la Couronne n'a pas introduit une action en vue d'obtenir une réparation définitive du genre de celle que vise la requête en injonction interlocutoire. En l'absence d'une telle action, la Cour n'a pas compétence pour accorder une ordonnance interlocutoire de faire. Par ailleurs, il n'existe aucune disposition législative permettant à la Couronne de solliciter l'injonction en question. Les appelants soutiennent également que la Couronne n'a pas satisfait au critère à trois volets qui régit la délivrance d'une injonction interlocutoire.
LES APPELANTS RESPECTAIENT-ILS LA LOI SUR LES INDIENS?
Est-il approprié de trancher une question de droit dans le cadre d'une requête en injonction interlocutoire? |
[12]Il appert que la question de savoir si le code d'appartenance à la Bande de Sawridge et la procédure de demande d'appartenance sont conformes à la Loi a été soulevée pour la première fois par les appelants en réponse à la requête en injonction présentée par la Couronne. En effet, dans leur nouvelle déclaration modifiée, les appelants semblent reconnaître, au moins lors de la préparation de la demande en question, que certaines personnes pourraient être admises à devenir membres d'une bande indienne sans le consentement de la Bande. Le paragraphe 22 de la nouvelle déclaration modifiée affirme entre autres:
[traduction] Les demandeurs déclarent qu'avec la promulgation des modifications, le Parlement a tenté, de façon unilatérale, d'exiger des Premières Nations qu'elles admettent certaines personnes comme membres. Les modifications accordent des droits d'appartenance individuels dans chacune des Premières Nations sans le consentement de celles-ci et, d'ailleurs sans égard pour leur objection.
[13]Rien dans la nouvelle déclaration modifiée des appelants ne pourrait laisser croire qu'une des questions à trancher était de savoir si les appelants respectaient la Loi. Il appert que la nouvelle déclaration modifiée ne vise qu'à contester la constitutionnalité des modifica-tions que le projet de loi C-31 a apportées à la Loi sur les Indiens.
[14]L'avis de requête de la Couronne visant à obtenir une ordonnance interlocutoire de faire était fondé sur le refus des appelants de respecter la Loi avant la décision sur sa constitutionnalité. Il appert que la Couronne présumait qu'il n'y avait aucun doute que, en l'absence d'une conclusion d'inconstitutionnalité, la Loi exigeait des appelants qu'ils admettent les 11 personnes comme membres.
[15]Quoi qu'il en soit, les appelants disent que l'interprétation de la Loi et la question de savoir s'ils la respectaient ou non ont toujours été envisagées dans le cadre du présent litige et ils soutiennent la pertinence de ces questions. Ce sont les appelants qui ont soulevé la question de savoir s'ils respectaient la Loi, en réponse à la requête en injonction interlocutoire présentée par la Couronne. Il importait en conséquence que la question soit examinée avant la requête en injonction interlocutoire elle-même. La Couronne et les intervenants ne contestent pas la nécessité d'examiner la question et le juge Hugessen a certainement convenu qu'il était nécessaire d'interpréter la Loi et de décider si les appelants la respectaient.
[16]En principe, les tribunaux ne font pas des décisions sur un point de droit un préalable à une injonction interlocutoire. Cependant, c'était le cas en l'espèce. Compte tenu des circonstances exceptionnelles, je pense que le juge Hugessen était justifié de rendre une telle décision.
[17]Bien que la règle 220 [Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106] n'ait pas été invoquée expressément, je dirai que les actes du juge Hugessen sont analogues à une décision sur une question préliminaire de droit. Les paragraphes 220(1) et (3) des Règles sont rédigés comme suit:
220. (1) Une partie peut, par voie de requête présentée avant l'instruction, demander à la Cour de statuer sur:
a) tout point de droit qui peut être pertinent dans l'action;
[. . .]
(3) La décision prise au sujet d'un point visé au paragraphe (1) est définitive aux fins de l'action, sous réserve de toute modification résultant d'un appel.
[18]Bien que les appelants n'aient pas expressément introduit une requête en vertu de la règle 220, la nécessité de décider de l'interprétation appropriée de la Loi était implicite dans leur réponse à la requête de la défenderesse visant à obtenir une ordonnance interlocutoire de faire. Il serait illogique que les appelants soulèvent la question en défense contre la demande d'injonction et que la Cour ne soit pas en mesure de l'examiner. Rien ne prouve qu'il ne pouvait pas y avoir une décision sur la question à cause de faits litigieux ou pour tout autre motif. La question a été soulevée par les appelants qui ont dit qu'elle était pertinente en ce qui concerne l'action. En conséquence, je pense que le juge Hugessen avait le pouvoir de le faire, et il a effectivement rendu une décision préliminaire sur un point de droit qui était définitive aux fins de l'action, sous réserve de toute modification résultant d'un appel.
La procédure de demande d'appartenance à la Bande était-elle conforme à la Loi sur les Indiens? |
[19]J'examine à présent la question elle-même. Bien que la décision portée en appel ait été rendue par un juge responsable de la gestion de l'instance à qui il faut donner une très grande latitude (voir Bande de Sawridge c. Canada, [2002] 2 C.F. 346 (C.A.), au paragraphe 11), la décision porte sur un point de droit. Lorsqu'une question de droit fondamentale est en cause, même si elle est tranchée par un juge responsable de la gestion de l'instance, la norme de contrôle applicable sera celle de la décision correcte.
[20]Les appelants affirment qu'il n'y a aucune appartenance automatique à la Bande et que le code d'appartenance à la Bande est un moyen légitime pour contrôler l'appartenance à la Bande. Ils se fondent sur les paragraphes 10(4) [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 32, art. 4] et 10(5) [mod., idem] de la Loi sur les Indiens qui disposent:
10. [. . .]
(4) Les règles d'appartenance fixées par une bande en vertu du présent article ne peuvent priver quiconque avait droit à ce que son nom soit consigné dans la liste de bande avant leur établissement du droit à ce que son nom y soit consigné en raison uniquement d'un fait ou d'une mesure antérieurs à leur prise d'effet.
(5) Il demeure entendu que le paragraphe (4) s'applique à la personne qui avait droit à ce que son nom soit consigné dans la liste de bande en vertu de l'alinéa 11(1)c) avant que celle-ci n'assume la responsabilité de la tenue de sa liste si elle ne cesse pas ultérieurement d'avoir droit à ce que son nom y soit consigné.
[21]Les appelants disent que les paragraphes 10(4) et (5) sont clairs et sans ambiguïté et que le juge Hugessen était tenu d'appliquer les dispositions en question. Ils prétendent que les termes «en raison uniquement» employés au paragraphe 10(4) signifient qu'une bande peut établir des règles d'appartenance tant que les règles en question ne violent expressément quelque disposition de la Loi. Ils affirment que le code d'appartenance à la Bande ne viole pas la Loi. Le code exige seulement que si une personne ne réside pas sur une réserve, une demande doit être présentée démontrant à la satisfaction du conseil de Bande que la personne en question:
[traduction] [. . .] a présenté une demande d'appartenance à la bande et de l'avis du conseil de bande, manifeste un intérêt réel pour l'histoire, les coutumes, les traditions, la culture et la vie communautaire de la bande, et a une connaissance approfondie, et, une personnalité et un mode de vie qui feraient que son admission parmi les membres de la bande ne serait pas préjudiciable au bien-être et au progrès de la bande (alinéa 3a)(ii)).
[22]En ce qui concerne le paragraphe 10(5), les appelants prétendent que les termes «si elle ne cesse pas ultérieurement d'avoir droit à ce que son nom y soit consigné» signifient qu'une bande a le pouvoir discrétionnaire d'établir des règles d'appartenance qui peuvent priver une personne du droit d'appartenance à la bande. Ils prétendent que rien dans la Loi n'interdit à une bande de fixer des exigences additionnelles pour avoir qualité de membre.
[23]La Couronne, pour sa part, affirme que les appelants ont, vu leur situation, des [traduction] «droits acquis». Je crois comprendre que cet argument signifie que l'alinéa 11(1)c) [mod., idem] a prévu pour ces personnes le droit automatique à la qualité de membres de la Bande à laquelle elles étaient auparavant liées. La Couronne prétend que le paragraphe 10(4) interdit à une bande d'utiliser ses règles d'appartenance pour créer des obstacles à l'appartenance de telles personnes.
[24]Le juge Hugessen n'était pas convaincu que les paragraphes 10(4) et 10(5) sont aussi clairs et sans ambiguïté que les appelants le prétendent. Il a analysé les dispositions dans leur contexte et il s'est dit d'accord avec la Couronne.
[25]Les appelants semblent contester l'approche contextuelle qu'a adoptée le juge Hugessen aux fins de l'interprétation de la Loi. Toutefois, tous les textes législatifs doivent être interprétés dans leur contexte. L'affirmation bien connue de Driedger [Construction of Statutes, 2e ed. Toronto: Butterworths, 1983, à la page 87] sur l'approche moderne de l'interprétation des lois adoptée dans de nombreuses décisions telles que Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, au paragraphe 21, est rédigée comme suit:
[traduction] Aujourd'hui il n'y a qu'un seul principe ou solution: il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur.
C'est à bon droit que le juge Hugessen a interprété les paragraphes 10(4) et 10(5) conformément à l'approche moderne.
[26]Je ne peux que souscrire à l'analyse de l'interprétation de la Loi qu'a faite le juge Hugessen et je cite les passages pertinents de ses motifs que j'adopte [paragraphes 24 à 27 et 36]:
Il est dommage que la formulation maladroite des paragraphes 10(4) et 10(5) laisse des doutes sur le fait qu'ils avaient pour but de donner le droit à une appartenance automatique aux personnes ayant acquis le droit et que la Bande n'a pas la permission de créer des conditions préalables à l'appartenance comme elle l'a fait. L'expression «en raison uniquement» utilisée dans le paragraphe 10(4) semble suggérer qu'une bande pourrait légitimement refuser l'appartenance à des personnes pour des raisons autres que celles prévues par la disposition. Cependant, cette interprétation du paragraphe 10(4) se juxtapose mal aux autres dispositions de la Loi ainsi qu'aux déclarations claires effectuées à propos des modifications lors de leur promulgation en 1985.
La signification à donner à l'expression «a le droit» telle qu'elle est utilisée au paragraphe 6(1)c) est clarifiée et étendue par la définition de «membre d'une bande» se trouvant à l'article 2 qui prévoit qu'une personne qui a le droit de faire consigner son nom dans la liste de bande est un membre de la bande. L'alinéa 11(1)c) prévoit qu'à partir du 17 avril 1985, date d'entrée en vigueur du projet de loi C-31, une personne a droit à ce que son nom soit consigné sur une liste de bande tenue pour cette dernière au ministère des Affaires indiennes si, entre autres, elle a le droit d'être inscrite en vertu de l'alinéa 6(1)c) de la Loi de 1985 et a cessé d'être un membre de cette bande en raison des circonstances prévues au dit alinéa.
Alors que le registraire n'est pas obligé de consigner le nom d'une personne qui ne présente pas de demande (voir le paragraphe 9(5)), cette exemption ne s'étend pas à une bande qui a le contrôle de sa liste. Cependant, le libellé de l'article 8 ne laisse aucun doute quant au fait que la bande qui tient sa propre liste de bande est obligée d'y consigner le nom de toute personne y ayant droit. Par conséquent, le 8 juillet 1985, date à laquelle la Bande de Sawridge a obtenu le contrôle de sa liste, elle était obligée d'y consigner le nom des femmes ayant obtenu le droit. Lorsque la limitation des pouvoirs de la bande contenue dans les paragraphes 10(4) et 10(5) est considérée de cette façon, il est clair qu'elle constitue une simple interdiction de législation rétroactive: une bande ne peut pas créer d'obstacles à l'appartenance pour les personnes qui, de par la loi, sont déjà réputées être membres.
Bien qu'il traite particulièrement de listes de bande tenues par le Ministère, l'article 11 effectue une distinction claire entre un droit à l'appartenance automatique, soit sans réserve, et le droit conditionnel à l'appartenance. Le paragraphe 11(1) prévoit un droit à l'appartenance automatique pour certaines personnes à partir de la date d'entrée en vigueur des modifications. En revanche, le paragraphe 11(2), laisse en principe à la bande la possibilité d'admettre les descendants de femmes ayant épousé un non-Indien en vertu de son pouvoir discrétionnaire.
[. . .]
Le paragraphe 10(5) prouve encore ma conclusion selon laquelle la Loi crée un droit automatique à l'appartenance à la bande puisqu'elle déclare, en renvoyant à l'alinéa 11(1)c), que rien ne peut priver les personnes ayant un droit acquis de leur droit automatique à l'appartenance à moins qu'elles ne perdent ce droit par la suite. Les règles d'appartenance à la bande ne comportent aucune disposition particulière qui décrive les circonstances dans lesquelles une personne ayant des droits acquis pourrait perdre son droit d'appartenance par la suite. La promulgation des exigences d'application ne suffit certainement pas à priver les personnes ayant un droit acquis de leur droit automatique à l'appartenance à la bande, conformément au paragraphe 10(5). En d'autres termes, le Parlement ayant parlé de droits et de droits acquis, il faudrait des dispositions plus précises que celles se trouvant dans l'article 3 des règles d'appartenance pour qu'une législation déléguée et subordonnée retire ou prive de ces droits des personnes protégées par la Charte.
[27]J'examine à présent les arguments des appelants devant la Cour.
[28]Les appelants affirment que l'expression «droits acquis» employée par le juge Hugessen introduit dans la Loi sur les Indiens des termes qui ne s'y trouvent pas. Le terme «droits acquis» apparaît comme une note marginale du paragraphe 10(4). Par conséquent, il ne fait pas partie de la Loi et n'y figure qu'à titre de repère ou d'information (Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, article 14). Cependant, le terme est un «raccourci» commode pour identifier les personnes qui, en vertu de l'alinéa 11(1)c), ont droit à une appartenance automatique à la bande indienne à laquelle elles étaient liées. Autrement dit, dès que l'alinéa 11(1)c) est entré en vigueur, c'est-à-dire le 17 avril 1985, ces personnes avaient le droit d'avoir leurs noms inscrits sur la liste de leur bande.
[29]Les appelants affirment que les termes «en raison uniquement» employés au paragraphe10(4) n'interdisent pas à une bande indienne d'avoir un code d'appartenance qui exige des personnes désireuses d'avoir qualité de membres de la bande d'en faire la demande auprès de celle-ci. Je reconnais que le terme «en raison uniquement» pourrait permettre à une bande de créer des restrictions au maintien de la qualité de membre dans des situations apparues ou des actions accomplies après l'entrée en vigueur du code d'appartenance. Cependant, le code ne peut pas avoir pour effet de refuser la qualité de membre à des personnes auxquelles s'applique l'alinéa 11(1)c).
[30]Une bande peut adopter des règles d'appartenance applicables à tous ses membres. Cependant, les paragraphes 10(4) et 10(5) interdisent à une bande d'adopter des règles d'appartenance qui visent uniquement des personnes qui, en vertu de l'alinéa 11(1)c), ont droit à la qualité de membre. La Loi ne permet pas une telle discrimination.
[31]Les appelants ont soulevé trois autres objections. Premièrement, ils disent que leur code d'appartenance est nécessaire à cause de la «recherche de la bande la plus accommodante». Cependant, pour les personnes qui ont un droit d'appartenance en vertu de l'alinéa 11(1)c), la question de la recherche de la bande la plus accommodante ne se pose pas. En vertu de l'alinéa 11(1)c), les personnes en question n'ont droit à la qualité de membre que dans la bande à laquelle elles auraient eu qualité de membre n'eût-été les dispositions de la Loi sur les Indiens antérieures au 17 avril 1985. En l'espèce, les personnes dont il s'agit auraient eu qualité de membres de la Bande de Sawridge.
[32]Deuxièmement, les appelants prétendent que les termes par lesquels débute le paragraphe 11(1), «à compter du 17 avril 1985», sont indicatifs d'un processus et non d'un événement, c'est-à-dire qu'il n'existe aucune appartenance automatique à une bande et qu'en effet certaines personnes peuvent souhaiter ne pas être membres; plutôt, les termes «à compter de» signifient seulement qu'une personne peut demander à devenir membre à tout moment à partir du 17 avril 1985. Je conviens qu'il n'y a pas d'appartenance automatique. Cependant, il existe un droit automatique à l'appartenance. Les termes «à compter du 17 avril 1985» montrent seulement que le paragraphe 11(1) n'était pas rétroactif au-delà du 17 avril 1985. À compter de cette date, les personnes en cause dans le présent appel ont acquis un droit automatique d'appartenance à la Bande de Sawridge.
[33]Troisièmement, les appelants disent que les personnes en question n'ont pas présenté une demande d'appartenance. Le juge Hugessen a examiné cet argument au paragraphe 12 de ses motifs:
Enfin, la demanderesse soutient avec véhémence que les femmes en question n'ont pas présenté de demande pour devenir membres. Cet argument représente un simple faux-fuyant. Il est tout à fait vrai que seulement certaines d'entre elles ont présenté une demande conformément aux règles d'appartenance à la Bande, mais ce fait présume la question de savoir si ces règles peuvent légalement être utilisées pour priver ces femmes des droits auxquels elles ont droit selon la déclaration du Parlement. La preuve est claire: toutes les femmes en question souhaitaient être des membres de la Bande et ont cherché à le devenir et on le leur a refusé, du moins implicitement, parce qu'elles ne répondaient pas ou ne pouvaient pas répondre aux exigences rigoureuses d'application des règles.
[34]Contrairement à la conclusion du juge Hugessen, les appelants prétendent qu'il n'existe aucune preuve que les personnes dont il s'agit voulaient devenir membres de la Bande de Sawridge. Un examen du dossier révèle que de nombreux éléments de preuve appuient la conclusion du juge Hugessen. Par exemple, par une résolution du conseil de bande de Sawridge en date du 21 juillet 1988, le conseil de bande a reconnu que [traduction] «au moins 164 personnes avaient manifesté par écrit un intérêt à présenter une demande d'appartenance à la Bande». La liste des personnes en question était jointe en annexe à la résolution du conseil de bande. Des 11 personnes dont il s'agit dans le présent appel, 8 ont leurs noms consignés dans cette liste. En outre, le dossier contient des demandes de statut d'Indien et d'appartenance à la Bande de Sawridge présentées par un certain nombre des personnes en cause.
[35]Pour ces personnes qui ont un droit d'appartenance, une simple demande d'inscription sur la liste de la Bande suffit. Le fait que les personnes en cause n'aient pas présenté une demande formelle d'appartenance à la Bande de Sawridge est sans pertinence. Comme l'a conclu le juge Hugessen, exiger des personnes qui ont des droits acquis qu'elles respectent le code d'appartenance à la Bande de Sawridge, dans lequel des conditions préalables d'appartenance avaient été fixées, violait la Loi.
[36]Bien évidemment, la présente conclusion ne porte pas sur la question principale soulevée par les appelants dans le présent appel, c'est-à-dire si les dispositions qui confèrent à certaines personnes le droit d'appartenance à une bande indienne sont inconstitutionnelles.
LA REQUÊTE EN INJONCTION
La qualité pour agir |
[37]J'examine à présent la requête en injonction. Les appelants disent qu'il n'y avait pas de litige entre la Bande et les 11 appelants dont le juge Hugessen a ordonné l'inscription sur la liste de la Bande. Les 11 personnes en question n'ont pas qualité de parties à l'action principale. Les appelants prétendent également que la Couronne n'a pas le droit de solliciter une injonction interlocutoire si elle ne recherche pas la même réparation dans le jugement définitif.
[38]Je ne peux accepter les arguments des appelants. La Couronne est défenderesse dans une demande visant à faire annuler une loi validement adoptée au motif qu'elle est inconstitutionnelle. Elle sollicite une injonction, non seulement au nom des personnes à qui les avantages que confère la Loi sont refusés mais aussi dans l'intérêt du public au respect des lois du Canada. La Couronne, représentée par le procureur général, a toujours eu qualité pour solliciter des injonctions pour forcer des organismes publics, comme un conseil de bande, à respecter la loi (voir Robert J. Sharpe, Injunctions and Specific Performance, édition à feuilles mobiles, Aurora (Ontario), Canada Law Book, 1998, au paragraphe 3.30; Ontario (Attorney General) v. Ontario Teachers' Federation (1997), 36 O.R. (3d) 367 (Div. gén.), aux pages 371 et 372). En ce qui concerne la qualité pour agir de la Couronne en common law, contrairement aux prétentions des appelants, une disposition législative n'est pas nécessaire. Ainsi, le juge Hugessen était justifié de conclure que la Couronne avait qualité pour solliciter l'injonction.
[39]Je ne peux pas non plus accepter l'argument des appelants que la Couronne ne peut pas solliciter une injonction interlocutoire parce qu'elle n'a pas recherché le même résultat final dans l'action principale. La Couronne présente une défense contre la contestation de la constitutionnalité du projet de loi C-31 et elle sollicite une injonction interlocutoire pour exiger son respect en attendant le jugement définitif. Si la Couronne a gain de cause dans l'action principale, il en résultera que la Bande de Sawridge devra inscrire ou consigner dans sa liste de membres les noms des personnes visées par la requête en injonction interlocutoire. En conséquence, la Couronne recherche fondamentalement la même réparation aussi bien dans la requête en injonction que dans l'action principale.
[40]Par ailleurs, l'article 44 [mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 41] de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod., idem, art. 14), confère à la Cour fédérale la compétence voulue pour accorder une injonction «dans tous les cas où il lui paraît juste ou opportun de le faire». La compétence attribuée par l'article 44 est très large. Dans Canada (Commission des droits de la personne) c. Canadian Liberty Net, [1998] 1 R.C.S. 626, la Cour suprême du Canada a conclu que la Cour fédérale peut accorder une injonction même si elle n'est pas saisie d'une action pour laquelle elle devra rendre un jugement définitif sur la question en litige. Si l'article 44 confère à la Cour compétence pour accorder une injonction dans les cas où elle n'est pas saisie du fond du litige, la Cour a certainement compétence pour accorder une injonction dans les cas où elle rendra elle-même un jugement définitif sur une question connexe. L'injonction sollicitée est en conséquence suffisamment liée à la réparation finale sollicitée par la Couronne.
Le critère permettant d'accorder une injonction interlocutoire |
[41]Le critère permettant d'accorder ou de refuser une injonction interlocutoire a été énoncé dans American Cyanamid Co. c. Ethicon Ltd., [1975] A.C. 396 (H.L.) et adopté par la Cour suprême dans Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110; et RJR--MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, à la page 334, où les juges Sopinka et Cory ont résumé le critère comme suit:
Premièrement, une étude préliminaire du fond du litige doit établir qu'il y a une question sérieuse à juger. Deuxièmement, il faut déterminer si le requérant subirait un préjudice irréparable si sa demande était rejetée. Enfin, il faut déterminer laquelle des deux parties subira le plus grand préjudice selon que l'on accorde ou refuse le redressement en attendant une décision sur le fond.
[42]Les appelants prétendent que le juge Hugessen a commis une erreur en inversant le fardeau de la preuve dans l'application du critère. Étant donné que, comme le montre l'analyse ci-dessous, la Couronne satisfait au critère traditionnel, je ne vois pas la nécessité d'examiner si le fardeau de la preuve devrait être inversé.
La question sérieuse |
[43]Dans RJR--MacDonald, précité, aux pages 337 et 338, la Cour suprême a montré que les exigences minimales pour le premier volet du critère ne sont pas élevées et que le juge des requêtes devrait passer aux autres volets du critère à moins que la demande ne soit futile ou vexatoire.
[44]Les appelants prétendent que lorsqu'une ordonnance de faire est sollicitée, l'ancien critère antérieur à American Cyanamid exigeant une forte apparence de droit devrait continuer à s'appliquer. Ils se fondent sur une cause ontarienne Breen v. Farlow, [1995] O.J. no 2971 (Div. gén.) (QL), pour appuyer cette affirmation. Bien évidemment, la décision en question ne lie pas notre Cour. En outre, elle a été remise en cause par des décisions subséquentes des tribunaux ontariens dans lesquelles des ordonnances interlocutoires de faire ont été rendues (493680 Ontario Ltd. v. Morgan, [1996] O.J. no 4776 (Div. gén) (QL); Samoila v. Prudential of America General Insurance Co. (Canada), [1999] O.J. no 2317 (C.S.) (QL)). Dans Morgan, le juge Hockin a affirmé que RJR--MacDonald avait modifié l'ancien critère, même pour des ordonnnances interlocutoires de faire (paragraphe 27).
[45]Au cours des dernières années, la jurisprudence de la Cour fédérale sur la question n'a pas été unanime. Dans Relais Nordik Inc. c. Secunda Marine Services Ltd. (1988), 24 F.T.R. 256 (C.F. 1re inst.), à la page 9, le juge Pinard a remis en cause l'applicabilité du critère de American Cyanamid aux ordonnances interlocutoires de faire. Sur un autre plan, dans Ansa International Rent-a-Car (Canada) Ltd. c. American International Rent-a-Car Corp. (1990), 32 C.P.R. (3d) 340 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 15, le juge MacKay a dit que le critère American Cyanamid s'applique aussi bien aux injonctions de faire qu'aux injonctions prohibitives. Les deux décisions en question ont été rendues avant que la Cour suprême n'ait réaffirmé son approbation du critère de American Cyanamid dans RJR--MacDonald. Plus récemment, dans Patriquen c. Canada (Services correctionnels) (2003), 238 F.T.R. 153 (C.F.), aux paragraphes 9 à 16, le juge Blais a appliqué le critère énoncé dans RJR--MacDonald et a conclu qu'il existait une question sérieuse à trancher dans la requête en ordonnance interlocutoire de faire (qu'il a rejetée au motif que la demanderesse n'avait pas prouvé un préjudice irréparable).
[46]Le juge Hugessen a suivi la décision Ansa International , précitée, en décidant que le critère énoncé dans RJR--MacDonald devrait s'appliquer à une requête en injonction interlocutoire, qu'elle soit prohibitive ou mandatoire. Vu l'invitation à la prudence faite par les juge s Sopinka et Cory à propos des difficultés d'une analyse approfondie de la constitutionnalité d'une loi à un stade interlocutoire (RJR--MacDonald, à la page 337), je pense que le juge Hugessen a eu raison de faire ce qu'il a fait. Cependant, le fait que la Couronne demande à la Cour d'imposer aux appelants une obligation de faire devra être pris en compte dans l'examen de la balance des inconvénients.
[47]En l'espèce, l'argument de la Couronne que le projet de loi C-31 est valide n'est ni futi le ni vexatoire. Il existe en conséquence une question sérieuse à trancher.
Le préjudice irréparable |
[48]En principe, l'intérêt public n'est pris en considération que pour le troisième volet du critère. Cependant, lorsque comme en l'espèce, le gouvernement est demandeur dans une requête en injonction interlocutoire, l'intérêt public doit également être pris en considération à la deuxième étape (RJR--MacDonald, précité, à la page 349).
[49]Une loi validement adoptée est réputée être dans l'intérêt public. Les tribunaux n'ont pas à se demander si la loi a réellement cet effet (RJR--MacDonald, précité, aux pages 348 et 349).
[50]Autoriser les appelants à ne pas tenir compte des exigences de la Loi c auserait un préjudice irréparable à l'intérêt public quant au respect de la Loi. Tant qu'une loi n'est pas jugée inconstitutionnelle et annulée ou que son application n'est pas suspendue par un tribunal compétent, les citoyens et les organisations doivent la respecter (Metropolitan Stores, précité, à la page 143, citant Morgentaler et al. v. Ackroyd et al. (1983), 42 O.R. (2d) 659 (H.C.), aux pages 666 à 668).
[51]Par ailleurs, les personnes à qui le droit d'appartenance à la Bande des appela nts a été refusé sont des personnes âgées et, vu le rythme actuel d'avancement de l'action, certaines des personnes en question ne bénéficieront vraisemblablement pas des avantages que confèrent les modifications adoptées pour réparer leur exclusion discri minatoire de l'appartenance à la Bande. L'intérêt du public pour ce qui est de prévenir la discrimination de la part des organismes publics subira un préjudice irréparable si l'injonction demandée est refusée et si les appelants peuvent continuer à ne pas respecter les obligations qu'ils ont en vertu du projet de loi C-31 tant que la décision sur sa constitutionnalité n'est pas rendue.
[52]Les appelants soutiennent qu'il ne peut pas y avoir de préjudice irréparable parce que, s'il y en avait un, la Couronne n'aurait pas attendu 16 ans après l'introduction de l'action pour solliciter une injonction. La Couronne prétend qu'elle a présenté au juge Hugessen la justification de sa réaction tardive et elle a affirmé que la durée excessive de l'actio n avait en fait contribué au préjudice irréparable étant donné que les personnes en question vieillissaient et dans certains cas tombaient malades.
[53]La question de savoir si le fait de tarder à introduire une requête en injonction est fat al est une question qui relève de l'exercice du pouvoir discrétionnaire du juge des requêtes. Il n'y a aucune indication que le juge Hugessen n'a pas agi judicieusement en exerçant son pouvoir discrétionnaire de prononcer une injonction en dépit du moment où la requête avait été introduite.
Prépondérance des inconvénients |
[54]Dans l'arrêt Metropolitan Stores , précité, à la page 149, le juge Beetz a dit que les injonctions interlocutoires ne devraient pas être rendues dans les affaires de droit public, «à moins que l'intérêt public ne soit pris en considération et ne reçoive l'importance qu'il mérite dans l'appréciation de la prépondérance des inconvénients». En l'espèce, l'intérêt public au respect de la Lo i et à la réparation de la discrimination antérieure favorise l'octroi de l'injonction interlocutoire sollicitée par la Couronne.
[55]Comme je l'ai montré précédemment et comme le juge Hugessen l'a conclu, il existe un intérêt public certain quant au respect d'une Loi tant que son application n'est pas suspendue par l'ordonnance d'un tribunal compétent ou que la loi en cause n'est pas annulée par un jugement définitif. De même, le projet de loi C-31 avait pour objet de réparer la discriminati on historique contre les Indiennes et les Indiens qui étaient auparavant exclus du statut en raison de la Loi sur les Indiens et des règles d'appartenance à une bande. Il existe dès lors un intérêt public à veiller à ce que les personnes dont il s'agit en l'espèce bénéficient des modifications en question.
[56]Sur un autre plan, la Bande de Sawridge subira peu de préjudice ou même n'en subira aucun en acceptant comme membres 9 femmes âgées et 1 homme (la Cour a été informée qu'une des 11 personnes est décédée récemment). Il est vrai qu'on demande à la Bande de prendre des mesures positives en ajoutant les noms des personnes en question à sa liste de Bande, mais il est difficile de conclure à un préjudice du fait qu'on exige d'un organisme public de respecter une loi qui, jusqu'à un jugement définitif quant à sa constitutionnalité, est actuellement en vigueur. Même si la Bande fournit aux personnes en question une aide financière, en se fondant sur leur qualité de membre, ce préjudice peut être réparé par des dommages-intérêts contre la Couronne si les appelants obtiennent subséquemment gain de cause. En conséquence, comme l'a conclu le juge Hugessen, la balance des inconvénients favorise l'octroi de l'injonction.
CONCLUSION
[57]L'appel doit être rejeté.
LES DÉPENS
[58]La Couronne a sollicité des dépens devant notre Cour et devant la Cour fédérale. Les intervenants n'ont sollicité des dépens que devant notre Cour.
[59]Dans ses motifs d'ordonnance, le juge Hugessen a réservé la question des dépens au profit de la Couronne, en indiquant que la Couronne devrait, pour solliciter des dépens, suivre la procédure de requête écrite prévue à la règle 369 [Règles de la Cour fédérale (1998)]. Il n'a pas accordé de dépens au profit des intervenants. Il n'apparaît pas au dossier que la Couronne a sollicité des dépens conformément à la règle 369 et, en l'absence d'une ordonnance de dépens et d'un appel d'une telle ordonnance, je n'adjugerais pas d e dépens en Cour fédérale.
[60]En ce qui concerne les dépens en notre Cour, la Couronne et les intervenants doivent présenter des observations écrites, aucune n'excédant trois pages en double interligne, au plus tard dans les sept jours suiv ant la date des présents motifs. Les appelants doivent présenter des observations écrites, qui n'excèdent pas 10 pages en double interligne, au plus tard dans les 14 jours suivant la date des présents motifs. Si une demandée est présentée à cet effet, la C our examinera l'allocation d'un montant forfaitaire incluant les frais, les débours et, en ce qui concerne les intervenants, la TPS (Voir Consorzio del Prosciutto di Parma c. Maple Leaf Meats Inc. , [2003] 2 C.F. 451 (C.A.)).
[61]Le jugement de la Cour sera rendu aussitôt que la question des dépens est tranchée.
Le juge Noël, J.C.A.: Je souscris aux présents motifs.
Le juge Malone, J.C.A.: Je souscris aux présents motifs.