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T-1174-02

2004 CF 375

Robert G. Stenhouse (demandeur)

c.

Procureur général du Canada (défendeur)

Répertorié: Stenhouse c. Canada (Procureur général) (C.F.)

Cour fédérale, juge Kelen--Ottawa, 9 et 10 février et 12 mars 2004.

GRC -- Contrôle judiciaire de la décision du commissaire confirmant la recommandation du Comité externe d'examen d'ordonner au demandeur de démissionner ou de le congédier pour violation du serment du secret -- Le demandeur a divulgué des documents confidentiels de la police -- Le Comité d'arbitrage a déclaré le demandeur coupable de conduite jetant le discrédit sur la Gendarmerie -- En appel, le Comité externe d'examen a recommandé son congédiement -- Le commissaire a accepté cette recommandation -- Examen de la retenue judiciaire face à la décision du commissaire -- Le Comité a commis une erreur en concluant à l'absence d'une crainte de partialité de la part du commissaire -- Il est normal que, dans sa gestion de la GRC, le commissaire soit tenu au courant de toute procédure disciplinaire importante, mais rien dans la Loi sur la GRC n'indique qu'un membre doit être privé de son droit à la justice naturelle dans le processus d'appel devant le commissaire -- La décision du commissaire a été annulée pour crainte de partialité -- Un agent de police peut invoquer la défense de dénonciateur, mais de manière responsable -- Elle n'autorise pas un employé mécontent à violer son obligation de loyauté ou son serment du secret -- Bien qu'on ait violé les règles de justice naturelle en ne divulguant pas au membre certains documents pertinents, un seul document aurait pu avoir un impact sur le résultat -- L'affaire est renvoyée au Comité d'examen qui devra tenir compte de ce document et de tout témoignage pertinent s'y rapportant -- L'enquête disciplinaire n'était pas un abus de procédure -- L'affaire n'a pas été menée avec une vigueur telle que le public considérerait le processus injuste -- Lorsque le Comité d'examen aura terminé le réexamen de son rapport, le commissaire déléguera son pouvoir de décision dans l'appel à l'officier de la GRC du grade le plus élevé qui n'a pas été impliqué dans le dossier.

Droit administratif -- Contrôle judiciaire -- Certiorari -- Le commissaire de la GRC a confirmé la recommandation du Comité externe d'examen d'ordonner à l'appelant de démissionner et à défaut de le congédier, pour violation du serment du secret et du code de déontologie de la GRC -- Le demandeur a divulgué à un auteur des documents confidentiels que celui-ci a reproduits dans son ouvrage intitulé Hells Angels at War -- Le contrôle judiciaire portait sur quatre questions: 1) la crainte raisonnable de partialité; 2) la défense de dénonciation; 3) la violation des règles de la justice naturelle; et 4) l'abus de procédure -- Norme de contrôle applicable -- La norme de la décision raisonnable simpliciter s'impose, toutes les questions étant des questions mixtes de fait et de droit -- Décision annulée pour crainte raisonnable de partialité, puisque le rôle du commissaire allait plus loin que la gestion courante de la Gendarmerie -- Bien qu'on ait violé les règles de justice naturelle en ne divulguant pas certains documents, un seul document aurait pu changer le résultat -- Il existe des cas où on peut ignorer un manquement à la justice naturelle lorsque le fondement de la demande est à ce point faible que la cause est sans espoir -- La vigueur avec laquelle l'affaire a été menée ne constitue pas un abus de procédure et ne démontre pas que la direction de la Gendarmerie ne visait qu'à règler le compte du demandeur.

Fonction publique -- Fin d'emploi -- Défense de dénonciateur -- Un membre de la GRC a reçu l'ordre de démissionner, à défaut de quoi il serait congédié, pour avoir divulgué à un auteur des documents confidentiels de la police relatifs aux bandes de motards -- La liberté d'un fonctionnaire, y compris un officier de police, de critiquer son employeur est protégée par la common law et la Charte -- La défense de dénonciation a été reconnue comme constituant une exception à l'obligation de loyauté en common law, mais elle n'autorise pas un employé mécontent à violer son obligation de loyauté ou son serment du secret -- Elle doit être utilisée de manière responsable -- Au vu des faits en l'espèce, elle ne s'applique pas.

Cette demande de contrôle judiciaire porte sur la décision du commissaire Zaccardelli, de la Gendarmerie royale du Canada, confirmant la recommandation du Comité externe d'examen d'ordonner au demandeur de démissionner ou de le congédier, en raison de son manquement au serment du secret et au serment professionnel, ainsi qu'au code de déontologie de la GRC. Le demandeur a fait l'objet d'une action disciplinaire après avoir divulgué à un auteur des documents confidentiels de la police relatifs aux politiques de lutte contre les bandes de motards hors la loi. Ces documents ont été reproduits par l'auteur dans son ouvrage intitulé Hells Angels at War.

Le demandeur était sergent (plus tard sergent d'état-major), affecté à la section antidrogue de la GRC à Edmonton. Au cours d'une carrière de 18 ans, le demandeur a été promu plusieurs fois et il a été cité pour bravoure. Impliqué dans des opérations d'infiltration, il a infiltré les Hells Angels. Vu son expérience et son intérêt, il a été choisi pour représenter la GRC au Comité de travail sur le crime organisé. À l'époque, il a rédigé des notes de breffage à l'intention des responsables de la Gendarmerie, pour indiquer qu'il y avait des lacunes dans l'approche policière face aux bandes de motards hors la loi et proposer des améliorations. Le demandeur a déclaré qu'il avait divulgué les documents confidentiels en raison d'un sentiment de frustration, dû au fait que la GRC animait une campagne dans les médias pour obtenir plus de ressources alors que les activités criminelles des Hells Angels ne faisaient pas l'objet d'enquêtes appropriées. Il a prétendu que cette divulgation n'avait causé aucun tort à la GRC, autre que le fait de l'avoir mise dans l'embarras. Lorsque le demandeur a appris que les documents qu'il avait fournis avaient été reproduits dans un livre, il a fait parvenir un courriel à son supérieur, lui exprimant ses plus «sincères regrets et excuses» et affirmant qu'il était «sincèrement désolé», tout en disant espérer que, en se transformant en «dénonciateur», il pourrait peut-être améliorer la situation. Il déclarait ne pas avoir agi par intérêt personnel.

En vertu du paragraphe 43(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, un comité d'arbitrage a été constitué pour tenir une enquête sur la «conduite scandaleuse» du demandeur, contraire au paragraphe 39(1) du code de déontologie de la GRC, et sur son manquement au serment du secret, contraire à l'article 50 du code. Tout en rejetant la deuxième allégation, au motif qu'elle faisait double emploi, le Comité a déclaré que le demandeur coupable de conduite jetant le discrédit sur la Gendarmerie et lui a ordonné de démissionner dans les 14 jours, à défaut de quoi il serait congédié. Il a conclu que le demandeur n'avait démontré que peu de remords, et qu'il n'était pas prêt à «adopter les valeurs de la Gendarmerie». Son inconduite allait au coeur de la relation employeur-employé et constituait une répudiation de son contrat d'emploi. Le Comité externe d'examen a recommandé le rejet de l'appel, la conduite du demandeur n'était pas une forme protégée de liberté d'expression. Celui-ci n'avait pas droit à la défense de «dénonciateur». Le Comité a conclu que la GRC avait des raisons légitimes de douter qu'elle puisse dorénavant faire confiance au demandeur lorsque celui-ci est en possession de renseignements confidentiels, et que le congédiement était approprié. Le commissaire s'est rangé à la recommandation du Comité.

Voici les questions en litige: 1) existait-il une crainte raisonnable de partialité de la part du commissaire? 2) la défense de «dénonciateur» était-elle fondée? 3) les règles de la justice naturelle ont-elles été violées? et 4) y avait-il lieu de suspendre l'action disciplinaire pour abus de procédure?

S'agissant de la norme de contrôle, la Cour devait se livrer à une analyse pragmatique et fonctionnelle. Le paragraphe 45.16(7) de la Loi sur la GRC est une clause privative partielle, et il y avait lieu d'exercer une certaine retenue face à la décision du commissaire. Celui-ci a de toute évidence une expertise qui va dans le sens d'une certaine retenue. La législation reconnaît que la GRC doit avoir le contrôle de sa discipline, ce qui se reflète dans le processus disciplinaire en trois étapes que l'on trouve dans la Loi. De plus, les membres de la GRC ne sont pas soumis à la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, ce qui va dans le sens d'une certaine retenue. Finalement, comme le processus disciplinaire est essentiellement fondé sur des faits, il y a lieu d'exercer une grande retenue lorsqu'il s'agit des questions de fait; sur les questions de droit, toutefois, la Cour a une plus grande expertise et n'exercera donc pas de retenue. S'agissant des questions mixtes de fait et de droit, la Cour exercera une certaine retenue. C'était la norme de la décision raisonnable simpliciter. Les quatre questions soulevées par le demandeur étant des questions mixtes de fait et de droit, la norme de contrôle applicable était celle de la décision raisonnable simpliciter.

Jugement: la demande est accueillie.

1) S'agissant de la crainte de partialité, la preuve a démontré que le commissaire (alors sous-commissaire chargé de la lutte contre le crime organisé et de la politique opérationnelle) a été chargé dès le 24 janvier 2000 d'assurer un suivi de l'enquête visant le demandeur, soit cinq mois avant qu'il ne soit question d'action disciplinaire grave. Il recevait des comptes rendus de l'enquête, ainsi que des comptes rendus quotidiens au cours des audiences d'arbitrage. Bien que le Comité ait admis qu'une personne raisonnable aurait une crainte raisonnable de partialité, il a conclu que rien dans la Loi n'exige que le commissaire soit un décideur indépendant et impartial. Cette conclusion n'était pas acceptable. Même s'il est normal que le commissaire, en gérant la GRC, soit au courant de toute procédure disciplinaire importante, rien dans la Loi sur la GRC n'indique qu'une personne dans la situation du demandeur doit être privé de ses droits à la justice naturelle dans le processus d'appel devant le commissaire. On ne pouvait toutefois déduire l'existence de partialité simplement du fait que le commissaire avait une connaissance de la procédure qui a mené à l'appel. Dans une affaire subséquente, le commissaire a décidé, avec raison, de ne pas trancher l'appel parce qu'il avait précédemment joué un rôle dans une enquête sur une présumée faute, qui allait plus loin que la gestion courante de la Gendarmerie. La conduite du commissaire en l'espèce ne pouvait faire autrement que donner naissance à une crainte raisonnable de partialité et, pour ce motif, elle devait être annulée.

2) La liberté d'un fonctionnaire, y compris un officier de police, de s'exprimer à l'encontre des intérêts de son employeur est protégée par la common law et la Charte. C'est ce qu'on appelle la défense de «dénonciateur». Cette défense trouve son origine dans l'arrêt Fraser c. Commission des relations de travail dans la Fonction publique, où le juge en chef Dickson a identifié deux situations où la liberté d'expression prime l'obligation de loyauté, savoir: lorsque le gouvernement accomplit des actes illégaux ou qu'il adopte des politiques mettant en danger la vie, la santé ou la sécurité du public, et lorsque les critiques n'ont aucun effet sur l'aptitude du fonctionnaire à accomplir ses fonctions d'une manière efficace ni sur la façon dont on perçoit cette aptitude. Plus récemment, dans l'affaire Haydon, la juge Tremblay-Lamer a déclaré que «la défense de dénonciation» a été reconnue comme constituant une exception à l'obligation de loyauté en common law. Elle a ajouté que, lorsqu'une affaire constitue une question légitime d'intérêt public et exige un débat public, l'obligation de loyauté n'est pas si absolue qu'elle viendrait interdire toute divulgation publique par un fonctionnaire. Le Comité externe d'examen a conclu que tout avantage que la société canadienne aurait pu retirer de cette divulgation était de loin inférieur au aux répercussions négatives probables sur la volonté des organismes d'application de la loi de s'échanger entre eux des renseignements (par exemple, sur les bandes de motards), échange essentiel au maintien de l'ordre. Le Comité a conclu que le demandeur n'avait aucune justification pour déclarer que la GRC complotait en vue de compromettre la sécurité du public canadien afin de mieux étayer sa demande de fonds supplémentaires pour lutter contre les bandes de motards hors la loi. Le Comité a appliqué de façon correcte la jurisprudence concernant la défense de dénonciateur. Cette défense doit être utilisée de manière responsable et elle n'autorise pas un employé mécontent à violer son obligation de loyauté en common law ou son serment du secret. La divulgation par le demandeur faisait état de son désaccord avec une politique confidentielle de la GRC au sujet de la répartition des ressources pour lutter contre la criminalité. Cette politique avait été adoptée par les dirigeants de la GRC, qui comprennaient le contexte plus large de la criminalité au Canada. Au vu des faits en l'espèce, la défense de dénonciateur ne s'appliquait pas.

3) Le demandeur a soutenu qu'on a violé les règles de la justice naturelle comme suit: (i) le Comité a refusé d'ajourner son audition et d'exiger la divulgation de documents requis par la défense; (ii) le Comité et le commissaire n'ont pas autorisé le dépôt d'une nouvelle preuve documentaire obtenue après l'audition; et (iii) l'enquête et la poursuite étaient teintées de partialité, l'objectif de la GRC étant de régler le compte du demandeur.

(i) La GRC n'a pas divulgué certains documents comme elle l'aurait dû. Parmi les documents significatifs, on trouve la note de service du commissaire adjoint Leatherdale à l'inspecteur Roberts, indiquant que le demandeur avait démontré un certain «sens de la responsabilité» dont il faudrait tenir compte et que la preuve indiquait qu'il était frustré et que personne ne l'avait écouté, question qu'il fallait examiner. Bien que cette note de service n'aurait rien changé à la décision du Comité d'arbitrage ou du Comité d'examen au sujet de la défense de dénonciateur, on y trouve une certaine empathie pour le demandeur et de l'inquiétude face à l'inaction de ses supérieurs au sujet de ses frustrations et de ses plaintes. Ce document aurait pu avoir un impact sur la sanction recommandée par le Comité d'arbitrage et le Comité d'examen. De plus, son auteur aurait pu être cité comme témoin. Pour ce motif, l'affaire est renvoyée au Comité d'examen qui devra tenir compte de ce document et de tout témoignage pertinent s'y rapportant, et revoir son rapport. Cela fait partie intégrante du droit à une audition équitable. Il y avait deux autres documents dont la non-divulgation ou le retard à divulguer constituaient un manquement aux règles de la justice naturelle, mais ils n'auraient rien changé au résultat en l'espèce. D'autres documents qui n'ont pas été divulgués appuyaient l'argument que la procédure disciplinaire était partiale et constituait un abus de procédure. Le Comité a commis une erreur en ne faisant pas droit à la requête en ajournement et en n'assurant pas une pleine communication en temps utile. Toutefois, l'arrêt Mobil Oil Canada Ltd. c. Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers, a reconnu qu'il existe des cas où l'on peut ignorer un manquement à la justice naturelle lorsque le fait d'y pallier n'aurait aucun impact sur le résultat, le fondement de la demande étant à ce point faible que la cause est de toute façon sans espoir. Comme indiqué plus tôt, la note de service Leatherdale est le seul document qui aurait pu avoir un impact sur la détermination de la sanction.

(ii) Le fait de ne pas avoir autorisé le demandeur à déposer la nouvelle preuve obtenue après l'audition constituait un manquement aux règles de la justice naturelle, mais il n'a pas affecté le résultat.

4) En soutenant qu'il y a eu abus de procédure, le demandeur a laissé entendre que l'enquêteur, la poursuite et la haute direction de la GRC avaient tous l'intention de le faire licencier. Toutefois, la Cour ne partageait pas l'avis que l'affaire avait été menée avec une vigueur telle que le public considérerait le processus injuste ou oppressif. Les milliers de documents obtenus par le demandeur en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels ne démontrent pas non plus l'existence d'un traitement injuste ou oppressif à son égard. La note de service au sujet de la suppression de l'autorisation de sécurité du demandeur avant que le Comité d'arbitrage n'ait terminé ses travaux n'indique pas l'existence de partialité ou d'un abus de procédure et, dans les circonstances, il s'agissait d'une mesure prudente.

Lorsque le Comité externe d'examen aura terminé le réexamen de son rapport et de ses recommandations, le commissaire déléguera son pouvoir de décision dans l'appel à l'officier de la GRC du grade le plus élevé qui n'a pas été impliqué dans le dossier, pour qu'il le tranche après avoir donné l'occasion aux parties de présenter leurs points de vue.

lois et règlements

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].

Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-10, par. 2(1) «Comité» (mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 8, art. 1), 5 (mod., idem, art. 2), 14(1) (mod., idem, art. 8), 25(1) (mod., idem, art. 16), (5) (mod., idem), 38 (mod., idem), 39(1) (mod., idem), 40(1) (mod., idem), (2) (mod., idem), 43(1) (mod., idem), (2) (mod., idem), (3) (mod., idem), 45.1 (édicté, idem), 45.14(1) (édicté, idem), (3) (édicté, idem), 45.15(1) (édicté, idem), 45.16(1) (édicté, idem), (2) (édicté, idem), (7) (édicté, idem); L.C. 1990, ch. 8, art. 67; 2002, ch. 8, art. 182(1)(z.9)), ann. (édicté par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 8, art. 23).

Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21.

Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-33.

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 18.1(3) (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27), (4) (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27).

Règlement de la Gendarmerie royale du Canada (1988), DORS/88-361, art. 37 (mod. par DORS/99-26, art. 1), 39 (mod. par DORS/94-219, art. 15), 50 (mod. idem, art. 20).

jurisprudence

décisions suivies:

Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226; (2003), 223 D.L.R. (4th) 599; [2003] 5 W.W.R. 1; 11 B.C.L.R. (4th) 1; 48 Admin. L.R. (3d) 1; 179 B.C.A.C. 170; 302 N.R. 34; Committee for Justice and Liberty et autres c. Office national de l'énergie et autres, [1978] 1 R.C.S. 369; (1976), 68 D.L.R. (3d) 716; 9 N.R. 115; Fraser c. Commission des relations de travail dans la Fonction publique. [1985] 2 R.C.S. 455; (1985), 23 D.L.R. (4th) 122; 18 Admin. L.R. 72; 9 C.C.E.L. 233; 86 CLLC 14,003; 19 C.R.R. 152; 63 N.R. 161; Mobil Oil Canada Ltd. c. Office Canada- Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 R.C.S. 202; (1994), 115 Nfld. & P.E.I.R. 334; 111 D.L.R. (4th) 1; 21 Admin. L.R. (2d) 248; 163 N.R. 27.

décisions appliquées:

Griffin c. Summerside (City) Police Force (1998), 164 Nfld. & P.E.I.R. 1; 159 D.L.R. (4th) 698; 9 Admin. L.R. (3d) 295 (C.S. (1re inst.) Î.-P.É.); Haydon c. Canada, [2001] 2 C.F. 82; (2000), 192 F.T.R. 161 (1re inst.); Haydon c. Canada (Procureur général) (2003), 235 F.T.R. 306 (C.F.1re inst.).

décisions citées:

Hawco c. Canada (Procureur général) (1998), 150 F.T.R. 106 (C.F. 1re inst.); Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307; (2000), 190 D.L.R. (4th) 513; [2000] 10 W.W.R. 567; 23 Admin. L.R. (3d) 175; 81 B.C.L.R. (3d) 1; 3 C.C.E.L. (3d) 165; 77 C.R.R. (2d) 189; 260 N.R. 1.

DEMANDE de contrôle judiciaire d'une décision du commissaire de la GRC confirmant la recommandation du Comité externe d'examen qu'un membre de la Gendarmerie soit congédié s'il ne démissionnait pas dans les 14 jours. Demande accueillie.

ont comparu:

James G. Cameron et Paul Champ pour le demandeur.

Patrick Bendin et Michael G. Roach pour le défendeur.

avocats inscrits au dossier:

Raven, Allen, Cameron & Ballantyne, Ottawa, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par

[1]Le juge Kelen: La présente demande de contrôle judiciaire porte sur la décision du commissaire de la Gendarmerie royale du Canada, Giuliano Zaccardelli (le commissaire), datée du 18 juin 2002, confirmant la recommandation du Comité externe d'examen d'ordonner au demandeur de démissionner de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) dans les 14 jours ou de le congédier, en raison de son manquement au serment du secret et au serment professionnel, ainsi qu'au code de déontologie [partie III du Règlement de la Gendarmerie royale du Canada (1988), DORS/88-361].

[2]L'action disciplinaire fait suite à la divulgation sans autorisation par le demandeur, en 1998 et 1999, de documents confidentiels de la GRC et d'autres corps policiers relatifs aux politiques de lutte contre les bandes de motards hors la loi (BMHL). Ces documents ont été communiqués à M. Yves Lavigne, un auteur canadien, qui les a reproduits dans son ouvrage de 1999 intitulé Hells Angels at War.

[3]Cette demande soulève quatre questions: l'allégation d'une crainte raisonnable de partialité de la part du commissaire; la défense de «dénonciateur»; l'impact des violations alléguées des règles de la justice naturelle; et la question de savoir si l'action disciplinaire constituait un abus de procédure et devrait être suspendue.

LES FAITS

[4]Les parties se sont mis d'accord sur l'énoncé des faits suivant:

1) À l'époque en cause, le demandeur était membre de la GRC;

2) Le 23 mars 1982, le demandeur a été engagé comme membre régulier de la GRC et il a prêté le serment du secret;

3) Du 1er janvier 1998 au 1er septembre 1999, le demandeur était sergent affecté à la section antidrogue à Edmonton;

4) Le 1er septembre 1999, le demandeur a été promu sergent d'état-major et affecté au bureau administratif de la Division K, à Edmonton;

5) Entre le 1er janvier 1998 et le 18 octobre 1999, les deux dates étant inclusives, le demandeur a divulgué les documents de la GRC suivants sans l'autorisation d'un gestionnaire ou de leur auteur à Yves Lavigne, un auteur qui n'est ni membre ni employé de la GRC, ni une personne autorisée à recevoir ces documents:

a) Lettre datée du 98-04-08 du détective R. Robertson, coordonnateur provincial nord, au sergent Bob Stenhouse;

b) Note de service datée du 98-03-26 du détective G. Park, coordonnateur provincial sud BMHL, au sergent Bob Stenhouse;

c) Lettre datée du 98-04-08 du chef J. Fantino au commissaire adjoint Donald McDermid, cotée Confidentiel;

d) Note de service datée du 98-04-24 du sergent R. H. McDonald au commissaire adjoint D.N. McDermid, cotée Confidentiel;

e) Note de service datée du 98-04-30 du surintendant pr. R. D. MacKay à l'officier responsable suppléant de l'Intendance (Nord), cotée Protégé «A»;

f) Document intitulé «Service de renseignements criminels Alberta, Bandes de motards hors la loi, Une approche de communication» coté Confiden-tiel;

g) Lettre datée du 98-10-09 de Jane Webster, m. c., analyste des bandes de motards hors la loi, et du sergent d'état-major suppléant R. H. McDonald au Comité exécutif du SRCA et autres, cotée Protégé «A»;

h) Lettre datée du 98-01-05 du chef J. Fantino à tous les membres du SCRC;

i) Procès-verbal de la réunion du 1er niveau daté du 98-08-23 et coté Règlement touchant une tierce personne.

[5]Au cours d'une carrière de 18 ans, le demandeur a été promu plusieurs fois. Il a été cité pour bravoure. Il a atteint le rang de sergent d'état-major (s.é.-m.). Il a été impliqué dans des opérations d'infiltration et il a travaillé aux sections antidrogue, meurtres, collecte de renseignements et enquêtes sur le crime organisé. Il a infiltré les Hells Angels pendant environ une année. La décision du Comité d'arbitrage de la GRC décrit le demandeur comme un policier remarquable et courageux, dont le dossier disciplinaire était vierge jusqu'aux événements en question. Le demandeur ayant développé un intérêt particulier pour les BMHL et pour les politiques de lutte les visant, il a été transféré en 1996 au groupe du renseignement sur les BMHL. Suite à son travail dans ce secteur, il a été choisi en 1998 pour représenter la GRC au Comité de travail sur le crime organisé (Comité de travail).

[6]À l'époque où le demandeur participait au Comité de travail, il a rédigé plusieurs notes de service et de breffage l'intention des responsables du secteur des opérations criminelles à la GRC, pour indiquer qu'il y avait des lacunes dans l'approche policière face aux BMHL. Il proposait des améliorations et des stratégies de remplacement.

[7]Le demandeur déclare qu'il a divulgué les documents confidentiels en raison d'un sentiment de frustration, dû au fait qu'il considérait que la GRC limitait au minimum ses enquêtes au sujet de l'activité criminelle de la bande de motards Hells Angels, alors qu'au même moment elle menait une campagne dans les médias pour obtenir que le public exerce des pressions sur le gouvernement afin qu'on accorde plus de ressources aux corps policiers. Il soutient que les BMHL ne faisaient pas l'objet d'enquêtes appropriées et qu'il y avait donc un risque sérieux qu'on n'aborde pas de la bonne façon les risques qu'elles posaient pour le public. Le demandeur soutient qu'il a divulgué les documents pour corroborer ses déclarations au sujet de l'approche policière face aux BMHL, et seulement après avoir pris en compte ses obligations juridiques, morales et éthiques envers son employeur. Il soutient aussi que cette divulgation n'a causé aucun tort à la GRC, autre que le fait de l'avoir mise dans l'embarras.

Les excuses de Stenhouse

[8]Le 18 octobre 1999, le demandeur a appris que les documents qu'il avait fournis à M. Lavigne avaient été reproduits dans son livre. Il a alors fait parvenir un courriel à plusieurs de ses collègues de la GRC, y compris à son supérieur hiérarchique immédiat, le surintendant Roberts, et au commandant de sa division, le commissaire adjoint McDermid, leur exprimant ses plus «sincères regrets et excuses» pour avoir fourni des documents confidentiels à M. Lavigne. Dans ce courriel, le demandeur explique qu'il a fourni les documents à M. Lavigne parce qu'il ressentait de la frustration face aux méthodes d'enquête de la GRC au sujet des Hells Angels et autres BMHL et qu'il croyait devoir agir pour obliger les corps policiers à changer leur approche face au problème des BMHL. Il a exprimé l'espoir que «en se faisant dénonciateur, il pouvait peut-être améliorer la situation». Le demandeur ajoutait qu'il avait fourni les documents sur la foi d'un engagement qu'ils ne seraient utilisés que pour mieux comprendre la situation. Afin d'expliquer son geste, le demandeur rappelait son effondrement émotif et sa tentative de remettre sa démission par suite de son intense frustration face à la politique de la GRC. Le demandeur concluait son courriel en déclarant ceci: «Je ne l'ai pas fait par intérêt personnel, et je suis sincèrement désolé que mes actes aient causé de l'embarras ou du stress à quiconque.»

L'action disciplinaire et la décision

[9]En vertu du paragraphe 43(1) [mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 8, art. 16] de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-10 (Loi sur la GRC), un comité d'arbitrage de la GRC (Comité d'arbitrage) a été constitué pour tenir une enquête disciplinaire au sujet de deux allégations portant:

1) que le demandeur avait agi «d'une façon scandaleuse qui jetterait le discrédit sur la Gendarmerie», contrairement au paragraphe 39(1) [mod. par DORS 94-219, art. 15] du code de déontologie de la GRC; et

2) que le demandeur avait violé le serment du secret, contrairement à l'article 50 [mod., idem] du code de déontologie de la GRC.

Le Comité d'arbitrage a rejeté la deuxième allégation, au motif qu'elle faisait double emploi et qu'il serait injuste de sanctionner le demandeur deux fois pour les mêmes faits.

[10]Le Comité d'arbitrage a tenu 10 jours d'audience, en février, mars et avril. Le représentant de l'officier compétent (ROC), un officier de la GRC désigné par le commissaire pour présenter l'affaire au Comité d'arbitrage, a cité 11 témoins à comparaître. Le demandeur en a cité 13.

[11]Le 3 avril 2001, le Comité d'arbitrage a conclu que le demandeur était coupable de conduite jetant le discrédit sur la Gendarmerie et lui a ordonné de démissionner dans les 14 jours, à défaut de quoi il serait congédié. Il a conclu que le demandeur n'avait démontré que peu de remords pour ses actions et que son inconduite allait au coeur de la relation employeur- employé et des attentes du public face aux membres des corps policiers. Les motifs de la décision comportent 52 pages, et on trouve la conclusion suivante à la page 51:

Le s.é.-m. Stenhouse s'est excusé et a exprimé du remords. Il jugeait que sa conduite était morale, éthique et légale. Même s'il reconnaît avoir fait preuve de mauvais jugement, le s.é.-m. Stenhouse n'a pas déclaré une seule fois avoir été dans l'erreur dans son évaluation. Dans son témoignage, il a déclaré avoir réfléchi mûrement avant de communiquer les documents. Le s.é.-m. Stenhouse a également déclaré qu'en rétrospective, il aurait dû enlever les noms qui se trouvaient dans les documents pour ne pas causer d'embarras aux intéressés. Il n'y a tout simplement pas de preuve devant nous que ses vues ont changé, qu'il considère que sa conduite était totalement injustifiée et violait le Serment professionnel et le Serment du secret qu'il avait prêtés. Nous avons entendu de nouveaux témoignages sur la peine au sujet du s.é.-m. Stenhouse qui faisait valoir le risque de divulgation publique pour inciter l'officier compétent à accepter le MARC. Il a déclaré que des renseignements embarrassants seraient rendus publics en étant présentés en preuve. De plus, il a mis une condition à son rétablissement dans ses fonctions. Un tel geste ne reflète pas du remords sincère et la volonté de changer, et il n'indique pas que le s.é.-m. Stenhouse est prêt à adopter les valeurs de la Gendarmerie. Il ne montre pas la volonté de respecter le Serment professionnel et le Serment du secret qu'il a prêtés et qui sont des éléments essentiels du contrat d'emploi avec la GRC, contrat d'emploi que le s.é.-m. Stenhouse a accepté de plein gré lorsqu'il s'est joint à la GRC. Le potentiel de réhabilitation n'a pas été prouvé. La violation de la confiance représentée par l'inconduite en l'espèce va au coeur de la relation employeur-employé et aucune peine ne peut la rétablir. La conduite du s.é.-m. Stenhouse et le caractère qu'elle révèle sont tels qu'ils minent et entachent gravement la confiance essentielle que l'employeur est en droit de placer en lui. Le s.é.-m. Stenhouse a répudié son contrat d'emploi, ou l'un de ses éléments essentiels (voir Ennis v. Canadian Imperial Bank of Commerce, (1986) 13 CCEL 25).

[12]Le demandeur a fait appel de la décision du Comité d'arbitrage au commissaire. En vertu du paragraphe 45.15(1) [édicté, idem] de la Loi sur la GRC, le commissaire a renvoyé la décision du Comité d'arbitrage devant le Comité externe d'examen pour obtenir un avis indépendant.

[13]Le 5 juin 2002, le Comité externe d'examen a recommandé le rejet de l'appel. Il a conclu que les actions du demandeur n'étaient pas protégées par la liberté d'expression et qu'il n'avait pas droit à la défense de «dénonciateur». Il a convenu que le demandeur avait violé son obligation de loyauté et jeté le discrédit sur la GRC.

[14]S'agissant de la décision sur la peine, le Comité externe d'examen a examiné de façon approfondie toutes les circonstances, y compris les excuses du demandeur. Voici ce qu'on trouve à ce sujet dans les motifs de décision, aux paragraphes 80 et 81:

Dans des circonstances différentes, l'inconduite de l'appelant n'aurait peut-être pas justifié la peine imposée par le Comité d'arbitrage. Même si cette inconduite correspond à un abus de confiance, l'appelant aurait pu rester à l'emploi de la GRC si la preuve avait montré que sa conduite ne lui ressemblait pas, qu'il comprenait non seulement que ses actes reposaient sur une erreur de jugement, mais aussi qu'ils constituaient un manquement à son obligation de loyauté envers son employeur, et que le risque de récidive était minime [. . .]

.

Même si l'appelant a reconnu que la divulgation avait été une erreur de jugement, la seule erreur qu'il admet avoir commise est d'avoir fait confiance à M. Lavigne et pensé que celui-ci utiliserait les documents comme référence seulement. Il a affirmé qu'à l'avenir, il ne s'adresserait plus à un auteur ou à un journaliste lorsqu'il remet en question la politique ou les pratiques de la GRC, mais il y a quelque chose de fort troublant et de très peu rassurant dans l'ensemble de son témoignage devant le Comité d'arbitrage. De toute évidence, il n'a pas donné au Comité d'arbitrage l'impression d'être quelqu'un en qui on pouvait faire confiance dorénavant pour ce qui est de son obligation de loyauté envers son employeur [. . .]

[15]Le Comité externe d'examen a conclu que la GRC avait des raisons légitimes de douter qu'elle pourrait dorénavant faire confiance au demandeur en présence de renseignements confidentiels, et que le congédiement dans de telles circonstances avait été considéré comme la peine pertinente par des arbitres du travail dans des affaires n'impliquant pas la GRC.

[16]Le 18 juin 2002, le commissaire s'est rangé à la recommandation du Comité externe d'examen et il a rejeté l'appel du demandeur.

[17]Le 24 juillet 2002, le demandeur a présenté sa demande de contrôle judiciaire.

LÉGISLATION PERTINENTE

[18]On trouve les dispositions législatives pertinentes dans la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-10, le Règlement de la Gendarmerie royale du Canada (1988), DORS/88-361, et la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7 [art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14)]. Ces dispositions sont reproduites à l'annexe A des présents motifs.

NORME DE CONTRÔLE

[19]Le demandeur soutient que la norme de contrôle est celle de la décision correcte, alors que le défendeur soutient qu'il s'agit plutôt de la décision manifestement déraisonnable.

L'analyse pragmatique et fonctionnelle

[20]Dans l'arrêt Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, la Cour suprême du Canada a conclu qu'il peut y avoir des normes de contrôle différentes dans une même affaire, selon les questions en cause. La Cour exige qu'on procède à une analyse pragmatique et fonctionnelle afin de décider de la norme de contrôle applicable dans une demande de contrôle judiciaire donnée. Au paragraphe 26 de l'arrêt Dr Q, la Cour déclare ceci:

Selon l'analyse pragmatique et fonctionnelle, la norme de contrôle est déterminée en fonction de quatre facteurs contextuels--la présence ou l'absence dans la loi d'une clause privative ou d'un droit d'appel; l'expertise du tribunal relativement à celle de la cour de révision sur la question en litige; l'objet de la loi et de la disposition particulière; la nature de la question--de droit, de fait ou mixte de fait et de droit.

[21]En utilisant la méthode pragmatique et fonctionnelle dans la présente affaire, j'arrive aux conclusions suivantes:

1) La clause privative -- Au paragraphe 45.16(7) [édicté par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 8, art. 16; L.C. 1990, ch. 8, art. 67; 2002, ch. 8, art. 182(1)(z.9)] de la Loi sur la GRC, on trouve la clause privative restreinte suivante:

45.16 [. . .]

(7) La décision du commissaire portant sur un appel interjeté en vertu de l'article 45.14 est définitive et exécutoire et, sous réserve du contrôle judiciaire prévu par la Loi sur les Cours fédérales, n'est pas susceptible d'appel ou de révision en justice.

Cette clause privative «partielle» fait qu'il y a lieu d'exercer une certaine retenue face à la décision du commissaire, tout comme face à d'autres décisions soumises au contrôle judiciaire de la Cour fédérale en vertu du paragraphe 18.1(4) [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27] de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7. On détermine le niveau de retenue à exercer en utilisant les étapes suivantes dans le cadre de la méthode pragmatique et fonctionnelle;

2) L'expertise du tribunal -- Le commissaire a de toute évidence une expertise au sujet de la GRC, ce qui va dans le sens d'une certaine retenue;

3) L'objet de la loi -- La législation reconnaît que la GRC doit avoir le contrôle de sa discipline, ce qui se reflète dans le processus disciplinaire en trois étapes que l'on trouve dans la Loi sur la GRC. De plus, les membres de la GRC ne sont pas soumis à la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-33. Cela va dans le sens d'une certaine retenue face à une décision du commissaire en matière de discipline; et

4) La nature de la question -- de droit, de fait ou mixte de fait et de droit -- Le processus disciplinaire de la GRC est essentiellement fondé sur des faits. Le commissaire a l'expertise requise pour examiner les conclusions quant aux faits et, en conséquence, il y a lieu d'exercer une grande retenue à son égard lorsqu'il s'agit des questions de fait. Sur les questions de droit, la Cour a une plus grande expertise que le commissaire et n'exercera pas de retenue à son égard pour ces questions en examinant ses décisions au vu de la norme de la décision correcte. S'agissant des questions mixtes de fait et de droit, la Cour exercera une certaine retenue et soumettra la décision à la norme de la décision raisonnable simpliciter, qui est de savoir si la décision est raisonnable et peut résister à un «examen assez poussé».    

[22]En l'espèce, toutes les questions soulevées par le demandeur sont des questions mixtes de fait et de droit. Par conséquent, la norme de contrôle applicable à chacune est celle de la décision raisonnable simpliciter. Bien sûr, si les décisions soumises au contrôle se fondent sur une interprétation erronée du droit, la Cour utilisera la norme de la décision correcte.

QUESTIONS EN LITIGE

[23]Le demandeur soulève les questions suivantes:

1) Le fait que le commissaire ait entendu l'appel démontre-t-il l'existence de partialité, ou d'une crainte raisonnable de partialité?

2) Le commissaire a-t-il enfreint les principes de l'équité procédurale et de justice naturelle?

a) Le commissaire n'a pas tenu compte d'une preuve nouvelle et pertinente;

b) Le demandeur n'a pas reçu une divulgation complète de toute la preuve relative à son cas;

c) Le ROC et les enquêteurs chargés de l'affaire ont fait preuve de partialité envers le demandeur.

3) La conduite de la GRC dans le processus disciplinaire constitue-t-elle un abus de procédure justifiant une suspension définitive de la procédure?

4) Le commissaire a-t-il commis une erreur en appliquant le droit sur les «dénonciateurs»?

ANALYSE

Action disciplinaire grave en vertu de la Loi sur la GRC

[24]La Loi sur la GRC contient un processus complet et équitable en matière d'action disciplinaire grave contre les membres de la GRC. Le législateur a prévu un régime équilibré en trois étapes, qui protège les droits des membres de la GRC accusés d'avoir contrevenu au code de déontologie de la GRC. Lorsque la procédure en trois étapes est terminée, la Cour fédérale a compétence pour assurer le contrôle judiciaire de la décision et du processus. Voici les trois étapes en cause:

1re étape -- une audience devant un Comité d'arbitrage formé de trois officiers de la GRC, dont un au moins est un avocat (paragraphe 43(1) de la Loi sur la GRC);

2e étape -- en cas d'appel de la décision du Comité d'arbitrage, le Comité externe d'examen, un organisme indépendant constitué de civils, examine la décision du Comité d'arbitrage portant sur les mesures disciplinaires applicables aux membres de la GRC et fait rapport (paragraphe 45.15(1)); et

3e étape -- après le rapport du Comité externe d'examen, le Commissaire étudie l'appel portant sur la mesure disciplinaire proposée et il en dispose (paragraphes 45.16(1) [édicté par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 8, art. 16] et (2) [édicté, idem]).

Question no 1: crainte de partialité

[25]La preuve démontre que le commissaire, alors sous-commissaire chargé de la lutte contre le crime organisé et de la politique opérationnelle, a été chargé dès le 24 janvier 2000 d'assurer un suivi de l'enquête visant le demandeur, soit près de cinq mois avant qu'il ne soit question d'action disciplinaire grave. La preuve porte que le sous-commissaire Zaccardelli recevait des comptes rendus de l'enquête, ainsi que des comptes rendus de la poursuite chaque jour au cours des audiences du Comité d'arbitrage. En conséquence, la Cour conclut que le commissaire avait un intérêt particulier à la poursuite et qu'il a reçu des comptes rendus à la fois des personnes chargées de la poursuite et de l'enquête. Il était donc en contact avec l'une des parties pendant toute l'enquête et la poursuite relatives aux mesures disciplinaires.

[26]Le Comité externe d'examen a admis qu'une «personne raisonnable» aurait une crainte raisonnable de partialité de la part du commissaire, mais il a ajouté que rien dans la Loi sur la GRC n'exige que le commissaire soit un décideur indépendant et impartial. Voici ce que dit le Comité externe d'examen au paragraphe 93 de ses motifs de décision:

De plus, bien que je puisse certainement comprendre pourquoi le Commissaire pourrait ne pas être perçu par l'appelant comme un décideur indépendant, rien dans la loi n'exige que l'appel soit tranché par un arbitre indépendant.

Je ne partage pas cet avis.

[27]Les tribunaux ne devraient pas intervenir lorsqu'il est clair que le législateur a voulu conférer au commissaire des compétences qui se recoupent, ce dernier pouvant être autorisé à la fois à faire enquête et à rendre jugement sur une question, même s'il faut pour cela mettre de côté la justice naturelle prévue dans la common law. En l'espèce, le commissaire a pleine autorité de gérer la GRC en vertu de l'article 5 [mod., idem, art. 2] de la Loi sur la GRC, ce qui suppose qu'on le tient au courant de toute procédure disciplinaire importante. Toutefois, rien dans la Loi sur la GRC n'indique l'intention que le demandeur soit privé de son droit à la justice naturelle dans le processus d'appel devant le commissaire. Voir Griffin v. Summerside (City) Police Force (1998), 164 Nfld. & P.E.I.R. 1 (C.S. (1re inst.) Î.-P.-É.), le juge Jenkins, aux paragraphes 39, 40 et 41.

[28]Je veux dire clairement qu'on ne peut déduire l'existence de partialité simplement du fait que le commissaire avait une certaine connaissance de la procédure qui a mené à l'appel devant lui. En l'absence d'une preuve de participation directe dans l'affaire, le fait d'être au courant ne suffit pas en soi pour qu'un observateur raisonnable, au fait des circonstances de l'affaire, arrive à la conclusion que le commissaire ne pouvait rendre une décision juste. Voir Hawco c. Canada (Procureur général), (1998) 150 F.T.R. 106 (C.F. 1re inst.), le juge MacKay, au paragraphe 35.

[29]Depuis le 18 juin 2002, date à laquelle le commissaire a rendu sa décision en l'espèce, il a décidé, dans le cadre de l'appel d'une mesure disciplinaire impliquant le caporal Robert A. Read, qu'il devait se récuser étant donné qu'il était intervenu personnellement dans l'affaire à une étape antérieure. Voici ce que le commissaire déclare à la page 6 de sa décision:

[traduction] Comme on doit présumer que le législateur ne parle pas sans raison, il est raisonnable de conclure qu'il avait l'intention d'interdire au commissaire de déléguer son autorité en matière d'appels disciplinaires dans des circonstances normales. Mais, dans certaines situations particulières où le commissaire ne peut agir par suite d'un empêchement majeur, comme une crainte de partialité, il y a lieu d'appliquer l'article 15 (l'article 15 autorise le commissaire adjoint le plus ancien en poste au quartier général de la Gendarmerie à exercer les pouvoirs et fonctions attribués au commissaire en cas d'absence ou d'empêchement de ce dernier).

Dans cette affaire, le commissaire n'a pas tranché l'appel disciplinaire parce qu'il avait précédemment joué un rôle qui allait plus loin que «la gestion courante de la Gendarmerie». Le commissaire conclut ainsi:

[traduction] Comme je ne peux trancher l'appel du caporal Read au vu de ma participation antérieure à l'enquête portant sur les infractions qui lui sont reprochées, l'article 15 de la Loi sur la GRC s'applique.

Selon moi, le même raisonnement s'applique en l'espèce.

[30]Après un «examen assez poussé» de la décision du Comité externe d'examen et du commissaire au sujet de la partialité, la Cour a conclu que l'implication antérieure du commissaire dans la procédure disciplinaire visant le demandeur ne peut faire autrement que donner naissance à une crainte raisonnable de partialité chez une personne raisonnablement bien informée, donnant lieu à une évaluation et un jugement sur les questions à trancher qui seraient teintés de partialité. Pour ce motif, la décision du commissaire au sujet de la partialité est déraisonnable et elle doit être annulée.

[31]Pour paraphraser le juge de Grandpré (tel était alors son titre) dans l'arrêt Committee for Justice and Liberty et autres c. Office national de l'énergie et autres, [1978] 1 R.C.S. 369, à la page 394, puisqu'il s'agit d'assurer qu'il n'existe aucun préjugé, la participation du commissaire aux discussions et au suivi de l'enquête et de la poursuite sur les infractions reprochées au demandeur ne peut que susciter, chez une personne raisonnablement bien renseignée, ce qui est le cas du demandeur, une crainte raisonnable d'une évaluation et d'un jugement sur les questions à trancher qui seraient teintés de partialité. Dans Griffin, le juge Jenkins déclare ceci, au paragraphe 38:

[traduction] Il semble clair que le directeur Arsenault est partial, par suite de l'accumulation de ses gestes et des instances où il a participé. Si je me trompe à ce sujet, il est quand même disqualifié par le fait que dans les circonstances il existe une crainte claire et raisonnable de partialité. Dans ces circonstances, le sous-directeur Griffin ne pouvait obtenir une audition juste. Il ne pouvait avoir l'occasion de présenter son point de vue et d'être entendu par un décideur impartial, puisqu'il ne pouvait s'adresser qu'à la personne dont il contestait directement les décisions, les gestes et la poursuite.

De la même façon, en l'espèce l'accumulation des diverses participations du commissaire à l'affaire, depuis le 24 janvier 2000, culminant dans sa décision du 18 juin 2002, ne peut que donner naissance à une crainte claire et raisonnable de partialité.

Question no 2: La défense de «dénonciateur»

a) La défense

[32]La liberté d'un fonctionnaire, y compris un officier de police, de s'exprimer à l'encontre des intérêts de son supérieur hiérarchique ou de son employeur lorsqu'il s'agit d'actes illégaux ou de pratiques ou politiques contraires à la sécurité est protégée par la common law et la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]]. C'est ce qu'on appelle ordinairement la défense de «dénonciateur». Un dénonciateur fait preuve d'un grand courage. La défense de «dénonciateur» trouve son origine dans l'arrêt Fraser c. Commission des relations de travail dans la Fonction publique, [1985] 2 R.C.S. 455, où la Cour suprême du Canada a défini les paramètres qui gouvernent ce qui est acceptable comme critiques publiques de politiques gouvernementales par les fonctionnaires. Le juge en chef Dickson (tel était alors son titre), à la page 470 de l'arrêt, a identifié deux situations où la liberté d'expression prime l'obligation de loyauté, savoir, lorsque le gouvernement accomplit des actes illégaux ou qu'il adopte des politiques mettant en danger la vie, la santé ou la sécurité du public, ou lorsque les critiques n'ont aucun effet sur l'aptitude du fonctionnaire à accomplir ses fonctions d'une manière efficace ni sur la façon dont le public perçoit cette aptitude.

[33]Dans Haydon c. Canada, [2001] 2 C.F. 82 (1re inst.), la juge Tremblay-Lamer déclare ceci, aux paragraphes 82 et 83:

Dans l'arrêt Fraser, le juge en chef Dickson a conclu que l'obligation de loyauté ne réduit pas complètement les fonctionnaires au silence. Il montre que l'obligation de loyauté en common law souffre certaines exceptions:

En fait, dans certaines circonstances, un fonctionnaire peut activement et publiquement exprimer son opposition à l'égard des politiques d'un gouvernement. Ce serait le cas si, par exemple, le gouvernement accomplissait des actes illégaux ou si ses politiques mettaient en danger la vie, la santé ou la sécurité des fonctionnaires ou d'autres personnes, ou si les critiques du fonctionnaire n'avaient aucun effet sur son aptitude à accomplir d'une manière efficace ses fonctions ni sur la façon dont le public perçoit cette aptitude. Toutefois, ayant énoncé ces qualités (et il peut y en avoir d'autres), je suis d'avis qu'un fonctionnaire ne doit pas, comme l'a fait l'appelant en l'espèce, attaquer de manière soutenue et très visible des politiques importantes du gouvernement.

Selon moi, ces exceptions s'appliquent aux questions d'intérêt public. Elles font en sorte que l'obligation de loyauté porte le moins possible atteinte, dans des limites raisonnables, à la liberté d'expression dans la réalisation de l'objectif d'une fonction publique impartiale et efficace. Lorsqu'une question suscite un intérêt public légitime et doit être débattue ouvertement, l'obligation de loyauté ne peut pas interdire toute divulgation par un fonctionnaire. L'obligation de loyauté en common law n'impose pas le silence sans réserve. Comme on l'a expliqué dans l'arrêt Fraser, l'obligation de loyauté est tempérée: «il est permis aux fonctionnaires de s'exprimer dans une certaine limite sur des questions d'intérêt public». Mon interprétation de ces exceptions à la règle de common law est qu'elles sont justifiées chaque fois qu'il en va de l'intérêt public. L'importance de l'intérêt public lorsqu'il s'agit de divulguer des méfaits, que l'on appelle «la défense de dénonciation», a été reconnue dans d'autres ressorts comme constituant une exception à l'obligation de loyauté en common law. [Renvois omis.]

[34]Ainsi, un fonctionnaire ou un membre de la GRC qui s'exprime publiquement sur une question d'importance publique ne peut être licencié si l'affaire en cause tombe sous les exceptions identifiées par la Cour suprême. Dans de telles situations, l'intérêt public prime les objectifs visés par l'obligation de loyauté et le serment du secret. L'importance de la défense de «dénonciateur» pour la démocratie, le maintien d'une fonction publique impartiale et efficace et la foi du public dans cette institution, a été résumée de façon succincte par la juge Tremblay-Lamer dans Haydon, au paragraphe 120:

Lorsqu'une affaire constitue une question légitime d'intérêt public et exige un débat public, l'obligation de loyauté n'est pas si absolue qu'elle viendrait interdire toute divulgation publique par un fonctionnaire. L'obligation de loyauté en common law n'impose pas le silence total.

b) La décision du Comité externe d'examen au sujet de la défense de «dénonciateur»

[35]Au paragraphe 71 de ses motifs, le Comité externe d'examen reconnaît que la divulgation de pratiques malhonnêtes ou irresponsables de la part de la GRC est visée par l'exception du «dénonciateur». Toutefois, le Comité externe d'examen et le commissaire ont décidé que la divulgation publique par le demandeur de documents confidentiels ne l'autorisait pas à invoquer la défense de «dénonciateur». Le demandeur a violé son serment du secret, ce qui est analogue au manquement par un fonctionnaire à son obligation de loyauté en common law. L'obligation de loyauté des fonctionnaires a pour but de promouvoir une fonction publique impartiale et efficace. Le demandeur a la même obligation de loyauté en common law envers la GRC, en plus de son serment du secret prévu par la loi. Comme je l'ai fait remarquer plus tôt, les rares exceptions permettant aux membres de la GRC d'échapper à ces contraintes ne sont justifiées que lorsqu'il en va de l'intérêt public.

[36]Le Comité externe d'examen a conclu ceci, au paragraphe 71 de sa décision:

Cependant, en l'espèce, il ne semble pas que la divulgation par l'appelant ait présenté des avantages discernables pour la société canadienne et, même si ce dernier a conclu que la politique et les pratiques divulguées étaient «non conformes à l'éthique», cette conclusion ne semble pas fondée sur une parfaite compréhension des objectifs des stratégies nationale et provinciale. Tout avantage que la société canadienne aurait pu retirer de cette divulgation était de loin inférieur au préjudice qu'elle aurait pu causer. Je fais allusion ici aux témoignages du serg. McDonald et de l'insp. Zelmer quant aux répercussions éventuelles d'une telle divulgation sur la volonté des organismes d'application de la loi de s'échanger entre eux des renseignements, notamment des renseignements sur les BMHL, échange essentiel au maintien de l'ordre.

[37]Au paragraphe 73, le Comité externe d'examen a conclu que le demandeur n'avait aucune justification pour déclarer que la GRC complotait en vue de compromettre la sécurité du public canadien afin de mieux étayer sa demande de fonds supplémentaires pour lutter contre les BMHL. Au paragraphe 77, le Comité externe d'examen a conclu qu'en divulguant des documents confidentiels, le demandeur ne soulevait pas une question d'intérêt public, mais qu'il réagissait au rejet par ses supérieurs hiérarchiques de sa proposition concernant le transfert de ressources existantes pour les consacrer à la lutte aux BMHL. De plus, le Comité externe d'examen a conclu, au paragraphe 79, que la divulgation illégale avait un impact sur l'aptitude de l'appelant à remplir ses fonctions à titre de membre de la GRC à l'avenir. En conséquence, il a conclu que la divulgation par le demandeur de documents confidentiels ne correspondait pas à une des exceptions justifiant la défense de «dénonciateur».

c) Conclusion au sujet de la défense de «dénonciateur»

[38]Selon moi, le Comité externe d'examen a appliqué de façon correcte et raisonnable la jurisprudence, qui prévoit deux situations où la liberté d'expression prime l'obligation de loyauté et le serment du secret, et c'est de façon correcte et raisonnable qu'il est arrivé à la conclusion que la divulgation de documents confidentiels par le demandeur ne l'autorisait pas à se prévaloir de la défense de «dénonciateur». En fait, le demandeur a lui-même réalisé que cette divulgation n'était pas justifiée dès la publication des documents confidentiels en cause. En l'espèce, le Comité externe d'examen est arrivé aux conclusions raisonnables suivantes:

1) la divulgation de documents confidentiels par le demandeur n'avait pas pour objectif de dénoncer un acte illégal par la GRC, ou une politique qui aurait mis en cause la vie, la santé ou la sécurité du public;

2) la divulgation a un impact négatif sur l'aptitude du demandeur à remplir efficacement ses fonctions à titre de membre de la GRC à l'avenir, ainsi que sur la perception par la GRC de cette aptitude;

3) le demandeur a manqué à son obligation de confidentialité par suite de son insatisfaction et de son désaccord avec la politique interne de la GRC au sujet des ressources à consacrer à la lutte aux BMHL; et

4) rien dans la preuve ne démontre que cette politique comportait des risques pour la sécurité du public.

[39]Bien que la liberté d'expression des fonctionnaires et, en l'espèce, des membres de la GRC, soit protégée en common law et par la Charte, la défense de «dénonciateur» doit être utilisée de manière responsable. Elle n'autorise pas un employé mécontent à violer son obligation de loyauté en common law ou son serment du secret. En l'espèce, les documents confidentiels divulgués par le demandeur font état de son désaccord avec une politique confidentielle de la GRC au sujet de la répartition des ressources pour lutter contre la criminalité. Les documents en cause ne font état d'aucun geste illégal qui aurait été commis par la GRC, non plus que d'une pratique ou politique qui mettrait en cause la vie, la santé ou la sécurité du public. La politique contestée de la GRC porte sur la répartition de ses ressources dans le cadre de la lutte aux divers types de criminalité, politique avec laquelle le demandeur n'était pas d'accord. Il s'agissait toutefois d'une politique confidentielle à laquelle les dirigeants de la GRC, qui connaissent et comprennent le contexte plus large de la criminalité au Canada, étaient arrivés de façon appropriée. En conséquence, bien que la Cour reconnaisse l'importance des objectifs visés par la défense de «dénonciateur», elle convient que cette défense ne s'applique pas en l'espèce.

[40]Je veux aussi faire remarquer ici que la note de service du commissaire adjoint Leatherdale (dont je ferai état plus loin), qui aurait dû être transmise au demandeur, n'a pas d'impact sur la défense de «dénonciateur».

Question no 3: Les règles de la justice naturelle

[41]Le demandeur soutient que le Comité d'arbitrage, le Comité externe d'examen et le commissaire ont violé les règles de la justice naturelle comme suit:

1) le Comité a refusé d'ajourner son audition et d'exiger la divulgation appropriée de documents pertinents, afin que le demandeur puisse préparer sa défense;

2) le Comité et le commissaire n'ont pas autorisé le demandeur à déposer une nouvelle preuve documentaire pertinente, obtenue après l'audition; et

3) l'enquête et la poursuite disciplinaire de la GRC étaient teintées de partialité, l'objectif étant de régler le compte du demandeur.

1.     La divulgation de documents avant l'audition par le Comité d'arbitrage

[42]Le 18 janvier 2001, soit à peu près un mois avant l'audition par le Comité d'arbitrage, le demandeur a présenté une requête pour obtenir un ajournement, se fondant sur le fait que le ROC n'avait pas divulgué des documents pertinents à l'affaire, nonobstant plusieurs demandes présentées en septembre, octobre, novembre et décembre 2000. Le ROC a soutenu que ces documents n'étaient pas pertinents ou essentiels. Voici ce que dit le Comité d'arbitrage à ce sujet à la page 1 de sa décision:

Le Comité d'arbitrage n'est pas en position d'arrêter une décision sur cette question. Cependant, nous avons constaté que le ROC s'était efforcé de répondre aux demandes de la RM; en fait, il n'y a aucune plainte à cet égard. Le problème était plutôt que la demande de communication a été fragmentée au fil du temps et, il a semblé sans grande précision quant à la nature de la documentation voulue.

[43]La documentation soumise à la Cour démontre que la représentante du demandeur a cherché à plusieurs reprises à obtenir la divulgation de documents, alors que le représentant de la GRC n'a pas divulgué certains documents comme il l'aurait dû. La Cour a l'avantage de maintenant connaître clairement la situation, puisque ces documents ont été communiqués au demandeur après l'audition, à la suite de sa requête présentée en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels [L.R.C. (1985), ch. P-21].

[44]Je vais examiner les documents que la Cour considère significatifs.

(i)     Note de service du commissaire adjoint de la GRC R. K. Leatherdale à l'inspecteur de la GRC B. J. Roberts, datée du 10 janvier 2000 et intitulée «Enquête Stenhouse» (note de service Leatherdale)

[45]Ce document n'a pas été communiqué au demandeur avant l'audition du Comité d'arbitrage, non plus que durant celle-ci. Il a été déposé après l'audition, à la suite de la requête du demandeur présentée en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

[46]Dans ce document, le commissaire adjoint Leatherdale examine le courriel envoyé par le demandeur (courriel Stenhouse), où ce dernier admet qu'il a divulgué des documents confidentiels à M. Lavigne, explique ses raisons et présente ses excuses. M. Leatherdale présente les questions et commentaires suivants au sujet du courriel Stenhouse:

1) d'autres membres de la GRC étaient au courant du «dilemme» Stenhouse, savoir ses inquiétudes quant à la politique de la GRC face aux BMHL. Que savaient-ils des «activités» de Stenhouse? Bien que les actions de Stenhouse soient inexcusables, il faudrait tenir compte du fait qu'il avait démontré un certain «sens de la responsabilité»;

2) la direction de la GRC était-elle au courant des plaintes de Stenhouse et qu'a-t-on fait à ce sujet? Quels gestionnaires de la GRC étaient au courant de cette affaire;

3) Stenhouse déclare qu'il allait être retiré des «contrôles routiers». Leatherdale déclare qu'il faut examiner cette assertion;

4) Stenhouse déclare s'être «effondré émotivement». Qu'a-t-on fait au sujet de cet effondrement et sait-on si la situation de Stenhouse est stabilisée? et

5) il existe des éléments de preuve démontrant que Stenhouse était frustré et que personne ne l'a écouté. Dans sa plainte, Stenhouse déclare être un «dénonciateur». Il faut examiner cette question.

[47]La note de service Leatherdale était pertinente et elle aurait dû être communiquée au demandeur avant l'audition devant le Comité d'arbitrage. De plus, le Comité externe d'examen aurait dû examiner ce document. Toutefois, le dit Comité ne connaissait pas l'existence de ce document puisque le demandeur n'en a pas fait état dans son dossier présenté au Comité. Le demandeur voulait que le Comité externe d'examen l'autorise à présenter une nouvelle preuve relative à la partialité, à l'abus de procédure, au manquement à la justice naturelle, et au fait que son avocat nommé par la GRC ne le représentait pas adéquatement. Le demandeur n'a fait état d'aucun document lié à sa défense de «dénonciateur», non plus qu'à la sanction appropriée pour son inconduite.

[48]Je suis arrivé à la conclusion que la note de service Leatherdale n'aurait rien changé à la décision du Comité d'arbitrage ou du Comité externe d'examen au sujet de la défense de «dénonciateur». Toutefois, on trouve dans cette note de service une certaine empathie pour le demandeur et de l'inquiétude face à l'inaction de ses supérieurs de la GRC au sujet de ses frustrations et de ses plaintes, ainsi que de son effondrement émotif. En ce sens, ce document et son auteur, qu'on aurait probablement dû citer comme témoin, pourraient avoir eu un impact sur la nature de la sanction recommandée par le Comité d'arbitrage et le Comité externe d'examen. Il se peut que la note de service Leatherdale indique que la GRC n'a pas tenu compte comme elle l'aurait dû des plaintes et de la frustration du demandeur, ainsi que de son effondrement émotif ou de sa tentative de présenter sa démission. Il est possible que le Comité externe d'examen puisse conclure que la GRC aurait dû reconnaître que le demandeur avait des problèmes dans son travail et qu'elle avait une certaine responsabilité de l'aider, au vu de ses 18 ans de carrière exemplaire dans la GRC. Si le Comité externe d'examen avait conclu que la GRC a failli à ses responsabilités à ce sujet, il pourrait avoir convenu de l'existence de circonstances atténuantes pertinentes quant à la sanction appropriée. Pour ce motif, l'affaire sera renvoyée au Comité externe d'examen qui devra tenir compte de ce document et de tout témoignage pertinent s'y rapportant, et revoir son rapport du 5 juin 2002 en conséquence. Cela fait partie intégrante du droit du demandeur à une audition équitable, comme je l'ai mentionné dans Haydon c. Canada (Procureur général) (2003), 235 F.T.R. 306 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 25:

Lorsque la communication d'un document important et utile est refusée illégalement, et lorsqu'il y a tout lieu de croire que ce document intéressait la position des appelants, alors les appelants ont le droit à un ajournement et le droit de vérifier ce document en convoquant des témoins et en procédant à un contre-interrogatoire. C'est là une partie essentielle d'une audience équitable, à laquelle les appelants avaient droit. Voir l'affaire Savoie, précitée, et l'affaire Sorobey c. Canada, [1987] 1 C.F. 219, à la page 221, le juge Hugessen, J.C.A. (tel était alors son titre).

(ii)     Note de service adressée au surintendant Roberts (le supérieur hiérarchique immédiat du demandeur) par Daniel Dutchin (l'avocat de la GRC à l'audition du Comité d'arbitrage), datée du 26 janvier 2001 et intitulée «S.é.-m. Stenhouse»

[49]Cette note de service porte sur un document daté du 24 juin 2000, qui fait état de l'implication du sous-commissaire Zaccardelli. Cette note de service constitue une admission de l'avocat de la GRC que le document en cause est pertinent et que la GRC ne l'a pas divulgué.

[50]Je suis convaincu qu'il s'agit là d'un manquement aux règles de la justice naturelle, et que cette action démontre que c'est intentionnellement que l'avocat de la GRC n'a pas communiqué des documents pertinents. Je dois toutefois conclure que le fait de rectifier ce manquement à la justice naturelle ne pouvait rien changer au résultat en l'espèce.

(iii)     Note de service de l'inspecteur Roberts (le supérieur hiérarchique immédiat de Stenhouse) au siège social, datée du 24 janvier 2000 et intitulée «Stenhouse -- Révocation de l'autorisation de sécurité»

[51]Voici ce qu'on trouve dans cette note de service:

[traduction] Cette question est traitée de façon très sérieuse par le commissaire, qui s'est impliqué plusieurs fois jusqu'ici. Présentement, c'est le S.-COMM. ZACCARDELLI qui est chargé de faire le suivi de cette enquête.

[52]Ce document n'a pas été divulgué avant l'audition. On n'en a fait la communication que l'avant-dernier jour de l'audition, après le témoignage de son auteur. J'arrive à la conclusion que le fait de ne pas avoir divulgué ce document en temps utile constitue un manquement à la justice naturelle. Je suis toutefois convaincu que la divulgation de ce document en temps utile n'aurait rien changé au résultat en l'espèce.

[53]D'autres documents qui n'ont pas été divulgués démontrent que le commissaire recevait une mise à jour quotidienne de l'avocat de la GRC à l'audition du Comité d'arbitrage. Ces documents démontrent que le commissaire était d'une certaine façon impliqué dans l'enquête et dans la poursuite de l'affaire. Ces documents appuyaient l'argument du demandeur qui veut que la procédure disciplinaire était partiale et constituait un abus de procédure.

[54]Je suis convaincu que le Comité d'arbitrage a commis une erreur en ne faisant pas droit à la requête en ajournement et en ne s'assurant pas que le demandeur était pleinement informé en temps utile avant le début de l'audition. Cela constitue une partie essentielle des règles de la justice naturelle et du droit à une audition équitable.

[55]Toutefois, dans l'arrêt Mobil Oil Canada Ltd. c. Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 R.C.S. 202, la Cour suprême du Canada a déclaré qu'il existe des cas où la Cour peut ignorer un manquement à la justice naturelle lorsque le fait d'y pallier n'aurait aucun impact sur le résultat. Voici ce que le juge Iacobucci dit à ce sujet, à la page 228:

Compte tenu de ces observations, Mobil Oil aurait normalement droit à un redressement pour les manquements à l'équité et à la justice naturelle que j'ai décrits. Cependant, vu la façon dont je statue sur le pourvoi incident, les redressements que demande Mobil Oil dans le pourvoi lui-même sont peu réalistes. Bien qu'il puisse sembler indiqué d'annuler la décision du président pour le motif qu'elle résulte d'une subdélégation irrégulière, il serait absurde de le faire et de forcer l'Office à examiner maintenant la demande présentée par Mobil Oil en 1990 étant donné que, suivant le résultat du pourvoi incident, l'Office serait juridiquement tenu de rejeter cette demande, en raison de l'arrêt de notre Cour.

Le résultat de ce pourvoi est donc exceptionnel puisque, habituellement, la futilité apparente d'un redressement ne constituera pas une fin de non-recevoir: Cardinal, précité. Cependant, il est parfois arrivé que notre Cour examine les circonstances dans lesquelles aucun redressement ne sera accordé face à la violation de principes de droit administratif: voir, par exemple, Harelkin c. Université de Regina, [1979] 2 R.C.S. 561. Comme je l'ai affirmé dans le contexte de la question soulevée dans le pourvoi incident, les circonstances de la présente affaire soulèvent un type particulier de question de droit, savoir une question pour laquelle il existe une réponse inéluctable.

Dans Administrative Law (6e éd. 1988), à la p. 535, le professeur Wade examine la notion selon laquelle l'équité procédurale devrait avoir préséance et la faiblesse d'une cause ne devrait pas normalement amener les tribunaux à ignorer les manquements à l'équité ou à la justice naturelle. Il ajoute toutefois ceci:

[traduction] On pourrait peut-être faire une distinction fondée sur la nature de la décision. Dans le cas d'un tribunal qui doit trancher selon le droit, il peut être justifiable d'ignorer un manquement à la justice naturelle lorsque le fondement de la demande est à ce point faible que la cause est de toute façon sans espoir. [Non souligné dans l'original.]

Dans ce pourvoi, la distinction que propose le professeur Wade est pertinente. [Non souligné dans l'original.]

[56]En l'espèce, je suis arrivé à la conclusion que les manquements aux règles de la justice naturelle n'auraient rien changé au résultat, à l'exception de la note de service Leatherdale.

[57]La note de service Leatherdale est le document pertinent non divulgué qui aurait pu avoir ou ne pas avoir un impact sur la détermination de la sanction appropriée. Étant donné que la décision du commissaire est annulée par suite d'une crainte raisonnable de partialité, je vais renvoyer l'affaire au Comité externe d'examen pour qu'il réexamine le cas et tienne compte de cette note de service, ainsi que de tout témoignage pertinent. Le Comité externe d'examen reverra ses recommandations et son rapport en conséquence.

2.     Omission d'autoriser le dépôt de nouveaux documents devant le Comité externe d'examen et le commissaire

[58]Le fait que le Comité et le commissaire n'aient pas autorisé le demandeur à déposer une nouvelle preuve obtenue après l'audition constitue un manquement aux règles de la justice naturelle. Toutefois, je suis convaincu que seule la note de service Leatherdale aurait pu changer quelque chose au résultat, et seulement lorsqu'il s'agit de la sanction.

3.     L'enquête et la poursuite étaient partiales

[59]Je vais traiter de cette question de justice naturelle sous l'intitulé suivant: «Abus de procédure».

Question no 4: Abus de procédure

[60]Le demandeur soutient que le processus disciplinaire constitue un abus de procédure, puisque l'enquête et la poursuite ont été conduites de façon oppressive et partiale.

[61]Le demandeur soutient que le processus disciplinaire aurait dû être suspendu pour abus de procédure. Il soutient que la GRC, qu'il s'agisse de l'enquête, des poursuites ou des actions de la haute direction, avait l'intention de licencier le demandeur pour avoir divulgué des documents confidentiels. Le demandeur soutient aussi que le fait de ne pas avoir divulgué des documents pertinents avant et durant l'audition constitue un abus.

[62]Le traitement injuste ou oppressif d'une partie prive la Couronne du droit de continuer les poursuites relatives à l'accusation, parce que le préjudice causé à l'intérêt public dans l'équité du processus excède celui qui serait causé à l'intérêt public dan la poursuite de l'accusation. Voir l'arrêt Blencoe c. Colombie- Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307, aux paragraphes 119 et 120.

[63]Je ne partage pas l'avis du demandeur sur cette question. La façon dont l'enquêteur, la poursuite et la haute direction ont mené cette affaire avec vigueur n'est pas de nature telle que le public considérerait le processus injuste ou oppressif. Dès le départ, le demandeur a admis qu'il avait communiqué des documents confidentiels des services de police à un journaliste, c'est-à-dire à une personne qui allait probablement les publier. Cette façon d'agir constitue un manquement sérieux à son obligation de loyauté et à son serment du secret. Dans de telles circonstances il n'est pas déraisonnable, oppressif ou injuste que l'enquêteur, la personne chargée des poursuites et la haute direction traitent les poursuites de façon dynamique.

[64]S'agissant du fait que la GRC n'a pas divulgué certains documents, la Cour arrive à la conclusion qu'il ne s'agit pas là d'un traitement injuste ou oppressif. C'est plutôt parce que le demandeur soulevait plusieurs questions que l'avocat de la GRC ne considérait pas pertinentes, parce que non liées aux raisons ou circonstances entourant la divulgation de documents confidentiels par le demandeur.

[65]Le demandeur a obtenu des milliers de documents après l'audition du Comité d'arbitrage, en présentant une demande en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels. J'ai examiné les documents que le demandeur considère les plus pertinents dans le cadre de l'abus de procédure et je suis convaincu qu'ils ne démontrent pas l'existence d'un traitement injuste ou oppressif du demandeur.

[66]Les documents démontrent que le siège social de la GRC assurait un suivi rapproché de l'enquête et de l'audition disciplinaire. La Cour considère qu'il s'agit là d'une activité normale de gestion, concernant le cas hautement médiatisé d'un manquement allégué à la sécurité par un sergent d'état-major de la GRC. Ce grand intérêt ne constitue pas le fondement d'une réclamation pour abus de procédure ou partialité.

[67]Les courriels entre l'avocat de la GRC et les témoins constituent une forme normale de communication entre un avocat et les témoins de son client. Les avocats deviennent familiers avec leurs témoins et ils entretiennent avec eux des relations informelles. Le travail de l'avocat de la poursuite est de présenter les faits qui constituent des motifs raisonnables d'avoir porté l'accusation. Cette démarche fait partie de notre régime de débats contradictoires.

[68]La note de service au sujet de la suppression de l'autorisation de sécurité du demandeur avant que le Comité d'arbitrage ait terminé ses travaux n'indique pas l'existence de partialité ou d'un abus de procédure. Le demandeur a admis qu'il avait divulgué des documents confidentiels. La GRC a fait preuve d'une prudence raisonnable en s'assurant que le demandeur ne recevrait pas d'autres documents confidentiels avant la fin de la procédure disciplinaire, dans la mesure où elle croyait que le demandeur pouvait récidiver.

CONCLUSION

[69]La Cour conclut comme suit:

1. l'implication antérieure du commissaire dans l'affaire disciplinaire du demandeur ne peut que donner lieu à une crainte raisonnable, dans l'esprit de toute personne raisonnablement bien renseignée, d'une évaluation et d'un jugement partial de sa part. Pour ce motif, la décision du commissaire doit être annulée;

2. la défense de «dénonciateur» n'est pas pertinente en l'espèce puisque le demandeur n'a pas divulgué les documents confidentiels dans le but de dénoncer un acte illégal de la GRC, ou l'existence d'une politique qui mettrait en cause la vie, la santé ou la sécurité du public;

3. la GRC n'a pas divulgué au demandeur tous les documents pertinents avant l'audition du Comité d'arbitrage et ce dernier a commis une erreur en n'accueillant pas la requête en ajournement et en n'exigeant pas qu'on divulgue pleinement et en temps utile les documents pertinents avant le début de l'audition. Cela fait partie intégrante des règles de la justice naturelle et du droit à une audition équitable. Toutefois, ce manquement aux règles de la justice naturelle n'aurait rien changé au résultat, à l'exception de la note de service Leatherdale, qui aurait pu avoir ou ne pas avoir un impact sur le résultat quant à la sanction appropriée. La Cour renvoie donc la question au Comité externe d'examen pour qu'il reprenne son étude de l'affaire en tenant compte de la note de service Leatherdale, ainsi que de tout témoignage pertinent à ce sujet; et

4. contrairement aux allégations du demandeur, l'enquêteur, la personne chargée de la poursuite et la haute direction de la GRC ont procédé à cette affaire disciplinaire d'une façon qui n'était pas oppressante, injuste ou partiale, ou qui aurait pas constitué un abus de procédure.

DISPOSITIF

[70]La demande de contrôle judiciaire est accueillie, avec dépens, et la décision du commissaire datée du 18 juin 2002 est annulée et renvoyée conformément aux instructions suivantes, en vertu du paragraphe 18.1(3) [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27] de la Loi sur les Cours fédérales:

1. l'action disciplinaire visant le demandeur est renvoyée au même Comité externe d'examen pour qu'il examine la note de service Leatherdale au vu des motifs de la Cour, et qu'il entende tous les témoignages pertinents à la note de service Leatherdale, ainsi que les prétentions additionnelles des parties;

2. le Comité externe d'examen réexaminera ensuite son rapport et ses recommandations; et

3. le commissaire déléguera son pouvoir de décision dans l'appel à l'officier de la GRC du grade le plus élevé qui n'a pas été impliqué dans le dossier, pour qu'il le tranche après avoir donné l'occasion aux parties de présenter leurs points de vue.

[71]À la demande des parties, la Cour examinera leurs prétentions sur la question de savoir si le demandeur devrait être remboursé de ses frais de déplacement à Ottawa. Les parties ont une semaine pour déposer leurs prétentions et une semaine par la suite pour répondre aux prétentions de la partie adverse.

ANNEXE A

LA LÉGISLATION PERTINENTE

1.     Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-10 [art. 2(1) «Comité» (mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 8, art. 1), 14(1) (mod., idem, art. 8), 25(1) (mod., idem, art. 16), (5) (mod., idem), 38 (mod., idem), 39(1) (mod., idem), 40(1) (mod., idem), (2) (mod., idem), 43(1) (mod., idem), (2) (mod., idem), (3) (mod., idem), 45.1 (édicté, idem), 45.14(1) (édicté, idem), (3) (édicté, idem), ann. (édicté, idem, art. 23)]

2. (1) Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

[. . .]

«Comité» Le Comité externe d'examen de la Gendarmerie royale du Canada constitué par l'article 25.

[. . .]

Commissaire

5. (1) Le gouverneur en conseil peut nommer un officier, appelé commissaire de la Gendarmerie royale du Canada, qui, sous la direction du ministre, a pleine autorité sur la Gendarmerie et tout ce qui s'y rapporte.

(2) Le commissaire peut déléguer à tout membre les pouvoirs ou fonctions que lui attribue la présente loi, à l'exception du pouvoir de délégation que lui accorde le présent paragraphe, du pouvoir que lui accorde la présente loi d'établir des règles et des pouvoirs et fonctions visés à l'article 32 (relativement à toute catégorie de griefs visée dans un règlement pris en application du paragraphe 33(4)), aux paragraphes 42(4) et 43(1), à l'article 45.16, au paragraphe 45.19(5), à l'article 45.26 et aux paragraphes 45.46(1) et (2).

[. . .]

14. (1) Avant d'entrer en fonctions, les membres prêtent le serment d'allégeance de même que les serments figurant à l'annexe.

[. . .]

Constitution et organisation du comité

25. (1) Est constitué le Comité externe d'examen de la Gendarmerie royale du Canada, composé d'au plus cinq membres, dont le président et un vice-président, nommés par décret du gouverneur en conseil.

[. . .]

(5) Un membre de la Gendarmerie ne peut faire partie du Comité.

[. . .]

Code de déontologie

38. Le gouverneur en conseil peut prendre des règlements, appelés code de déontologie, pour régir la conduite des membres.

39. (1) Tout membre à qui l'on impute une contravention au code de déontologie peut être jugé selon la présente loi au Canada ou à l'extérieur du Canada:

[. . .]

Enquête

40. (1) Lorsqu'il apparaît à un officier ou à un membre commandant un détachement qu'un membre sous ses ordres a contrevenu au code de déontologie, il tient ou fait tenir l'enquête qu'il estime nécessaire pour lui permettre d'établir s'il y a réellement contravention.

(2) Au cours d'une enquête tenue en vertu du paragraphe (1), un membre n'est pas dispensé de répondre aux questions portant sur l'objet de l'enquête lorsque l'officier ou l'autre membre menant l'enquête l'exigent, au motif que sa réponse peut l'incriminer ou l'exposer à des poursuites ou à une peine.

[. . .]

Mesures disciplinaires graves

43. (1) Sous réserve des paragraphes (7) et (8), lorsqu'il apparaît à un officier compétent qu'un membre a contrevenu au code de déontologie et qu'eu égard à la gravité de la contravention et aux circonstances, les mesures disciplinaires simples visées à l'article 41 ne seraient pas suffisantes si la contravention était établie, il convoque une audience pour enquêter sur la contravention présumée et fait part de sa décision à l'officier désigné par le commissaire pour l'application du présent article.

(2) Dès qu'il est avisé de cette décision, l'officier désigné nomme trois officiers à titre de membres d'un comité d'arbitrage pour tenir l'audience et en avise l'officier compétent.

(3) Au moins un des trois officiers du comité d'arbitrage est un diplômé d'une école de droit reconnue par le barreau d'une province.

[. . .]

Audience

45.1 (1) L'officier compétent qui convoque une audience ainsi que le membre dont la conduite fait l'objet de cette audience y sont tous deux parties.

[. . .]

Appel

45.14 (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, toute partie à une audience tenue devant un comité d'arbitrage peut en appeler de la décision de ce dernier devant le commissaire:

a) soit en ce qui concerne la conclusion selon laquelle est établie ou non, selon le cas, une contravention alléguée au code de déontologie;

b) soit en ce qui concerne toute peine ou mesure imposée par le comité après avoir conclu que l'allégation visée à l'alinéa a) est établie.

[. . .]

(3) Le commissaire entend tout appel, quel qu'en soit le motif; toutefois, l'officier compétent ne peut en appeler devant le commissaire de la peine ou de la mesure visée à l'alinéa (1)b) qu'au motif que la présente loi ne les prévoit pas.

[. . .]

45.15 (1) Avant d'étudier l'appel visé à l'article 45.14, le commissaire le renvoie devant le Comité.

[. . .]

45.16 [. . .]

(7) La décision du commissaire portant sur un appel interjeté en vertu de l'article 45.14 est définitive et exécutoire et, sous réserve du contrôle judiciaire prévu par la Loi sur les Cours fédérales, n'est pas susceptible d'appel ou de révision en justice.

[. . .]

ANNEXE

(article 14)

SERMENT PROFESSIONNEL

Je, . . . . . . . . . . . ., jure de bien et fidèlement m'acquitter des devoirs qui m'incombent en ma qualité de membre de la Gendarmerie royale du Canada et d'exécuter, sans craindre ni favoriser qui que ce soit, tous les ordres légitimes reçus à ce titre. Ainsi Dieu me soit en aide.

SERMENT DU SECRET

Je, . . . . . . . . . . . ., jure de ne révéler ni communiquer à quiconque n'y a pas légitimement droit ce qui est parvenu à ma connaissance ou les renseignements que j'ai obtenus en raison de mon emploi dans la Gendarmerie royale du Canada. Ainsi Dieu me soit en aide.

2.     Règlement de la Gendarmerie royale du Canada (1998), DORS/88-361 [art. 37 (mod. par DORS/99-26, art. 1), 39(2) (mod. par DORS/94-216, art. 15)]

Code de déontologie

37. Les articles 38 à 58.7 constituent le code de déontologie régissant la conduite des membres.

[. . .]

39. (1) Le membre ne peut agir ni se comporter d'une façon scandaleuse ou désordonnée qui jetterait le discrédit sur la Gendarmerie.

(2) Le membre agit ou se comporte de façon scandaleuse lorsque, notamment:

a) ses actes ou son comportement l'empêchent de remplir ses fonctions avec impartialité;

b) à cause de ses actes ou de son comportement, il est trouvé coupable d'un acte criminel ou d'une infraction punissable par procédure sommaire tombant sous le coup d'une loi fédérale ou provinciale.

[. . .]

50. Le membre ne peut sciemment transgresser, de quelque manière que ce soit, les serments qu'il a prêtés aux termes de l'article 14 de la Loi.

3.     Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7

18.1 [. . .]

(3) Sur présentation d'une demande de contrôle judiciaire, la Cour fédérale peut:

a) ordonner à l'office fédéral en cause d'accomplir tout acte qu'il a illégalement omis ou refusé d'accomplir ou dont il a retardé l'exécution de manière déraisonnable;

b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu'elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l'office fédéral.

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