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T-568-03

2003 CF 1242

Merck & Co. Inc. et Merck Frosst Canada & Co. (demanderesses)

c.

Le ministre de la Santé et Apotex Inc. (défendeurs)

Répertorié: Merck & Co. Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (C.F.)

Cour fédérale, protonotaire Tabib--Ottawa, 14 et 23 octobre 2003.

Preuve -- L'art. 7 de la Loi sur la preuve au Canada interdit de mettre en preuve plus de cinq témoignages d'experts sans en avoir obtenu la permission au préalable -- Procédures en interdiction fondées sur le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) -- Une partie a déposé les affidavits de neuf témoins experts -- Courants jurisprudentiels opposés relativement à la question de la limite du nombre de questions de fait appelant le témoignage d'un expert -- L'interprétation de la C.A. Ont. dans Bank of America Canada c. Mutual Trust Co. a été préférée à l'arrêt de la C.S.C. dans Fagnan c. Ure Estate et à la décision de la C.S. Alb. dans In re Scamen et al., des décisions obsolètes dans lesquelles on a forcé le sens d'une disposition claire pour accorder réparation puisque la disposition correspondante de The Alberta Evidence Act ne conférait pas le pouvoir discrétionnaire de permettre la présentation d'un plus grand nombre de témoignages d'experts lorsque l'affaire le justifiait -- Dans deux décisions récentes de la C.F. où l'arrêt Fagnan a été appliqué, la Cour n'a pas été directement appelée à décider de la juste interprétation de l'art. 7 -- L'art. 7 ne restreint pas l'interrogatoire des témoins à un interrogatoire de vive voix à l'audience -- L'art. 7 est une disposition de portée générale qui s'applique dans un procès ou autre procédure pénale ou civile -- Il est abusif pour une partie de déposer plus de cinq affidavits d'experts.

Pratique -- Affidavits -- Partie sollicitant une demande d'interdiction fondée sur le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) a déposé les affidavits de neuf témoins experts -- En vertu de l'art. 7 de la Loi sur la preuve au Canada, le nombre de témoins experts est limité à cinq à moins qu'une partie n'obtienne d'abord la permission du tribunal -- Il est abusif pour une partie de déposer plus de cinq affidavits d'experts.

Pratique -- Preuve -- Demande d'ordonnance portant radiation d'affidavits dans le cadre d'une demande d'interdiction présentée sur le fondement du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) -- Expériences effectuées pendant l'instance, sans qu'un avis ait été donné à l'autre partie, sans qu'elle n'ait eu l'opportunité d'y assister -- Les affaires pertinentes sont présentées comme portant sur une règle de pratique et non sur une règle de preuve -- Bien que les essais effectués à huis clos en vue d'en présenter les résultats en procès soient découragés parce qu'ils vont à l'encontre des objectifs visés par la procédure de communication préalable, les présentes procédures fondées sur le Règlement ne se prêtent pas au déroulement d'expériences conjointes ou supervisées -- Des contraintes de temps importantes exerceraient une trop grande pression sur le calendrier d'instruction -- Il n'existe aucune règle d'irrecevabilité des essais menés ex parte et pendente lite dans le cadre d'une procédure sommaire.

Brevets -- Pratique -- Demande d'ordonnance portant radiation d'affidavits dans le cadre d'une demande d'interdiction présentée sur le fondement du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) -- Une partie a déposé les affidavits de neuf témoins experts -- En vertu de l'art. 7 de la Loi sur la preuve au Canada, le nombre de témoins experts est limité à cinq -- Il a été soutenu que les affidavits allèguent des faits nouveaux non mentionnés dans l'avis d'allégation et introduisent des éléments de preuve non pertinents: notes apposées sur l'enveloppe du dossier de certaines demandes de brevet censé établir l'antériorité -- Les dossiers de demandes de brevet sont parfois jugés recevables pour clarifier l'intention de l'inventeur -- Les résultats d'expériences effectuées pendant l'instance sont recevables dans le cadre d'une procédure sommaire fondée sur le Règlement -- Compte tenu des contraintes de temps, exiger qu'un préavis et la possibilité d'assister soient donnés exercerait une trop grande pression -- Il est abusif pour une partie de déposer plus de cinq affidavits d'experts.

Il s'agissait d'une demande d'ordonnance portant radiation de la totalité ou d'une partie des affidavits dans le cadre d'un avis de demande d'interdiction présentée sur le fondement du paragraphe 6(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité). Les demanderesses ont fait valoir les motifs suivants: 1) que les affidavits alléguaient des faits et des documents nouveaux non mentionnés dans l'avis d'allégation d'Apotex, à savoir des publications et des articles concernant l'antériorité et des résultats d'expériences menées par Apotex, et qu'ils étaient accompagnés d'éléments de preuve non pertinents, soit les notes apposées sur l'enveloppe du dossier de certaines demandes de brevet censées établir l'antériorité; 2) que les affidavits tentaient de mettre en preuve les résultats d'expériences effectuées pendant l'instance sans qu'un préavis n'ait été donné aux demanderesses et sans qu'elles n'aient eu la possibilité d'y assister; 3) que, contrairement à l'article 7 de la Loi sur la preuve au Canada, les défendeurs tentaient de mettre en preuve plus de cinq témoignages d'experts sans avoir obtenu au préalable la permission de la Cour.

Apotex a fait valoir que la requête doit être rejetée parce qu'elle est prématurée en ce qu'il appartient au juge de statuer sur les questions de fond que la demande soulève.

Jugement: la demande doit être accueillie en partie, Apotex a 10 jours pour choisir les cinq affidavits qu'elle retient. Les affidavits non retenus seront radiés.

1) En ce qui concerne les publications ainsi que les notes apposées sur l'enveloppe des dossiers de demandes de brevet qui ne figuraient pas dans l'avis d'allégation, Apotex a soutenu qu'elle n'a pas voulu établir d'autres cas d'antériorité, mais donner suite à une question soulevée par Merck quant à la date à laquelle une publication mentionnée expressément dans l'avis d'allégation a été rendue publique pour la première fois. Comme cet argument était de prime abord fondé, il appartenait au juge de trancher. La même conclusion a été tirée relativement aux résultats d'expériences. Bien que les dossiers de demandes de brevet ne soient généralement pas recevables pour établir la portée d'un brevet, ils peuvent parfois l'être pour clarifier l'intention de l'inventeur. Merck n'a pas établi qu'elle subirait un préjudice si le soin de statuer sur cette question était laissé au juge du fond. En conséquence, sa demande s'y rapportant était prématurée.

2) La jurisprudence citée relativement aux expériences effectuées pendant l'instance porte sur cette question uniquement à titre de règle de pratique et non à titre de règle de preuve. De plus, les décisions citées par Merck ont toutes été rendues dans le cadre de poursuites où la preuve pouvait faire l'objet d'une communication préalable complète et non dans le cadre d'une procédure sommaire telle que le prévoit le Règlement sur les avis de conformité. Il convient certainement de décourager les essais effectués à huis clos en vue d'en présenter les résultats au procès puisqu'ils vont à l'encontre des objectifs visés par la procédure de communication préalable. Les règles qui régissent le déroulement de l'action comportent des dispositions permettant aux parties d'effectuer, moyennant un préavis, des expériences contrôlées. Elles n'empêchent pas une partie de procéder à des essais privés pour décider si elle réoriente sa preuve dans le cas où ceux-ci se révéleraient insatisfaisants. Toutefois, les règles régissant le déroulement de la présente procédure sommaire ne se prêtent pas au déroulement d'expériences conjointes ou supervisées. Compte tenu des contraintes de temps auxquelles sont soumises les procédures présentées en vertu du présent Règlement, exiger qu'un préavis et la possibilité d'assister aux essais soient donnés à la partie adverse exercerait une trop grande pression sur le calendrier d'instruction et pourrait contraindre une partie à choisir entre dévoiler son jeu ou renoncer à présenter un élément de preuve susceptible d'être crucial. Il n'existe aucune règle générale d'irrecevabilité des essais menés ex parte et pendente lite dans le cadre d'une procédure sommaire. Il a été souligné que Merck n'a même pas tenté d'établir que les données présentées par Apotex sont insuffisantes pour lui permettre de procéder à de véritables contre-interrogatoires à l'égard de ces essais, qu'elle a préféré s'en tenir à l'application d'un prétendu principe général d'irrecevabilité. Cette partie de la requête a donc été rejetée au motif qu'elle était prématurée.

3) Apotex a déposé les affidavits de neuf témoins experts. En vertu de l'article 7 de la Loi sur la preuve au Canada, il ne peut être appelé, pour rendre des témoignages d'opinion, plus de cinq témoins experts professionnels de chaque côté sans la permission du tribunal. Selon le premier courant d'interprétation, le libellé de la loi doit être interprété strictement, la limite s'appliquant à chacune des parties, peu importe le nombre de questions de fait appelant le témoignage d'un expert. Il a toutefois été tranché dans d'autres décisions que la limitation du nombre de témoins experts s'applique à chacun des sujets pour lesquels un témoignage d'opinion est présenté. L'une de ces décisions a été rendue par la Cour suprême du Canada: Fagnan v. Ure Estate. Mais l'interprétation privilégiée de l'article 7 a été celle que lui a donnée la Cour d'appel de l'Ontario dans Bank of America Canada c. Mutual Trust Co., c'est-à-dire que la limitation s'applique à l'affaire en entier, et non à chaque question de fait. La décision In re Scamen et al. c. Canadian Northern R. Co. (1926) allait dans le sens contraire, mais elle portait sur l'article 10 de l'Alberta Evidence Act, 1910, qui différait de l'article 7 de la Loi sur la preuve au Canada puisqu'il ne conférait pas à la cour le pouvoir discrétionnaire de permettre la présentation d'un plus grand nombre de témoignages d'experts lorsque l'affaire le justifiait. Il n'est donc pas étonnant que, dans In re Scamen, la Cour se soit sentie obligée de forcer le sens de ce qui paraît être une disposition claire. La Cour a en effet précisé qu'elle devait donner au libellé de la loi [traduction] «une juste interprétation, de façon à la rendre raisonnable et applicable». Dans toutes les décisions subséquentes, une distinction a été établie entre le résultat obtenu dans In re Scamen et dans Fagnan au motif que la loi albertaine ne prévoyait l'exercice d'aucun pouvoir discrétionnaire. Bien que deux décisions récentes de la Cour fédérale aient repris l'interprétation faite dans l'arrêt Fagnan selon laquelle cinq experts peuvent être entendus par sujet ou question de fait, la Cour n'a, en aucun de ces cas, été directement appelée à décider de la juste interprétation de l'article 7. Il est crucial d'empêcher le recours abusif à la preuve d'expert dans le cadre d'une instance qui se veut sommaire. L'argument soutenu par Apotex selon lequel l'article 7 ne s'applique que lorsque les témoins seront interrogés de vive voix à l'audience et que seul le juge qui entend la demande au fond ou instruit l'instance a le pouvoir discrétionnaire d'autoriser l'audition de témoignages d'opinion supplémentaires ne pouvait être accepté. Cette disposition n'établit pas de telles restrictions. L'article 7 est une disposition de portée générale qui ne s'applique pas qu'aux procès: «dans un procès ou autre procédure pénale ou civile».

Que ce soit dans le contexte d'un procès ou d'une procédure sommaire, permettre à une partie de présenter, sans autorisation préalable, un plus grand nombre de témoins que celui prévu, laissant au juge présidant l'audience le soin de décider si leurs témoignages seront tous recevables exigerait dans les faits de la partie adverse qu'elle se prépare à réfuter tous les éléments de preuve présentés. Le risque d'abus est le même que la preuve soit présentée de vive voix à l'audience ou au moyen d'un affidavit. Il peut être géré efficacement en appliquant l'article 7 à toute étape de l'instance, y compris la procédure sommaire. Étant donné qu'Apotex n'a pas demandé au préalable la permission de déposer plus de cinq affidavits d'experts, elle ne peut invoquer que les témoignages de cinq experts. Sauf dans des circonstances spéciales, dont la preuve incombe à la partie qui les invoque, il est abusif de déposer plus de cinq affidavits d'experts.

lois et règlements

Alberta Evidence Act (The), S.A. 1910 (2nd Sess.), ch. 3, art. 10.

Evidence Act (The), R.S.O. 1914, ch. 76.

Loi sur la preuve, L.R.O. 1990, ch. E.23.

Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5, art. 7.

Loi sur la preuve en Canada, S.R.C. 1927, ch. 59.

Manitoba Evidence Act (The), R.S.M. 1954, ch. 75.

Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, art. 6(1) (mod. par DORS/98-166, art. 5).

jurisprudence

décisions appliquées:

P.S. Partsource Inc. c. Canadian Tire Corp. (2001), 11 C.P.R. (4th) 386; 267 N.R. 135 (C.A.F.); Bank of America Canada v. Mutual Trust Co. (1998), 59 O.T.C. 325; 18 R.P.R. (3d) 213 (Div. Gén. Ont.); mod. par (2000), 184 D.L.R. (4th) 1; 130 O.A.C. 149; 30 R.P.R. (3d) 167 (C.A. Ont.); conf. par [2002] 2 R.C.S. 601; (2002), 211 D.L.R. (4th) 385; 287 N.R. 171; 159 O.A.C. 1; 49 R.P.R. (3d) 1.

distinction faite d'avec:

Omark Industries (1960) Ltd. v. Gouger Saw Chain Co., [1965] 1 R.C.É. 457; (1964), 45 C.P.R. 169; Merck & Co. c. Apotex Inc. (1994), 59 C.P.R. (3d) 133; 88 F.T.R. 260 (C.F. 1re inst.); Halford c. Seed Hawk Inc. (2001), 16 C.P.R. (4th) 189; 218 F.T.R. 161 (C.F. 1re inst.); In re Scamen et al. v. Canadian Northern R. Co. (1926), 6 D.L.R. 142 (C.S. Alb.); Fagnan v. Ure Estate, [1958] R.C.S. 377; (1958), 13 D.L.R. (2d) 273.

décisions examinées:

Eli Lilly and Co. c. Novopharm Ltd. (1997), 147 D.L.R. (4th) 673; 73 C.P.R. (3d) 371; 130 F.T.R. 1 (C.F. 1re inst.); GlaxoSmithKline Inc. c. Apotex Inc. (T-876-02, juge Pinard, décision en date du 4-9-03, encore inédite).

décisions citées:

Janssen Pharmaceutica Inc. c. Apotex Inc. (1998), 82 C.P.R. (3d) 574 (C.A.F.); Apotex Inc. c. Bayer AG (1998), 83 C.P.R. (3d) 127 (C.A.F.); Novartis AG c. Apotex Inc. (2001), 15 C.P.R. (4th) 417; 212 F.T.R. 161 (C.F. 1re inst.); Buttrum v. Udell (1925), 57 O.L.R. 97; [1925] 3 D.L.R. 45; 28 O.W.N. 137 (C.A. Ont.); Rex v. Barrs, [1946] 2 D.L.R. 655; [1946] 1 W.W.R. 328; (1946), 86 C.C.C. 9; 1 C.R. 301 (C.A. Alb.); B.C. Pea Growers Ltd. v. City of Portage La Prairie (1964), 49 D.L.R. (2d) 91; 50 W.W.R. 415 (C.A. Man.).

DEMANDE d'ordonnance portant radiation d'affidavits dans le cadre d'une demande d'interdiction présentée sur le fondement du paragraphe 6(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité). Demande accueillie en partie.

ont comparu:

Peter R. Wilcox et Andy Radhakant pour les demanderesses.

Andrew R. Brodkin et Nathalie Butterfield pour la défenderesse Apotex Inc.

Personne n'a comparu pour le défendeur ministre de la Santé.

avocats inscrits au dossier:

Ogilvy Renault, Toronto, pour les demanderesses.

Goodmans LLP, Toronto, pour la défenderesse Apotex Inc.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance et ordonnance rendus par

[1]Le protonotaire Tabib: Dans le contexte d'un avis de demande d'interdiction présentée sur le fondement du paragraphe 6(1) [mod. par DORS/98-166, art. 5] du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 (le Règlement), les demanderesses Merck & Co. Inc. et Merck Frosst Canada & Co. (Merck) demandent une ordonnance portant radiation de la totalité ou d'une partie de 10 des 14 affidavits déposés par la défenderesse Apotex Inc. (Apotex), pour les motifs suivants:

1) que les affidavits allèguent, à l'appui des allégations d'invalidité, des faits et des documents nouveaux non mentionnés dans l'avis d'allégations d'Apotex (plus particulièrement, des publications et des articles concernant l'antériorité et des résultats d'expériences menées par Apotex) et qu'ils sont accompagnés d'éléments de preuve non pertinents, soit les notes apposées sur l'enveloppe du dossier de certaines demandes de brevet censé établir l'antériorité;

2) que les affidavits tentent de mettre en preuve les résultats d'expériences effectuées pendant l'instance sans qu'un préavis n'ait été donné aux demanderesses et sans qu'elles n'aient eu la possibilité d'y assister;

3) que, contrairement à l'article 7 de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5 (la Loi sur la preuve au Canada), les défendeurs tentent de mettre en preuve plus de cinq témoignages d'experts sans avoir obtenu au préalable l'autorisation de la Cour.

Argument préliminaire d'Apotex concernant le caractère prématuré

[2]Apotex a fait valoir avec vigueur que, dans son ensemble, la requête de Merck doit être rejetée parce qu'elle est prématurée en ce que, sauf circonstances extraordinaires, il appartient au juge saisi de la demande au fond de décider si, en raison de leur contenu, des affidavits doivent être radiés ou écartés en partie. (Voir par exemple Janssen Pharmaceutica Inc. c. Apotex Inc. (1998), 82 C.P.R. (3d) 574 (C.A.F.) et Apotex Inc. c. Bayer AG (1998), 83 C.P.R. (3d) 127 (C.A.F.).)

[3]Je suis d'accord avec le principe général ainsi énoncé et j'ajouterais que même si les observations suivantes formulées dans P.S. Partsource Inc. c. Canadian Tire Corp. (2001), 11 C.P.R. (4th) 386 (C.A.F.), au paragraphe 18, s'appliquent tout particulièrement lorsqu'il y a objection fondée sur la pertinence, je ne vois aucune raison de ne pas l'appliquer généralement en matière de recevabilité:

Je tiens toutefois à souligner que les plaideurs ne doivent pas prendre l'habitude de recourir systématiquement à des requêtes en radiation de la totalité ou d'une partie d'un affidavit et ce, peu importe le degré de notre Cour, surtout lorsque la question porte sur la pertinence. Ce n'est que dans des circonstances exceptionnelles où l'existence d'un préjudice est démontrée et que la preuve est de toute évidence dénuée de pertinence que ce type de requête est justifié. Lorsqu'elle est fondée sur le ouï-dire, cette requête ne doit être présentée que lorsque le ouï-dire soulève une question controversée, lorsque le ouï-dire peut être clairement démontré ou lorsqu'on peut démontrer que le fait de laisser au juge du fond le soin de trancher la question causerait un préjudice.

[4]C'est en gardant ces principes à l'esprit que j'examinerai les motifs invoqués par Merck pour obtenir la radiation totale ou partielle des affidavits, soit en me demandant s'il est manifeste que la preuve est irrecevable ou non pertinente et s'il peut être établi qu'il serait préjudiciable de laisser au juge appelé à statuer sur la demande au fond le soin de trancher la question.

Allégations ne figurant pas dans l'avis d'allégation et dossiers de demandes de brevet

[5]En réponse à la prétention de Merck selon laquelle certaines publications invoquées dans les affidavits d'Apotex ne figuraient pas dans son avis d'allégations et ne peuvent donc pas appuyer la demande, Apotex soutient qu'elle n'a pas voulu établir d'autres cas d'antériorité, mais donner suite à une question soulevée par Merck quant à la date à laquelle une publication mentionnée expressément dans l'avis d'allégation a été rendue publique pour la première fois. L'examen des documents en cause montre que cet argument est de prime abord fondé, et il s'agit donc clairement d'une question que le juge du fond devrait trancher. De même, les résultats des expériences effectuées par Apotex paraissent étayer un énoncé qui figure clairement dans son avis d'allégations et que conteste Merck dans ses actes de procédure.

[6]Enfin, en ce qui concerne la pertinence de notes apposées sur l'enveloppe des dossiers de demandes de brevet, il appert que même si celles-ci ne sont généralement pas recevables pour établir la portée d'un brevet, elles peuvent parfois l'être pour clarifier l'intention de l'inventeur (Novartis AG c. Apotex Inc. (2001), 15 C.P.R. (4th) 417 (C.F. 1re inst.), à la page 442). Étant donné que Merck n'a pas établi qu'elle subirait un préjudice si le soin de statuer sur la recevabilité de ces notes apposées aux dossiers de demandes de brevet était laissé au juge du fond, sa demande s'y rapportant est prématurée, et la question sera tranchée lors de l'audition de la demande au fond.

Résultats d'expériences effectuées pendant l'instance sans qu'un avis n'ait été donné à la partie adverse

[7]Merck prétend qu'il existe une règle de preuve bien établie voulant que la preuve d'expériences menées par une partie sans que la partie adverse n'ait été invitée à y assister et à observer leur déroulement est irrecevable. Elle cite à l'appui Omark Industries (1960) Ltd. v. Gouger Saw Chain Co., [1965] 1 R.C.É. 457; Merck & Co. c. Apotex Inc. (1994), 59 C.P.R. (3d) 133 (C.F. 1re inst.) et Halford c. Seed Hawk Inc. (2001), 16 C.P.R. (4th) 189 (C.F. 1re inst.).

[8]Je remarque que toutes ces affaires ont pour objet une action et que la décision relative à la recevabilité a été rendue par le juge du procès lors de l'audience sur le fond. La règle n'y est pas présentée comme une règle de preuve, mais comme une règle de pratique de la Cour visant à assurer l'équité entre les parties et à faire en sorte que la preuve soit complète et valable par l'exclusion de résultats d'essais que la partie adverse ne peut raisonnablement contester au moyen d'un contre-interrogatoire parce qu'elle ne dispose pas de données suffisantes sur le déroulement des expériences.

[9]Il existe une différence fondamentale entre une action, où la preuve peut faire l'objet d'une communication préalable complète, et la procédure sommaire prévue par le Règlement.

[10]Lorsqu'elle est possible, la communication préalable permet de prendre connaissance de la preuve dont dispose l'autre partie, de sorte qu'aucune des parties ne soit prise au dépourvu au procès et que chacune puisse y présenter une preuve complète. Il convient donc de décourager les essais effectués à huis clos en vue d'en présenter les résultats au procès parce qu'ils vont à l'encontre des objectifs visés par la procédure de communication préalable. De plus, la procédure et les règles qui régissent le déroulement de l'action comportent des délais et une marche à suivre permettant aux parties d'effectuer, moyennant un préavis, des expériences contrôlées. Cela inclut le besoin compréhensible d'une partie de procéder à des essais privés avant de décider si elle les invoque au procès ou si elle réoriente sa preuve dans le cas où ils se révéleraient insatisfaisants.

[11]La procédure sommaire se veut au contraire expéditive. La possibilité de connaître à l'avance les faits et la preuve dont dispose la partie adverse et la nécessité d'assurer qu'une preuve complète est présentée à la Cour ne sont ni des considérations primordiales pour ce genre de procédure ni de nature à favoriser la réalisation de son objectif. Les règles régissant le déroulement d'une procédure sommaire ne se prêtent pas non plus au déroulement d'expériences conjointes ou supervisées. En pratique, les parties à une demande faite en vertu du Règlement n'ont qu'à peine le temps nécessaire pour effectuer des expériences susceptibles (ou non) d'être probantes ou d'étayer leur thèse. Je soupçonne que dans bien des cas, les expériences menées font partie intégrante de l'élaboration de la stratégie de litige. Exiger qu'un préavis et la possibilité d'assister aux essais soient donnés à la partie adverse exercerait une trop grande pression sur le calendrier d'instruction et pourrait contraindre une partie à choisir entre ouvrir son dossier de litige à l'adversaire ou renoncer à présenter un élément de preuve susceptible d'être crucial.

[12]Assurer l'équité entre les parties et empêcher qu'un élément puisse être mis en preuve sans qu'un contre-interrogatoire valable ne puisse avoir lieu doit cependant demeurer une considération, et il se peut que, dans les cas qui s'y prêtent, une décision s'impose relativement à la recevabilité ou à l'exclusion. J'arrive toutefois à la conclusion qu'il n'existe aucune règle générale d'irrecevabilité des essais menés ex parte et pendente lite dans le cadre d'une procédure sommaire.

[13]Vu les faits et les circonstances qui m'ont été communiqués relativement à cette requête, il appert ce qui suit:

1) Dans son avis d'allégation, Apotex allègue que de l'AMT est produit lorsque l'alendronate monosodique est obtenu à l'aide d'un certain procédé.

2) Dans ses affidavits, Merck nie que ce soit le cas.

3) Les résultats d'essais qu'Apotex tente de mettre en preuve établiraient la véracité de son allégation.

4) L'affidavit dans lequel sont présentés les résultats ne fait pas seulement état des résultats des essais. Il semble donner le détail des étapes et des méthodes suivies et il s'accompagne du carnet de labo.

5) Merck n'a ni allégué ni tenté d'établir que les faits et les données présentés par Apotex sont insuffisants pour lui permettre de procéder à de véritables contre-interrogatoires à l'égard de ces essais. Elle a préféré s'en tenir à l'application d'un prétendu principe général d'irrecevabilité.

[14]Par conséquent, rien ne me permet même de décider si les résultats des essais doivent ou non, pour quelque motif, y compris l'absence d'équité ou l'impossibilité d'un contre-interrogatoire, être exclus au stade préliminaire. La requête de la demanderesse est donc rejetée au motif qu'elle est prématurée.

L'article 7 de la Loi sur la preuve au Canada

[15]Merck et Apotex ont respectivement déposé les affidavits de deux et de neuf témoins experts.

[16]Le texte de l'article 7 de la Loi sur la preuve au Canada est le suivant:

7. Lorsque, dans un procès ou autre procédure pénale ou civile, le poursuivant ou la défense, ou toute autre partie, se propose d'interroger comme témoins des experts professionnels ou autres autorisés par la loi ou la pratique à rendre des témoignages d'opinion, il ne peut être appelé plus de cinq de ces témoins de chaque côté sans la permission du tribunal, du juge ou de la personne qui préside.

[17]Il semble y avoir deux courants jurisprudentiels opposés en ce qui concerne l'interprétation d'une disposition comme l'article 7.

[18]Suivant le premier courant (Buttrum v. Udell (1925), 57 O.L.R. 97 (C.A.); Rex v. Barrs, [1946] 2 D.L.R. 655 (C.A. Alb.); B.C. Pea Growers Ltd. v. City of Portage La Prairie (1964), 49 D.L.R. (2d) 91 (C.A. Man.) et Bank of America Canada v. Mutual Trust Co. (1998), 59 O.T.C. 325 (Div. gén. Ont.); modifié relativement à une autre question dans (2000), 184 D.L.R. (4th) 1 (C.A. Ont.); confirmé par [2002] 2 R.C.S. 601), si l'on interprète strictement le libellé clair de la loi, la limite s'applique à chacune des parties, peu importe le nombre de questions de fait appelant le témoignage d'un expert.

[19]Le deuxième courant (In re Scamen et al. v. Canadian Northern R. Co. (1926), 6 D.L.R. 142 (C.S. Alb.) et Fagnan v. Ure Estate, [1958] R.C.S. 377) veut que la limitation du nombre de témoins experts s'applique à chacun des sujets pour lesquels un témoignage d'opinion est présenté.

[20]Dans un certain nombre de décisions, dont deux de la Cour, qui sont examinées plus loin, les tribunaux ont opté pour l'interprétation privilégiée dans Fagnan.

[21]J'estime que l'interprétation préconisée dans In re Scamen, puis confirmée par la Cour suprême du Canada dans Fagnan, ne vaut que pour la formulation particulière de la loi albertaine alors en cause, et que la juste interprétation de l'article 7 de la Loi sur la preuve au Canada doit être celle que lui a donnée la Cour d'appel de l'Ontario dans Bank of America Canada, c'est-à-dire que la limitation s'applique à l'affaire en entier, et non à chaque question de fait.

[22]Dans In re Scamen, la Cour suprême de l'Alberta était appelée à interpréter l'article 10 de The Alberta Evidence Act, S.A. 1910 (2nd Sess.), ch. 3. Le libellé de cette disposition est presque identique à celui de l'article 7 de la Loi sur la preuve au Canada, mais il existe une différence cruciale entre les deux. La loi albertaine ne conférait pas à la Cour le pouvoir discrétionnaire de permettre la présentation d'un plus grand nombre de témoignages d'experts lorsque l'affaire le justifiait. Dans les circonstances, il n'est pas étonnant que la Cour se soit sentie obligée de forcer le sens de ce qui me paraît être une disposition claire, de manière à supprimer une contrainte qu'elle jugeait déraisonnable et inapplicable. La Cour précise en effet qu'elle doit donner au libellé de la loi [traduction] «une juste interprétation, de façon à la rendre raisonnable et applicable lorsque les termes employés le justifient». Dans Fagnan, appelée à interpréter le même article 10 de The Alberta Evidence Act, la Cour suprême du Canada a appliqué le résultat obtenu dans In re Scamen, mais pas nécessairement parce qu'elle croyait que l'interprétation était la bonne. En effet, le bien-fondé des interprétations concurrentes ne fait l'objet d'aucun examen indépendant, pas plus que ne sont discutées les décisions Buttrum v. Udell et Rex v. Barrs rendues dans l'intervalle et dans lesquelles des dispositions semblables ont été interprétées de manière contradictoire. La Cour suprême signale plutôt que, depuis son interprétation dans In re Scamen, l'article 10 a été réédicté ipsissimis verbis, de sorte que s'applique le principe selon lequel le législateur est censé avoir voulu sanctionner cette interprétation.

[23]À l'opposé, lorsqu'ils ont été directement appelés à interpréter des dispositions limitant le nombre d'experts, mais permettant que l'autorisation soit donnée d'appeler à la barre un plus grand nombre de ces témoins, les tribunaux ont toujours statué que la limite s'appliquait à la preuve d'une partie dans son ensemble: Buttrum v. Udell (interprétant The Evidence Act de l'Ontario, R.S.O. 1914, ch. 76); Rex v. Barrs (interprétant la Loi de la preuve en Canada, S.R.C. 1927, ch. 59); B.C. Pea Growers (interprétant The Manitoba Evidence Act, R.S.M. 1954, ch. 75) et Bank of America Canada (interprétant à nouveau la Loi sur la preuve de l'Ontario, L.R.O. 1990, ch. E.23).

[24]Dans toutes ces décisions, une distinction a été établie entre le résultat obtenu dans In re Scamen et, plus tard, dans Fagnan, au motif que la loi albertaine ne prévoyait l'exercice d'aucun pouvoir discrétionnaire. Comme la Cour de justice de l'Ontario (Division générale) l'a dit succinctement dans Bank of America Canada (au paragraphe 131): [traduction] «Scamen et Fagnan doivent être reléguées au cabinet des curiosités parce qu'il s'agit de décisions obsolètes imputables à une particularité historique de la loi albertaine d'alors».

[25]Qu'en est-il alors des deux décisions récentes de la Cour appliquant le dispositif de l'arrêt Fagnan selon lequel cinq experts peuvent être entendus par sujet ou question de fait?

[26]J'estime que ni Eli Lilly and Co. c. Novopharm Ltd. (1997), 147 D.L.R. (4th) 673 (C.F. 1re inst.) ni GlaxoSmithKline Inc. c. Apotex Inc. (non publié, 4 septembre 2003, juge Pinard, T-876-02) ne me lient quant à savoir laquelle des deux interprétations concurrentes de l'article 7 de la Loi sur la preuve au Canada est la bonne. Il semble que, dans ces affaires, la Cour n'a pas été directement appelée à décider de la juste interprétation de l'article 7. Les faits, l'analyse et la décision révèlent plutôt que, dans les deux cas, il a été présenté à la Cour que le dispositif de Fagnan s'appliquait, la question étant de savoir comment le principe de cinq experts par sujet devait s'appliquer compte tenu des faits de l'espèce.

[27]Dans Eli Lilly, chacune des parties, y compris la demanderesse, avait annoncé le témoignage de plus de cinq experts. La Cour devait décider si, dans une affaire où il y avait trois défendeurs et où trois actions étaient instruites simultanément sans qu'il n'y ait eu jonction des instances, la règle s'appliquait à chacun des «côtés», à chacune des «parties» ou à chacun des défendeurs. Lorsqu'elle affirme que les tribunaux ont conclu que l'article 7 limite à cinq le nombre de témoins par sujet ou par question de fait, la juge Reed cite, sans plus d'analyse, Buttrum v. Udell, In re Scamen, Fagnan et Pea Growers (entre autres) en donnant à penser que, selon elle, ces décisions appuient cette interprétation, alors que ce n'est manifestement pas le cas. De toute évidence, la question de savoir quel courant jurisprudentiel devait être suivi et si l'article 7 limitait le nombre d'experts à cinq par côté ou à cinq par sujet ne lui a pas été soumise et n'a pas été tranchée.

[28]Dans GlaxoSmithKline, le juge Pinard a rendu une ordonnance sans l'accompagner de motifs distincts. Il ressort des conclusions que la requête de GlaxoSmithKline a été rejetée essentiellement parce qu'elle n'avait pas été présentée au bon moment. Dans la mesure où la question de l'application de l'article 7 de la Loi sur la preuve au Canada y est abordée, il s'agit d'un examen incident où seul le jugement Eli Lilly est invoqué à l'appui et qui semble résulter de la prémisse adoptée par GlaxoSmithKline elle-même selon laquelle Apotex aurait présenté plus de cinq témoignages d'expert par sujet.

[29]J'ajouterais que si l'issue du litige n'avait pas été aussi clairement dictée par l'analyse de la jurisprudence citée devant moi et si j'avais dû interpréter le texte de l'article 7 de la Loi sur la preuve au Canada d'une manière juste et raisonnable, je serais arrivée au même résultat.

[30]Il serait difficile d'exprimer avec plus d'éloquence que le juge Ferguson dans Buttrum v. Udell (aux pages 98 et 100) les raisons pour lesquelles il en est ainsi:

[traduction] Il n'est pas difficile de satisfaire aux exigences de la disposition et, à mon avis, il vaut mieux que la partie qui omet de demander l'autorisation d'appeler à la barre plus de trois témoins experts assume les conséquences de sa propre négligence que de voir ressurgir l'abus auquel la loi vise à remédier.

[. . .]

Je ne puis trouver dans le texte de la loi quelque ambiguïté ou élément qui nous permette de donner à la loi la portée et l'effet restreints que lui a attribués la Cour suprême de l'Alberta dans In re Scamen v. Canadian Northern Railway Co. (1912), 6 D.L.R. 142 ou, en l'espèce, le juge de première instance. Avec égards, je crois que le remède proposé par ces instances est pire que le mal. Il vaut mieux limiter à trois de chaque côté le nombre des témoins experts entendus au cours d'un procès, sous réserve de l'autorisation du tribunal d'en appeler d'autres à la barre, que de le limiter seulement en fonction du nombre de questions de fait qui sont soulevées pendant l'instance ou qui, selon les prétentions raisonnables de l'avocat, pourraient l'être. Si cette dernière interprétation était retenue, le juge de première instance ne pourrait refuser d'entendre de tels témoins parce que, avant d'entendre leurs témoignages, il ne pourrait pas vraiment savoir à quelle question de fait ils se rapportent ni s'il s'agit d'un «témoignage d'opinion», de sorte que la loi serait sans effet ou accroîtrait la difficulté, le coût et la durée de l'instance.

[31]Les difficultés, les coûts et les délais auxquels fait allusion cet extrait ont été illustrés dans les affaires où les tribunaux ont tenté d'appliquer la limite à chacune des questions de fait. Dans la mesure où l'abus auquel la loi est censée remédier joue dans le cadre d'une action, l'on comprend qu'il soit encore plus crucial d'empêcher le recours abusif à la preuve d'expert dans le cadre d'une instance qui se veut sommaire, telle la demande d'interdiction prévue par le Règlement.

[32]Apotex a prétendu que, de toute manière, l'article 7 ne s'applique que lorsque les témoins seront interrogés de vive voix à l'audience et que seul le juge qui entend la demande au fond ou instruit l'instance a le pouvoir discrétionnaire d'autoriser l'audition de témoignages d'opinion supplémentaires. Selon moi, l'article 7 n'établit pas de telles restrictions. Au mieux, la disposition se prête à deux interprétations, et je dois lui donner [traduction] «une juste interprétation, de façon à la rendre raisonnable et applicable lorsque les termes employés le justifient», comme il a été statué dans In re Scamen [à la page 142].

[33]De toute évidence, l'article 7 est une disposition de portée générale, qui ne s'applique pas qu'aux procès: «dans un procès ou autre procédure pénale ou civile»--«in any trial or other proceeding, criminal or civil» [soulignement ajouté]. Dans le cadre d'une procédure sommaire, l'on dépose un affidavit au lieu de procéder à un interrogatoire principal, et le contre-interrogatoire se déroule hors la présence du tribunal, mais les règles de preuve s'appliquent par ailleurs également aux deux modes de présentation de la preuve. Dans le cas de la preuve d'expert, la règle veut qu'un préavis relatif au contenu du témoignage soit donné à la partie adverse bien avant l'audience ou le procès pour lui permettre de s'y préparer adéquatement en préparant soigneusement le contre-interrogatoire ou en présentant une contre-preuve au besoin. Lors d'un procès, la partie dépose au préalable l'affidavit ou la déclaration de l'expert et, dans le cadre d'une procédure sommaire, elle produit un affidavit.

[34]Que ce soit dans le contexte d'un procès ou d'une procédure sommaire, permettre à une partie de présenter, sans autorisation préalable, un plus grand nombre de témoins que celui prévu, laissant au juge présidant l'audience le soin de décider si leurs témoignages seront tous recevables (ou, sinon, lesquels seront pris en compte) exigerait dans les faits de la partie adverse qu'elle se prépare à réfuter tous les éléments de preuve présentés. Cela écarterait, du moins pour les parties, tout avantage censé découler de la règle. Pis encore, selon la manière dont la partie adverse aura préparé sa contre-preuve, l'exclusion subséquente de certains éléments de la preuve donnera vraisemblablement lieu à un désaccord quant à savoir quels éléments de la contre-preuve visaient à réfuter la preuve exclue et doivent de ce fait être écartés. À l'instar de la conclusion tirée dans In re Scamen, le remède sera pire que le mal. Le risque d'abus est le même que la preuve soit présentée de vive voix à l'audience ou au moyen d'un affidavit et de contre-interrogatoires, et l'on peut le gérer efficacement en appliquant l'article 7 à toute étape de l'instance, y compris la procédure sommaire.

[35]Même s'il y aura manifestement des cas où la décision finale de permettre ou non la présentation de plus de cinq témoignages d'experts devra à juste titre être laissée au juge qui entendra l'affaire au fond, je conclus que l'interprétation et l'application appropriées de l'article 7 de la Loi sur la preuve au Canada exigent que la partie qui compte faire entendre plus de cinq experts soit tenue d'obtenir l'autorisation de le faire au plus tard au moment de présenter le premier témoignage supplémentaire. Étant donné qu'Apotex n'a pas demandé au préalable l'autorisation de déposer plus de cinq affidavits d'experts et n'a même pas donné suite à la requête de Merck en demandant l'autorisation de le faire, Apotex ne peut invoquer que les témoignages de cinq experts.

[36]Quoi qu'il en soit, la règle établie à l'article 7 de la Loi sur la preuve au Canada, même si, strictissimi juris, cette disposition ne s'applique pas à la procédure sommaire, est très claire quant au nombre d'experts qu'exige raisonnablement l'instruction d'une affaire, l'abus étant présumé lorsque ce nombre est dépassé. Je ne vois aucune raison de ne pas appliquer ces lignes directrices à une procédure sommaire comme celle considérée en l'espèce, et j'arrive à la conclusion que, sauf circonstances spéciales dont la preuve incombe à la partie qui les invoque, il est abusif de déposer plus de cinq affidavits d'experts. Apotex n'a pas établi l'existence de telles circonstances spéciales.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT:

1) Apotex a 10 jours à compter de la date de la présente ordonnance pour signifier et déposer un avis des cinq affidavits qu'elle retient parmi ceux des Drs Allen W. Rey, Juliet Compston, Eli Shefter, Michael J. Cima, Peter J. Stang, Roger Newton, Robert Allan McClelland, Graham Russell ou Robert S. Langer.

2) Les affidavits non retenus seront radiés.

3) Le délai imparti pour effectuer les contre-interrogatoires courra à compter du dépôt de cet avis par Apotex.

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