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T-1491-02

2004 CF 553

Maritimes and Northeast Pipeline Limited Partnership par l'entremise de son commandité, Maritimes and Northeast Pipeline Management (demanderesse)

c.

Clayton C. Elliott et Linda L. Elliott et le ministre des Ressources naturelles (intimés)

Répertorié: Maritimes and Northeast Pipeline Limited Partnership c. Elliott (C.F.)

Cour fédérale, juge Layden-Stevenson--Halifax, 18 mars; Ottawa, 13 avril 2004.

Énergie -- Contrôle judiciaire de la décision du ministre de renvoyer à l'arbitrage une demande d'indemnité alléguant la réduction de la valeur en capital d'une propriété en raison de sa proximité avec un pipeline -- Le terrain en cause est adjacent à une zone contrôlée -- L'art. 90(1) de la Loi sur l'Office national de l'énergie prévoit qu'un «propriétaire» («owner of lands»), pour passer outre à la procédure de négociation, peut demander l'arbitrage -- Application des principes d'interprétation législative pour déterminer le sens des expressions «propriétaire» et «de terrains» («of lands») -- Les Elliott étaient propriétaires de terrains -- Ils prétendaient toutefois échapper aux dispositions de la Loi -- Selon l'art. 84, les procédures de négociation et d'arbitrage s'appliquent aux dommages causés par un pipeline ou ce qu'il transporte, mais non aux demandes relatives aux activités de la compagnie qui ne sont pas directement rattachées à l'acquisition de terrains, ou à la construction, l'inspection, l'entretien ou la réparation d'un pipeline -- Distinction établie d'avec l'arrêt Balisky c. Canada (Ministre des Ressources naturelles) -- Le droit à l'indemnisation ne s'étend pas au-delà de la zone contrôlée -- Demande accueillie.

Interprétation des lois -- Loi sur l'Office national de l'énergie -- Comparaison des versions française et anglaise de l'art. 90(1), qui autorise le «propriétaire»/«owner of lands» à demander l'arbitrage dans le cadre d'une demande d'indemnité -- Application des principes d'interprétation législative énoncés par la C.S.C. dans Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re) et R. c. Daoust -- «Owner of lands» est ambigu et «propriétaire» est vague -- Absence signalée du déterminant «des terrains», pourtant utilisé dans d'autres dispositions (portant sur le tracé d'un pipeline) -- On suppose que le sens commun est le plus étroit (celui de propriétaire de terrains) -- Le mot «lands» (terrains) s'entend des terrains au sens ordinaire et usuel du terme -- Le sens n'en est pas restreint aux «terrains» selon la définition de l'art. 2.

Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision du ministre selon laquelle un comité d'arbitrage serait nommé pour instruire une demande d'indemnité concernant la réduction de la valeur en capital d'une propriété découlant de la proximité entre celle-ci et le pipeline de la demanderesse. Le terrain en cause est adjacent à la zone contrôlée, soit une zone s'étendant jusqu'à 30 mètres de l'emprise d'un pipeline et où certaines activités sont restreintes pour assurer la sécurité du public.

L'article 84 de la Loi sur l'Office national de l'énergie prévoit que les «procédures de négociation et d'arbitrage prévues [. . .] pour le règlement des questions d'indemnité s'appliquent en matière de dommages causés par un pipeline», à moins que n'entre en jeu l'une des exceptions énoncées aux alinéas a), b) et c). Le ministre est tenu, en vertu de l'alinéa 91(2)b), de ne pas renvoyer une question à un comité d'arbitrage lorsqu'il est convaincu qu'elle ne relève pas de sa compétence.

Le paragraphe 90(1) autorise un propriétaire (owner of lands) à demander l'arbitrage. La demanderesse a soutenu que les dispositions sur l'arbitrage ne s'appliquent pas aux Elliott parce qu'ils ne sont pas propriétaires de «terrains», au sens où ce mot est défini à l'article 2 (des terrains dont l'acquisition, la prise ou l'usage est autorisé par la Loi). Ils ont également soutenu. que la demande en est une pour effet préjudiciable sans prise de terrain, demande qui n'est pas reconnue en droit à moins qu'une loi ne le prévoie de façon claire et expresse. Les Elliott ont soutenu pour leur part que la Loi permet bien une telle demande; ils ont fait valoir le raisonnement de la Cour d'appel fédérale dans Balisky c. Canada (Ministre des Ressources naturelles), laquelle a statué que les demandes de propriétaires relatives à des terrains adjacents au droit de passage (la zone contrôlée de l'article 112) découlent de la présence ou de l'existence du pipeline. Le juge Rothstein, J.C.A. a conclu qu'il n'est nulle part mentionné dans la Loi que les propriétaires ne seront pas indemnisés pour la perte de leurs terrains afférents au droit de passage et pour l'effet préjudiciable de cette perte sur les terrains restants, pour cause notamment de démembrement. Le juge a déclaré qu'un propriétaire devrait pouvoir demander réparation pour une perte de valeur, tout comme il peut demander réparation pour tout autre effet préjudiciable sur les terrains restants, par suite de la présence d'un pipeline.

La question en litige était de savoir si le ministre doit renvoyer à un comité d'arbitrage les demandes d'indemnité pour les dommages qui auraient été causés à des terrains à proximité d'un pipeline. Il s'agissait plus précisément de savoir si on peut élargir la portée du raisonnement dans Balisky de manière à ce que soient visés les terrains hors de la zone contrôlée.

Jugement: la demande doit être accueillie.

Le législateur n'entendait pas restreindre la portée des mécanismes de négociation (article 88) et d'arbitrage (article 90) aux seules personnes dont le terrain a été pris, acquis ou utilisé par une compagnie de pipeline. La version anglaise du paragraphe 90(1) prévoit que peut demander l'arbitrage la compagnie ou le «owner of lands» qui désire passer outre à la procédure de négociation. La version française fait mention du «propriétaire». L'expression «owner of lands» est ambiguë. Elle peut s'entendre du propriétaire de «terrains», selon la définition de l'article 2 (terrains pris, acquis ou utilisés), ou de «terrains» par opposition à des biens meubles, notamment du bétail. Le mot «propriétaire» est vague plus qu'il n'est ambigu. Il peut renvoyer à divers types de propriété, comme un propriétaire de biens meubles ou immeubles, un propriétaire bénéficiaire ou un propriétaire bailleur. De même, le mot «owner» pourrait en lui-même être considéré vague. Alors qu'à l'article 85 on définit «owner» par renvoi à l'article 75 (all persons interested), on ajoute «of lands» au mot «owner» au paragraphe 90(1). Dans la version française, le mot «propriétaire» équivaut au mot «owner» et il est également défini par renvoi à l'article 75 (tous les intéressés). Au paragraphe 90(1) toutefois, par contraste à d'autres dispositions traitant du tracé de pipelines, on n'ajoute pas au mot «propriétaire» l'équivalent de «of lands» (de terrains). Les mots «propriétaire» et «owner», pour leur part, ne sont définis que pour les fins spécifiques des articles 86 à 107.

Supposer que le sens commun est le plus étroit--le propriétaire de terrains --, ne règle pas la question du sens à attribuer aux mots «de terrains». Incorporer la définition de «terrains» de l'article 2 (terrains dont l'acquisition, la prise ou l'usage est autorisé) à l'expression «propriétaire» («owner of lands» dans la version anglaise) du paragraphe 90(1) n'est conforme ni à l'objet de la Loi ni à l'intention du législateur. Les dispositions sur l'indemnisation de la partie V de la Loi ont pour objet d'établir un mécanisme efficace et équitable en vue de la fixation rapide d'une indemnité adéquate lorsque des dommages découlent directement de l'exercice par une compagnie de pipeline des pouvoirs prévus à l'article 73. La compagnie de pipeline doit, selon les modalités prévues à la Loi, indemniser pleinement tous les intéressés des dommages qu'ils ont subis en raison de l'exercice de ces pouvoirs. Les seules «modalités prévues» à la Loi consistent en la procédure de négociation mentionnée à l'article 88 ou d'arbitrage mentionnée à l'article 90. Si l'on devait souscrire à la position de la demanderesse quant aux «terrains», les propriétaires dont les terrains subissent des dommages en raison de la construction, de l'inspection, de l'entretien ou de la réparation du pipeline d'une compagnie, et qui ne sont pas en accord avec le montant d'indemnité ne disposeraient d'aucun recours en vertu de la Loi à moins que leur terrain ait été acquis, pris ou utilisé. Cela n'est conforme ni à l'objet de la Loi, ni à l'intention du législateur. Une telle interprétation priverait de sens les articles 75, 84 et 85. Le mot «lands» (terrains) au paragraphe 90(1) s'entend des terrains au sens ordinaire et usuel du terme. Le sens n'en est pas restreint aux «terrains» selon la définition de l'article 2.

La demande des Elliott échappait toutefois à la portée de la Loi. La Loi prévoit l'indemnisation en cas d'acquisition, de prise ou d'usage de terrains par une compagnie de pipeline (articles 84 et 86). Cela concerne les terrains dans l'emprise. Cela peut également concerner les terrains dans la zone contrôlée, qui ne sont donc pas exclus (Balisky). La Loi précise aussi qu'une compagnie de pipeline doit indemniser tous les intéressés des dommages qu'ils ont subis en raison de l'exercice de ses pouvoirs. Les pouvoirs, précisés à l'article 73, consistent notamment à pénétrer sur tout terrain, acquérir des terrains, construire, entretenir et exploiter le pipeline ainsi que les chemins, bâtiments et branchements utiles aux besoins de la compagnie. Selon l'article 84, les procédures de négociation et d'arbitrage s'appliquent aux dommages causés par un pipeline ou ce qu'il transporte, mais non aux demandes relatives aux activités de la compagnie qui ne sont pas directement rattachées à l'acquisition de terrains, ou à la construction, l'inspection, l'entretien ou la réparation d'un pipeline.

Le raisonnement dans Balisky ne s'applique pas par analogie à la situation des Elliott. La demande dans Balisky portait sur les terrains dans la «zone contrôlée» ou adjacents au droit de passage du pipeline. Le terrain en cause n'est pas assujetti aux restrictions applicables à la zone contrôlée. La portée du droit à l'indemnisation ne s'étend pas au-delà de la zone contrôlée. S'il n'y a pas de droit à l'indemnisation, il n'y a donc pas de droit à l'arbitrage. La décision du ministre n'était pas correcte et doit donc être annulée.

lois et règlements

Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 10.

Loi sur l'Office national de l'énergie, L.R.C. (1985), ch. N-7, art. 2 «comité d'arbitrage», «terrains», 34(3),(4), 73, 75, 84, 85, 86 (mod. par L.C. 2001, ch. 4, art. 104), 88, 90, 91, 97(1), 112 (mod. par L.C. 1990, ch. 7, art. 28; 1994, ch. 10, art. 26; 1999, ch. 31, art. 167), 115.

Règlement de l'Office national de l'énergie sur le croisement de pipe-lines, partie I, DORS/88-528.

Règlement de l'Office national de l'énergie sur le croisement de pipe-lines, partie II, DORS /88-529.

jurisprudence

décisions appliquées:

Balisky c. Canada (Ministre des Ressources naturelles), [2003] 4 C.F. 30; (2003), 1 C.E.L.R. (3d) 7; 239 F.T.R. 159; 301 N.R. 104 (C.A.); autorisation de pourvoi à la C.S.C. rejetée [2003] C.S.C.R. n 193 (quant à la norme de contrôle); Régie des transports en commun de la région de Toronto c. Dell Holdings Ltd., [1997] 1 R.C.S. 32; 31 O.R. (3d) 576; 142 D.L.R. (4th) 206; 45 Admin. L.R. (2d) 1; 36 M.P.L.R. (2d) 163; 206 N.R. 321; 97 O.A.C. 81; 7 R.P.R. (3d) 1; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; (1998), 36 O.R. (3d) 418; 154 D.L.R. (4th) 193; 50 C.B.R. (3d) 163; 33 C.C.E.L. (2d) 173; 221 N.R. 241; 106 O.A.C. 1; R. c. Daoust, [2004] 1 R.C.S. 217; (2004), 235 D.L.R. (4th) 216; 180 C.C.C. (3d) 449; 18 C.R. (6th) 57; 316 N.R. 203; Estabrooks Pontiac Buick Ltd. (Re) (1982), 44 N.B.R. (2d) 201; 144 D.L.R. (3d) 21; 7 C.R.R. 46 (C.A.).

distinction faite d'avec:

Balisky c. Canada (Ministre des Ressources naturelles), [2003] 4 C.F. 30; (2003), 1 C.E.L.R. (3d) 7; 239 F.T.R. 159; 301 N.R. 104 (C.A.); autorisation de pourvoi à la C.S.C. rejetée [2003] C.S.C.R. no 193.

décision citée:

United Taxi Drivers' Fellowship of Southern Alberta c. Calgary (Ville), [2004] 1 R.C.S. 485; (2004), 346 A.R. 4; 236 D.L.R. (4th) 385; [2004] 7 W.W.R. 603; 26 Alta. L.R. (4th) 1; 12 Admin. L.R. (4th) 1; 46 M.P.L.R. (3d) 1; 318 N.R. 170; 18 R.P.R. (4th) 1.

doctrine

Bureau de la traduction. Termium. en ligne: http://termiumplus.bureaudelatraduction.gc.ca (2004). «propriétaire».

Petit Robert 1: Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française. Paris: Le Robert, 1992. «propriétaire».

Sullivan, Ruth. Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4th ed. Markham, Ont.: Butterworths, 2002.

DEMANDE de contrôle judiciaire d'une décision du ministre de renvoyer à l'arbitrage une demande d'indemnité concernant la réduction de la valeur en capital d'une propriété située à proximité d'un pipeline. Demande accueillie.

ont comparu:

E. Bruce Mellett, pour la demanderesse.

Robert H. Pineo, pour Clayton et Linda Elliott, intimés.

Bruce Hughson, pour le ministre des Ressources naturelles, intimé.

avocats inscrits au dossier:

Bennett Jones LLP, Calgary, pour la demanderesse.

Patterson Palmer, Truro (Nouvelle-Écosse), pour Clayton et Linda Elliott, intimés.

Le sous-procureur général du Canada, pour le ministre des Ressources naturelles, intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par

[1]La juge Layden-Stevenson: Le ministre des Ressources naturelles (le ministre) a décidé qu'un comité d'arbitrage serait nommé pour instruire la demande d'indemnité de Clayton C. Elliott et de Linda L. Elliott (les Elliott). Les Elliott ont demandé une indemnité pour la réduction de la valeur en capital de leur propriété découlant, selon leurs dires, de la proximité entre celle-ci et un pipeline construit par Maritimes and Northeast Pipeline Limited Partnership (MNP). MNP soutient que les dispositions sur l'arbitrage de la Loi sur l'Office national de l'énergie, L.R.C. (1985), ch. N-7 (la Loi) ne sont pas applicables aux Elliott ni à leur demande et elle sollicite l'annulation de la décision du ministre.

CONTEXTE

[2]Les faits ne sont pas contestés. En bref, MNP a obtenu un certificat de commodité et de nécessité publiques en vue de la construction d'un pipeline pour le transport de gaz naturel des environs de Goldboro (Nouvelle-Écosse) jusqu'aux marchés des Maritimes et du nord-est des États-Unis. Ni le ministre ni les Elliott ne se sont opposés au tracé détaillé du pipeline (constitué d'une emprise de 25 mètres). L'emprise ne traverse pas l'ancienne propriété des Elliott (vendue en 2001) ni ne lui porte physiquement atteinte d'une autre manière, bien qu'une partie de la propriété se trouve dans la zone contrôlée de 30 mètres constituée en vertu de l'article 112 [mod. par L.C. 1990, ch. 7, art. 28; 1994, ch. 10, art. 26; 1999, ch. 31, art. 167] de la Loi. MNP n'a pas acquis des Elliott une servitude ou un autre type d'intérêt et elle n'a pas le droit de pénétrer dans l'ancienne propriété des Elliott.

[3]Après que les Elliott eurent présenté leur avis d'arbitrage au ministre, MNP a déposé une réplique. Par la suite, MNP et les Elliott ont accédé à la demande par le ministre d'observations supplémentaires au sujet de l'indemnisation dans la zone contrôlée. Par lettre datée du 9 août 2002, le ministre a fait savoir qu'aucun comité d'arbitrage ne serait nommé concernant «l'indemnisation en regard de l'obligation imposée par [la Loi] relativement à la zone contrôlée», mais qu'un comité d'arbitrage serait nommé pour instruire la demande des Elliott visant à obtenir des dommages-intérêts pour la réduction de la valeur en capital de leur propriété du fait de la proximité du pipeline. Le ministre n'avait pas demandé d'observations relativement à cette dernière question. Voici les parties importantes de la décision du ministre:

[traduction] Mon unique rôle découlant de l'alinéa 91(2)b) de la Loi ONE concerne la question de la compétence. Je suis tenu de par la loi de ne pas renvoyer une question à un comité d'arbitrage lorsque je suis convaincu qu'elle ne relève pas de sa compétence. J'ai examiné l'ensemble de la correspondance et des arguments présentés par les deux parties sur le sujet. Après examen attentif, je suis convaincu que la demande de M. et de Mme Elliott tombe sous le coup de la Loi ONE. Je vais donc renvoyer la présente question à un comité d'arbitrage, tel qu'il est demandé dans l'avis d'arbitrage.

Je ne conteste pas la position adoptée par Maritimes and Northeast Pipeline Management Ltd. (M&NP) au sujet de l'indemnité pour dommages-intérêts fondée sur les obligations imposées par la Loi ONE relativement à la zone tampon de 30 mètres, également désignée la zone contrôlée. Selon moi, un comité d'arbitrage ne peut se prononcer sur les pertes subies pour le défaut de se conformer à l'article 112 de la Loi ONE, ces pertes ne constituant pas directement des dommages causés par une compagnie de pipeline lorsqu'elle construit, entretient ou répare son pipeline.

M. et Mme Elliott demandent toutefois des dommages causés par la réduction de la valeur en capital de leur ancienne propriété du fait de la proximité immédiate du pipeline. Dans la mesure où cette perte de valeur n'est pas liée aux obligations prévues par la Loi ONE relativement à la zone contrôlée, je suis convaincu que la question visée dans l'avis d'arbitrage en est une à laquelle s'applique la procédure d'arbitrage de la partie V de la Loi ONE.

LA QUESTION EN LITIGE

[4]La principale question en litige est celle de savoir si le ministre a commis une erreur en décidant que la procédure d'arbitrage énoncée à la partie V de la Loi s'applique à la demande d'indemnité des Elliott. MNP soutient que, si elle n'a pas gain de cause à cet égard, le ministre a enfreint un principe de justice naturelle ou d'équité procédurale en ne lui donnant pas l'occasion d'être entendue quant à savoir si le ministre avait compétence, en vertu du paragraphe 91(1) de la Loi, pour nommer un comité d'arbitrage afin qu'il examine la demande des Elliott.

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

[5]Les dispositions législatives pertinentes figurent à l'annexe A des présents motifs. Voici dès maintenant, par souci de commodité, le libellé des articles 84 et 91 de la Loi:

Loi sur l'Office national de l'énergie, L.R.C. (1985), ch. N-7

84. Les procédures de négociation et d'arbitrage prévues par la présente partie pour le règlement des questions d'indemnité s'appliquent en matière de dommages causés par un pipeline ou ce qu'il transporte, mais ne s'appliquent pas:

a) aux demandes relatives aux activités de la compagnie qui ne sont pas directement rattachées à l'une ou l'autre des opérations suivantes:

(i) acquisition de terrains pour la construction d'un pipeline,

(ii) construction de celui-ci,

(iii) inspection, entretien ou réparation de celui-ci;

b) aux demandes dirigées contre la compagnie pour dommages à la personne ou décès;

c) aux décisions et aux accords d'indemnisation intervenus avant le 1er mars 1983.

[. . .]

91. (1) Dès qu'un avis d'arbitrage lui est signifié, le ministre:

a) si un comité d'arbitrage a déjà été constitué pour régler la question mentionnée dans l'avis, signifie à celui-ci l'avis d'arbitrage;

b) dans le cas contraire, nomme un comité d'arbitrage et signifie l'avis à celui-ci.

(2) Le paragraphe (1) ne s'applique pas dans les cas où le ministre est convaincu que la question mentionnée dans l'avis d'arbitrage qui lui a été signifié:

a) soit ne porte que sur le montant de l'indemnité accordé antérieurement par un comité d'arbitrage, lequel montant n'était pas, aux termes de la décision, susceptible de révision à la date de signification de l'avis;

b) soit est exclue de la procédure d'arbitrage.

(3) Le ministre peut constituer un comité d'arbitrage de sa propre initiative, sans qu'aucun avis d'arbitrage ne lui ait été signifié.

LA NORME DE CONTRÔLE

[6]On a déposé le dossier de la demande le 28 janvier 2003. Les motifs du jugement dans Balisky c. Canada (Ministre des Ressources naturelles), [2003] 4 C.F. 30 (C.A.), autorisation d'appeler à la C.S.C. refusée, [2003] C.S.C.R. no 193 (Balisky), ont été prononcés le 27 février 2003. Dans Balisky, la Cour d'appel fédérale a statué que la norme de la décision correcte était applicable à la décision du ministre de nommer un comité d'arbitrage en vertu de l'article 91 de la Loi. Malgré les protestations des Elliott, j'appliquerai donc la norme de la décision correcte. (Se reporter également à United Taxi Drivers' Fellowship of Southern Alberta c. Calgary (Ville), [2004] 1 R.C.S. 485, au paragraphe 5.)

LA POSITION DES PARTIES

[7]MNP soutient que Balisky portait sur la zone contrôlée et qu'on peut dire, à cet égard, que le pipeline de la compagnie concernée occasionnait des restrictions bien réelles ayant des répercussions immédiates. Cela diffère de la situation d'espèce, où la propriété des Elliott n'est assujettie à aucune restriction. MNP prétend que le raisonnement dans Balisky se rapporte aux propriétés situées dans la zone contrôlée et ne s'étend pas aux terrains adjacents s'ils n'ont pas été pris par la compagnie. S'il en était autrement, la responsabilité de MNP serait engagée de manière indéterminée.

[8]Les Elliott soutiennent pour leur part que le ministre devait, pour prendre sa décision, interpréter la loi selon la méthode contextuelle. Ils avancent qu'en conformité avec les motifs de l'arrêt Régie des transports en commun de la région de Toronto c. Dell Holdings Ltd., [1997] 1 R.C.S. 32 (Dell Holdings), les principes suivants reçoivent application:

a) une loi d'expropriation est une loi réparatrice et elle doit donc recevoir une interprétation large, libérale et compatible avec son objet;

b) si les dispositions d'une loi d'expropriation sont ambiguës, l'ambiguïté devrait être tranchée en faveur du propriétaire du bien-fonds;

c) il y a présomption en faveur de la pleine indemnisa-tion du citoyen dessaisi de droits de propriété.

[9]Se fondant sur l'article 10 de la Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, le ministre soutient que toute loi est réputée réparatrice et doit recevoir une interprétation juste, large et libérale qui soit compatible avec son objet. Les dispositions sur l'indemnisation de la partie V de la Loi ont pour objet d'établir un mécanisme efficace et équitable en vue de la fixation rapide d'une indemnité adéquate lorsque des dommages découlent directement de l'exercice par une compagnie de pipeline des pouvoirs prévus à l'article 73 de la Loi. Le ministre soutient que ce régime d'indemnisation, faisant exception aux principes de common law, a été conçu en vue de régler les différends relatifs aux dommages causés à un bien-fonds. Ayant reconnu que tout projet pipelinier était susceptible de porter atteinte aux droits de propriété de particuliers, le législateur fédéral a conçu un régime «accéléré» d'indemnisation. On avance que la souplesse de la procédure d'arbitrage facilite le traitement de demandes complexes visant à établir la nature de dommages causés à des biens-fonds; cela permet d'éviter que les demandes ne traînent pendant des années devant les tribunaux. Il est par conséquent logique et conforme à la Loi de conclure qu'on a conçu le mécanisme d'indemnisation en vue d'instruire des demandes relatives non seulement aux terrains acquis, pris ou utilisés par une compagnie de pipeline, mais aussi aux terrains auxquels la construction ou l'exploitation d'un pipeline peut d'une autre manière porter atteinte.

CLARIFICATION

[10]J'ai mentionné précédemment que, selon la décision du ministre, «un comité d'arbitrage ne peut se prononcer sur les pertes subies pour le défaut de se conformer à l'article 112 de [la Loi], ces pertes ne constituant pas directement des dommages causés par une compagnie de pipeline lorsqu'elle construit, entretient ou répare son pipeline». Bien que cette conclusion puisse être incompatible avec la décision Balisky, précitée, on ne l'a pas contestée dans les observations écrites ou dans le plaidoyer présentés dans le cadre de la présente demande. Puisqu'il n'y a eu aucune contestation et qu'aucun argument n'a été avancé relativement à la décision du ministre à cet égard, cette question ne sera pas examinée.

ANALYSE

[11]La question en litige est celle de savoir si le ministre doit renvoyer à un comité d'arbitrage les demandes d'indemnité pour les dommages qui auraient été causés à des terrains à proximité d'un pipeline. Les terrains en cause sont adjacents à la zone contrôlée établie en vertu du paragraphe 112(1) de la Loi. Ce paragraphe, en conjugaison avec le Règlement de l'Office national de l'énergie sur le croisement de pipe-lines, partie I [DORS/88-528], et le Règlement de l'Office national de l'énergie sur le croisement de pipe-lines, partie II [DORS/88-529] restreint l'exercice de certaines activités--pour assurer la sécurité du public--jusqu'à une distance de 30 mètres de l'emprise d'un pipeline. La question en litige plus spécifique est celle de savoir si on peut élargir la portée du raisonnement dans Balisky, précitée, de manière à ce que soient visés les terrains hors de la zone contrôlée.

[12]MNP soutient que la demande des Elliott est essentiellement une demande pour effet préjudiciable sans prise de terrain. Selon MNP, une telle demande n'est pas reconnue en droit à moins qu'une loi ne le prévoie de façon claire et expresse. Les Elliott ne le contestent pas. Ils soutiennent plutôt que la Loi permet bien une telle demande et font valoir que, par analogie, le raisonnement dans Balisky, précitée, s'applique à leur demande. Le ministre intimé ne se prononce pas sur le fond de la demande des Elliott. Ce dont il se soucie, c'est la compétence visée au paragraphe 91(1) de la Loi.

[13]Les principes applicables sont mentionnés dans Dell Holdings, précitée, et nous allons brièvement les exposer. Lorsque l'expropriation ou l'effet préjudiciable est autorisé par une loi, le droit à l'indemnisation doit être énoncé dans celle-ci. La présomption en faveur de l'indemnisation s'applique lorsqu'il y a prise d'un terrain; la loi doit donc recevoir une interprétation large et compatible avec son objet, qui est d'indemniser pleinement un propriétaire des pertes subies par suite d'une expropriation. Les pertes doivent être le résultat normal de l'expropriation, c'est-à-dire qu'elles ne doivent pas avoir un caractère trop indirect. Il y a une différence fondamentale entre un terrain qui est pris et un autre qui ne l'est pas. C'est la prise du terrain qui déclenche le droit à l'indemnisation et qui y donne naissance. Cette présomption n'existe pas en cas d'effet préjudiciable sans prise d'un terrain. On a étroitement circonscrit dans un tel cas le droit à l'indemnisation.

[14]Je dois par conséquent décider si la Loi prévoit une indemnisation en raison d'un effet préjudiciable et dans l'affirmative, si, elle établit des distinctions entre les cas où il y a prise et où il n'y a pas prise de terrain. Cela relève de l'interprétation législative et, bien que cette question puisse sembler toucher au fond de la demande, comme le ministre intimé le laisse entendre, je ne crois pas que tel est effectivement le cas. Le ministre est tenu, en vertu de l'alinéa 91(2)b), de ne pas renvoyer une question à un comité d'arbitrage lorsqu'il est convaincu qu'elle ne relève pas de sa compétence. Je n'estime pas, tel que les Elliott le laissent entendre, que cette disposition confère au ministre un pouvoir discrétionnaire. L'alinéa impose au ministre, à mon avis, de vérifier si la demande en est une ou non pour laquelle la loi prévoit une indemnisation. En bref, cela requiert d'interpréter les dispositions législatives pertinentes et la décision prise doit être correcte.

[15]MNP soutient que les dispositions sur l'arbitrage de la Loi ne s'appliquent pas aux Elliott parce que ceux-ci ne sont pas propriétaires de «terrains», au sens où ce mot est défini dans la Loi [article 2]. Aux termes de l'article 85, le mot «propriétaire» s'entend de toute personne qui a droit à une indemnité en vertu de l'article 75. Celui-ci vise l'indemnisation de «tous les intéressés des dommages qu'ils ont subis en raison de l'exercice de ces pouvoirs [de la compagnie de pipeline]». La question qui se pose est alors de savoir si le législateur fédéral entendait que le mot «terrains» à l'article 88 (négociation) et le mot «lands» dans la version anglaise de l'article 90 (arbitrage) aient le même sens que celui prévu à l'article 2.

[16]Je ne suis pas d'avis que le législateur entendait restreindre la portée des mécanismes de négociation et d'arbitrage aux seules personnes dont le terrain a été pris, acquis ou utilisé par une compagnie de pipeline. Avant d'en arriver à cette conclusion, j'ai pris en compte divers principes d'interprétation législative et je me suis fondé sur celui énoncé dans Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27 (Rizzo) et les décisions qui lui ont succédé, selon lequel [au paragraphe 21] «il n'y a qu'un seul principe ou solution: il faut lire les termes d'une loi [. . .] en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur».

[17]J'ai tenu compte du fait que, lorsque le législateur utilise un même mot ou une même expression à diverses reprises dans la même loi, le sens est présumé être le même dans tous les cas à moins que le contexte ne dicte manifestement le contraire (Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4e éd., Ruth Sullivan (Markham, Ont.: Butterworths, 2002), à la page 163). Pour des motifs que je vais préciser, je conclus que le contexte dicte manifestement le contraire en l'espèce.

[18]J'ai également examiné la récente décision R. c. Daoust, [2004] 1 R.C.S. 217 (Daoust), où la Cour suprême a traité des principes d'interprétation législative applicables aux dispositions divergentes d'une loi bilingue. La version anglaise du paragraphe 90(1) mentionne le cas où «a company or an owner of lands wishes to dispense with negotiation proceedings»; pour sa part, la version française s'énonce comme suit:

90. (1) Pour passer outre à la procédure de négociation ou en cas d'échec de celle-ci sur toute question visée au paragraphe 88(1), la compagnie ou le propriétaire peut signifier à l'autre partie et au ministre un avis d'arbitrage.

[19]Dans Daoust, le juge Bastarache a déclaré (au paragraphe 2) que «les règles d'interprétation des lois bilingues suggèrent une méthode selon laquelle on devrait privilégier le sens commun aux deux versions du texte législatif». Une accusation au pénal était alors en cause et la Cour suprême a appliqué la version la plus restrictive, en l'occurrence la version française. Bien qu'on retienne souvent le sens le plus restrictif comme correspondant au sens commun, ce choix n'a pas un caractère automatique. Le juge Bastarache a fait remarquer ce qui suit (au paragraphe 28): «Si aucune des deux versions n'est ambiguë, ou si elles le sont toutes deux, le sens commun favorisera normalement la version la plus restrictive» (non souligné dans l'original). Ruth Sullivan souligne à cet égard: [traduction] «en pratique, le principe du sens commun favorise la version à la plus large plutôt qu'à la plus étroite portée» (Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, précité, à la page 83).

[20]En l'espèce, l'expression anglaise «owner of lands» est ambiguë. Cela peut s'entendre, comme la demanderesse le fait valoir avec insistance, du propriétaire de terrains, au sens où «terrains» est défini à l'article 2 (terrains pris, acquis ou utilisés). Cela peut aussi s'entendre, comme le soutiennent les Elliott, du propriétaire «de terrains», l'objet de ce terme étant de préciser que les dommages doivent être causés en regard de terrains (plutôt, par exemple, que de bétail ou autres biens meubles).

[21]Le mot «propriétaire» est vague plus qu'il n'est ambigu. Il peut renvoyer à divers types de propriété, comme par exemple au propriétaire de biens meubles ou immeubles, à un propriétaire bénéficiaire ou à un propriétaire bailleur (Termium, 2004, l'expression «propriétaire», en ligne: Bureau de la traduction, <http://termiumplus.bureaudelatraduction.gc.ca>; Le Petit Robert 1, 1992, l'expression «propriétaire»). De même, le mot «owner» dans la version anglaise pourrait en lui-même également être considéré vague, puisqu'il est utilisé pour recouvrir une vaste gamme de concepts. Alors qu'à l'article 85 on définit «owner» par renvoi à l'article 75 (all persons interested), on ajoute «of lands» au mot «owner» au paragraphe 90(1). Dans la version française, le mot «propriétaire» équivaut au mot «owner» et il est également défini par renvoi à l'article 75 (tous les intéressés). Au paragraphe 90(1), toutefois, on n'ajoute pas au mot «propriétaire» l'équivalent de «of lands» (de terrains). On a recours à l'expression «propriétaire de terrains» dans d'autres dispositions de la Loi (les paragraphes 34(3) et 34(4)), mais ces paragraphes portent sur la détermination et l'acceptation du tracé d'un pipeline et non sur l'indemnisation. Les mots «propriétaire» et «owner», pour leur part, ne sont définis que pour les fins spécifiques des articles 86 à 107.

[22]Supposer que le sens commun est le plus étroit--le propriétaire de terrains--, ne règle pas la question, puisque reste ouverte la question du sens à attribuer aux mots «de terrains». Même une fois le sens commun décelé, il reste une autre étape à franchir, qui consiste «à vérifier si le sens commun ou dominant est conforme à l'intention législative suivant les règles ordinaires d'interprétation» (Daoust, précitée, au paragraphe 30).

[23]À mon avis, incorporer la définition de «terrains» de l'article 2 (terrains dont l'acquisition, la prise ou l'usage est autorisé) à l'expression «propriétaire»; «owner of lands» dans la version anglaise) du paragraphe 90(1) n'est conforme ni à l'objet de la Loi ni à l'intention législative. Les dispositions sur l'indemnisation de la partie V de la Loi ont pour objet d'établir un mécanisme efficace et équitable en vue de la fixation rapide d'une indemnité adéquate lorsque des dommages découlent directement de l'exercice par une compagnie de pipeline des pouvoirs prévus à l'article 73 de la Loi. La compagnie de pipeline doit, selon les modalités prévues à la Loi, indemniser pleinement tous les intéressés des dommages qu'ils ont subis en raison de l'exercice des pouvoirs énoncés à l'article 73. Les seules «modalités prévues» à la Loi--à défaut d'entente sur le montant de l'indemnité à payer pour les dommages causés par les activités de la compagnie--consistent en la procédure de négociation prévue à l'article 88 ou d'arbitrage prévue à l'article 90.

[24]L'objet du mécanisme d'arbitrage est, entre autres, de permettre la fixation sommaire et rapide des dommages subis par les propriétaires de terrains auxquels un pipeline porte atteinte, et de remettre ces propriétaires dans la position antérieure. Les comités d'arbitrage sont considérés être le forum approprié pour une telle fixation (Balisky, précitée).

[25]L'article 84 prévoit que les «procédures de négo-ciation et d'arbitrage prévues [. . .] pour le règlement des questions d'indemnité s'appliquent en matière de dommages causés par un pipeline», à moins que n'entre en jeu l'une des exceptions énoncées aux alinéas a), b) et c) de cet article. Si l'on devait souscrire à la position de la demanderesse quant aux «terrains», les proprié-taires dont les terrains subissent des dommages en raison de la construction de l'inspection, de l'entretien ou de la réparation du pipe-line d'une compagnie, et qui ne sont pas en accord avec le montant d'indemnité, ne disposeraient d'aucun recours en vertu de la Loi à moins que leur terrain ait été acquis, pris ou utilisé. Cela n'est conforme ni à l'objet de la Loi, ni à l'intention du législateur. Une telle interprétation priverait d'ailleurs de sens les articles 75, 84 et 85 de la Loi.

[26]J'en viens donc à la conclusion que le mot «lands» (terrains) au paragraphe 90(1), lorsqu'on le lit dans son «contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur» (Rizzo, précitée) s'entend des terrains au sens ordinaire et usuel du terme. Le sens n'en est pas restreint aux «terrains» selon la définition de l'article 2 de la Loi.

[27]MNP soutient en outre que la demande des Elliott échappe à la portée de la Loi parce qu'il n'y a pas eu prise de terrain et que les présumés dommages ne découlaient pas directement des activités de la compagnie. On peut déceler dans la Loi un souci d'intérêt public quant à une responsabilité à caractère indéterminé. MNP soutient que la Loi prévoit l'indemnisation, mais en en posant les limites. Elle prétend que la simple présence d'un pipeline à proximité d'un terrain ne permet pas à son propriétaire de demander une indemnité.

[28]Je partage l'avis de la demanderesse à cet égard. La Loi prévoit qu'il y a indemnisation dans deux circonstances. La première, tous en conviennent, a trait à l'acquisition, à la prise ou à l'usage de terrains par une compagnie de pipeline (articles 84 et 86 [mod. par L.C. 2001, ch. 4, art. 104]). Cela concerne les terrains dans l'emprise. Cela peut également concerner les terrains dans la zone contrôlée, qui ne sont donc pas exclus (Balisky, précitée). Les parties divergent toutefois d'opinion quant à la seconde circonstance. La Loi précise qu'une compagnie de pipeline doit payer une indemnité pour les dommages causés dans l'exercice de ses pouvoirs. Elle doit indemniser tous les intéressés des dommages qu'ils ont subis «en raison de l'exercice de ces pouvoirs».

[29]Les pouvoirs, précisés à l'article 73 de la Loi, consistent notamment à pénétrer sur tout terrain; acquérir des terrains; construire, entretenir et exploiter le pipeline et les chemins, les bâtiments et autres ouvrages utiles aux besoins de la compagnie; construire, entretenir et exploiter des branchements; modifier, réparer ou cesser d'utiliser tous ouvrages et les remplacer par d'autres; transporter des hydrocarbures par pipeline, en en fixant les modalités; enfin, fixer les droits à percevoir.

[30]Selon l'article 84, les procédures de négociation et d'arbitrage s'appliquent aux dommages causés par un pipeline ou ce qu'il transporte, mais non aux demandes relatives aux activités de la compagnie qui ne sont pas directement rattachées à l'acquisition de terrains, ou à la construction, l'inspection, l'entretien ou la réparation du pipeline.

[31]On a statué dans Balisky, précitée, que les activités de la compagnie de pipeline visées au paragraphe 84(1) s'entendent des actes des préposés, sous-traitants ou autres mandataires de celle-ci. L'arpentage compterait parmi les activités directement rattachées à l'acquisition de terrains, tandis que les activités directement rattachées à la construction comprendraient le transport physique des conduites et autres matériaux jusqu'au droit de passage ainsi que les travaux nécessaires pour mettre le pipeline dans un état qui convienne à son exploitation. Les activités directement rattachées à l'inspection, à l'entretien et à la réparation du pipeline comprendraient les travaux postérieurs à la mise en état du pipeline pour exploitation. Le paragraphe semble porter sur les actes négligents, voire les actes de bonne foi, accomplis par les préposés, sous-traitants et autres mandataires de la compagnie de pipeline et qui causent des dommages aux terrains.

[32]Le juge Rothstein a déclaré que le paragraphe 90(1) incorpore, par renvoi, deux aspects mentionnés dans le paragraphe 88(1), soit l'achat de terrains et les activités de la compagnie. Il a conclu que les activités de la compagnie de pipeline comprennent les activités mentionnées à l'alinéa 84a). Cependant l'exploitation quotidienne ordinaire du pipeline, abstraction faite de sa construction, de son entretien, de son inspection et de sa réparation, fait elle aussi partie des activités de la compagnie.

[33]Le juge Rothstein a en outre déclaré que les demandes de propriétaires relatives à des terrains adjacents au droit de passage (la zone contrôlée de l'article 112) découlent de la présence ou de l'existence du pipeline. Il n'y a pas lieu de distinguer entre les dommages résultant de l'acquisition du droit de passage du pipeline et les dommages résultant des exigences de sécurité publique imposées par la loi. Il a conclu qu'il n'est nulle part mentionné dans la Loi que les propriétaires ne seront pas indemnisés pour la perte de leurs terrains afférents au droit de passage et pour l'effet préjudiciable de cette perte sur les terrains restants, pour cause notamment de démembrement. Même si c'est la loi qui place une limite à l'utilisation, par un propriétaire, de la zone contrôlée, le résultat peut être une perte de valeur pour ce dernier. Un propriétaire devrait pouvoir demander réparation pour une telle perte, tout comme il peut demander réparation pour tout autre effet préjudiciable sur les terrains restants, par suite de la présence du pipeline.

[34]Il vaut la peine de réitérer deux aspects importants de Balisky. Premièrement, la question en litige était celle de savoir [au paragraphe 2] «si le ministre doit renvoyer à un comité d'arbitrage les demandes d'indemnité pour présumés dommages afférents à ce qu'il est convenu d'appeler la "zone contrôlée" adjacente au droit de passage du pipeline» [soulignement ajouté]. Deuxièmement, le juge Rothstein a expressément déclaré [au paragraphe 34]: «je ne voudrais pas donner à entendre que des dommages sont subis, en général ou dans un cas donné, en raison de restrictions portant sur la zone contrôlée» (non souligné dans l'original).

[35]Je ne puis souscrire à la prétention des Elliott selon laquelle le raisonnement dans Balisky s'applique par analogie à leur propre situation. Il est manifeste que les commentaires du juge Rothstein avaient trait aux restrictions prévues par la loi à l'égard de la zone contrôlée. Telle n'est pas la situation dont j'ai à connaître. Le terrain en cause n'est pas assujetti aux restrictions applicables à la zone contrôlée. Il me semble en outre que, dans Balisky, on a beaucoup insisté sur le fait que les terrains concernés étaient adjacents au droit de passage du pipeline. Ce n'est pas, encore une fois, ce dont il s'agit en l'espèce.

[36]Je me suis penchée sur l'argument des Elliott au sujet de l'alinéa 97(1)f) de la Loi. On énumère au paragraphe 97(1) divers éléments dont le comité d'arbitrage doit tenir compte pour régler les questions d'indemnité. L'alinéa f) fait état des «dommages que les activités de la compagnie risquent de causer aux terrains de la région». J'estime que les dommages doivent être le résultat normal des activités de la compagnie de pipeline. Ils ne doivent pas être trop indirects (Dell Holdings, précitée).

[37]Les terrains dans la zone contrôlée peuvent subir des dommages du fait de l'existence d'un pipeline, en raison des restrictions prévues par la loi qui les visent. Les terrains hors de la zone contrôlée ne sont pas soumis à de telles restrictions. Ni la loi ni la jurisprudence ne peuvent fonder une demande d'indemnisation pour les dommages découlant de l'existence d'un pipeline, qui seraient causés à des terrains adjacents à la zone contrôlée. Le droit à l'indemnisation à cet égard n'a donc pas une portée s'étendant au-delà de la zone contrôlée. S'il n'y a pas de droit à l'indemnisation, il n'y a donc pas de droit à l'arbitrage. Rien dans la Loi ne laisse croire que l'intention du législateur était autre.

[38]Les Elliott pourraient démontrer qu'ils disposent du droit à l'arbitrage en vertu de l'alinéa 97(1)f) si des activités de la compagnie, visées à l'alinéa 84a), telles que celles décrites par le juge Rothstein et mentionnées précédemment, ont causé des dommages à leur propriété. Ces activités doivent toutefois être directement rattachées à l'acquisition, la construction, l'inspection, l'entretien ou la réparation du pipeline. Rien ne laisse croire que tel est le cas, et l'avis d'arbitrage présenté par les Elliott au ministre ne faisait pas état de dommages de pareille nature.

[39]J'ai également pris en compte le Bulletin d'information XIII de l'Office national de l'énergie intitulé «La réglementation des pipelines: Aperçu pour les propriétaires et les locataires» (février 1997), et plus spécifiquement du paragraphe suivant:

Les propriétaires fonciers et les occupants de l'emprise éventuelle ne sont pas les seules personnes admissibles à une indemnité. Les propriétaires des terrains adjacents peuvent subir des dommages suite à un projet pipelinier. Quiconque subit des effets négatifs ou peut démontrer les coûts réels des dommages résultant de la construction et de l'exploitation d'un pipeline, peut demander une indemnité à la compagnie et solliciter les services d'un négociateur ou d'un arbitre quand les questions ne peuvent être réglées à la satisfaction des deux parties.

[40]Il n'y a rien d'incompatible entre la teneur du paragraphe précité et les conclusions énoncées dans les présents motifs. Le droit à l'indemnisation en dernière analyse, quelles qu'en soient la nature et la définition, doit avoir sa source dans des dispositions de la Loi. C'est celle-ci qui délimite ce qui peut et ne peut être indemnisé.

[41]On ne peut conclure que la demande d'indemnité des Elliott relève de la compétence du comité d'arbitrage parce que ce n'est pas là une question à laquelle s'appliquent les procédures d'arbitrage de la partie V de la Loi. La décision du ministre doit être révisée en fonction de la norme de la décision correcte; or j'ai conclu que la décision du ministre n'était pas correcte. Celle-ci doit donc être annulée.

[42]J'en arrive à cette conclusion, tout en sachant qu'une partie de la propriété des Elliott se trouve à l'intérieur de la zone contrôlée. Comme je l'ai toutefois mentionné plus tôt, aussi malheureux que cela puisse être, on n'a pas contesté la décision du ministre de ne pas renvoyer à un comité d'arbitrage la question des dommages relevant de l'article 112. Je n'ai pas été saisie de la décision du ministre à cet égard. Dans Estabrooks Pontiac Buick Ltd. (Re) (1982), 44 N.B.R. (2d) 201 (C.A.), le juge La Forest, (alors de la Cour d'appel du N.-B.) a déclaré que le devoir des tribunaux est de donner effet à l'intention du législateur, telle qu'elle est formulée dans le libellé de la loi, tout répréhensible que le résultat puisse paraître. C'est là la situation à laquelle je fais face.

[43]La demanderesse ayant gain de cause, je n'aurai pas à examiner la question de l'équité procédurale. La demande de contrôle judiciaire sera accueillie et, tel qu'il a été demandé, la décision du ministre sera annulée et l'affaire renvoyée au ministre pour qu'il rende une nouvelle décision conforme aux prescriptions de la partie V de la Loi. Ordonnance sera rendue en ce sens.

[44]La demanderesse n'a pas sollicité l'octroi de dépens, contrairement au ministre intimé. Ce dernier, pour l'essentiel, a appuyé la position adoptée par les Elliott et il n'a pas eu gain de cause. Aucuns dépens ne seront donc adjugés. Compte tenu des faits particuliers, de l'examen judiciaire restreint de la compétence du ministre en vertu de la Loi et du fait que la demande soulève une question de droit public dont la portée va au-delà du différend de droit privé qui oppose la demanderesse et les intimés, je n'aurais accordé de dépens en tout état de cause ni à la demanderesse ni au ministre.

ANNEXE «A»

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

Loi sur l'Office national de l'énergie, L.R.C. (1985), ch. N-7

2. Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

[. . .]

«comité d'arbitrage» Comité d'arbitrage nommé conformément à l'article 91.

[. . .]

«terrains» Terrains dont l'acquisition, la prise ou l'usage est autorisé par la présente loi ou par une loi spéciale. Les dispositions les concernant s'appliquent également aux biens-fonds, bâtiments et dépendances de toute sorte qui s'y trouvent et aux droits, servitudes et privilèges grevant la surface ou le sous-sol des terrains et ces biens.

[. . .]

73. Sous réserve des autres dispositions de la présente loi et de toute loi spéciale la concernant, la compagnie peut, dans le cadre de son entreprise:

a) pénétrer sans autorisation sur tout terrain, appartenant ou non à la Couronne et situé sur le tracé de son pipeline, et y faire les levés, examens ou autres préparatifs requis pour fixer l'emplacement de celui-ci et marquer et déterminer les parties de terrain qui y seront appropriées;

b) acquérir et détenir les terrains ou autres biens-fonds nécessaires à la construction, à l'entretien et à l'exploitation de son pipeline, et aliéner, notamment par vente, toute partie des terrains ou biens-fonds devenue, pour quelque raison, inutile aux fins de la canalisation;

c) construire, poser, transporter ou placer son pipeline sur, à travers ou sous les terrains situés le long du tracé du pipeline;

d) raccorder son pipeline, à un point quelconque de son tracé, aux installations de transport appartenant à d'autres personnes;

e) construire et entretenir les chemins, bâtiments, maisons, gares et stations, dépôts, quais, docks et autres ouvrages utiles à ses besoins, et construire ou acquérir des machines et autres appareils nécessaires à la construction, à l'entretien et à l'exploitation de son pipeline;

f) construire, entretenir et exploiter des branchements et exercer à cette fin les attributions qu'elle a à l'égard du pipeline;

g) modifier, réparer ou cesser d'utiliser tout ou partie des ouvrages mentionnés au présent article et les remplacer par d'autres;

h) transporter des hydrocarbures par pipeline et fixer les moments où se fait le transport, la manière dont il se fait, ainsi que les droits à percevoir en l'espèce;

i) prendre toutes les autres mesures nécessaires à la construction, à l'entretien et à l'exploitation de sa canalisation.

[. . .]

75. Dans l'exercice des pouvoirs qui lui sont conférés par la présente loi ou une loi spéciale, la compagnie doit veiller à causer le moins de dommages possibles et, selon les modalités prévues à la présente loi et à une loi spéciale, indemniser pleinement tous les intéressés des dommages qu'ils ont subis en raison de l'exercice de ces pouvoirs.

[. . .]

84. Les procédures de négociation et d'arbitrage prévues par la présente partie pour le règlement des questions d'indemnité s'appliquent en matière de dommages causés par un pipeline ou ce qu'il transporte, mais ne s'appliquent pas:

a) aux demandes relatives aux activités de la compagnie qui ne sont pas directement rattachées à l'une ou l'autre des opérations suivantes:

(i) acquisition de terrains pour la construction d'un pipeline,

(ii) construction de celui-ci,

(iii) inspection, entretien ou réparation de celui-ci;

b) aux demandes dirigées contre la compagnie pour dommages à la personne ou décès;

c) aux décisions et aux accords d'indemnisation intervenus avant le 1er mars 1983.

85. Pour l'application des articles 86 à 107, «propriétaire» désigne toute personne qui a droit à une indemnité aux termes de l'article 75.

[. . .]

90. (1) Pour passer outre à la procédure de négociation ou en cas d'échec de celle-ci sur toute question visée au paragraphe 88(1), la compagnie ou le propriétaire peut signifier à l'autre partie et au ministre un avis d'arbitrage.

[. . .]

91. (1) Dès qu'un avis d'arbitrage lui est signifié, le ministre:

a) si un comité d'arbitrage a déjà été constitué pour régler la question mentionnée dans l'avis, signifie à celui-ci l'avis d'arbitrage;

b) dans le cas contraire, nomme un comité d'arbitrage et signifie l'avis à celui-ci.

(2) Le paragraphe (1) ne s'applique pas dans les cas où le ministre est convaincu que la question mentionnée dans l'avis d'arbitrage qui lui a été signifié:

a) soit ne porte que sur le montant de l'indemnité accordé antérieurement par un comité d'arbitrage, lequel montant n'était pas, aux termes de la décision, susceptible de révision à la date de signification de l'avis;

b) soit est exclue de la procédure d'arbitrage.

[. . .]

97. (1) Le comité d'arbitrage doit régler les questions d'indemnité mentionnées dans l'avis qui lui a été signifié, et tenir compte, le cas échéant, des éléments suivants:

a) la valeur marchande des terrains pris par la compagnie;

b) dans le cas de versements périodiques prévus par contrat ou décision arbitrale, les changements survenus dans la valeur marchande mentionnée à l'alinéa a) depuis la date de ceux-ci ou depuis leurs derniers révision et rajustement, selon le cas;

c) la perte, pour leur propriétaire, de la jouissance des terrains pris par la compagnie;

d) l'incidence nuisible que la prise des terrains peut avoir sur le reste des terrains du propriétaire;

e) les désagréments, la gêne et le bruit qui risquent de résulter directement ou indirectement des activités de la compagnie;

f) les dommages que les activités de la compagnie risquent de causer aux terrains de la région;

g) les dommages aux biens meubles, notamment au bétail, résultant des activités de la compagnie;

h) les difficultés particulières que le déménagement du propriétaire ou de ses biens pourrait entraîner;

i) les autres éléments dont il estime devoir tenir compte en l'espèce.

[. . .]

112. (1) Sous réserve du paragraphe (5), il est interdit, sans l'autorisation de l'Office, soit de construire une installation au-dessus, au-dessous ou le long d'un pipeline, soit de se livrer à des travaux d'excavation, avec de l'équipement motorisé ou des explosifs, dans un périmètre de trente mètres autour d'un pipeline.

(2) Sous réserve du paragraphe (5), il est interdit de faire franchir un pipeline par un véhicule ou de l'équipement mobile sans la permission de la compagnie à moins que ce ne soit sur la portion carrossable de la voie ou du chemin public.

[. . .]

(5) L'Office peut prendre des ordonnances ou règlements concernant:

a) la conception, la construction, l'exploitation et la cessation d'exploitation d'une installation;

b) les mesures à prendre à l'égard de la construction d'une installation, de la construction de pipelines au-dessus, au-dessous ou le long d'installations, autres que des voies ferrées, et les travaux d'excavation dans les trente mètres du pipeline;

c) les circonstances ou conditions dans lesquelles il n'est pas nécessaire d'obtenir l'autorisation prévue au paragraphe (1).

[. . .]

115. Sauf disposition contraire de la présente partie:

a) la présente loi est réputée incorporée à une loi spéciale;

b) les dispositions de la loi spéciale l'emportent sur les dispositions incompatibles de la présente partie.

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