2004 CF 431
T-582-01
Le procureur général du Canada et Bruce Hartley (demandeurs)
c.
Le commissaire à l'information du Canada (défendeur)
et
T-606-01
Le procureur général du Canada et Jean Pelletier (demandeurs)
c.
Le commissaire à l'information du Canada (défendeur)
et
T-1640-00
Le procureur général du Canada et Bruce Hartley (demandeurs)
c.
Le commissaire à l'information du Canada (défendeur)
et
T-1641-00
Le procureur général du Canada, Meribeth Morris, Randy Mylyk et Emechete Onuoha (demandeurs)
c.
Le commissaire à l'information du Canada et David Pugliese (défendeurs)
et
T-792-01
Le procureur général du Canada et Jean Pelletier (demandeurs)
c.
Le commissaire à l'information du Canada (défendeur)
et
T-877-01
Le procureur général du Canada et Randy Mylyk (demandeurs)
c.
Le commissaire à l'information du Canada (défendeur)
et
T-878-01
Le procureur général du Canada et l'honorable Art C. Eggleton (demandeurs)
c.
Le commissaire à l'information du Canada (défendeur)
et
T-883-01
Le procureur général du Canada et Emechete Onuoha (demandeurs)
c.
Le commissaire à l'information du Canada (défendeur)
et
T-892-01
Le procureur général du Canada et Meribeth Morris (demandeurs)
c.
Le commissaire à l'information du Canada (défendeur)
et
T-1047-01
Le procureur général du Canada et Sue Ronald (demandeurs)
c.
Le commissaire à l'information du Canada (défendeur)
et
T-1254-01
Le procureur général du Canada et Mel Cappe (demandeurs)
c.
Le commissaire à l'information du Canada (défendeur)
et
T-1909-01
Le procureur général du Canada, l'honorable Art C. Eggleton, George Young et Judith Mooney (demandeurs)
c.
Le commissaire à l'information du Canada (défendeur)
et
T-684-01
Le procureur général du Canada et Bruce Hartley (demandeurs)
c.
Le commissaire à l'information du Canada (défendeur)
et
T-763-01
Le procureur général du Canada et Jean Pelletier (demandeurs)
c.
Le commissaire à l'information du Canada (défendeur)
et
T-880-01
Le procureur général du Canada et Randy Mylyk (demandeurs)
c.
Le commissaire à l'information du Canada (défendeur)
et
T-895-01
Le procureur général du Canada et Meribeth Morris (demandeurs)
c.
Le commissaire à l'information du Canada (défendeur)
et
T-896-01
Le procureur général du Canada et Emechete Onuoha (demandeurs)
c.
Le commissaire à l'information du Canada (défendeur)
et
T-1049-01
Le procureur général du Canada et Sue Ronald (demandeurs)
c.
Le commissaire à l'information du Canada (défendeur)
et
T-1255-01
Le procureur général du Canada et Mel Cappe (demandeurs)
c.
Le commissaire à l'information du Canada (défendeur)
et
T-1448-01
Le procureur général du Canada et l'honorable Art C. Eggleton (demandeurs)
c.
Le commissaire à l'information du Canada (défendeur)
et
T-1910-01
Le procureur général du Canada et l'honorable Art C. Eggleton (demandeurs)
c.
Le commissaire à l'information du Canada (défendeur)
et
T-2070-01
Le procureur général du Canada et l'honorable Art C. Eggleton (demandeurs)
c.
Le commissaire à l'information du Canada (défendeur)
et
T-801-01
Le procureur général du Canada et Jean Pelletier (demandeurs)
c.
Le commissaire à l'information du Canada (défendeur)
et
T-891-01
Le procureur général du Canada et l'honorable Art C. Eggleton (demandeurs)
c.
Le commissaire à l'information du Canada (défendeur)
et
T-1083-01
Le procureur général du Canada et Mel Cappe (demandeurs)
c.
Le commissaire à l'information du Canada (défendeur)
Répertorié: Canada (Procureur général) c. Canada (Commissaire à l'information) (C.F.)
Cour fédérale, juge Dawson--Ottawa, 15 au 25 septem-bre 2003 et 25 mars 2004.
Accès à l'information -- Exercice des pouvoirs du commissaire au cours des enquêtes -- La question était de savoir si les documents qui se trouvent dans les cabinets des ministres relèvent du ministère -- Le représentant du commissaire pouvait rendre des ordonnances de confidentialité interdisant aux témoins interrogés au cours d'une enquête de divulguer des renseignements, y compris leur propre témoignage, à d'autres, pour une durée indéterminée, mais en l'espèce, les ordonnances portaient atteinte à la liberté d'expression reconnue aux demandeurs individuels puisqu'elles avaient une portée trop étendue et ne constituaient donc pas une limite raisonnable prescrite par une règle de droit au sens de l'art. 1 de la Charte -- La Loi, implicitement, autorise le commissaire à reproduire les pièces qui lui sont fournies conformément à son pouvoir d'exiger par subpoena la production de pièces -- Aucune circonstance spéciale ne permettait de trancher les questions théoriques soulevées dans les demandes -- Le représentant du commissaire a eu raison de décider qu'il pouvait ordonner la production de la note de service contenant l'avis juridique et il n'avait pas à décider si la pièce était absolument nécessaire pour son enquête.
Un certain nombre de demandes ont été faites en 1999 visant la communication de documents en vertu de la Loi sur l'accès à l'information: au Bureau du Conseil privé (BCP) en vue de la communication de pièces se rapportant à la question de savoir si Conrad Black devait être nommé à la Chambre des lords britannique; au BCP en vue de la communication de l'agenda quotidien du Premier ministre pour les années 1994 à 1999; au ministère de la Défense nationale (MDN) en vue de l'obtention de copies de tous les documents, depuis le 1er janvier 1998, relatifs aux réunions du groupe M5 (les réunions informelles entre le ministre de la Défense nationale, le sous-ministre de la Défense nationale, le chef d'état-major de la Défense et les principaux membres du personnel exonéré du cabinet du ministre); au ministère des Transports (MT) en vue de l'obtention d'une copie de l'itinéraire ou de l'horaire des réunions du ministre des Transports pour la période allant du 1er juin au 5 novembre 1999; au MDN en vue de l'obtention de copies des pièces ou des procès-verbaux des réunions de gestion M5 pour l'année 1999.
Quatre des cinq demandeurs d'accès ont déposé des plaintes auprès du commissaire au sujet des réponses qu'ils avaient reçues à la suite de leurs demandes, et concernant les exceptions et les exclusions que le BCP avait invoquées en réponse aux demandes de documents concernant M. Black. Les autres plaintes se rapportaient au fait que les demandeurs d'accès n'avaient pas obtenu les documents demandés.
Les enquêtes menées par le commissaire ont soulevé des questions au sujet de la compétence du commissaire pour poser certaines questions aux personnes qui ont été assignées par subpoena pour déposer devant lui; de la compétence du commissaire pour reproduire les pièces qu'il a obtenues à la suite de la délivrance d'un subpoena duces tecum; de l'étendue du pouvoir du commissaire d'examiner les pièces qui sont assujetties au secret professionnel de l'avocat; de la compétence du commissaire pour rendre des ordonnances de confidentialité interdisant aux personnes qui ont déposé devant lui de révéler les renseignements divulgués pendant leur témoignage; il s'agissait aussi de savoir si les documents relevant du cabinet du Premier ministre et du cabinet du ministre de la Défense sont des documents «relevant» respectivement du BCP ou du MDN, au sens qu'a cette expression dans la Loi.
Ces 25 demandes de contrôle judiciaire, sauf celles qui découlent des demandes de documents concernant M. Black, ont toutes été présentées pendant que l'enquête du commissaire était encore en cours. Le groupe A (trois demandes) sollicite un jugement déclaratoire portant que certains documents relevant du CPM ou du cabinet du ministre de la Défense nationale ne relèvent pas respectivement du BCP ou du MDN, et ne relèvent donc pas d'une institution fédérale. Le groupe B (neuf demandes) sollicite un jugement déclaratoire portant que le commissaire n'a pas compétence pour rendre des ordonnances de confidentialité. On demande également l'annulation des ordonnances de confidentialité rendues par le commissaire. Le groupe C (dix demandes) sollicite un jugement déclaratoire portant que le commissaire ne peut photocopier les documents qui lui sont remis à la suite de la délivrance d'un subpoena duces tecum. On a en conséquence sollicité une ordonnance portant que les copies qui ont été faites devaient être renvoyées et interdisant de faire d'autres copies. Le groupe D (deux demandes) sollicite un jugement déclaratoire portant que le commissaire n'a pas compétence pour enjoindre à deux parties désignées de répondre à certaines questions dans le cadre d'un interrogatoire sous serment. Le groupe E (une demande) sollicite un jugement déclaratoire portant que le commissaire n'a pas compétence pour exiger la production de certains documents à l'égard desquels le secret professionnel de l'avocat est invoqué.
On doit interpréter la Loi sur l'accès à l'information en utilisant l'«approche globale» qui a été énoncée pour la première fois par Driedger, et d'une façon libérale en se fondant sur l'objet visé. La Loi vise à établir un équilibre entre ce qui a été qualifié de droit quasi constitutionnel à la communication et la nécessité d'avoir un gouvernement qui est en mesure de fonctionner d'une façon efficace et avec l'honnêteté requise.
La question du contrôle des documents (demandes du groupe A) pourrait être considérée comme une question préliminaire de compétence. Il est préférable que le commissaire règle initialement cette question une fois que son enquête est terminée. Tant les plaignants que la Cour bénéficieraient de son rapport. La demande présentée dans le dossier T-606-01 a été rejetée pour le motif qu'elle n'avait plus qu'un intérêt théorique et les autres demandes de ce groupe ont été rejetées pour le motif qu'elles étaient prématurées et qu'elles n'étaient pas prêtes à être présentées.
Les ordonnances de confidentialité (demandes du groupe B). Les 10 demandeurs de ce groupe étaient assujettis à une ordonnance de confidentialité rendue par le représentant du commissaire au début de l'interrogatoire dirigé par ce dernier. L'ordonnance enjoignait à chaque demandeur de ne pas révéler les renseignements divulgués au cours de son témoignage confidentiel; elle autorisait chaque demandeur à communiquer aux avocats nommés les renseignements divulgués au cours de son témoignage confidentiel, une fois que les avocats s'étaient eux-mêmes engagés à ne pas révéler les renseignements; et elle enjoignait à chaque demandeur de reconnaître que l'ordonnance de confidentialité s'appliquait jusqu'à ce que le commissaire le libère des conditions de l'ordonnance. Certains des demandeurs, à leur demande, ont été autorisés à communiquer à des personnes précises les renseignements divulgués pendant leur témoignage.
Le commissaire se fondait sur l'exigence prévue au paragraphe 35(1) de la Loi, selon laquelle les enquêtes qu'il mène «sont secrètes», afin de soutenir que les témoins et leurs avocats sont obligés d'assurer la confidentialité des procédures. La jurisprudence montre clairement que ce que l'on entend, dans un cas particulier, par les mots «secrètes» ou «à huis clos» dépend du contexte dans lequel l'expression en question est employée. La Loi n'impose pas expressément d'exigences en matière de confidentialité à des personnes autres que le commissaire et son personnel. Le régime de confidentialité exigé par la Loi est un régime qui assure que les renseignements communiqués au commissaire continuent à être protégés de la même façon que s'ils n'étaient pas divulgués au commissaire. Dans les motifs qu'elle a prononcés dans l'affaire Lavigne c. Canada (Commissariat aux langues officielles), la Cour suprême du Canada ne donnait pas à entendre que l'exigence imposée par la loi, à savoir que les enquêtes doivent être «secrètes», empêchait les témoins de consentir à la divulgation de leurs déclarations ou imposait par ailleurs des obligations en matière de confidentialité à qui que ce soit à part le commissaire aux langues officielles. Tout régime général qui empêche une personne de communiquer pour toujours tous les renseignements se rapportant à son témoignage et à sa comparution devant le commissaire à l'information porterait atteinte à la liberté d'expression de cette personne, laquelle est garantie à l'alinéa 2b) de la Charte, et ce, d'une façon qui ne pourrait pas être justifiée en vertu de l'article premier. De plus, les actions du représentant du commissaire, telles qu'elles indiquent l'interprétation du paragraphe 35(1) de la Loi donnée par celui-ci, sont incompatibles avec une obligation imposée à un témoin par cette disposition de garder la confidentialité de ce qui se passe pendant une enquête.
Pour décider s'il existait une compétence permettant de rendre les ordonnances de confidentialité, la norme de contrôle appropriée était celle de la décision correcte. L'article 34 de la Loi confère un large pouvoir discrétionnaire au commissaire lorsqu'il s'agit d'établir la procédure à suivre dans l'exercice de ses pouvoirs et fonctions. Il permet au commissaire d'établir dans les circonstances appropriées qu'un certain type d'ordonnance de confidentialité doit être rendu et imposé au témoin qui comparaît devant lui. Toutefois, les ordonnances de confidentialité limitent la liberté d'expression qui est garantie par l'alinéa 2b) de la Charte. Et elles ne constituaient pas une limite raisonnable prescrite par une règle de droit dans le cadre d'une société libre et démocratique, de façon à être conformes aux dispositions de l'article premier de la Charte. Les principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt R. c. Oakes ont été appliqués. Le commissaire a affirmé que le but visé par l'interdiction faite aux témoins de révéler les renseignements divulgués pendant leur témoignage était de protéger l'intégrité de l'enquête et de préserver la confidentialité des renseignements de l'administration. Ces objectifs sont suffisamment importants pour l'emporter, dans certaines circonstances, sur la liberté d'expression protégée par la Constitution. Si on se fonde sur la logique et sur le bon sens, il existe un lien rationnel entre, d'une part, l'imposition d'une ordonnance de confidentialité et, d'autre part, la protection de l'intégrité des enquêtes et la confidentialité de certains renseignements qui ne seraient peut-être pas par ailleurs protégés. Toutefois, le commissaire n'a pas démontré pourquoi des ordonnances de confidentialité moins restrictives n'auraient pas été aussi efficaces afin de préserver l'intégrité des enquêtes et la confidentialité des renseignements de l'administration. Au lieu d'expliquer aux demandeurs pourquoi il fallait rendre des ordonnances générales, le représentant du commissaire les a obligés à expliquer pourquoi ils devaient être autorisés à exercer leur droit à la liberté d'expression. De plus, il n'existe pas de preuve convaincante montrant pourquoi les ordonnances de confidentialité s'appliquaient pour une durée indéfinie, de sorte qu'elles continueraient à s'appliquer, à moins d'être modifiées, après la fin de l'enquête du commissaire. La nécessité de protéger des enquêtes futures ne justifie pas une ordonnance d'une durée indéfinie. La preuve n'étaye pas l'argument selon lequel il fallait rendre des ordonnances générales, puisque rien de moins ne permettrait d'atteindre les objectifs exprimés. Puisque quatre des cinq enquêtes sont en cours, la Cour n'était pas prête à ordonner que les ordonnances de confidentialité soient annulées, l'annulation devant prendre effet immédiatement, pour le motif que pareille ordonnance pourrait nuire aux enquêtes en cours. L'intérêt public, lorsqu'il s'agit de préserver l'intégrité des enquêtes du commissaire, justifie le prononcé d'une ordonnance annulant les ordonnances de confidentialité, mais à condition que l'application de cette ordonnance soit suspendue pour une période de 30 jours à compter de la date des présents motifs.
La demande relative au secret professionnel de l'avocat (groupe E). Cette demande découle de l'enquête menée par le commissaire sur la plainte portant sur les réponses données par le responsable du BCP aux demandes relatives à la communication de l'agenda du Premier ministre. Un subpoena duces tecum a été signifié au responsable du BCP lui enjoignant de comparaître pour déposer devant le représentant du commissaire et d'apporter certains documents. Le responsable du BCP a invoqué le secret professionnel de l'avocat au sujet de certaines pièces et a refusé de les produire. La question de la capacité du commissaire d'ordonner la production d'une certaine pièce peut être considérée comme n'ayant plus qu'un intérêt théorique, en ce sens que la pièce a déjà été fournie au commissaire, mais une ordonnance annulant pareille production aurait en pratique une certaine valeur en ce sens que la note de service serait renvoyée par le commissaire et qu'elle ne pourrait probablement pas être utilisée en preuve par celui-ci dans une procédure subséquente. En outre, étant donné que le présent litige est axé sur l'interprétation qu'il convient de donner à la Loi, pour ce qui est de la capacité du commissaire d'exiger la production de pièces à l'égard desquelles le secret professionnel de l'avocat est invoqué, une décision portant sur l'étendue du pouvoir du commissaire d'ordonner la production aurait une certaine valeur en tant que précédent. La Cour a donc exercé son pouvoir discrétionnaire en vue de trancher cette question. Elle a présumé, sans toutefois se prononcer sur ce point, que la pièce était visée par le secret professionnel de l'avocat.
La question de savoir si le commissaire peut porter atteinte au secret professionnel de l'avocat uniquement lorsque la chose est absolument nécessaire pour son enquête constituait une question de droit pour laquelle la norme de contrôle applicable était celle de la décision correcte. Cette conclusion était renforcée par le fait que la décision à l'égard de ce groupe se rapportait à l'interprétation qu'il convient de donner à la Loi en ce qui concerne les pouvoirs que possède le commissaire dans le cadre de son enquête. Le paragraphe 36(2) de la Loi confère à première vue au commissaire un droit d'accès aux pièces qui sont protégées par le secret professionnel de l'avocat. Cette disposition ne doit pas être interprétée d'une façon restrictive. Premièrement, parce que la Loi doit être interprétée d'une façon libérale et fondée sur l'objet visé. Deuxièmement, parce qu'incorporer des mots restrictifs qui ne s'y trouvent pas irait à l'encontre de l'intention du législateur. Troisièmement, cette interprétation est conforme au rôle du commissaire et au régime de la Loi dans son ensemble. La position spéciale du commissaire est démontrée par le fait que le paragraphe 36(2) de la Loi est une disposition parallèle à l'article 46 selon lequel la Cour a accès à tous les documents «[n]onobstant [. . .] toute immunité reconnue par le droit de la preuve». Cette interprétation est étayée par l'arrêt rendu par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Ethyl où la Cour a dit que «[l]e fait qu'ils puissent être protégés n'a pas d'importance puisque l'obstacle qu'est la protection est éliminé par le libellé clair de l'article 46». Le représentant du commissaire a donc eu raison de décider qu'il pouvait ordonner la production de cette pièce et qu'il n'avait pas à décider si la pièce était absolument nécessaire pour son enquête.
lois et règlements
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 1, 2b).
Fatality Inquiries Act, R.S.A. 1980, ch. F-6. |
Loi sur l'accès à l'information, L.R.C. (1985), ch. A-1, art. 2(1), 3 «institution fédérale», «document», 4(1) (mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 144, ann. VII, art. 1), (3), 6, 7, 8, 9, 10, 11 (mod. par L.C. 1992, ch. 21, art. 2), 13 ( mod. par L.C. 2000, ch. 7, art. 21), 14 à 26, 30(1) (mod. par L.C. 1992, ch. 21, art. 4), (3), 32, 34, 35, 36 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 27, art. 187, ann. V, no 1), 37, 38, 39(1), 41, 42, 44 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 1, art. 45, ann. III,no 1), 46, 61, 62, 63 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 27, art. 187, ann. V, no 1), 64, 65 (mod., idem), 68 (mod. par L.C. 1990, ch. 3, art. 32), 69 (mod par L.C. 1992, ch. 1, art. 144, ann. VII, no 3), 69.1 (édicté par L.C. 2001, ch. 41, art. 87), 72, 75, 77 (mod. par L.C. 1992, ch. 21, art. 5). |
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4). |
Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5, art. 38.13 (édicté par L.C. 2001, ch. 41, art. 43). |
Loi sur la protection de l'information, L.R.C. (1985), ch. O-5, art. 1 (mod. par L.C. 2001, ch. 41, art. 25). |
Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21, art. 8, 14, 51(2),(3). |
Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-33. |
Loi sur les jeunes délinquants, S.R.C. 1970, ch. J-3. |
Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 31. |
Règlement sur l'accès à l'information, DORS/83-507, art. 3. |
Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, règle 53. |
Securities Act, R.S.B.C. 1996, ch. 418. |
jurisprudence
décisions appliquées:
Lavigne c. Canada (Commissariat aux langues officielles), [2002] 2 R.C.S. 773; (2002), 214 D.L.R. (4th) 1; 289 N.R. 282; C.B. c. La Reine, [1981] 2 R.C.S. 480; (1981), 127 D.L.R. (3d) 482; [1981] 6 W.W.R. 701; 12 Man. R. (2d) 361; 62 C.C.C. (2d) 107; 23 C.R. (3d) 289; 38 N.R. 451; 25 R.F.L. (2d) 225; La Reine c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103; (1986), 26 D.L.R. (4th) 200; 24 C.C.C. (3d) 321; 50 C.R. (3d) 1; 19 C.R.R. 308; 65 N.R. 87; 14 O.A.C. 335.
distinction faite d'avec:
Smolensky v. British Columbia (Securities Commission) (2003), 17 B.C.L.R. (4th) 145; 109 C.R.R. (2d) 135 (C.S.).
décisions examinées:
Dagg c. Canada (Ministre des Finances), [1997] 2 R.C.S. 403; (1997), 213 N.R. 161; Rubin c. Canada (Greffier du Conseil privé), [1994] 2 C.F. 707; (1994), 113 D.L.R. (4th) 275; 25 Admin. L.R. (2d) 241; 54 C.P.R. (3d) 511; 167 N.R. 43 (C.A.); conf. par [1996] 1 R.C.S. 6; (1996), 1 D.L.R. (4th) 608; 36 Admin. L.R. (2d) 131; 66 C.P.R. (3d) 32; 191 N.R. 394; Ruby c. Canada (Solliciteur Général), [1996] 3 C.F. 134; (1996), 136 D.L.R. (4th) 74; 113 F.T.R. 13 (1re inst.); conf. par [2000] 3 C.F. 589; (2000), 187 D.L.R. (4th) 675; 42 Admin. L.R. (3d) 214; 6 C.P.R. (4th) 289; 256 N.R. 278 (C.A.); inf. en partie par [2002] 4 R.C.S. 3; (2002), 219 D.L.R. (4th) 385; 49 Admin. L.R. (3d) 1; 22 C.P.R. (4th) 289; 7 C.R. (6th) 88; 99 C.R.R. (2d) 324; 295 N.R. 353; Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038; (1989), 59 D.L.R. (4th) 416; 26 C.C.E.L. 85; 89 CLLC 14,031; 40 C.R.R. 100; 93 N.R. 183; Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226; (2003), 223 D.L.R. (4th) 599; [2003] 5 W.W.R. 1; 11 B.C.L.R. (4th) 1; 48 Admin. L.R. (3d) 1; 179 B.C.A.C. 170; 302 N.R. 34; Echo Bay Mines Ltd. c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord), 2003 CAF 270; [2003] A.C.F. no 996 (C.A.) (QL); Canada (Attorney General) v. Newfield Seed Ltd. (1989), 63 D.L.R. (4th) 644; 80 Sask. R. 134 (C.A.); Tolofson c. Jensen; Lucas (Tutrice à l'instance de) c. Gagnon, [1994] 3 R.C.S. 1022; (1994), 120 D.L.R. (4th) 289; [1995] 1 W.W.R. 609; 100 B.C.L.R. (2d) 1; 51 B.C.A.C. 241; 26 C.C.L.I. (2d) 1; 22 C.C.L.T. (2d) 173; 32 C.P.C. (3d) 141; 7 M.V.R. (3d) 202; 175 N.R. 161; 77 O.A.C. 81; 84 W.A.C. 241; Canada (Commissaire à l'information) c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] 1 C.F. 219; (2002), 1 Admin. L.R. (4th) 270; 21 C.P.R. (4th) 30; 291 N.R. 236 (C.A.); Lavallee, Rackel & Heintz c. Canada (Procureur général); White, Ottenheimer & Baker c. Canada (Procureur général); R. c. Fink, [2002] 3 R.C.S. 209; (2002), 312 A.R. 201; 217 Nfld. & P.E.I.R. 183; 216 D.L.R. (4th) 257; [2002] 11 W.W.R. 191; 4 Alta. L.R. (4th) 1; 167 C.C.C. (3d) 1; 3 C.R. (6th) 209; 96 C.R.R. (2d) 189; [2002] 4 C.T.C. 143; 2002 DTC 7267; 292 N.R. 296;164 O.A.C. 280.
décisions citées:
Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84; (2002), 208 D.L.R. (4th) 107; 37 Admin. L.R. (3d) 252; 18 Imm. L.R. (3d) 93; 280 N.R. 268; Biolyse Pharma Corp. c. Bristol-Myers Squibb Co., [2003] 4 C.F. 505; (2003), 226 D.L.R. (4th) 138; 24 C.P.R. (4th) 417; 303 N.R. 63 (C.A.); Société canadienne des postes c. Canada (Ministre des Travaux publics), [1995] 2 C.F. 110; (1995), 30 Admin. L.R. (2d) 242; 60 C.P.R. (3d) 441; 179 N.R. 350 (C.A.); Canada (Commissaire à la protection de la vie privée) c. Canada (Conseil des relations du travail), [1996] 3 C.F. 609; (1996), 41 Admin. L.R. (2d) 49; 110 F.T.R. 1 (1re inst.); Edmonton Journal v. Alberta (Attorney General) (1983), 49 A.R. 371; 5 D.L.R. (4th) 240; [1984] 1 W.W.R. 599; 28 Alta. L.R. (2d) 369; 8 C.R.R. 10 (B.R.); conf. par (1984), 13 D.L.R. (4th) 479; [1985] 4 W.W.R. 575; 37 Alta. L.R. (2d) 287; 17 C.R.R. 100 (C.A.); Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29; (1983), 144 D.L.R. (3d) 193; [1983] 2 C.N.L.R. 89; [1983] C.T.C. 20; 83 DTC 5041; 46 N.R. 41; Angus c. Sun Alliance compagnie d'assurance, [1988] 2 R.C.S. 256; (1988), 65 O.R. (2d) 638; 52 D.L.R. (4th) 193; 34 C.C.L.I. 237; 47 C.C.L.T. 39; [1988] I.L.R. 1-2370; 9 M.V.R. (2d) 245; 87 N.R. 200; 30 O.A.C. 210; Canada (Procureur général) c. Canada (Commissaire à l'information) (2001), 32 Admin. L.R. (3d) 238; 12 C.P.R. (4th) 492; 268 N.R. 328 (C.A.F.); Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927; (1989), 58 D.L.R. (4th) 577; 25 C.P.R. (3d) 417; 94 N.R. 167; Sauvé c. Canada (Directeur général des élections), [2002] 3 R.C.S. 519; (2002), 168 C.C.C. (3d) 449; 5 C.R. (6th) 203; 98 C.R.R. (2d) 1; 294 N.R. 1; Thomson Newspapers Co. c. Canada (Procureur général), [1998] 1 R.C.S. 877; (1997), 38 O.R. (3d) 735; 159 D.L.R. (4th) 385; 226 N.R. 1; 109 O.A.C. 201; R. c. Swain, [1991] 1 R.C.S. 933; (1991), 63 C.C.C. (3d) 481; 5 C.R. (4th) 253; 3 C.R.R. (2d) 1; 125 N.R. 1; 47 O.A.C. 81; Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances), [2002] 2 R.C.S. 522; (2002), 211 D.L.R. (4th) 193; 40 Admin. L.R. (3d) 1; 44 C.E.L.R. (N.S.) 161; 20 C.P.C. (5th) 1; 18 C.P.R. (4th) 1; 93 C.R.R. (2d) 219; 287 N.R. 203; R. c. Mohan, [1994] 2 R.C.S. 9; (1994), 114 D.L.R. (4th) 419; 89 C.C.C. (3d) 402; 29 C.R. (4th) 243; 166 N.R. 245; 71 O.A.C. 241; Descôteaux et autre c. Mierzwinski, [1982] 1 R.C.S. 860; (1982), 141 D.L.R. (3d) 590; 70 C.C.C. (2d) 385; 28 C.R. (3d) 289; 1 C.R.R. 318; 44 N.R. 462; Canada (Commissaire à l'information) c. Canada (Ministre de l'Environnement) (2000), 187 D.L.R. (4th) 127; 21 Admin. L.R. (3d) 1; 256 N.R. 162 (C.A.F.); R. c. McClure, [2001] 1 R.C.S. 445; (2001), 195 D.L.R. (4th) 513; 151 C.C.C. (3d) 321; 40 C.R. (5th) 1; 80 C.R.R. (2d) 217; 266 N.R. 275; 142 O.A.C. 201.
doctrine
Driedger, E. A. Construction of Statutes, 2nd ed., Toronto: Butterworths, 1983.
DEMANDES de contrôle judiciaire de décisions du représentant du commissaire à l'information concernant des questions de procédure relatives à l'exercice des pouvoirs du commissaire au cours d'une enquête. Les demandes du groupe A ont été rejetées en raison du fait qu'elles n'avaient plus qu'un intérêt théorique ou qu'elles étaient prématurées et qu'elles n'étaient pas prêtes à être présentées. Les demandes du groupe B ont été accueillies sous réserve. Les demandes du groupe C ont été rejetées. Les demandes du groupe D ont été rejetées. La demande du groupe E a été rejetée.
ont comparu:
Groupe A
David W. Scott, Peter K. Doody, Lawrence A. Elliot et Mandy Moore pour les demandeurs.
Raynold Langlois, c.r., Daniel Brunet, Patricia Boyd et Rima Kayssi pour le commissaire à l'information du Canada, défendeur .
Scott Little pour David Pugliese, défendeur.
avocats inscrits au dossier:
Borden Ladner Gervais LLP, Ottawa, pour les demandeurs.
Le sous-procureur général du Canada et Langlois Kronström Desjardins, Montréal, pour le commissaire à l'information du Canada, défendeur.
Gowling Lafleur Henderson s.r.l., Ottawa, pour David Pugliese, défendeur.
Groupe B
ont comparu:
Peter K. Doody, Lawrence A. Elliot et Mandy Moore pour les demandeurs.
Marlys A. Edwardh, Daniel Brunet et Patricia Boyd pour le commissaire à l'information du Canada, défendeur.
avocats inscrits au dossier:
Borden Ladner Gervais LLP, Ottawa, pour les demandeurs.
Le sous-procureur général du Canada et Ruby & Edwardh, Toronto, pour le commissaire à l'information du Canada, défendeur.
Groupe C
ont comparu:
Peter K. Doody, Lawrence A. Elliot et Mandy Moore pour les demandeurs.
Raynold Langlois, c.r., Daniel Brunet, Patricia Boyd et Rima Kayssi pour le commissaire à l'information du Canada, le défendeur.
avocats inscrits au dossier:
Borden Ladner Gervais LLP, Ottawa, pour les demandeurs.
Le sous-procureur général du Canada et Langlois Kronström Desjardins, Montréal, pour le commissaire à l'information du Canada, défendeur.
Groupe D
ont comparu:
Peter K. Doody, Lawrence A. Elliot et Mandy Moore pour les demandeurs.
Raynold Langlois, c.r., Daniel Brunet, Patricia Boyd et Rima Kayssi pour le commissaire à l'information du Canada, défendeur.
avocats inscrits au dossier:
Borden Ladner Gervais LLP, Ottawa, pour les demandeurs.
Le sous-procureur général du Canada et Langlois Kronström Desjardins, Montréal, pour le commissaire à l'information du Canada, défendeur.
Groupe E
ont comparu:
Peter K. Doody, Lawrence A. Elliot et Mandy Moore pour les demandeurs.
Raynold Langlois, c.r., Daniel Brunet, Patricia Boyd et Rima Kayssi pour le commissaire à l'information du Canada, défendeur.
avocats inscrits au dossier:
Borden Ladner Gervais LLP, Ottawa, pour les demandeurs.
Le sous-procureur général du Canada et Langlois Kronström Desjardins, Montréal, pour le commissaire à l'information du Canada, défendeur.
NOTE DE L'ARRÊTISTE
L'arrêtiste, comme l'y autorise le paragraphe 58(2) de la Loi sur les Cours fédérales, a décidé de publi er sous forme abrégée, dans le Recueil, les 172 pages de ces motifs. Les présentes instances sont inhabituelles puisqu'elles ne donnent pas lieu à des litiges portant sur les résultats de l'enquête du commissaire mais sur des questions de procédure liées à l'exercice des pouvoirs du commissaire au cours d'une enquête. Ces affaires sont importantes puisque la résolution des questions soulevées affecte directement la façon dont le commissaire pourra procéder lors d'enquêtes ultérieures. Les notes de l'arrêtis te remplacent les parties omises.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
[1]La juge Dawson: Ces 25 demandes de contrôle judiciaire soulèvent des questions importantes au sujet de la conduite d'enquêtes menées par le commissaire à l'information (le commissaire) conformément à la Loi sur l'accès à l'information, L.R.C. (1985), ch. A-1 (la Loi). Plus précisément, divers demandeurs mettent en question la compétence du commissaire de poser certaines questions aux personnes qui ont été assignées par subpoena pour déposer devant lui; la compétence du commissaire de reproduire les pièces qu'il a obtenues à la suite de la délivrance d'un subpoena duces tecum; l'étendue du pouvoir du commissaire d'examiner les pièces qui sont assujetties au secret professionnel de l'avocat; la compétence du commissaire de rendre des ordonnances de confidentialité interdisant aux personnes qui ont déposé devant lui de révéler les renseignements divulgués pendant leur témoignage; et le fait que les documents relevant du cabinet du Premier ministre et du cabinet du ministre de la Défense sont des documents «relevant» respectivement du Bureau du Conseil privé ou du ministère de la Défense nationale, au sens qu'a cette expression dans la Loi.
[2]Dans les présents motifs, qui sont longs:
i) je retiens les arguments des parties selon lesquels la question du bien-fondé des questions en litige n'a plus qu'un intérêt théorique, et je retiens en outre les arguments du commissaire selon lesquels il ne s'agit pas ici d'une affaire dans laquelle la Cour doit exercer son pouvoir discrétionnaire pour statuer sur une question qui n'a plus qu'un intérêt théorique;
ii) je retiens l'argument du commissaire selon lequel la Loi l'autorise implicitement à reproduire les pièces qui lui sont fournies conformément à son pouvoir d'ordonner par subpoena la production de pièces;
iii) je retiens l'argument du commissaire selon lequel la Loi autorisait le représentant de celui-ci à exiger la production d'une note de service juridique précise, même si le secret professionnel de l'avocat était invoqué. Je retiens en outre l'argument du commissaire selon lequel son représentant n'avait pas à conclure que la note de service était «absolument nécessaire» pour les besoins de l'enquête avant d'exiger sa production;
iv) je retiens l'argument du commissaire selon lequel la Loi autorisait le représentant de celui-ci à imposer des ordonnances de confidentialité aux témoins qui comparaissaient devant lui pour déposer. Toutefois, je retiens également l'argument des demandeurs voulant que les ordonnances de confidentialité en question portaient atteinte à la liberté d'expression reconnue aux demandeurs individuels et que les ordonnances avaient une portée trop étendue et ne constituaient donc pas une limite raisonnable selon une règle de droit, de façon à être valides conformément à l'article premier de la Charte [Charte canadienne des droits et liberté, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R- .) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]]. Par conséquent, j'ordonne l'annulation des ordonnances de confidentialité, celles-ci devant toutefois continuer à avoir effet pour une période de 30 jours. Ce délai est destiné à protéger la continuité de l'enquête menée par le commissaire en donnant à celui-ci la possibilité d'envisager la nécessité de rendre des ordonnances de confidentialité et, au besoin, de délivrer des ordonnances dont la portée n'est pas trop étendue et qui sont justifiées eu égard à la preuve dont il dispose;
v) je retiens l'argument du commissaire et de M. Pugliese selon lequel il est prématuré de statuer sur la demande visant l'obtention d'un jugement déclaratoire portant que les documents relevant du cabinet du premier ministre ou du cabinet d'un ministre ne relèvent pas d'une institution fédérale et ne sont pas visés par la Loi. Cette question devrait uniquement être réglée par la Cour après que le commissaire aura eu la possibilité d'achever son enquête et de rédiger son rapport.
Note de l'arrêtiste
Paragraph [3] is an index of the headings and sub-headings of the reasons for judgment, and paragraph [4] is an introductory note.
Le paragraphe [3] est un index des titres et sous-titres des motifs du jugement, et le paragraphe [4] est une note indroductive.
1. FAITS SOUS-TENDANT L'AFFAIRE
[5]La présente instance résulte d'un certain nombre de demandes qui ont été faites en 1999 en vue de la communication de documents conformément à la Loi.
i) Les demandes
[6]Les demandes pertinentes suivantes ont été faites:
1. Les 23 et 25 juin 1999, des demandes ont été faites au Bureau du Conseil privé en vue de la communication de pièces se rapportant à la question de savoir si Conrad Black, qui était alors citoyen canadien, devait être nommé à la Chambre des lords britannique (les demandes de documents concernant M. Black).
2. Le 28 juin 1999, six demandes ont été faites au Bureau du Conseil privé en vue de la communication de l'agenda quotidien du premier ministre1 pour les années 1994 à 1999 (les demandes relatives à l'agenda du premier ministre).
3. Le 22 septembre 1999, une demande a été faite au ministère de la Défense nationale en vue de l'obtention de copies de tous les documents, depuis le 1er janvier 1998, relatifs aux réunions du groupe M5 (la demande relative aux documents M5 du 22 septembre). Par «M5», on entend les réunions informelles entre le ministre de la Défense nationale, le sous-ministre de la Défense nationale, le chef d'état-major de la Défense et les principaux membres du personnel exonéré du cabinet du ministre. Par «membres du personnel exonéré», on entend les personnes que le ministre ou le premier ministre nomme pour faire partie de son personnel; ces personnes exercent leurs fonctions à titre amovible, la personne qui les a nommées pouvant les destituer de leurs fonctions. Les membres du personnel exonéré ne sont pas des fonctionnaires.
4. Le 5 novembre 1999, une demande a été faite au ministère des Transports en vue de l'obtention d'une copie de l'itinéraire ou de l'horaire des réunions du ministre des Transports pour la période allant du 1er juin au 5 novembre 1999 (la demande relative à l'agenda du ministre des Transports).
5. Le 12 novembre 1999, une demande a été faite au ministère de la Défense nationale en vue de l'obtention de copies des pièces ou des procès-verbaux établis à la suite des réunions de gestion M5 pour l'année 1999 (la demande relative aux documents M5 du 12 novembre).
Le Bureau du Conseil privé, le ministère de la Défense nationale et le ministère des Transports sont des institutions fédérales auxquelles la Loi s'applique.
ii) Les réponses aux demandes
[7]Les réponses suivantes ont été données à chaque demande:
1. En ce qui concerne les demandes de documents concernant M. Black, les deux demandeurs d'accès ont obtenu, le 7 septembre 1999, certaines pièces en réponse à leurs demandes respectives. Toutefois, certains documents ou certaines parties de documents ne leur ont pas été fournis parce que le Bureau du Conseil privé invoquait certaines exceptions et certaines exclusions conformément aux dispositions pertinentes de la Loi.
2. En réponse aux demandes relatives à l'agenda du Premier ministre, le Bureau du Conseil privé a informé le demandeur d'accès, le 13 juillet 1999, qu'en ce qui concerne cinq des six demandes, il n'y avait pas de documents relevant du Bureau du Conseil privé qui réponde aux demandes. Quant à la sixième demande, le demandeur d'accès a été informé, le 11 août 1999, que le Bureau du Conseil privé ne confirmait pas ou ne niait pas l'existence de documents visés par la demande, mais que si de tels documents existaient, ils n'avaient pas à être communiqués, conformément au paragraphe 19(1) de la Loi, pour le motif qu'ils contenaient des renseignements personnels.
3. En ce qui concerne la demande relative aux documents M5 du 22 septembre, le ministère de la Défense nationale a répondu, le 18 octobre 1999, que les recherches qui avaient été effectuées n'avaient permis de découvrir aucun document pertinent.
4. En réponse à la demande relative à l'agenda du ministre des Transports, le demandeur d'accès a été informé, le 22 décembre 1999, qu'il n'existait dans les dossiers de Transports Canada aucun document qui réponde à la demande. Il a été noté que l'itinéraire et l'horaire des réunions du ministre étaient préparés et tenus par les membres du personnel politique et n'étaient pas considérés comme des documents du ministère.
5. En ce qui concerne la demande relative aux documents M5 du 12 novembre, le ministère de la Défense nationale a fait savoir, le 15 février 2000, que les recherches qui avaient été effectuées n'avaient permis de découvrir aucun document tels que ceux qui étaient demandés.
iii) Les plaintes
[8]Quatre des cinq demandeurs d'accès ont déposé des plaintes auprès du commissaire au sujet des réponses qu'ils avaient reçues à la suite de leurs demandes. Aucune plainte n'a été déposée au sujet de la demande relative aux documents M5 du 22 septembre. Les demandeurs d'accès se sont plaints des exceptions et des exclusions que le Bureau du Conseil privé avait invoquées en réponse aux demandes de documents concernant M. Black. Les autres plaintes qui avaient été déposées se rapportaient au fait que les demandeurs d'accès n'avaient pas obtenu les documents demandés.
[9]Par la suite, dans le cadre d'une enquête portant sur la plainte découlant de la demande relative aux documents M5 du 12 novembre, le commissaire a obtenu des renseignements qui le convainquaient qu'il y avait des motifs raisonnables de croire qu'une enquête devait être menée au sujet de la réponse à la demande relative aux documents M5 du 22 septembre. Le commissaire a donc lui-même pris l'initiative d'une plainte à ce sujet.
iv) Les enquêtes du commissaire
[10]Sur réception des plaintes, le commissaire a commencé à enquêter comme il était tenu de le faire. Dans le cadre de ces enquêtes, menées par le représentant du commissaire, le sous-commissaire à l'information, le commissaire a délivré des subpoenas duces tecum aux témoins; il a reproduit les documents qui avaient été produits à la suite de la délivrance de ces subpoenas; il a interrogé sous serment les témoins qui avaient été assignés; au début de certains de ces interrogatoires, il a rendu des ordonnances de confidentialité, sur lesquelles nous reviendrons ci-dessous.
v) L'état des enquêtes du commissaire
[11]Les enquêtes menées par le commissaire sur les plaintes découlant du refus de communication des agendas du premier ministre, des documents M5 du 22 septembre et du 12 novembre et des agendas du ministre des Transports sont encore en cours.
[12]Le commissaire a achevé son enquête sur les plaintes fondées sur le refus du Bureau du Conseil privé de communiquer les documents concernant M. Black. Après la réception des plaintes, le coordonnateur de l'accès à l'information et de la protection des renseignements personnels, au Bureau du Conseil privé, a procédé à un réexamen des documents. Par suite de ce réexamen, des renseignements additionnels ont été fournis aux demandeurs d'accès qui avaient déposé une plainte. Subséquemment, le commissaire a conclu, à la suite de l'enquête sur les demandes de documents concernant M. Black, que les exceptions et exclusions étaient à juste titre invoquées et que les autres documents concernant M. Black ne devaient pas être communiqués. Le commissaire soutient que les questions découlant de cette enquête ne sont pas justiciables parce qu'elles n'ont plus qu'un intérêt théorique et qu'elles sont inutiles. Ces arguments sont examinés ci-dessous.
vi) La présente instance
[13]L'instance qui occupe la Cour est inhabituelle. En général, le recours prévu par la Loi est exercé auprès de la Cour uniquement après que le résultat de l'enquête du commissaire a été porté à la connaissance de la personne qui a déposé la plainte relative au refus de communi-cation ainsi que du responsable de l'institution fédérale qui a refusé la communication. Les demandes de contrôle judiciaire ici en cause, sauf celles qui découlent des demandes de documents concernant M. Black, ont toutes été présentées pendant que l'enquête du commissaire était encore en cours. Ces demandes influent donc sur le droit du commissaire de mener les enquêtes en vertu de la Loi.
2. ORGANISATION DES 25 DEMANDES DE CONTRÔLE JUDICIAIRE |
[14]Comme il en a été fait mention au début, ces motifs se rapportent à 25 demandes de contrôle judiciaire. Conformément à une ordonnance rendue par le juge responsable de la gestion de l'instance, les demandes ont été réparties en cinq groupes, les demandes faisant partie de ces groupes devant être entendues les unes à la suite des autres. Les demandes faisant partie de chaque groupe ont été réunies dans ce groupe.
[15]Les avocats ont désigné ces groupes comme étant les groupes A, B, C, D et E. C'est ainsi qu'ils seront désignés dans les présents motifs. Voici une liste des demandes qui font partie de chaque groupe ainsi qu'une brève description de la question soulevée:
Groupe A: On sollicite un jugement déclaratoire portant que certains documents relevant du cabinet du Premier ministre ou du cabinet du ministre de la Défense nationale ne relèvent pas respectivement du Bureau du Conseil privé ou du ministère de la Défense nationale, et ne relèvent donc pas d'une institution fédérale. Ces demandes sont appelées «Demandes relatives au contrôle des documents». Ce groupe est composé de trois demandes: T-606-01, T-1640-00 et T-1641-00.
Groupe B: On sollicite un jugement déclaratoire portant que le commissaire n'a pas compétence pour rendre des ordonnances de confidentialité. L'annulation des ordonnances de confidentialité rendues par le commissaire est en conséquence également sollicitée. Ces demandes sont appelées «Demandes relatives à l'ordonnance de confidentialité». Ce groupe est composé de neuf demandes: T-582-01, T-792-01, T-877-01, T-878-01, T-883-01, T-892-01, T-1047-01, T-1254-01 et T-1909-01.
Groupe C: On sollicite un jugement déclaratoire portant que le commissaire ne peut pas photocopier les documents qui lui sont remis à la suite de la délivrance d'un subpoena duces tecum. On demande en conséquence une ordonnance portant que les copies qui ont été faites doivent être renvoyées et interdisant de faire d'autres copies. Ces demandes sont appelées «Demandes relatives à la reproduction de documents». Ce groupe est composé de dix demandes: T-684-01, T-763-01, T-880-01, T-895-01, T-896-01, T-1049-01, T-1255-01, T-1448-01, T-1910-01 et T-2070-01.
Groupe D: On sollicite un jugement déclaratoire portant que le commissaire n'a pas compétence pour enjoindre à deux parties désignées de répondre à certaines questions dans le cadre d'un interrogatoire sous serment. Ces demandes sont appelées «Demandes relatives au bien-fondé des questions». Ce groupe est composé de deux demandes: T-801-01 et T-891-01.
Groupe E: On sollicite un jugement déclaratoire portant que le commissaire n'a pas compétence pour exiger la production de certains documents à l'égard desquels le secret professionnel de l'avocat est invoqué. Cette demande est appelée «Demande relative au secret professionnel de l'avocat». Ce groupe comprend une seule demande: T-1083-01.
3. PRINCIPES D'INTERPRÉTATION LÉGISLA-TIVE APPLICABLES |
[16]Le règlement des questions dont la Cour est saisie dépend largement de l'interprétation qu'il convient de donner à un certain nombre de dispositions de la Loi.
[17]Le point de départ, aux fins de l'interprétation de la Loi, est l'énoncé de principe accepté bien connu suivant:
[traduction] Aujourd'hui, il n'y a qu'un seul principe ou solution: il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur.
Voir: E. A. Driedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983), page 87, tel qu'il est cité dans l'arrêt Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84, au paragraphe 27.
[18]Cette approche exige que le tribunal judiciaire attribue à une disposition législative le sens qui correspond le mieux tant au texte de la disposition qu'à son contexte. Ni l'un ni l'autre ne peuvent être passés sous silence, mais comme la Cour d'appel fédérale l'a fait remarquer dans l'arrêt Biolyse Pharma Corp. c. Bristol-Myers Squibb Co., [2003] 4 C.F. 505, au paragraphe 13, plus le sens ordinaire de la disposition est clair, plus les considérations d'ordre contextuel doivent être convaincantes pour justifier une interprétation différente.
[19]La Loi doit être interprétée d'une façon libérale en se fondant sur l'objet visé. Voir: Société canadienne des postes c. Canada (Ministre des Travaux publics), [1995] 2 C.F. 110 (C.A.), au paragraphe 33, et Canada (Commissaire à la protection de la vie privée) c. Canada (Conseil des relations du travail), [1996] 3 C.F. 609 (1re inst.), au paragraphe 47.
[20]Il a été statué que la Loi vise à établir l'équilibre entre ce qui a été qualifié de droit quasi constitutionnel à la communication et la nécessité d'avoir un gouvernement qui est en mesure de fonctionner d'une façon efficace et avec l'honnêteté requise. Le statut quasi constitutionnel de la législation est un facteur dont il faut tenir compte en interprétant la législation, en ce sens que l'objet spécial de cette législation est reconnu. Ce statut n'a toutefois pas pour effet de modifier l'approche traditionnelle en matière d'interprétation des lois. Voir: Lavigne c. Canada (Commissariat aux langues officielles), [2002] 2 R.C.S. 773, au paragraphe 25.
[21]Étant donné qu'il faut examiner les dispositions pertinentes dans le contexte de la Loi dans son ensemble, j'examinerai maintenant d'une façon générale le régime prescrit par celle-ci.
4. LE CONTEXTE LÉGISLATIF |
i) L'objet de la Loi |
[22]Dans l'arrêt Dagg c. Canada (Ministre des Finances), [1997] 2 R.C.S. 403, au paragraphe 61, le juge La Forest, qui était dissident, mais non sur ce point, a dit que «[l]a loi en matière d'accès à l'information a [. . .] pour objet général de favoriser la démocratie». Elle aide à garantir que les citoyens possèdent l'information nécessaire pour participer utilement au processus démocratique et que les politiciens et les bureaucrates demeurent comptables envers l'ensemble de la population.
[23]Au paragraphe 2(1) de la Loi, le législateur a expressément énoncé son objet. La Loi vise à «élargir l'accès aux documents de l'administration fédérale en consacrant le principe du droit du public à leur communication, les exceptions indispensables à ce droit étant précises et limitées et les décisions quant à la communication étant susceptibles de recours indépendants du pouvoir exécutif».
ii) Le droit d'accès et les demandes de communication
[24]Le paragraphe 4(1) de la Loi prévoit qu'«ont droit à l'accès aux documents relevant d'une institution fédérale et peuvent se les faire communiquer sur demande» les citoyens canadiens et les résidents permanents (telles que ces expressions sont définies). Le mot «documents» est défini d'une façon générale à l'article 3 de la Loi. L'expression «institution fédérale» y est définie comme étant «[t]out ministère ou département d'État relevant du gouvernement du Canada, ou tout organisme, figurant à l'annexe I». Les demandes de communication se font par écrit auprès de l'institution fédérale dont relève le document en question (article 6). La règle générale (sous réserve des exceptions précises prévues aux articles 8, 9 et 11 [mod. par L.C. 1992, ch. 21, art. 2] de la Loi) est que le responsable de l'institution fédérale à qui est faite une demande est tenu, dans les 30 jours suivant sa réception, d'aviser par écrit la personne qui a fait la demande de ce qu'il sera donné ou non communication totale ou partielle du document et, le cas échéant, de donner communication totale ou partielle du document (article 7).
[25]En cas de refus de communication totale ou partielle d'un document demandé, le responsable d'une institution fédérale est tenu, en vertu de l'article 10 de la Loi, de mentionner dans l'avis prévu à l'article 7 soit le fait que le document n'existe pas, soit la disposition précise de la Loi sur laquelle se fonde le refus ou la disposition sur laquelle il pourrait vraisemblablement se fonder si le document existait. Cette dernière disposition montre que le responsable d'une institution fédérale peut indiquer si un document existe, mais qu'il n'est pas tenu de le faire. L'avis donné au demandeur d'accès doit également informer celui-ci de son droit de déposer une plainte auprès du commissaire par suite du refus de communication. Le défaut de communication d'un document dans les délais prévus par la Loi vaut décision de refus de communication (paragraphe 10(3)).
iii) Les exceptions en matière d'accès
[26]Les articles 13 [art. 13 (mod. par L.C. 2000, ch. 7, art. 21)] à 26 de la Loi renferment des dispositions qui interdisent la communication de certains types de documents ou qui confèrent un pouvoir discrétionnaire au responsable d'une institution fédérale lorsqu'il s'agit de savoir si un document sera communiqué. Parmi les interdictions en matière de communication, il y a l'alinéa 13(1)a) de la Loi, qui interdit la communication d'un document contenant des renseignements obtenus à titre confidentiel d'un État étranger à moins que cet État ne consente à la communication ou ne rende les renseignements publics, et l'article 19 de la Loi, qui interdit la communication d'un document contenant des renseignements personnels (au sens de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21), à moins que le public n'y ait accès, que l'individu qu'ils concernent n'y consente ou que la communication ne soit pas ailleurs permise par l'article 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Des exemples de cas dans lesquels un pouvoir discrétionnaire est conféré à l'égard de la communication d'un document se trouvent à l'article 14, qui s'applique à un document contenant des renseigne-ments dont la divulgation risquerait vraisemblablement de porter préjudice à la conduite par le gouvernement fédéral des affaires fédérales- provinciales, et à l'alinéa 21(1)b) de la Loi, qui s'applique à un document contenant des comptes rendus de consultations ou délibérations où sont concernés un ministre ou son personnel, ou des cadres ou employés du gouvernement.
iv) La procédure relative à la plainte et à l'enquête |
[27]Le commissaire reçoit les plaintes et fait enquête sur les plaintes (paragraphe 30(1) [mod. par L.C. 1992, ch. 21, art. 4]). Ces plaintes peuvent être déposées dans un certain nombre de cas précis. Une plainte peut notamment être déposée par une personne qui s'est vu refuser la communication totale ou partielle d'un document qu'elle a demandé, ou à l'égard de toute autre question relative à la demande ou à l'obtention de documents en vertu de la Loi. Le commissaire peut également lui-même prendre l'initiative d'une plainte s'il a «des motifs raisonnables de croire qu'une enquête devrait être menée sur une question relative à la demande ou à l'obtention de documents en vertu de la présente loi» (paragraphe 30(3)). Ces pouvoirs l'emportent sur l'obligation et le droit d'enquêter sur un refus précis de communication d'un document demandé.
[28]Le commissaire, avant de procéder aux enquêtes, avise le responsable de l'institution fédérale concernée de son intention d'enquêter et lui fait connaître l'objet de la plainte (article 32). Le commissaire est également tenu de donner au plaignant et au responsable de l'institution fédérale concernée une possibilité de présenter ses observations (paragraphe 35(2)).
[29]L'article 34 de la Loi prévoit que, sous réserve des autres dispositions de la Loi, le commissaire «peut établir la procédure à suivre dans l'exercice de ses pouvoirs et fonctions». Des pouvoirs précis, relativement à la conduite d'enquêtes, sont conférés au commissaire à l'article 36 de la Loi. Le commissaire peut notamment assigner et contraindre des témoins à comparaître devant lui, à déposer verbalement ou par écrit sous la foi du serment et à produire les pièces qu'il juge indispensables pour instruire et examiner à fond les plaintes dont il est saisi, de la même façon et dans la même mesure qu'une cour supérieure d'archives (alinéa 36(1)a)). Il peut recevoir des éléments de preuve ou des renseignements qu'il estime indiqués, indépendamment de leur admissibilité devant les tribunaux (alinéa 36(1)c)). Il peut pénétrer dans les locaux occupés par une institution fédérale, et examiner ou se faire remettre des copies ou des extraits des livres ou autres documents trouvés dans les locaux (alinéas 36(1)d) et f)).
[30]Nonobstant toute autre loi fédérale et toute immunité reconnue par le droit de la preuve, le commissaire a, pour les enquêtes qu'il mène, accès à tous les documents qui relèvent d'une institution fédérale et auxquels la Loi s'applique; «aucun de ces documents ne peut, pour quelque motif que ce soit, lui être refusé» (paragraphe 36(2)). Le paragraphe 36(5) prévoit que les pièces produites en vertu de cette disposition sont renvoyées par le commissaire dans les 10 jours suivant la requête présentée à cette fin, mais que rien n'empêche le commissaire d'en réclamer une nouvelle production. Le commissaire doit mener une enquête secrète (paragraphe 35(1)). Sauf dans le cas de poursuites et de procédures judiciaires engagées en vertu de la Loi, les dépositions faites au cours de procédures prévues par la Loi ou le fait de l'existence de ces procédures ne sont pas admissibles contre le déposant devant les tribunaux ni dans aucune autre procédure (paragraphe 36(3) [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 27, art. 187, ann. V, no 1]).
[31]Une fois l'enquête terminée, le commissaire, s'il conclut au bien-fondé de la plainte, adresse un rapport au responsable de l'institution fédérale de qui relève le document. Le rapport renferme les conclusions de l'enquête ainsi que les recommandations que le commissaire juge indiquées. Le commissaire peut également demander qu'on lui donne avis, dans un délai déterminé, des mesures prises ou envisagées pour la mise en oeuvre de ses recommandations. Par ailleurs, il peut demander à être informé des motifs invoqués pour ne pas y donner suite. Le commissaire rend en outre compte au plaignant. Il mentionne également dans son compte rendu au plaignant le fait que l'institution fédérale ne lui a pas répondu dans le délai imparti, ou que les mesures indiquées par l'institution fédérale sont, selon lui, insuffisantes. «Il peut en outre y inclure tous commentaires qu'il estime utiles.» Le commissaire informe également le plaignant de l'existence d'un droit de recours en révision devant la Cour (article 37).
[32]Le commissaire ne peut pas ordonner la communication d'un document. Il est uniquement autorisé à faire des recommandations à l'institution fédérale concernée.
v) Rapports au Parlement
[33]Le commissaire est tenu de présenter chaque année au Parlement le rapport des activités du commissariat (article 38). De plus, il peut, à toute époque de l'année, présenter au Parlement un rapport spécial «sur toute question relevant de ses pouvoirs et fonctions» et dont l'urgence ou l'importance sont telles, selon lui, qu'il serait contre-indiqué d'en différer le compte rendu (paragraphe 39(1)).
[34]Une obligation parallèle est énoncée à l'article 72 de la Loi: à la fin de chaque exercice, chacun des responsables d'une institution fédérale présente au Parlement le rapport d'application de la Loi en ce qui concerne son institution.
[35]L'article 75 de la Loi prévoit que le Parlement désigne un comité, soit de la Chambre des communes, soit du Sénat, soit mixte, chargé spécialement de l'examen permanent de l'application de la Loi.
vi) Révision par la Cour fédérale
[36]L'article 41 de la Loi permet à la personne qui s'est vu refuser communication et qui a déposé une plainte à ce sujet devant le commissaire d'exercer un recours en révision de la décision de refus devant la Cour. Pareille demande doit être faite dans les 45 jours qui suivent la date à laquelle le commissaire a fait rapport au plaignant et constitue un autre examen indépendant d'une décision de l'administration se rapportant à la question de savoir si les renseignements de l'administration doivent être communiqués.
[37]Le commissaire a qualité pour exercer lui-même le recours avec le consentement de la personne qui a demandé le document. Il peut également comparaître devant la Cour au nom de la personne qui a exercé un recours et comparaître, avec l'autorisation de la Cour, comme partie à une instance (article 42).
[38]Dans le cadre de pareil recours, la Cour a accès aux documents, de la même façon que le commissaire dans le cadre de son enquête (article 46).
vii) Les dispositions relatives à la confidentialité
[39]Le commissaire et les personnes agissant en son nom qui reçoivent ou recueillent des renseignements dans le cadre des enquêtes sont tenus, quant à ces renseignements, de satisfaire aux normes en matière de sécurité et de prêter les serments imposés à leurs usagers habituels (article 61). Le commissaire et les personnes agissant en son nom sont tenus au secret en ce qui concerne les renseignements dont ils prennent connaissance dans l'exercice de leurs fonctions (article 62) et ils ne peuvent divulguer et prennent toutes les précautions pour éviter que ne soient divulgués des renseignements qui justifient un refus de communication ou des renseignements faisant état de l'existence d'un document lorsque le responsable d'une institution fédérale n'a pas indiqué s'il existait ou non (article 64). En ce qui concerne les questions venues à leur connaissance dans l'exercice des pouvoirs et fonctions qui leur sont conférés en vertu de la Loi, le commissaire et les personnes qui agissent en son nom n'ont qualité pour témoigner ou ne peuvent y être contraints que dans les procédures intentées pour infraction à la Loi ou pour parjure, ou lors d'un recours en révision prévu par la Loi devant la Cour ou lors de l'appel de la décision rendue par celle-ci (article 65 [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.) ch. 27, art. 187, ann. V, no 1]). Bien sûr, la communication est permise afin de mener une enquête prévue par la Loi et afin de motiver les conclusions et recommandations contenues dans les rapports et comptes rendus prévus par la Loi (article 63 [mod., idem]).
viii) Documents non visés par la Loi
[40]La Loi ne s'applique pas à certains documents. L'article 68 [mod. par L.C. 1990, ch. 3, art. 32] prévoit que la Loi ne s'applique pas à certains documents décrits qui relèvent du domaine public. La Loi ne s'applique pas non plus aux documents confidentiels du Conseil privé de la Reine pour le Canada (tels qu'ils sont définis), sauf aux documents confidentiels dont l'existence remonte à plus de 20 ans ou à certains documents de travail expressément décrits (article 69 [mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 144, ann.VII, no 3]). Enfin, la Loi ne s'applique pas aux renseignements qui font l'objet d'un certificat délivré en vertu de l'article 38.13 [édicté par L.C. 2001, ch. 41, art. 43] de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5 (article 69.1 [édicté par L.C. 2001, ch. 41, art. 87]). L'article 38.13 de la Loi sur la preuve au Canada se rapporte à la protection des renseignements obtenus à titre confidentiel d'une entité étrangère ou qui concernent une telle entité et à la protection de la défense ou de la sécurité nationales.
ix) Le Règlement d'application de la Loi
[41]Le Règlement a été pris conformément à l'article 77 de la Loi. L'article 3 du Règlement sur l'accès à l'information, DORS/83-507, prévoit qu'aux fins du paragraphe 4(3) de la Loi (qui s'applique à la communication d'un document issu d'un document informatisé), la préparation d'un document qui n'existe pas comme tel mais qui peut être produit à partir d'un document informatisé n'est pas obligatoire lorsque cette préparation entraverait de façon sérieuse le fonctionnement de l'institution concernée. Cela indique une préoccupation appropriée: la Loi ne doit pas nuire au fonctionnement du gouvernement.
x) Résumé
[42]En somme, la Loi enchâsse un droit d'accès aux renseignements de l'administration fédérale, les exceptions à ce droit général étant précises et limitées. La Loi doit être interprétée de façon à conférer un droit d'accès réel. Un aspect fondamental de la structure de la Loi est que l'administration fédérale elle-même ne doit pas déterminer si un renseignement est protégé contre la communication. Un mécanisme d'examen indépendant est prévu; l'enquête menée par le commissaire constitue la première étape de ce processus. Toutefois, le commissaire n'est jamais le décideur. À première vue, le commissaire donne des conseils au responsable du ministère qui prend la décision initiale relative à la communication. En fin de compte, en cas de désaccord, il s'agit d'une question qu'il incombe à la Cour de trancher.
Note de l'arrêtiste (remplace les paragraphes 43 à 120):
Les paragraphes 43 à 120 traitent du contrôle des demandes de documents. Dans le dossier T-1640-00, les demandeurs cherchaient à obtenir un jugement déclaratoire portant que les docume nts qui étaient des copies de l'agenda du Premier ministre pour les exercices ou pour les années civiles 1994 jusqu'au 25 juin 1999, et qui relevaient du cabinet du Premier ministre (CPM) n'étaient pas des documents relevant du Bureau du Conseil privé (BCP ) au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'accès à l'information. Dans le dossier T-1641-00, les demandeurs cherchaient à obtenir un jugement déclaratoire portant que les notes personnelles qu'ils avaient consignées dans leurs cahiers de notes au sujet d e choses qui avaient été dites au cours des réunions de gestion M5 tenues en 1999 n'étaient pas des documents relevant du ministère de la Défense nationale au sens du paragraphe 2(1) de la Loi. Dans le dossier T-606-01, les demandeurs cherchaient à obtenir un jugement déclaratoire portant que les documents se rapportant aux demandes concernant M. Black relevaient du CPM et n'étaient pas des documents relevant du BCP au sens du paragraphe 2(1) de la Loi.
Les demandeurs ont soutenu que le CPM et le cabinet d'un ministre sont séparés et distincts du BCP ou du ministère dont le ministre est responsable. La position du commissaire était que la Cour devait exercer son pouvoir discrétionnaire et rejeter les demandes pour le motif qu'elles étaient prématurées, inutiles et inappropriées. Le commissaire a soutenu que c'est lui qui devait initialement trancher la question du contrôle une fois les enquêtes terminées. Puisque les enquêtes dans les dossiers T-1640-00 et T-1641-00 étaient en cours, dans le b ut de ne pas compromettre son rôle à titre de juge des faits neutre, le commissaire n'a pas pris position pour ce qui est de la question du contrôle.
Vu l'ordonnance du juge McKeown autorisant le commissaire à être désigné à titre de défendeur dans les do ssiers T-1640-00 et T-1641-00, celui-ci ne pouvait maintenant affirmer qu'il ne convenait pas qu'il soit désigné à titre de défendeur dans ces deux demandes. La demande dans le dossier T-606-01 n'avait plus qu'un intérêt théorique. Puisque la question du c ontrôle se posait encore dans les deux autres dossiers, il n'était pas nécessaire que la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire de procéder à l'examen de la question du contrôle soulevée dans le dossier T-606-01. Il convenait de désigner le commissaire à titre de défendeur dans ce dossier.
La principale question en litige était de savoir si la Cour devait exercer son pouvoir discrétionnaire d'accorder les jugements déclaratoires demandés. Les tribunaux exercent en général leur pouvoir discrétionnaire de r efuser d'accorder un jugement déclaratoire lorsqu'il existe une autre mesure de redressement adéquate, lorsque la demande n'est pas prête à être réglée ou lorsque le jugement déclaratoire demandé vise à régler un litige dont la naissance dépend d'un événem ent futur qui peut ne pas avoir lieu. Premièrement, il a été décidé que la question du contrôle des documents n'était pas une pure question de droit, mais plutôt une question mixte de fait et de droit. Pour trancher la question de savoir si la Cour devait exercer son pouvoir discrétionnaire de refuser d'accorder les jugements déclaratoires demandés parce qu'ils étaient prématurés, inutiles et inappropriés, il fallait tenir compte de certains facteurs. 1) Le régime législatif. L'enquête que le commissaire es t tenu de mener est la pierre angulaire du régime d'accès à l'information. La Cour ne doit effectuer son examen indépendant qu'une fois l'enquête du commissaire terminée et après que le responsable de l'institution fédérale concernée et le plaignant ont bénéficié de ladite enquête. 2) Le caractère adéquat du régime législatif. Le recours au régime législatif assure une mesure de redressement adéquate aux demandeurs parce que, si le commissaire, après la fin de son enquête, recommande la communication des do cuments en cause, le refus de communication peut être examiné par la Cour. Si on laisse l'enquête du commissaire se poursuivre, une mesure de redressement adéquate sera assurée aux demandeurs. Aucun préjudice ne sera subi par suite du délai qu'occasionnera le rejet des présentes demandes. 3) Le contrôle en tant que question relevant de la compétence du commissaire. Le régime de la Loi est suffisamment exhaustif pour que le commissaire soit autorisé à décider initialement si les documents relèvent d'une inst itution fédérale. Le bien-fondé de cette décision peut ensuite faire l'objet d'un examen devant la Cour dans une procédure engagée conformément aux articles 41, 42 ou 44 de la Loi. En général, il est préférable de laisser un tribunal décider initialement s i une question relève de sa compétence. 4) L'état du dossier relatif à la preuve. Toute nécessité de régler les questions factuelles ou toute incertitude relative à la question de savoir si le dossier requis est complet militera fortement contre l'octroi d'un jugement déclaratoire. Il se peut bien qu'une décision portant sur la question de savoir si un document relève d'une institution fédérale doive être prise sur une base individuelle compte tenu d'un certain nombre de facteurs, y compris le contenu du do cument. Les demandeurs n'ont pas produit en preuve les documents en question sur une base confidentielle et l'absence de tels documents était préoccupante. Puisque la question du contrôle n'est pas une pure question de droit, mais plutôt une question mixte de fait et de droit, la preuve considérée dans son ensemble est telle qu'il serait peu prudent de rendre les jugements déclaratoires demandés en se fondant sur la preuve dont dispose la Cour. 5) Le préjudice causé aux demandeurs en cas de refus d'accorder les jugements déclaratoires maintenant. Compte tenu des scénarios possibles, les demandeurs ne subiraient pas de préjudice si les demandes étaient rejetées pour le motif qu'elles sont prématurées. Le contrôle judiciaire pourrait encore être exercé si les demandeurs d'accès ou le commissaire contestaient le bien-fondé du refus de communication. En outre, la Cour d'appel fédérale a déjà décidé, dans le cadre de l'appel interlocutoire interjeté en l'espèce (Canada (Procureur général) c. Canada (Commissaire à l'information)), qu'il n'y aurait pas de préjudice irréparable si le commissaire poursuivait son enquête en exécutant un subpoena duces tecum . Les demandes sont donc prématurées, elles ne sont pas prêtes à être présentées et elles doivent être rejetées pou r ce motif.
iv) Conclusion relative au groupe A
[121]L'analyse qui précède m'amène aux conclusions suivantes:
i) Le Parlement et la Cour ont reconnu que l'enquête du commissaire et un examen indépendant sont importants lorsque les droits d'accès sont en cause. La Cour a compétence pour accorder la réparation demandée, mais elle devrait faire preuve de prudence parce que, ce faisant, elle privera les demandeurs et les plaignants et elle se privera elle-même de l'avantage qu'offrent l'enquête et le rapport du commissaire;
ii) L'application du régime prévu par la loi permettra d'accorder une mesure de redressement adéquate aux demandeurs;
iii) La question du contrôle peut être considérée comme une question préliminaire de compétence. La Cour a généralement statué qu'il est préférable que le tribunal concerné, soit le commissaire dans ce cas-ci, règle initialement pareilles questions;
iv) Un problème réel s'est posé, à savoir si la preuve dont dispose la Cour est complète. S'il était mis fin à l'enquête du commissaire et si la présente Cour était ensuite saisie de l'affaire à la suite d'une demande présentée conformément à l'article 41 ou à l'article 42 de la Loi, la Cour bénéficierait de la capacité du commissaire de divulguer les renseignements nécessaires pour motiver les conclusions et recommandations contenues dans le rapport de celui-ci comme le permet le sous-alinéa 63(1)a)(ii) de la Loi; et
v) La preuve ne permet pas de conclure que les demandeurs subiront un préjudice si les demandes sont rejetées pour le motif qu'elles sont prématurées.
[122]Par conséquent, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire que possède la Cour, je conclus que ces demandes sont prématurées, qu'elles ne sont pas prêtes à être présentées et qu'elles devraient être rejetées pour ce motif.
[123]Étant donné que les jugements déclaratoires sont refusés pour le motif qu'ils sont prématurés, il s'ensuit que les enquêtes du commissaire se poursuivront probablement. Dans ces conditions, la Cour devrait s'abstenir de faire des remarques au sujet du bien-fondé de la question du contrôle.
[124]Par conséquent, une ordonnance sera rendue en vue de confirmer qu'il convient de désigner le commissaire à titre de défendeur dans les dossiers T-1640-00, T-1641-00 et T-601-01. En vertu de l'ordonnance, la demande présentée dans le dossier T-606-01 sera rejetée pour le motif qu'elle n'a plus qu'un intérêt théorique et les autres demandes de ce groupe seront rejetées pour le motif qu'elles sont prématurées et qu'elles ne sont pas prêtes à être présentées.
6. GROUPE B: DEMANDES RELATIVES À UNE «ORDONNANCE DE CONFIDENTIALITÉ» |
i) Autres faits pertinents |
[125]En enquêtant sur les cinq plaintes (les quatre plaintes déposées auprès du commissaire et la plainte dont le commissaire a pris l'initiative à l'égard de la demande M5 du 22 septembre), le représentant du commissaire a fait en sorte que des subpoenas duces tecum soient délivrés aux personnes qui sont les demandeurs dans la présente instance. En ordre chronologique, voici les subpoenas duces tecum qui ont été délivrés:
a) Un subpoena en date du 11 août 2000 adressé à M. Bruce Hartley, adjoint-exécutif du premier ministre, à l'égard des demandes relatives à l'agenda du premier ministre;
b) Des subpoenas en date du 11 août 2000 respectivement adressés à M. Emechete Onuoha, qui était alors adjoint-exécutif du ministre de la Défense nationale, à Mme Meribeth Morris, qui était alors directrice des opérations auprès du ministre de la Défense nationale; et à M. Randy Mylyk, qui était alors directeur des communications auprès du ministre de la Défense nationale, ces subpoenas se rapportant tous à la demande relative aux documents M5 du 12 novembre;
c) Un subpoena en date du 8 mars 2001 adressé à M. Jean Pelletier, qui était alors chef du cabinet du premier ministre, à l'égard des demandes de documents concernant M. Black;
d) Un subpoena en date du 6 avril 2001 adressé à l'honorable Art Eggleton, qui était alors ministre de la Défense nationale, au sujet de la demande de documents M5 du 12 novembre;
e) Un subpoena en date du 23 avril 2001 adressé à Mme Sue Ronald, qui était alors adjointe-exécutive du ministre des Transports, au sujet de la demande relative à l'agenda du ministre des Transports;
f) Un subpoena en date du 17 mai 2001 adressé à M. Mel Cappe, qui était alors greffier du Conseil privé de la Reine pour le Canada et secrétaire du cabinet, au sujet des demandes relatives à l'agenda du Premier ministre;
g) Un deuxième subpoena, en date du 9 août 2001, adressé à M. Eggleton au sujet des demandes de documents M5 du 22 septembre et du 12 novembre.
[126]Tous les demandeurs sont représentés par les mêmes avocats: Mes David Scott, Peter Doody, Lawrence Elliot et Guy Pratte, du cabinet Borden Ladner Gervais LLP Ces avocats représentaient les demandeurs individuels devant le représentant du commissaire lorsque ces derniers ont témoigné à la suite de la signification des subpoenas duces tecum. En même temps, le cabinet Borden Ladner Gervais LLP représentait et continue à représenter le gouvernement du Canada, le procureur général et le Premier ministre.
[127]Chacun des dix demandeurs était assujetti à une ordonnance de confidentialité rendue par le représentant du commissaire au début de l'interrogatoire. En ce qui concerne les conditions y afférentes, chaque ordonnance de confidentialité:
a) enjoignait à chaque demandeur de ne pas révéler «les renseignements divulgués au cours du témoignage confidentiel présenté dans l'affaire, y compris la preuve soumise»;
b) autorisait chaque demandeur à communiquer à Mes Scott, Doody, Elliot et (par la suite) Pratte les renseignements divulgués au cours de ce témoignage; et
c) enjoignait à chaque demandeur de reconnaître que l'ordonnance de confidentialité s'appliquait jusqu'à ce que le commissaire le libère des conditions de l'ordonnance.
[128]Certains des demandeurs ont demandé à être autorisés à communiquer à des personnes précises les renseignements divulgués pendant leur témoignage.
[129]M. Pelletier a demandé à être autorisé à communiquer au premier ministre les renseignements divulgués pendant son témoignage. L'avocat de M. Pelletier a informé le représentant du commissaire que, si son client était autorisé à communiquer ces renseignements, le Premier ministre serait prêt à signer un engagement visant à assurer la confidentialité, à condition de pouvoir communiquer les renseignements confidentiels aux membres de son cabinet. L'ordonnance de confidentialité rendue à l'égard de M. Pelletier prévoyait que celui-ci pouvait divulguer les renseigne-ments confidentiels au Premier ministre, mais uniquement si le Premier ministre s'engageait à ne pas divulguer ces renseignements à qui que ce soit, y compris aux membres de son cabinet. Or, le Premier ministre n'était pas prêt à signer un tel engagement.
[130]L'avocat de M. Cappe a demandé que l'ordonnance de confidentialité à laquelle son client était assujetti soit modifiée afin de permettre à celui-ci de communiquer les renseignements au Premier ministre. Le représentant du commissaire a refusé la demande.
[131]L'ordonnance de confidentialité adressée à l'honorable Art Eggleton permettait à celui-ci de divulguer les renseignements confidentiels au Premier ministre, à condition que ce dernier s'engage à ne pas révéler ces renseignements à qui que ce soit. Le Premier ministre n'a pas signé un tel engagement.
[132]L'avocat de M. Cappe a demandé que l'ordonnance de confidentialité le touchant soit modifiée en vue de permettre que les renseignements divulgués pendant le témoignage de son client soient partagés avec un autre avocat du cabinet Borden Ladner Gervais LLP qui le secondait dans l'affaire. Le représentant du commissaire a refusé cette demande.
[133]L'avocat de l'honorable Art Eggleton, de M. Onuoha, de Mme Morris et de M. Mylyk a demandé que ces quatre témoins, qui avaient tous témoigné, soient autorisés à communiquer l'un avec l'autre et avec le procureur général du Canada. Le représentant du commissaire a refusé cette demande.
[134]Une autre demande a été faite, comme il en est fait état à la page 32 de la transcription des procédures confidentielles qui ont eu lieu devant le représentant du commissaire, laquelle a été versée au dossier T-582-01; cette demande a été refusée.
[135]Quant à l'effet des ordonnances de confidentialité, l'avocat du commissaire, au cours de l'argumentation orale, a dit que les ordonnances empêchaient un témoin de rendre compte de ce qui s'était passé lors d'une audience tenue à huis clos. Le libellé employé (qui interdisait de révéler «tous les renseignements divulgués au cours du témoignage confidentiel [du témoin], y compris la preuve [du témoin]») interdirait à mon avis la divulgation des questions posées, des réponses données, de la nature et du contenu des pièces montrées au témoin, et pourrait bien interdire la divulgation des objections soulevées à l'égard des questions posées et des décisions rendues en réponse aux objections. Un énoncé pertinent du champ d'application envisagé de l'ordonnance de confidentialité a été fait par le représentant du commissaire à la page 243 de l'interrogatoire confidentiel de M. Cappe qui a eu lieu le 21 juin 2001.
[136]M. Cappe a déclaré ce qui suit dans un affidavit déposé dans le dossier public dans la présente instance:
[traduction]
29. Au moment où j'ai comparu devant le représentant du commissaire à l'information à la suite de la signification du subpoena, le gouvernement se demandait s'il devait présenter au Parlement des modifications à la Loi sur l'accès à l'information. Tant que l'ordonnance de confidentialité n'a pas été rendue, le Premier ministre et moi-même avions fréquemment discuté des questions qui se posaient en vertu de la Loi sur l'accès à l'information, tant pour ce qui est de la politique relative à la loi que pour l'application de la loi. Ces discussions, auxquelles assistait parfois M. Jean Pelletier, qui était alors chef du cabinet du premier ministre, étaient franches et honnêtes.
30. J'aurais aimé pouvoir informer le Premier ministre des modalités et de la substance des procédures qui avaient lieu devant M. Leadbeater. Cela était pertinent, en ce qui concerne la question politique de savoir si des modifications devaient être apportées à la Loi. Après que l'ordonnance de confidentialité eut été rendue et que M. Pelletier eut été assujetti à une ordonnance de confidentialité similaire à l'égard de son propre témoignage, il a fallu que nous nous montrions plus prudents dans nos discussions.
[137]Lorsqu'il a été contre-interrogé au sujet de son affidavit, M. Cappe a témoigné que l'ordonnance de confidentialité l'empêchait de discuter du langage corporel de la personne qui l'interrogeait et de son ton de voix. M. Cappe a dit que le fait de commencer à parler de quoi que ce soit, qu'il s'agisse de décrire la disposition des sièges, la distance le séparant de l'enquêteur, l'endroit où se tenaient les avocats et la question de savoir si son avocat était autorisé à prendre la parole, serait commencer à divulguer des renseignements qui avaient été divulgués pendant son témoignage. M. Cappe était d'avis que l'ordonnance l'empêchait de discuter ou de faire mention de l'expérience à laquelle il avait fait face et limitait sa capacité de traiter des questions qui s'étaient posées pendant son témoignage. M. Cappe était d'avis que, s'il se lançait dans une discussion de certaines questions relatives à l'application de la Loi, il s'engageait dans une conversation au sujet de questions dont il n'était pas au courant avant de témoigner devant le représentant du commissaire.
[138]Les motifs que le représentant du commissaire a énoncés à l'appui des ordonnances de confidentialité sont les suivants:
a) Le commissaire a une obligation imposée par la loi d'assurer le caractère secret de ses enquêtes;
b) Le commissaire est tenu de protéger l'intégrité de ses enquêtes en encourageant les témoins à être francs. Afin d'encourager la franchise, le commissaire doit fournir un environnement qui assure le secret, de façon à empêcher que la preuve soit entachée d'un vice, consciemment ou non;
c) Les enquêtes continues du commissaire seraient compromises si les témoins étaient autorisés à communiquer à d'autres personnes, et notamment aux personnes qui pourraient être appelées à déposer dans les mêmes enquêtes, les questions posées et les réponses données au cours de l'enquête secrète menée par le commissaire,
d) Le commissaire doit songer aux effets possibles des rapports hiérarchiques des témoins. L'intégrité des enquêtes du commissaire pourrait être compromise si les témoins étaient représentés par des avocats qui représentent en même temps leurs supérieurs et leur employeur. Les employés de la Couronne peuvent se sentir embarrassés, réticents, intimidés ou assujettis à une entrave lorsqu'un représentant de leur employeur est présent pour entendre leur déposition. Ils peuvent craindre les critiques et les représailles, en particulier si leur avocat représente également la Couronne.
[139]En rendant les ordonnances de confidentialité, le représentant du commissaire a également ordonné à l'avocat du demandeur de s'engager à ne pas révéler à d'autres personnes qu'il représente également les renseignements divulgués pendant le témoignage de son client.
[140]Lors de l'enquête relative aux demandes de documents concernant M. Black, soit la seule enquête qui est terminée, M. Pelletier n'a pas expressément demandé au commissaire d'être libéré de son engagement ou d'annuler l'ordonnance de confiden-tialité. Toutefois, il a contesté la validité de l'ordonnance dans l'une des demandes faisant partie du groupe B.
ii) Les questions à trancher |
[141]Les avocats conviennent que les questions ci-après énoncées sont soulevées dans les demandes du groupe B:
i) Le représentant du commissaire a-t-il compétence en vertu de la Loi pour rendre les ordonnances de confidentialité?
ii) Dans l'affirmative, les ordonnances de confidentialité portent-elles atteinte à la liberté d'expression garantie à chaque demandeur individuel à l'alinéa 2b) de la Charte?
iii) Dans l'affirmative, les ordonnances de confidentialité constituaient-elles, selon une règle de droit, une limite raisonnable nécessaire dans le cadre d'une société libre et démocratique, de façon à être valides conformément aux dispositions de l'article premier de la Charte?
Le commissaire consent à être désigné à titre de défendeur dans ces demandes et une ordonnance sera rendue en ce sens.
iii) Analyse |
[142]Le commissaire soutient que les ordonnances de confidentialité constituaient «un outil procédural restreint» utilisé afin de «bien faire comprendre au témoin» les obligations que lui imposait l'article 35 de la Loi. Je commencerai donc l'analyse en me demandant si, de toute façon, les témoins ont envers le commissaire ou son représentant l'obligation d'assurer la confidentialité de la procédure.
a) La nature et l'étendue de l'obligation de confidentialité prévue par la loi lorsqu'un témoin dépose devant le commissaire |
[143]Le commissaire se fonde sur l'exigence prévue au paragraphe 35(1) de la Loi, selon laquelle les enquêtes qu'il mène «sont secrètes», afin de soutenir que les témoins et leurs avocats sont obligés d'assurer la confidentialité des procédures. Il affirme que pareille interprétation de ce terme (secrètes) assure deux objectifs importants visés par la loi. En premier lieu, cette interprétation viserait censément à assurer la confidentialité des renseignements de l'administration. Il est affirmé que cet objectif est mieux atteint si l'on interprète le mot «secrètes» comme exigeant à la fois l'exclusion du public et l'imposition d'une obligation d'assurer pour toujours la confidentialité des renseignements obtenus par un témoin ou par son avocat au cours d'une enquête. En second lieu, il est affirmé que cette interprétation favorise la recherche de la vérité à laquelle visent les enquêtes du commissaire. Il est soutenu qu'il en est ainsi parce que cette obligation de confidentialité garantit que le témoignage d'une personne n'est pas vicié du fait que celle-ci connaît la preuve présentée par un autre témoin. On affirme également que l'obligation de confidentialité encourage la franchise en assurant qu'une personne puisse témoigner sans craindre des représailles. Le commissaire fait remarquer que dans l'arrêt Rubin c. Canada (Greffier du Conseil privé), [1994] 2 C.F. 707 (C.A.); confirmé [1996] 1 R.C.S. 6, la Cour d'appel fédérale a reconnu l'importance de la confidentialité du processus d'enquête prévu par la Loi en statuant que les observations qui sont présentées au sujet d'une demande de communication doivent être tenues confidentielles en permanence.
[144]Le commissaire se fonde également sur la décision rendue par ma collègue la juge Simpson dans la décision Ruby c. Canada (Solliciteur général), [1996] 3 C.F. 134 (1re inst.); confirmée [2000] 3 C.F. 589 (C.A.); infirmée en partie [2002] 4 R.C.S. 3. Au paragraphe 43 de ses motifs, la juge Simpson a noté que, dans le contexte de l'affaire dont elle était saisie, «les participants à la procédure à huis clos ne doivent jamais en discuter avec quiconque n'y assistait pas».
[145]L'avocat fait savoir que c'était la première fois que la Cour a été obligée de se demander quelles obligations sont, le cas échéant, imposées à la personne qui témoigne devant le commissaire compte tenu de l'exigence voulant que les enquêtes du commissaire soient «secrètes». Pour savoir ce que l'on entend par ce mot, il faut tenir compte de son sens grammatical ordinaire ainsi que du régime et de l'objet de la Loi, comme l'a dit la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Chieu, précité.
[146]Quant au sens des mots employés, il a été statué, dans un contexte différent, que l'exigence imposée par la Fatality Inquiries Act, R.S.A. 1980, ch. F-6, à savoir que les procédures se rapportant à certains éléments de preuve médicale [traduction] «sont secrètes» exige que la preuve soit reçue [traduction] «à huis clos». Voir: Edmonton Journal v. Alberta (Attorney General) (1983), 49 A.R. 371 (B.R.); confirmé (1984), 13 D.L.R. (4th) 479 (C.A. Alb.); autorisation de pourvoi refusée. Le juge des requêtes a statué, dans cette affaire-là, que les expressions [traduction] «secrètes» et [traduction] «à huis clos» avaient le même sens.
[147]Quant à l'étendue de l'obligation relative au secret imposée à la personne qui participe à une audience à huis clos, la Cour suprême du Canada, dans l'arrêt C.B. c. La Reine, [1981] 2 R.C.S. 480, a eu à se demander ce que le législateur voulait dire, lorsqu'il avait énoncé, dans la Loi sur les jeunes délinquants, S.R.C. 1970, ch. J-3, l'exigence voulant que «le procès des enfants [ait] lieu sans publicité». La Cour suprême a conclu que, selon une interprétation contextuelle de la législation, l'expression «sans publicité» voulait dire «in camera». À la page 493, la Cour a ajouté que, même si l'audience avait lieu à huis clos, les membres des médias avaient la faculté de demander des renseignements aux témoins et aux enquêteurs et qu' «ils peuvent prendre connaissance et rendre compte de toutes les autres sources de renseignements qui se rapportent aux événements et circonstances du délit, à condition de ne pas publier les noms, ni aucun détail qui révélerait l'identité de l'enfant ou de ses parents». Il s'ensuit que, dans ce contexte, la Cour suprême était d'avis qu'un témoin ou un participant, dans une audience à huis clos, n'était pas obligé de garder le secret au sujet de son témoignage ou de ce qui s'était passé à l'audience.
[148]Ces décisions montrent clairement que ce que l'on entend, dans un cas particulier, par les mots «secrètes» ou «à huis clos» dépend du contexte dans lequel l'expression en question est employée.
[149]Sur ce point, je déduis du régime et de l'objet de la Loi que le commissaire doit avoir accès aux documents relevant d'une institution fédérale. En échange d'un droit d'accès relativement peu restreint, on impose au commissaire une stricte confidentialité. Le commissaire ne peut donc pas révéler une question portée à sa connaissance, sauf dans certaines circonstances restreintes, et il n'a pas qualité pour témoigner ou ne peut pas y être contraint à l'égard de ce qu'il apprend dans l'exercice de ses fonctions (sauf dans les procédures intentées pour infraction à la Loi ou pour parjure se rapportant à une déclaration faite en vertu de la Loi). La Loi n'impose pas expressément d'exigences en matière de confidentialité à des personnes autres que le commissaire et son personnel, probablement parce que les personnes au sein de l'administration qui ont accès à des renseignements confidentiels sont assujetties à un régime existant en ce qui concerne des renseignements confidentiels (comme le serment professionnel exigé en vertu de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-33, les obligations fiduciaires ou contractuelles et des lois telles que la Loi sur la protection de l'information, L.R.C. (1985), ch. O-5).
[150]Autrement dit, le régime de confidentialité exigé par la Loi est un régime qui assure que les renseignements communiqués au commissaire continuent à être protégés de la même façon que s'ils n'étaient pas divulgués au commissaire. Conformément à ce régime, les exigences en matière de confidentialité sont uniquement imposées au commissaire.
[151]Je crois que le législateur a manifesté cette intention à l'article 62 de la Loi: «Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, le commissaire à l'information et les personnes agissant en son nom ou sous son autorité sont tenus au secret en ce qui concerne les renseignements dont ils prennent connaissance dans l'exercice des pouvoirs et fonctions que leur confère la présente loi» (non souligné dans l'original). L'obligation de confidentialité vise uniquement le commissaire et ses représentants. Le législateur aurait expressément pu édicter une disposition applicable aux témoins en matière de confidentialité, mais il ne l'a pas fait.
[152]Cette interprétation est dans une certaine mesure étayée par la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Lavigne c. Canada (Commissariat aux langues officielles), précitée. Dans cette affaire, le commissaire aux langues officielles avait mené une enquête sur une plainte déposée par M. Lavigne, qui affirmait que les droits qui lui étaient reconnus par la Loi sur les langues officielles [L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 31] avaient été violés. Dans le cadre de son enquête, le commissaire aux langues officielles avait interrogé un certain nombre de témoins. M. Lavigne avait ensuite demandé la divulgation des déclarations de ces témoins en présentant une demande en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Si la personne interrogée consentait à la divulgation de sa déclaration, cette déclaration était divulguée à M. Lavigne. Toutefois, en l'absence de pareil consentement, le commissaire aux langues officielles avait refusé de divulguer les déclarations à M. Lavigne. Je conclus que cet arrêt est dans une certaine mesure utile parce que les dispositions législatives régissant le commissaire aux langues officielles sont fondamentalement identiques à celles qui régissent le commissaire ici en cause. En particulier, la loi prévoit que les enquêtes «sont secrètes» et elle renferme, à l'égard de la confidentialité, les mêmes dispositions que celles qui figurent aux articles 62, 63 et 65 de la Loi. Dans les motifs qu'elle a prononcés, la Cour suprême du Canada ne donne pas à entendre que l'exigence imposée par la loi, à savoir que les enquêtes doivent être «secrètes», empêchait les témoins de consentir à la divulgation de leurs déclarations ou imposait par ailleurs des obligations en matière de confidentialité à qui que ce soit à part le commissaire aux langues officielles. C'était l'absence de pareille exigence en matière de confidentialité qui permettait aux personnes interrogées de consentir à la divulgation des déclarations qu'elles avaient faites lorsqu'elles avaient été interrogées.
[153]À mon avis, deux autres considérations militent en faveur de cette conclusion.
[154]En premier lieu, comme il en a ci-dessus été fait mention et comme le montrent des décisions telles que C.B. et Ruby, précitées, l'exigence voulant que les enquêtes soient «secrètes» ou qu'elles soient tenues «à huis clos» peut imposer des obligations diverses aux témoins. Pour les raisons qui sont ci-dessous énoncées dans le contexte de l'analyse de la question liée à la Charte, je conclus que tout régime général qui empêche une personne de communiquer pour toujours tous les renseignements se rapportant à son témoignage et à sa comparution devant le commissaire porterait atteinte à la liberté d'expression de cette personne, laquelle est garantie à l'alinéa 2b) de la Charte, et ce, d'une façon qui ne pourrait pas être justifiée en vertu de l'article premier. Dans l'arrêt Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038, à la page 1078, le juge Lamer (tel était alors son titre) a expliqué qu'une disposition législative susceptible de plus d'une interprétation ne doit pas être interprétée de façon à être incompatible avec la Charte2. Interpréter la disposition selon laquelle les procédures doivent être «secrètes» comme n'interdisant pas pour toujours aux participants d'une façon générale de discuter de leur preuve et de leur participation évite d'interpréter la disposition d'une façon qui est incompatible avec la Charte.
[155]La deuxième considération qui milite en faveur de l'interprétation des exigences de la Loi en matière de confidentialité comme liant le commissaire se rapporte à la façon dont le représentant du commissaire traite les obligations de confidentialité des témoins qui se présentent devant lui. Sur ce point, le commissaire et son représentant connaissent bien la Loi et son application à la conduite d'enquêtes et ont beaucoup d'expertise à cet égard. Je considère donc que leurs actions, telles qu'elles indiquent leur façon d'interpréter la Loi, tout en n'étant pas déterminantes, ont une certaine valeur et peuvent aider à interpréter la Loi en cas de doute sur le sens d'une disposition particulière. Voir: Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29, à la page 37.
[156]J'estime que la preuve ci-après énoncée relative à la façon dont le représentant du commissaire traite toute obligation de confidentialité est pertinente.
[157]Premièrement, les ordonnances de confiden-tialité ici en cause prévoient expressément qu'il peut y être mis fin sur ordre du commissaire. De fait, le représentant du commissaire a toujours pris la position selon laquelle il a compétence pour modifier l'obligation de confidentialité ou pour libérer en partie un témoin de cette obligation. Ainsi, le 23 avril 2001, le représentant du commissaire a rédigé ce qui suit:
[traduction] Compte tenu de la relation de loyauté et de confiance unique en son genre qui doit exister entre un premier ministre et son conseiller politique principal, j'estime qu'il convient d'exercer mon pouvoir discrétionnaire afin de permettre au témoin de communiquer au premier ministre les renseignements révélés dans le cadre de la procédure confidentielle. Toutefois, aucune preuve n'a été présentée à l'appui de la demande qui a été faite pour que le premier ministre soit autorisé à communiquer des renseignements confidentiels aux membres de son cabinet. Étant donné la nature de la procédure et les exigences de l'article 35, je considère que l'octroi de la demande ne serait pas compatible avec l'obligation qui m'incombe de protéger la confidentialité et l'intégrité de cette enquête.
Un deuxième exemple est que, le 19 juin 2001, le représentant du commissaire a refusé la demande de M. Cappe, qui voulait être autorisé à communiquer des renseignements confidentiels au Premier ministre. Le représentant du commissaire a fait remarquer qu'il était possible que le Premier ministre soit assigné pour témoigner et qu'il n'avait pas été démontré qu'il existait «une nécessité précise» que le Premier ministre soit au courant des renseignements confidentiels.
[158]Deuxièmement, les autres ordonnances de confidentialité dont les autres témoins ont fait l'objet dans le cadre des enquêtes ici en cause ne contenaient pas de dispositions similaires au sujet de la confidentialité. Le 4 août 2000, la sous-ministre des Transports a été interrogée dans le cadre de l'enquête sur la plainte découlant de la demande de communication de l'agenda du ministre des Transports. L'avocat de la sous-ministre, l'avocat général principal du ministère de la Justice, a déclaré dans un affidavit qui a été déposé dans l'une des demandes pendantes qu'aucune ordonnance n'avait été rendue en vue d'obliger la sous-ministre à assurer la confidentialité des renseignements révélés lorsqu'elle avait témoigné. Avant que la sous-ministre présente son témoignage, le représentant du commissaire avait rendu une ordonnance enjoignant à son avocat d'assurer la confidentialité de tout ce qui était révélé pendant le témoignage de la sous-ministre. L'avocat a été obligé de s'engager à ne pas utiliser les renseignements ou à ne pas permettre que ces renseignements soient révélés ou utilisés à quelque fin que ce soit [traduction] «sauf conformément à des instructions explicites» de la sous-ministre (ces mots ont été ajoutés à la main à l'ordonnance et ont été paraphés par le représentant du commissaire).
[159]Le 17 octobre 2000, le même avocat a comparu devant le représentant du commissaire à titre d'avocat d'une sous-ministre adjointe au Bureau du Conseil privé qui était interrogée dans le cadre de l'enquête portant sur la plainte découlant des demandes relatives à l'agenda du premier ministre. Encore une fois, il semble qu'aucune ordonnance n'ait été rendue à l'égard de la sous-ministre adjointe, mais il a été ordonné à son avocat de ne pas utiliser ou révéler les renseignements divulgués lors de l'interrogatoire de la sous-ministre adjointe [traduction] «sauf conformément à des instructions explicites [de la sous-ministre adjointe] et afin de protéger les intérêts» de la sous-ministre adjointe.
[160]Enfin, le 19 septembre 2002 (soit après que les ordonnances ici en cause aient été rendues), un sous-ministre adjoint associé au ministère des Travaux publics a été interrogé dans le cadre des enquêtes découlant de l'une des demandes de documents M5. Aucune ordonnance de confidentialité n'a été rendue à l'égard du sous-ministre adjoint associé, mais il a été ordonné à son avocat, Me Doody, de s'engager de ne pas utiliser ou révéler quoi que ce soit qui avait été divulgué pendant le témoignage de son client «sauf conformément aux instructions» de celui-ci.
[161]Je conclus que les actions du représentant du commissaire, telles qu'elles indiquent l'interprétation du paragraphe 35(1) de la Loi donnée par celui-ci, sont incompatibles avec une obligation imposée à un témoin par cette disposition de garder la confidentialité de ce qui se passe pendant une enquête. Le fait que le commissaire ou son représentant tentent de modifier une obligation prévue par la loi, ou de reconnaître dans un engagement qu'un témoin peut donner à son avocat des instructions l'autorisant à révéler ou à utiliser ces renseignements, est incompatible avec cette exigence de la loi.
[162]Avant de passer à autre chose, je dirai que j'ai minutieusement tenu compte de la façon dont la juge Simpson a décrit la nature de la procédure à huis clos en cause dans l'affaire Ruby, précitée. Dans cette affaire-là, les paragraphes 51(2) et (3) de la Loi sur la protection des renseignements personnels exigeaient que, lorsque la communication de renseignements personnels était refusée pour le motif qu'ils avaient été reçus à titre confidentiel d'un gouvernement étranger ou d'une entité similaire, ou pour le motif que cela porterait préjudice aux affaires internationales ou à la sécurité nationale, les recours exercés devant la Cour en résultant fassent l'objet d'une audition à huis clos et que le responsable de l'institution fédérale ait le droit de présenter des arguments en l'absence d'une autre partie. Il s'agit d'un contexte et d'un régime législatif entièrement différents de ceux qui existent dans ce cas-ci, et j'interprète les remarques de la juge Simpson comme étant expressément limitées au contexte législatif précis qui existait dans l'affaire dont elle était saisie.
[163]Puisque j'ai conclu que les ordonnances de confidentialité visent à imposer des obligations autres que celles qui sous-tendent l'article 35 de la Loi, de sorte qu'elles font plus que de «bien faire comprendre à un témoin» quelles sont ses obligations, j'examinerai maintenant la question de savoir si le représentant du commissaire a compétence en vertu de la Loi pour rendre les ordonnances en question.
b) Existait-il une compétence permettant de rendre les ordonnances de confidentialité? |
La norme de contrôle |
[164]L'avocat n'a pas présenté d'observations au sujet de la norme de contrôle à appliquer à la question de savoir si le commissaire est autorisé à rendre une ordonnance de confidentialité. Toutefois, dans l'arrêt Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, au paragraphe 21, la Cour suprême a de nouveau confirmé que chaque fois que la loi délègue un pouvoir à une instance administrative décisionnelle, le juge de révision doit tout d'abord commencer par déterminer la norme de contrôle applicable selon l'analyse pragmatique et fonctionnelle.
[165]Quant à l'application des quatre facteurs qui sous-tendent l'analyse pragmatique et fonctionnelle, le premier se rapporte à la présence ou à l'absence d'une clause privative ou d'un droit d'appel prévu par la loi. Or, la Loi ne renferme pas de clause privative ni de droit d'appel. Le silence est neutre et n'influe pas sur le degré de retenue dont il faut faire preuve envers le décideur (voir: Dr Q, précité, au paragraphe 27), mais dans l'arrêt Echo Bay Mines Ltd. c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2003 CAF 270; [2003] A.C.F. no 996 (QL), au paragraphe 17, la Cour d'appel fédérale a conclu que lorsqu'une décision peut être examinée conformément à l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4)], un degré moyen de contrôle devrait être exercé.
[166]Le deuxième facteur est l'expertise du décideur par rapport à celle de la Cour sur le point en question. Il faut faire preuve d'une plus grande retenue lorsque le décideur a plus d'expertise que la Cour et que la question qui se pose fait partie du champ de son expertise.
[167]Dans ce cas-ci, la question du pouvoir du commissaire de rendre une ordonnance est une question d'interprétation législative. Il s'agit donc d'une question de droit, et il n'y a rien devant la Cour qui donne à entendre que la Cour n'est pas aussi bien placée que le commissaire pour répondre à la question. Ce facteur indique qu'il faut procéder à un examen plus rigoureux.
[168]Le facteur suivant se rapporte à l'objet de la loi et de la disposition en question. La Cour doit tenir compte de l'objet général du régime statutaire dans lequel la décision s'inscrit. Si la question dont le décideur est saisi est une question de droit ou se rapporte à un aspect particulier de la législation, il faut tenir compte de l'objet précis de cet aspect de la loi.
[169]La Loi vise à accorder un droit d'accès réel, les décisions rendues au sujet de la communication devant être examinées d'une façon indépendante de l'administration. Cet objet donne à entendre qu'il faut faire preuve de retenue, mais la question distincte de l'enquête relative à une plainte en matière d'accès n'est pas une question de politique; cette question se rapporte plutôt au droit du commissaire de rendre une ordonnance de confidentialité. L'intérêt du commissaire à cet égard indique que l'examen doit être effectué selon la norme de la décision correcte.
[170]Le dernier facteur se rapporte à la nature du problème. Une pure question de droit et d'interprétation législative, comme c'est ici le cas, milite en faveur d'un résultat plus rigoureux. En outre, la détermination de la question aura valeur de précédent et aura une application générale. Cela indique également que l'examen doit être fondé sur la norme de la décision correcte.
[171]Si je soupèse ces facteurs, je conclus que la norme de contrôle à appliquer est celle de la décision correcte.
La question de la compétence |
[172]L'article 34 de la Loi confère un large pouvoir discrétionnaire au commissaire lorsqu'il s'agit d'établir la procédure à suivre dans l'exercice de ses pouvoirs et fonctions. Le commissaire soutient que les ordonnances de confidentialité qui ont été rendues dans les enquêtes ici en cause sont d'une nature semblable à un certain nombre d'ordonnances procédurales (par exemple, les ordonnances excluant les témoins de procès ou d'audiences administratives et les ordonnances de non-communication connexes). Le commissaire soutient que les ordonnances de confidentialité constituent donc un exercice approprié du pouvoir discrétionnaire prévu à l'article 34 de la Loi.
[173]En réponse, les demandeurs soutiennent que les ordonnances de confidentialité ne sont pas de nature procédurale parce qu'elles visent à interdire et interdisent aux demandeurs individuels d'exercer leur droit de communiquer les renseignements. On invoque les arrêts Angus c. Sun Alliance compagnie d'assurance, [1988] 2 R.C.S. 256 et Canada (Attorney General) v. Newfield Seed Ltd. (1989), 63 D.L.R. (4th) 644 (C.A. Sask.) lorsqu'il s'agit de déterminer les circonstances dans lesquelles une disposition touche le fond plutôt que d'être de nature procédurale. Les demandeurs affirment également que dans l'arrêt Tolofson c. Jensen; Lucas (Tutrice à l'instance de) c. Gagnon, [1994] 3 R.C.S. 1022, la Cour suprême a statué que, s'il y a un doute lorsqu'il s'agit de savoir si une question se rapporte à la procédure ou au fond, il faut dissiper ce doute en concluant qu'une disposition de fond est en cause.
[174]Je commencerai l'analyse en examinant le libellé employé par le législateur à l'article 34 de la Loi, qui est ainsi libellé:
34. Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, le commissaire à l'information peut établir la procédure à suivre dans l'exercice de ses pouvoirs et fonctions.
[175]Le sens grammatical ordinaire des mots employés donne à entendre que lorsqu'il enquête sur une plainte, et notamment lorsqu'il reçoit les éléments de preuve et les renseignements qu'il estime indiqués, le commissaire possède un large pouvoir discrétionnaire pour déterminer les modalités y afférentes. Ce pouvoir discrétionnaire doit être exercé sous réserve de la Loi, mais les avocats n'ont pas soutenu qu'une disposition expresse empêche le commissaire de rendre une ordonnance de confidentialité dans le cadre de la procédure de réception de la preuve et des renseignements fournis par un témoin.
[176]En ce qui concerne l'analyse contextuelle du pouvoir discrétionnaire conféré à l'article 34, je note d'abord que la Loi impose fort peu d'exigences procédurales au commissaire. Les exigences procédurales qui sont imposées sont limitées aux obligations suivantes:
i) donner avis de son intention d'enquêter et faire connaître l'objet de la plainte (article 32);
ii) mener des enquêtes secrètes (paragraphe 35(1));
iii) donner aux personnes concernées la possibilité de présenter leurs observations (paragraphe 35(2)); et
iv) faire rapport à la fin d'une enquête (article 37).
[177]Le commissaire est donc assujetti à un nombre relativement peu élevé d'exigences procédurales. La Loi indique également l'intention du législateur, à savoir que le commissaire examine d'une façon indépendante les décisions relatives à la communication dans le cadre d'une enquête approfondie. À cette fin, le commissaire est autorisé à contraindre des témoins à déposer sous la foi du serment et à produire les pièces qu'il «juge indispensables pour instruire et examiner à fond les plaintes dont il est saisi». Il peut recevoir des éléments de preuve et des renseignements qu'il estime indiqués «indépendamment de leur admissibilité devant les tribunaux». Il peut pénétrer dans les locaux occupés par une institution fédérale et «y mener, dans le cadre de la compétence que lui confère la [L]oi, les enquêtes qu'il estime nécessaires». Malgré les obligations qui lui sont imposées en matière de confidentialité, le commissaire peut divulguer les renseignements qui, à son avis, sont nécessaires pour «mener une enquête prévue par la [L]oi», dans la mesure où il ne divulgue pas de renseignements précis à l'égard desquels une exception peut être invoquée en vertu de la Loi. Voir: Canada (Procureur général) c. Canada (Commissaire à l'information) (2001), 32 Admin. L.R. (3d) 238 (C.A.F.).
[178]L'objet de la Loi est d'accorder un droit d'accès général libéral, et la Loi doit être interprétée d'une façon libérale et fondée sur l'objet visé.
[179]En ce qui concerne le sens général du libellé de l'article 34 de la Loi, le contexte dans lequel cette disposition s'inscrit, l'objet de la Loi et la nécessité de donner à la législation une interprétation libérale fondée sur l'objet visé, je conclus que l'article 34 de la Loi confère au commissaire le pouvoir discrétionnaire voulu pour établir dans les circonstances appropriées qu'un certain type d'ordonnance de confidentialité doit être rendu et imposé au témoin qui comparaît devant lui. Conformément à l'alinéa 36(1)a) de la Loi, le commissaire est autorisé à contraindre un témoin à comparaître devant lui pour déposer verbalement et pour produire des pièces. L'imposition d'une ordonnance de confidentialité est une procédure que le commissaire peut suivre lorsqu'il exerce son pouvoir en vue de contraindre un témoin à déposer.
[180]Il convient d'avoir recours à une telle procédure par exemple lorsque, conformément au sous-alinéa 63(1)a)(i) de la Loi, le commissaire juge nécessaire, pour mener son enquête, de divulguer à un témoin des renseignements délicats dont ce dernier ne serait par ailleurs pas au courant. À mon avis, l'article 34 doit être interprété comme permettant au commissaire de protéger la confidentialité de ces renseignements en imposant une ordonnance de confidentialité. Je tiens bien compte du fait que le commissaire ne peut pas divulguer des renseignements à l'égard desquels une exception peut être invoquée. Néanmoins, il peut bien y avoir des renseignements délicats que le commissaire peut à bon droit divulguer et qui devraient être protégés par une ordonnance de confidentialité afin d'assurer le caractère secret de l'enquête. Ainsi, de tels renseignements délicats comprennent les renseignements qui pourraient révéler l'état de l'enquête du commissaire ou le plan y afférent, ou une déposition présentée par d'autres témoins devant le commissaire qui n'est pas visée par l'article 64, cette déposition devant être divulguée afin de faciliter l'enquête ou d'encourager l'équité.
[181]À mon avis, une autre interprétation de l'article 34 aurait pour effet d'incorporer des restrictions qui ne figurent pas dans la Loi. Si le législateur avait voulu limiter le pouvoir discrétionnaire conféré à l'article 34, il aurait pu le faire expressément et il n'aurait pas donné au commissaire une discrétion presque absolue à l'égard de ses «pouvoirs et fonctions».
[182]En ce qui concerne les décisions Sun Alliance et Newfield invoquées par les demandeurs, la question de savoir si le commissaire a la compétence voulue pour rendre une ordonnance de confidentialité doit à mon avis être tranchée au moyen d'une analyse textuelle et contextuelle de la Loi. Les décisions Sun Alliance et Newfield sont peu utiles puisqu'il s'agissait de savoir si une disposition était une disposition de fond ou une disposition procédurale aux fins de la détermination de l'application rétrospective de la législation ou si un règlement était ultra vires. Dans la mesure où la décision Newfield donne à entendre que la distinction entre le fond et la procédure est de nature fonctionnelle, je conclus qu'il n'y a rien dans les ordonnances de confidentialité qui influe sur le droit d'accès ou l'application d'une exception prévue par la Loi. Les ordonnances de confidentialité constituent plutôt un outil procédural destiné à assurer la tenue d'une enquête appropriée et équitable à l'égard du droit d'accès.
[183]La remarque que le juge La Forest a faite au nom de la Cour suprême dans l'arrêt Tolofson et sur laquelle se fondent les demandeurs a été faite dans le contexte du droit international privé. Après avoir fait remarquer que, dans ce contexte, les droits, quant au fond, sont régis par le droit étranger, mais que les questions relevant de la procédure sont régies par la loi du tribunal saisi, la Cour a cité en l'approuvant [à la page 1068] le commentaire selon lequel le problème se ramenait à savoir «jusqu'où le tribunal saisi peut-il aller dans l'application de règles tirées du système de droit étranger, sans entraver ou gêner indûment son propre fonctionnement». Considérée dans ce contexte, la remarque selon laquelle, lorsqu'il y a un doute au sujet de la question de savoir si une disposition touche le fond ou la procédure, il faut dissiper ce doute en concluant qu'il s'agit d'une disposition de fond est peu utile en l'espèce.
[184]Puisque j'ai conclu que le commissaire a de fait compétence pour rendre une ordonnance de confidentialité en vertu de l'article 34 de la Loi, je n'ai pas à me demander si une ordonnance de confidentialité peut également être rendue conformément aux pouvoirs conférés au commissaire en vertu de l'alinéa 36(1)a) de la Loi. Toutefois, il faut décider si l'ordonnance porte atteinte à la liberté d'expression garantie par la Charte.
c) Les ordonnances de confidentialité portent-elles atteinte à la liberté d'expression garantie à l'alinéa 2b) de la Charte? |
[185]Les parties conviennent qu'un organisme qui exerce des pouvoirs conférés par la loi, et notamment de larges pouvoirs discrétionnaires, ne peuvent pas rendre d'ordonnances qui portent atteinte aux droits reconnus par la Charte. Voir, par exemple, Slaight, précité.
[186]L'alinéa 2b) de la Charte prévoit que chacun a droit à la liberté fondamentale d'expression. La Cour suprême a statué ce qui suit au sujet de l'analyse de la liberté d'expression:
i) La première étape consiste à décider si l'activité du demandeur est à juste titre protégée par la «liberté d'expression»;
ii) L'activité est expressive, et elle est protégée, si elle tente de transmettre une signification. Si une activité transmet ou tente de transmettre une signification, elle a un contenu expressif et elle relève à première vue du champ de la garantie fournie par la Charte (à moins que la signification ne soit transmise au moyen d'une forme d'expression violente);
iii) La deuxième étape de l'analyse consiste à décider si l'objet ou l'effet de l'action gouvernementale est de restreindre la liberté d'expression.
Voir: Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927, en particulier aux pages 967 à 979.
[187]En l'espèce, la preuve des demandeurs est qu'ils voulaient communiquer à d'autres personnes ce qui s'était passé à l'enquête menée par le commissaire. Je suis convaincue que pareille activité transmet ou tente de transmettre une signification, de sorte qu'elle est expressive, et qu'elle fait donc à première vue partie de la sphère des activités protégées à l'alinéa 2b) de la Charte.
[188]Je suis également convaincue, eu égard à la preuve, que les ordonnances de confidentialité visaient à contrôler les tentatives que les demandeurs faisaient pour transmettre une signification en restreignant ou en interdisant directement le contenu particulier de l'expression.
[189]Il s'ensuit que les ordonnances de confidentialité limitent la liberté d'expression qui est garantie à l'alinéa 2b) de la Charte. Il s'agit donc ensuite de savoir si ces ordonnances sont justifiées en vertu de l'article premier de la Charte.
[190]Avant de passer à cette question, l'avocate du commissaire m'a référée à la décision Smolensky v. British Columbia (Securities Commission), (2003), 17 B.C.L.R. (4th) 145 (C.S.C.-B.). Dans cette décision, il a été statué qu'une disposition relative à la non- communication figurant dans la Securities Act de la Colombie-Britannique, R.S.B.C. 1996, ch. 418, ne violait pas l'alinéa 2b) de la Charte. L'avocate du commissaire n'a pas, comme elle l'a dit, «insisté» devant moi sur cette décision. L'affaire Smolensky s'inscrivait dans un contexte législatif différent et je suis convaincue que les ordonnances de confidentialité qui sont ici en cause limitent de fait la liberté d'expression protégée par la Charte.
d) Les ordonnances de confidentialité constituaient- elles une limite raisonnable prescrite par une règle de droit dans le cadre d'une société libre et démocratique, de façon à être conformes aux dispositions de l'article premier de la Charte? |
Principes de droit applicables |
[191]Les principes à appliquer lorsqu'un acteur de l'État tente de justifier une restriction apportée à un droit ou à une liberté garantis en vertu de l'article premier de la Charte ont été énoncés par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt La Reine c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103. Il faut satisfaire à deux critères fondamentaux:
1. L'objectif de la mesure contestée doit être suffisamment important pour justifier sa primauté sur une liberté ou un droit protégé par la Constitution. Pour qu'on puisse le qualifier de suffisamment important, l'objectif doit se rapporter à des préoccupations urgentes et réelles dans une société libre et démocratique;
2. À supposer qu'un objectif suffisamment important soit établi, les moyens choisis pour atteindre l'objectif doivent satisfaire à un critère de proportionnalité:
a. Ils doivent avoir un lien rationnel avec l'objectif. Ils doivent être conçus pour atteindre l'objectif en question. Il ne doit pas s'agir de moyens arbitraires, inéquitables ou fondés sur une considération irrationnelle; |
b. Ils doivent porter le moins possible atteinte au droit ou à la liberté en question. Il faut que la mesure soit limitée à ce qui est strictement nécessaire afin d'atteindre l'objectif; |
c. Ils doivent être tels que les effets de la mesure sur la restriction des droits et libertés sont proportionnés à l'objectif. Les effets bénéfiques généraux qu'offre la mesure doivent l'emporter sur ses effets négatifs. |
Voir également: Sauvé c. Canada (Directeur général des élections), [2002] 3 R.C.S. 519.
[192]En ce qui concerne l'analyse énoncée dans l'arrêt Oakes, précité, les considérations pertinentes sont les suivantes:
1. La charge de prouver qu'une restriction apportée à un droit ou à une liberté protégés par la Charte est raisonnable et que sa justification peut se démontrer incombe à la partie qui demande le maintien de cette restriction. Voir: Oakes, à la page 137;
2. La norme de preuve est la norme civile. Lorsqu'une preuve est nécessaire afin d'établir les éléments constitutifs de l'analyse relative à l'article premier, il faut appliquer rigoureusement le critère de la prépondérance des probabilités. Un «degré très élevé de probabilité sera [. . .] "proportionné aux circonstances"». Voir: Oakes, à la page 138;
3. L'analyse doit être réalisée en accordant une grande attention aux facteurs contextuels, et ce, parce que l'objectif de la mesure contestée peut uniquement être établi au moyen de l'examen de la nature du problème que cette mesure vise à résoudre, et que la proportionnalité des moyens employés peut uniquement être appréciée dans le contexte de l'ensemble des faits. Voir: Thomson Newspapers Co. c. Canada (Procureur général), [1998] 1 R.C.S. 877;
4. Le contexte influera également sur la nature de la preuve nécessaire pour justifier la mesure. Certaines questions se prêtent à une preuve empirique, mais d'autres (par exemple les questions comportant des considérations philosophiques ou sociales) ne s'y prêtent pas. Dans ce cas, «il suffit de convaincre la personne raisonnable prenant en compte tous les éléments de preuve et toutes les considérations pertinentes que l'État est justifié de porter une telle atteinte au droit en question». La preuve peut être complétée par le bon sens et le raisonnement par déduction. Voir: Sauvé, précité, paragraphe 18;
5. En ce qui concerne le critère de l'atteinte minimale, lorsqu'une disposition législative est contestée, la Cour suprême du Canada a statué que le législateur ne doit pas nécessairement choisir le moyen le moins envahissant pour atteindre ses objectifs, mais qu'il doit plutôt choisir dans un éventail de moyens qui portent le moins possible atteinte aux droits garantis. Cependant, lorsqu'une «règle de common law, formulée par les tribunaux» est contestée, la Cour suprême a statué que la retenue judiciaire n'entre pas en jeu. Voir: R. c. Swain, [1991] 1 R.C.S. 933, à la page 983. Lorsque l'on se demande si une ordonnance de confidentialité imposée par un juge est fondée (par exemple une ordonnance qui doit être rendue compte tenu des principes garantis par la Charte), la Cour suprême a statué qu'il faut restreindre pareilles ordonnances autant qu'il est raisonnablement possible de le faire tout en préservant l'intérêt que l'ordonnance vise à protéger. Voir: Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances), [2002] 2 R.C.S. 522.
Considérations d'ordre contextuel |
[193]En ce qui concerne l'application de ces principes à la preuve dont dispose la Cour, je commencerai par examiner les considérations contextuelles qui sont selon moi pertinentes.
[194]Premièrement, l'enquête est menée de façon à renforcer le droit quasi constitutionnel d'accès dont l'objet est de faciliter la démocratie.
[195]Deuxièmement, l'enquête menée par le commissaire doit être indépendante du gouvernement.
[196]Troisièmement, l'enquête doit être secrète.
[197]Quatrièmement, les personnes travaillant au sein du gouvernement doivent être en mesure de faire preuve de franchise les unes envers les autres. Je retiens d'une façon générale la preuve présentée par MM. Pelletier et Hartley, à savoir qu'«il n'y a pas de secrets» entre le Premier ministre et ses proches conseillers et qu'«il n'y a pas de secrets» entre l'adjoint exécutif du Premier ministre et les conseillers du premier ministre. Je retiens la preuve de M. Cappe, à savoir que le greffier du Conseil privé n'a pas de secrets envers le Premier ministre à l'égard des questions de politique et de fonctionnement du gouvernement. Je retiens la preuve de M. Eggleton selon laquelle il ne peut pas y avoir de secrets entre un ministre et le Premier ministre au sujet des politiques gouvernementales ou des affaires de l'État et que l'on ne peut pas empêcher le Premier ministre de porter à l'attention de son cabinet ou du procureur général les questions qu'il juge pertinentes. Enfin, je reconnais d'une façon générale qu'il n'y a pas de secrets entre un ministre et ses proches conseillers à l'égard des questions qui concernent directement le ministre et son cabinet.
[198]Je retiens cette preuve parce que seul M. Cappe a été contre-interrogé au sujet de la preuve qu'il avait présentée et que son témoignage n'a pas été contesté sur ce point. En outre, dans sa lettre du 23 avril 2001, le représentant du commissaire a reconnu la relation de loyauté et de confiance unique en son genre qui doit exister entre un Premier ministre et son conseiller politique principal.
[199]La preuve indique donc que les relations doivent être fondées sur la loyauté et sur la confiance ainsi que sur la nécessité d'une communication franche au niveau exécutif du gouvernement en ce qui concerne les questions d'ordre public.
[200]Le cinquième facteur contextuel se rapporte au fait que, dans certains cas, les membres d'un ministère ont pris des mesures en vue de faire obstacle au droit d'accès prévu par la Loi. Sur ce point, M. Cappe a déclaré ce qui suit lorsqu'il a été contre-interrogé:
[traduction]
175. Q. Et je vais vous dire, Monsieur, que l'un des problèmes auxquels font face les membres de la fonction publique, c'est le fait d'avoir prêté un serment de loyauté et d'avoir promis de ne rien divulguer à qui que ce soit, en ce qui concerne les renseignements obtenus dans l'exercice de leurs fonctions au sein de l'administration tout en s'engageant à assurer la transparence, à se montrer ouverts et à respecter l'esprit de la Loi sur l'accès, et que cela crée de la tension au sein de l'administration, n'est-ce pas?
R. Je suis absolument d'accord.
176. Q. Et c'est l'un des domaines dans lesquels M. Tait envisageait la nécessité d'avoir un dialogue sur l'éthique et sur les valeurs importantes, et peut-être de prendre ensuite des mesures, peu importe les conséquences? Cela est-il également exact?
R. Dans la mesure où vous allez jusque-là, mais je crois [. . .] pour en revenir au titre de ce rapport [le rapport Tait]: «A Strong Foundation». En parlant d'assises solides, il entend les principes démocratiques et lorsqu'il parle de ranger les valeurs en catégories, il commence par les valeurs démocratiques, et lorsqu'il les répartit en valeurs démocra-tiques et en valeurs de la fonction publique, les valeurs démocratiques sont, selon lui, les plus importantes. Vous avez parlé de la tension, et je crois que cela est tout à fait exact, mais les assistes fondamentales de notre système sont [. . .] et ici, à la page 21, voici ce qu'il dit: «Au Canada, le système démocratique est fondé sur un gouvernement parlemen-taire responsable» et vous parlez de ce principe du gouvernement responsable, et des valeurs démocratiques que les fonctionnaires doivent respecter, et lorsque vous contestez la façon dont les fonctionnaires interprètent leur obligation de rendre compte [. . .] Les fonctionnaires n'ont pas à rendre compte au public; ils rendent compte à leurs ministres et les ministres rendent compte à la Chambre. Il est très, très important d'insister sur ce point. Par conséquent, il y avait en effet cette tension-- [. . .] Je souscris entièrement à votre description [. . .] et la tension existait en partie à cause de ces valeurs démocratiques et de la nécessité de se montrer ouvert tout en assurant la confidentialité.
[201]M. Cappe a également déclaré ce qui suit:
[traduction]
112. Q. Pour les besoins de la discussion, vous pouvez supposer qu'il a été conclu que la destruction des documents du comité canadien du sang était liée aux demandes d'accès et que la destruction de certains documents, au ministère de la Défense nationale, était liée à certaines demandes d'accès comme les demandes de la commission d'enquête. Dites-vous que lorsque vous avez assumé vos fonctions de greffier, vous ne saviez pas que l'accès avait posé des problèmes majeurs?
R. Je ne l'ignorais pas.
113. Q. Vous le saviez donc.
R. Je le savais.
114. Q. Et ces problèmes d'accès se rapportaient en général [. . .] Je n'essaie pas de vous duper, Monsieur [. . .] ils étaient en général liés aux cas dans lesquels des membres d'un ministère avaient pris des mesures pour faire obstacle au droit d'accès d'un demandeur, n'est-ce pas?
R. Oui, c'est bien ça.
115. Q. Et ils l'avaient fait, pour des raisons quelconques de loyauté déplacée, de façon que cela avait suscité des préoccupations sérieuses au sein de l'administra-tion. Est-ce exact?
R. Bien sûr. Cela s'est passé avant que l'on effectue, dans la Loi, la modification qui faisait de la destruction de documents une infraction criminelle, et personnellement, je ne croyais pas que c'était une très bonne idée d'effectuer cette modification, mais compte tenu de ce qui était arrivé, je me rendais compte que c'était une chose qui allait être adoptée, et je ne trouve pas cela offensant parce que [. . .] en fait, vous vous êtes fort bien exprimé selon moi lorsque vous avez parlé de loyauté déplacée. La loyauté et le sens du devoir de l'employé exigent qu'il dise la vérité et qu'il fasse preuve de franchise envers les personnes ayant autorité. L'honnêteté et la franchise sont des valeurs fondamentales au sein de la fonction publique. Si je m'élevais contre cette disposition, c'était surtout parce que je ne croyais pas qu'elle soit nécessaire, mais malheureusement ces deux cas s'étaient présentés.
[202]La sixième considération contextuelle se rapporte à la question sous-tendant les enquêtes, à part l'enquête sur la demande de documents concernant M. Black, à savoir si les documents qui étaient exclusivement conservés dans le cabinet du ministre sont des documents relevant d'une institution fédérale pour l'application de la Loi. Comme le montre la lettre en date du 13 septembre 2000 envoyée aux administrateurs généraux par le sous-greffier du Bureau du Conseil privé et conseiller juridique, la chose était considérée comme une question de principe importante pour le gouvernement. Le litige montre que le gouvernement a pris une position ferme sur ce point, comme il pouvait à bon droit le faire. Lorsqu'il a été contre-interrogé, M. Cappe a reconnu qu'il avait discuté du rôle d'avocats extérieurs avec le Premier ministre et avec le procureur général, que des avocats éminents avaient été retenus et qu'il voulait s'assurer que [traduction] «l'ensemble des acteurs de l'État étaient également représentés et que la preuve présentée par le gouvernement était cohérente».
[203]Je ne fais aucune inférence défavorable ou néfaste à partir de cette preuve, mais les positions prises par les acteurs de l'État, l'importance de la question soulevée et la fermeté des opinions exprimées par le commissaire et les acteurs de l'État, font partie du contexte pertinent dans lequel il convient d'examiner les ordonnances de confidentialité.
[204]Enfin, le fait que presque tous les acteurs de l'État étaient représentés par les mêmes avocats constitue un autre facteur contextuel, et ce, parce que les avocats qui représentent de nombreuses entités dans une affaire sont généralement obligés de partager des renseignements entre leurs clients. Dans la mesure où certains témoins sont représentés par des avocats du ministère de la Justice, les préposés de la Couronne sont généralement tenus de renoncer, en faveur de la Couronne, au secret professionnel de l'avocat.
La violation vise-t-elle un but ou un objectif valide sur le plan constitutionnel? |
[205]J'ai énoncé les considérations contextuelles pertinentes; je passerai maintenant à la première étape de l'analyse préconisée dans l'arrêt Oakes.
[206]Le commissaire affirme que l'on satisfait à deux objectifs généraux en interdisant aux témoins de révéler les renseignements divulgués pendant leur témoignage. Le premier objectif ou but des ordonnances de confidentialité est de protéger l'intégrité des enquêtes. Le deuxième est de garder confidentiels les renseignements de l'administration.
[207]Il est possible de soutenir qu'en protégeant l'intégrité des enquêtes, on encourage la recherche et l'obtention de la vérité. Il a été statué qu'il s'agissait d'une activité qui était bonne en soi et que c'était une valeur sous-tendant la protection de la libre expression. Voir: Irwin Toy, précité, à la page 976. Procéder à un examen approfondi indépendant afin de maximiser la divulgation appropriée de renseignements de l'administration aux personnes qui en font la demande, c'est faciliter la démocratie.
[208]En veillant à ce que les renseignements confidentiels ne soient pas divulgués d'une façon inappropriée, on renforce l'intention du législateur, qui voulait que certains renseignements soient protégés, et l'on encourage le fonctionnement honnête et efficace de l'administration.
[209]Par conséquent, les objectifs visés se rapportent à des préoccupations urgentes réelles dans une société libre et démocratique. Je conclus que ces objectifs sont suffisamment importants pour l'emporter, dans certaines circonstances, sur la liberté d'expression protégée par la Constitution.
Le lien rationnel |
[210]L'étape suivante de l'enquête consiste à déterminer si les moyens choisis sont raisonnablement justifiés d'une façon qui puisse se démontrer. Cette analyse de la proportionnalité de la mesure commence par un examen de sa rationalité. Il faut se demander si le fait d'interdire aux témoins de révéler des renseignements protège l'intégrité des enquêtes et préserve la confidentialité des renseignements de l'administration.
[211]Les motifs fournis par le représentant du commissaire jettent la lumière sur la façon dont on considère que les ordonnances fonctionnent en vue de protéger l'intégrité des enquêtes. Premièrement, si les témoins pouvaient communiquer les questions posées et les réponses données lorsqu'ils ont été interrogés par le représentant du commissaire, il serait plus difficile pour celui-ci d'obtenir d'un témoin son propre compte rendu indépendant des événements. Deuxièmement, les ordonnances visent à assurer qu'un témoin puisse parler en toute liberté sans craindre de répercussions sur le plan professionnel. Troisièmement, il est soutenu que l'imposition automatique d'une ordonnance de confidentialité empêche le témoin qui est lié par une telle ordonnance d'être stigmatisé. Le commissaire affirme que si le témoin demandait une ordonnance de confiden-tialité, la chose pourrait bien éveiller des soupçons.
[212]En ce qui concerne la protection de la confidentialité des renseignements de l'administration, il est affirmé que les ordonnances de confidentialité montrent que le commissaire est tenu de prendre toutes les précautions raisonnables pour éviter la divulgation de renseignements visés par une exception. Les ordonnances permettent également la divulgation d'une partie de la preuve d'un témoin à un autre témoin aux fins de l'avancement de l'enquête.
[213]Je suis convaincue, en me fondant sur la logique et sur le bon sens, qu'il existe un lien rationnel entre d'une part l'imposition d'une ordonnance de confidentialité et d'autre part la protection de l'intégrité des enquêtes et la confidentialité de certains renseignements qui ne seraient peut-être pas par ailleurs protégés. Tels sont les buts des ordonnances régissant la confidentialité de certains renseignements et l'exclusion des témoins qui sont rendues par les tribunaux judiciaires.
Atteinte minimale |
[214]L'étape suivante de l'analyse préconisée dans l'arrêt Oakes, précité, exige que la Cour décide si les ordonnances de confidentialité, tout en étant rationnellement liées aux objectifs, portent le moins possible atteinte à la liberté d'expression des témoins.
[215]Il importe au départ de noter que la Cour suprême a fait remarquer qu'il est plus difficile de justifier l'interdiction totale d'une forme d'expression que l'interdiction partielle. Voir Thomson, précité, au paragraphe 120. Comme il en a déjà fait mention, la Cour suprême a également fait remarquer, dans l'arrêt Sierra, précité, qu'il faut restreindre le plus possible les ordonnances de confidentialité. Pour les motifs ci-après énoncés, j'ai conclu que le commissaire n'a pas démontré pourquoi des ordonnances de confidentialité moins restrictives n'auraient pas été aussi efficaces afin de préserver l'intégrité des enquêtes et la confidentialité des renseignements de l'administration. Compte tenu de cette conclusion, il s'ensuit que les ordonnances ne satisfont pas au critère de l'atteinte minimale et qu'elles devraient être annulées selon les conditions énoncées ci-dessous.
[216]À l'appui de l'argument voulant que les ordonnances soient justifiables d'une façon qui puisse se démontrer, le commissaire a déposé l'affidavit du colonel (à la retraite) Michel Drapeau. Le colonel Drapeau, compte tenu de son expérience et de sa connaissance de la culture des Forces canadiennes et de la fonction publique en général, ainsi que de la culture existant au Quartier général de la Défense nationale en particulier, et compte tenu de sa connaissance du régime fédéral d'accès à l'information, a exprimé l'avis suivant:
1. L'intégrité de la fonction d'enquête du commissaire exige qu'un agent public, en sa qualité de témoin, soit protégé contre les p ressions directes et indirectes;
2. On craint légitimement que les agents publics se sentent assujettis à des pressions de la part de leurs employeurs, de leurs superviseurs ou de leurs collègues de travail s'ils fournissent au commissaire des renseignements qui ne sont peut-être pas conformes à la «version officielle des faits ou déplaisent par ailleurs aux collègues»;
3. En l'absence de restrictions relatives à la confidentialité, les témoins qui sont assignés à comparaître devant le commissaire seraient assujettis à des pressions irrésistibles lorsqu'il s'agirait de se faire accompagner par un avocat de la Couronne et d'informer du contenu de leur preuve les agents et les conseillers juridiques principaux de la Couronne;
4. À moins que les renseignements obtenus ou recueillis pendant les enquêtes du commissaire ne soient privés et confidentiels, le fonctionnaire, en sa qualité de témoin, risque d'être considéré comme un «rebelle» et de faire l'objet, directement ou indirectement, de représailles de la part de l'institution;
5. Il est moins probable que les témoins témoignent avec franchise et d'une façon exhaustive s'ils craignent des représailles fondées sur le contenu de leur témoignage;
6. Pour des raisons de culture et d'ethos, il est peu probable que les fonctionnaires de carrière se sentent à l'aise lorsqu'il s'agit de demander une ordonnance de confidentialité;
7. Même lorsqu'un témoin veut révéler le contenu de son témoignage, en le faisant, il «risque de menacer» la protection accordée aux autres témoins, et ce, parce que, lorsque le rapport du commissaire sera rendu public, un superviseur pourra attribuer un élément de preuve particulier à des témoins précis en parlant à d'autres témoins qui sont prêts à partager leur déposition.
[217]Les affidavits de Suzanne Lajoie et de Judith Mooney contredisent l'avis exprimé par le colonel Drapeau.
[218]Mme Lajoie a travaillé pendant neuf ans à la section de l'accès à l'information et de la protection des renseignements personnels du ministère de la Défense nationale. Du mois de septembre 1999 au mois de décembre 2000, elle a d'abord été directrice intérimaire, Accès à l'information et Politique, au ministère de la Défense nationale, et elle a ensuite été coordonnatrice adjointe, Accès à l'information et protection des renseignements personnels, au ministère de la Défense nationale. Elle a été interrogée à maintes reprises par des enquêteurs du commissariat, et elle a comparu une fois pour déposer devant le sous-commissaire à l'information ainsi qu'une fois devant l'avocat du commissaire. Elle a témoigné ne s'être jamais sentie contrainte d'arranger sa preuve, et elle n'a jamais cru que des pressions étaient exercées pour qu'elle se fasse accompagner par un avocat de la Couronne et pour qu'elle informe qui que ce soit des discussions qu'elle avait eues avec le représentant du commissaire. Mme Lajoie ne connaissait aucun cas dans lequel une personne avait fait l'objet de représailles parce qu'elle avait témoigné devant le commissaire. Elle n'avait jamais ressenti la nécessité de demander une ordonnance de confidentialité et elle ne connaissait aucun cas dans lequel un autre membre du ministère de la Défense nationale avait demandé une ordonnance de confidentialité (bien qu'elle eût convenu, pendant le contre-interrogatoire, qu'elle ne saurait pas si quelqu'un avait demandé et obtenu pareille ordonnance).
[219]La preuve présentée par Mme Mooney, qui est directrice, section de l'accès à l'information et de la protection des renseignements personnels, au ministère de la Défense nationale, est similaire. Mme Mooney a donné comme exemple précis sa décision de divulguer à un journaliste du Ottawa Citizen des renseignements au sujet de l'attribution à One World Communications d'un contrat n'ayant pas fait l'objet d'un appel d'offres par M. Eggleton, qui était alors ministre de la Défense nationale. Selon la preuve présentée par Mme Mooney, au moment de la divulgation, le ministre et elle savaient qu'il s'agissait d'une question délicate sur le plan politique, mais le témoin a affirmé que l'on n'avait pas exercé de pressions pour qu'elle refuse de communiquer les renseignements.
[220]L'avocat des demandeurs soutient que le colonel Drapeau n'avait pas les qualités requises pour exprimer les avis qu'il a exprimés, parce qu'il n'avait pas d'expertise en ce qui concerne la culture de la fonction publique en général. Il signale la preuve selon laquelle le colonel Drapeau a uniquement travaillé au sein de la fonction publique pendant 16 mois et que cette expérience a pris fin en 1993. Le colonel Drapeau n'a jamais mené d'enquête en vertu de la Loi, il n'a jamais témoigné en vertu de la Loi et il n'a jamais parlé à qui que ce soit qui était un témoin. Le colonel Drapeau n'a jamais travaillé dans le cabinet d'un ministre, dans le cabinet du Premier ministre, au Bureau du Conseil privé ou au ministère des Transports. Depuis que le colonel Drapeau a quitté le ministère de la Défense nationale, les personnes exerçant les fonctions de ministre de la Défense nationale, de sous-ministre de la Défense nationale, de chef d'état-major de la Défense et de coordonnateur de l'accès à l'information et de la protection des renseignements personnels ne sont plus les mêmes. Pendant le contre-interrogatoire, le colonel Drapeau a admis ne rien savoir des enquêtes qui sous-tendent la présente instance.
[221]Je suis convaincue que l'affidavit du colonel Drapeau est admissible dans la mesure où il fait état de choses que le colonel a directement observées et où le colonel a l'expertise voulue pour exprimer son avis au sujet de la culture au sein du ministère de la Défense nationale. Quant à l'avis exprimé au sujet du ministère de la Défense nationale, je conclus que le témoignage est généralement pertinent, qu'il aide la Cour et que le colonel Drapeau a l'expertise nécessaire pour présenter pareille preuve. Les critères établis par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt R. c. Mohan, [1994] 2 R.C.S. 9, sont donc respectés en ce qui concerne les avis exprimés par le colonel Drapeau au sujet du ministère de la Défense nationale.
[222]Toutefois, je conclus également que le colonel Drapeau n'a pas suffisamment d'expérience récente afin d'exprimer un avis au sujet de la fonction publique en général. En outre, son manque d'expérience, lorsqu'il s'agit de travailler dans le cabinet d'un ministre, dans le cabinet du Premier ministre ou au Bureau du Conseil privé, auquel viennent s'ajouter son manque d'expérience directe à l'égard des enquêtes menées par le commissaire et son manque de connaissances à l'égard des enquêtes ici en cause, m'amène à conclure qu'il faut accorder peu de poids ou qu'il ne faut accorder aucun poids à son témoignage pour ce qui est de la question de savoir si des dispositions moins attentatoires en matière de confidentialité auraient permis d'une façon aussi efficace la réalisation des objectifs du commissaire.
[223]L'avocat du commissaire affirme également que la Cour peut, en se fondant sur la raison et la logique, conclure que les ordonnances de confidentialité ont été rendues compte tenu d'une appréciation raisonnable du risque de préjudice. Il est soutenu que les craintes que le commissaire a exprimées au sujet de la coercition possible des témoins ne sont pas conjecturales, mais qu'elles sont fondées sur les observations du colonel Drapeau et sur le contre-interrogatoire de M. Cappe. En outre, comme l'a dit l'avocat du commissaire, [traduction] «lorsque les hommes les plus puissants au sein du gouvernement prennent une position sur laquelle l'attention du public est fortement attirée, comme ils l'ont fait dans ce cas-ci, dans tous les ministères [. . .] il est avec raison possible de supposer que les autres [. . .] peuvent se sentir indirectement contraints à adopter des positions qui sont loin d'être ouvertes». Il est soutenu que, pendant la conduite de l'enquête du moins, les objectifs qui consistent à préserver l'intégrité de cette enquête [traduction] «y compris la nécessité d'empêcher que le témoignage d'une personne soit vicié et d'assurer que le témoignage de la personne en cause n'ait pas de répercussions directes sur le plan professionnel» établissent donc que les ordonnances en question portent une atteinte minimale à la liberté d'expression parce qu'aucune ordonnance moins rigoureuse ne serait efficace.
[224]Je reconnais, au point de vue juridique, que lorsqu'il est difficile de prouver le préjudice empiriquement, la Cour suprême du Canada a conclu qu'il suffisait d'appliquer la logique et le bon sens afin de déterminer si la violation d'un droit est justifiée d'une façon qui puisse se démontrer. Toutefois, en l'espèce, comme il en a ci-dessus été fait mention, il est établi que le commissaire n'a pas rendu d'ordonnances de confidentialité pour chaque témoin. À mon avis, cette pratique du commissaire réfute toute inférence logique selon laquelle, dans le contexte des enquêtes ici en cause, des ordonnances de confidentialité doivent être automatiquement rendues pour chaque témoin.
[225]En outre, le sens commun ne doit pas être invoqué pour masquer «des suppositions sans fondement ou controversées» (Thomson, précité, au paragraphe 116). Lorsqu'un tribunal judiciaire rend une ordonnance de confidentialité dans une procédure, sur le plan du droit, la nécessité de cette ordonnance doit être «bien étayé[e] par la preuve» (voir: Sierra, précité, au paragraphe 54) et le juge est tenu de se demander, eu égard à la preuve, s'il existe d'autres solutions raisonnables. Les enquêtes ici en cause sont de fait encore en cours et ne sont pas menées dans le contexte d'une procédure judiciaire, mais il reste que la nécessité d'une ordonnance de confidentialité est une question qui peut être établie par la preuve et par les inférences qui peuvent à juste titre être tirées de la preuve. Autrement dit, la possibilité d'un préjudice est une chose qui peut être établie selon la preuve et qui doit donc être prouvée plutôt que d'être présumée.
[226]Je conclus donc qu'étant donné que le représentant du commissaire n'a pas imposé d'ordonnances de confidentialité à tous les témoins qui ont comparu devant lui dans ces enquêtes, et qu'étant donné que, dans d'autres contextes, les tribunaux judiciaires exigent de fait une preuve afin de justifier la nécessité d'une ordonnance de confidentialité, je ne suis pas convaincue que le commissaire puisse uniquement se fonder sur les facteurs contextuels, sur la logique et sur le bon sens afin de satisfaire à l'obligation de justifier les ordonnances de confidentialité d'une façon qui puisse se démontrer.
[227]Compte tenu de l'ensemble de la preuve qui a été mise à ma disposition et en me fondant sur la logique et le bon sens, je conclus que les ordonnances de confidentialité ont une portée trop générale, du moins en ce qui concerne les aspects ci-après mentionnés.
[228]Premièrement, le commissaire a pris la position selon laquelle, en interrogeant chaque demandeur individuel, des ordonnances générales identiques devaient être rendues pour tous ces demandeurs individuels. Les demandeurs avaient ensuite l'obligation de justifier, aux yeux du commissaire, toute dérogation. Il était ordonné aux témoins de ne pas révéler [traduction] «les renseignements divulgués au cours du témoignage confidentiel présenté dans l'affaire, y compris la preuve soumise». Il a ci-dessus été fait mention des demandes qui ont été faites pour que des ordonnances moins restrictives soient rendues. Ces demandes ont été refusées parce que les demandeurs d'accès n'avaient pas réussi à convaincre le représentant du commissaire de la nécessité de la communication. Ainsi, la demande que le greffier du Conseil privé avait faite pour communiquer des renseignements confidentiels au premier ministre a été refusée parce que le représentant du commissaire avait conclu qu'il n'avait pas été démontré qu'il était expressément nécessaire de faire connaître au premier ministre les renseignements en question.
[229]Il a été fait droit à la demande que le chef du cabinet du Premier ministre avait faite pour être autorisé à communiquer des renseignements au Premier ministre, mais il y a été fait droit à condition que le Premier ministre s'engage à ne pas communiquer ces renseigne-ments à son cabinet. Comme il en a ci-dessus été fait mention, le représentant du commissaire a énoncé les motifs suivants:
[traduction] Compte tenu de la relation de loyauté et de confiance unique en son genre qui doit exister entre un Premier ministre et son conseiller politique principal, j'estime qu'il convient d'exercer mon pouvoir discrétionnaire afin de permettre au témoin de communiquer au Premier ministre les renseignements révélés dans le cadre de la procédure confidentielle. Toutefois, aucune preuve n'a été présentée à l'appui de la demande qui a été faite pour que le Premier ministre soit autorisé à communiquer des renseignements confidentiels aux membres de son cabinet. Étant donné la nature de la procédure et les exigences de l'article 35, je considère que l'octroi de la demande ne serait pas compatible avec l'obligation qui m'incombe de protéger la confidentialité et l'intégrité de cette enquête.
[230]La demande concernant l'ajout d'un cinquième avocat à la liste des avocats des demandeurs, chez Borden Ladner Gervais LLP, a été refusée parce qu'il n'avait pas été démontré qu'il était «absolument nécessaire» d'avoir un autre avocat.
[231]En me fondant sur la preuve relative à la façon dont les ordonnances ont été imposées et à la façon dont les demandes visant leur modification ont été traitées, je conclus que le représentant du commissaire a inversé le processus et a omis de reconnaître l'obligation qu'il avait de justifier une mesure qui portait atteinte à la liberté d'expression du témoin.
[232]Au lieu d'expliquer aux demandeurs pourquoi il fallait rendre des ordonnances générales, le représentant du commissaire a obligé les demandeurs à expliquer pourquoi ils devaient être autorisés à exercer leur droit à la liberté d'expression. La Charte et la jurisprudence de la Cour suprême du Canada établissent que c'est la personne qui veut porter atteinte à la liberté protégée qui a l'obligation de justifier pareille atteinte.
[233]De plus, selon la preuve mise à ma disposition, les ordonnances de confidentialité allaient plus loin que ce qui était raisonnablement nécessaire pour atteindre les objectifs du commissaire.
[234]Sur ce point, il n'existe pas de preuve convaincante montrant pourquoi les ordonnances de confidentialité s'appliquaient pour une durée indéfinie, de sorte qu'elles continuaient à s'appliquer, à moins d'être modifiées, après la fin de l'enquête du commissaire.
[235]Le commissaire soutient que, dans l'arrêt Rubin (1994), précité, la Cour d'appel fédérale a conclu que l'intégrité du processus d'enquête exige que le plaignant n'ait jamais le droit de prendre connaissance des observations présentées au commissaire au sujet de sa plainte. Toutefois, il est à mon avis possible de faire une distinction à l'égard du cas dans lequel un témoin veut parler de son propre chef de son propre témoignage ou de ses propres observations. L'affaire Rubin (1994) se rapportait à un cas dans lequel le plaignant cherchait à connaître la preuve ou les renseignements confidentiels d'une autre personne.
[236]Le commissaire soutient également que la crainte que la déposition d'un témoin puisse avoir des répercussions professionnelles justifie une ordonnance d'une durée indéfinie. Il fait remarquer que les questions entourant une demande d'accès particulière peuvent continuer à se poser plusieurs mois ou plusieurs années après la fin de l'enquête. En outre, il est soutenu que l'existence de pareilles ordonnances garantit aux personnes qui peuvent être en cause dans des enquêtes futures que leur témoignage peut être protégé indéfiniment au besoin.
[237]Je ne crois pas que cet argument soit suffisant pour justifier la durée indéfinie des ordonnances de confidentialité. À mon avis, la préoccupation exprimée par le commissaire n'est pas fondée sur la preuve. Aucun des demandeurs n'a exprimé pareille crainte. En outre, en pratique, les superviseurs sont mutés, les employés changent de poste, les politiques évoluent, les ministres et les premiers ministres changent. Or, une ordonnance qui n'a pas de date d'expiration ne tient compte d'aucune de ces considérations pratiques.
[238]Dans la mesure où le commissaire se fonde sur la nécessité de protéger des enquêtes futures, cette préoccupation n'a pas été jugée suffisante pour justifier l'application d'une exception à la communication prévue par la Loi ou par la Loi sur la protection des renseignements personnels. Dans l'arrêt Canada (Commissaire à l'information) c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] 1 C.F. 219, la Cour d'appel fédérale a dit ce qui suit, au paragraphe 12:
Quatrièmement, l'effet d'intimidation que la communication des renseignements pourrait avoir sur d'éventuels participants à de futures enquêtes a toujours été écarté en tant que motif de refuser la communication (voir l'arrêt Rubin c. Canada (Ministre des Transports), [1998] 2 C.F. 430 (C.A.), aux paragraphes 45 et 46, et les jugements Canada (Commissaire à l'information) c. Canada (Commission de l'immigration et du statut de réfugié), précité, au paragraphe 45; et Lavigne, précité). Si j'ai bien compris, ces décisions portaient sur l'alinéa 16(1)c) de la Loi sur l'accès à l'information et sur l'alinéa 22(1)b) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, mais les principes qui y sont exposés au sujet des organismes d'enquête qui s'occupent du dépistage et de la répression du crime s'appliquent encore plus aux enquêtes administratives informelles comme celle qui nous intéresse en l'espèce. Si le législateur fédéral est disposé à protéger l'identité d'une source de renseignements confidentielle uniquement au cours des «enquêtes licites» envisagées par ces dispositions, on ne peut guère invoquer l'argument de principe suivant lequel il est impératif de protéger le nom des personnes qui témoignent dans une enquête informelle pour éviter de compromettre à l'avenir le déroulement de ces enquêtes. [Non souligné dans l'original.]
Je ne crois pas que la nécessité de protéger des enquêtes futures justifie une ordonnance d'une durée indéfinie.
[239]À part leur durée, les ordonnances de confidentialité ont également, à mon avis, une portée trop générale dans la mesure où elles contiennent des dispositions qui ne sont pas nécessaires afin d'atteindre les objectifs visés. À cet égard:
1. La preuve établit que la communication maintenant prohibée entre certains demandeurs et certaines personnes ne susciterait aucune crainte que la preuve d'un témoin existant ou éventuel soit viciée. Voir, par exemple, la transcription confidentielle des procédures confidentielles mettant en cause M. Pelletier aux pages 55 et 56;
2. La preuve établit que certains témoins n'avaient pas besoin de parler en secret au représentant du commissaire afin d'être protégés contre des influences coercitives. Voir, par exemple, la transcription confidentielle des procédures confidentielles mettant en cause M. Pelletier, aux pages 55 et 56. Aucun des demandeurs n'a exprimé pareille préoccupation. Les fonctions exercées par certains des demandeurs du moins sont telles qu'il n'est pas possible de présumer que ceux-ci peuvent être assujettis à la coercition;
3. La preuve n'établit pas que tous les demandeurs ici en cause divulgueraient d'une façon inappropriée des renseignements confidentiels de l'administration à moins que les ordonnances de confidentialité ne soient imposées;
4. La preuve n'établit pas que la divulgation des renseignements concernant la façon dont les procédures étaient menées, le rôle que les avocats étaient autorisés à avoir, la nature des objections soulevées par les avocats et les décisions rendues en réponse à pareilles objections porterait atteinte à l'intégrité des enquêtes.
[240]Quant à la position du commissaire selon laquelle il faut que chaque témoin soit assujetti à une ordonnance de confidentialité afin d'éviter que les témoins faisant l'objet de pareilles ordonnances soient stigmatisés, il importe de noter que l'avocat du commissaire n'a pas signalé de cas dans lequel le représentant du commissaire avait invoqué ce motif à l'appui de la délivrance d'une ordonnance. Le colonel Drapeau n'a pas présenté de preuve en ce sens; il a simplement exprimé l'avis selon lequel les fonctionnaires et les membres des Forces canadiennes ne se sentiraient probablement pas à l'aise s'ils demandaient une ordonnance de confidentialité. Le commissaire n'a pas imposé d'ordonnances de confidentialité à chaque témoin. La preuve n'étaye donc pas l'argument selon lequel il fallait rendre des ordonnances générales, puisque rien de moins ne permettrait d'atteindre les objectifs exprimés.
[241]Dans la mesure où les ordonnances de confidentialité restreignaient la communication, alors que rien ne permettait raisonnablement de craindre que pareille communication nuise à l'enquête ou entraîne la divulgation illégitime de renseignements confidentiels, les ordonnances constituaient à mon avis une restriction injustifiable de la liberté d'expression des témoins.
[242]Quant aux préoccupations manifestées par le commissaire au sujet de la divulgation illégitime de renseignements de l'administration, il faut se rappeler que la Cour d'appel fédérale a statué que le commissaire n'est pas autorisé à faire part à un témoin de renseignements qui peuvent être visés par une exception à la communication prévue par la Loi. En outre, un grand nombre des témoins qui ont comparu devant le représentant du commissaire étaient assujettis à des obligations de confidentialité indépendantes de toute obligation imposée par le commissaire. Il ne serait donc pas nécessaire de protéger les renseignements pour chaque interrogatoire. S'il était nécessaire de le faire, une ordonnance de confidentialité serait à mon avis justifiée à l'égard de ce renseignement précis, à condition que l'ordonnance n'aille pas plus loin que ce qui est raisonnablement nécessaire pour protéger les renseignements confidentiels.
[243]Deux derniers points doivent être soulevés. Premièrement, le commissaire affirme qu'au lieu d'appliquer l'analyse préconisée dans l'arrêt Oakes, il faudrait appliquer l'analyse effectuée par la Cour suprême dans l'arrêt Sierra, précité, afin de déterminer si les ordonnances de confidentialité sont justifiées. Étant donné que le jugement Sierra a été prononcé dans ces circonstances où il existe une présomption de procédures ouvertes et qu'aucune présomption de ce genre ne s'applique à l'enquête confidentielle du commissaire, je ne suis pas convaincue que l'analyse prônée dans l'arrêt Sierra soit plus appropriée que l'analyse effectuée dans l'arrêt Oakes. Je ne suis pas non plus convaincue que la conclusion serait différente si l'analyse énoncée dans l'arrêt Sierra était employée. Toutefois, je crois qu'il n'est pas erroné en droit d'appliquer l'analyse Oakes et c'est ce que j'ai fait.
[244]Deuxièmement, quatre des cinq enquêtes sont en cours. Comme l'avocat du commissaire l'a fait remarquer, en ce qui concerne ces enquêtes, la Cour ne connaît pas le plan d'enquête du commissaire, elle ne sait pas quels témoins devront peut-être de nouveau être assignés, quels autres témoins devront déposer, ou quels sont les conflits qui existent le cas échéant dans les témoignages présentés jusqu'ici. Cela étant, je ne suis pas prête à ordonner que les ordonnances de confidentialité soient annulées, l'annulation devant prendre effet immédiatement, pour le motif que pareille ordonnance pourrait nuire aux enquêtes en cours. À mon avis, l'intérêt public, lorsqu'il s'agit de préserver l'intégrité des enquêtes du commissaire, justifie le prononcé d'une ordonnance annulant les ordonnances de confidentialité, mais à condition que l'application de cette ordonnance soit suspendue pour une période de 30 jours à compter de la date des présents motifs. Cette date pourra être prorogée par la Cour, si elle le juge indiqué, sur présentation d'une requête appropriée par le commissaire. La suspension vise à permettre au commissaire de tenir compte de la nécessité des ordonnances de confidentialité et, si la chose est encore nécessaire, de rendre des ordonnances qui n'ont pas une portée trop générale et dont la justification peut se démontrer. C'est une condition que la Cour peut imposer selon la règle 53 des Règles de la Cour fédérale (1998) [DORS/98-106].
iv) Conclusion relative au groupe B
[245]En me fondant sur l'analyse susmentionnée, j'ai conclu que les ordonnances de confidentialité faisaient plus que de bien faire comprendre à un témoin les obligations qui lui incombaient en vertu de la Loi, mais que la Loi autorisait le représentant du commissaire à rendre des ordonnances de confidentialité. Toutefois, les ordonnances en cause portaient atteinte à la liberté d'expression reconnue aux demandeurs individuels. Ces ordonnances avaient une portée trop générale et elles ne constituaient donc pas, selon une règle de droit, une limite raisonnable, de façon à être valides conformément aux dispositions de l'article premier de la Charte. Par conséquent, les ordonnances de confidentialité doivent être annulées, mais à une condition, à savoir que l'ordonnance annulant les ordonnances de confidentialité ne prendra effet que 31 jours après la date de l'ordonnance faisant état de la décision. Le délai de 30 jours permettra au commissaire de déterminer s'il est nécessaire de rendre des ordonnances de confidentialité et, dans l'affirmative, de rendre des ordonnances dont la portée n'est pas trop générale et qui sont justifiées eu égard à la preuve dont dispose le commissaire.
Note de l'arrêtiste (remplace les paragraphes 246 à 326):
Les paragraphes 246 à 291 traitent de la reproduction de documents. Des copies de certaines pièces ont été fournies au commissaire, en réponse à un subpoena duces tecum , accompagnées de demandes pour qu'elles soient renvoyées dans un certain délai et que le commissaire ne reproduise pas les pièces ainsi fournies. Le commissaire a pris la position selon laquelle il n'était pas lié par de telles conditions.
Il a d'abord été décidé d'autoriser la désignation du commissaire à titre de défendeur dans ces demandes. Deuxièmement, il a été décidé que, même si l'enquête relative aux demandes de documents concernant M. Black était terminée, la demande de contrôle judiciaire y afférente n'ava it pas simplement un intérêt théorique. Puisque la preuve démontrait que les copies n'avaient pas été renvoyées ni détruites, le litige n'était pas simplement théorique et la réparation demandée aurait un effet pratique en ce qui concerne les copies que le commissaire a faites et conservées.
À la suite d'une analyse pragmatique et fonctionnelle, il a été décidé que la norme de la décision correcte était la norme de contrôle applicable à la décision du commissaire selon laquelle la Loi l'autorisait à reprod uire les documents produits à la suite de la délivrance d'un subpoena. Vu le but de l'enquête du commissaire, le pouvoir de photocopier est en pratique nécessaire pour que le commissaire puisse mener son enquête et s'acquitter d'autres fonctions d'une faço n efficace et efficiente. Il n'est pas contraire au régime de la Loi de présumer l'existence de ce pouvoir. Il permet plutôt plus facilement au commissaire de présenter des éléments de preuve. Puisque le commissaire est obligé, en vertu de la Loi, de renvo yer sur demande les documents à celui qui les a fournis, le fait de permettre au commissaire de conserver une copie assurera que celui-ci est capable de motiver ses conclusions et recommandations et de présenter à la Cour la preuve fournie dans les procédu res. En outre, présumer l'existence d'un pouvoir de photocopier des documents est conforme à l'objet de la Loi qui est d'accorder un droit d'accès réel et d'assurer aux citoyens la tenue d'une enquête approfondie sur les plaintes qu'ils déposent en matière d'accès. Enfin, le paragraphe 36(5) de la Loi n'exige pas que le commissaire renvoie les copies des pièces qui lui ont été fournies parce que ces copies n'ont pas été «produites» conformément à l'article 36.
Les paragraphes 292 à 326 traitent des demande s relatives au bien-fondé des questions. Ces deux demandes visant l'obtention d'un jugement déclaratoire portent sur le bien-fondé de certaines questions posées à Jean Pelletier et à l'honorable Art Eggleton, lorsqu'ils ont déposé sous serment devant le re présentant du commissaire conformément aux subpoenas qui leur avaient été signifiés. Les questions qui leur ont été posées visaient à connaître leur opinion sur certains points et leurs commentaires au sujet de l'opinion exprimée par l'autre témoin.
L'autorisation de constituer le commissaire comme défendeur dans ces demandes a été accordée. Puisque, en fin de compte, M. Pelletier n'était pas obligé de répondre aux questions en litige qui lui étaient posées et parce que M. Eggleton a répondu à ces questions, il a été convenu que ces questions n'avaient plus qu'un intérêt théorique. Il s'agissait de savoir si la Cour devait néanmoins exercer son pouvoir discrétionnaire pour trancher les questions. Les critères définis dans l'arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), ont été appliqués. Le rapport contradictoire nécessaire existait. Après examen des facteurs suivants, il a été décidé qu'il n'existait pas de circonstances particulières justifiant à la Cour de se prononcer sur les question s n'ayant plus qu'un intérêt théorique: 1) compte tenu des larges pouvoirs conférés au commissaire à l'égard de l'enquête qu'il doit mener, la Cour doit hésiter à intervenir lorsque celui-ci exerce son pouvoir discrétionnaire pour déterminer quelle preuve il juge bon de recevoir; 2) les questions n'ont été contestées que pour des motifs de pertinence; 3) les décisions relatives à la preuve ne doivent pas être contestées tant que la décision finale n'est pas rendue--en l'espèce, une enquête est en cours, dans l'autre, M. Pelletier n'a jamais été obligé de répondre aux questions; 4) les demandeurs n'ont pas établi qu'il était probable que les questions se posent de nouveau dans des circonstances où une décision sur leur bien-fondé serait déterminante dans des l itiges subséquents; ils n'ont pas démontré que la réception des éléments de preuve inappropriés échapperait au contrôle judiciaire si ces éléments de preuve étaient importants pour ce qui est de la décision finale. Enfin, vu qu'une décision rendue en l'espèce n'a pas valeur de précédent, la Cour n'a pu constater aucun intérêt public justifiant la résolution des questions soulevées dans ces demandes.
9. GROUPE E: DEMANDE RELATIVE AU SECRET PROFESSIONNEL DE L'AVOCAT |
i) Autres faits |
[327]Cette demande de contrôle judiciaire découle de l'enquête menée par le commissaire sur les plaintes portant sur les réponses données par le responsable du Bureau du Conseil privé à l'égard des demandes relatives à la communication de l'agenda du premier ministre.
[328]En enquêtant sur ces plaintes, le représentant du commissaire a signifié à M. Cappe un subpoena duces tecum lui enjoignant de comparaître pour déposer devant lui et d'apporter certains documents. Les dispositions du subpoena ont déjà été énoncées dans ces motifs à l'égard des demandes du groupe C, mais elles sont reprises ici pour plus de commodité:
[traduction] Tous les documents (au sens de l'article 3 de la Loi) relevant du Bureau du Conseil privé contenant des renseignements concernant:
i) la réception, l'utilisation et la destruction par le greffier du Conseil privé des agendas du Premier ministre du Canada, et
ii) la cessation, en 1999, de la pratique de fournir les agendas du Premier ministre au greffier du Conseil privé.
Sur réception du subpoena, M. Cappe a fait en sorte que l'on cherche, au Bureau du Conseil privé, tous les documents contenant les éléments décrits dans le subpoena. Parmi les documents qui ont été trouvés:
1. Il y avait une note de service en date du 30 juillet 1999 intitulée «Demande relative à l'AIPRP--Agenda du Premier ministre», avec le sous-titre «Avis juridique». Cette note de service avait été préparée par un avocat de la section de la législation et planification parlementaire/ Conseiller du Bureau du Conseil privé, cette section faisant partie du Bureau du Conseil privé plutôt que du ministère de la Justice. La section est notamment chargée de donner des avis juridiques au cabinet du Premier ministre, au cabinet et au Bureau du Conseil privé. Dans ce document, il est mentionné qu'il s'agit d'une «note de service à l'intention de Mel Cappe». M. Cappe déclare sous serment que la note de service contient une discussion et une analyse des solutions juridiques que le Bureau du Conseil privé peut adopter, en vertu de la Loi sur l'accès à l'information, pour répondre aux demandes de communication des agendas du Premier ministre. On n'avait pas encore répondu à ces demandes lorsque la note de service du 30 juillet 1999 a été préparée.
2. Il y avait dix autres documents. Ils sont énumérés à l'annexe A qui accompagne l'avis de demande déposé dans la présente instance (les pièces énumérées à l'annexe A). M. Cappe déclare sous serment que toutes les pièces énumérées à l'annexe A se trouvaient au Bureau du Conseil privé et qu'il s'agissait dans tous les cas de communications, de comptes rendus de communications ou de projets de communications entre ou parmi des représentants du gouvernement du Canada, y compris des communications adressées au Premier ministre et au sous-procureur général du Canada. Elles ont toutes été faites afin de donner ou de communiquer des avis juridiques sur les questions concernant le commissaire à l'information et le gouvernement du Canada qui ont donné naissance au présent litige.
[329]Le 23 mai 2001, l'avocat de M. Cappe a écrit à l'avocat du commissaire pour éclaircir la portée du subpoena délivré à M. Cappe. L'avocat de M. Cappe a signalé qu'une interprétation large du subpoena donnait à entendre que le représentant du commissaire cherchait à ordonner à M. Cappe de fournir toutes les pièces qui y étaient décrites, et ce, indépendamment de la question de savoir si ces pièces étaient visées par le secret professionnel de l'avocat. Le 6 juin 2001, l'avocat du commissaire a répondu que M. Cappe était obligé de produire tous les documents mentionnés dans le subpoena et que les documents qui étaient censément visés par le secret professionnel de l'avocat devaient être identifiés en tant que tels.
[330]Le 8 juin 2001, un certain nombre de pièces ont été remises au commissaire, conformément au subpoena avec une lettre d'envoi de l'avocat de M. Cappe. La lettre disait que les pièces visées par le secret professionnel de l'avocat n'étaient pas fournies et une liste des pièces que M. Cappe refusait de produire était donnée. L'avocat de M. Cappe a offert d'expurger les pièces privilégiées de façon à révéler au commissaire les faits qui y étaient relatés, mais non la partie des pièces contenant des avis juridiques et des discussions relatives à la stratégie à adopter sur le plan juridique.
[331]Par une lettre en date du 11 juin 2001, le représentant du commissaire a accusé réception de la lettre de l'avocat ainsi que des pièces. Le représentant du commissaire a fondamentalement répondu ce qui suit:
[traduction] J'accuse par la présente réception de votre lettre du 8 juin 2001 ainsi que de quinze documents pertinents fournis conformément au subpoena que j'ai délivré le 17 mai 2001 et d'une liste de onze documents pertinents que votre client a refusé de produire conformément au subpoena. Le refus est fondé sur la prétention de votre client selon laquelle les onze documents, en totalité ou en partie, sont visés par le secret professionnel de l'avocat.
Afin d'assurer l'observation satisfaisante du subpoena du 17 mai 2001, votre client devra produire, le 12 juin à 9 h 30, le premier document figurant sur la liste des documents dont la communication a été refusée, soit le document en date du 30 juillet 1999. Ce document est antérieur à la date à laquelle l'enquête du commissaire a commencé et, à mon avis, il est pertinent lorsqu'il s'agit de déterminer si le responsable du BCP avait des motifs raisonnables, en fait et en droit, de refuser la communication des documents demandés en vertu de la Loi sur l'accès à l'information.
L'alinéa 36(1)c) et le paragraphe 36(2) montrent clairement que la revendication du secret professionnel de l'avocat ne justifie pas la décision de votre client de refuser de communiquer les documents du commissariat, comme la Cour d'appel fédérale l'a statué dans l'arrêt Ethyl Canada (A-762-99)--affaire dans laquelle la Couronne s'est vu refuser l'autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada ([2000] S.C.C.A. no 275). Néanmoins, je n'insiste pas en ce moment pour voir les dix autres documents dont la communication a été refusée puisque, selon la description qui a été donnée, ils ne jettent pas la lumière sur la réponse à la demande de communication. Bien sûr, je réserve le droit d'examiner ces dix documents à une date ultérieure en vue de me convaincre qu'ils sont tels que vous les avez décrits.
[332]Le 12 juin 2001, M. Cappe a comparu devant le représentant du commissaire à la suite de la délivrance des subpoenas duces tecum et il a été interrogé sous serment. Lors de la comparution, l'avocat de M. Cappe a soumis des observations au représentant du commissaire au sujet de la question de savoir si la note de service du 30 juillet 1999 contenant l'avis juridique devait être produite; le représentant du commissaire a remis sa décision à plus tard.
[333]Par une lettre en date du 19 juin 2001, le représentant du commissaire a fait connaître sa décision à l'avocat de M. Cappe. Cette décision était fondamentalement la suivante:
[traduction] J'ai minutieusement examiné les arguments que vous avez soumis à l'appui de votre requête, mais je ne puis rien constater qui m'amène à modifier la position dont je vous ai fait part dans ma lettre du 11 juin 2001. En plus du motif fondé sur la pertinence énoncé dans ma lettre du 11 juin, je me demande également si le contenu des documents est visé par le secret professionnel de l'avocat, étant donné le rôle opérationnel que certains avocats ont, au BCP, à l'égard de l'application de la Loi sur l'accès à l'information.
J'estime donc qu'au minimum, la pièce en date du 30 juillet 1999 doit être produite conformément au subpoena que j'ai délivré le 17 mai 2001. La pièce devra être produite au plus tard le 20 juin 2001 à 14 h. Comme je l'ai dit dans ma lettre du 11 juin, je réserve le droit d'examiner les dix autres documents à une date ultérieure.
[334]Le commissaire a obtenu une copie complète de la note de service du 30 juillet 1999. Il n'a pas encore reçu les pièces énumérées à l'annexe A.
ii) Les questions en litige
[335]Les questions que les parties ont soulevées sont ci-après énoncées:
1. Devrait-on accorder l'autorisation de désigner le commissaire à l'information à titre de défendeur en l'espèce?
2. La demande de contrôle judiciaire est-elle non justiciable, est-elle prématurée et est-elle inutile en ce qui concerne au moins 10 des 11 pièces en question?
3. La note de service du 30 juillet 1999 contenant l'avis juridique et les pièces énumérées à l'annexe A sont-elles visées par l'immunité dont bénéficie Sa Majesté la Reine du chef du Canada en ce qui concerne le secret professionnel de l'avocat?
4. Quelle est la norme de contrôle à appliquer à la décision d'exiger la production de la note de service du 30 juillet 1999?
5. Le représentant du commissaire a-t-il commis une erreur en concluant qu'il avait compétence pour exiger la production de la note de service du 30 juillet 1999 contenant l'avis juridique?
iii) Analyse
a) Le commissaire devrait-il être désigné à titre de défendeur dans la présente demande? |
[336]Le commissaire ne s'oppose pas à être désigné à titre de défendeur. Pour les motifs énoncés à l'égard des demandes du groupe C, une ordonnance sera rendue en vue d'accorder l'autorisation de désigner le commissaire à titre de défendeur dans les présentes demandes.
b) La demande de contrôle judiciaire est-elle non justiciable, est-elle prématurée et est-elle inutile en ce qui concerne les pièces énumérées à l'annexe A? |
[337]L'avis de demande conteste [traduction] «la décision communiquée aux demandeurs le 19 juin 2001 [. . .] enjoignant au demandeur Mel Cappe [. . .] de produire [. . .] un projet de note de service en date du 30 juillet 1999 qui lui était adressé» et vise également l'obtention d'un jugement déclaratoire portant que la note de service du 30 juillet 1999 et les 10 autres pièces énumérées à l'annexe A sont visées par le secret professionnel de l'avocat.
[338]La décision du 19 juin 2001 qui est contestée dans la présente instance exigeait uniquement la production de la note de service du 30 juillet 1999. Il était affirmé que la pièce était nécessaire parce qu'elle était antérieure à la date où l'enquête du commissaire a commencé et qu'elle était pertinente lorsqu'il s'agissait de déterminer si le responsable du Bureau du Conseil privé avait des motifs raisonnables de refuser la communication. Dans sa lettre en date du 11 juin 2001, le représentant du commissaire avait déjà fait savoir que, selon la description qui avait été donnée, les pièces énumérées à l'annexe A «ne jet[aient] pas la lumière sur la réponse à la demande de communication». La production n'était donc pas nécessaire. Le représentant du commissaire a réservé le droit d'examiner ces pièces à une date ultérieure en vue «de [s]e convaincre qu'ils [étaient] tels [qu'ils avaient été] décrits». À ce jour, aucune des pièces énumérées à l'annexe A n'a été demandée aux demandeurs.
[339]Dans ces conditions, je ne puis constater aucun litige actuel et concret entre les demandeurs et le commissaire à l'égard des pièces énumérées à l'annexe A. Il a été conclu qu'à condition que les pièces aient été décrites avec exactitude, elles «ne jet[aient] pas la lumière sur la réponse à la demande de communication». De même, compte tenu de la conclusion que je tire ci-après au sujet du droit du commissaire d'avoir accès aux pièces privilégiées, je ne crois pas qu'un jugement déclaratoire portant sur la question de savoir si le secret professionnel de l'avocat vise les pièces énumérées à l'annexe A ait en pratique une valeur. Je conclus donc que la demande de contrôle judiciaire est prématurée et inutile en ce qui concerne les pièces énumérées à l'annexe A.
c) La demande de contrôle judiciaire est-elle non justiciable, n'a-t-elle plus qu'un intérêt théorique et est-elle inutile en ce qui concerne la note de service du 30 juillet 1999? |
[340]La question de la capacité du commissaire d'ordonner la production de la note de service du 30 juillet 1999 peut être considérée comme n'ayant plus qu'un intérêt théorique, en ce sens que la pièce a déjà été fournie au commissaire, mais une ordonnance annulant pareille production aurait en pratique une certaine valeur en ce sens que la note de service serait renvoyée par le commissaire et qu'elle ne pourrait probablement pas être utilisée en preuve par celui-ci dans une procédure subséquente. En outre, étant donné que le litige qui nous occupe est axé sur l'interprétation qu'il convient de donner à la Loi, pour ce qui est de la capacité du commissaire d'exiger la production de pièces à l'égard desquelles le secret professionnel de l'avocat est invoqué, une décision portant sur l'étendue du pouvoir du commissaire d'ordonner la production aurait une certaine valeur en tant que précédent. Je suis donc convaincue que la Cour doit exercer son pouvoir discrétionnaire en vue de trancher la question soulevée par les demandeurs et de décider si le commissaire pouvait exiger à juste titre la production de la note de service du 30 juillet 1999.
[341]En tirant cette conclusion, j'ai examiné les observations que l'avocat du commissaire a présentées pendant l'argumentation orale, à savoir qu'il s'agit simplement d'une question de pertinence et que la question soulevée au sujet du groupe E aurait également pu être jointe aux demandes du groupe D. Il s'ensuit selon l'argument, que la Cour ne devrait pas intervenir dans une décision prise par le commissaire au stade de l'enquête qui porte sur la pertinence. Toutefois, lorsque le commissaire demandait la production d'une pièce qui était censément protégée par le secret professionnel de l'avocat, il ne s'agissait pas simplement d'une décision portant sur la pertinence. Le secret professionnel de l'avocat n'est pas simplement une règle de preuve; ce privilège est devenu un principe de fond, qui est fondamental dans le système de justice. Voir: Lavallee, Rackel & Heintz c. Canada (Procureur général); White, Ottenheimer & Baker c. Canada Procureur général); R. c. Fink, [2002] 3 R.C.S. 209, au paragraphe 18. Il s'ensuit que lorsque le commissaire demandait la production d'une pièce qui serait censément protégée par le secret professionnel de l'avocat, la décision ne portait pas simplement sur la question de la pertinence.
d) La note de service du 30 juillet 1999 est-elle assujettie au secret professionnel de l'avocat? |
[342]Les demandeurs affirment que, pour être visée par le secret professionnel de l'avocat, une pièce doit renfermer des renseignements divulgués à un avocat ou par un avocat aux fins de l'obtention ou de la fourniture d'un avis juridique. La note de service du 30 juillet 1999 serait censément privilégiée parce qu'elle a été rédigée par un avocat de la section chargée de donner des avis juridiques au Bureau du Conseil privé et parce qu'elle renferme une discussion et une analyse des solutions juridiques dont disposait le Bureau du Conseil privé.
[343]Le commissaire déclare qu'étant donné que l'enquête qu'il a menée sur les demandes relatives à l'agenda du Premier ministre est en cours, il doit être neutre à ce stade-ci. Cela étant, il ne prend pas de position au sujet de la question de savoir si les pièces en cause sont privilégiées.
[344]La déposition de M. Cappe, en ce qui concerne la description de la note de service du 30 juillet 1999, n'a pas été contestée. Pour les besoins de mon analyse, je crois qu'il suffit de supposer, sans toutefois me prononcer sur ce point, que la note de service du 30 juillet 1999 est visée par le secret professionnel de l'avocat.
e) La norme de contrôle à appliquer à la décision d'exiger la production de la note de service du 30 juillet 1999. |
[345]Pour les motifs énoncés au sujet des demandes du groupe B, il faut déterminer la norme de contrôle applicable à la décision du commissaire portant que la Loi l'autorisait à ordonner la production de la note de service du 30 juillet 1999. Pour ce faire, la première étape consiste à décrire la nature de la question tranchée par le représentant du commissaire.
[346]Les demandeurs reconnaissent que le commissaire a compétence à première vue pour ordonner la production de toutes les pièces, privilégiées ou non, relevant de l'institution fédérale qui sont pertinentes en ce qui concerne une affaire sur laquelle il enquête. Toutefois, ils affirment que le commissaire ne peut pas porter atteinte au secret professionnel de l'avocat à moins que la chose ne soit absolument nécessaire pour son enquête et qu'il n'était pas absolument nécessaire que le représentant du commissaire voie la note de service du 30 juillet 1999 afin de mener son enquête. Il est soutenu que le commissaire a donc commis une erreur en omettant de conclure que la note de service était absolument nécessaire pour son enquête.
[347]En réponse, le commissaire affirme que le paragraphe 36(2) de la Loi prévoit qu'il a, pour les enquêtes, accès à tous les documents qui relèvent d'une institution fédérale auxquels la Loi s'applique et qu'aucun de ces documents ne peut, pour quelque motif que ce soit, lui être refusé. Il est soutenu que les seules conditions influant sur le droit du commissaire d'avoir accès à un document sont que le document relève d'une institution fédérale et que le commissaire juge le document indispensable pour instruire et examiner à fond les plaintes.
[348]Par conséquent, une question de droit est soulevée, à savoir si le commissaire était obligé d'appliquer le critère de la nécessité absolue. Sur ce point, les demandeurs affirment que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte. À l'appui de cette prétention, ils affirment que, lorsqu'un tribunal applique des principes juridiques pour statuer sur des droits, on fera preuve d'une moins grande retenue. Ils affirment également que la détermination d'une question de pur droit exige un examen plus poussé dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire.
[349]L'avocat du commissaire n'a pas traité de la question de la norme de contrôle.
[350]Je reconnais que la norme de contrôle à appliquer est celle de la décision correcte. J'arrive à cette conclusion en tenant compte des arguments des demandeurs ainsi que de l'analyse relative à la norme de contrôle qui a été faite à l'égard des demandes du groupe B. L'analyse relative au groupe B s'applique à cette question parce que les décisions examinées à l'égard des groupes B et E se rapportent à l'interprétation qu'il convient de donner à la Loi en ce qui concerne les pouvoirs que possède le commissaire dans le cadre de son enquête.
f) Le représentant du commissaire a-t-il commis une erreur en concluant qu'il avait compétence pour exiger la production de la note de service du 30 juillet 1999 renfermant un avis juridique? |
[351]Les demandeurs reconnaissent que le paragraphe 36(2) de la Loi confère à première vue au commissaire un droit d'accès aux pièces qui sont protégées par le secret professionnel de l'avocat. Le paragraphe 36(2) prévoit ce qui suit:
36. [. . .]
(2) Nonobstant toute autre loi fédérale et toute immunité reconnue par le droit de la preuve, le Commissaire à l'information a, pour les enquêtes qu'il mène en vertu de la présente loi, accès à tous les documents qui relèvent d'une institution fédérale et auxquels la présente loi s'applique; aucun de ces documents ne peut, pour quelque motif que ce soit, lui être refusé. [Non souligné dans l'original.]
[352]Toutefois, les demandeurs affirment que, dans l'arrêt Lavallee, précité, la Cour suprême du Canada a clairement dit que le pouvoir conféré par la loi doit être interprété restrictivement, de façon à permettre l'accès aux pièces protégées par le secret professionnel de l'avocat uniquement si la chose est absolument nécessaire pour la conduite de l'enquête. En particulier, ils invoquent le paragraphe 18 des motifs prononcés par la majorité de la Cour suprême, dans lequel était citée avec approbation la décision que la Cour suprême du Canada avait rendue dans l'affaire Descôteaux et autre c. Mierzwinski, [1982] 1 R.C.S. 860. Au paragraphe 18, la majorité a dit ce qui suit:
Au nom de la Cour, le juge Lamer (plus tard Juge en chef) a rejeté le pourvoi. Après avoir exposé brièvement l'historique du privilège avocat-client en tant que règle de preuve, le juge Lamer a confirmé que ce privilège était devenu un principe de fond, se référant à la décision que la Cour a rendue dans Solosky, précité. Il affirme à la p. 875:
De toute évidence la Cour, dans cette cause [Solosky], appliquait une norme qui n'a rien à voir avec la règle de preuve, le privilège, puisqu'en rien n'y était-il question de témoignages devant un tribunal quelconque. En fait la Cour, à mon avis, appliquait, sans par ailleurs la formuler, une règle de fond et, par voie de conséquence, reconnaissait implicitement que le droit à la confidentialité, qui avait depuis déjà longtemps donné naissance à une règle de preuve, avait aussi depuis donné naissance à une règle de fond. |
Le juge Lamer a ensuite formulé de façon concise et dans les termes suivants (à la p. 875) les élements de la règle de fond, lesquels, d'après moi, déterminent en grande partie l'issue des pourvois ont la Cour est actuellement saisie:
Il est, je crois, opportun que nous formulions cette règle de fond, tout comme l'ont fait autrefois les juges pour la règle de preuve; elle pourrait, à mon avis, être énoncée comme suit: |
1. La confidentialité des communications entre client et avocat peut être soulevée en toutes circonstances où ces communications seraient susceptibles d'être dévoilées sans le consentement du client; |
2. À moins que la loi n'en dispose autrement, lorsque et dans la mesure où l'exercice légitime d'un droit porterait atteinte au droit d'un autre à la confidentialité de ses communications avec son avocat, le conflit qui en résulte doit être résolu en faveur de la protection de la confidentialité; |
3. Lorsque la loi confère à quelqu'un le pouvoir de faire quelque chose qui, eu égard aux circonstances propres à l'espèce, pourrait avoir pour effet de porter atteinte à cette confidentialité, la décision de le faire et le choix des modalités d'exercice de ce pouvoir doivent être déterminés en regard d'un souci de n'y porter atteinte que dans la mesure absolument nécessaire à la réalisation des fins recherchées par la loi habilitante; |
4. La loi qui en disposerait autrement dans les cas du deuxième paragraphe ainsi que la loi habilitante du paragraphe trois doivent être interprétées restrictivement. |
Voir également l'arrêt Jones, précité, par. 49. [Non souligné dans l'original.]
[353]Les demandeurs affirment que, selon ces principes, la Cour devrait interpréter le paragraphe 36(2) restrictivement, de sorte qu'il n'est porté atteinte au secret professionnel de l'avocat que dans la mesure où la chose est absolument nécessaire.
[354]Les demandeurs affirment en outre qu'une interprétation restrictive est nécessaire, en particulier lorsque les pièces fournies au commissaire peuvent être produites en preuve dans des procédures engagées en vertu des articles 41, 42 ou 44 [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 1, art. 45, ann III, no 1] de la Loi.
[355]Malgré la force de cet argument, j'ai conclu que le paragraphe 36(2) de la Loi ne doit pas être interprété d'une façon restrictive. J'arrive à cette conclusion pour les motifs ci-dessous énoncés.
[356]Premièrement, selon la jurisprudence de la Cour, la Loi doit être interprétée d'une façon libérale et fondée sur l'objet visé. Dans la mesure où la Loi précise que les décisions portant sur la divulgation de renseignements de l'administration doivent être examinées d'une façon indépendante de l'administration, l'interprétation que les demandeurs donnent au paragraphe 36(2) imposerait une restriction importante à la capacité du commissaire de conduire son enquête et de procéder à un examen indépendant.
[357]Deuxièmement, si le législateur avait omis d'édicter le paragraphe 36(2) de la Loi, les principes énoncés dans l'arrêt Lavallee auraient bien pu s'appliquer pour limiter le pouvoir général d'ordonner la production de pièces qui est prévu à l'alinéa 36(1)a) de la Loi. Toutefois, à mon avis, en édictant le paragraphe 36(2), le législateur a employé des mots qui indiquent clairement son intention, à savoir que le commissaire doit, pour les enquêtes, avoir accès à tous les documents indispensables, «[n]onobstant toute autre loi fédérale et toute immunité reconnue par le droit de la preuve». Interpréter le paragraphe 36(2) comme les demandeurs le préconisent serait, pour paraphraser les remarques que le juge Létourneau a faites dans l'arrêt Société canadienne des postes c. Canada (Ministre des Travaux publics), précité, paragraphe 33, incorporer des mots restrictifs qui ne s'y trouvent pas et cela irait à l'encontre de l'intention du législateur.
[358]Troisièmement, à mon avis, cette interprétation est conforme au rôle du commissaire et au régime de la Loi dans son ensemble. Le commissaire est tenu, en vertu de la Loi, de protéger les renseignements privilégiés qui lui sont communiqués en vertu du paragraphe 36(2) de la Loi pour qu'il puisse procéder à un examen indépendant de la plainte. Les renseignements de nature délicate doivent être fournis au commissaire, de façon qu'il puisse exercer ses fonctions comme il se doit. Dans un cas, le commissaire pourrait recommander la communication d'une pièce privilégiée, mais il n'est pas autorisé à communiquer les pièces. Lorsqu'une pièce privilégiée qui ne fait pas l'objet d'une demande de communication est produite, mais qu'il s'agit d'une pièce pertinente ou accessoire à cette demande de communication, les règles et pratiques de la Cour en matière de confidentialité permettent plus facilement au commissaire d'utiliser cette pièce dans les procédures de révision engagées devant la Cour sans la verser au dossier public. L'application de cette pratique est démontrée dans l'arrêt Canada (Commissaire à l'information) c. Canada (Ministre de l'Environnement) (2000), 187 D.L.R. (4th) 127 (C.A.F.) (affaire Ethyl).
[359]La position spéciale du commissaire est démontrée par le fait que le paragraphe 36(2) de la Loi est une disposition parallèle à l'article 46. En effet, en vertu de l'article 46, la Cour a accès à tous les documents «[n]onobstant [. . .] toute immunité reconnue par le droit de la preuve». De la même façon qu'une immunité et la confidentialité continuent à s'appliquer lorsque la Cour a accès à une pièce privilégiée, l'immunité continue à s'appliquer lorsque la pièce est remise au commissaire pour qu'il l'examine.
[360]Enfin, la décision que la Cour d'appel fédérale a rendue dans l'affaire Ethyl, précitée, étaye cette interprétation de la Loi. Dans l'affaire Ethyl, l'une des questions dont la Cour était saisie était de savoir si le commissaire pouvait verser dans le dossier du greffe, pour servir de preuve, des pièces qui étaient protégées par le secret professionnel de l'avocat et qui ne faisaient pas l'objet de la demande de communication pertinente. Dans cette affaire-là comme en l'espèce les pièces privilégiées étaient accessoires à la demande. La Cour a conclu qu'elles pouvaient être déposées devant le juge dans les procédures de contrôle judiciaire. La Cour a en outre conclu que les pièces accessoires seraient admissibles si le juge chargé de la révision était convaincu qu'elles aideraient à déterminer le bien-fondé et la légalité du refus de communication. Au paragraphe 14, la Cour d'appel a dit que «[l]e fait qu'ils puissent être protégés n'a pas d'importance puisque l'obstacle qu'est la protection est éliminé par le libellé clair de l'article 46».
[361]Comme il en a ci-dessus été fait mention, le paragraphe 36(2) est une disposition parallèle à l'article 46 de la Loi, de sorte que je considère, en me fondant sur l'arrêt Ethyl, qu'en ce qui concerne le commissaire, l'obstacle créé par le privilège est éliminé de la même façon.
[362]Les demandeurs cherchent à faire une distinction à l'égard de l'arrêt Ethyl, et ce, pour deux raisons. En premier lieu, le jugement, dans l'affaire Ethyl, a été rendu avant que la Cour suprême du Canada se prononce sur l'étendue du secret professionnel de l'avocat dans l'affaire Lavallee, précitée, et dans l'affaire R. c. McClure, [2001] 1 R.C.S. 445. En second lieu, les faits de l'affaire Ethyl donnent implicitement à entendre qu'il était absolument nécessaire d'avoir recours aux pièces visées par le secret professionnel de l'avocat.
[363]Je ne puis faire de distinction à l'égard de l'arrêt Ethyl. La décision, dans l'affaire Ethyl, a été rendue avant que les jugements Lavallee et McClure soient prononcés, mais la Cour d'appel fédérale s'est expressément reportée à la décision que la Cour suprême du Canada avait rendue dans l'affaire Descôteaux, où le critère de la communication «absolument nécessaire» avait initialement été énoncé. En outre, il n'y a rien dans la décision de la Cour d'appel fédérale qui m'amène à conclure que la décision était fondée sur la conclusion selon laquelle les pièces privilégiées étaient «absolument nécessaires». À mon avis, cette conclusion est incompatible avec les mots «l'obstacle créé par le privilège est éliminé» et la Cour s'en est expressément remise au juge de révision pour qu'il tranche la question de la pertinence et de l'admissibilité des pièces.
iv) Conclusion relative au groupe E
[364]En me fondant sur l'analyse susmentionnée, j'ai conclu que le représentant du commissaire a eu raison de décider qu'il pouvait ordonner la production de la note de service du 30 juillet 1999 contenant un avis juridique et qu'il n'avait pas à déterminer si la pièce était absolument nécessaire pour son enquête.
[365]Par conséquent, une ordonnance sera rendue en vue de rejeter la demande de contrôle judiciaire, la question des dépens étant remise à plus tard.
10. CONCLUSION RELATIVE AUX DÉPENS
[366]Les parties ont convenu que la question des dépens devrait être remise à plus tard, de façon que des observations additionnelles puissent être présentées. Des ordonnances seront rendues en ce sens.
[367]Enfin, la Cour remercie les avocats, qui ont su présenter par écrit et verbalement des observations réfléchies convaincantes. Ces observations ont été fort utiles.
1 Lorsqu'il est fait mention dans ces motifs des fonctions exercées par une personne, on entend le titulaire du poste en question au moment pertinent. |
2 Dans l'arrêt Slaight, le juge Lamer était dissident quant au résultat, mais il a rédigé les motifs de la majorité sur ce point. |